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27/02/2001 | CEDH | N°39066/97

CEDH | AFFAIRE DONNADIEU c. FRANCE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE DONNADIEU c. FRANCE
(Requête n° 39066/97)
ARRÊT
STRASBOURG
27 février 2001
DÉFINITIF
27/05/2001
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive.
En l’affaire Donnadieu c. France,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. W. Fuhrmann, président,    J.-P. Costa,    L. Loucaides,  Â

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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE DONNADIEU c. FRANCE
(Requête n° 39066/97)
ARRÊT
STRASBOURG
27 février 2001
DÉFINITIF
27/05/2001
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive.
En l’affaire Donnadieu c. France,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. W. Fuhrmann, président,    J.-P. Costa,    L. Loucaides,    P. Kūris,   Sir  Nicolas Bratza,   Mme H.S. Greve,   M. K. Traja,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 14 mars 2000 et 6 février 2001,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (n° 39066/97) dirigée contre la France et dont un ressortissant de cet Etat, M. Jean-Pierre Donnadieu (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 14 août 1997 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant était, jusqu’au stade de la recevabilité, représenté par M. Philippe Bernardet, sociologue demeurant à Fresnaye-sur-Chedouet. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme Michèle Dubrocard et son agent adjoint, M. Denis Douveneau.
3.  Le requérant alléguait en particulier que sa cause dans le cadre de la procédure en annulation devant le tribunal administratif, et celle en dommages-intérêts devant le tribunal de grande instance, n’ont pas été entendues dans un « délai raisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
4.  Le 9 septembre 1998, la Commission a ajourné le grief tiré de la durée de la procédure devant le tribunal de grande instance et a déclaré la requête irrecevable pour le surplus. La requête a ensuite été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).
5.  La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
6.  Par une décision du 14 mars 2000, la chambre a déclaré le restant de la requête recevable.
7.  La chambre ayant décidé après consultation des parties qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience consacrée au fond de l’affaire (article 59 § 2 in fine du règlement),  le requérant a déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire, mais non le Gouvernement (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A.  Circonstances particulières de l’affaire
8.  Le requérant fut interné contre son gré au service des aliénés d’un hôpital dépendant du centre hospitalier universitaire de Montpellier (CHU) du 1er avril au 23 mai 1969.
9.  Estimant que son internement était illégal, le requérant introduisit une procédure administrative contre le CHU de Montpellier. En date du 6 juin 1994, il saisit le tribunal administratif de Montpellier d’un recours en annulation de la décision d’admission du 1er avril 1969 comme constitutive d’une voie de fait.
10.  Suite au dépôt du premier mémoire par le défendeur en date du 23 septembre 1994, le requérant sollicita un délai supplémentaire et déposa son premier mémoire le 12 janvier 1995. Après que le requérant eut déposé deux mémoires supplémentaires, le défendeur déposa son dernier mémoire en date du 28 septembre 1995.
11.  Le 29 juillet 1997, le requérant sollicita du tribunal administratif l’audiencement de l’affaire à l’une de ses prochaines audiences, en invoquant notamment l’article 6 § 1 de la Convention. L’affaire fut examinée à l’audience du 10 novembre 1998.
12.  Le jugement du tribunal administratif fut rendu le 25 novembre 1998. Par ce jugement, le tribunal rejeta comme irrecevable la requête de M. Donnadieu dirigée contre la décision du 1er avril 1969 du directeur de l’hôpital l’admettant au service des aliénés.
13.  Le requérant interjeta appel contre ledit jugement le 4 février 1999. Le CHU a déposé son mémoire le 29 juillet 1999, qui fut transmis au requérant en date du 16 août 1999. Le CHU communiqua des pièces respectivement en date des 1er septembre, 25 octobre et 16 décembre 1999. Le requérant déposa son mémoire en réplique le 21 juillet 2000. Selon les renseignements donnés par le requérant dans sa lettre adressée à la Cour en date du 26 décembre 2000, la cour administrative n’a, à l’heure actuelle, pas encore rendu un arrêt.
14.  Entre-temps, le requérant assigna, le 30 juin 1995, le Trésor public et le CHU de Montpellier devant le tribunal de grande instance de Paris en demandant la somme de trois millions de francs au titre des préjudices subis du fait de son internement en 1969.
15.  A l’issue de l’audience du 18 octobre 1995, l’affaire fut transmise à la première chambre de ce tribunal.
16.  Après avoir sollicité un renvoi de l’affaire le 11 décembre 1995, le requérant communiqua ses pièces en date du 31 janvier 1996.
17.  Le CHU conclut en date des 13 juin et 19 août 1996. Le requérant répliqua en date des 15 juillet et 30 août 1996. Après que le requérant eut déposé, le 21 octobre 1996, ses conclusions en réponse à celles de l’Agent judiciaire du Trésor du 27 septembre 1996, les parties furent convoquées à l’audience du 18 novembre 1996.
18.  Par décision avant dire droit du 6 janvier 1997, le tribunal ordonna le sursis à statuer sur l’intégralité de la demande du requérant jusqu’à ce qu’une décision définitive ait été rendue par le tribunal administratif de Montpellier sur sa requête en annulation de la mesure d’internement.
19.  L’Agent judiciaire du Trésor public interjeta appel de ce jugement le 24 avril 1997, puis se désista le 18 juillet 1997. Le 4 août 1997, la Cour d’appel rendit une ordonnance prononçant l’extinction de l’affaire du rôle.
20.  La procédure est actuellement toujours pendante devant le tribunal de grande instance de Paris dans l’attente de l’issue de la procédure administrative.
B.  Eléments de droit interne
21.  Il existe en droit français une double compétence juridictionnelle en matière d’internement.
22.  En ce qui concerne l’appréciation de la régularité de l’internement et la réparation éventuelle à accorder, la répartition des compétences entre le juge civil et le juge administratif, fondée sur le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs, est exprimée par un arrêt du Tribunal des Conflits du 17 février 1997 (arrêt n° 3045, Préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris c. M, La Semaine Juridique, Jurisprudence 1997, 22885). Il ressort de cet arrêt que l’autorité judiciaire est seule compétente, en vertu des articles L. 333 et suivants du Code de la santé publique, pour apprécier la nécessité d’une mesure de placement d’office en hôpital psychiatrique. En revanche, il appartient à la juridiction administrative d’apprécier la régularité de la décision administrative qui ordonne le placement. Lorsque cette dernière s’est prononcée sur ce point, l’autorité judiciaire est compétente pour statuer sur les conséquences dommageables de l’ensemble des irrégularités entachant la mesure de placement d’office.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
23.  Le requérant se plaint de ce que sa cause n’a pas été entendue dans un « délai raisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention qui dispose que :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
24.  Le requérant se plaint de la durée de la procédure devant le tribunal de grande instance qui a débuté le 30 juin 1995 et est à ce jour suspendue en attendant le résultat de la procédure administrative. Il expose que les procédures civile et administrative doivent être analysées conjointement, dans la mesure où l’issue de la procédure administrative est déterminante pour ses droits civils. Concernant la procédure administrative, le requérant invoque un dépassement du « délai raisonnable » du fait d’une absence d’acte de la part des magistrats entre le 28 septembre 1995 et le 10 novembre 1998.
25.  Le Gouvernement admet que la procédure administrative n’est pas sans incidence sur la procédure civile puisque, à partir du 4 août 1997, la procédure devant le tribunal de grande instance était suspendue dans l’attente de la décision définitive de la juridiction administrative. Il relève cependant que le jugement du tribunal administratif est intervenu 1 an et 3 mois après que l’arrêt constatant le désistement de l’appel introduit contre le jugement du tribunal de grande instance ordonnant le sursis à statuer est devenu définitif. Il estime en conséquence que cette durée ne fait apparaître aucune période d’inactivité constitutive d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
26.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi d’autres, l’arrêt Doustaly c. France du 23 avril 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p. 857, § 39). Elle rappelle encore que, dans sa décision partielle de recevabilité du 9 septembre 1998, la Commission avait déclaré la partie de la requête relative à la durée de la procédure administrative incompatible rationae materiae, au motif que la procédure relative à l’internement d’une personne en hôpital psychiatrique ne porte pas sur des droits et obligations de caractère civil (L. c. Suède, rapport Comm. 3.10.88, § 86 à 88, D.R. 61, p. 88).
27.  La Cour constate qu’en ce qui concerne la procédure devant les juridictions civiles la période à considérer a débuté le 30 juin 1995, date à laquelle le requérant assigna le Trésor public et l’hôpital de Montpellier devant le tribunal de grande instance.
28.  La Cour constate d’emblée que la procédure a, au jour de l’adoption du présent arrêt, duré plus de 5 ans et 6 mois devant le tribunal civil, ce qui semble a priori trop long pour une seule instance.
29.  Dans la mesure où, à partir du jugement avant dire droit du 6 janvier 1997, l’issue du volet civil de l’affaire dépend de la procédure administrative, cette dernière doit également être prise en considération par la Cour.
30.  Or, la Cour constate qu’alors que le requérant sollicita en date du 29 juillet 1997 la fixation de l’affaire, une audience n’eut lieu devant le tribunal administratif qu’en date du 10 novembre 1998 bien que l’affaire fût en état depuis le 28 septembre 1995. Devant la cour administrative, le requérant déposa un mémoire en date du 21 juillet 2000 et il semble qu’à l’heure actuelle, soit après plus de 6 mois, les juges n’aient toujours pas tranché. La Cour note qu’à ce jour, la procédure administrative a d’ores et déjà duré globalement 6 ans et 8 mois.
31.  La Cour estime que, même si la procédure litigieuse a soulevé différentes questions à résoudre, ces problèmes ne sauraient cependant être considérés comme complexes en droit et en fait. Par ailleurs, on ne saurait imputer un retard particulier au requérant.
32.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
33.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
34.  Le requérant réclame une somme de 200 000 francs français (FRF) au titre du préjudice moral.
35.  Le Gouvernement estime que ces prétentions sont excessives et propose d’allouer 15 000 FRF.
36.  La Cour estime que le requérant a subi un tort moral certain du fait de la durée de la procédure. Compte tenu des circonstances de la cause et statuant en équité comme le veut l’article 41, elle octroie à ce titre 15 000 FRF.
B.  Frais et dépens
37.  Le requérant demande à ce titre 38 000  FRF se décomposant comme suit : 18 000 FRF pour les frais engagés devant les juridictions internes et 20 000 FRF pour les frais au titre de la procédure devant les organes de la Convention. Pour ce qui est de ce dernier volet de frais, la Cour note que le requérant, qui était représenté par M. Philippe Bernardet, sociologue de profession, produit copie de factures d’honoraires qui ne sont pas soumis à la taxe sur la valeur ajoutée, en application de l’article 293B du code général des impôts.
38.  Le Gouvernement propose d’allouer au titre des frais engagés devant la Cour une somme de 5 000 FRF au requérant.
39.  La Cour rappelle que les frais exposés devant les juridictions nationales ne peuvent être pris en compte que s’ils ont été engagés par le requérant pour faire redresser la violation de la Convention constatée en droit interne. Or, elle note que le requérant ne justifie nullement que les frais invoqués l’ont été dans ce but. S’agissant des frais réclamés au titre de la procédure devant les organes de la Convention, la Cour rappelle qu’en application de l’article 36 § 4 de son Règlement, un requérant ne peut être représenté, dans la procédure consécutive à une décision sur la recevabilité, que par un conseil habilité à exercer dans l’une quelconque des Parties contractantes. Ceci n’est pas le cas de Monsieur Bernardet. En conséquence, la Cour ne saurait allouer une somme que pour les seuls frais engagés au titre d’actes antérieurs à la décision sur la recevabilité.
Statuant en équité, la Cour estime raisonnable d’allouer 8 000 FRF à cet égard.
C.  Intérêts moratoires
40.  Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable en France à la date d’adoption du présent arrêt est de 4,26 % l’an.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,
1. Dit, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
2. Dit,
a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes 
i.  15 000 (quinze mille) francs français pour dommage moral ;
ii. 8 000 (huit mille) francs français pour frais et dépens ;
b)  que ces montants seront à majorer d’un intérêt simple de 4,26 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;
3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 février 2001 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé W. Fuhrmann   Greffière Président
ARRÊT DONNADIEU c. FRANCE (SATISFACTION ÉQUITABLE)
ARRÊT DONNADIEU c. FRANCE (SATISFACTION ÉQUITABLE) 


Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1 ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE CIVILE


Parties
Demandeurs : DONNADIEU
Défendeurs : FRANCE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (troisième section)
Date de la décision : 27/02/2001
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 39066/97
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2001-02-27;39066.97 ?
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