La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/04/2001 | CEDH | N°52449/99

CEDH | KUNA contre l'ALLEMAGNE


QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 52449/99  présentée par Hans-Ulrich KUNA  contre l'Allemagne
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 10 avril 2001 en une chambre composée de
MM. A. Pastor Ridruejo, président,    G. Ress,    L. Caflisch,    J. Makarczyk,    V. Butkevych,    J. Hedigan,   Mme S. Botoucharova, juges,  et de M. V. Berger, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 26 octobre 1999 et enregistrée le 8 nov

embre 1999,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant est un ressort...

QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 52449/99  présentée par Hans-Ulrich KUNA  contre l'Allemagne
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 10 avril 2001 en une chambre composée de
MM. A. Pastor Ridruejo, président,    G. Ress,    L. Caflisch,    J. Makarczyk,    V. Butkevych,    J. Hedigan,   Mme S. Botoucharova, juges,  et de M. V. Berger, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 26 octobre 1999 et enregistrée le 8 novembre 1999,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant est un ressortissant allemand, né en 1919 et résidant à Magdebourg. Il est représenté devant la Cour par Me Karl-Heinz Christoph, avocat au barreau de Berlin (Allemagne). Le requérant est décédé le 16 novembre 2000, mais ses fils (MM. Ralf et Andreas Kuna) souhaitent poursuivre la procédure devant la Cour.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant était urologue de profession et avait ouvert son propre cabinet en République démocratique allemande (RDA) en octobre 1964.
Depuis novembre 1964, il avait adhéré au système général d’assurance retraite de la RDA, en versant des cotisations à la caisse d’assurance sociale obligatoire (Sozialpflichtversicherung) et, depuis mars 1971, à la caisse de retraite complémentaire facultative (freiwillige Zusatzrentenversicherung – FRZ). Il avait également adhéré à des systèmes additionnels de retraite (Zusatzversorgungssysteme) de la RDA, en versant des cotisations à la caisse de retraite facultative (freiwillige Rentenversicherung) et à la caisse de retraite des médecins et dentistes exerçant dans leur propre cabinet (Altersversorgung für Ärzte und Zahnärzte in eigener Praxis).
A compter du 1er octobre 1984, le requérant perçut une pension de retraite mensuelle de 497 Marks de la RDA de la caisse d’assurance sociale obligatoire (Sozialpflichtversicherung) et de 204 Marks de la RDA de la caisse de retraite complémentaire facultative ( freiwillige Zusatzrentenversicherung).
Le requérant perçut également une pension de retraite mensuelle de 162 Marks de la RDA en vertu de l’ordonnance sur l’assurance retraite complémentaire facultative du 15 mars 1968 (Verordnung über die freiwillige Versicherung auf Zusatzrente bei der Sozialversicherung), ainsi qu’une pension de retraite complémentaire mensuelle de 203 Marks de la RDA au titre de la retraite des médecins et dentistes exerçant dans leur propre cabinet (Altersversorgung für Ärzte und Zahnärzte in eigener Praxis), qui fut augmentée à 800 Marks de la RDA à compter de janvier 1990.
Au 1er juillet 1990, après diverses augmentations, le requérant perçut une pension de retraite mensuelle d’un montant total de 1631 Marks de la RDA (sans compter la pension de retraite versée en vertu de l’ordonnance sur l’assurance retraite complémentaire facultative du 15 mars 1968).
En vertu du traité d’Etat entre la République fédérale d’Allemagne (RFA) et la RDA sur la création d’une union monétaire, économique et sociale (Staatsvertrag über die Schaffung einer Währungs-, Wirtschafts- und Sozialunion zwischen der Bundesrepublik Deutschland und der Deutschen Demokratischen Republik) du 18 mai 1990 (voir Droit interne pertinent ci-dessous), les pensions de retraite de la RDA furent converties au taux de 1 pour 1 en Deutsch Mark (DM) de la RFA et versées dans cette monnaie.
A compte du 1er juillet 1990, le requérant perçut donc une pension de retraite mensuelle de 1631 DM.
Par deux décisions des 14 décembre 1990 et 19 juin 1991 de la caisse fédérale d’assurance pour les salariés (Bundesversicherungsanstalt für Angestellte) sur la conversion et l’alignement des droits à pension de la RDA à compter du 1er janvier 1992, conformément aux modalités de calcul prévues dans le nouveau droit des retraites (article 307b §§ 3 et 5 du code social n° VI (Sozialgesetzbuch IV) - voir Droit interne pertinent ci-dessous), la pension de retraite du requérant fut intégrée dans le système général de retraite de la RFA et versée comme « pension ordinaire » (Regelaltersrente).
Dans un premier temps, la caisse d’assurance pour les salariés continua à verser un montant de 1631 DM au requérant, puis augmenta la pension de retraite du requérant, qui perçut une somme de 1753,93 DM par mois à compter du 1er janvier 1992.
Par une décision du 28 avril 1992, l’administration fédérale (Bundesverwaltungsamt) rejeta l’opposition formée par le requérant les 1er février, 29 juin et 12 octobre 1991 contre la décision de la caisse fédérale d’assurance et dans laquelle il contestait notamment les modalités de calcul de ses droits à pension issus des systèmes additionnels de retraite de la RDA.
Par un jugement du 20 janvier 1993, le tribunal social (Sozialgericht) de Magdeburg rejeta également le recours du requérant.
Par un arrêt du 26 janvier 1994, la cour sociale d’appel (Landessozialgericht) du Land de Saxe-Anhalt modifia en partie les décisions et jugements antérieurs et accorda au requérant à compter du 1er janvier 1992 une pension de retraite à indexer sur le coût de la vie (anzupassende Bruttorente) de 1757,47 DM par mois et une pension de retraite non indexable  (nichtanpassungsfähige Rente) de 162 DM par mois, soit un total de 1919,47 DM par mois.
D’après la cour sociale d’appel, le calcul de la pension de retraite du requérant devait se faire en se basant sur l’article 307a du code social n° VI (voir Droit interne pertinent ci-dessous), car il avait également cotisé à la caisse de retraite complémentaire facultative ( freiwillige Zusatzrentenversicherung) de la RDA.
Par un arrêt du 18 juillet 1996, la Cour sociale fédérale (Bundessozialgericht), sur pourvoi de l’administration, annula cet arrêt, au motif que l’alignement et le transfert de la pension de retraite du requérant devait exclusivement se fonder sur l’article 307b du code social n° VI, dès lors que le montant total de la pension de retraite reposait au moins en partie sur des droits à pension issus d’un système additionnel ou spécial de retraite (Anspruch auf Rente aus einem Zusatz-oder Sonderversorgungssystem) de la RDA.
La Cour sociale fédérale rappela que, dans ces cas de figure, c’était toujours le droit spécial relatif aux systèmes additionnels et spéciaux de retraite de la RDA figurant dans le traité d’unification (Einigungsvertrag – voir Droit interne pertinent ci-dessous), ainsi que les dispositions de la loi sur le transfert des droits à pension et des futurs droits à pension (Anspruchs-und Anwartschaftsüberführungsgesetz) et l’article 307b du code social n° VI qui trouvaient à s’appliquer.
D’après la Cour sociale fédérale, la différence de traitement entre les personnes ayant acquis des droits à pension « véritables » issus du système général d’assurance retraite de la RDA, comprenant la caisse d’assurance sociale obligatoire (Sozialpflichtversicherung) et la caisse de retraite complémentaire facultative (freiwillige Zusatzrentenversicherung), et les personnes ayant acquis des droits à pension issus des systèmes additionnels et spéciaux de retraite de la RDA, était justifiée : en effet, dans le premier cas, il existait une relation clairement établie entre les cotisations versées et les prestations perçues, et on pouvait utiliser les données figurant dans les fichiers des caisses d’assurance (Daten in den Sozialversicherungsausweisen). En revanche, pour les droits à pension issus des systèmes additionnels et spéciaux de retraite, la situation était beaucoup plus confuse (unübersichtlich) : les bases juridiques n’étaient pas claires, l’obligation de cotisation n’était que partielle et même si elle existait, elle était réglée de manière diverse, aussi bien pour le revenu à prendre en compte que pour le montant des cotisations à verser, et enfin les données disponibles sur la vie des assurés étaient souvent inutilisables.
La Cour sociale fédérale ajouta qu’on ne pouvait exclure, eu égard au fait que les prestations versées par les systèmes additionnels et spéciaux de retraite étaient nettement supérieures à celles versées par le système général d’assurance retraite, que ces droits à pension avaient été supérieurs à ceux des autres salariés en RDA pour des raisons politiques.
La Cour sociale fédérale conclut que le législateur pouvait dès lors, dans les dispositions applicables pendant la période transitoire (article 307b § 5 du code social n° VI), procéder à un calcul standardisé et prendre comme base le salaire moyen ayant servi de référence à la caisse d’assurance sociale obligatoire.
En août 1996, le requérant saisit alors la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) d’un recours constitutionnel. D’après lui, la diminution (« Abschmelzung ») de ses droits à pension issus des systèmes additionnels de retraite méconnaissait son droit de propriété et constituait un traitement discriminatoire injustifié par rapport à ses collègues de la RFA et par rapport aux personnes bénéficiant de droits à pension issus du système général d’assurance retraite de la RDA. Le montant de sa pension de retraite était ainsi devenue anormalement bas par rapport aux droits acquis en RDA.
Par un arrêt du 28 avril 1999, la Cour constitutionnelle fédérale, après avoir entendu le Gouvernement fédéral, la caisse d’assurance fédérale des salariés, l’association pour la protection des droits des citoyens et de la dignité humaine, l’association des retraités allemands et deux experts au cours d’une audience, rejeta également le recours du requérant, au motif que les dispositions incriminées n’étaient pas contraires à la Loi fondamentale (Grundgesetz). 
La Cour constitutionnelle rappela tout d’abord les difficultés d’ordre général du transfert et de l’intégration des droits à pension de l’ensemble des retraités provenant de la RDA dans le système de retraite de la RFA, difficultés dues au grand nombre de retraités (environ 4 millions) à intégrer et au fait que les deux systèmes reposaient sur des principes très différents : alors qu’en RFA, le montant des prestations perçues dépendait essentiellement des cotisations versées, en RDA, le système était un mélange entre un système d’assurance et un système de prévoyance (Mischung zwischen Versicherungs-und Versorgungssystem).
La Cour constitutionnelle souligna ensuite que le législateur avait disposé à cet égard d’une large marge d’appréciation et que pour des raisons pratiques, au moins pendant une période transitoire de quatre ans, il avait valablement pu procéder à une méthode de calcul standardisée, ayant abouti provisoirement à certaines différences de traitement, notamment concernant le moment de la fixation définitive du montant de la pension de retraite (Zeitpunkt der endgültigen Rentenfeststellung), la prise en compte du nombre des années de carrière dans le calcul du montant de la pension de retraite mensuelle (Berücksichtigung der Versicherungsbiographie bei der Ermittlung des monatlichen Rentenbetrags) et la fixation du montant minimum protégé (Zahlbetragsschutz), entre les droits à pension issus du système général d’assurance retraite et ceux issus des systèmes additionnels et spéciaux de la RDA. Cependant, à compter du 1er janvier 1994, ces droits à pension avaient été recalculés et la différence reversée rétroactivement, comme ce fut le cas pour le requérant.
La Cour constitutionnelle ajouta que le législateur n’avait également pas dépassé sa marge d’appréciation, eu égard aux difficultés d’intégration d’un système dans l’autre, en considérant que, pendant cette période transitoire, les retraités, dont les droits à pension étaient issus des systèmes additionnels de retraite, pouvaient supporter cette différence de traitement provisoire car ils disposaient d’un niveau de vie plus élevée que les retraités dont les droits à pension étaient issus du système général d’assurance retraite.
La Cour constitutionnelle indiqua que dans le cas du requérant, la caisse fédérale d’assurance des salariés avait procédé à une nouvelle réévaluation de sa pension de retraite le 17 avril 1997 en augmentant le montant de celle-ci de manière rétroactive à compter du 1er janvier 1992.
Dans le même arrêt, la Cour constitutionnelle constata qu’à l’issue de cette période transitoire, pour le calcul définitif des pensions de retraite, il subsistait une inégalité de traitement, relative à la prise en compte du nombre d’années de carrière, entre les droits à pension issus du système général d’assurance retraite (uniquement les vingt dernières années de carrière) et ceux issus des systèmes additionnels de retraite (toutes les années de carrière) de la RDA.
Or la Cour constitutionnelle estima que cette différence de traitement méconnaissait la Loi fondamentale et enjoignit au législateur allemand de mettre en place une nouvelle réglementation jusqu’au 30 juin 2001. Cependant, ce grief n’avait pas été soulevé par le requérant, mais par une tierce personne qui avait également fait un recours constitutionnel devant elle.
Le même jour, la Cour constitutionnelle fédérale rendit plusieurs arrêts de principe dans d’autres affaires portant également sur les modalités de transfert de droits à pension de citoyens de la RDA.
A compter de 1999, le requérant perçut une pension de retraite mensuelle de 3004 DM.
B. Le droit interne pertinent
Le système de retraite de la RDA comprenait d’une part le système général d’assurance retraite, dont faisaient partie la caisse d’assurance sociale obligatoire (Sozialplichtversicherung) et la caisse de retraite complémentaire facultative (freiwillige Zusatzrentenversicherung). Il comprenait d’autre part de multiples systèmes additionnels de retraite (Zusatzversorgungssysteme), dont faisaient partie notamment la caisse de retraite facultative (freiwillige Rentenversicherung) et la caisse de retraite des médecins et dentistes exerçant dans leur propre cabinet (Altersversorgung für Ärzte und Zahnärzte in eigener Praxis), et qui versaient des prestations supplémentaires venant s’ajouter aux pensions de retraite en provenance du système général.
Le traité d’Etat entre la RFA et la RDA sur la création d’une union monétaire, économique et sociale (Staatsvertrag über die Schaffung einer Währungs-, Wirtschafts- und Sozialunion zwischen der Bundesrepublik Deutschland und der Deutschen Demokratischen Republik) du 18 mai 1990 prévoyait l’alignement des droits à pension de la RDA sur ceux de la RFA et leur reconversion en DM au taux de 1 pour 1 (articles 10 § 5 et 20 § 3 du traité), ainsi que les modalités de transfert de ces droits à pension.
L’article 20 § 2 du traité en question est par ailleurs ainsi rédigé :
(version allemande)
« (...) Bisher erworbene Ansprüche und Anwartschaften werden in die Rentenversicherung überführt, wobei Leistungen aufgrund von Sonderregelungen mit dem Ziel überprüft werden, ungerechtfertigte Leistungen abzuschaffen und überhöhte Leistungen abzubauen (...) »
(traduction française)
« (...) Les droits acquis et les droits futurs seront transférés dans l’assurance retraite [de RFA], mais les prestations résultant des dispositions spéciales seront réexaminées dans le but de supprimer des prestations injustifiées et d’abaisser des prestations trop élevées (...) »
Ces principes figurent également dans le traité sur l’unité allemande (Einigungsvertrag) du 31 août 1990 (voir annexe II, chapitre VIII, section H, aliéna III n° 9 b).
Sur la base de cet accord, le législateur de la RDA décida, en vertu de la loi sur l’alignement des droits à pension (Rentenangleichungsgesetz) du 28 juin 1990, que les pensions de retraite du système général d’assurance retraite et celles des systèmes additionnels de retraite seraient versées de manière intégrale à compter du 1er juillet 1990 jusqu’à leur intégration définitive dans le système d’assurance retraite de la RFA.
Après l’adhésion de la RDA à la RFA le 3 octobre 1990, l’ancien système de retraite de la RDA demeura en vigueur jusqu’au 1er janvier 1992, date de l’entrée en vigueur de la loi sur la création d’une unité juridique dans le système d’assurance retraite et d’assurance dommage (Gesetz zur Herstellung der Rechtseinheit in der gesetzlichen Renten-und Unfallversicherung – Renten-Überleitungsgesetz) de la RFA du 25 juillet 1991.
Pendant la période transitoire allant du 3 octobre 1990 au 1er janvier 1992, les deux systèmes d’assurance retraite cohabitaient en Allemagne.
A compter du 1er janvier 1992, la fixation de tous les montants mensuels des pensions de retraite s’effectuait suivant une nouvelle formule, avec une adaptation progressive des pensions versées aux retraités de la RDA à celles versées aux retraités de la RFA, jusqu’à l’égalisation des revenus sur tout le territoire de la RFA.
La fixation des montants mensuels des pensions de retraite était réglée dans les articles 307 a (pour les droits à pension issus du système général d’assurance retraite de la RDA) et 307b (pour les droits à pension issus des systèmes additionnels et spéciaux de retraite de la RDA)du code social n° VI de la RFA, entré en vigueur au 1er janvier 1992.
L’article 307a du code social n° VI prévoyait la conversion des droits à pension du système général d’assurance retraite de la RDA d’une manière globale et définitive à compter du 1er janvier 1992, en multipliant les années de carrière à prendre en compte avec les points salaire (Entgeltpunkte) acquis au cours des vingt dernières années de carrière.
L’article 307b du code social n° IV prévoyait la conversion des droits à pension des systèmes additionnels et spéciaux de retraite en prenant également pour base les salaires moyens des vingt dernières années de carrière, mais il s’agissait là des salaires moyens servant de référence à la caisse d’assurance sociale obligatoire et non pas des salaires individuels. Cependant, ces droits à pension étaient recalculés après une période transitoire de quatre ans et la différence était reversée aux retraités de manière rétroactive.
Au moment de la réunification allemande, les retraités de la RDA et de la RFA se trouvaient dans des situations très différentes.
Ainsi, d’après les statistiques officielles du Ministère fédéral du Travail (Bundesarbeitsministerium) de la RFA, au 30 juin 1990, le niveau des pensions de retraite de la RDA correspondaient en moyenne à environ un tiers de celui des pensions de retraite de la RFA, reflétant également les différences des salaires et du niveau de vie dans les deux Etats.
Par ailleurs, d’une manière générale, une personne percevant par exemple une pension de retraite de 100 Marks de la RDA au 30 juin 1990 percevait, sans prendre en compte la hausse des prix, en moyenne une pension de retraite de 180 DM en janvier 2000, ce qui équivaut à une hausse réelle d’environ 80 %.
Enfin, les transferts financiers d’Ouest en Est relatifs à l’assurance retraite étaient de 4,5 Milliards de DM en 1992, de 12,5 Milliards de DM en 1994 et de 21,6 Milliards de DM en 2000.
GRIEFS
Devant la Cour, le requérant se plaint d’une atteinte à son droit au respect de ses biens et d’une discrimination politique, contraires à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole n° 1. En outre, il allègue une violation de la l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée de la procédure.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint d’une atteinte au droit au respect de ses biens et d’une discrimination politique, contraires à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole n° 1, dispositions ainsi libellées :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
Le requérant soutient qu’il est victime d’une double discrimination. D’après lui, la diminution de ses droits à pension issus des systèmes additionnels de retraite de la RDA constituait un traitement discriminatoire injustifié par rapport aux personnes bénéficiant de droits à pension issus du système général d’assurance retraite de la RDA et par rapport à ses collègues de la RFA. Le montant de sa pension de retraite était ainsi devenu anormalement bas par rapport aux droits acquis en RDA : si le montant des pensions de retraite avait été adapté à l’évolution des salaires sur l’ancien territoire de la RDA depuis la réunification allemande, au lieu de percevoir une somme de 3004 DM en 1999, il aurait dû percevoir une somme de 5706,83 DM. Il demande à la Cour de le réintégrer dans ses droits à pension de manière rétroactive à compter du 1er juillet 1990.
Il y a lieu tout d’abord de se prononcer sur l’applicabilité de ces deux articles combinés.
D’après la jurisprudence constante de la Cour, l’article 14 de la Convention complète les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles. Il n’a pas d’existence indépendante puisqu’il vaut uniquement pour "la jouissance des droits et libertés" qu’elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, il possède une portée autonome, mais il ne saurait trouver à s’appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l’emprise de l’une au moins desdites clauses (voir notamment l’arrêt Gaygusuz c. Autriche du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, p. 1141, § 36 et Domalewski c. Pologne (déc.), n° 34610/97, CEDH-V et Schwengel c. Allemagne (déc.), n° 52442/99, 3.3.2000, non publiée).
La Cour rappelle par ailleurs que les droits découlant du paiement de contributions à une caisse d’assurance sont des droits patrimoniaux au sens de l’article 1 du Protocole n°1 (voir l’arrêt Gaygusuz et les décisions Domalewski et Schwengel précités).
Il s’ensuit que la requête peut être examinée sous l’angle de ces deux articles combinés.
Cependant, même à supposer que l’article 1 du Protocole n° 1 garantisse le versement de prestations sociales à des personnes ayant payé des contributions à une caisse d’assurance, il ne saurait être interprété comme donnant droit à une pension d’un montant déterminé (voir Skorkiewicz c. Pologne (déc.), n° 39860/98, 1.6.1999, non publiée, et la décision Schwengel précitée et Jankovic c. Croatie (déc.), n° 43440/98, CEDH 2000-X).
La Cour relève ensuite qu’une distinction est discriminatoire au sens de l’article 14, si elle "manque de justification objective et raisonnable", c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un "but légitime" ou s’il n’y a pas de "rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé". Par ailleurs, les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (voir l’arrêt Gaygusuz précité, p. 1142, § 42, et la décision Schwengel précitée).
La Cour note qu’en l’espèce, les droits à pension du requérant issus des systèmes  additionnels de retraite de la RDA furent fixés pendant une période transitoire de quatre ans en vertu des modalités de calcul prévus à l’article 307b du code social n° IV de la RFA (voir Droit interne pertinent ci-dessus).
Dans son arrêt du 28 avril 1999, la Cour constitutionnelle fédérale, après avoir tenu une audience et entendu les parties, a examiné en détail les modalités de transfert des droits à pension de la RDA dans le système d’assurance de retraite de la RFA, avant de conclure qu’une différence de traitement pendant une période transitoire au détriment des droits à pension issus des systèmes additionnels de retraite de la RDA par rapport aux droits à pension issus du système général d’assurance retraite de la RDA n’était pas contraire à la Loi fondamentale.
La présente affaire se distingue d’une part des affaires Fiedler et Mann (décisions de la Commission du 15 mai 1996, requêtes n°s 24116/94 et 24077/94), dans la mesure où, dans la présente espèce, le requérant avait versé des cotisations aux systèmes additionnels de retraite, alors que ce n’avait pas été le cas dans ces affaires. Elle se distingue d’autre part de l’affaire Schwengel (décision précitée), dans la mesure où, également dans la présente espèce, l’absence de revalorisation des droits à pension du requérant après la réunification allemande n’était que provisoire et due essentiellement à des difficultés pratiques de transfert, alors que dans l’affaire Schwengel, le législateur avait procédé à la suppression définitive de privilèges pécuniaires de nature purement politique pour les anciens fonctionnaires du ministère de la sécurité de l’Etat (Ministerium für Staatssicherheit - MfS).
La Cour relève qu’en l’espèce, la différence de traitement provisoire dans les modalités de transfert au détriment des droits à pension issus des systèmes additionnels de retraite de la RDA reposaient sur des raisons objectives avancées par les juridictions allemandes, comme les difficultés pratiques d’intégration de l’ensemble des droits à pension des citoyens de la RDA dans le système de retraite de la RFA.
Ces difficultés étaient liées au grand nombre de retraités à intégrer, aux différences de principe des deux systèmes, notamment en ce qui concerne les systèmes additionnels de retraite de la RDA, où l’obligation de cotisation n’était que partielle et où les données disponibles sur la vie des assurés étaient souvent inutilisables.
Il n’appartient cependant pas à la Cour d’examiner en détail les modalités de calcul extrêmement complexes appliquées lors du transfert de ces droits à pension dans le système d’assurance retraite de la RFA.
La Cour considère que la volonté du législateur allemand de procéder le plus rapidement possible à l’intégration des droits à pension des citoyens de la RDA dans le système d’assurance retraite de la RFA en privilégiant dans un premier temps les retraités bénéficiant de droits à pension moins élevés issus du système général d’assurance retraite de la RDA correspondait à un but légitime au sens de l’article 14 de la Convention.
Elle note par ailleurs que toutes les pensions de retraite de la RDA avaient été converties au taux de 1 pour 1 à compter du 1er juillet 1990, et que face à l’immense tâche qui incombait à la RFA, le préjudice subi par le requérant était relatif, puisque le montant nominal de sa pension de retraite après la réunification demeura inchangé, et qu’il avait obtenu une première revalorisation de ses droits à pension, de manière rétroactive, au 1er janvier 1994, puis de nouveau au 17 avril 1997, ainsi qu’une revalorisation progressive générale de ses droits à pension.
Certes, le niveau des pensions de retraites des anciens citoyens de la RDA demeure à ce jour inférieur à celui des pensions de retraite des citoyens de la RFA. Cependant, cet écart s’explique au départ par le niveau beaucoup plus bas des pensions de retraite en RDA, qui correspondaient en moyenne à un tiers de celui des pensions de retraite en RFA (voir Droit interne pertinent ci-dessus).
Il convient également de relever que de 1990 à 2000, les pensions de retraite de la RDA ont connu une augmentation de 80 % en moyenne et que, compte tenu des difficultés liées à l’intégration d’un système de retraite dans un autre, la RFA a fourni un effort financier considérable.
Eu égard à tous ces éléments et à la marge d’appréciation dont bénéficie l’Etat dans le contexte unique de la réunification allemande, la Cour estime que les moyens employés n’étaient pas disproportionnés par rapport au but légitime visé.
Partant, la différence de traitement provisoire dans les modalités de transfert des droits à pension de la RDA au détriment de ceux issus des systèmes additionnels de retraite de la RDA n’était pas contraire à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole n°1. Il en va de même en ce qui concerne la différence qui subsiste encore entre les pensions de retraite des anciens citoyens de la RDA et les citoyens de la RFA.
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.
2. Le requérant soutient également que la durée de la procédure devant les juridictions allemandes a dépassé le délai raisonnable prévu à l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé:
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un  tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil  (...)"
La Cour rappelle qu’une procédure relève de l’article 6 § 1, même si elle se déroule devant une juridiction constitutionnelle, si son issue est déterminante pour des droits ou obligations de caractère civil (voir les arrêts Süssmann c. Allemagne du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, p. 1171, § 41, et Pammel et Probstmeier c. Allemagne du 1er juillet 1997, Recueil 1997-IV, p. 1109, § 53, et p. 1135, § 48, respectivement, la décision Schwengel précitée et Klein c. Allemagne, n° 33379/96, 27.7.2000, § 29, à paraître dans le recueil officiel de la Cour). 
En l’espèce, le litige relatif au montant de la pension de retraite du requérant était de nature pécuniaire et concernait indubitablement un droit de caractère civil au sens de l’article 6 (voir l’arrêt Süssmann précité, p. 1171, § 42). La teneur de l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale était incontestablement décisive pour le droit de caractère civil du requérant.
Partant, l’article 6 § 1 de la Convention s’applique à la procédure litigieuse.
La période à considérer a débuté le 12 octobre 1991, dernière date à laquelle le requérant fit opposition contre la décision de la caisse fédérale d’assurance des salariés, et a pris fin le 28 avril 1999, date à laquelle la Cour constitutionnelle fédérale rendit son arrêt.
A cet égard, la Cour considère que la période clé à examiner en l’espèce est celle de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale à compter de la date à laquelle le requérant introduisit son recours constitutionnel et qui a duré deux ans et huit mois.
Conformément aux critères fixés par la Cour, le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et en fonction de la complexité de l’affaire, du comportement des parties et des autorités concernées, ainsi que de l’enjeu du litige pour l’intéressé (voir notamment l’arrêt Süßmann précité, p. 1172-1173, § 48, et Gast et Popp c. Allemagne, n° 29357/95, § 64, CEDH 2000- II, la décision Schwengel et l’arrêt Klein précités).
La Cour relève tout d’abord que l’affaire revêtait une complexité certaine, puisque la Cour constitutionnelle fédérale devait trancher la question délicate de la constitutionnalité de dispositions législatives prises lors de l’intégration de l’ensemble du système d’assurance sociale et de retraite de la RDA dans le système de la RFA et qui portaient notamment sur le traitement à appliquer aux pensions des nombreuses personnes ayant adhéré aux systèmes additionnels de retraite de la RDA. La complexité est également démontré par la longueur de l’arrêt, qui comporte 40 pages, ainsi que par le fait que la Cour constitutionnelle a tenu une audience au cours de laquelle elle entendit le Gouvernement fédéral, la caisse d’assurance fédérale des salariés, l’association pour la protection des droits des citoyens et de la dignité humaine, l’association des retraités allemands et deux experts.
La Cour note que le requérant n’a été à l’origine d’aucun retard dans la procédure.
La Cour rappelle ensuite qu’elle a affirmé à maintes reprises que l’article 6 § 1 astreint les Etats contractants à organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent remplir chacune de ses exigences, notamment quant au délai raisonnable. Si cette obligation vaut aussi pour une Cour constitutionnelle, elle ne saurait cependant s’interpréter de la même façon que pour une juridiction ordinaire. Son rôle de gardien de la Constitution rend particulièrement nécessaire pour une Cour constitutionnelle de parfois prendre en compte d’autres éléments que le simple ordre d’inscription au rôle d’une affaire, telles la nature de celle-ci et son importance sur le plan politique et social. Par ailleurs, si l’article 6 prescrit la célérité des procédures judiciaires, il met aussi l’accent sur le principe, plus général, d’une bonne administration de la justice (voir l’arrêt Süssmann précité, p. 1174, §§ 55-56 et l’arrêt Gast et Popp précité, § 75).
Vu l’importance, en l’espèce, des décisions rendues par la Cour constitutionnelle fédérale, dont l’impact allait bien au-delà d’un simple recours individuel, ce principe vaut particulièrement ici. Il convient également de relever que le même jour, la Cour constitutionnelle fédérale rendit plusieurs arrêts de principe dans des affaires portant également sur les modalités de transfert de droits à pension de citoyens de la RDA.
Par ailleurs, ces affaires s’inscrivaient dans le cadre d’innombrables recours portés devant la Cour constitutionnelle fédérale suite à la réunification allemande en octobre 1990 (voir l’arrêt Süssmann précité, p. 1174, § 60 et la décision Schwengel précitée).
Enfin, l’enjeu de la procédure pour le requérant est également un facteur à prendre en considération. Le requérant a subi un désavantage dans le calcul de sa pension de retraite pendant une période transitoire de quatre ans et, vu son âge, la procédure revêtait pour lui une importance certaine. Cependant, l’absence de revalorisation de ses droits à pension, dont une partie était issue des systèmes additionnels de retraite de la RDA, n’était que provisoire, et n’a pas causé un préjudice suffisant au requérant pour imposer à la juridiction saisie d’agir avec une diligence exceptionnelle, comme c’est le cas pour certains types de litiges (voir l’arrêt Süssmann précité, p. 1175, § 61 in fine, l’arrêt Gast et Popp précité, § 80 et la décision Schwengel précitée)
A la lumière de l’ensemble des circonstances de la cause, et notamment du contexte unique de la réunification allemande, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu dépassement du délai raisonnable prévu à l’article 6 § 1, lequel n’a donc pas été violé sur ce point.
Il s’ensuit que ce grief est lui aussi manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.
Vincent Berger  Antonio Pastor Ridruejo   Greffier Président
52449/99 - -
- - 52449/99


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 52449/99
Date de la décision : 10/04/2001
Type d'affaire : Decision
Type de recours : Non-violation de l'art. 6-1 quant à l'absence d'audience publique ; Non-violation de l'art. 6-1 quant au manque de jugement public ; Non-lieu à examiner l'art. 10

Analyses

(Art. 6-1) ACCES INTERDIT AU PUBLIC, (Art. 6-1) JUGEMENT PUBLIC, (Art. 6-1) PROCES PUBLIC


Parties
Demandeurs : KUNA
Défendeurs : l'ALLEMAGNE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2001-04-10;52449.99 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award