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19/09/2000 | CEDH | N°42389/98

CEDH | ILIC c. CROATIA


[TRADUCTION]
EN FAIT
La requérante, ressortissante yougoslave née en 1941, est domiciliée à Aschaffenburg (Allemagne). Devant la Cour, elle est représentée par Me Irmgard Möbus-Hohl, avocate au barreau de Föhren.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit.
Le 24 juillet 1987, la requérante, qui vivait et travaillait en République fédérale d’Allemagne, acheta une maison à Sumpetar (Omiš), en Croatie. La Croatie était alors l’une des r

épubliques fédérées qui formaient la République socialiste fédérative de Yougoslavie (SFRJ) ...

[TRADUCTION]
EN FAIT
La requérante, ressortissante yougoslave née en 1941, est domiciliée à Aschaffenburg (Allemagne). Devant la Cour, elle est représentée par Me Irmgard Möbus-Hohl, avocate au barreau de Föhren.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit.
Le 24 juillet 1987, la requérante, qui vivait et travaillait en République fédérale d’Allemagne, acheta une maison à Sumpetar (Omiš), en Croatie. La Croatie était alors l’une des républiques fédérées qui formaient la République socialiste fédérative de Yougoslavie (SFRJ) et la requérante, en tant que ressortissante de cet Etat, pouvait en toute légalité acheter des biens sans aucune restriction sur tout le territoire yougoslave. Bien que résidant en République fédérale d’Allemagne, la requérante ne rencontra aucune difficulté pour entrer en Croatie et faire usage du bien qu’elle y possédait.
Depuis la dissolution de la Yougoslavie en 1991, la situation de la requérante a considérablement évolué. En tant que citoyenne yougoslave, elle est à présent considérée comme une ressortissante étrangère en Croatie et ses conditions d’entrée et de séjour dans ce pays sont soumises à des restrictions.
Le 24 juin 1992, la requérante sollicita un permis de séjour de longue durée en Croatie aux services de police de Split qui, le 29 juin 1992, lui délivrèrent le permis demandé, valable jusqu’au 29 juin 1993.
Par la suite, la requérante quitta la Croatie pour retourner en Allemagne. En son absence, sa maison fut cambriolée et en partie détruite.
Le 29 janvier 1996, la requérante présenta au consulat général de Croatie à Francfort (Allemagne) une demande de  permis de séjour permanent en Croatie. Comme elle avait alors pris sa retraite, elle prévoyait de résider de façon permanente dans sa maison en Croatie. Le 31 octobre 1996, le ministère de l’Intérieur croate refusa sa demande.
Le 10 janvier 1997, la requérante saisit le tribunal administratif d’un recours contre la décision du ministère de l’Intérieur. Le 25 septembre 1998, le tribunal la débouta.
Le 13 janvier 1999, la requérante présenta un recours constitutionnel, alléguant la violation de son droit de propriété puisque les autorités croates lui refusait l’accès à ses biens en Croatie.
Le 17 novembre 1999, la Cour constitutionnelle rejeta ses griefs. Elle constata que la requérante était propriétaire d’une maison en Croatie et était en mauvaise santé, célibataire et avait une résidence en République fédérale d’Allemagne, où elle disposait de revenus suffisants pour vivre ; toutefois, elle ne satisfaisait pas aux conditions requises par la loi sur la circulation et le séjour des étrangers (Zakon o kretanju i boravku stranaca) pour obtenir l’autorisation de résider de façon permanente en Croatie.
B.  Le droit interne pertinent
Loi de 1991 sur la circulation et le séjour des étrangers
Article 2
« Tout ressortissant étranger peut entrer en République de Croatie et séjourner sur son territoire s’il est titulaire d’un passeport valable émis conformément aux dispositions juridiques pertinentes d’un Etat étranger, ou d’un document de voyage pour étrangers en cours de validité, émanant de l’autorité publique compétente pour délivrer de tels documents. Le passeport ou le document doit contenir un visa, sauf dispositions contraires prévues par la présente loi. »
Article 14
« Tout ressortissant étranger qui entre sur le territoire de la République de Croatie, le quitte ou y transite doit obtenir un visa à cette fin.
Le gouvernement croate peut décider que les ressortissants de certains pays n’ont pas besoin d’un visa pour entrer sur le territoire de la République de Croatie, le quitter ou y transiter.
Un visa peut être accordé pour entrer une seule fois ou un nombre illimité de fois sur le territoire croate.
Un visa est accordé pour une période d’un an ou jusqu’à la date d’expiration d’un passeport étranger si cette date tombe pendant l’année suivant l’émission du visa.
Article 22
« Les séjours des étrangers en Croatie comprennent les séjours temporaires, les séjours de longue durée, les voyages d’affaires, les séjours fondés sur un permis de séjour permanent et les séjours fondés sur la reconnaissance du statut de réfugié. »
Article 23
« En vertu de la présente loi, le terme « séjour temporaire » recouvre le séjour d’un ressortissant étranger titulaire d’un visa de transit, d’un visa de tourisme ou d’affaires, ou d’un sauf-conduit l’autorisant à franchir la frontière.
Tout étranger titulaire d’un visa de transit peut séjourner en Croatie jusqu’à la date d’expiration du visa, dans la limite de sept jours après son entrée sur le territoire de la République de Croatie.
Tout étranger titulaire d’un visa de tourisme ou d’affaires peut séjourner en Croatie jusqu’à la date d’expiration du visa, dans la limite de trois mois après son entrée sur le territoire de la République de Croatie.
Un sauf-conduit est valable trois mois. »
Article 24
« Tout ressortissant étranger souhaitant séjourner en Croatie pendant plus de trois mois, et qui est entré en Croatie pour y effectuer une formation, une spécialisation ou des recherches scientifiques, pour y occuper un emploi ou des fonctions spécifiques, pour y suivre un traitement médical ou pour y faire du tourisme, ou qui épouse un ressortissant croate, ou qui fait valoir toute autre raison légitime, est tenu de demander un permis de séjour de longue durée avant l’expiration de la période initiale de trois mois.
Le permis de séjour de longue durée ne peut être accordé que pour le motif pour lequel le visa initial a été octroyé. »
Article 26
« Le permis de séjour de longue durée peut être prorogé (…)
Une demande de prorogation d’un permis de séjour de longue durée doit être présentée avant l’expiration du permis initial. »
Article 29
« Un permis de séjour permanent en Croatie peut être accordé à tout ressortissant étranger qui est marié depuis un an au moins à un ressortissant croate ou à un ressortissant étranger auquel un tel permis a déjà été accordé. Il peut être également octroyé à tout ressortissant étranger ayant occupé un emploi de façon constante pendant trois ans.
A titre exceptionnel, un permis de séjour permanent peut être accordé à tout autre ressortissant étranger pour des raisons personnelles spéciales, ou pour des raisons professionnelles allant dans le sens des intérêts économiques ou autres de la République de Croatie.
Article 30
« Tout ressortissant étranger qui sollicite un permis de séjour permanent doit présenter des éléments démontrant qu’il dispose d’un lieu de résidence et d’un emploi rémunéré ou d’une autre source de revenus. »
GRIEFS
La requérante dénonce sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention la durée de la procédure administrative concernant sa demande de permis de séjour permanent en Croatie.
Elle se plaint également au regard de l’article 13 de la Convention de n’avoir disposé d’aucun recours concernant cette demande.
Invoquant l’article 1 du Protocole n° 1, elle allègue en outre une atteinte à son droit au respect de ses biens, en ce que les autorités croates lui ont refusé l’accès à la maison qu’elle possède en Croatie.
EN DROIT
1.  La requérante prétend que la durée de la procédure concernant sa demande de permis de séjour permanent en Croatie a été excessive.
Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont le passage pertinent se lit ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
La Cour rappelle que la Commission a toujours exprimé l’avis que les décisions concernant l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux ne portaient pas sur les droits et obligations de caractère civil des intéressés ni sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale dirigée contre eux au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, par exemple, les requêtes n° 8144/78, déc. 2.5.1979, D.R. 17, p. 149 ; n° 9990/82, déc.15.5.1984, D.R. 39, p. 119 ; n° 31113/96, déc. 5.12.1996, D.R. 87, p. 151 ; n° 32025/96, déc. 25.10.1996, D.R. 87, p. 174).
La Cour n’aperçoit en l’espèce aucune raison de s’écarter de cette jurisprudence bien établie.
L’article 6 § 1 n’étant pas applicable à la présente affaire, il s’ensuit que cette partie de la requête est incompatible ratione materiæ avec les dispositions de la Convention.
2.  La requérante se plaint en outre sur le terrain de l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
Quant au grief présenté par la requérante sous l’angle de cette disposition, la Cour relève que l’intéressée pouvait engager une procédure administrative devant le tribunal administratif et présenter un recours constitutionnel. Elle a épuisé ces deux voies de recours. La Cour observe par ailleurs que les garanties posées par l’article 13 de la Convention ne comprennent pas le droit pour la requérante d’obtenir une décision en sa faveur.
Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 et doit être déclarée irrecevable en application de l’article 35 § 4.
3.  La requérante se plaint également que les autorités croates, en lui refusant l’autorisation de résider de manière permanente en Croatie, l’ont ainsi empêchée de faire usage de ses biens, ce qui a porté atteinte à son droit de propriété consacré par l’article 1 du Protocole n° 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
La Cour rappelle que l’article 1 du Protocole n° 1 contient trois normes distinctes: « la première, qui s'exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux Etats le pouvoir, entre autres, de réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général. Il ne s'agit pas pour autant de règles dépourvues de rapport entre elles. La deuxième et la troisième ont trait à des exemples particuliers d'atteintes au droit de propriété ; dès lors, elles doivent s'interpréter à la lumière du principe consacré par la première » (voir, parmi d’autres, l’arrêt James et autres c. Royaume-Uni du 21 février 1986, série A n° 98-B, pp. 29-30, § 37, qui reprend partiellement l’analyse faite par la Cour dans l’arrêt Sporrong et Löhnroth c. Suède du 23 septembre 1982, série A n° 52, p. 24, § 61 ; voir également l’arrêt les Saints Monastères c. Grèce du 9 décembre 1994, série A n° 301-A, p. 31, § 56 ; et Iatridis c. Grèce [GC], n° 31107/96, § 55, CEDH 1999-III).
La Cour relève qu’avant la dissolution de la République socialiste fédérative de Yougoslavie, la requérante avait un accès illimité au territoire croate et pouvait jouir des biens qu’elle y possédait sans aucune restriction. En 1991, la Croatie est devenue un Etat indépendant. Par la suite, le nouvel Etat a édicté ses propres lois dans divers domaines de droit privé et public, y compris l’entrée et le séjour des étrangers en Croatie.
La Cour remarque que la requérante, même en tant qu’étrangère, n’a pas été dépossédée de ses biens, et qu’elle n’allègue pas que le gouvernement croate ait porté atteinte à son droit de propriété en tant que tel. La Cour relève en outre que la requérante, en tant que ressortissante étrangère, a obtenu l’autorisation d’effectuer un séjour de longue durée en Croatie entre le 29 juin 1992 et le 29 juin 1993. Elle est ensuite retournée en Allemagne et, en 1996, a sollicité un permis de séjour permanent en Croatie, qui lui a été refusé. Pour la requérante, ce refus des autorités croates emporte violation de son droit de propriété, en ce qu’il l’empêche de faire usage de ses biens.
La Cour constate par ailleurs que les biens de la requérante ne lui ont pas été enlevés et n’ont été soumis à aucune forme de restriction. C’est le droit de l’intéressée à résider en Croatie qui a été restreint. La Cour note que cette limitation n’est ni absolue ni permanente. Même en tant qu’étrangère, la requérante a pu séjourner de façon continue pendant plus d’un an sur le territoire croate, sur la base d’un permis de séjour de longue durée. Elle a ensuite quitté volontairement la Croatie pour retourner en Allemagne. Si elle avait voulu entrer de nouveau en Croatie, elle aurait pu demander un visa d’entrée aux autorités croates, qui auraient alors décidé de l’accorder ou non. Après être entrée sur le territoire croate avec un visa de tourisme, la requérante aurait pu y demeurer pendant trois mois, avant de demander un permis de séjour de longue durée qui peut être accordé pour un an.
Au lieu de cela, la requérante a demandé un permis de séjour permanent en Croatie, qui lui a été refusé au motif qu’elle ne remplissait pas les conditions posées par la loi sur la circulation et le séjour des étrangers. En effet, elle n’est pas l’épouse d’un Croate ni une ressortissante étrangère déjà autorisée à faire un séjour de longue durée, ou n’a pas travaillé trois ans sans interruption en Croatie. La Cour relève qu’il est courant que chaque Etat régisse l’entrée et le séjour des étrangers sur son territoire et impose des restrictions similaires à celles qui sont prescrites dans la loi susmentionnée. Dès lors, elle estime que la requérante ne supporte pas une charge spéciale quant à sa capacité d’entrer et de séjourner en Croatie.
La Cour rappelle que la Convention ne garantit pas en soi un droit d’entrer et de résider dans un Etat contractant à des personnes qui ne sont pas ressortissantes de cet Etat. La Cour estime en outre que les droits consacrés par l’article 1 du Protocole n° 1 ne comprennent pas le droit pour un étranger qui possède des biens dans un autre pays d’y résider de façon permanente pour jouir de sa propriété.
Il ressort des faits de la cause que la requérante a séjourné sans interruption en Croatie pendant plus d’un an avant de retourner en Allemagne. Par la suite, elle n’a pas redemandé un nouveau visa d’entrée en Croatie. Il n’appartient pas à la Cour de spéculer sur le point de savoir si la requérante, dans le cas où elle aurait demandé un visa d’entrée en Croatie, aurait obtenu ce visa et pour combien de temps. Pour que la Cour puisse examiner un grief de cette nature sous l’angle de l’article 1 du Protocole n° 1, une personne dans la situation de la requérante devrait tout d’abord établir que les autorités croates ont refusé de lui délivrer un visa d’entrée, l’empêchant ainsi d’accéder à ses biens, et qu’elle a ensuite épuisé les voies de recours internes.
Dès lors, il n’a pas été établi que la requérante s’est vu refuser l’accès à sa propriété, ni qu’elle en a perdu le contrôle effectif, ou qu’elle n’a plus aucune possibilité d’usage ou de jouissance de ses biens (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Loizidou c. Turquie du 18 décembre 1996 (fond), Recueil 1996-VI, § 63). Dès lors, il n’y a en l’espèce aucune apparence de violation de l’article 1 du Protocole n° 1.
Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 et doit être déclarée irrecevable en application de l’article 34 § 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.
Vincent Berger Georg Ress
Greffier  Président
DÉCISION ILIĆ c. CROATIE
DÉCISION ILIĆ c. CROATIE 


Synthèse
Formation : Cour (quatrième section)
Numéro d'arrêt : 42389/98
Date de la décision : 19/09/2000
Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 34) VICTIME, (Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE


Parties
Demandeurs : ILIC
Défendeurs : CROATIA

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2000-09-19;42389.98 ?
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