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31/07/2000 | CEDH | N°34578/97

CEDH | AFFAIRE JECIUS c. LITUANIE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE JĖČIUS c. LITUANIE
(Requête no 34578/97)
ARRÊT
STRASBOURG
31 juillet 2000
En l'affaire Ječius c. Lituanie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    W. Fuhrmann,    P. Kūris,   Mme F. Tulkens,   MM. K. Jungwiert,    K. Traja,    M. Ugrekhelidze, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 juillet 2000,
Rend l'arr

t que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenn...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE JĖČIUS c. LITUANIE
(Requête no 34578/97)
ARRÊT
STRASBOURG
31 juillet 2000
En l'affaire Ječius c. Lituanie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    W. Fuhrmann,    P. Kūris,   Mme F. Tulkens,   MM. K. Jungwiert,    K. Traja,    M. Ugrekhelidze, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 juillet 2000,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 25 octobre 1999, dans le délai de trois mois qu'ouvraient les anciens articles 32 § 1 et 47 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). A son origine se trouve une requête (no 34578/97) dirigée contre la République de Lituanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Juozas Ječius (« le requérant »), avait saisi la Commission le 30 décembre 1996 en vertu de l'ancien article 25.
Le requérant se plaint de l'irrégularité de sa détention préventive et de sa détention provisoire, du manquement des autorités à l'obligation de le traduire aussitôt devant un juge ou un autre magistrat, de la durée de sa détention et de l'impossibilité d'introduire un recours pour contester la légalité de sa détention. Il invoque l'article 5 §§ 1, 3 et 4 de la Convention
2.  La Commission a déclaré la requête en partie recevable le 1er décembre 1997.
Le requérant est décédé le 9 avril 1999. Par une lettre du 14 avril 1999, sa veuve a fait part de son souhait de maintenir la requête.
Dans son rapport du 11 septembre 1999 (ancien article 31 de la Convention)1, la Commission formule l'avis qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 concernant la détention préventive du requérant (vingt-sept voix contre deux), qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 quant à la détention provisoire de l'intéressé du 4 juin au 31 juillet 1996 (unanimité), qu'il n'y a pas eu violation de l'article 5 § 1 concernant sa détention provisoire du 31 juillet au 16 octobre 1996 (unanimité), qu'il n'y a pas eu violation de l'article 5 § 3 quant au manquement allégué à l'obligation de traduire aussitôt l'intéressé devant un juge ou un autre magistrat (vingt-sept voix contre deux), qu'il y a eu violation de l'article 5 § 3 concernant la durée de sa détention provisoire (unanimité) et qu'il y a eu violation de l'article 5 § 4 (unanimité).
3.  Conformément à l'article 5 § 4 du Protocole no 11 à la Convention combiné avec les articles 100 § 1 et 24 § 6 du règlement de la Cour, un collège de la Grande Chambre a décidé, le 13 décembre 1999, que l'affaire serait examinée par une chambre constituée au sein de l'une des sections de la Cour. Par la suite, le président de la Cour, agissant en vertu de l'article 52 § 1 du règlement, a attribué l'affaire à la troisième section.
4.  Le 18 janvier 2000, le président de la troisième section a constitué la chambre conformément à l'article 27 § 1 de la Convention et à l'article 26 § 1 du règlement.
5.  Le requérant est représenté par Me K. Stungys, avocat au barreau de Vilnius. Le gouvernement lituanien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. G. Švedas, vice-ministre de la Justice.
6.  Après consultation des parties, la Cour a décidé de ne pas tenir d'audience.
7.  Les 21, 23 et 29 mars puis les 12 et 17 mai 2000, les parties ont produit tour à tour un certain nombre de documents, soit à la demande de la Cour, soit de leur propre initiative.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
8.  Le requérant, directeur d'hôtel, était soupçonné d'être l'auteur d'un homicide commis en 1994. En 1995, l'affaire fut classée faute de preuves.
9.  Le requérant fut arrêté le 8 février 1996. Le jour même, le commissaire principal, avec l'autorisation du procureur général adjoint, ordonna son placement en « détention préventive » (prevencinis sulaikymas) pour une durée de soixante jours. Le 9 février 1996, un juge du tribunal régional de Vilnius confirma le placement en détention préventive. Le mandat de dépôt s'appuyait sur une disposition générale de l'article 50-1 du code de procédure pénale alors en vigueur, qui permettait le placement en détention préventive pour banditisme, participation à une association de malfaiteurs et manœuvres d'intimidation. Le requérant forma un recours contre son incarcération, arguant notamment qu'il n'avait été informé ni du motif de sa détention ni des charges relevées contre lui. Le 19 février 1996, un juge du tribunal régional de Vilnius le débouta de son recours. Cette décision ne faisait état d'aucun chef d'accusation particulier pesant sur l'intéressé. Aucune instruction ne fut menée dans le cadre de sa détention préventive.
10.  Le 8 mars 1996, le dossier relatif à l'homicide fut rouvert. Le requérant fut mis en cause en tant qu'auteur principal de l'homicide, perpétré avec circonstances aggravantes. On l'accusait d'avoir organisé le châtiment illégal du voleur présumé de sa voiture, qui s'était soldé par la mort de ce dernier. Parmi les cinq personnes accusées dans cette affaire figuraient trois policiers ; ceux-ci, après avoir arrêté la victime, l'auraient livrée au requérant.
11.  Le 14 mars 1996, le procureur général adjoint, s'appuyant sur l'article 104 du code de procédure pénale, autorisa le placement en détention provisoire du requérant, soupçonné d'homicide. La détention était autorisée pour une période allant jusqu'au 4 juin 1996.
12.  Le 27 mars 1996, le requérant fut interrogé. Le 22 avril 1996, il forma un recours auprès du parquet, arguant qu'aucun élément ne permettait de le soupçonner d'avoir commis ou préparé une infraction, et que sa détention préventive puis sa détention provisoire étaient incompatibles avec les règles de la procédure pénale interne et l'article 5 de la Convention. Le 24 avril 1996, le procureur principal de la région de Panevėžys rejeta le recours au motif que la détention du requérant se justifiait tout simplement par la gravité de l'infraction présumée.
13.  Le 17 mai 1996, le requérant forma un recours auprès du procureur général, affirmant à nouveau qu'il n'y avait pas de raisons plausibles de le soupçonner et que sa détention portait atteinte à ses droits garantis par l'article 5 de la Convention. Le 21 mai 1996, un procureur régional rejeta le recours. Le 4 juin 1996, un nouveau recours introduit par le représentant du requérant fut rejeté par le procureur principal de la région de Panevėžys.
14.  L'instruction préparatoire fut close le 29 mai 1996. Le requérant et son conseil furent autorisés à consulter le dossier du 30 mai au 10 juin 1996. Les autres personnes mises en cause dans l'affaire eurent accès au dossier jusqu'au 14 juin 1996.
15.  Après examen du dossier, le requérant forma un recours auprès du parquet, arguant que l'accusation et la détention dont il faisait l'objet étaient infondées. Ce recours fut rejeté le 11 juin 1996 par un procureur du parquet régional de Panevėžys, qui indiqua que l'ensemble du dossier contenait suffisamment d'éléments prouvant la culpabilité du requérant.
16.  Le 13 juin 1996, le procureur informa l'administration de la prison où le requérant se trouvait en détention provisoire que la détention était « prolongée automatiquement jusqu'au 14 juin 1996 », en application de l' article 226 § 6 du code de procédure pénale tel qu'il était libellé à l'époque, et que le dossier avait été transmis au procureur principal de la région de Panevėžys afin que celui-ci confirme l'acte d'accusation. Aucune décision ne fut prise quant à la détention provisoire du requérant.
17.  Le 24 juin 1996, le procureur principal de la région de Panevėžys adressa une lettre à l'administration de la prison, l'informant que le dossier de l'homicide avait été transmis au tribunal régional de Panevėžys, et que la détention du requérant était régulière. Aucune décision ne fut prise relativement à la détention.
18.  Le 1er juillet 1996, le tribunal régional de Panevėžys informa l'administration de la prison qu'une audience se tiendrait le 31 juillet 1996 en vue de préciser les modalités du procès du requérant et de ses coaccusés. Aucune décision officielle ne fut prise concernant la détention provisoire du requérant.
19.  Le 31 juillet 1996, lors de l'audience de mise en état, un juge du tribunal régional de Panevėžys décida que la détention provisoire du requérant serait « maintenue sans changement ». Le juge n'évoqua aucun autre aspect relatif à la légalité de la détention du requérant. Le conseil de celui-ci était présent à l'audience.
20.  Le procès devant le tribunal régional de Panevėžys débuta le 3 septembre 1996. Le 9 septembre, l'examen de l'affaire fut ajourné car il fallait recueillir de plus amples éléments de preuve.
21.  Du 14 au 16 octobre 1996, le tribunal régional examina l'affaire en présence du requérant et de son avocat. Le 16 octobre 1996, il décida du maintien en détention du requérant. La décision n'évoquait aucun autre aspect relatif à la régularité de la détention provisoire. Le terme de la détention fut repoussé au 15 février 1997. Par ailleurs, le tribunal demanda un complément d'instruction.
22.  Le 28 octobre 1996, le requérant fit appel de cette décision auprès de la cour d'appel. Il introduisit également des requêtes auprès du procureur général, de l'administration de la prison et du médiateur. Il soutenait que le tribunal régional ne s'était pas prononcé de manière régulière sur sa détention, puisqu'il s'était contenté de prolonger une décision inexistante de placement en détention ayant expiré le 4 juin 1996. Le requérant indiquait notamment qu'il y avait eu à son détriment violation de l'article 20 de la Constitution lituanienne et de l'article 5 de la Convention.
23.  Le 21 novembre 1996, le médiateur attira l'attention du ministre de l'Intérieur, du procureur général, du directeur des services pénitentiaires et du directeur de la prison sur le fait qu'à son avis, le requérant « avait été maintenu irrégulièrement en détention provisoire du 14 juin 1996 au 31 juillet 1996, au mépris de l'article 20 de la Constitution (...) et de l'article 5 § 1 c) de la Convention ».
24.  Le 25 novembre 1996, le requérant réitéra son appel contre sa détention.
25.  Le 27 novembre 1996, la cour d'appel rejeta l'appel en s'appuyant sur l'article 372 § 4 du code de procédure pénale tel qu'il était alors libellé. Dans sa lettre au requérant, la cour d'appel concéda que les juges de la juridiction inférieure avaient « peut-être » commis une erreur de droit en tranchant la question de la détention, mais observa que leurs décisions n'étaient pas susceptibles d'appel.
26.  Le même jour, sur appel du parquet contre la décision du tribunal régional de Panevėžys du 16 octobre 1996, la cour d'appel infirma la décision d'ordonner un complément d'instruction. Le requérant fit appel.
27.  Le 30 novembre 1996, le requérant forma un recours contre sa détention auprès du président de la Cour suprême. Le 30 décembre 1996, le président de la division des affaires pénales de la Cour suprême l'informa que son recours ne pouvait être examiné. Il admit que l'intéressé « avait été maintenu en détention provisoire du 4 juin 1996 au 31 juillet 1996 sans que la mesure de détention eût été prorogée », mais souligna néanmoins que le « motif d'appel ne saurait réduire à néant la disposition légale en vertu de laquelle une décision ordonnant, modifiant ou prorogeant une mesure de détention (article 372 § 4 du code de procédure pénale) (...) est insusceptible d'appel ».
28.  Le 14 janvier 1997, la Cour suprême rectifia la décision de la cour d'appel du 27 novembre 1996 qui avait infirmé la décision du tribunal régional de Panevėžys du 16 octobre 1996 d'ordonner un complément d'instruction. Par ailleurs, la Cour suprême décida que l'affaire d'homicide serait examinée au fond par une chambre de trois juges et non par un juge unique.
29.  Le requérant engagea une action civile contre l'administration de la prison pour l'avoir maintenu en détention en l'absence de décision formelle à ce sujet. Le 26 février 1997, un juge du tribunal de district de Šiauliai le débouta, estimant que les actes de l'administration reposaient sur « l'autorisation du procureur, sur des lettres contenant des informations relatives au prolongement de la détention, ainsi que sur les décisions du juge et du tribunal ». Le 28 avril 1997, le tribunal régional de Šiauliai confirma la décision du tribunal de district.
30.  Le requérant sollicita sa libération sous caution pour raisons de santé. Le 17 mars 1997, le tribunal régional de Panevėžys rejeta cette requête. Le procès fut à nouveau ajourné et un complément d'instruction fut demandé pour le 28 avril 1997, date à laquelle l'affaire fut à nouveau transmise au tribunal. Le procès reprit le 26 mai 1997.
31.  Le 9 juin 1997, le tribunal régional de Panevėžys acquitta le requérant de tous les chefs d'inculpation qui pesaient contre lui, faute de preuves. L'intéressé fut remis en liberté.
32.  Le parquet et les autres personnes mises en cause dans l'affaire interjetèrent appel de la décision de première instance. Le 27 août 1997, la cour d'appel infirma le jugement du tribunal régional. L'affaire fut renvoyée au parquet pour complément d'instruction.
33.  Le 22 octobre 1997, un procureur du parquet régional de Panevėžys informa le requérant qu'une décision de non-lieu le concernant avait été prise le 21 octobre 1997.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
34.  Les dispositions pertinentes de la Constitution de la République de Lituanie (Lietuvos Respublikos Konstitucija) se lisent comme suit :
Article 20 § 3
« Toute personne arrêtée en flagrant délit doit être, dans les quarante-huit heures, présentée au tribunal aux fins de déterminer, en sa présence, s'il y a lieu de la placer en détention. Si le tribunal ne décide pas la détention, l'intéressé est immédiatement remis en liberté. »
Article 30 § 1
« Toute personne dont les droits constitutionnels ou les libertés ont été violés a le droit de saisir les tribunaux. »
35.  Les dispositions pertinentes de l'ancien code de procédure pénale (Baudžiamojo proceso kodeksas) sont les suivantes :
Article 10 (en vigueur jusqu'au 21 juin 1996)
« Nul ne peut être arrêté qu'en vertu de la décision d'un tribunal ou d'un juge ou de l'autorisation d'un procureur (...) »
Article 50-1 [détention préventive] (en vigueur jusqu'au 30 juin 1997)
« (...) [L]orsqu'il existe des motifs suffisants de craindre qu'une personne puisse commettre un acte dangereux dont les éléments constitutifs sont présentés aux articles 75 [banditisme], 227-1 [association de malfaiteurs] et 227-2 [manœuvres d'intimidation] du code pénal de la République de Lituanie, et en vue de prévenir la commission de pareil acte, un responsable de la police (...) peut, par une décision motivée et soumise à l'autorisation [d'un procureur,] (...) ordonner l'arrestation de l'intéressé (...)
Dans le délai de quarante-huit heures, en présence de l'officier de police qui a décidé de l'arrestation et du procureur qui l'a autorisée (...), le président d'un tribunal de district, un juge d'un tribunal régional ou le président d'une division d'un tribunal régional se prononce sur la régularité de l'arrestation.
Pour se prononcer sur la régularité de l'arrestation, le juge peut de sa propre initiative convoquer la personne arrêtée ; toutefois, il peut également statuer en l'absence de celle-ci (...)
La personne arrêtée (...) peut faire appel de la décision en question auprès d'un juge de degré supérieur.
(...) [L]a décision du juge de degré supérieur est définitive et insusceptible d'appel (...)
(...) [Une] personne détenue sur autorisation d'un procureur et dont la détention est confirmée par un juge, ne peut être ainsi détenue pendant plus de deux mois (...) »
Depuis le 21 juin 1996, l'arrestation d'une personne peut être ordonnée uniquement par un tribunal ou un juge.
Article 104 (loi no I-551 du 19 juillet 1994, en vigueur jusqu'au 21 juin 1996)
« Il ne peut être recouru à la détention comme mesure provisoire qu'en vertu de la décision d'un tribunal ou d'un juge ou de l'autorisation d'un procureur et dans les cas où la loi prévoit une peine d'au moins un an d'emprisonnement (...)
Dans les cas relatifs aux infractions prévues [à l'article] (...) 105 [homicide avec circonstances aggravantes] (...) du code pénal, il peut être recouru à la détention comme mesure provisoire du simple fait de la gravité de l'infraction (...)
Pour décider s'il y a lieu d'autoriser la détention, un procureur (...) entend personnellement le suspect ou le prévenu le cas échéant (...) »
Article 104-1 (en vigueur du 21 juin 1996 au 24 juin 1998)
« (...) [L]a personne arrêtée est conduite devant un juge dans un délai de quarante-huit heures (...) Le juge entend l'intéressé au sujet des motifs de l'arrestation. Le procureur ainsi que le conseil de la personne arrêtée peuvent prendre part à l'audition. Après avoir interrogé la personne arrêtée, le juge peut confirmer le mandat d'arrêt en fixant la durée de la détention, ou modifier ou révoquer la mesure de placement en détention provisoire (...)
L'affaire une fois transmise au tribunal (...) [, celui-ci] peut ordonner, modifier ou révoquer la détention provisoire. »
L'article 104-1 modifié (en vigueur depuis le 24 juin 1998) dispose que le procureur et le conseil de la personne arrêtée doivent prendre part à la première audition judiciaire de celle-ci, sauf décision contraire du juge. La disposition modifiée permet également au tribunal de prolonger la détention provisoire avant qu'elle n'arrive à son terme.
Article 106 § 3 (en vigueur du 21 juin 1996 au 24 juin 1998)
« Pour prolonger la détention provisoire [au stade de l'instruction préparatoire, le juge] doit organiser une audience, à laquelle sont convoqués le conseil de l'intéressé, le procureur et, le cas échéant, le prévenu lui-même. »
Dans sa version en vigueur depuis le 24 juin 1998, le code rend obligatoire la présence du prévenu à une audience sur sa détention provisoire.
Article 109-1 (en vigueur du 21 juin 1996 au 24 juin 1998)
« La personne arrêtée ou son conseil ont le droit, durant l'instruction préparatoire, de contester [auprès d'une juridiction de recours] la détention provisoire (...). Pour l'examen de ce recours, une audience peut être organisée, à laquelle la personne arrêtée et son conseil, ou le conseil seul, doivent être convoqués. Un procureur assiste obligatoirement à cette audience.
La décision [du juge du recours] est définitive et insusceptible d'un pourvoi en cassation.
Il est statué sur tout nouveau recours en même temps que sur la prolongation de la détention provisoire. »
L'article 109-1 actuel (en vigueur depuis le 24 juin 1998) prévoit désormais la possibilité de former un recours auprès d'une juridiction supérieure et d'organiser une audience en présence soit de la personne détenue et de son conseil, soit du conseil seul.
Article 226 § 6 (en vigueur jusqu'au 24 juin 1998)
« La période pendant laquelle la personne arrêtée et son conseil ont accès au dossier n'est pas imputée sur la durée globale de l'instruction préparatoire et de la détention. Lorsqu'il y a plusieurs personnes accusées, la période durant laquelle l'ensemble des personnes accusées et de leurs conseils ont accès au dossier n'est pas imputée sur la durée globale de l'instruction préparatoire et de la détention. »
Depuis le 24 juin 1998, cette période n'entre plus en ligne de compte dans les décisions relatives à la détention provisoire.
Article 372 § 4 (en vigueur jusqu'au 1er janvier 1999)
« Les décisions des tribunaux (...) qui ordonnent, modifient ou révoquent une mesure de placement en détention provisoire (...) ne sont pas susceptibles d'appel (...) »
36.  Autres dispositions pertinentes du code de procédure pénale actuel :
L'article 52 § 2, alinéas 3) et 8), et l'article 58 § 2, alinéas 8) et 10), prévoient respectivement que la personne accusée et son conseil ont le droit de « présenter des requêtes » et de « former des recours contre les actes et les décisions d'un interrogateur, d'un enquêteur, d'un procureur et d'une juridiction ».
Article 249 § 1
« Pour décider s'il y a lieu de renvoyer l'intéressé en jugement, un juge seul ou un tribunal, lors d'une audience de mise en état, doit vérifier
11)  si le choix du placement en détention provisoire était opportun. »
Article 250 § 1
« Après avoir déterminé s'il existe des motifs suffisants pour renvoyer l'intéressé en jugement, un juge seul ou un tribunal lors d'une audience de mise en état se prononce sur les questions
2)  du placement en détention provisoire de l'intéressé (...) »
Article 267 § 1
« Le prévenu a la possibilité de
3)  présenter des requêtes ;
11)  former un recours contre le jugement et les décisions d'un tribunal. »
Article 277
« Au cours d'une procédure, un tribunal peut décider d'ordonner, de modifier ou de révoquer le placement en détention provisoire du prévenu. »
37.  La loi du 21 juin 1996 modifiant et complétant le code de procédure pénale (Baudžiamojo proceso kodekso pakeitimų ir papildymų įstatymas) indique qu'une détention autorisée par un procureur avant le 21 juin 1996 peut après cette date être prolongée par un tribunal, conformément à la nouvelle procédure régissant le placement en détention provisoire.
III.  RéSERVE DE LA LITUANIE
38.  La réserve émise par la Lituanie à l'article 5 § 3 de la Convention fut en vigueur jusqu'au 21 juin 1996 et se lisait comme suit :
« Les dispositions de l'article 5, paragraphe 3, de la Convention n'affecteront pas la mise en œuvre de l'article 104 du code de procédure pénale de la République de Lituanie (version modifiée no I-551, 19 juillet 1994) qui prévoit qu'une décision de garder en détention toute personne suspectée d'avoir commis un crime puisse également être prise par un procureur. Cette réserve sera effective pour un an après que la Convention [sera] entrée en vigueur à l'égard de la République de Lituanie. »
EN DROIT
i.  SUR LE DéCÈS DU requérant
39.  La Cour prend acte du décès du requérant et du souhait exprimé par sa veuve de poursuivre la procédure engagée.
40.  La Commission a estimé que la veuve du requérant possédait un intérêt légitime à poursuivre la procédure au nom du défunt.
41.  La Cour rappelle que lorsqu'un requérant décède durant l'examen de l'affaire concernant la régularité de sa détention, ses héritiers ou proches parents peuvent en principe maintenir la requête en son nom (voir notamment Krempovskij c. Lituanie (déc.), no 37193/97, 20 avril 1999, non publiée). A l'instar de la Commission, la Cour estime que la veuve du requérant possède un intérêt légitime à maintenir la requête au nom du défunt.
II.  SUR L'EXCEPTION préliminaire du gouvernement
42.  Le Gouvernement fait valoir qu'en raison de la règle des six mois posée par l'article 35 § 1 de la Convention, la Cour ne peut examiner le grief du requérant relatif à sa détention préventive. Il soutient que celle-ci servait des objectifs autres que ceux de la détention provisoire. Par ailleurs, elle aurait été autorisée en vertu d'une autre procédure interne que celle ayant débouché sur le placement en détention provisoire. La détention préventive ayant pris fin le 14 mars 1996, et la requête ayant été introduite le 30 décembre 1996, cet aspect de la requête aurait été présenté hors délai.
43.  La Commission a considéré que si la détention préventive et la détention provisoire du requérant ont été ordonnées pour des motifs qui diffèrent au niveau de la législation interne, il n'y a eu aucun signe visible de changement dans le statut du requérant lorsque sa détention préventive a été remplacée par une détention provisoire. La Commission a estimé que la période globale couverte par la détention du requérant devait être considérée comme un tout aux fins de l'application de l'article 35 § 1 de la Convention, et que le grief de l'intéressé relatif à sa détention préventive ne pouvait être rejeté pour non-observation de la règle des six mois.
44.  La Cour adhère à la conclusion de la Commission. S'agissant d'un grief relatif à l'absence de recours contre une situation qui perdure, telle une période de détention, le délai de six mois évoqué à l'article 35 § 1 commence lorsque cette situation prend fin, à la faveur par exemple d'une remise en liberté (voir, mutatis mutandis, Ječius c. Lituanie, requête no 34578/97, décision de la Commission du 1er décembre 1997, non publiée). En outre, lorsqu'elle applique l'article 35 § 1 de la Convention, la Cour s'efforce souvent de dépasser les simples apparences, sans formalisme excessif (voir notamment l'arrêt Guzzardi c. Italie du 6 novembre 1980, série A no 39, pp. 26-27, § 72).
Bien que, le 14 mars 1996, la détention préventive du requérant fondée sur l'article 50-1 du code de procédure pénale ait été formellement remplacée par une détention provisoire en application de l'article 104 du même code, ce changement de base légale n'a eu aucune incidence sur la situation du requérant, qui n'a été ni changé de cellule ou de prison ni conduit devant une autorité judiciaire compétente pour être informé dudit changement. La Cour estime en conséquence qu'il faut prendre en compte la période globale de détention du requérant pour appliquer la règle des six mois en l'espèce.
Comme l'intéressé était toujours en détention provisoire le 30 décembre 1996, date à laquelle il a introduit la présente requête pour dénoncer cette situation, l'affaire ne saurait être écartée pour tardiveté.
45.  En conséquence, la Cour rejette l'exception préliminaire du Gouvernement.
III.  SUR LA VIOLATION ALLéGUéE DE L'ARTICLE 5 § 1 DE LA convention
46.  Le requérant affirme que sa détention a emporté violation de l'article 5 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :
« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
c)  s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci ;
1.  La détention préventive
47.  Le requérant soutient que sa détention préventive, du 8 février au 14 mars 1996, ne se conciliait pas avec l'article 5 § 1 de la Convention. Il estime plus précisément qu'il n'y avait aucun motif à une telle détention, car aucune procédure pénale dirigée contre lui n'était alors pendante. De plus, il n'y avait aucune infraction qu'il fallait l'empêcher de commettre.
48.  Le Gouvernement affirme quant à lui que la détention préventive du requérant était compatible avec l'article 5 § 1 c) de la Convention, car l'ancienne disposition de l'article 50-1 du code de procédure pénale autorisait la détention dans le but d'empêcher la commission d'actes de banditisme, d'associations de malfaiteurs et de manœuvres d'intimidation.
49.  La Commission a estimé que la détention préventive du requérant ne relevait pas des exceptions tolérables au droit à la liberté, et a donc méconnu l'article 5 § 1 de la Convention.
50.  La Cour fait observer qu'une personne ne peut être privée de liberté que dans les buts précisés à l'article 5 § 1. Une personne ne peut être détenue au regard de l'article 5 § 1 c) que dans le cadre d'une procédure pénale, en vue d'être conduite devant l'autorité judiciaire compétente parce qu'elle est soupçonnée d'avoir commis une infraction (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Lawless c. Irlande du 1er juillet 1961, série A no 3, pp. 51-53, § 14, et l'arrêt Ciulla c. Italie du 22 février 1989, série A no 148, pp. 16-18, §§ 38-41).
51.  La Cour estime par conséquent qu'une détention préventive du type de celle en cause en l'espèce n'est pas autorisée par l'article 5 § 1 c) ; l'article 50-1 du code de procédure pénale ne correspondait à aucune disposition de l'article 5 § 1.
52.  En conséquence, il y a eu à cet égard violation de l'article 5 § 1 de la Convention.
2.  La détention provisoire du 4 juin au 31 juillet 1996
53.  Le requérant se plaint en outre de ce que, du 4 juin au 31 juillet 1996, sa détention provisoire ne reposât sur aucune décision interne valable ou autre base légale, ce qui emporterait violation de l'article 5 § 1 de la Convention.
54.  Le Gouvernement fait valoir que la détention provisoire du requérant pendant cette période était justifiée au regard de l'article 5 § 1, puisqu'il existait des raisons plausibles de le soupçonner d'avoir commis un homicide. Aucune décision d'une juridiction nationale n'était nécessaire pour valider cette période de détention durant laquelle le requérant et ses coaccusés avaient eu accès au dossier, en application de l'article 226 § 6 du code de procédure pénale alors en vigueur. De l'avis du Gouvernement, cette disposition a permis la détention provisoire jusqu'au 21 juin 1996. Le Gouvernement soutient par ailleurs que la législation lituanienne exigeait simplement la fixation du terme précis de la détention lors de l'instruction préparatoire, et que durant la procédure, le tribunal pouvait uniquement ordonner, modifier ou révoquer une détention provisoire (articles 104-1, 249 § 1 et 250 § 1 du code de procédure pénale alors en vigueur). En conséquence, la détention dont le requérant a fait l'objet à partir du 24 juin 1996 aurait été justifiée par cela que l'affaire avait été transmise au tribunal régional de Panevėžys, auquel il n'avait pas été demandé par la suite de prolonger ou de valider d'une autre manière la détention du requérant.
55.  La Commission a estimé que la détention du requérant du 4 juin au 31 juillet 1996 n'était autorisée par aucune décision interne valable ou autre base « légale », et ce en violation de l'article 5 § 1 de la Convention.
56.  La Cour rappelle que les termes « régulièrement » et « selon les voies légales » qui figurent à l'article 5 § 1 renvoient pour l'essentiel à la législation nationale et consacrent l'obligation d'en observer les normes de fond comme de procédure.
Toutefois, la « régularité » de la détention au regard du droit interne n'est pas toujours l'élément décisif. La Cour doit en outre être convaincue que la détention pendant la période en jeu est conforme au but de l'article 5 § 1 de la Convention, à savoir protéger l'individu de toute privation de liberté arbitraire.
De surcroît, la Cour doit s'assurer qu'un droit interne se conforme lui-même à la Convention, y compris aux principes généraux énoncés ou impliqués par elle. Sur ce dernier point, la Cour souligne que lorsqu'il s'agit d'une privation de liberté, il est particulièrement important de satisfaire au principe général de la sécurité juridique. Par conséquent, il est essentiel que les conditions de la privation de liberté en vertu du droit interne soient clairement définies et que la loi elle-même soit prévisible dans son application, de façon à remplir le critère de « légalité » fixé par la Convention, qui exige que toute loi soit suffisamment précise pour permettre au citoyen – en s'entourant au besoin de conseils éclairés – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d'un acte déterminé (arrêt Baranowski c. Pologne, no 28358/95, §§ 50-52, CEDH 2000-III).
57.  Quant aux circonstances de la cause, la Cour relève que les parties s'accordent à dire que du 4 juin au 31 juillet 1996, aucune décision autorisant la détention du requérant n'a été prise par un juge ou un procureur. Il semblerait donc que durant cette période, la détention du requérant était incompatible avec le droit interne alors en vigueur (articles 10 et 104 du code de procédure pénale jusqu'au 21 juin 1996, et articles 10 et 104-1 du code après cette date).
58.  Le Gouvernement soutient toutefois que pendant une partie de cette période, le requérant fut maintenu en détention en application de l'ancien article 226 § 6 du code de procédure pénale et eut, de même que ses coaccusés, accès au dossier.
59.  La Cour relève que la lettre du procureur du 13 juin 1996 (paragraphe 16 ci-dessus), la décision du médiateur du 21 novembre 1996 (paragraphe 23 ci-dessus), la lettre du président de la division des affaires pénales de la Cour suprême datée du 30 décembre 1996 (paragraphe 27 ci-dessus) et les observations du Gouvernement à la Cour (paragraphe 54 ci-dessus) présentent trois réponses différentes à la question de savoir quelle partie de la détention du requérant était couverte par l'ancien article 226 § 6 du code de procédure pénale ; il en résulte que cette disposition peut être invoquée pour justifier la détention du requérant jusqu'au 4, au 14 ou au 21 juin 1996. La Cour ne juge pas nécessaire de résoudre cette divergence quant aux effets pratiques de l'ancien article 226 § 6 du code de procédure pénale, car il a été montré qu'il était suffisamment vague pour semer la confusion même au sein des autorités nationales. Cet article était donc incompatible avec les exigences de « légalité » posées par l'article 5 § 1 de la Convention. De surcroît, la disposition précitée permettait la détention dans des cas totalement étrangers à l'article 5 § 1.
Il s'ensuit que la privation de liberté subie par le requérant en application de l'ancien article 226 § 6 du code de procédure pénale n'a pas eu lieu selon les voies légales, au sens de l'article 5 § 1 de la Convention.
60.  Le Gouvernement soutient en outre qu'à partir du 24 juin 1996, la détention du requérant était justifiée par le seul fait que le dossier avait été transmis au tribunal régional. Selon l'interprétation que le Gouvernement donne du droit interne applicable à l'époque des faits, il n'a pas été demandé au tribunal, par la suite, de prolonger la détention du requérant ou de la valider d'une autre façon.
61.  La Cour estime toutefois que l'argument du Gouvernement ne permet pas de passer outre à l'exigence en vertu de laquelle la détention du requérant devait se fonder sur un mandat de dépôt valable, mais qu'un tel mandat n'existait pas pour la période allant du 4 juin au 31 juillet 1996.
62.  En outre, la Cour rappelle que la pratique consistant à maintenir une personne en détention non pas à partir d'une base légale spécifique, mais parce qu'il n'existe pas de règles précises régissant la situation du détenu, ce qui permet de priver une personne de liberté pendant une période illimitée sans autorisation judiciaire, est incompatible avec les principes de la sécurité juridique et de la protection contre l'arbitraire, qui constituent des éléments fondamentaux à la fois de la Convention et de l'état de droit (arrêt Baranowski précité, §§ 54-57).
63.  La Cour observe que la circonstance que l'affaire ait été transmise au tribunal régional le 24 juin 1996 n'a pas permis de clarifier la question de savoir si – et, dans l'affirmative, à quelles conditions – la détention du requérant, ordonnée pour une période limitée au stade de l'instruction, pouvait se poursuivre pendant le procès.
Dès lors, le seul motif invoqué pour justifier la détention du requérant – à savoir que l'affaire avait été transmise au tribunal – ne conférait aucune base « légale » à la poursuite de la détention provisoire au regard de l'article 5 § 1 de la Convention.
En résumé, pendant la période allant du 4 juin au 31 juillet 1996, la détention provisoire du requérant ne reposait sur aucune décision interne valable ni aucune autre base « légale ».
64.  Il y a donc eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention s'agissant de cette période.
3.  La détention provisoire du 31 juillet au 16 octobre 1996
65.  Le requérant se plaint également de ce que, lors de l'audience de mise en état du 31 juillet 1996, le tribunal régional ait commis une erreur en appliquant l'article 104-1 du code de procédure pénale en décidant que  la détention provisoire du requérant serait « maintenue sans changement ». Il estime que sa détention provisoire arrivait à terme le 4 juin 1996, et que le tribunal régional n'a pris aucune nouvelle mesure de détention ni spécifié quel type de détention il entendait autoriser. Il considère qu'il n'a été placé en détention provisoire en vertu d'une décision judiciaire régulière que le 16 octobre 1996, lorsque le tribunal régional a précisé qu'il devait rester en prison. Ainsi, du 31 juillet au 16 octobre 1996, il a été privé de liberté de façon non conforme aux voies légales internes.
66.  Le Gouvernement affirme que, par la décision du 31 juillet 1996, le tribunal régional a autorisé la détention provisoire du requérant conformément aux prescriptions internes.
67.  La Commission a estimé que la détention du requérant du 31 juillet au 16 octobre 1996 avait été autorisée selon les voies légales, conformément à l'article 5 § 1 de la Convention.
68.  La Cour rappelle que l'article 5 § 1 exige notamment que la détention soit compatible avec le droit interne. Ainsi qu'elle l'a indiqué dans l'arrêt Baranowski précité (§ 50), « [s]'il incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d'interpréter et d'appliquer le droit interne, il en est autrement s'agissant d'affaires dans lesquelles, au regard de l'article 5 § 1, l'inobservation du droit interne emporte violation de la Convention. En pareil cas, la Cour peut et doit exercer un certain contrôle pour rechercher si le droit interne a bien été respecté ».
Une période de détention est en principe « régulière » si elle repose sur une décision judiciaire. Même d'éventuelles lacunes dans le mandat de dépôt ne rendent pas nécessairement la période de détention irrégulière au sens de l'article 5 § 1 (arrêt Benham c. Royaume-Uni du 10 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, pp. 753-754, §§ 42-47 ; Visockas c. Lituanie (déc.), no 49107/99, 6 janvier 2000, non publiée ; et Kamantauskas c. Lituanie (déc.), no 45012/98, 29 février 2000, non publiée).
69.  La Cour relève que le requérant ne conteste pas que durant l'audience de mise en état du 31 juillet 1996, le tribunal régional ait agi dans le cadre de ses compétences, dans la mesure où il avait le pouvoir de prendre une décision valable relativement à la détention du requérant, en vertu des articles 10, 104-1, 249 § 1 et 250 § 1 du code de procédure pénale.
Il est vrai que la décision du tribunal régional n'indiquait pas qu'il « ordonnait » une nouvelle mesure de placement en détention et ne précisait pas non plus quel type de détention serait « maintenue sans changement », alors que la détention du requérant était arrivée à échéance le 4 juin 1996. Toutefois, eu égard au contexte, le sens de la décision du tribunal régional – à savoir que le requérant devait rester en détention – a dû sembler clair à toutes les personnes présentes le 31 juillet 1996, y compris à l'avocat du requérant.
La Cour n'estime pas que le tribunal régional ait agi de mauvaise foi ou ait appliqué incorrectement la législation interne pertinente.
Il n'est donc pas établi que le mandat de dépôt du 31 juillet 1996 ne fût pas valable en droit interne, ou que la détention qui en est résultée fût irrégulière au sens de l'article 5 § 1.
70.  Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention du fait de la détention provisoire du requérant pendant la période allant du 31 juillet au 16 octobre 1996.
IV.  SUR LA VIOLATION ALLéGUéE DE L'ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION
71.  Le requérant allègue la violation de l'article 5 § 3 de la Convention, qui se lit comme suit :
« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience. »
1.  Droit d'être traduit « aussitôt » devant un juge ou un autre magistrat
72.  Le requérant affirme qu'entre le 8 février, jour de son arrestation, et le 14 octobre 1996, il n'a été conduit devant aucun magistrat compétent. Durant la période initiale de sa détention, à savoir du 8 février au 21 juin 1996, il n'aurait été conduit devant aucun juge ou procureur, et après le 21 juin 1996, date d'entrée en vigueur du code de procédure pénale amendé, il n'aurait pas été traduit rapidement devant un juge. Le requérant estime que la réserve de la Lituanie à l'article 5 § 3 n'était pas valable et n'avait aucune incidence sur son droit d'être traduit dans les meilleurs délais devant un magistrat compétent.
73.  Le Gouvernement allègue que la réserve de la Lituanie à l'article 5 § 3 supprimait de fait le droit du requérant d'être traduit aussitôt devant un magistrat compétent, et ce jusqu'à son expiration le 21 juin 1996 ; à cette date, le droit garanti par l'article 5 § 3 a cessé d'exister, car son application est limitée à la privation de liberté initiale.
74.  La Commission a pour l'essentiel souscrit à l'avis du Gouvernement et a conclu à la non-violation de l'article 5 § 3.
75.  La Cour relève en premier lieu que, du jour de son arrestation, le 8 février, jusqu'au 14 mars 1996, le requérant fut en détention préventive, situation à laquelle l'article 5 § 1 c) de la Convention ne s'applique pas (paragraphes 51-52 ci-dessus). Il s'ensuit que la garantie de l'article 5 § 3, en vertu de laquelle l'intéressé doit être conduit aussitôt devant un magistrat compétent, n'était pas applicable à sa détention préventive.
76.  La détention provisoire du requérant aux fins de l'article 5 § 1 c) de la Convention a été autorisée le 14 mars 1996. En conséquence, la Cour examinera le grief à partir de cette date.
77.  En second lieu, la Cour observe que du 14 mars au 14 octobre 1996, le requérant est resté en détention sans être conduit devant un magistrat au sens de l'article 5 § 3 de la Convention. En conséquence, l'effet de la réserve lituanienne pour cette période requiert un examen rigoureux.
78.  La Cour renvoie à l'article 57 de la Convention, qui se lit comme suit :
« 1.  Tout Etat peut, au moment de la signature de la (...) Convention ou du dépôt de son instrument de ratification, formuler une réserve au sujet d'une disposition particulière de la Convention, dans la mesure où une loi alors en vigueur sur son territoire n'est pas conforme à cette disposition. Les réserves de caractère général ne sont pas autorisées aux termes du présent article.
2.  Toute réserve émise conformément au présent article comporte un bref exposé de la loi en cause. »
79.  La Cour rappelle que l'interdiction des réserves « de caractère général » a pour objet d'éviter que celles-ci soient formulées en des termes trop vagues ou amples pour que l'on puisse en apprécier le sens et le champ d'application exacts (arrêt Belilos c. Suisse du 29 avril 1988, série A no 132, p. 26, § 55).
80.  La réserve lituanienne en question fut en vigueur jusqu'au 21 juin 1996 et indiquait au sujet de l'article 5 § 3 de la Convention qu'un procureur pouvait autoriser la détention provisoire d'une personne en application de l'article 104 du code de procédure pénale tel qu'il était alors libellé (paragraphe 38 ci-dessus).
81.  La Cour observe à l'instar de la Commission que malgré les faiblesses linguistiques de la réserve, il n'était pas impossible de déterminer son sens et son champ d'application. La réserve faisait référence avec une clarté suffisante à l'article 5 § 3 de la Convention et à la législation interne pertinente permettant qu'intervienne la décision d'un procureur. La Cour conclut que la réserve était suffisamment claire et précise pour satisfaire aux exigences de l'article 57 de la Convention.
82.  En conséquence, le fait que le requérant n'ait pas été conduit devant un magistrat compétent lorsque son placement en détention provisoire a été ordonné ne pouvait constituer une violation de l'article 5 § 3 de la Convention tant que la réserve était en vigueur.
83.  Il reste à déterminer si le requérant a acquis le droit d'être conduit rapidement devant un magistrat compétent après l'expiration de la réserve, survenue le 21 juin 1996.
84.  La Cour estime que le libellé « aussitôt traduite » de l'article 5 § 3 implique que le droit d'être conduit devant un magistrat compétent se réfère au moment où une personne est privée de liberté pour la première fois dans l'hypothèse correspondant à l'article 5 § 1 c). L'obligation que l'article 5 § 3 fait peser sur les Etats contractants se borne donc à la nécessité de conduire rapidement la personne détenue devant un magistrat compétent à ce stade initial, bien que l'article 5 § 4 de la Convention puisse dans certains cas exiger que l'intéressé soit ensuite présenté à un juge pour pouvoir contester de manière effective la régularité de sa détention lorsque celle-ci a une durée excessive (voir, mutatis mutandis, Trzaska c. Pologne, requête no 25792/94, rapport de la Commission du 19 mai 1998, §§ 71-81, non publié).
85.  Une réserve émise conformément à l'article 57 de la Convention serait sans objet si, lors de son expiration, on exigeait de l'Etat concerné qu'il applique rétroactivement le droit à la période couverte par la réserve.
86.  En l'occurrence, la réserve à l'article 5 § 3 a expiré le 21 juin 1996. A cette date, le requérant était en détention provisoire depuis le 14 mars 1996, c'est-à-dire depuis plus de trois mois. C'est pourquoi le 21 juin 1996, toute notion de « promptitude » était déjà dépassée (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Assenov et autres c. Bulgarie du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, p. 3299, § 147).
Il s'ensuit que lorsque la réserve est arrivée à échéance, la Lituanie n'était plus tenue de traduire promptement le requérant devant un magistrat compétent. En conséquence, l'expiration de la réserve ne donnait lieu à aucune nouvelle obligation au titre de l'article 5 § 3.
87.  Il n'y a donc pas eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention à cet égard.  
2.  Durée de la détention
88.  Le requérant allègue par ailleurs la violation de l'article 5 § 3 de la Convention en ce que la durée globale de sa détention – seize mois et un jour – était excessive. Il soutient en particulier que les autorités n'ont pris aucune mesure procédurale adéquate pendant sa détention préventive. Il affirme également qu'elles ont trop fait durer l'instruction préparatoire et le procès, ce qui a entraîné d'inutiles conflits procéduraux et interruptions pour compléments d'instruction. Le requérant conclut que la durée de sa détention ne pouvait se justifier au regard de l'article 5 § 3 de la Convention.
89.  Le Gouvernement arguë que la période à prendre en compte a débuté le 14 mars 1996 et pris fin le 9 juin 1997. Le requérant a ainsi été détenu au sens de l'article 5 § 3 de la Convention pendant quatorze mois et vingt-six jours. La procédure en question portait sur le chef d'homicide avec circonstances aggravantes, et dans cette affaire trois policiers étaient accusés aux côtés du requérant. La complexité de l'affaire sur le plan des faits et du droit se trouve confirmée par la nécessité qu'il y a eu d'ajourner le procès à deux reprises afin de recueillir des preuves complémentaires. De l'avis du Gouvernement, la détention du requérant était justifiée non seulement par la solidité des éléments de preuve versés au dossier et la gravité de l'infraction, mais également en raison du risque que le requérant « fasse obstacle à l'établissement de la vérité ». Le Gouvernement estime que la durée globale de la détention provisoire n'a pas excédé le « délai raisonnable » évoqué à l'article 5 § 3 de la Convention.
90.  La Commission a considéré à propos du grief susmentionné qu'il y avait eu violation de l'article 5 § 3, les autorités n'ayant pas invoqué de motifs pertinents et suffisants lorsqu'elles ont autorisé la détention provisoire du requérant.
91.  La Cour doit tout d'abord déterminer quelle est la période à prendre en compte. Elle a conclu que la détention préventive du requérant, qui s'est étendue du 8 février au 14 mars 1996, n'entrait pas dans le cadre de l'article 5 § 1 c), et que l'article 5 § 3 n'était pas applicable à cette période (paragraphes 51, 52 et 75 ci-dessus). Pour déterminer si la durée d'une période de détention est raisonnable, elle a néanmoins la possibilité de prendre en compte une partie de celle-ci, qui en tant que telle ne relève pas de sa compétence (Mitap et Müftüoğlu c. Turquie, requêtes nos 15530/89 et 15531/89, décision de la Commission du 10 octobre 1991, Décisions et rapports 72, p. 169).
92.  Le requérant a été en détention provisoire du 14 mars 1996 au 9 juin 1997, soit quatorze mois et vingt-six jours. C'est donc sur la base de cette période que la Cour s'appliquera à apprécier le caractère raisonnable de la durée de la détention. Elle prendra également en considération le fait que, lorsque sa détention provisoire fut autorisée, le requérant avait déjà subi une détention de plus d'un mois, depuis le 8 février 1996.
93.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée de la détention doit s'apprécier dans chaque affaire d'après les particularités de la cause. Le maintien en détention ne se justifie, dans une affaire donnée, que si des éléments indiquent clairement qu'un intérêt public véritable, nonobstant la présomption d'innocence, prévaut sur le droit à la liberté.
Il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales d'examiner les circonstances qui permettent de conclure à l'existence ou à l'absence de pareil intérêt impérieux, et de les énoncer dans leurs décisions relatives aux demandes d'élargissement. C'est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions, ainsi que des faits établis par l'intéressé dans ses recours, que la Cour doit déterminer s'il y a eu ou non violation de l'article 5 § 3 de la Convention.
La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d'avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention, mais au bout d'un certain temps elle ne suffit plus. La Cour doit alors établir si les autres motifs retenus par les autorités judiciaires sont « pertinents » et « suffisants » pour continuer à légitimer la privation de liberté (voir, notamment, l'arrêt Punzelt c. République tchèque, no 31315/96, § 73, 25 avril 2000, non publié).
94.  En l'occurrence, les seuls motifs invoqués par le parquet à l'appui de la détention provisoire du requérant étaient la gravité de l'infraction (paragraphe 12 ci-dessus) et la solidité des preuves à charge figurant dans le dossier (paragraphe 15 ci-dessus). Le tribunal régional n'a avancé aucun motif pour justifier le maintien en détention provisoire (paragraphes 19 et 21 ci-dessus).
La Cour estime que les soupçons d'homicide pesant sur le requérant ont peut-être justifié sa détention au début, mais qu'ils ne pouvaient constituer un motif « pertinent et suffisant » à son maintien en détention pendant près de quinze mois, d'autant que la juridiction de jugement ayant acquitté l'intéressé a conclu que ces soupçons étaient infondés. Il s'ensuit que la durée de la détention subie par le requérant a été excessive.
95.  Il y a donc eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention à cet égard.
V.  SUR LA violation allÉguÉe de l'ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION
96.  Le requérant allègue aussi la violation de l'article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
97.  Le requérant se plaint de n'avoir pas eu la possibilité de contester la légalité de sa détention provisoire en raison de l'empêchement légal de former des recours contre les décisions judiciaires autorisant un placement en détention provisoire.
98.  Le Gouvernement soutient que le droit interne en cause donnait au requérant toute latitude pour contester la légalité de sa détention, qui a été examinée par le tribunal régional lors de ses audiences du 31 juillet et des 14-16 octobre 1996.
99.  La Commission a estimé que le requérant avait été privé de la possibilité de contester la compatibilité de sa détention provisoire avec les dispositions du droit interne relatives au fond et à la procédure, et ce au mépris de l'article 5 § 4.
100.  La Cour rappelle qu'en vertu de l'article 5 § 4 de la Convention, les personnes arrêtées ou détenues ont droit à un examen du respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « légalité », au sens de la Convention, de leur privation de liberté. Par conséquent, le tribunal compétent doit vérifier à la fois l'observation des règles de procédure du droit interne et le caractère raisonnable des soupçons sur lesquels repose l'arrestation, ainsi que la légitimité du but poursuivi par celle-ci puis par la détention (arrêt Brogan et autres c. Royaume-Uni du 29 novembre 1988, série A no 145-B, pp. 34-35, § 65).
L'article 5 § 4 ne garantit aucun droit, en tant que tel, à un recours contre les décisions ordonnant ou prolongeant une détention, puisque la disposition en question comporte en anglais le terme de « proceedings » et non celui d'« appeal ». En principe, l'article 5 § 4 se contente de l'intervention d'un organe unique, à condition que la procédure suivie ait un caractère judiciaire et donne à l'individu en cause des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il s'agit (voir, mutatis mutandis, l'arrêt De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique du 18 juin 1971, série A no 12, pp. 40-41, § 76).
101.  La Cour relève que, dans ses décisions autorisant la détention provisoire du requérant, le tribunal régional n'a fait aucune référence aux griefs de celui-ci concernant l'irrégularité de sa détention (paragraphes 19 et 21 ci-dessus). Par ailleurs, la cour d'appel et le président de la division des affaires pénales de la Cour suprême ont reconnu que la régularité de la détention du requérant était sujette à caution, mais n'ont pas examiné les griefs de l'intéressé relatifs à l'empêchement légal alors en vigueur (paragraphes 25 et 27 ci-dessus).
La procédure civile engagée par le requérant contre l'administration pénitentiaire n'est pas pertinente aux fins de l'article 5 § 4, car les juridictions civiles n'avaient pas la compétence d'ordonner la libération, comme cette disposition le voudrait. En tout état de cause, en examinant l'action civile du requérant, les tribunaux se sont bornés à rechercher si la détention de celui-ci reposait sur des décisions formelles, sans se pencher sur la régularité fondamentale de la détention sur la base desdites décisions (paragraphe 29 ci-dessus).
Il s'ensuit que le requérant s'est vu refuser le droit de contester l'existence des conditions de procédure et de fond nécessaires à la « légalité » de sa détention provisoire.
102.  Il y a donc eu violation de l'article 5 § 4 de la Convention.
VI.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
103.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage matériel
104.  Le requérant sollicite un montant de 256 878 litai (LTL) pour réparation du manque à gagner et de la perte de chances causés par sa détention. Il réclame aussi la somme de 8 600 LTL, qui correspond à des dépenses alimentaires complémentaires, ainsi qu'un montant de 1 500 LTL, versé pour l'achat de médicaments et de vitamines durant son séjour en prison.
105.  Le Gouvernement juge ces demandes injustifiées.
106.  La Cour estime qu'il n'y a aucun lien de causalité entre les violations constatées et le dommage matériel allégué (voir, mutatis mutandis, les arrêts Baranowski, § 81, et Punzelt, § 103, précités). En conséquence, elle n'aperçoit aucune raison d'accorder au requérant un montant quelconque à ce titre.
B.  Dommage moral
107.  Le requérant réclame en outre la somme de 191 600 LTL au titre de la souffrance morale et physique endurée en prison.
108.  Le Gouvernement trouve ce montant exorbitant.
109.  La Cour estime que le requérant a assurément subi un dommage moral qui n'est pas suffisamment réparé par le constat de violation. Statuant en équité, elle lui octroie 60 000 LTL à ce titre.
C.  Frais et dépens
110.  Le requérant sollicite de plus 85 800 LTL au titre des frais de justice engagés lors de la procédure interne et devant les organes de la Convention, ainsi que 9 052 LTL pour ses frais de voyage durant la procédure interne.
111.  Le Gouvernement tient ces demandes pour excessives.
112.  La Cour rappelle qu'au titre de l'article 41 de la Convention, elle rembourse les frais dont il est établi qu'ils ont été réellement et nécessairement exposés et sont d'un montant raisonnable (voir notamment Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 79, CEDH 1999-II).
113.  La Cour estime que les frais de déplacement du requérant durant la procédure interne n'ont pas été exposés en rapport avec les griefs tirés de la Convention. Elle décide donc de ne rien octroyer à ce titre.
114.  S'agissant des frais d'avocat réclamés, la Cour relève qu'une très large part de ces honoraires avait trait à la défense du requérant contre les accusations pénales dont il faisait l'objet et à ses griefs relatifs à leur caractère injustifié, griefs du reste déclarés irrecevables par la Commission. Ces honoraires ne constituent pas des dépenses nécessaires exposées pour obtenir réparation des violations de la Convention constatées par la Cour sur le terrain de l'article 5 §§ 1, 3 et 4 de la Convention. Statuant en équité, la Cour octroie au requérant un montant de 40 000 LTL pour frais, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée.
D.  Intérêts moratoires
115.  Selon les informations dont la Cour dispose, le taux d'intérêt légal applicable en Lituanie à la date d'adoption du présent arrêt est de 9,5 % l'an.
par ces motifs, la cour, À l'unanimitÉ,
1.  Dit que la veuve du requérant a qualité pour se substituer désormais au requérant en l'espèce ;
2.  Rejette l'exception préliminaire du Gouvernement ;
3.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention en ce qui concerne la détention préventive du requérant ;
4.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention en ce qui concerne la détention provisoire du requérant du 4 juin au 31 juillet 1996 ;
5.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention en ce qui concerne la détention provisoire du requérant du 31 juillet au 16 octobre 1996 ;
6.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention en ce qui concerne le manquement allégué à l'obligation de traduire aussitôt le requérant devant un juge ou un autre magistrat ;
7.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention en ce qui concerne la durée de la détention provisoire du requérant ;
8.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 4 de la Convention ;
9.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les montants suivants :
i.  60 000 LTL (soixante mille litai) pour dommage moral ;
ii.  40 000 LTL (quarante mille litai), plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, pour frais et dépens ;
b)  que ces montants seront à majorer d'un intérêt simple de 9,5 % l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;
10.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 31 juillet 2000, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé J.-P. Costa  Greffière    Président
1 Note du greffe : le rapport est disponible au greffe.
ARRÊT jĖČius c. Lituanie
ARRÊT JĖČIUS c. Lituanie 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 34578/97
Date de la décision : 31/07/2000
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Exception préliminaire rejetée (délai de six mois) ; Violation de l'Art. 5-1 concernant la détention préventive du requérant ; Violation de l'Art. 5-1 concernant la détention du requérant du 4 juin au 31 juillet 1996 ; Non-violation de l'Art. 5-1 concernant la détention du requérant du 31 juillet au 16 octobre 1996 ; Non-violation de l'Art. 5-3 concernant le manquement allégué à l'obligation de traduire aussitôt le requérant devant un juge ou un autre magistrat ; Violation de l'Art. 5-3 quant à la durée de la détention provisoire du requérant ; Violation de l'Art. 5-4 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens

Analyses

(Art. 10-2) PREVISIBILITE, (Art. 35-1) DELAI DE SIX MOIS, (Art. 35-1) SITUATION CONTINUE, (Art. 5-1) ARRESTATION OU DETENTION REGULIERE, (Art. 5-1) VOIES LEGALES, (Art. 5-1-c) CONDUIRE DEVANT L'AUTORITE JUDICIAIRE COMPETENTE, (Art. 5-3) AUSSITOT TRADUITE DEVANT UN JUGE OU AUTRE MAGISTRAT, (Art. 5-3) DUREE DE LA DETENTION PROVISOIRE


Parties
Demandeurs : JECIUS
Défendeurs : LITUANIE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2000-07-31;34578.97 ?
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