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28/09/2000 | CEDH | N°41921/98

CEDH | BRANDAO FERREIRA contre le PORTUGAL


QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 41921/98  présentée par João José BRANDÃO FERREIRA  contre le Portugal
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 28 septembre 2000 en une chambre composée de
M. G. Ress, président,   M. A. Pastor Ridruejo,   M. L. Caflisch,   M. J. Makarczyk,   M. I. Cabral Barreto,   Mme N. Vajić,   M. M. Pellonpää, juges,  et de M. V. Berger, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant l

a Commission européenne des Droits de l’Homme le 21 avril 1998 et enregistrée le 26 juin 1998,
Vu l’article 5 § 2 du...

QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 41921/98  présentée par João José BRANDÃO FERREIRA  contre le Portugal
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 28 septembre 2000 en une chambre composée de
M. G. Ress, président,   M. A. Pastor Ridruejo,   M. L. Caflisch,   M. J. Makarczyk,   M. I. Cabral Barreto,   Mme N. Vajić,   M. M. Pellonpää, juges,  et de M. V. Berger, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 21 avril 1998 et enregistrée le 26 juin 1998,
Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant est un ressortissant portugais, né en 1953 et résidant à Lisbonne. Il est représenté devant la Cour par Me A. Fialho Pinto, avocat au barreau de Lisbonne.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
En 1997, le requérant, qui a le grade de lieutenant-colonel dans l’armée de l’air, était en poste à l’ambassade du Portugal en Guinée-Bissau, en qualité d’attaché militaire.
Le 20 février 1997, le chef du cabinet de liaison avec les attachés militaires informa l’état-major des forces armées de ce que le requérant s’était absenté du service, sans autorisation et en utilisant une voiture de fonction, pendant quatre jours.
Le 25 février 1997, le chef d’état-major des forces armées ordonna l’ouverture de poursuites disciplinaires à l’encontre du requérant. Il désigna par ailleurs un officier instructeur devant conduire l’enquête.
Le 26 février 1997, l’officier instructeur envoya au requérant copie de l’information du chef de cabinet de liaison, en lui demandant ses commentaires, ce que le requérant fit, le 7 mars 1997.
Le 14 mars 1997, l’officier instructeur entendit le chef du cabinet de liaison, en l’absence du requérant.
Le 30 avril 1997, l’officier instructeur présenta ses réquisitions à l’encontre du requérant, qui était accusé d’avoir manqué aux devoirs prévus par les paragraphes 25 et 34 de l’article 4 du règlement de discipline militaire (utilisation indue d’une voiture du service et absence injustifiée du service), avec les circonstances aggravantes de l’article 71, alinéas b) et h), du même règlement (infraction commise dans un pays étranger et ayant porté préjudice au service).
Dans sa réponse, déposée le 16 mai 1997, le requérant indiqua trois témoins dont, selon lui, l’officier instructeur devait recueillir les déclarations.
A une date non précisée, l’officier instructeur prononça la clôture de l’enquête et adressa son rapport au chef d’état-major des forces armées. Celui-ci, par une ordonnance du 23 mai 1997, considéra le requérant coupable des infractions en cause et lui appliqua la peine de cinq jours de détention.
Alléguant notamment une violation du principe du contradictoire, le requérant présenta au chef d’état-major une réclamation contre cette décision. Par une ordonnance du 9 juin 1997, le chef d’état-major accueillit partiellement la réclamation et décida que l’officier instructeur devait entendre les témoins qui avaient été indiqués par le requérant.
 L’officier instructeur entendit les trois témoins, en l’absence du requérant et de son défenseur, entre les 13 et 18 juin 1997. Dans son rapport à l’intention du chef d’état-major, en date du 18 juin, il estima que les dépositions des témoins en cause ne pouvaient modifier ses conclusions précédentes.
Par une ordonnance du 18 juin 1997, le chef d’état-major confirma la peine de cinq jours de détention imposée au requérant, qui avait entre-temps été purgée.
A une date non précisée, le requérant fit appel de cette décision devant la Cour suprême militaire (Supremo Tribunal Militar). Il allégua notamment la violation de ses droits de la défense et du principe du contradictoire. A cet égard, il souligna ne pas avoir pu interroger, lui-même ou par l’intermédiaire de son défenseur, les témoins qu’il avait indiqués.
Le 30 octobre 1997, la Cour suprême militaire rendit son arrêt rejetant l’appel du requérant. S’agissant du principe du contradictoire, la Cour s’exprima notamment ainsi :
« Assurément la procédure disciplinaire militaire, qui n’est pas une procédure pénale, est régie, à titre subsidiaire, par les dispositions procédurales du code de justice militaire, maxime celles qui assurent les droits de la défense. Mais la procédure pénale comporte deux phases distinctes : celle de l’instruction, subordonnée au principe de l’inquisitoire, et celle du jugement, subordonnée, elle, au principe du contradictoire. Or pendant l’instruction le défenseur de l’accusé ne peut pas interroger ou contredire les témoins ; il ne peut que demander leur déposition, à faire devant [l’officier] instructeur, sur certains faits. D’où l’absence de violation du principe du contradictoire, inapplicable à cette phase-là (…) »
La Cour suprême militaire estima ensuite qu’il n’y avait pas lieu de prendre en considération la circonstance atténuante invoquée par le requérant, à savoir sa collaboration dans la découverte de la vérité.
B. Le droit interne pertinent
La peine de détention ou interdiction de sortie (detenção ou proibição de saída) est prévue à l’article 26 du règlement de discipline militaire (adopté par le décret-loi n° 142/77 du 9 avril 1977), lequel dispose notamment :
« 1.  La détention ou interdiction de sortie consiste dans la présence continue de la personne punie dans un quartier ou dans le navire pendant la durée de la peine ; la personne punie n’est pas dispensée des formations militaires ou de l’accomplissement du service qui par roulement (escala) lui revient.
Cette peine, si elle est appliquée à un officier, ne peut dépasser une durée de dix jours. Quant à ses effets, l’article 53 détermine que l’intéressé perd un jour d’ancienneté pour quatre jours de détention.
Le règlement de discipline militaire prévoit d’autres peines, notamment celles de prison disciplinaire et de prison disciplinaire aggravée. La prison disciplinaire implique la réclusion de la personne en cause dans un local approprié. Cependant, le militaire peut être appelé à exécuter tout travail qui lui est demandé entre le matin et le soir (article 27). La prison disciplinaire aggravée implique la détention de la personne en question dans une maison d’arrêt.
GRIEFS
Le requérant se plaint de n’avoir pu interroger ni l’officier dont l’information a été à l’origine des poursuites disciplinaires ni les témoins à décharge, alors qu’une telle occasion a été donnée à l’officier instructeur. Il estime qu’une telle situation constitue une violation grossière du principe du contradictoire, garanti par l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention.
Le requérant estime en outre qu’en ne tenant pas compte de la circonstance atténuante qu’il a alléguée, la Cour suprême militaire a porté atteinte à la présomption d’innocence ainsi qu’au principe de la proportionnalité des peines. Il invoque à cet égard l’article 6 § 2 de la Convention.
EN DROIT
Le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié d’un procès conforme aux garanties de l’article 6 de la Convention, qui dispose, dans sa partie pertinente :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
Le Gouvernement soulève d’emblée une exception tirée de l’incompatibilité ratione materiae de la requête avec les dispositions de la Convention. Il souligne que la procédure litigieuse était de nature disciplinaire et qu’elle ne comportait aucune décision sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale. Se référant aux principes dégagés par l’arrêt Engel et autres c. Pays-Bas (arrêt du 8 juin 1976, série A n° 22), le Gouvernement observe que la nature de la peine applicable, son degré de sévérité et les conséquences qui en découlaient pour le requérant ne sauraient mettre en jeu l’article 6 de la Convention. Il relève que la détention en cause n’a impliqué aucune privation de la liberté du requérant, si l’on tient compte de la condition de militaire de ce dernier.
Le requérant conteste ces arguments. D’après lui, la peine incriminée impliquait sa permanence anormale dans le quartier, le privant ainsi de sa liberté.
La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle il faut, afin de déterminer l’existence d’une « accusation en matière pénale », avoir égard à trois critères : la qualification juridique de la mesure litigieuse en droit national, la nature même de celle-ci, et la nature et le degré de sévérité de la « sanction » (voir, en dernier lieu, Escoubet c. Belgique [GC], n° 26780/95, § 32, CEDH 1999-VII).
S’agissant du premier de ces critères, la Cour constate que l’infraction reprochée au requérant tombait sous le coup de textes appartenant au droit disciplinaire d’après la législation portugaise. La qualification en droit interne n’est cependant pas déterminante aux fins de la Convention, eu égard au sens autonome et matériel qu’il échet d’attribuer aux termes « accusation en matière pénale » (voir Escoubet précité, § 33).
Pour ce qui est de la nature même de la mesure appliquée au requérant, la Cour estime qu’elle ressortait plutôt de la catégorie des sanctions disciplinaires qui ont en général pour but d’assurer le respect, par les membres de groupes particuliers, en l’occurrence les militaires, des règles de comportement propres à ces derniers (cf. arrêt Weber c. Suisse du 22 mai 1990, série A n° 177, p. 18, § 33).
En ce qui concerne la nature et la sévérité de la mesure, la Cour rappelle que selon le sens ordinaire des termes, relèvent en général du droit pénal les infractions dont les auteurs s’exposent à des peines destinées notamment à exercer un effet dissuasif et qui consistent d’habitude en des mesures privatives de liberté et en des amendes à l’exception de « celles qui par leur nature, leur durée ou leurs modalités d’exécution ne sauraient causer un préjudice important » (voir, en matière de privation de liberté, l’arrêt Engel et autres précité, pp. 34-35, § 82).
En l’espèce, le requérant a dû subir une détention de cinq jours, alors que la sanction maximale pouvant être prononcée ne dépassait pas les dix jours. Aux yeux de la Cour, cette sanction n’était cependant pas une mesure privative de liberté. En effet, au vu du libellé de l’article 26 du règlement de discipline militaire, le requérant ne s’est pas trouvé enfermé pendant la durée de la sanction et il a continué à s’acquitter de ses tâches militaires, restant, à peu de chose près, dans le cadre de son existence normale à l’armée. La sanction appliquée au requérant a ainsi été similaire aux « arrêts simples » qui étaient en cause dans l’affaire Engel et pour lesquels la Cour a conclu à l’inapplicabilité de l’article 6 de la Convention (voir l’arrêt Engel et autres précité, p. 36, § 85).
En conclusion, la mesure dont le requérant a fait l’objet n’était pas, de par sa nature et sa sévérité, assez importante pour autoriser la qualification de sanction « pénale », au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Cette disposition ne trouve donc pas à s’appliquer sous son aspect pénal. Par ailleurs, le requérant n’a pas allégué qu’un droit de caractère civil aurait été en cause en l’espèce.
La Cour accueille donc l’exception d’incompatibilité ratione materiae soulevée par le Gouvernement et décide de rejeter la requête, conformément à l’article 35 § 3 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.
Vincent Berger Georg Ress   Greffier Président
41921/98 - -
- - 41921/98


Synthèse
Formation : Cour (quatrième section)
Numéro d'arrêt : 41921/98
Date de la décision : 28/09/2000
Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 34) VICTIME, (Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE


Parties
Demandeurs : BRANDAO FERREIRA
Défendeurs : le PORTUGAL

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2000-09-28;41921.98 ?
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