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04/05/2001 | CEDH | N°28883/95

CEDH | AFFAIRE McKERR c. ROYAUME-UNI


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE McKERR c. ROYAUME-UNI
(Requête no 28883/95)
ARRÊT
STRASBOURG
4 mai 2001
DÉFINITIF
04/08/2001
En l'affaire McKerr c. Royaume-Uni,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    W. Fuhrmann,    L. Loucaides,   Mme F. Tulkens,   M. K. Jungwiert,   Sir Nicolas Bratza,   M. K. Traja, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil

les 4 avril 2000 et 11 avril 2001,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'or...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE McKERR c. ROYAUME-UNI
(Requête no 28883/95)
ARRÊT
STRASBOURG
4 mai 2001
DÉFINITIF
04/08/2001
En l'affaire McKerr c. Royaume-Uni,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    W. Fuhrmann,    L. Loucaides,   Mme F. Tulkens,   M. K. Jungwiert,   Sir Nicolas Bratza,   M. K. Traja, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 4 avril 2000 et 11 avril 2001,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 28883/95) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et dont une ressortissante irlandaise, Mme Eleanor Creaney, avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 7 mars 1993 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). Mme Creaney est décédée en novembre 1996. Son fils Jonathan McKerr (« le requérant ») a maintenu la requête.
2.  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représenté par Mes K. Winters et S. Treacy, avocats au barreau de Belfast. Le gouvernement britannique (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.
3.  Le requérant alléguait que son père, Gervaise McKerr, avait été abattu par des policiers le 11 novembre 1982 et que son décès n'avait donné lieu ni à une enquête effective ni à une réparation. Il invoquait les articles 2, 13 et 14 de la Convention.
4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 dudit Protocole).
5.  La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de cette section, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
6.  Après avoir consulté les parties, le président de la chambre a décidé que, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il y avait lieu d'examiner la présente espèce conjointement avec les affaires Hugh Jordan c. Royaume-Uni (no 24746/94), Kelly et autres c. Royaume-Uni (no 30054/96) et Shanaghan c. Royaume-Uni (no 37715/97).
7.  Des observations ont été reçues le 23 mars 2000 de la commission des droits de l'homme d'Irlande du Nord, que le président avait autorisée à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 61 § 3 du règlement).
8.  Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 4 avril 2000.
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement  MM. C. Whomersley, ministère des Affaires étrangères    et du Commonwealth, agent,   R. Weatherup QC,   P. Sales,    J. Eadie,   N. Lavender, conseils,   O. Paulin,  Mmes S. McClelland,   K. Pearson,  M. D. McIlroy,  Mmes S. Broderick,   L. McAlpine,   J. Donnelly,  M. T. Taylor, conseillers ;
–  pour le requérant  M. S. Treacy QC,  Mmes K. Quinliven, conseils,   P. Coyle, solicitor.
La Cour a entendu en leurs déclarations MM. Treacy et Weatherup.
9.  Par une décision du 4 avril 2000, la chambre a déclaré la requête recevable [Note du greffe : la décision de la Cour est disponible au greffe.].
10.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A.  Les circonstances du décès de Gervaise McKerr
11.  Le 11 novembre 1982, Gervaise McKerr circulait au volant d'une Ford Escort verte, immatriculée UPF 775. Il transportait deux passagers : Eugene Toman et Sean Burns. Aucun des trois hommes n'était armé. Sur la Tullygally Road (est de la ville de Lurgan), des policiers appartenant à une unité mobile de soutien spécialement entraînée de la Police royale de l'Ulster (Royal Ulster Constabulary – « la RUC ») tirèrent au moins cent neuf balles sur la voiture. Les trois hommes furent tués.
12.  Les circonstances dans lesquelles Gervaise McKerr a trouvé la mort sont toujours controversées malgré plus de dix ans d'enquête judiciaire, trois procédures pénales et d'autres actions judiciaires connexes.
Concernant la procédure pénale et les enquêtes menées par la police
13.  Le 11 novembre 1982, le commandant Whirter prit des dispositions afin que le lieu de la fusillade demeure intact. Un médecin se rendit sur place et procéda à un examen préliminaire des corps. Le 12 novembre 1982, un expert du Laboratoire de science médicolégale d'Irlande du Nord inspecta minutieusement les lieux, et le professeur Marshall effectua un examen post mortem des corps. Les lieux et les cadavres furent photographiés et des cartes de la zone furent dressées. Le même jour, le policier chargé d'enquêter sur place prit possession des carabines des policiers, ainsi que d'une mitraillette et d'un pistolet. Environ quatre-vingt-quatre cartouches utilisées sur les lieux furent récupérées (vingt-cinq restant introuvables). La police enquêta de porte en porte dans le voisinage ; parallèlement, un appel lancé dans la presse invita tout témoin à se manifester et une réunion fut organisée avec un conseiller municipal.
14.  Le 15 novembre 1982, dans le cadre de l'enquête, l'inspecteur divisionnaire Scott interrogea trois policiers de la RUC appartenant à l'unité mobile de soutien composée de cinq membres. Le brigadier-chef M., le brigadier B. et le brigadier R. firent des dépositions écrites dans lesquelles ils exposaient les faits mais n'indiquaient pas que les défunts avaient été surveillés par des membres de la section spéciale et avaient été soupçonnés de projeter un assassinat. L'adjoint du chef de la section spéciale leur avait donné pour instruction de ne pas dire qu'ils étaient membres de ladite section et qu'ils avaient agi après avoir eu des renseignements. Il fut par la suite allégué qu'il s'agissait d'empêcher que le public apprenne l'existence d'informations en amont et que cela gêne les efforts déployés dans la lutte contre le terrorisme.
15.  Le 18 janvier 1983, les trois policiers M., B. et R. furent à nouveau interrogés sur la base des éléments médicolégaux disponibles. Des procès-verbaux furent dressés.
16.  Les résultats de l'enquête menée par la RUC furent transmis au Director of Public Prosecutions (« le DPP ») afin qu'il détermine s'il fallait engager des poursuites. Le DPP réclama un complément d'enquête. Les 19 et 20 juillet 1983, les trois policiers furent interrogés ; ils déclarèrent avoir été informés que les trois personnes décédées avaient fait l'objet d'une surveillance et avaient été soupçonnées de projeter un assassinat.
17.  Peu après, le DPP décida qu'il y avait lieu d'inculper les trois policiers en question (« les trois accusés »). L'acte d'accusation fut établi le 8 mars 1984 ; sa version modifiée du 29 mai 1984 mettait en cause B. pour le meurtre d'Eugene Toman, et M. et R. pour s'être rendus complices de B. en lui fournissant conseils, aide et assistance.
18.  Le procès des trois accusés se déroula à Belfast du 29 mai au 5 juin 1984 devant Lord Justice Gibson, qui siégeait sans jury. Vingt-sept témoins comparurent et les déclarations de onze autres témoins furent lues à l'audience. Plus de soixante-quinze pièces à conviction furent présentées.
19.  A l'issue des réquisitions du procureur, Lord Justice Gibson estima que les éléments à charge n'établissaient pas la culpabilité des trois accusés et, concluant qu'il n'y avait pas matière à condamnation, les acquitta. Dans ses motifs, il indiqua :
« Les accusés avaient reçu pour mission d'arrêter Toman et Burns, qui étaient soupçonnés d'avoir commis des actes terroristes, y compris des homicides, et de les empêcher de perpétrer un nouvel assassinat dont les services de police avaient des raisons de penser qu'il se préparait.
Chacun des accusés reçut de ses supérieurs des instructions en ce sens et fut informé que les suspects seraient probablement armés et qu'ils étaient tous deux des terroristes déterminés et dangereux ayant fait savoir qu'on ne les prendrait pas vivants. Toutes les personnes concernées devaient donc savoir qu'il faudrait probablement faire usage d'armes à feu pour effectuer leur arrestation.
On jugera du degré de dangerosité qui fut attribué à l'opération à travers le fait que les trois accusés se virent confier une mitraillette, deux carabines Ruger, trois pistolets semi-automatiques et un total de près de deux cents cartouches.
Les défunts étaient sous surveillance ; d'après certaines informations, ils partirent à bord d'une voiture conduite par McKerr avec l'intention de mener à bien leur projet d'assassinat. La police mit alors en place un barrage routier afin de les stopper et de les arrêter.
Ils défoncèrent le barrage à grande vitesse, mettant ainsi en danger la vie d'un policier. Les accusés, qui étaient dans un véhicule non loin de là, les prirent immédiatement en chasse. Des coups de feu furent tirés sur la voiture en fuite.
A ce stade, j'ai dû apprécier les preuves avec circonspection afin d'écarter tout élément subjectif dans les déclarations des accusés.
C'était une nuit de novembre sombre et humide, et le rapport d'expertise a établi que, dans de telles conditions, des balles atteignant la vitre arrière et d'autres parties métalliques de l'arrière de la voiture émettent des flashes pouvant facilement être pris pour des éclairs sortant du canon d'une arme avec laquelle on tire depuis l'arrière de la voiture, surtout si la vitre arrière a été brisée.
(...) Nul doute à mes yeux qu'il était raisonnable de conclure que l'on faisait feu sur les accusés. En fait, aucun des fuyards n'avait d'arme à feu, mais les accusés ouvrirent tous le feu depuis leur voiture alors qu'ils circulaient à grande vitesse sur la Tullygally East Road (...)
Je suis certain qu'à ce stade chacun des accusés agissait légalement en tirant sur les trois hommes, car c'était le seul moyen d'effectuer leur arrestation ou au besoin de les tuer pour mettre fin à leur fuite et les empêcher de commettre un assassinat.
En dehors de toute idée de légitime défense qui a peut-être surgi en raison de ce qui ressemblait à des flashes d'armes à feu provenant de la voiture, celle-ci, conduite par McKerr, circulait à une vitesse élevée. Le véhicule négocia mal un virage à droite vers une bretelle d'accès et s'immobilisa à environ douze à quinze mètres de la bretelle, au-delà de l'accotement gauche, en haut d'une pente ayant un dénivelé d'environ un mètre vingt. Le véhicule dans lequel se trouvaient les accusés s'arrêta de l'autre côté de la route, et tous trois en descendirent à la hâte.
Si l'on fait abstraction des déclarations des accusés et si l'on s'appuie uniquement sur d'autres éléments de preuve présentés par le parquet, il apparaît clairement que la portière du côté passager (...) s'ouvrit. Le passager à l'avant de la voiture était Toman et sur la banquette arrière se trouvait Burns.
Les éléments présentés par [l'expert], que j'admets, sont les suivants : d'après ses expériences, l'ouverture de la portière du côté passager depuis l'intérieur produisait deux bruits métalliques distincts, le premier ressemblant au bruit du mouvement avant d'une glissière d'arme à feu, le second faisant penser au mouvement arrière d'une glissière. Ces bruits ont été entendus par lui distinctement à une distance de six mètres.
La thèse du parquet est qu'après l'ouverture de la portière (...) certains des accusés ou tous les accusés atteignirent Toman dans le dos alors qu'il sortait de la voiture, le tuant sur le coup. (...) [L]e côté passager du véhicule se serait trouvé dans l'ombre. Peu importe à mes yeux qu'en entendant le bruit de la portière qui s'ouvrait, les accusés en aient déduit que la portière s'ouvrait ou qu'ils aient pensé que l'un des passagers s'apprêtait à tirer sur eux.
Dans les deux cas de figure, les tirs ne visaient pas à tuer. En tout état de cause, le bruit signifiait que l'un des occupants du véhicule au moins était en train de mettre pied à terre. Si le bruit était pris comme indiquant que le passager avant s'apprêtait à sortir de la voiture, cela ne pouvait être interprété que comme une tentative visant à descendre la colline pour s'enfuir à travers la campagne ou à prendre position derrière la voiture pour ouvrir le feu. Si par contre le bruit était pris comme étant dû à la glissière d'une arme, cela indiquait de manière certaine qu'un homme armé s'apprêtait à ouvrir le feu, auquel cas une riposte immédiate s'imposait.
D'après ce qu'ont vu et cru les accusés, le véhicule comptait à son bord trois hommes, dont au moins deux criminels armés, qui non seulement n'avaient donné aucun signe de soumission mais semblaient de plus prêts à se lancer dans un règlement de compte ou du moins à s'enfuir dans la nuit. Dans ces conditions, ouvrir le feu était à mon sens le moyen le plus évident, le seul moyen pour eux de se défendre et la seule mesure compatible avec leur mission. A part la fuite, c'était la seule option raisonnable qui s'offrait à eux.
C'était à mon sens faire usage d'une force raisonnable – vu les circonstances telles qu'ils les ont appréciées, et notamment le danger mortel – pour effectuer l'arrestation, en tuant si nécessaire, et pour empêcher la commission de l'assassinat projeté.
Les coups de feu qu'ils ont tirés sur le véhicule étaient donc totalement légitimes au sens de l'article 3 de la loi de 1967 sur le droit pénal en Irlande du Nord, et constituaient un recours à la force proportionné à l'objectif qui était d'assurer leur propre protection. (...)
A mon sens, ils n'ont pas eu le temps d'étudier les possibilités. Il fallait absolument et très vite écarter le danger, faute de quoi les conséquences risquaient de leur être fatales.
D'après ma lecture des documents et mon appréciation des éléments de preuve, le parquet ne pouvait en aucun cas espérer une condamnation. (...) »
20.  Le juge conclut par les commentaires suivants :
« Je ne parlerai pas des inévitables problèmes et soucis des accusés ou du danger supplémentaire qui les guette à présent que leur identité et leur visage ont été dévoilés au public à l'occasion de ce procès. Je pense aux répercussions très importantes que cela va avoir parmi d'autres membres de la police, voire au sein des forces armées en général, lorsqu'un policier ou un soldat recevra l'ordre d'arrêter un dangereux criminel et (...) de le ramener. Comment va-t-il envisager la conduite à tenir ?
Espérons que nul ne pensera à présent « Vais-je risquer ma vie pour exécuter cet ordre, sachant que si je survis, j'en tirerai pour toute récompense un autre risque, celui de passer ma vie en prison comme un meurtrier ». Il faut espérer qu'ils accepteront le premier risque comme faisant partie intégrante de leurs fonctions ; mais ne sont-ils pas en droit d'espérer que, s'ils l'acceptent, ils seront protégés par la loi, sauf s'il s'avère qu'ils ont outrepassé les limites du droit pénal dans un aveuglement total.
Concernant les trois individus qui ont malheureusement perdu la vie, ils sont morts non pas parce qu'ils ont été victimes d'homicides, mais parce que, sachant que deux d'entre eux étaient recherchés par la police pour de multiples meurtres et bien d'autres crimes, ils ont décidé de ne pas s'arrêter lorsqu'ils ont vu la police et de risquer le tout pour le tout en tentant de fuir. Ils ont fait un pari ; ils l'ont perdu.
Permettez-moi de vous livrer une dernière observation. (...) Je tiens à préciser qu'ayant entendu l'intégralité de la thèse du parquet en audience publique, je considère chacun des accusés comme absolument irréprochable dans cette affaire.
J'estime que, dans un souci d'équité envers eux, cette conclusion devrait également être consignée, de même que mon éloge de leur courage et de leur volonté de traduire en justice les trois défunts, en l'occurrence pour leur jugement dernier. »
Peu après avoir rendu sa décision, Lord Justice Gibson fit une déclaration en audience publique :
« Compte tenu du large écho qu'ont reçu certaines parties de mon arrêt et des commentaires auxquels il a donné lieu dans la presse et ailleurs, j'ai estimé qu'il était souhaitable de préciser mon opinion sur deux points.
Tout d'abord, je tiens à souligner que mes commentaires portaient sur les circonstances particulières de l'espèce et ne doivent pas être isolés de leur contexte. Avec la plus grande énergie, je rejette toute idée selon laquelle j'approuverais ou la loi admettrait ce qui a été décrit comme une politique suivie par la police et consistant à tirer pour tuer.
Pas plus que les autres membres de la société, les policiers n'ont le droit, quelle que soit la situation, de recourir à une force excédant ce qui apparaît raisonnablement nécessaire compte tenu de l'ensemble des circonstances perçues par eux.
(...) Je suis conscient que, dans certaines sphères, certains de mes propos ont été interprétés comme signifiant que j'estimais que les policiers pourraient être considérés comme ayant le droit de rendre une justice sommaire en faisant parler les armes.
Je ne pense pas qu'une analyse objective de mes propos puisse donner lieu à pareille interprétation. En effet, aucune idée n'était plus loin de moi et ni moi ni aucun autre juge ne penserait pendant une seule seconde qu'une telle opinion fût défendable. »
B.  Concernant l'enquête Stalker/Sampson
21.  En novembre et en décembre 1982, à Armagh, la RUC fut impliquée dans deux nouvelles fusillades aux conséquences funestes : le 24 novembre, Michael Tighe fut tué et Martin McAuley grièvement blessé ; puis, le 12 décembre, Seamus Grew et Roddy Carroll furent tués. Aucune de ces personnes n'était armée.
22.  Le 11 avril 1984, le DPP fit usage des attributions que lui conférait l'article 6 § 3 de l'ordonnance de 1972 sur la répression des infractions en Irlande du Nord pour prier l'inspecteur général de la RUC de poursuivre les enquêtes sur les trois affaires. Selon le Gouvernement, le DPP a procédé de la sorte parce qu'il apparaissait dans certains témoignages que des faits concrets et importants avaient été omis, alors que certains éléments inexacts et trompeurs concernant des points concrets et importants avaient été inclus. Par ailleurs, il demanda à obtenir des informations complètes sur les circonstances dans lesquelles tel ou tel policier de la RUC avait fourni des indications fausses et trompeuses et à pouvoir rechercher s'il existait des éléments suggérant que quiconque se fût rendu coupable d'entrave au fonctionnement de la justice ou de toute autre infraction en rapport avec l'enquête sur les trois fusillades.
23.  Le 24 mai 1984, John Stalker, alors contrôleur général de la police du Grand Manchester, fut désigné par l'inspecteur général de la RUC pour enquêter sur les circonstances dans lesquelles certains membres de la RUC avaient fourni des indications fausses ou trompeuses ou de prétendues preuves, et pour examiner la conduite de certains membres de la RUC en rapport avec les enquêtes sur les fusillades.
24.  En octobre 1984, trois mois après l'acquittement des intéressés, ceux-ci furent interrogés par l'équipe Stalker, qui comprenait le commissaire principal Thorburn. Les dépositions furent consignées par écrit. Par ailleurs, B. fit une déposition écrite. D'après son livre John Stalker (paragraphe 31 ci-dessous), M. Stalker écrivit le 26 juin 1985 à l'inspecteur général de la RUC, Sir John Hermon, pour porter à sa connaissance de nouveaux éléments indiquant que des homicides illégaux avaient été perpétrés par des officiers de la RUC. Le 18 septembre 1985, M. Stalker adressa son rapport préliminaire à la RUC [Note : D'après le rapport de la RUC sur le livre de Stalker (voir paragraphe 33), ce rapport comptait 3 609 pages réparties en 20 volumes distincts, dont un album contenant des cartes et des photographies.] et, le 15 février 1986, Sir John Hermon le transmit au DPP pour l'Irlande du Nord. Le 4 mars 1986, le DPP pria Sir John Hermon de remettre à M. Stalker certains dossiers de la section spéciale, dont la communication avait été refusée pour des motifs de sécurité nationale. Les documents en question furent remis à M. Stalker le 30 avril 1986 ou aux alentours de cette date.
25.  Le 29 mai 1986, l'enquête fut retirée à M. Stalker, qui fut remplacé par Colin Sampson, inspecteur général de la police du West Yorkshire ; ce dernier fut également prié d'enquêter sur des allégations mettant en cause la conduite de M. Stalker dans des affaires étrangères à l'espèce.
26.  Le 6 août 1986, M. Sampson acheva son enquête sur M. Stalker, qui fut réintégré par la commission de la police le 22 août 1986. Toutefois, ce dernier ne reprit pas l'enquête.
27.  Le 26 novembre 1986, John Thorburn, qui avait assisté M. Stalker dans le cadre de l'enquête, quitta la police ; le 13 mars 1987, M. Stalker démissionna à son tour.
28.  Le 22 octobre 1986, puis le 23 mars 1997 et le 10 avril 1997, M. Sampson remit son rapport à Sir John Hermon et au DPP en trois parties distinctes.
29.  Le 25 janvier 1988, Sir Patrick Mayhew, qui était alors Attorney-General, fit devant le parlement une déclaration dans laquelle il tint notamment les propos suivants :
« Concernant les fusillades (...) le [DPP] a examiné l'ensemble des faits et des informations vérifiés et rapportés par MM. Stalker et Sampson, et a réexaminé les dossiers d'enquête originaux de la RUC. Il a conclu que les éléments de preuve ne justifiaient pas de nouvelles poursuites à raison des fusillades des 11 novembre et 12 décembre 1982, qui avaient déjà donné lieu à des actions pénales. (...)
Le [DPP] a toutefois conclu que d'après certains éléments, il y avait eu entrave au fonctionnement de la justice, tentative d'entrave ou complicité dans une telle entrave, ou que des obstacles avaient été mis à l'exécution par un brigadier de ses fonctions, et que ces éléments étaient suffisants pour que l'on recherche si des poursuites étaient nécessaires dans l'intérêt général ; c'est pourquoi il m'a consulté.
J'ai donc pris connaissance de l'ensemble des circonstances pertinentes, y compris de certaines questions touchant à l'intérêt général, et en particulier de considérations relatives à la sécurité nationale qui pouvaient peser sur la décision d'engager ou non des poursuites.
J'ai informé de manière exhaustive le DPP au sujet de mes consultations relatives à l'intérêt général et, compte tenu de l'ensemble des faits et des informations portés à sa connaissance, le [DPP] a conclu – et je l'approuve sans réserve – qu'il n'était pas opportun d'engager une action pénale. Il a donné des consignes en ce sens. »
30.  D'après le Gouvernement, huit policiers ont fait l'objet d'actions disciplinaires et ont reçu des avertissements et des conseils quant à la conduite à tenir à l'avenir.
31.  Dans le livre John Stalker publié par M. Stalker en 1988, celui-ci décrivait comme suit ses investigations sur les trois fusillades :
(Concernant la fusillade dans laquelle MM. McKerr, Toman et Burns ont trouvé la mort)
« L'enquête Stalker a permis de découvrir que les trois victimes de la fusillade étaient surveillées depuis de longues heures par la police, qui projetait de les intercepter ailleurs qu'à l'endroit de la fusillade. Rien n'a vraiment été tenté pour attirer l'attention du conducteur et aucun policier n'a été heurté par la voiture. Immédiatement après les faits, les policiers ont quitté les lieux avec leurs armes et sont retournés à leur base pour un debriefing avec de hauts gradés de la section spéciale. Pendant plusieurs jours, la police judiciaire [Criminal Investigation Department] s'est vu refuser l'autorisation de voir les policiers impliqués, ainsi que leur voiture, leurs vêtements et leurs armes pour un examen de police scientifique. La nuit des faits, des membres de la police judiciaire ont reçu des informations incorrectes sur le lieu où la fusillade avait débuté et une partie des examens ont été effectués au mauvais endroit. De nombreuses douilles de cartouches tirées n'ont jamais été retrouvées. »
« Nous pensions (...) que l'un des policiers au moins s'était trouvé dans une position totalement différente de celle dans laquelle il avait déclaré être au moment où certains coups de feu meurtriers furent tirés. J'ai également pu établir que la prise en chasse par la police s'était déroulée autrement que ce qui avait été décrit. Mais le plus accablant est que près de vingt et un mois après la fusillade, nous avons retrouvé, toujours enchâssés dans le véhicule, des fragments de la balle qui a indubitablement tué le conducteur. Cet élément crucial n'avait été découvert ni par la RUC ni par le service scientifique de la police (...) Au sujet des douilles manquantes, je parvins à la conclusion que pas moins de vingt d'entre elles avaient été délibérément retirées des lieux. Je ne pouvais que supposer que tout cela visait à induire en erreur les experts de la police scientifique et à dissimuler la nature et la portée véritables de la fusillade. »
« Il m'a bien fallu considérer que dans cette affaire, l'enquête avait été négligée et était à certains égards affligeante. Il n'y avait que deux conclusions possibles : soit certains détectives de la RUC étaient des amateurs et des incompétents, même pour les tâches routinières les plus basiques de l'enquête judiciaire ; soit leur négligence avait été délibérée. »
(Concernant l'ensemble des trois affaires)
« Bien que six décès fussent intervenus en l'espace de cinq semaines (...) et eussent à chaque fois impliqué des policiers de la même brigade spéciale, aucune enquête coordonnée n'a jamais été entreprise. Il semblait que les enquêteurs ne se fussent jamais parlé. Pire encore, malgré d'évidentes implications politiques et publiques, aucun haut responsable n'a jugé utile de joindre les rapports. »
« Eu égard à la nature des décès, l'on s'attendait à une enquête extrêmement professionnelle ; or celle-ci n'a pas eu lieu et cela est déplorable. Les dossiers n'étaient guère plus qu'une collection de déclarations, apparemment préparées pour une enquête judiciaire menée par un coroner. Ils ne ressemblaient nullement à l'idée que je me faisais d'un dossier établi en vue d'une procédure pour meurtre. Même en parcourant rapidement les pièces, on comprenait aisément pourquoi les poursuites avaient échoué. »
32.  D'après le Times du 9 février 1988, M. Stalker aurait également déclaré :
« Je n'ai jamais rien trouvé qui atteste l'existence d'une véritable politique consistant à tirer pour tuer. Il n'y avait aucune instruction écrite, aucun papier épinglé au tableau d'affichage. Mais les hommes dont le travail consistait à appuyer sur la gâchette percevaient clairement que c'était là ce que l'on attendait d'eux. »
33.  En 1990, la RUC publia une réponse au livre de M. Stalker. En introduction, la RUC indiquait que l'ouvrage en question contenait de nombreuses inexactitudes et déformations et qu'il donnait une impression trompeuse. L'objet du document était de mettre en évidence un certain nombre d'assertions qui dénaturaient les faits. Il y était affirmé que M. Stalker avait tort de prétendre que les trois enquêtes avaient été menées sous les ordres de policiers différents, puisqu'un seul et même commissaire avait été chargé de deux d'entre elles ; que les dossiers d'enquête avaient été présentés au DPP sous une forme approuvée par lui ; qu'une déclaration de la police datée du 13 novembre 1982 avait déjà établi qu'aucun policier n'avait été heurté par la voiture conduite par Gervaise McKerr ; qu'il avait été jugé souhaitable, pour la sécurité des trois policiers, qu'ils quittassent les lieux immédiatement ; que leurs armes avaient été saisies sans tarder par les policiers chargés d'enquêter sur place ; que les enquêteurs n'avaient reçu aucune information incorrecte quant au lieu de la fusillade, mais que des policiers en tenue avaient par erreur placé le ruban sur la bifurcation, puis l'avaient peu après remis au bon endroit. Selon la RUC, toutes les douilles n'avaient certes pas été retrouvées, mais les pluies torrentielles qui étaient tombées à l'époque des faits les avaient peut-être emportées dans les fossés ; la zone avait du reste été passée au détecteur de métaux pendant deux jours.
Par ailleurs, il était reproché à M. Stalker d'avoir outrepassé ses fonctions en rouvrant l'enquête sur les fusillades ainsi que sur une attaque terroriste survenue le 27 octobre 1982, au cours de laquelle trois policiers avaient été tués ; de plus, son rapport, tel qu'il l'avait présenté, n'avait ni la clarté ni la précision qui vont normalement de pair avec les enquêtes judiciaires.
34.  Le Gouvernement a en outre fait observer que, le 23 juin 1992, M. Thorburn, lors de l'abandon de son action en diffamation contre l'inspecteur général de la RUC, fit une déclaration dont il profita pour affirmer publiquement sa conviction que la RUC n'avait en 1982 suivi aucune politique consistant à tirer pour tuer et que l'inspecteur général de la RUC n'avait ni autorisé ni couvert la commission par ses hommes d'homicides volontaires ou par imprudence. D'autres membres de l'équipe Stalker/Sampson ont par ailleurs déclaré en juin 1990 que « les policiers du Grand Manchester tiennent à souligner que l'enquête Stalker/Sampson n'a pas permis d'établir l'existence d'une « politique consistant à tirer pour tuer ».
C.  Concernant l'enquête judiciaire
35.  Le 4 juin 1984, à l'issue de la procédure pénale, une enquête judiciaire sur les décès fut ouverte par le coroner d'Armagh, M. Curran. Le 22 août 1984 ou aux alentours de cette date, celui-ci démissionna. Selon le requérant, cette démission serait due à la découverte d'anomalies concernant les décès dans les dossiers de la RUC. L'audience dans le cadre de l'enquête judiciaire devait avoir lieu en septembre 1984 devant M. Elliott, mais fut reportée à la demande des représentants en justice de Mme Creaney. Le coroner attendit alors que l'enquête Stalker/Sampson soit terminée avant de programmer la réouverture de l'enquête judiciaire au 14 novembre 1988.
36.  Le coroner reçut l'ensemble des dépositions, des éléments médicolégaux, des cartes et des photographies obtenues durant l'enquête de la RUC et les investigations de Stalker et de Sampson. Certaines dépositions furent expurgées dans l'intérêt général pour des raisons touchant à la sécurité nationale.
37.  Le 27 octobre 1988, le coroner tint une réunion préliminaire, à laquelle assistèrent les représentants en justice des parties intéressées, dont les proches des défunts, auxquels il fit part de son intention d'admettre comme élément de preuve la déposition écrite du brigadier-chef M. et des policiers B. et R.
38.  Le 9 novembre 1988, Tom King, alors ministre pour l'Irlande du Nord, délivra un certificat d'immunité au nom de l'intérêt général (Public Interest Immunity Certificate – ci-après « certificat PII ») ; d'après le requérant, cette mesure a empêché la divulgation de très nombreuses informations qui auraient autrement été disponibles pour l'enquête judiciaire devant s'ouvrir cinq jours plus tard. Le certificat concernait toute information et tout document tendant à révéler, notamment :
–  des détails sur les moyens de la RUC en matière de contre-terrorisme, y compris les modes opératoires, les formations spéciales et les équipements ;
–  des détails sur les renseignements ayant donné à penser qu'il y avait un complot en vue d'assassiner un membre des forces de sécurité en dehors de son service et sur les moyens par lesquels ces renseignements avaient été obtenus ;
–  certains détails sur la surveillance mise en place par la RUC dans le cadre des opérations au cours desquelles McKerr, Toman et Burns ont été tués.
39.  L'enquête judiciaire fut rouverte le 14 novembre 1988. Le coroner admit des dépositions hors serment faites par les trois policiers M., B. et R., qui avaient refusé de venir témoigner dans le cadre de l'enquête.
40.  Le 17 novembre 1988, un report fut accordé au solicitor de Mme Creaney, qui demanda un contrôle juridictionnel pour contester l'admissibilité des déclarations faites sans serment. Sa demande fut rejetée le 22 novembre 1988 par le juge Carswell. Le 20 décembre 1988, la Cour d'appel décida que le code de conduite et de procédure des coroners (donnant à ceux-ci la liberté d'admettre ou non les déclarations) était entaché d'illégalité puisque M., B. et R. pouvaient être contraints à témoigner. Le 19 avril 1989, le parquet fut autorisé à saisir la Chambre des lords. Le 8 mars 1990, celle-ci infirma l'arrêt de la Cour d'appel, estimant que le code susmentionné n'était pas entaché d'illégalité puisque M., B. et R. ne pouvaient être obligés à comparaître lors de l'enquête judiciaire.
41.  L'enquête judiciaire, qui devait reprendre le 23 avril 1990, fut à nouveau reportée, Mme Creaney ayant engagé une nouvelle action pour contester l'admissibilité des déclarations faites par les trois policiers. Le juge Carswell, le 11 mai 1990, puis la Cour d'appel, le 27 juin 1990, rejetèrent la demande, estimant qu'elle ne soulevait aucun problème nouveau.
42.  Le 20 juillet 1990, les représentants en justice de Mme Creaney écrivirent au coroner pour lui demander de ne pas reprendre l'enquête judiciaire tant qu'il n'aurait pas été statué sur un appel dans une procédure de contrôle juridictionnel relative à une enquête de coroner sur le décès de trois autres personnes (affaire Devine, dans laquelle les familles des défunts contestaient que le coroner pût admettre des dépositions écrites faites par les soldats qui avaient abattu les victimes). La demande des avocats de Mme Creaney fut accueillie. Dans l'affaire Devine, la Cour d'appel statua le 6 décembre 1990 et la Chambre des lords le 6 février 1992, confirmant le pouvoir des coroners d'admettre des dépositions écrites.
43.  Le 5 mai 1992, une seconde enquête judiciaire débuta sous la responsabilité du coroner John Leckey, qui s'adressa au jury en ces termes :
« L'objet d'une enquête judiciaire est de déterminer de manière publique l'ensemble des faits et des circonstances ayant entouré une mort non naturelle. Une enquête est donc généralement inutile lorsque ces éléments ont déjà fait l'objet d'une enquête et ont déjà été rendus publics devant une juridiction pénale à l'occasion de poursuites pour homicide. Vous vous souvenez peut-être qu'en 1984 trois policiers furent poursuivis puis acquittés pour le meurtre de l'un des défunts, Eugene Toman. Leur procès donna lieu à un examen des faits liés aux trois décès, et s'il n'y avait pas eu un autre aspect à examiner, j'aurais décidé qu'une enquête judiciaire était inutile. L'aspect en question, qui rend les investigations sur ces décès totalement exceptionnelles, est une enquête menée postérieurement par la police du Grand Manchester : l'« enquête Stalker ». Les témoignages recueillis dans ce cadre ont été mis à ma disposition et le public a un véritable intérêt à savoir si d'autres éléments ont été découverts. C'est pour cette raison, et pour cette raison uniquement, que je procède à une enquête judiciaire. »
44.  L'enquête se poursuivit jusqu'au 29 mai 1992, en public, devant un jury, et donna lieu, en l'espace de treize jours, à l'audition d'environ dix-neuf témoins. Mme Creaney était représentée par un avocat, qui procéda à l'audition contradictoire des témoins et présenta une argumentation juridique complète. La RUC était elle aussi représentée.
45.  Le 28 mai 1992, un témoin, le policier D., déclara qu'avant de venir témoigner devant le coroner il avait relu la déposition qu'il avait faite devant la RUC le 13 novembre 1982. Le conseil de Mme Creaney demanda à voir cette déposition, mais le coroner rejeta sa requête, arguant que le témoin ne l'avait pas sur lui et que cette pièce était la propriété de la RUC. Le 29 mai 1992, l'enquête judiciaire fut ajournée à la demande du requérant. A la même date, le solicitor de Mme Creaney pria la High Court de l'autoriser à demander un contrôle juridictionnel, notamment sur la décision du coroner de refuser l'accès à la déposition du témoin D. L'autorisation fut d'abord refusée le 2 juin 1992, puis finalement accordée le 8 juillet 1992 par la Cour d'appel.
46.  Le 21 décembre 1992, le juge Nicholson décida que Mme Creaney n'avait pas le droit de consulter la déposition et refusa de l'autoriser à disposer de la liste des jurés, mais recommanda fermement que les noms de ceux-ci soient lus en audience publique lorsque l'enquête judiciaire reprendrait son cours. Le 28 mai 1993, la Cour d'appel infirma la décision sur le premier point et déclara que le conseil avait le droit de consulter la déposition du 13 novembre 1982 et que le coroner pouvait ordonner à la RUC de présenter le document et, si celle-ci n'obtempérait pas, de prendre une injonction de produire.
47.  Le 2 novembre 1992, le coroner écrivit à M. McIvor, commissaire principal de la RUC, pour lui rappeler qu'avant l'ajournement de l'enquête judiciaire il avait exprimé l'avis que quatre témoins appartenant à la police du Grand Manchester (dont John Thorburn, adjoint de M. Stalker dans le cadre de l'enquête) devaient pouvoir consulter des documents relatifs à leurs investigations au sein de l'équipe d'enquêteurs. M. McIvor répondit qu'aucun des policiers mentionnés n'avait demandé à consulter les documents et qu'il supposait par conséquent que les intéressés avaient pu se renseigner par eux-mêmes à l'aide des pièces qui étaient en leur possession.
48.  Le 16 novembre 1992, M. Thorburn écrivit à l'inspecteur général de la police du Grand Manchester pour demander à consulter le dossier des dépositions et le rapport d'expertise concernant les homicides survenus le 11 novembre 1982 sur la Tullygally Road. Par une lettre en date du 25 janvier 1993, le coroner fut informé que l'inspecteur général de la RUC avait recommandé à la police du Grand Manchester de ne pas autoriser M. Thorburn à consulter les documents requis. Il fut également indiqué au coroner que les pièces en question faisaient partie de l'enquête et étaient donc la propriété de la RUC, à laquelle toute demande devait en conséquence être adressée à l'avenir.
49.  A la suite d'une réunion tenue le 9 septembre 1993 avec les représentants des parties intéressées, dont Mme Creaney, le coroner adressa à l'inspecteur général de la RUC une convocation le priant de comparaître muni des rapports sur les enquêtes Stalker/Sampson.
50.  Le 21 décembre 1993, le conseiller juridique de la RUC indiqua par lettre au coroner que la police du Grand Manchester l'avait informé qu'elle ne possédait pas d'autres documents que ceux que la RUC détenait déjà et que – sauf les rapports Stalker et Sampson – le coroner avait déjà entre les mains. Le conseiller juridique signalait également que les documents en question étaient susceptibles d'être couverts par une immunité d'intérêt public. Dans une lettre du 4 janvier 1994, le coroner évoqua une conversation qu'il avait eue le 21 décembre 1993 avec le conseiller juridique de la RUC ; il souhaitait consigner formellement le fait qu'il était surpris d'apprendre que les documents en possession de la police du Grand Manchester avaient été détruits. Le 12 janvier 1994, le conseiller juridique rétorqua qu'il n'avait jamais dit que les documents avaient été détruits. Le 13 janvier 1994, le coroner pria le conseiller juridique de lui confirmer que l'ensemble des documents mentionnés dans l'annexe à l'injonction de produire existaient bel et bien et de préciser où ils se trouvaient.
51.  Par une lettre datée du 17 février 1994, le conseiller juridique de la RUC informa le coroner que, contrairement aux informations qui lui avaient été données précédemment, un certain nombre de classeurs contenant des documents liés à l'enquête se trouvaient dans les locaux de la police du Grand Manchester. Ces classeurs avaient été transmis à la RUC et étaient à son avis couverts par le certificat PII.
52.  Dans l'intervalle, le 31 janvier 1994, il fut décidé de clore l'enquête judiciaire et de congédier les jurés. L'enquête judiciaire fut rouverte le 22 mars 1994. Le coroner adressa aux solicitors de Mme Creaney la lettre suivante en date du 21 février 1994 :
« Objet : enquête judiciaire sur les décès de
1)  James Gervaise McKerr, Eugene Toman et John Frederick Burns
(...) Chacun de ces décès a donné lieu à une procédure pénale et, en principe, lorsque tel est le cas, une enquête judiciaire est inutile, l'ensemble des faits ayant normalement été examiné de façon complète en audience publique.
Toutefois, comme vous le savez, les circonstances ayant entouré lesdits décès ont fait l'objet d'investigations menées par (...) M. John Stalker (...) et M. Colin Sampson (...) entre mai 1984 et avril 1987. Par la suite, leurs rapports ont été soumis à l'inspecteur général de la Royal Ulster Constabulary. A mon sens, le public a un intérêt légitime à savoir si d'autres éléments ont été découverts, pour autant que ceux-ci relèvent effectivement du champ de l'enquête judiciaire. S'il n'y avait cet aspect particulier des investigations sur les décès, je ne procéderais pas à une enquête judiciaire mais j'enregistrerais simplement les décès.
L'objet de l'ouverture formelle de cette enquête est de déterminer s'il me sera possible d'atteindre mon but. L'un des témoins que j'ai à présent l'intention de convoquer est l'ancien commissaire principal John Thorburn (...) qui a joué un rôle de premier plan dans (...) les investigations. Il ne sera en mesure de fournir un témoignage pertinent que s'il peut consulter, avant l'enquête judiciaire, certains documents de travail et autres pièces qui sont actuellement entre les mains de l'inspecteur général. Etant donné que sept ans se sont écoulés, il est important qu'il puisse se rafraîchir la mémoire en réexaminant soigneusement ces documents afin que son témoignage soit aussi précis que possible (...) »
53.  Le 24 février 1994, le coroner prit une nouvelle injonction dans laquelle il demandait à Sir Hugh Annesley, inspecteur général de la RUC, de comparaître dans le cadre de l'enquête judiciaire et de produire les pièces suivantes :
i.  la copie du rapport préliminaire de M. Stalker (y compris les dépositions, les pièces à conviction et le dossier d'expertise) ;
ii.  la copie des versions provisoire et définitive du rapport de M. Sampson (y compris les documents et dépositions) ;
iii.  la copie des versions provisoire et définitive du rapport de M. Stalker (y compris les dépositions, les pièces à conviction et le dossier d'expertise) ;
iv.  treize dossiers contenant des fiches d'action ;
v.  des disques informatiques ;
vi.  des photographies et des cartes ;
vii.  des coupures de presse, un dossier et des vidéos d'émissions télévisées ;
viii.  des notes d'interrogatoires des policiers de la RUC ;
ix.  des comptes rendus d'audience ;
x.  un livre contenant des notes manuscrites sur les procédures ;
xi.  trois index d'interrogatoires ;
xii.  des documents originaux de la RUC (référence Ballynerry Road) ;
xiii.  quinze dossiers portant les numéros B105, 119-129, 134, 137-146, 149 et 153 ;
xiv.  des documents de présentation.
54.  Le 20 avril 1994, l'inspecteur général de la RUC demanda l'annulation de l'injonction de produire pour les motifs suivants : il n'avait aucune connaissance personnelle des faits examinés dans le cadre de l'enquête judiciaire et ne devait donc pas être appelé à témoigner ; les documents visés par l'injonction ne devaient pas être divulgués dès lors qu'il s'agissait de documents que l'intérêt général commandait de ne pas publier et qui faisaient l'objet d'une requête d'immunité d'intérêt public ; dans ces conditions, l'injonction était oppressive, vexatoire et constitutive d'un abus de procédure.
55.  Le 4 mai 1994, le coroner fit une déclaration sous serment indiquant qu'il demandait à l'inspecteur général non pas de témoigner sur ses connaissances personnelles, mais de produire les rapports de MM. Stalker et Sampson, qui étaient en sa possession. Il indiqua que, s'il avait besoin de ces rapports, c'était uniquement pour permettre à l'ancien commissaire principal John Thorburn, lequel avait joué un rôle clé dans les investigations liées aux rapports et dans la rédaction même de ces documents, de rafraîchir sa mémoire afin que son témoignage dans le cadre de l'enquête judiciaire fût aussi précis que possible. Il observait par ailleurs :
« 8.  A mon sens, le public a un intérêt légitime à savoir si d'autres éléments touchant à la cause des décès en question ont été découverts grâce auxdites investigations, pour autant bien sûr que ces éléments relèvent effectivement du champ de l'enquête judiciaire.
9.  S'il n'y avait cet aspect particulier des investigations sur les décès (lesquelles sont à l'origine desdits rapports), je ne procéderais pas à une enquête judiciaire, mais j'enregistrerais simplement les décès.
10.  Si j'ai pris des injonctions de produire, c'est uniquement parce que la Royal Ulster Constabulary a refusé à M. Thorburn l'accès aux documents originaux des investigations.
11.  Dès lors, si les injonctions en cause sont annulées, avec pour conséquence que ces rapports ne sont pas disponibles aux fins de l'enquête judiciaire, je considérerai qu'il n'y a aucune utilité à poursuivre celle-ci, j'y mettrai un terme et enregistrerai les décès. »
56.  Le 5 mai 1994, Sir Patrick Mayhew (ministre pour l'Irlande du Nord) délivra un nouveau certificat PII en indiquant que la divulgation des rapports Stalker et Sampson causerait un préjudice grave à l'intérêt général et qu'il estimait être de son devoir d'établir le certificat afin de protéger cet intérêt, constitué en bref par les éléments suivants :
« a)  la nécessité de préserver l'efficacité opérationnelle des unités spéciales de la Royal Ulster Constabulary, ainsi que des forces armées et de la sûreté ;
b)  la nécessité de sauvegarder l'intégrité des opérations de renseignement ;
c)  la nécessité de protéger l'utilité future des personnels de la Royal Ulster Constabulary, des forces armées et de la sûreté ;
d)  la nécessité de protéger la vie et la sécurité des personnels de la Royal Ulster Constabulary, des forces armées et de la sûreté, ainsi que celles de leurs familles, et la vie et la sécurité des personnes qui ont fourni ou pourraient fournir des informations et des renseignements aux forces de sécurité, ainsi que celles de leurs familles. »
57.  Le ministre souligna tout d'abord la nécessité de protéger l'intégrité de l'enquête judiciaire et de la prise de décisions relatives aux poursuites et, ensuite, le besoin de préserver l'efficacité des efforts déployés par la couronne pour combattre le terrorisme et de protéger contre les attentats terroristes les personnes contribuant à ces efforts. S'agissant du travail des unités spéciales de la RUC, il releva que ces unités et leur personnel accomplissaient des tâches de sécurité, de renseignement et de surveillance. Pour être efficaces, les activités de l'ensemble de ces unités exigeaient le secret. Divulguer l'identité des membres des unités spéciales de la RUC, des forces armées et de la sûreté ou communiquer des éléments à ce sujet risquait d'entamer sérieusement leur capacité de mener à bien les tâches qui leur étaient assignées et de mettre leur vie en péril.
58.  Le 16 mai 1994, l'inspecteur général fit une nouvelle déclaration sous serment dans laquelle il indiqua avoir été informé que des copies de l'ensemble des dépositions des témoins, des photographies prises lors de l'expertise et des cartes issues des deux premières enquêtes de la RUC et des enquêtes Stalker et Sampson avaient été fournies au coroner, certains procès-verbaux et dépositions en ayant toutefois été expurgés. Il observa que le coroner était donc en possession de l'ensemble des preuves documentaires issues des trois enquêtes et devait être à même d'identifier tout nouvel élément découvert durant les enquêtes Stalker et Sampson. Le 20 mai 1994, l'inspecteur général demanda à la High Court d'annuler l'injonction de produire.
59.  Le 25 mai 1994, le coroner fit une nouvelle déclaration sous serment dans laquelle il disait avoir constaté que de nouveaux éléments pertinents aux fins de l'enquête judiciaire avaient été découverts par la police durant les investigations menées par MM. Stalker et Sampson ; par ailleurs, il affirmait s'être entretenu avec John Thorburn (adjoint de M. Stalker) et M. Shaw (adjoint de M. Sampson), lesquels lui avaient dit qu'il leur fallait consulter les documents en question pour pouvoir identifier les intitulés des nouveaux éléments et témoigner de façon précise à ce sujet.
60.  Le 11 juillet 1994, le juge Nicholson annula les injonctions de produire au motif qu'elles n'étaient pas essentielles aux fins légitimes de l'enquête judiciaire et que le certificat PII mettait obstacle à la divulgation des pièces en question. Il déclara notamment :
« (...) [le coroner] a indiqué que ses recherches lui ont permis de constater qu'il y avait de nouveaux éléments pertinents dans les rapports. La source de ces informations est sans doute M. Thorburn ou M. Shaw (...)
Le conseil du coroner ne conteste pas que toutes les dépositions des témoins ont été fournies à ce dernier. Il reste des recommandations, des avis, des commentaires, des critiques, etc. Je ne vois rien d'autre.
Cela m'amène à conclure que le coroner recherche des éléments sur les « circonstances générales » dans lesquelles les homicides ont eu lieu afin de répondre aux rumeurs et aux soupçons faisant état d'une politique consistant à « tirer pour tuer » (...)
D'après le récent arrêt de la Cour d'appel d'Irlande du Nord, il n'a pas le droit d'agir de la sorte. Rien ne l'empêche de convoquer M. Thorburn ou M. Shaw si ces derniers sont à même de fournir des éléments pertinents quant aux décès des victimes. Mais à mon sens, M. Thorburn n'a pas à présenter une « vue d'ensemble » au jury (...)
Les rapports ne présentent aucune utilité pour l'enquête du coroner et, compte tenu de l'intérêt général supérieur à préserver l'intégrité de la procédure pénale, le fait d'autoriser leur production pour le but poursuivi par le coroner est « oppressif et constitue un abus de procédure ». C'est pourquoi il y a lieu d'annuler les injonctions de produire.
Il ne s'agit pas là d'une remarque ou d'une critique à l'égard du coroner. Je suis convaincu qu'il souhaite honnêtement répondre ouvertement aux craintes et aux soupçons selon lesquels il existait une politique consistant à « tirer pour tuer ». Mais la juridiction du coroner n'est pas l'instance appropriée pour traiter convenablement ce genre de question.
La troisième question que je propose de traiter brièvement est celle de l'exception d'immunité d'intérêt public soulevée aux fins de protection de la sécurité nationale (...)
J'admets que d'après certains éléments, la présentation de ces deux rapports pourrait menacer la sécurité nationale. Si M. Thorburn venait à les utiliser pour se rafraîchir la mémoire, d'autres parties à l'enquête judiciaire seraient également en droit de les demander (...) »
61.  Le 8 septembre 1994, le coroner décida de clore l'enquête judiciaire sur le décès de Gervaise McKerr. Il déclara ce qui suit :
« Je considère que l'objectif que je poursuivais en décidant de procéder à une enquête judiciaire – pour les raisons que j'ai exposées au jury en ouvrant une telle enquête sur les décès de Toman, Burns et McKerr – ne peut plus être atteint. »
D.  Concernant la procédure civile
62.  Le 19 août 1991, Mme Creaney assigna l'inspecteur général de la RUC devant la High Court. Se fondant sur la loi portant réforme du droit en Irlande du Nord (dispositions diverses) et la loi de 1977 sur les accidents mortels en Irlande du Nord, elle demandait des dommages-intérêts pour le dommage corporel subi par son mari, ainsi que pour la perte patrimoniale et le préjudice moral causés aux personnes qui étaient à sa charge, du fait de l'agression, du complot, de la faute de négligence, des abus de droits et de l'atteinte à l'intégrité de la personne imputables aux policiers ayant participé à l'opération de sécurité du 11 novembre 1982.
63.  Ni Mme Creaney ni le requérant, après le décès de celle-ci, n'ont fait aucune autre démarche pour faire avancer ces plaintes.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A.  Le recours à la force meurtrière
64.  L'article 3 de la loi de 1967 sur le droit pénal en Irlande du Nord dispose notamment :
« 1.  Une personne peut recourir à une force d'une portée raisonnable selon les circonstances pour prévenir une infraction pénale, en effectuant une arrestation ou en participant à l'arrestation légale de délinquants, de suspects ou de personnes qui sont illégalement en liberté. »
La légitime défense et la protection d'autrui sont comprises dans la notion de prévention des infractions pénales (voir, par exemple, l'ouvrage de Smith et Hogan sur le droit pénal).
B.  Les enquêtes judiciaires
1.  Dispositions légales et réglementaires
65.  En Irlande du Nord, la conduite des enquêtes judiciaires est régie par la loi de 1959 sur les coroners en Irlande du Nord et par le code de conduite et de procédure des coroners en Irlande du Nord, adopté en 1963. Ces textes exposent les grands axes d'une procédure dans le cadre de laquelle les morts violentes ou survenues dans des circonstances suspectes sont notifiées au coroner, qui a alors la faculté d'ouvrir une enquête judiciaire, avec ou sans jury, aux fins d'établir – en s'appuyant le cas échéant sur des témoignages et des rapports, notamment d'examens post mortem et d'autres expertises légales – qui était le défunt, et comment, quand et où il a trouvé la mort.
66.  Aux termes de la loi sur les coroners, tout médecin, tout responsable de l'enregistrement des décès ou tout entrepreneur des pompes funèbres ayant des raisons de penser que le décès d'une personne est dû, directement ou indirectement, à une cause violente est tenu d'en informer le coroner (article 7). Tout médecin pratiquant un examen post mortem doit en communiquer les résultats par écrit au coroner (article 29). Lorsqu'une dépouille mortelle est découverte ou lorsqu'un décès inexpliqué ou entouré de circonstances suspectes survient, la police du district concerné doit en avertir le coroner (article 8).
67.  Les articles 12 et 13 du code des coroners habilitent le coroner à suspendre une enquête judiciaire lorsqu'une personne pourrait être ou est inculpée de meurtre ou d'une autre infraction pénale spécifique concernant le défunt.
68.  Lorsque le coroner décide de procéder à une enquête judiciaire avec jury, des personnes sont convoquées à partir de la liste des jurés, établie par sélection informatique aléatoire d'après le registre électoral du district, de la même manière que pour un procès pénal.
69.  Les questions examinées lors de l'enquête judiciaire sont régies par les articles 15 et 16 du code des coroners :
« 15.  Dans le cadre d'une enquête judiciaire, la procédure et l'administration des preuves visent uniquement à établir les éléments suivants :
a)  l'identité du défunt ;
b)  comment, quand et où le défunt a trouvé la mort ;
c)  les précisions dont l'ordonnance de 1976 sur l'enregistrement des naissances et des décès en Irlande du Nord requiert actuellement la consignation au sujet du décès.
16.  Ni le coroner ni le jury ne doivent exprimer d'avis sur les questions de responsabilité pénale ou civile ou sur un point autre que ceux mentionnés à l'article précédent. »
70.  Les formulaires de verdict employés en Irlande du Nord sont conformes à cette recommandation : ils requièrent la consignation de l'identité du défunt, de la cause du décès (exemple : blessure causée par une balle) et des précisions disponibles quant au moment et au lieu du décès. En Angleterre et au pays de Galles, le formulaire de verdict annexé au code des coroners contient une rubrique « Conclusions du jury/coroner quant au décès », dans laquelle figurent des mentions telles que « homicide légal » ou « homicide illégal ». Ces constatations supposent l'expression d'un avis sur la responsabilité pénale, en ce sens qu'elles impliquent un constat sur le point de savoir si le décès est résulté d'un acte criminel ; mais il n'est prévu aucune conclusion désignant telle personne comme étant pénalement responsable. En Angleterre et au pays de Galles, le jury peut également joindre des recommandations à son verdict.
71.  En Irlande du Nord, en revanche, l'article 6 § 2 de l'ordonnance de 1972 sur la répression des infractions en Irlande du Nord oblige le coroner à présenter au DPP un rapport écrit lorsque les circonstances d'un décès semblent révéler la commission d'une infraction pénale.
72.  Jusqu'à une date récente, l'aide juridictionnelle ne pouvait être obtenue dans le cadre d'une enquête judiciaire, au motif qu'il ne s'agissait pas d'établir des responsabilités civiles ni de formuler des accusations pénales. Une législation prévoyant la possibilité d'obtenir l'aide juridictionnelle en pareil cas (ordonnance de 1981 sur l'aide, les conseils et l'assistance en matière juridictionnelle en Irlande du Nord, annexe 1 § 5) a été élaborée mais n'a pas été mise en vigueur. Toutefois, le 25 juillet 2000, le Lord Chancellor a annoncé l'instauration d'un système officieux d'aide à titre gratuit permettant de financer au moyen de fonds publics la représentation devant un coroner pour certaines enquêtes judiciaires exceptionnelles en Irlande du Nord. En mars 2001, il a publié pour consultation les critères à prendre en compte pour déterminer si une demande de représentation mérite un financement public. Parmi ces critères figurent notamment la situation financière du demandeur, le point de savoir si des investigations effectives de l'Etat sont nécessaires et si l'enquête judiciaire est le seul moyen d'effectuer ces investigations, si le demandeur a besoin d'être représenté pour participer de manière effective à l'enquête judiciaire et s'il avait des liens suffisamment étroits avec le défunt.
73.  Le coroner a la faculté de convoquer les témoins dont il juge la comparution nécessaire aux fins de l'enquête judiciaire (article 17 de la loi sur les coroners) et peut autoriser toute personne intéressée à interroger un témoin (article 7 du code des coroners). En Angleterre et au pays de Galles, de même qu'en Irlande du Nord, un témoin a le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination. En Irlande du Nord, ce droit est renforcé par l'article 9 § 2, aux termes duquel une personne soupçonnée d'avoir causé le décès dont il est question ne peut pas être contrainte à témoigner lors d'une enquête judiciaire.
74.  Qu'il s'agisse des preuves écrites ou des dépositions orales des témoins, les enquêtes judiciaires sont soumises comme les procédures pénales au respect de la règle de l'immunité d'intérêt public, qui reconnaît et assure la prise en compte de l'intérêt général (par exemple la sécurité nationale) exigeant la non-divulgation de certaines informations ou de certains documents ou catégories de documents. La revendication d'une immunité d'intérêt public doit s'appuyer sur un certificat.
2.  La portée de l'enquête judiciaire
75.  A l'origine des articles 15 et 16 (voir ci-dessus) se trouve la recommandation faite par la commission Brodrick sur les certificats de décès et les coroners :
« (...) Le propos d'une enquête est simplement de rechercher et de recenser autant de faits concernant le décès que l'intérêt général le requiert, en dehors de toute imputation de responsabilité (...) Dans de nombreux cas – peut-être la majorité –, les faits mêmes montreront très clairement si la responsabilité du décès incombe à quelqu'un ; il y a une différence entre un type de procédure qui permet à d'autres de trancher un problème et une procédure qui semble résoudre celui-ci par elle-même. »
76.  Les juridictions nationales ont fait notamment les commentaires suivants :
« (...) Il est à noter qu'il ne s'agit pas de déterminer « comment » [dans quelles circonstances] le défunt est décédé, ce qui pourrait soulever des questions générales d'une portée considérable, mais « comment » [par quelle cause directe] (...) le défunt a trouvé la mort », question bien plus limitée portant sur les voies par lesquelles le défunt a trouvé la mort.
(...) [des décisions précédentes] montrent clairement que la formule de la commission Brodrick selon laquelle l'un des buts d'une enquête judiciaire est de « dissiper les rumeurs ou soupçons » signifie qu'il faut se borner à dissiper les rumeurs et soupçons sur le point de savoir comment le défunt a trouvé la mort et non sur les circonstances générales dans lesquelles il a trouvé la mort. » (Sir Thomas Bingham MR, Court of Appeal, R. v. the Coroner for North Humberside and Scunthorp, ex parte Roy Jamieson, avril 1994, non publié)
« Les affaires établissent que, bien que le terme « comment » doive être pris au sens large, il signifie « par quelles voies » plutôt que dans quelles circonstances générales (...) En bref, l'enquête doit porter sur les éléments qui sont directement à l'origine du décès et même se limiter exclusivement à ceux-ci (...) » (Simon Brown LJ, Court of Appeal, R. v. Coroner for Western District of East Sussex, ex parte Homberg and Others, Justice of the Peace Reports 1994, vol. 158, p. 357)
« (...) Il ne faut pas perdre de vue qu'une enquête judiciaire sert à établir les faits et non à traiter la question de la culpabilité. La procédure et les règles de la preuve convenant au premier exercice ne sont pas adaptées au second. Dans une enquête judiciaire, il ne faut jamais oublier qu'il n'y a pas de parties, pas de mise en accusation, pas d'accusation ni de défense ; une enquête n'est pas un procès, mais est simplement une tentative visant à établir les faits. Il s'agit d'une procédure inquisitoire, d'un processus d'investigation très différent d'un procès (...)
Il est bien entendu que l'un des buts de l'enquête judiciaire est de dissiper les rumeurs. Toutefois, cela ne signifie pas que le coroner doive examiner lors de l'enquête toute rumeur ou allégation pouvant être portée à son attention. (...) Il est de son devoir de s'acquitter de la fonction que lui confère la loi ; l'enquête ne doit pas dériver vers les eaux troubles de la rumeur et de l'allégation. [Le coroner] travaillera de manière sûre et correcte s'il s'en tient aux faits qui apparaissent pertinents eu égard aux questions qu'il est légalement tenu de traiter. » (Lord Lane, Court of Appeal, R. v. South London Coroner, ex parte Thomson, Solicitors' Journal 1982, vol. 126, p. 625)
3.  La divulgation de documents
77.  Jusqu'en 1999, il n'était pas obligatoire de fournir aux familles la copie des dépositions écrites ou documents soumis au coroner durant l'enquête. La pratique généralement suivie par les coroners consistait à communiquer les déclarations ou documents à mesure que les témoins venaient déposer.
78.  Faisant suite à la recommandation consécutive à l'enquête Stephen Lawrence, la circulaire no 20/99 du ministère de l'Intérieur (sur les décès survenant en garde à vue ou résultant d'un acte accompli par un policier dans le cadre supposé de ses fonctions) conseille aux inspecteurs généraux des forces de police d'Angleterre et du pays de Galles de veiller dans les cas visés à ce que les preuves écrites soient communiquées aux parties intéressées avant l'enquête judiciaire. Il s'agit de « contribuer à assurer la famille du défunt et les autres personnes concernées qu'une enquête de police complète et ouverte a été menée, et que ces personnes et leurs représentants en justice ne seront pas désavantagés durant l'enquête judiciaire ». Il est recommandé de communiquer les documents vingt-huit jours avant l'enquête judiciaire.
79.  Aux termes du paragraphe 7 de la circulaire,
« Les tribunaux ont décidé que les dépositions prises par la police et les documents produits par celle-ci durant l'enquête de police sur un décès survenu en garde à vue sont la propriété de l'autorité ayant commandité l'enquête. Le coroner n'est pas habilité à demander la communication de ces éléments avant l'enquête judiciaire (...) La divulgation est donc facultative. »
Le paragraphe 9 énumère certains types de documents qui ne peuvent être communiqués de manière inconsidérée ; sont concernés par exemple :
–  les documents dont la divulgation risque d'avoir un effet préjudiciable sur d'éventuelles procédures (pénales, civiles ou disciplinaires) à venir ;
–  les documents comportant des informations sensibles ou personnelles sur le défunt ou des allégations non fondées risquant de plonger la famille dans la détresse ;
–  les informations personnelles sur des tiers qui ne sont pas pertinentes aux fins de l'enquête judiciaire.
Le paragraphe 11 prévoit la non-divulgation du rapport de l'enquêteur tout en laissant à l'inspecteur général la possibilité de le transmettre s'il l'estime approprié.
C.  Les procédures de plainte contre la police
80.  La procédure de plainte contre la police était régie à l'époque des faits par l'ordonnance de 1987 sur la police en Irlande du Nord (ci-après « l'ordonnance de 1987 »). Elle a remplacé le Bureau des plaintes contre la police (Police Complaints Board), qui avait été créé en 1977 par la Commission indépendante d'examen des plaintes contre la police (Independent Commission for Police Complaints – ci-après « l'ICPC »). Le 1er octobre 2000, l'ICPC a été remplacée par le médiateur de la police pour l'Irlande du Nord (Police Ombudsman for Northern Ireland), nommé en vertu de la loi de 1998 sur la police en Irlande du Nord.
81.  L'ICPC était un organe indépendant, composé d'un président, de deux vice-présidents et d'au moins quatre autres membres. Lorsqu'une plainte contre la police faisait l'objet d'une enquête menée par un policier ou lorsque l'inspecteur général ou le ministre estimait qu'une infraction pénale avait peut-être été commise par un policier, l'affaire était transmise à l'ICPC.
82.  Aux termes de l'article 9 § 1 a) de l'ordonnance de 1987, l'ICPC devait superviser l'enquête sur toute plainte selon laquelle la conduite d'un policier de la RUC avait entraîné un décès ou un préjudice corporel grave. Son approbation était requise pour la désignation du policier chargé des investigations et elle pouvait demander son remplacement (article 9 § 5 b)). Pour une enquête supervisée, un rapport de l'enquêteur était soumis à l'ICPC en même temps qu'à l'inspecteur général. Conformément à l'article 9 § 8 de l'ordonnance de 1987, l'ICPC publiait une déclaration indiquant si l'enquête avait été menée de manière satisfaisante et, dans le cas contraire, précisait les aspects qui laissaient à désirer.
83.  En vertu de l'article 10 de l'ordonnance de 1987, l'inspecteur général devait déterminer si le rapport indiquait qu'une infraction pénale avait été commise par un fonctionnaire de police. S'il estimait que tel était le cas et que le policier en question méritait d'être poursuivi, il devait envoyer copie du rapport au DPP. Si celui-ci décidait de ne pas engager de poursuites pénales, l'inspecteur général devait envoyer à l'ICPC une note indiquant s'il avait ou non l'intention d'entamer une action disciplinaire à l'encontre de l'intéressé (article 10 § 5), sauf si des poursuites de ce type avaient déjà été engagées et si le policier avait admis les accusations portées contre lui (article 11 § 1). Lorsque l'inspecteur général estimait qu'une infraction pénale avait bien été commise mais ne justifiait pas que le policier fût poursuivi ou lorsqu'il considérait qu'aucune infraction pénale n'avait été commise, il devait envoyer une note précisant s'il avait l'intention d'entamer une action disciplinaire et, dans le cas contraire, les raisons pour lesquelles il ne retenait pas cette solution (article 11 §§ 6 et 7).
84.  Lorsque l'ICPC estimait qu'un policier faisant l'objet d'une enquête devait être inculpé pour une infraction pénale, elle pouvait charger l'inspecteur général d'envoyer au DPP une copie du rapport d'enquête (article 12 § 2). Elle pouvait également recommander ou ordonner à l'inspecteur général d'engager plutôt une action disciplinaire (article 13 §§ 1 et 3).
D.  Le Director of Public Prosecutions
85.  Le Director of Public Prosecutions (DPP), nommé en vertu de l'ordonnance de 1972 sur la répression des infractions en Irlande du Nord (ci-après « l'ordonnance de 1972 ») est un fonctionnaire indépendant doté d'au moins dix ans d'expérience dans la pratique du droit en Irlande du Nord ; il est désigné par l'Attorney-General et conserve son poste jusqu'à la retraite, sauf destitution pour faute. D'après l'article 5 de l'ordonnance de 1972, ses fonctions sont notamment les suivantes :
« a)  examiner ou faire examiner, en vue de l'engagement ou de la poursuite en Irlande du Nord d'une procédure pénale ou de l'introduction d'un recours ou d'une autre procédure sur ou en rapport avec une affaire pénale en Irlande du Nord, tous les faits ou informations portés à sa connaissance, que ce soit par l'inspecteur général agissant en vertu de l'article 6 § 3 de la présente ordonnance, par l'Attorney-General ou par toute autre autorité ou personne ;
b)  examiner ou faire examiner tous les documents qui doivent lui être transmis ou fournis en application de l'article 6 de la présente ordonnance, et, lorsque cela lui apparaît nécessaire ou approprié, faire en sorte que toute question se posant à ce sujet fasse l'objet d'un examen approfondi ;
c)  lorsqu'il le juge approprié, engager, entreprendre et poursuivre, au nom de la couronne, des procédures pour les indictable offences ou summary offences ou catégories de summary offences dont il estime devoir se charger. »
86.  Selon l'article 6 de l'ordonnance de 1972, les coroners et l'inspecteur général de la RUC notamment sont tenus de fournir des informations au DPP dans les conditions suivantes :
« 2.  Lorsqu'il lui paraît que les circonstances d'un décès faisant ou ayant fait l'objet d'une enquête de sa part révèlent qu'une infraction pénale a peut-être été commise, le coroner fournit dès que possible au [DPP] un rapport écrit sur lesdites circonstances.
3.  L'inspecteur général est tenu de communiquer de temps à autre au [DPP] des faits et des informations concernant :
a)  les indictable offences [telles que le meurtre] présumées avoir porté atteinte aux lois de l'Irlande du Nord ; (...)
et, à la demande du [DPP], de vérifier et de communiquer au [DPP] des informations sur toute affaire dont il peut sembler au [DPP] qu'elle appelle une enquête parce qu'elle pourrait impliquer une atteinte aux lois de l'Irlande du Nord, ou des informations qui peuvent sembler nécessaires au [DPP] pour l'exécution des fonctions que lui confère la présente ordonnance. »
87.  D'après les observations présentées par le Gouvernement le 18 juin 1998, la pratique suivie par les DPP successifs consistait à s'abstenir de motiver les décisions de ne pas engager ou poursuivre une procédure pénale autrement que dans des termes très généraux. Cette pratique reposait sur les considérations suivantes :
i.  si les motifs étaient exposés dans une ou plusieurs affaires, il faudrait les exposer à chaque fois. Dans le cas contraire, des conclusions erronées risqueraient d'être induites quant aux autres affaires où les motifs n'auraient pas été exposés ; il en résulterait soit des déductions abusives quant à la culpabilité de certaines personnes, soit une suspicion de pratique répréhensible ;
ii.  la raison pour laquelle des poursuites ne sont pas engagées tient souvent au fait qu'on ne dispose d'aucun élément de preuve essentiel pour déterminer s'il y a une cause d'action (par exemple un témoin qui décède soudainement, prend la fuite ou subit des pressions). Le fait de présenter un tel facteur comme l'unique raison de renoncer à des poursuites pourrait faire naître dans l'esprit des citoyens des présomptions de culpabilité ;
iii.  la publication des motifs risque de causer une souffrance ou un préjudice à des personnes autres que le suspect (par exemple lorsqu'un jugement est porté sur la crédibilité ou la santé mentale de la victime ou de témoins) ;
iv.  dans une vaste catégorie d'affaires, les décisions de classement sans suite reposent sur l'appréciation que le DPP fait de l'intérêt général. Lorsque la seule raison de ne pas poursuivre est l'âge, la santé mentale ou physique du suspect, la publication des motifs n'est pas opportune et risque de donner lieu à des déductions abusives ;
v.  des facteurs relatifs à la sécurité nationale pourraient compromettre la sécurité des individus (par exemple lorsqu'il n'est pas possible d'engager des poursuites de manière sûre ou équitable sans divulguer des informations pouvant servir aux organisations terroristes, nuire à l'efficacité des opérations antiterroristes menées par les forces de sécurité ou menacer la vie des membres de ces forces, ainsi que de leurs familles ou informateurs).
88.  Certaines décisions de classement sans suite prises par le DPP ont donné lieu à des demandes de contrôle juridictionnel auprès de la High Court.
Dans l'affaire R. v. DPP, ex parte C, Criminal Appeal Reports 1995, vol. 1, p. 141, Lord Justice Kennedy a déclaré, au sujet d'une décision de classement sans suite prise par le DPP dans une affaire concernant des allégations de sodomie :
« Compte tenu de l'ensemble de ces décisions, il me semble qu'en l'espèce notre juridiction ne devrait conclure à la nécessité de poursuivre que si, et seulement si, il nous est démontré que le Director of Public Prosecutions, agissant par le biais du Crown Prosecution Service, est parvenu à une décision de classement sans suite :
1.  en suivant une politique illicite (voir la décision hypothétique – évoquée dans l'affaire Blackburn – de ne pas engager de poursuites si la valeur des biens dérobés est inférieure à cent livres sterling) ;
2.  en s'écartant de sa propre ligne de conduite, exposée dans le code ; ou
3.  en prenant une décision irrationnelle, c'est-à-dire une décision qu'aucun procureur raisonnable n'aurait pu prendre. »
89.  Dans l'affaire R. v. the DPP and Others, ex parte Timothy Jones, la Divisional Court annula le 22 mars 2000 une décision de classement sans suite rendue au sujet d'une allégation de faute grave qui aurait causé un décès lors d'un déchargement à quai, au motif que les raisons exposées par le DPP – à savoir que les preuves étaient insuffisantes pour qu'il y ait des chances réalistes de convaincre un jury – méritaient de plus amples explications.
90.  L'affaire R. v. DPP, ex parte Patricia Manning and Elizabeth Manning (arrêt de la Divisional Court du 17 mai 2000) portait sur la décision du DPP de ne poursuivre aucun gardien de prison pour homicide à la suite du décès d'un détenu, alors que le jury de l'enquête judiciaire avait rendu un verdict considérant que le décès était survenu dans des circonstances illégales (certains éléments montrant que les gardiens avaient pratiqué sur lui pour l'immobiliser une clé d'étranglement interdite et dangereuse). Le DPP avait néanmoins conclu que le parquet serait dans l'incapacité d'établir qu'il y avait eu homicide à la suite d'une faute grave. Le Lord Chief Justice fit les observations suivantes :
« Il ressort clairement de la jurisprudence qu'une décision du DPP de classer l'affaire est susceptible d'un contrôle juridictionnel : voir, par exemple, R. v. Director of Public Prosecutions, ex parte C [1995] 1 Cr. App. R. 136. Il s'en dégage toutefois aussi que le pouvoir de contrôle est à exercer avec circonspection. Les raisons à cela sont évidentes. La décision cruciale d'engager ou non des poursuites est confiée par le parlement au DPP, chef d'un parquet indépendant et professionnel qui doit répondre de ses actes devant l'Attorney-General, gardien de l'intérêt général, et à nul autre. Peu importe que dans la pratique la décision soit ordinairement prise par un membre de haut rang du CPS, comme dans cette affaire, et non par le DPP en personne. Dans les cas limites, la décision peut être d'une difficulté extrême, car si un accusé risquant d'être condamné par un jury doit évidemment être traduit en justice et jugé, il faut éviter à un accusé susceptible d'être acquitté par un jury le traumatisme inhérent à un procès pénal. Si, dans une affaire comme celle de l'espèce, le DPP décide provisoirement de ne pas engager de poursuites, cette décision pourra faire l'objet d'un contrôle du Senior Treasury Counsel, qui portera sur la question un jugement indépendant et professionnel. Le DPP et les membres du parquet (ainsi que le Senior Treasury Counsel lorsqu'il est consulté) contribueront à la tâche consistant à décider s'il y a lieu d'engager des poursuites en apportant une expérience ou des compétences que la plupart des tribunaux appelés à contrôler leurs décisions ne possèdent pas. Dans la plupart des cas, la décision sera axée non pas sur une analyse des principes juridiques pertinents mais sur l'exercice d'un jugement éclairé sur les chances qu'aurait de prospérer une action au pénal contre tel ou tel accusé (dans une affaire aussi grave que celle-ci) devant un jury. L'exercice de ce jugement suppose que l'on évalue le poids dont pèseront à l'issue du procès les éléments à charge et les éventuels moyens de défense. Il est souvent impossible de critiquer un tel jugement comme étant erroné même si on ne l'approuve pas. Aussi les tribunaux ne peuvent-ils pas aisément conclure qu'une décision de classement sans suite est juridiquement mauvaise, unique cas dans lequel ils peuvent exercer leur pouvoir de censure. En même temps, le seuil de contrôle ne doit pas être trop élevé, car le contrôle juridictionnel est le seul moyen pour un justiciable de chercher à obtenir réparation d'une décision de classement et, si les critères étaient trop exigeants, il serait privé de recours effectif. »
Sur le point de savoir si le DPP était tenu d'exposer ses motifs, le Lord Chief Justice déclara :
« Je ne prétends pas que le DPP soit tenu d'exposer ses motifs dans toute affaire où il décide de ne pas poursuivre. Même dans les affaires mineures et définies de manière très restrictive qui remplissent les conditions de M. Blake exposées ci-dessus, nous n'interprétons pas le droit interne ou la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme comme imposant une obligation absolue et inconditionnelle de motiver une décision de classement sans suite. Mais le droit à la vie est le plus important de tous les droits de l'homme. Il figure au premier rang dans la Convention. Le pouvoir d'y déroger est très limité. Le décès d'une personne placée sous la garde de l'Etat doit toujours être un sujet de préoccupation, comme le reconnaît l'article 8 §§ 1 c), 3 b) et 6 de la loi de 1988 sur les coroners, et si le décès résulte d'une violence infligée par des agents de l'Etat, cette préoccupation doit être profonde. La tenue d'une enquête judiciaire publique par un officier ministériel indépendant, le coroner, à laquelle les parties intéressées peuvent participer, doit à notre avis être considérée comme une enquête complète et effective (voir McCann c. Royaume-Uni [1996] 21 EHRR 97, §§ 159 à 164). Lorsqu'une telle enquête, après communication au jury des instructions adéquates, aboutit à un verdict régulier concluant à un homicide illégal dans lequel est impliquée une personne qui est clairement identifiée bien que non nommée dans le verdict, qui est vivante et dont on sait où elle se trouve, on s'attend naturellement à ce que des poursuites soient engagées. En l'absence de raisons impérieuses militant pour la non-divulgation des motifs, on s'attendrait en pareil cas à ce que le [DPP] motive sa décision : pour satisfaire à la raisonnable attente des parties intéressées – qui souhaitent soit qu'il y ait des poursuites, soit qu'il soit donné une explication suffisante à la décision de classement sans suite –, pour justifier la décision du [DPP] en montrant que des motifs solides sous-tendent ce qui pourrait autrement apparaître comme une décision surprenante voire inexplicable, et enfin pour satisfaire aux attentes de la Cour européenne des Droits de l'Homme, selon laquelle une explication plausible doit être donnée lorsqu'il n'y a pas de poursuites. Nous serions très surpris que cette pratique générale ne soit pas bien accueillie par les députés dont les électeurs ont trouvé la mort dans des circonstances de ce type. Nous admettons volontiers que de telles raisons doivent être exposées avec prudence et habileté, de manière à respecter les intérêts des tiers et l'intérêt général, mais aussi à éviter de causer un préjudice injustifié à ceux qui n'auraient pas la possibilité de se défendre. Nous reconnaissons également qu'il faudrait du temps et de l'habileté pour établir un résumé raisonnablement bref et ne déformant pas les véritables fondements de la décision. Mais le nombre d'affaires qui remplissent les conditions énoncées par M. Blake est très limité (d'après les informations dont nous disposons, si l'on inclut les décès survenus en garde à vue, il y a eu sept affaires semblables depuis 1981), et le temps et les frais que cela engendrerait ne pourraient guère excéder ceux qu'implique le rejet d'une demande de contrôle juridictionnel. En tout état de cause, il semblerait injustifié en principe de demander aux citoyens de porter plainte pour irrégularité contre le [DPP] pour obtenir une réponse qu'une bonne pratique administrative exigerait en temps normal. »
Se fondant sur ces considérations, la Divisional Court rechercha si les motifs exposés par le DPP dans cette affaire étaient conformes au code des procureurs (Code for Crown Prosecutors) et suffisaient à étayer la décision de classement sans suite incriminée. Elle conclut que celle-ci n'avait pas tenu compte de certains éléments importants et était donc viciée. Elle en prononça l'annulation et invita le DPP à réexaminer la question de savoir s'il y avait lieu d'engager des poursuites.
91.  Le 7 juin 2000, dans une affaire où David Adams demandait un contrôle juridictionnel, la High Court d'Irlande du Nord examina le grief de l'intéressé selon lequel le DPP n'avait pas exposé de motifs satisfaisants et intelligibles à l'appui de sa décision de ne poursuivre aucun des policiers impliqués dans l'arrestation lors de laquelle il avait subi des lésions corporelles graves, pour lesquelles la police avait été condamnée au civil à lui verser des dommages-intérêts. La High Court observa que l'ordonnance de 1972 n'imposait au DPP, ni formellement ni implicitement, aucune obligation légale de motivation. Elle considéra que c'était en vertu de son pouvoir d'appréciation discrétionnaire qu'en Angleterre et au pays de Galles le DPP avait dans un certain nombre d'affaires motivé ses décisions de façon détaillée, que ce fût en raison d'un souci grandissant de transparence ou dans l'intérêt des familles de la victime. S'appuyant sur la jurisprudence, elle conclut que c'était uniquement dans des affaires exceptionnelles comme l'affaire Manning (paragraphe 90 ci-dessus) que le DPP devait faire connaître à une victime les raisons justifiant sa décision de ne pas engager de poursuites, et que le contrôle devait se borner aux cas de méconnaissance des principes définis par Lord Justice Kennedy (paragraphe 88 ci-dessus). Malgré les conclusions auxquelles avait abouti l'action civile, la High Court se déclara non convaincue que le DPP eût agi de manière si aberrante, inexplicable ou irrationnelle que l'affaire exigeât l'exposé de ses motivations.
III.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX PERTINENTS
A.  L'Organisation des Nations unies
92.  Le huitième Congrès des Nations unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants a adopté le 7 septembre 1990 les Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois (« Principes des Nations unies sur le recours à la force »).
93.  Le paragraphe 9 des Principes sur le recours à la force prévoit notamment qu'« ils [les responsables de l'application des lois] ne recourront intentionnellement à l'usage meurtrier d'armes à feu que si cela est absolument inévitable pour protéger des vies humaines ».
94.  Les autres principes pertinents disposent :
Paragraphe 10
« (...) les responsables de l'application des lois doivent se faire connaître en tant que tels et donner un avertissement clair de leur intention d'utiliser des armes à feu, en laissant un délai suffisant pour que l'avertissement puisse être suivi d'effet, à moins qu'une telle façon de procéder ne compromette indûment la sécurité des responsables de l'application des lois, qu'elle ne présente un danger de mort ou d'accident grave pour d'autres personnes ou qu'elle ne soit manifestement inappropriée ou inutile vu les circonstances de l'incident. »
Paragraphe 22
« (...) les pouvoirs publics et les autorités de police doivent s'assurer qu'une procédure d'enquête effective puisse être engagée et que, dans l'administration ou le parquet, des autorités indépendantes soient en mesure d'exercer leur juridiction dans des conditions appropriées. En cas de décès ou de blessure grave, ou autre conséquence grave, un rapport détaillé sera envoyé immédiatement aux autorités compétentes chargées de l'enquête administrative ou de l'information judiciaire. »
Paragraphe 23
« Les personnes contre qui il est fait usage de la force ou d'armes à feu ou leurs représentants autorisés ont accès à une procédure indépendante, en particulier à une procédure judiciaire. En cas de décès de ces personnes, la présente disposition s'applique à leurs personnes à charge. »
95.  Le paragraphe 9 des Principes des Nations unies relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions (« Principes des Nations unies relatifs à la prévention des exécutions extrajudiciaires »), adoptés le 24 mai 1989 par le Conseil économique et social dans sa Résolution 1989/65, dispose notamment :
« Une enquête approfondie et impartiale sera promptement ouverte dans tous les cas où l'on soupçonnera des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires, y compris ceux où des plaintes déposées par la famille ou des informations dignes de foi donneront à penser qu'il s'agit d'un décès non naturel dans les circonstances données. (...) »
96.  Les paragraphes 10 à 17 des Principes des Nations unies relatifs à la prévention des exécutions extrajudiciaires présentent en détail les procédures qui doivent être respectées lors des enquêtes menées sur des décès survenus dans ces circonstances.
Le paragraphe 10 indique notamment :
« L'autorité chargée de l'enquête aura tout pouvoir pour obtenir tous les renseignements nécessaires pour l'enquête (...). Elle aura aussi le pouvoir d'obliger les fonctionnaires dont on suppose qu'ils sont impliqués dans l'une quelconque des exécutions mentionnées à comparaître et à témoigner. (...) »
Le paragraphe 11 précise :
« Lorsque les procédures d'enquête établies seront inadéquates, soit que les compétences techniques ou l'impartialité nécessaires fassent défaut, soit que la question soit trop importante, soit encore que l'on se trouve en présence manifestement d'abus systématiques, lorsque la famille de la victime se plaint de ces insuffisances ou pour toute autre raison sérieuse, les pouvoirs publics feront poursuivre l'enquête par une commission d'enquête indépendante ou par un organe similaire. Les membres de cette commission seront choisis pour leur impartialité, leur compétence et leur indépendance personnelle. Ils seront, en particulier, indépendants à l'égard de toute institution ou personne qui peut faire l'objet de l'enquête. La commission aura tout pouvoir pour obtenir tout renseignement nécessaire à l'enquête et elle mènera l'enquête en application des présents Principes. »
Le paragraphe 16 dispose notamment :
« Les familles des défunts et leurs représentants autorisés seront informés de toute audience et y auront accès, ainsi qu'à toute information touchant l'enquête ; ils auront le droit de produire d'autres éléments de preuve. (...) »
Le paragraphe 17 indique notamment :
« Un rapport écrit sera établi dans un délai raisonnable sur les méthodes et les conclusions de l'enquête. Il sera rendu public immédiatement et comportera une description de l'enquête et des procédures et méthodes utilisées pour apprécier les éléments de preuve, ainsi que des conclusions et recommandations fondées sur des constatations et sur la loi applicable. (...) »
97.  Le « Protocole de Minnesota » (Protocole type pour les enquêtes judiciaires concernant les exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires, qui figure dans le Manuel des Nations unies sur la prévention des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et les moyens d'enquête sur ces exécutions) dispose notamment, dans la section B consacrée à l'« objet de l'enquête » :
« Comme il est dit au paragraphe 9 des Principes, l'enquête a pour objet général d'apporter la vérité sur les faits qui ont abouti à la mort suspecte. A cette fin, les responsables de l'enquête doivent au minimum chercher à :
a)  identifier la victime ;
b)  récupérer et conserver les éléments de preuve matérielle liés à la mort, qui pourraient aider à poursuivre éventuellement les responsables ;
c)  identifier les témoins éventuels et en obtenir des déclarations concernant la mort ;
d)  déterminer la cause, le lieu et la date de la mort, ainsi que la façon dont elle s'est produite et le contexte ou les pratiques éventuelles qui pourraient être à l'origine de la mort ;
e)  établir une distinction entre la mort naturelle, la mort par accident, le suicide et l'homicide ;
f)  identifier et appréhender les personnes impliquées ;
g)  traduire le responsable présumé devant un tribunal compétent légalement constitué. »
Il est indiqué dans la section D que « dans les cas où des organes de l'Etat pourraient être impliqués, il se peut qu'une enquête objective et impartiale nécessite la création d'une commission spéciale d'enquête ».
B.  Le Comité européen pour la prévention de la torture
98.  Dans le rapport publié le 13 janvier 2000 sur sa visite au Royaume-Uni et à l'île de Man (du 8 au 17 septembre 1997), le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) examina la façon dont les policiers accusés de mauvais traitements étaient poursuivis aux niveaux pénal et disciplinaire. Le CPT fit notamment des commentaires sur le faible nombre d'actions pénales et disciplinaires engagées, et releva certains aspects jetant le doute sur l'efficacité des procédures. Il constata ainsi que les commissaires chargeaient de l'enquête des policiers de la même branche, sauf dans quelques cas exceptionnels où ils désignaient un policier d'une autre force ; de plus, la majorité des enquêtes n'étaient pas supervisées par l'Office des plaintes contre la police (Police Complaints Authority).
Le rapport indique aux paragraphes 55 et suivants (traduction non officielle) :
« Comme cela a été indiqué, le CPT lui-même émet des réserves quant au point de savoir si l'Office des plaintes contre la police [Police Complaints Authority – PCA], même doté des pouvoirs renforcés qui ont été proposés, sera à même de convaincre le public que les plaintes contre la police font l'objet d'enquêtes menées avec la plus grande énergie. Le CPT estime que la création d'un organe d'enquête qualifié et indépendant serait très positive. Un tel organe devrait bien sûr avoir, comme la PCA, le pouvoir de diligenter des actions disciplinaires contre des policiers. Par ailleurs, aux fins de renforcer la confiance des citoyens, il pourrait également être approprié d'investir un tel organe du pouvoir de renvoyer directement une affaire au Crown Prosecution Service (CPS) afin que celui-ci détermine s'il y a lieu d'engager des poursuites pénales.
Quoi qu'il en soit, le CPT recommande que le rôle du commissaire [chief officer] dans le système actuel soit réexaminé. Prenons l'exemple du directeur du CIB [Criminal Investigations Bureau], fonctionnaire de la police de Londres [Metropolitan Police], à qui ont été déléguées certaines fonctions du commissaire : actuellement, il est censé obtenir des dérogations auprès de la PCA, nommer des enquêteurs et les encadrer, déterminer si le rapport d'un enquêteur donne à penser qu'une infraction a peut-être été commise, décider s'il y a lieu d'engager une action disciplinaire à l'encontre d'un policier sur la base du rapport d'un enquêteur et se concerter avec la PCA sur cette question, déterminer quelle action disciplinaire doit être engagée à l'encontre d'un policier contre lequel sont portées des accusations, et, dans les affaires civiles, négocier des stratégies de règlement et autoriser les dépôts en justice. Sans doute n'est-il pas réaliste de penser qu'un seul policier puisse remplir toutes ces fonctions de manière totalement indépendante et impartiale.
57.  (...) Il faut également mentionner le grand intérêt du public pour les décisions du CPS [Crown Prosecution Service] concernant les poursuites à l'encontre de policiers (notamment dans les affaires où une faute grave est alléguée). La confiance dans la manière dont ces décisions sont prises serait certainement renforcée s'il était fait obligation au CPS de motiver avec précision les décisions de ne pas engager de poursuites pénales. Le CPT recommande la formulation d'une telle exigence. »
EN DROIT
I.  SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L'ARTICLE 2 DE LA CONVENTION
99.  Le requérant allègue que son père, Gervaise McKerr, a été tué de manière injustifiable, et qu'il n'y a pas eu d'enquête effective sur les circonstances du décès. Il invoque l'article 2 de la Convention, qui dispose :
« 1.  Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.
2.  La mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire :
a)  pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;
b)  pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue ;
c)  pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »
A.  Arguments des comparants
1.  Le requérant
100.  Le requérant affirme que le décès de son père est résulté d'un recours inutile et disproportionné à la force par un policier de la RUC, et que son père a été victime d'une politique consistant à tirer pour tuer mise en œuvre en Irlande du Nord par le gouvernement britannique. Il s'appuie notamment sur des rapports d'Amnesty International et de Human Rights Watch, et sur certaines déclarations de John Stalker, policier de haut rang qui a enquêté sur les plaintes faisant état d'une telle politique. Il prétend que la présente espèce ne saurait être isolée des autres affaires dans lesquelles des agents de l'Etat ont eu recours à la force meurtrière en Irlande du Nord. Dans ce contexte, l'étude des décès causés entre 1969 et 1994 par l'usage de la force meurtrière montrerait qu'il existait à l'époque considérée une pratique consistant à tuer arbitrairement des suspects au lieu de les arrêter. Et de souligner les points communs entre ces affaires : la préparation d'opérations à partir de renseignements émanant d'informateurs, le déploiement d'unités militaires ou policières spécialisées et le recours maximal à la force. En l'espèce, des policiers de la RUC spécialement entraînés auraient tiré plus de cent neuf cartouches sur la voiture, tuant ainsi trois hommes désarmés qu'ils n'avaient nullement cherché à arrêter, préférant utiliser la force meurtrière. On ne saurait donc considérer qu'il ait été fait usage d'une force minimale ou proportionnée.
101.  L'insuffisance des enquêtes menées sur cette affaire et sur d'autres attesterait également l'existence d'une tolérance officielle de l'Etat à l'égard du recours illégal à la force meurtrière. En l'espèce, les policiers impliqués dans la fusillade auraient été autorisés à quitter les lieux avec leurs armes ; il se serait écoulé un certain laps de temps avant qu'il soit permis à la police judiciaire (Criminal Investigation Department) de les rencontrer pour les interroger ; celle-ci aurait reçu des informations incorrectes sur le lieu où la fusillade avait débuté ; de nombreuses douilles des cartouches tirées n'auraient jamais été retrouvées ; vingt et un mois après les faits, des fragments de la balle ayant tué le conducteur auraient été découverts toujours enchâssés dans la voiture, et aucune mesure adéquate n'aurait été prise pour trouver des témoins oculaires indépendants. Le requérant invoque la description de l'enquête de police figurant dans l'ouvrage de M. Stalker : d'après ce dernier, l'utilisation des techniques de base aurait été d'une médiocrité affligeante, les policiers auraient soustrait et altéré des preuves sur le lieu de la fusillade et ils auraient bel et bien fait obstacle à l'enquête.
102.  Le requérant s'appuie également sur le récit de M. Stalker en ce que celui-ci tendrait à montrer que la fusillade sur laquelle l'intéressé a enquêté était illégale et s'inscrivait dans le cadre d'une politique tacite consistant à tirer pour tuer. Par ailleurs, il se fonde sur des éléments indiquant que des entraves auraient également été mises à l'enquête sur la mort de Michael Tighe – dans le cadre de laquelle la vidéo de surveillance aurait été dissimulée par les services britanniques de sécurité (MI5) –, pour affirmer que les trois fusillades sur lesquelles M. Stalker a enquêté participaient d'une politique consistant à tirer pour tuer. D'après lui, un examen rigoureux des éléments disponibles montrerait que la mort n'est pas résultée d'un recours à la force absolument nécessaire. Si la Cour devait estimer qu'il reste des questions à éclaircir, elle devrait d'office rechercher les éléments indispensables en procédant à une enquête en vertu de l'article 38 § 1 a) de la Convention.
103.  Par ailleurs, le requérant affirme que la fusillade n'a donné lieu à aucune enquête officielle effective satisfaisant aux critères internationaux énoncés par le Protocole de Minnesota. Il estime que l'enquête de la RUC a été insuffisante et dénaturée par son manque d'indépendance et son caractère non public. Le rôle même du DPP se serait trouvé limité par l'enquête de la RUC, et des poursuites engagées sur la base de cette enquête ne pouvaient pallier ces carences. De plus, lors du procès, le juge aurait rejeté l'affaire sans entendre les policiers et, dans des commentaires prêtant à controverse, aurait laissé entendre que la justice approuvait les exécutions extrajudiciaires. L'enquête aurait été altérée par les retards, la portée limitée des investigations, l'absence d'aide juridictionnelle pour les familles, le défaut d'accès aux documents et dépositions des témoins, l'impossibilité de forcer à comparaître les témoins appartenant aux forces de sécurité ou de police et le recours aux certificats d'immunité d'intérêt public. En outre, le Gouvernement ne saurait se retrancher derrière la possibilité d'une action au civil, pareille procédure nécessitant l'initiative de la famille du défunt.
2.  Le Gouvernement
104.  Le Gouvernement n'admet pas la plainte du requérant formulée sur le terrain de l'article 2, à savoir que le décès de son père serait dû à un usage excessif ou injustifié de la force, mais estime qu'il serait totalement inopportun que la Cour cherche à trancher elle-même les questions de fait découlant des questions de fond liées à l'article 2. En effet, elle pourrait alors être amenée à tenter de résoudre certaines questions, voire à interroger des témoins et à tenir des audiences en concurrence avec la High Court en Irlande du Nord, ce qui comporterait un réel danger d'aboutir à des conclusions discordantes. Une telle situation permettrait au requérant de rechercher le tribunal le mieux-disant, faussant ainsi le principe d'épuisement des voies de recours internes. En tout état de cause, la Cour se heurterait à d'énormes difficultés pratiques pour procéder à l'examen des questions de fond liées à l'article 2, car les questions de fait seraient nombreuses et complexes, et nécessiteraient des preuves « vivantes » et un grand nombre de témoins. Exercice fondamental, l'établissement des faits ne devrait pas être effectué deux fois, en parallèle, car cela entraînerait une perte de temps et d'argent pour les tribunaux ainsi qu'un risque réel de préjudice dans la mesure où il faudrait défendre à deux procédures menées de front.
105.  Pour autant que le requérant invite la Cour à constater qu'il existait une pratique consistant à tuer au lieu d'arrêter les personnes soupçonnées d'être des terroristes, le Gouvernement dément catégoriquement cette allégation. Il affirme qu'une accusation d'une telle portée, qui remet en question toute opération antiterroriste menée durant les trente dernières années, déborde largement le cadre de la présente requête et renvoie à des affaires dont la Cour n'a pas été saisie. Il conteste qu'il y ait eu en l'espèce la moindre entrave à l'enquête de police et souligne que les affirmations de M. Stalker ont été réfutées par la RUC comme étant inexactes et déformant les faits (paragraphe 33 ci-dessus). Les policiers auraient été contraints de quitter les lieux pour leur sécurité, et l'ensemble des tâches essentielles auraient été accomplies sur les lieux du crime. Quant au fait que les trois policiers avaient reçu pour instruction de ne pas évoquer certains détails, cet élément aurait été dévoilé par les enquêteurs, qui n'auraient pas été réellement gênés dans leur mission d'établissement des faits. L'enquête Stalker/Sampson serait très révélatrice de l'importance attachée par le Gouvernement à la sanction de toute infraction, quel qu'en soit l'auteur. L'enquête aurait montré qu'il y avait eu certaines manœuvres d'obstruction, et, si l'intérêt général n'avait pas rendu nécessaire l'engagement de poursuites pénales, huit policiers avaient néanmoins fait l'objet d'une action disciplinaire (paragraphe 30 ci-dessus).
106.  Par ailleurs, le Gouvernement conteste tout manquement du droit national aux exigences découlant de l'article 2. Il fait valoir qu'il a été satisfait au critère procédural de cette disposition par la combinaison des procédures qui existaient en Irlande du Nord, à savoir une enquête de police rapide et approfondie, supervisée par le DPP, un procès pénal, une enquête judiciaire et une action au civil. Ces éléments auraient concouru à la réalisation de l'objectif fondamental de l'obligation procédurale, en ce sens qu'ils auraient permis de faire jouer de manière effective la responsabilité des agents de l'Etat concernant le recours à la force meurtrière. Cette obligation impliquerait non pas que des condamnations soient prononcées, mais que l'enquête puisse déboucher sur des poursuites, ce qui fut le cas en l'espèce. Le Gouvernement souligne en outre que chaque affaire doit être examinée sur la base des faits qui lui sont propres, car le caractère effectif de tout ingrédient procédural peut varier selon les circonstances. En l'occurrence, il soutient que, considérées dans leur ensemble, les procédures existantes remplissaient les conditions d'effectivité, d'indépendance et de transparence indispensables pour éviter les abus.
3.  La commission des droits de l'homme d'Irlande du Nord
107.  S'appuyant sur les normes internationales pertinentes en matière de droit à la vie (par exemple la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l'homme et les constatations du Comité des droits de l'homme des Nations unies), la commission des droits de l'homme d'Irlande du Nord affirme que l'Etat doit mener une enquête officielle effective lorsque l'un de ses agents a joué un rôle ou s'est trouvé impliqué dans un recours à la force meurtrière. Les procédures internes de mise en œuvre des responsabilités doivent satisfaire aux critères d'efficacité, d'indépendance, de transparence et de rapidité, et faciliter l'imposition de sanctions. Toutefois, de l'avis de la commission, un Etat ne saurait se contenter d'affirmer que, si certains de ses mécanismes sont inadéquats, l'association d'un certain nombre d'entre eux est à même d'offrir la protection nécessaire. Elle affirme que, seuls ou combinés, les mécanismes d'investigation mis en œuvre en l'espèce ont manqué cet objectif. Elle renvoie notamment au rôle problématique de la RUC en Irlande du Nord, aux carences graves à son sens des mécanismes de mise en œuvre de la responsabilité policière, à la portée limitée des enquêtes judiciaires et aux retards qu'elles ont accusés, ainsi qu'à l'impossibilité de contraindre les membres des forces de sécurité ayant fait usage de la force meurtrière à comparaître lors d'une enquête judiciaire. La commission attire l'attention de la Cour sur le type d'enquêtes mises en œuvre en Ecosse sous l'autorité du sheriff, juge compétent au pénal comme au civil, dans le cadre desquelles les proches parents ont le droit de comparaître. Elle engage la Cour à saisir cette occasion pour donner des orientations précises quant à la forme que devraient prendre les enquêtes sur les cas de recours à la force meurtrière par des agents de l'Etat.
B.  Appréciation de la Cour
1.  Principes généraux
108.  L'article 2, qui garantit le droit à la vie et définit les circonstances dans lesquelles il peut être légitime d'infliger la mort, se place parmi les articles primordiaux de la Convention et ne souffre, en temps de paix, aucune dérogation au titre de l'article 15. Avec l'article 3, il consacre l'une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l'Europe. Les circonstances dans lesquelles il peut être légitime d'infliger la mort doivent dès lors s'interpréter strictement. L'objet et le but de la Convention, instrument de protection des êtres humains, appellent également à comprendre et appliquer l'article 2 d'une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives (arrêt McCann et autres c. Royaume-Uni du 27 septembre 1995, série A no 324, pp. 45-46, §§ 146-147).
109.  Compte tenu de l'importance que revêt la protection offerte par l'article 2, la Cour doit examiner de façon extrêmement attentive les cas où la mort a été infligée, en prenant en considération non seulement les actes des agents de l'Etat, mais également l'ensemble des circonstances de l'affaire. Lorsque les événements en cause, dans leur totalité ou pour une large part, sont connus exclusivement des autorités, comme dans le cas des personnes gardées à vue et donc soumises à leur contrôle, toute blessure ou tout décès donne lieu à de fortes présomptions de fait. Il convient en vérité de considérer que la charge de la preuve pèse sur les autorités, qui doivent fournir une explication satisfaisante et convaincante (Salman c. Turquie [GC], no 21986/93, § 100, CEDH 2000-VII, et également Çakıcı c. Turquie [GC], no 23657/94, § 85, CEDH 1999-IV, Ertak c. Turquie, no 20764/92, § 32, CEDH 2000-V, et Timurtaş c. Turquie, no 23531/94, § 82, CEDH 2000-VI).
110.  Le texte de l'article 2, pris dans son ensemble, montre que cette disposition vise non seulement la mort infligée intentionnellement, mais également les situations dans lesquelles il est permis d'avoir « recours à la force », ce qui peut conduire à donner la mort de façon involontaire. Le caractère délibéré ou intentionnel du recours à la force meurtrière n'est toutefois qu'un élément parmi d'autres à prendre en compte dans l'appréciation de la nécessité de cette mesure. Tout recours à la force doit être rendu « absolument nécessaire » pour atteindre au moins l'un des objectifs mentionnés aux alinéas a) à c). Ces termes indiquent qu'il faut appliquer un critère de nécessité plus strict et impérieux que celui normalement employé pour déterminer si l'intervention de l'Etat est « nécessaire dans une société démocratique », au sens des paragraphes 2 des articles 8 à 11 de la Convention. En conséquence, la force utilisée doit être strictement proportionnée aux buts légitimes susvisés (arrêt McCann et autres précité, p. 46, §§ 148-149).
111.  L'obligation de protéger le droit à la vie qu'impose l'article 2 de la Convention, combinée avec le devoir général incombant à l'Etat en vertu de l'article 1 de « reconna[ître] à toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertés définis [dans] la (...) Convention », requiert également, par implication, que soit menée une forme d'enquête officielle et effective lorsque le recours à la force a entraîné mort d'homme (voir, mutatis mutandis, l'arrêt McCann et autres précité, p. 49, § 161, et l'arrêt Kaya c. Turquie du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, p. 329, § 105). Il s'agit essentiellement, au travers d'une telle enquête, d'assurer l'application effective des lois internes qui protègent le droit à la vie et, dans les affaires où des agents ou organes de l'Etat sont impliqués, de garantir que ceux-ci aient à rendre des comptes au sujet des décès survenus sous leur responsabilité. Quant au type d'enquête devant permettre d'atteindre ces objectifs, il peut varier selon les circonstances. Toutefois, quelles que soient les modalités de l'enquête, les autorités doivent agir d'office, dès que l'affaire est portée à leur attention. Elles ne sauraient laisser aux proches du défunt l'initiative de déposer une plainte formelle ou d'assumer la responsabilité d'une procédure d'enquête (voir par exemple, mutatis mutandis, İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 63, CEDH 2000-VII).
112.  D'une manière générale, on peut considérer que pour qu'une enquête sur une allégation d'homicide illégal commis par des agents de l'Etat soit efficace il faut que les personnes qui en sont chargées soient indépendantes des personnes impliquées (arrêts Güleç c. Turquie du 27 juillet 1998, Recueil 1998-IV, p. 1733, §§ 81-82, et Oğur c. Turquie [GC], no 21594/93, §§ 91-92, CEDH 1999-III). Cela suppose non seulement l'absence de lien hiérarchique ou institutionnel, mais aussi une indépendance concrète (voir, par exemple, l'arrêt Ergi c. Turquie du 28 juillet 1998, Recueil 1998-IV, pp. 1778-1779, §§ 83-84, relatif à une affaire où le procureur enquêtant sur le décès d'une jeune fille, dont le plaignant affirmait qu'il était survenu au cours d'un affrontement, avait fait preuve d'un manque d'indépendance en accordant une importance prépondérante aux informations fournies par les gendarmes impliqués).
113.  L'enquête doit également être effective en ce sens qu'elle doit permettre de déterminer si le recours à la force était justifié ou non dans les circonstances (voir, par exemple, l'arrêt Kaya précité, p. 324, § 87) et d'identifier et de sanctionner les responsables. Il s'agit d'une obligation non pas de résultat, mais de moyens. Les autorités doivent avoir pris les mesures raisonnables dont elles disposaient pour assurer l'obtention des preuves relatives aux faits en question, y compris, entre autres, les dépositions des témoins oculaires, des expertises et, le cas échéant, une autopsie propre à fournir un compte rendu complet et précis des blessures et une analyse objective des constatations cliniques, notamment de la cause du décès (concernant les autopsies, voir par exemple l'arrêt Salman précité, § 106 ; concernant les témoins, voir par exemple Tanrıkulu c. Turquie [GC], no 23763/94, § 109, CEDH 1999-IV ; concernant les expertises, voir par exemple Gül c. Turquie, no 22676/93, § 89, 14 décembre 2000, non publié). Toute déficience de l'enquête affaiblissant sa capacité à établir la cause du décès ou les responsabilités risque de faire conclure qu'elle ne répond pas à cette norme.
114.  Une exigence de célérité et de diligence raisonnable est implicite dans ce contexte (arrêts Yaşa c. Turquie du 2 septembre 1998, Recueil 1998-VI, pp. 2439-2440, §§ 102-104 ; Cakıcı précité, §§ 80, 87 et 106 ; Tanrıkulu précité, § 109 ; Mahmut Kaya c. Turquie, no 22535/93, §§ 106-107, CEDH 2000-III). Force est d'admettre qu'il peut y avoir des obstacles ou des difficultés empêchant l'enquête de progresser dans une situation particulière. Toutefois, une réponse rapide des autorités lorsqu'il s'agit d'enquêter sur le recours à la force meurtrière peut généralement être considérée comme essentielle pour préserver la confiance du public dans le respect du principe de légalité et pour éviter toute apparence de complicité ou de tolérance relativement à des actes illégaux.
115.  Pour les mêmes raisons, le public doit avoir un droit de regard suffisant sur l'enquête ou sur ses conclusions, de sorte qu'il puisse y avoir mise en cause de la responsabilité tant en pratique qu'en théorie. Le degré requis de contrôle du public peut varier d'une situation à l'autre. Dans tous les cas, toutefois, les proches de la victime doivent être associés à la procédure dans toute la mesure nécessaire à la protection de leurs intérêts légitimes (dans l'affaire Güleç précitée, le père de la victime n'avait pas été informé des décisions de non-lieu – arrêt Güleç, p. 1733, § 82 ; dans l'affaire Oğur précitée, la famille de la victime n'avait pu consulter les documents relatifs à l'enquête et à la procédure – arrêt Oğur, § 92 ; voir aussi l'arrêt Gül précité, § 93).
2.  Application en l'espèce
a)  Concernant la responsabilité alléguée de l'Etat quant au décès de Gervaise McKerr
116.  Il n'est pas contesté que Gervaise McKerr a été abattu par des policiers alors qu'il n'était pas armé. Ce recours à la force meurtrière relève assurément de l'article 2, qui exige d'un tel acte qu'il poursuive l'un des buts énoncés au second paragraphe et soit absolument nécessaire pour l'atteindre. Cette affaire soulève un certain nombre de questions de fait importantes, en particulier celle de savoir si les policiers ont agi comme ils l'ont fait parce qu'ils ont sincèrement cru, pour des raisons perçues par eux comme valables au moment des faits mais dont la suite a démontré le manque de pertinence, qu'ils étaient menacés par Gervaise McKerr ou les autres passagers du véhicule. Pour trancher cette question, il faudrait notamment vérifier si des ricochets ont pu donner l'impression que des flashes d'armes à feu partaient de la voiture, et déterminer la vue que les policiers avaient des passagers du véhicule, établir la raison pour laquelle ils se sont crus en danger, et répondre à la question de savoir s'il leur était possible de tenter une arrestation. L'appréciation de la crédibilité et de la fiabilité des différents témoins, et en particulier des policiers ayant ouvert le feu, jouerait à cet égard un rôle crucial.
117.  Toutes ces questions sont actuellement en cours d'examen dans le cadre de la procédure pour homicide résultant d'un acte délictueux engagée au civil par Eleanor Creaney et poursuivie par le requérant. La Cour estime que, compte tenu des circonstances de l'espèce, une démarche consistant pour elle à tenter d'établir les faits de la cause en convoquant des témoins dans le cadre d'une mission d'enquête serait inopportune et la conduirait à outrepasser le rôle subsidiaire que lui confère la Convention. Une telle initiative reviendrait à répéter les procédures suivies devant les tribunaux civils, lesquels sont mieux placés et mieux équipés pour établir les faits. S'il est arrivé à la Commission européenne des Droits de l'Homme d'entreprendre à l'époque des missions d'enquête dans le cadre d'affaires concernant la Turquie où des procédures étaient pendantes contre des membres des forces de sécurité accusés d'homicides illégaux, il est à noter que les procédures en question étaient d'ordre pénal et qu'elles étaient closes, du moins en première instance, au moment où la Cour examina les requêtes. Dans ces affaires, un aspect essentiel des griefs des requérants consistait à dire que les déficiences de l'enquête étaient telles qu'elles rendaient les procédures pénales en cause ineffectives (par exemple, dans l'affaire Salman précitée, des policiers accusés d'avoir commis des actes de torture avaient été acquittés en raison de l'absence de preuves, due principalement aux insuffisances de l'autopsie – arrêt Salman, § 107 ; et dans l'affaire Gül, également précitée, les déficiences de l'autopsie et de l'examen balistique des lieux, entre autres, avaient empêché toute reconstitution effective des faits – arrêt Gül, § 89).
118.  En l'espèce, la Cour estime qu'il n'y a aucun élément solide permettant de dire que les juridictions civiles ne sont pas en mesure d'établir les faits et de déterminer si le décès de Gervaise McKerr est survenu dans des circonstances légales ou non (pour ce qui est des allégations du requérant sur les déficiences de l'enquête de police, voir les paragraphes 124-126 ci-dessous). S'il apparaît que le requérant n'a pas fait preuve d'une grande vigueur dans la poursuite de la procédure engagée au civil, il ne s'en est pas non plus désisté. Même si l'on peut se demander si les vingt ans écoulés depuis les faits ne risquent pas de compliquer pour les juridictions civiles la collecte des preuves, celle-ci doit se faire sous l'égide des tribunaux internes et non d'une juridiction internationale.
119.  La Cour n'est pas non plus convaincue qu'il soit opportun de s'appuyer sur les éléments écrits présentés par les parties pour en tirer des conclusions sur les responsabilités quant au décès du père du requérant. Beaucoup des affirmations et récits contenus dans les divers documents produits n'ont pas été vérifiés au moyen d'interrogatoires ou d'auditions contradictoires et donneraient à une telle démarche une base incomplète et potentiellement trompeuse. La situation considérée en l'espèce ne saurait être assimilée à celle d'un décès survenu en détention, dans laquelle on peut estimer que c'est à l'Etat de fournir une explication satisfaisante et plausible.
120.  Par ailleurs, la Cour ne peut se livrer, en s'appuyant pour une large part sur des informations statistiques et des éléments limités, à une analyse des incidents analogues survenus au cours des trente dernières années pour établir s'ils révèlent une pratique des forces de sécurité consistant à faire usage d'une force disproportionnée. Pareil exercice déborderait largement le cadre de la présente requête.
121.  A l'inverse, et pour répondre à l'argument du Gouvernement consistant à dire que, le requérant n'ayant pas cherché à obtenir une décision au civil comme il en avait la possibilité, il n'y a pas eu épuisement des voies de recours internes au sens de l'article 35 § 1 de la Convention et il ne s'impose donc pas d'examiner l'affaire sous l'angle de l'article 2, la Cour rappelle que les obligations de l'Etat découlant de cette disposition ne sauraient être satisfaites par le simple octroi de dommages et intérêts (voir, par exemple, les arrêts précités Kaya, p. 329, § 105, et Yaşa, p. 2431, § 74). L'enquête requise par les articles 2 et 13 de la Convention doit être propre à conduire à l'identification et au châtiment des responsables. La Cour recherchera donc ci-dessous si cet aspect procédural de l'article 2 de la Convention a été respecté.
b)  Concernant l'obligation procédurale découlant de l'article 2 de la Convention
122.  A la suite du décès de Gervaise McKerr et des deux autres passagers du véhicule, une enquête fut ouverte par la RUC. Au vu de ses résultats, le DPP décida de poursuivre trois policiers, lesquels furent acquittés à l'issue d'un procès pénal. Une enquête de police indépendante fut diligentée au sujet de soupçons selon lesquels des obstacles avaient été mis aux investigations policières menées en l'espèce et dans deux autres affaires. Une enquête judiciaire fut ouverte le 4 juin 1984 et abandonnée le 8 septembre 1994, sans qu'aucune conclusion n'ait été formulée.
123.  Le requérant a énoncé de nombreux griefs au sujet de ces procédures. Le Gouvernement soutient quant à lui que, même si tel ou tel aspect de celles-ci peut être critiqué au regard des garanties requises, le système pris dans son ensemble a permis de faire jouer comme il le fallait l'obligation pour la police de rendre compte de tout acte contraire à la loi.
i.  L'enquête de police
124.  Concernant l'enquête de police, la Cour observe tout d'abord que les critiques formulées par le requérant au sujet des procédures reposent pour une large part sur le livre de M. Stalker. Or les propos de ce dernier, qui se fondaient sur ses propres investigations de 1984-1985, ont été contestés par la RUC dans un rapport publié en 1990 qui a fourni des réponses à un certain nombre des points soulevés par le requérant : par exemple, si les cartouches manquantes n'avaient pas été retrouvées, c'était peut-être parce que les pluies torrentielles les avaient emportées dans les fossés, et l'erreur commise dans l'identification des lieux avait été rectifiée promptement. Sur d'autres points, la RUC se contenta d'affirmer que M. Stalker était imprécis ou qu'il se trompait.
125.  La Cour n'est pas à même de trancher entre ces affirmations contradictoires, dont certaines sont plus graves que d'autres. Par exemple, il n'a pas été démontré que la RUC n'ait pas cherché ou trouvé de témoins intéressants. Ainsi, il est établi que des appels à témoins ont été lancés et que des enquêtes de voisinage ont été menées ; il ne faut pas accorder trop d'importance au fait que M. Stalker ait trouvé un témoin potentiel n'ayant pas été approché par la RUC.
126.  Quoi qu'il en soit, il n'est pas contesté que les armes des policiers n'ont été remises au policier chargé d'enquêter sur place que le lendemain et que les intéressés n'ont été interrogés que le 15 novembre 1982, soit entre trois et quatre jours après les faits. Rien n'indique toutefois si le délai de remise des armes a été de quelques heures ou s'il a été beaucoup plus long. On peut s'étonner que la remise des armes n'ait pas été exigée dès que possible et que les policiers n'aient pas été interrogés plus tôt. Le Gouvernement affirme qu'il s'agissait d'une décision délibérée des enquêteurs, qui souhaitaient auparavant recueillir d'autres éléments. Il est à noter que d'autres interrogatoires furent menés plus tard encore, les expertises effectuées ayant rendu certaines clarifications nécessaires. Au bout du compte, il n'est donc pas certain qu'il ait été nécessaire d'attendre plusieurs jours avant de procéder au premier interrogatoire des policiers. Cela dit, les preuves versées au dossier ne font apparaître aucun problème particulier concernant l'utilisation des armes ou le nombre de cartouches tirées. Par ailleurs, le délai de quelques jours qui s'est écoulé avant l'interrogatoire de suspects potentiellement importants ne peut passer pour avoir gravement nui, par lui-même, à l'enquête considérée dans son ensemble. Toutefois, ce retard donne du poids aux affirmations selon lesquelles les enquêtes sur l'usage de la force meurtrière par des policiers semblent se distinguer sur le plan qualitatif des enquêtes concernant des suspects civils.
127.  Il n'est pas non plus contesté que les trois policiers reçurent l'ordre de cacher aux membres de la RUC qui enquêtaient sur la fusillade le fait qu'ils appartenaient à la section spéciale et travaillaient sur la base d'informations obtenues au moyen d'opérations de renseignement. Comme l'a indiqué le Gouvernement, ces éléments furent découverts par les enquêteurs de la RUC et déclenchèrent de nouvelles investigations qui, après avoir mis en évidence des manœuvres d'obstruction s'analysant en des infractions pénales, débouchèrent finalement sur des actions disciplinaires. Les rapports Stalker et Sampson n'ayant jamais été divulgués, on ignore si les investigations ont permis de découvrir si d'autres informations furent dissimulées aux enquêteurs ou s'il y eut d'autres tentatives visant à entraver l'enquête de police dans cette affaire. Il n'en demeure pas moins préoccupant que l'on ait tenté de cacher des informations aux enquêteurs sur ordre d'un haut responsable. Cet élément fait naître des doutes légitimes quant à l'intégrité globale du processus d'investigation.
128.  En pareilles circonstances, le besoin de garanties contre les abus d'autorité et la partialité devient primordial. Il est à noter que l'enquête sur les homicides commis par les policiers de la RUC a été dirigée et menée par d'autres policiers de la RUC. Bien qu'aucune observation directe n'ait été formulée sur ce point, il est probable que, conformément à la loi, cette enquête a été supervisée par l'ICPC, organe indépendant de contrôle de la police. L'ICPC a donc dû approuver le choix de la personne chargée d'enquêter, et il semblerait qu'elle ait jugé satisfaisante la conduite des investigations. Il reste qu'il existait un lien hiérarchique entre les enquêteurs et les personnes faisant l'objet de l'enquête, puisque tous étaient sous la responsabilité de l'inspecteur général de la RUC, qui avait son mot à dire dans l'appréciation de l'opportunité d'engager une procédure disciplinaire ou pénale (paragraphes 82-84 ci-dessus). A cet égard, on ne saurait considérer comme une garantie suffisante la faculté qu'avait l'ICPC de prier l'inspecteur général de la RUC de soumettre le rapport d'enquête au DPP afin qu'il prenne une décision sur d'éventuelles poursuites ou de demander que des procédures disciplinaires soient engagées puisqu'en pratique l'enquête elle-même a été menée par des policiers ayant un lien avec les personnes qui en faisaient l'objet. La Cour prend note de la recommandation du CPT selon laquelle un organe d'enquête totalement indépendant contribuerait à remédier au manque de confiance dans le système en place en Angleterre et au pays de Galles, qui est à certains égards similaire (paragraphe 98 ci-dessus).
129.  Quant au fait que le public ne puisse exercer aucun contrôle sur les enquêtes de police, la Cour estime que la divulgation ou la publication de rapports de police et d'éléments d'enquêtes peut aboutir à rendre publiques des données sensibles, avec des effets préjudiciables sur des particuliers ou sur d'autres enquêtes, et ne saurait donc être considérée comme une exigence découlant automatiquement de l'article 2. L'accès dont doivent bénéficier le public ou les proches de la victime peut être accordé à d'autres stades des procédures existantes.
ii.  Le rôle du DPP
130.  La Cour rappelle que le DPP est un officier ministériel indépendant chargé de décider, lorsque des éléments semblent indiquer qu'une infraction pénale a peut-être été commise par un policier, s'il y a lieu d'engager des poursuites. Il n'est pas tenu de motiver ses décisions de classement sans suite, et en l'espèce il ne l'a pas fait. En Irlande du Nord, aucun recours juridictionnel ne peut l'obliger à exposer ses motifs ; il est à noter en revanche qu'en Angleterre et au pays de Galles, où le jury de l'enquête judiciaire a toujours la possibilité de rendre un verdict faisant état d'un homicide illégal, les tribunaux ont prié le DPP de reconsidérer des décisions de classement au vu de pareils verdicts, et ont recherché si les motifs en étaient suffisants. Cette possibilité n'existe pas en Irlande du Nord, où le jury de l'enquête judiciaire n'est plus habilité à rendre un verdict concluant au caractère légal ou illégal d'un homicide.
131.  La Cour ne doute pas de l'indépendance du DPP, qui en l'espèce requit l'engagement de poursuites à l'encontre des trois policiers. Le problème d'un éventuel manque de transparence d'une décision de classement sans suite ne se pose donc pas. Le requérant fait valoir néanmoins que la décision du DPP ne saurait être considérée comme ayant remédié aux déficiences de l'enquête de police. Au vu des éléments mis à sa disposition, la Cour n'est toutefois pas convaincue que l'enquête ait été entachée d'un vice fondamental pouvant passer pour avoir d'emblée compromis les poursuites ou pour les avoir privées de toute efficacité.
132.  La Cour recherchera ci-après si le procès pénal a comporté l'enquête requise par l'article 2 de la Convention.
iii.  Le procès au pénal des trois policiers
133.  Comme la Cour l'a rappelé ci-dessus (paragraphe 113), il est essentiel que l'enquête ouverte sur un homicide commis par des agents de l'Etat permette de poursuivre et de sanctionner les responsables. En l'espèce, trois policiers ont été inculpés du meurtre de l'un des suspects impliqués dans l'incident. Si les inculpations ne portaient que sur un seul homicide, c'était sans doute pour des raisons tactiques. Il est clair en effet que les preuves présentées par l'accusation concernaient l'ensemble des faits, et le juge parla explicitement dans sa décision de l'homicide des trois hommes. Si le procès avait débouché sur des condamnations, celles-ci auraient concerné – au moins indirectement – l'homicide du père du requérant, et l'on peut soutenir qu'elles auraient satisfait à l'obligation de poursuivre et châtier les coupables qui découle de l'article 2.
134.  En règle générale, une procédure pénale contradictoire devant un juge indépendant et impartial doit être considérée comme fournissant de très solides garanties d'effectivité pour l'établissement des faits et l'imputation d'une responsabilité pénale. En l'espèce, le requérant critique le fait que le juge ait acquitté les policiers mis en cause au motif qu'il n'y avait pas « matière à condamnation », ce sans prendre la peine d'entendre les arguments de la défense, et en particulier le témoignage oral des policiers en question. Il dénonce par ailleurs certains commentaires du juge – à l'origine au demeurant d'une vive controverse – semblant louer les trois policiers pour avoir envoyé les trois suspects non armés de l'IRA comparaître devant Dieu.
135.  Il est vrai que les récits de la fusillade contenus dans les dépositions des trois policiers n'ont fait l'objet d'aucun interrogatoire ou contre-interrogatoire. Toutefois, il n'appartient pas à la Cour de substituer à l'opinion du juge du fond – qui a entendu les témoins et a pu se faire une meilleure idée d'ensemble des éléments de preuve que celle qu'elle-même pourrait espérer obtenir à ce stade fort avancé – son propre avis sur le point de savoir si l'accusation a fourni suffisamment de preuves pour que les policiers eussent dû être appelés à se justifier. Par ailleurs, tout en comprenant les raisons pour lesquelles les observations du juge ont été mal perçues, la Cour estime que celles-ci ne dénotent aucun manque d'impartialité ni aucun préjugé. Quant au constat du juge selon lequel le recours à la force était raisonnable, il ne suscite aucune question concernant une éventuelle tolérance à l'égard des homicides illégaux.
136.  Toutefois, l'objet du procès pénal était limité à la détermination de la responsabilité pénale des trois policiers. Invoquant notamment le Protocole de Minnesota (paragraphe 97 ci-dessus), le requérant se plaint que les débats ne pouvaient porter sur des problèmes plus vastes touchant à d'autres aspects de l'implication d'agents de l'Etat. Il cite par exemple les instructions expresses données par un haut responsable de la police aux suspects afin que ceux-ci cachent certains éléments aux enquêteurs, fait qui autorise à penser que d'autres informations ont pu être dissimulées ou que d'autres manœuvres d'obstruction ont pu intervenir. Il évoque également le fait qu'en l'espace d'un mois il y a eu à Armagh deux autres affaires dans lesquelles des policiers appartenant aux unités mobiles de soutien ont utilisé la force meurtrière, d'abord contre Michael Tighe (le 24 novembre 1982) puis contre Seamus Grew et Roddy Carroll (le 12 décembre 1982), tous trois non armés. La deuxième affaire donna lieu à des poursuites, lesquelles débouchèrent également sur un acquittement. Il fut là aussi allégué que les policiers impliqués avaient reçu l'ordre de dissimuler des preuves.
137.  La Cour estime qu'il peut surgir dans certaines circonstances des problèmes qui n'ont pas été traités ou ne peuvent pas être traités dans le cadre d'un procès pénal, et que l'article 2 peut exiger un examen plus large. Les trois incidents en question ont suscité des interrogations graves sur le point de savoir si la stratégie policière de lutte contre le terrorisme impliquait un recours excessif à la force, qu'il fût délibéré ou découlât inévitablement des techniques employées. La dissimulation intentionnelle de preuves fait également douter de la capacité réelle des enquêtes à établir les faits. En d'autres termes, le procès pénal n'a pas été à la hauteur de l'objectif consistant à rassurer le public et les familles quant au caractère légal des homicides. Aussi la Cour estime-t-elle que l'article 2 exigeait en l'espèce une procédure qui permît d'examiner ces éléments et de confirmer ou d'apaiser les doutes. Elle recherchera ci-après si les autorités se sont employées comme il le fallait à résoudre ces questions.
iv.  L'enquête indépendante de police
138.  Le DPP a su à un stade précoce qu'il y avait eu un problème de dissimulation de preuves dans cette affaire. En juillet 1983 ou aux alentours de cette époque, donc avant le procès, il ordonna un complément d'enquête (paragraphe 16 ci-dessus). Le 11 avril 1984, il décida d'exercer les pouvoirs que lui conférait l'article 6 § 3 de l'ordonnance de 1972 sur la répression des infractions en Irlande du Nord pour prier l'inspecteur général de la RUC d'effectuer de nouvelles investigations dans les trois affaires. Il s'agissait non pas de reprendre les enquêtes à zéro, mais de rechercher s'il y avait des indices d'entrave au cours de la justice. L'inspecteur général confia cette mission à M. Stalker, haut responsable relevant d'une autre force de police en Angleterre.
139.  L'enquête qui s'ensuivit déclencha une grande controverse, qui dure encore aujourd'hui. M. Stalker fut relevé de sa mission le 29 mai 1986 et remplacé par M. Sampson, lui aussi haut fonctionnaire de police non originaire d'Irlande du Nord. Aucun des rapports ne fut rendu public. Dans une brève déclaration du 25 janvier 1988, l'Attorney-General révéla que des fautes avaient été découvertes et annonça que le DPP avait décidé que l'intérêt général ne justifiait pas que les policiers fussent poursuivis pour obstruction à la justice.
140.  La Cour estime que l'enquête peut passer pour avoir été suffisamment indépendante, même si l'inspecteur général de la RUC, pour qui les rapports et les documents relatifs à l'enquête étaient la propriété de la RUC, semble en partie responsable du sort ayant été réservé auxdits rapports. On ne saurait en revanche considérer que l'enquête ait progressé avec la célérité voulue. Il aura fallu trois ans et neuf mois pour qu'elle débouche sur une déclaration devant le parlement. Près de cinq mois s'écoulèrent entre la remise du rapport préliminaire de M. Stalker à l'inspecteur général de la RUC, le 18 septembre 1985, et sa transmission par l'inspecteur au DPP, le 15 février 1986. Après la mise à l'écart de M. Stalker, le 29 mai 1986, M. Sampson eut besoin d'encore dix mois pour remettre la dernière partie de son rapport, le 10 avril 1997. Enfin, il fallut attendre neuf mois supplémentaires avant que l'Attorney-General informe le parlement de cette affaire.
141.  De plus, les rapports et leurs conclusions n'ayant pas été publiés, ni dans leur intégralité ni par extraits, on ne saurait considérer que le public a pu exercer un contrôle quelconque sur l'enquête. Sans doute ce manque de transparence a-t-il exacerbé les préoccupations existantes au lieu de les dissiper. Aucune raison n'a été avancée pour expliquer la décision selon laquelle l'intérêt général ne justifiait pas l'engagement de poursuites, et aucune voie ne permettait de s'élever contre ce défaut de motivation.
v.  L'enquête judiciaire
142.  En Irlande du Nord, comme en Angleterre et au pays de Galles, les investigations sur un décès peuvent prendre la forme d'une enquête judiciaire : il s'agit, au travers d'une procédure publique dirigée par un coroner, officier ministériel indépendant, qui siège habituellement avec un jury, d'établir les circonstances d'un décès suspect. Dans l'arrêt McCann et autres (précité, p. 49, § 162), la Cour a estimé que l'enquête sur le décès de trois suspects de l'IRA abattus à Gibraltar par le SAS avait satisfait à l'obligation procédurale découlant de l'article 2 car elle avait comporté un examen complet des circonstances des décès et avait permis aux proches des victimes d'interroger et de contre-interroger des témoins ayant participé à l'opération.
En l'espèce, un travail d'établissement des faits avait déjà été effectué par la juridiction pénale. Celle-ci s'était toutefois ensuite bornée à rechercher qui était pénalement responsable du décès de l'un des passagers du véhicule, laissant de côté les allégations relatives à l'existence d'une politique consistant à étouffer les affaires et à tirer pour tuer, sur lesquelles l'enquête indépendante de police s'était penchée. La Cour a recherché si l'enquête judiciaire avait permis un examen public et effectif de ces questions.
Elle a conclu que si l'enquête judiciaire avait bien revêtu un caractère public, elle avait manqué d'effectivité, et ce à plusieurs égards.
143.  Ainsi, son objet se limitait aux faits directement liés aux décès en question. D'après la jurisprudence interne, le coroner doit borner ses investigations aux éléments qui constituent la cause du décès et ne pas les étendre aux circonstances plus générales. Si les juridictions internes admettent que l'un des objectifs essentiels de l'enquête judiciaire est de dissiper les rumeurs et les soupçons quant à la manière dont un décès est survenu, elles ont également jugé qu'une telle enquête ne devait pas « dériver vers les eaux troubles de la rumeur et de l'allégation » (paragraphes 75-76 ci-dessus). La Cour reconnaît qu'une enquête approfondie sur des questions d'opportunité ou des allégations de complot peut ne pas être nécessaire ou justifiée. En l'espèce, toutefois, des questions graves et légitimes avaient surgi. Le coroner en avait fait état dans ses propos adressés au jury le 5 mai 1992 : il avait précisé qu'un procès avait déjà eu lieu au pénal et qu'il menait une enquête judiciaire uniquement parce qu'il était apparu que de nouveaux éléments avaient peut-être été découverts postérieurement. Il lui fut toutefois impossible d'obtenir des copies du rapport Stalker et du rapport Sampson, ainsi que d'autres documents censés être liés à cette affaire, car la High Court, approuvant les objections de l'inspecteur général de la RUC, estima que la divulgation de ces pièces n'était pas nécessaire aux fins de l'enquête judiciaire. Le juge de la High Court fit observer que cette enquête n'était pas un cadre approprié pour traiter convenablement les questions relatives à une politique qui consisterait à tirer pour tuer.
144.  En Irlande du Nord, une personne soupçonnée d'avoir causé un décès faisant l'objet d'une enquête judiciaire ne peut pas être obligée à témoigner dans le cadre de celle-ci (article 9 § 2 du code des coroners de 1963, paragraphe 73 ci-dessus). Dans la pratique, lorsqu'est menée une enquête sur l'usage de la force meurtrière par les forces de sécurité en Irlande du Nord, les policiers ou les soldats concernés ne comparaissent pas. En revanche, les déclarations écrites ou procès-verbaux d'interrogatoires sont admis comme éléments de preuve. En l'espèce, les policiers impliqués dans la fusillade n'avaient pas l'obligation de comparaître et ils s'y refusèrent. Le brigadier-chef M. et les policiers B. et R. n'ont donc pas été interrogés au sujet de leur version des faits. Leurs déclarations ont toutefois été mises à la disposition du coroner, mais elles ne lui ont pas permis d'apprécier convenablement la fiabilité ou la crédibilité des intéressés sur des points de fait importants. Cet élément a sapé la capacité de l'enquête à établir les faits liés au décès et donc à atteindre l'un des objectifs découlant de l'article 2 de la Convention (voir également le paragraphe 10 des Principes des Nations unies relatifs à la prévention des exécutions extrajudiciaires, cité au paragraphe 96 ci-dessus).
145.  En l'espèce, le verdict du jury pouvait uniquement indiquer l'identité du défunt et la date, le lieu et la cause du décès (paragraphe 70 ci-dessus). En Angleterre et au pays de Galles, de même qu'à Gibraltar, le jury peut rendre différents verdicts, et notamment celui d'« homicide illégal ». Comme la Cour l'a déjà relevé ci-dessus, lorsqu'un jury d'enquête prononce un tel verdict en Angleterre et au pays de Galles, le DPP est tenu de reconsidérer toute décision de classement sans suite et d'exposer ses motifs, lesquels peuvent alors être contestés devant un tribunal. En l'espèce, une procédure pénale avait déjà eu lieu. La seule incidence que l'enquête judiciaire aurait pu avoir sur l'engagement de nouvelles poursuites tient au fait que le coroner aurait pu adresser au DPP un rapport écrit s'il avait estimé qu'une infraction pénale pouvait avoir été commise. Toutefois, il ne semble pas que le DPP aurait été contraint de prendre une décision en réponse à une telle communication ou de justifier par des motifs détaillés son éventuelle absence de réaction. L'enquête judiciaire n'était donc pas en mesure de jouer un rôle effectif dans la mise en évidence ou la poursuite d'une infraction pénale ayant pu être commise ; à cet égard, il y a eu manquement aux exigences de l'article 2.
146.  Si nul ne conteste le caractère public de l'enquête judiciaire effectuée, le requérant allègue néanmoins que la faculté pour les membres de sa famille de participer à la procédure en tant que proches parents du défunt s'est trouvée largement écornée par l'impossibilité d'obtenir l'aide juridictionnelle dans le cadre d'une enquête judiciaire et par la non-communication des documents avant la procédure.
La Cour observe néanmoins que, comme les proches parents des victimes intervenus dans l'affaire McCann et autres, la famille a été représentée par un solicitor et un conseil lors de l'enquête judiciaire, et qu'elle a bénéficié de l'aide juridictionnelle dans le cadre des demandes de contrôle juridictionnel y afférentes. On ne saurait donc affirmer que l'absence d'aide juridictionnelle ait empêché la famille du requérant de bénéficier de l'assistance nécessaire lors de l'enquête judiciaire.
147.  En ce qui concerne l'accès aux documents, la famille du défunt ne pouvait à l'époque obtenir copie des déclarations antérieures d'un témoin qu'au moment de la comparution de celui-ci devant le coroner. Telle était également la situation dans l'affaire McCann et autres, où la Cour estima que cet élément n'avait pas sérieusement empêché les avocats des familles d'interroger les témoins (arrêt précité, p. 49, § 162). Il est à noter toutefois que dans l'affaire McCann et autres l'enquête judiciaire était à certains égards exceptionnelle en regard des procédures mises en œuvre en Irlande du Nord dans un certain nombre d'affaires (voir également les arrêts du 4 mai 2001 dans les affaires Hugh Jordan c. Royaume-Uni, no 24746/94, Kelly et autres c. Royaume-Uni, no 30054/96, et Shanaghan c. Royaume-Uni, no 37715/97). Le caractère prompt et approfondi de l'enquête menée dans l'affaire McCann et autres avait convaincu la Cour que, pour l'essentiel, les circonstances entourant les faits avaient été examinées avec la participation active de l'expérimenté représentant en justice des requérants. La Cour avait jugé que le fait que les proches n'avaient pu accéder aux documents n'avait pas, dans ce contexte, constitué un problème majeur. Depuis cette affaire, toutefois, elle insiste davantage sur la nécessité de faire participer les proches parents du défunt à la procédure et de leur fournir des informations (arrêt Oğur précité, § 92).
Par ailleurs, la Cour note que, depuis l'enquête Stephen Lawrence, la pratique de non-divulgation a perdu du terrain au Royaume-Uni, puisqu'il est désormais recommandé à la police de communiquer les dépositions des témoins vingt-huit jours avant l'enquête judiciaire (paragraphe 78 ci-dessus).
148.  En l'espèce, on peut observer que le défaut d'accès aux dépositions des témoins a été la cause de plusieurs longs ajournements de l'enquête judiciaire. La procédure s'en est trouvée allongée d'autant. La Cour examinera ce point plus en détail dans le contexte des retards constatés (paragraphe 152 ci-dessous). L'incapacité dans laquelle les proches de la victime se trouvaient de consulter une déposition tant que le témoin n'avait pas comparu devant le coroner doit également être considérée comme ayant compliqué pour eux la préparation des interrogatoires et la possibilité d'y participer. Leur situation contraste de manière frappante avec celle de la RUC, qui pouvait se permettre une représentation en justice et jouissait d'un accès illimité aux documents pertinents. La Cour estime que le droit pour les proches du défunt dont la mort est au cœur de l'enquête de participer à la procédure requiert que les modalités de celle-ci assurent la nécessaire protection de leurs intérêts, lesquels peuvent être en conflit direct avec ceux des forces de police ou de sécurité impliquées. Or la Cour n'est pas convaincue que les intérêts du requérant en tant que proche parent aient été protégés de manière équitable ou adéquate à cet égard.
149.  Il a également été affirmé que les autorités ont fréquemment recours, dans le cadre des enquêtes judiciaires, aux certificats d'immunité d'intérêt public pour faire barrage à certaines questions ou à la divulgation de certains documents. En l'espèce, le ministre pour l'Irlande du Nord délivra le 9 novembre 1988 un certificat couvrant notamment les moyens de la RUC en matière de contre-terrorisme et les informations ou documents donnant des précisions sur les opérations de renseignement. Un second certificat fut établi le 5 mai 1994 pour empêcher la divulgation des rapports Stalker et Sampson au motif, notamment, qu'il fallait protéger l'efficacité des unités spéciales et l'intégrité des opérations de renseignement.
150.  Il ne semble pas que le premier certificat ait empêché de poser des questions pertinentes aux témoins. Quant au second, la Cour rappelle que l'inspecteur général, qui contestait que les rapports Stalker et Sampson pussent présenter un intérêt pour l'enquête judiciaire, déclara que l'ensemble des dépositions et éléments de preuve recueillis lors de l'enquête avaient été transmis au coroner (paragraphe 58 ci-dessus). Lors du procès devant la High Court, le juge Nicholson estima que tous les documents non divulgués étaient des déclarations d'opinion, des critiques, des recommandations, etc. Le juge Nicholson ne semble pas avoir été en mesure d'examiner lui-même les rapports pour vérifier s'ils contenaient ou non des éléments présentant un intérêt pour l'enquête judiciaire. Par ailleurs, il fit observer que rien n'empêchait M. Thorburn de témoigner durant l'enquête judiciaire au sujet d'éléments touchant aux décès, l'intéressé étant simplement privé de la possibilité de s'appuyer sur les rapports pour présenter au jury une « vue d'ensemble ». La Cour observe que si M. Thorburn avait cherché à témoigner sur le contenu des rapports, quelque sept ou huit ans après leur rédaction, ses souvenirs n'auraient sans doute pas été très précis. Il est également probable que le Gouvernement s'y serait opposé en invoquant le certificat PII.
151.  La Cour n'est pas en mesure d'affirmer que les rapports Stalker et Sampson contenaient des éléments propres à éclairer la question de l'existence éventuelle d'une politique consistant à tirer pour tuer. Mais de sérieux indices donnent à penser que tel était le cas du rapport de M. Stalker : la RUC reprocha à celui-ci d'avoir voulu mener une nouvelle enquête sur la fusillade en marge de ses investigations sur les entraves au cours de la justice. Dans sa déclaration au parlement, l'Attorney-General indiqua que le DPP avait examiné les rapports et aussi les éléments de preuve concernant la fusillade. Quoi qu'il en soit, les rapports évoquaient des indices montrant qu'il avait été fait obstacle au fonctionnement de la justice et présentant un lien avec les questions générales soulevées par l'affaire. La Cour estime que dans ces conditions le coroner a été empêché d'examiner certains éléments potentiellement importants et n'a donc pu mener des investigations effectives sur les questions ayant surgi après le procès pénal.
152.  Enfin, la Cour a pris en considération les retards accusés par la procédure. L'enquête judiciaire fut ouverte le 4 juin 1984, après la clôture de la procédure pénale. Elle fut ensuite ajournée pendant plusieurs périodes :
–  de septembre 1984 à novembre 1988, le temps que soit menée à son terme l'enquête indépendante de la police sous la responsabilité de M. Stalker puis de M. Sampson ;
–  du 17 novembre 1988 au 8 mars 1990, soit pendant une période d'environ quinze mois, le temps qu'il soit statué sur la contestation élevée par la famille de l'admissibilité comme moyens de preuve des dépositions écrites faites par les policiers ;
–  du 20 juillet 1990 au 6 février 1992, soit pendant dix-huit mois, le temps qu'il soit statué sur la contestation de l'admissibilité des mêmes dépositions élevée dans une autre affaire ;
–  du 29 mai 1992 au 28 mai 1993, pendant un an, le temps qu'il soit statué sur l'appel interjeté par la famille contre la décision leur ayant refusé le droit de consulter une déposition ;
–  reprise le 31 janvier 1994, l'enquête judiciaire fut presque immédiatement ajournée, en raison du désaccord entre le coroner et l'inspecteur général quant à l'opportunité de divulguer certains documents. La procédure de contrôle juridictionnel prit fin le 11 juillet 1994 et l'enquête judiciaire fut abandonnée quelques mois plus tard.
153.  La Cour observe que certains de ces ajournements ont été demandés par la famille du requérant. Ils étaient liés pour l'essentiel à des recours concernant certains aspects procéduraux de l'enquête judiciaire – en particulier l'accès aux documents – que la famille jugeait déterminants pour sa capacité à participer à la procédure. Si les proches parents du requérant ont ainsi largement contribué aux retards constatés, cela s'explique dans une certaine mesure par les difficultés rencontrées par eux pour participer à l'enquête judiciaire (concernant la non-communication des dépositions des témoins, voir le paragraphe 148 ci-dessus). On ne saurait considérer que le requérant ait agi de façon déraisonnable en exerçant les recours qui s'offraient à lui pour se plaindre desdits aspects de la procédure.
154.  La décision du coroner d'attendre l'issue de l'enquête indépendante de police avait déjà engendré un long retard. Une telle décision eût sans doute été justifiée si cette enquête avait permis un examen effectif des questions restées en suspens à l'issue de la procédure pénale. Or la Cour a constaté ci-dessus que l'enquête de police avait manqué de célérité et de transparence. De plus, alors que cette enquête s'était achevée par une déclaration publique faite devant le parlement en janvier 1988, la reprise de l'enquête judiciaire ne fut fixée qu'au 14 novembre 1988, soit presque six ans après les faits. Les efforts déployés – en vain – par le coroner afin d'obtenir des documents qu'il jugeait importants pour l'enquête judiciaire expliquent pour leur part la période de stagnation de septembre 1993 à mai 1994. Lorsque l'enquête judiciaire fut finalement abandonnée par le coroner le 8 septembre 1994, peu de témoignages avaient été entendus.
155.  On ne saurait considérer dans ces conditions que l'enquête judiciaire se soit ouverte promptement ou qu'elle ait progressé avec la célérité voulue (concernant l'exigence de rapidité découlant de l'article 6 § 1 de la Convention, voir, mutatis mutandis, l'arrêt Scopelliti c. Italie du 23 novembre 1993, série A no 278, p. 9, § 25). La fréquence et la durée des ajournements intervenus autorisent à se demander si le système de l'enquête judiciaire était, à l'époque, structurellement capable de garantir non seulement une procédure rapide et un accès effectif pour la famille du défunt, mais aussi la transmission au coroner des documents dont il avait besoin pour examiner les questions qui se posaient.
vi.  La procédure civile
156.  La Cour l'a relevé plus haut (paragraphe 118), la procédure civile offre en principe un cadre judiciaire permettant d'établir les faits, avec les garanties que cela suppose. Elle peut déboucher sur un constat d'illicéité d'un acte et sur l'octroi de dommages et intérêts. Elle ne s'ouvre toutefois qu'à l'initiative du requérant et non des autorités, et elle ne permet ni d'identifier ni de sanctionner l'auteur présumé d'une infraction. Aussi ne peut-elle être prise en compte dans l'appréciation du respect par l'Etat de ses obligations procédurales découlant de l'article 2 de la Convention.
vii.  Conclusion
157.  La Cour estime qu'il est établi en l'espèce que la procédure mise en œuvre pour enquêter sur le recours à la force meurtrière par les policiers a comporté les déficiences suivantes :
–  les policiers enquêtant sur les faits manquaient d'indépendance par rapport aux policiers impliqués ;
–  le public ne pouvait exercer aucun contrôle sur l'enquête indépendante menée par la police au sujet de la fusillade, et la famille de la victime ne reçut pas les informations voulues concernant la procédure (ainsi, la décision du DPP de ne poursuivre à ce stade aucun policier pour entrave ou tentative d'entrave au cours de la justice n'était pas motivée) ;
–  l'enquête judiciaire ne permettait pas de rendre un verdict ou de formuler des conclusions susceptibles de jouer un rôle effectif dans le déclenchement de poursuites pour toute infraction pénale ayant pu être découverte ;
–  les déclarations faites antérieurement par les témoins ne pouvaient être communiquées avant la comparution de ceux-ci devant le coroner, ce qui a sapé la capacité de la famille du requérant à participer à l'enquête judiciaire et contribué à de longs ajournements ;
–  le certificat PII a eu pour effet d'empêcher le coroner d'examiner les points liés aux questions qui restaient en suspens après le procès ;
–  les policiers ayant abattu Gervaise McKerr ne pouvaient être contraints à venir témoigner devant le coroner ;
–  l'enquête indépendante de police n'a pas progressé avec la célérité voulue ;
–  l'enquête judiciaire a tardé à commencer et n'a pas progressé avec la célérité voulue.
158.  Le défaut d'indépendance des investigations de la RUC et le manque de transparence de l'enquête menée ultérieurement sur les obstacles que la police aurait mis auxdites investigations peuvent être considérés comme étant au cœur des problèmes ayant surgi dans les procédures consécutives. Les juridictions nationales ont fait observer que l'enquête judiciaire n'était pas un cadre adéquat pour examiner les questions plus générales posées par l'affaire. Or aucune autre procédure – publique et accessible – ne permettait de combler ces lacunes.
159.  Il n'appartient pas à la Cour de préciser dans le détail quelles procédures les autorités devraient adopter pour permettre un examen adéquat des circonstances dans lesquelles une personne a été tuée par des agents de l'Etat. S'il a été fait référence par exemple au système écossais, dans lequel l'enquête est menée par un juge compétent au pénal, rien ne dit qu'il n'existe pas d'autre solution. On ne peut pas davantage affirmer qu'il faudrait une procédure unifiée répondant à toutes les exigences. La Cour estime que lorsque l'établissement des faits, l'enquête judiciaire et l'action pénale sont confiés à des autorités distinctes ou partagés entre elles, comme en Irlande du Nord, les exigences de l'article 2 peuvent néanmoins être satisfaites si les procédures en question, tout en veillant à la prise en compte d'autres intérêts légitimes, tels que la sécurité nationale ou la protection de pièces intéressant d'autres enquêtes, offrent les garanties requises de manière accessible et effective. En l'espèce, les procédures existantes ne ménageaient pas un juste équilibre.
160.  La Cour observe que le manque de transparence et d'effectivité constaté plus haut va à l'encontre de l'objectif de dissipation des soupçons et des rumeurs évoqué par les juridictions nationales. L'existence de procédures adéquates permettant de mettre en jeu la responsabilité des agents de l'Etat est indispensable pour préserver la confiance du public et répondre aux inquiétudes légitimes que peut susciter le recours à la force meurtrière. L'absence de telles procédures ne peut qu'exacerber les craintes quant à l'existence de motivations inavouables, comme l'illustrent notamment les arguments du requérant faisant état d'une politique qui consisterait à tirer pour tuer.
161.  La Cour estime que l'obligation procédurale imposée par l'article 2 de la Convention n'a pas été remplie et qu'il y a eu à cet égard violation de cette disposition.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 14 DE LA CONVENTION
162.  Le requérant invoque l'article 14 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
163.  Le requérant allègue que les circonstances dans lesquelles son père a été tué révèlent une discrimination. Il affirme qu'entre 1969 et mars 1994, 357 personnes ont été tuées par des membres des forces de sécurité, l'écrasante majorité des victimes étant des jeunes hommes appartenant à la communauté catholique ou nationaliste. La comparaison avec le nombre de personnes tuées au sein de la communauté protestante et le fait qu'il y a eu relativement peu de poursuites (trente et une) et seulement quelques condamnations (quatre au moment de l'introduction de la présente requête) mettraient en évidence un recours discriminatoire à la force meurtrière ainsi que l'absence de protection juridique d'une partie de la communauté pour des motifs tenant à l'origine nationale ou à l'appartenance à une minorité nationale.
164.  Le Gouvernement rétorque à cela que rien ne prouve qu'aucun des autres décès survenus en Irlande du Nord soit comparable ou ait révélé une quelconque différence de traitement. Il estime que des statistiques brutes (dont il conteste au demeurant l'exactitude) ne suffisent pas à prouver le bien-fondé d'allégations générales de discrimination à l'encontre des catholiques ou des nationalistes.
165.  Lorsqu'une politique ou une mesure générale a des effets exagérément préjudiciables sur un groupe particulier, il n'est pas exclu qu'elle puisse être jugée discriminatoire alors même qu'elle ne vise pas spécifiquement ce groupe. Toutefois, même si les statistiques font apparaître que la majorité des personnes abattues par les forces de sécurité appartenaient à la communauté catholique ou nationaliste, la Cour estime que des données numériques ne suffisent pas en elles-mêmes à mettre en évidence une pratique pouvant être qualifiée de discriminatoire au sens de l'article 14. Elle ne dispose d'aucun élément de preuve qui lui permette de dire que l'un quelconque de ces homicides – hormis les quatre qui ont donné lieu à des condamnations – a impliqué un recours illégal ou excessif à la force par les membres des forces de sécurité.
166.  La Cour conclut qu'il n'y a pas eu violation de l'article 14 de la Convention.
III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
167.  Le requérant se plaint de n'avoir disposé d'aucun recours effectif pour faire état de ses griefs. Il invoque l'article 13 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
168.  Le requérant renvoie à ses arguments concernant les aspects procéduraux de l'article 2 de la Convention et soutient qu'outre le versement d'une indemnité là où il échet l'article 13 exige des investigations approfondies et effectives propres à conduire à l'identification et à la punition des responsables et comportant un accès effectif du plaignant à la procédure d'enquête.
169.  Le Gouvernement affirme que les griefs formulés sur le terrain de l'article 13 sont soit prématurés soit mal fondés. Il prétend que la combinaison des procédures accessibles – au nombre desquelles figuraient l'action civile toujours pendante et l'enquête judiciaire – a fourni des recours effectifs.
170.  Selon la jurisprudence de la Cour, l'article 13 de la Convention garantit l'existence en droit interne d'un recours permettant de s'y prévaloir des droits et libertés de la Convention, tels qu'ils peuvent s'y trouver consacrés. L'article 13 a donc pour conséquence d'exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d'un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié, même si les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur fait cette disposition. La portée de l'obligation découlant de l'article 13 varie en fonction de la nature du grief que le requérant fonde sur la Convention. Toutefois, le recours exigé par l'article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit (arrêt Aksoy c. Turquie du 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, p. 2286, § 95 ; arrêt Aydın c. Turquie du 25 septembre 1997, Recueil 1997-VI, pp. 1895-1896, § 103 ; arrêt Kaya précité, pp. 329-330, § 106).
171.  Dans des affaires concernant le recours à la force meurtrière ou des morts suspectes, la Cour a également indiqué qu'eu égard à l'importance fondamentale du droit à la protection de la vie l'article 13 exige, outre le versement d'une indemnité là où il échet, des investigations approfondies et effectives propres à conduire à l'identification et à la punition des responsables du décès et comportant un accès effectif du plaignant à la procédure d'enquête (arrêt Kaya précité, pp. 330-331, § 107). Dans un certain nombre d'affaires, elle a jugé qu'il y avait eu violation de l'article 13 du fait qu'aucune enquête judiciaire effective n'avait été menée sur une mort suspecte, relevant que les exigences de l'article 13 étaient plus larges que l'obligation d'enquêter imposée par l'article 2 de la Convention (voir également les arrêts précités Ergi, p. 1782, § 98, et Salman, § 123).
172.  Il est à noter que ces affaires étaient liées à la situation qui prévalait dans le Sud-Est de la Turquie, où les requérants étaient dans une position vulnérable du fait du conflit persistant entre les forces de sécurité et le Parti des travailleurs du Kurdistan et où le moyen d'obtenir réparation qui leur était le plus accessible consistait à porter plainte auprès du procureur, lequel était tenu d'enquêter sur les crimes allégués. Dans le système turc, le plaignant avait la faculté d'intervenir dans toute procédure pénale et de demander des dommages et intérêts en cas de condamnation des personnes poursuivies. La mission d'établissement des faits dont était investi le procureur était en outre essentielle pour toute action intentée au civil. Dans les affaires en question, il suffisait donc, aux fins de l'ancien article 26 (désormais l'article 35 § 1) de la Convention, qu'un requérant se plaignant d'un homicide illégal s'adresse au procureur. Du point de vue tant de la procédure que de la pratique, il y avait ainsi une relation étroite entre l'enquête pénale et les recours que l'ensemble du système juridique offrait au requérant.
173.  Le système juridique en vigueur en Irlande du Nord est différent, et toute application de l'article 13 aux circonstances de fait propres à une affaire relevant de cette partie du Royaume-Uni doit en tenir compte. Un requérant qui dénonce un recours illégal à la force par des soldats ou des policiers au Royaume-Uni doit en règle générale épuiser les recours internes qui s'offrent à lui en engageant une action au civil ; dans le cadre de celle-ci, le tribunal examinera les faits, déterminera les responsabilités et, le cas échéant, accordera une indemnité. Cette procédure civile est totalement indépendante de toute enquête pénale, et il n'a pas été montré que son efficacité dépende de la manière dont pareille enquête ou les poursuites sont menées (voir, par exemple, Caraher c. Royaume-Uni (déc.), no 24520/94, CEDH 2000-I).
174.  En l'espèce, le requérant a engagé une action au civil, qui est d'ailleurs toujours pendante. La Cour n'a relevé aucun élément qui soit de nature à lui faire conclure que cette action ne peut fournir à l'intéressé le recours décrit plus haut auquel il a droit pour se plaindre d'un usage excessif de la force (paragraphe 118 ci-dessus).
175.  Quant aux griefs du requérant relatifs à l'enquête des autorités sur le décès, ils ont été examinés ci-dessus sous l'angle de l'aspect procédural de l'article 2 (paragraphes 122-161). La Cour estime qu'aucune question distincte ne se pose en l'espèce.
176.  La Cour conclut qu'il n'y a pas eu violation de l'article 13 de la Convention.
IV.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
177.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
178.  Le requérant revendique une indemnité pour l'homicide illégal dont son père, Gervaise McKerr, a été victime.
179.  Le Gouvernement conteste qu'il y ait lieu à indemnisation en l'espèce.
180.  La Cour rappelle que, dans l'affaire McCann et autres (précitée, p. 63, § 219), elle avait constaté une violation matérielle de l'article 2 de la Convention et avait conclu qu'il n'avait pas été démontré que le meurtre des trois suspects de l'IRA constituait un recours à la force absolument nécessaire pour protéger des individus contre une violence illégale. Toutefois, elle avait jugé que les requérants, qui représentaient les défunts, ne pouvaient prétendre à une réparation pour dommage matériel ou moral, « eu égard au fait que les trois terroristes suspects abattus avaient l'intention de déposer une bombe à Gibraltar ».
181.  La situation en l'espèce est différente dans la mesure où la Cour n'a formulé aucune conclusion sur la légalité ou la proportionnalité du recours à la force meurtrière qui a tué Gervaise McKerr, ni sur les circonstances de fait – notamment les activités du défunt ayant pu conduire à sa mort violente –, questions toujours en suspens dans le cadre de la procédure civile. En conséquence, il n'y a pas matière à réparation de ce chef. En revanche, la Cour a constaté que les autorités internes avaient manqué à leur obligation de mener une enquête rapide et effective sur les circonstances du décès. Le requérant a donc dû éprouver de la frustration, de la détresse et de l'angoisse. La Cour estime qu'il a subi un préjudice moral que le constat de violation de la Convention ne suffit pas à compenser.
182.  Statuant en équité, la Cour octroie au requérant 10 000 livres sterling (GBP).
B.  Frais et dépens
183.  Le requérant réclame une somme totale de 36 437,50 GBP, qui se décompose comme suit : 17 625 GBP et 10 000 GBP (taxe sur la valeur ajoutée (TVA) incluse) pour les honoraires de ses avocats (un senior counsel et un junior counsel) et 8 812,50 GBP (TVA incluse) pour les honoraires de ses solicitors.
184.  Le Gouvernement trouve ces demandes excessives et observe que les questions en jeu dans cette affaire recouvrent largement celles soulevées dans les autres affaires examinées en parallèle. Il estime qu'un montant de 15 000 GBP serait raisonnable.
185.  La Cour rappelle que cette affaire a donné lieu à plusieurs séries d'observations écrites ainsi qu'à une audience contradictoire et qu'elle peut être considérée comme complexe tant sur le plan des faits que sur le plan du droit. Comparant avec d'autres affaires concernant le Royaume-Uni, elle estime néanmoins que les honoraires réclamés en l'espèce sont élevés et n'est pas convaincue qu'ils soient raisonnables quant à leur taux. Statuant en équité et tenant compte des montants déjà versés à l'intéressé au titre de l'assistance judiciaire accordée par le Conseil de l'Europe, elle alloue au requérant 25 000 GBP, plus tout montant pouvant être dû au titre de la TVA.
C.  Intérêts moratoires
186.  Selon les informations dont la Cour dispose, le taux d'intérêt légal applicable au Royaume-Uni à la date d'adoption du présent arrêt est de 7,5 % l'an.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 2 de la Convention à raison des déficiences de la procédure d'enquête relative au décès de Gervaise McKerr ;
2.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 14 de la Convention ;
3.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 13 de la Convention ;
4.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée :
i.  10 000 GBP (dix mille livres sterling) pour dommage moral ;
ii.  25 000 GBP (vingt-cinq mille livres sterling) pour frais et dépens ;
b)  que ces montants seront à majorer d'un intérêt simple de 7,5 % l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;
5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 4 mai 2001, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé            J.-P. Costa  Greffière           Président
Le jour du prononcé de l'arrêt McKerr, la Cour a rendu des arrêts dans trois affaires analogues. Outre les constats aussi opérés dans l'affaire McKerr, elle y a formulé des critiques particulières, notamment en ce qui concerne le rôle du DPP et l'enquête judiciaire. Certains passages des arrêts en question sont reproduits ici.
Extraits de l'arrêt Hugh Jordan c. Royaume-Uni,
no 24746/94, 4 mai 2001
123.  La Cour ne met pas en cause l'indépendance du DPP. Toutefois, lorsque l'enquête de police suscite elle-même des doutes quant à son indépendance et ne se prête pas au contrôle du public, il importe davantage que la personne décidant s'il y a lieu ou non d'engager des poursuites montre aussi une apparence d'indépendance dans sa prise de décision. Le fait de n'exposer aucun motif dans le cadre d'une affaire controversée ayant trait à l'usage de la force meurtrière ne favorise pas la confiance du public. De plus, cela prive la famille de la victime d'un accès à des informations sur une question cruciale pour elle et empêche toute contestation de la décision devant les tribunaux.
124.  En l'espèce, Pearse Jordan a été abattu alors qu'il n'était pas armé. C'est une situation qui, pour reprendre les termes employés par les juridictions nationales, exige une explication. Or le requérant n'a pas été informé des raisons pour lesquelles le DPP a considéré que la fusillade ne révélait aucune infraction pénale et ne méritait pas que des poursuites soient engagées à l'encontre du policier concerné. Aucune décision motivée n'est venue assurer à un public préoccupé que la prééminence du droit avait bien été respectée. Pareil défaut de motivation ne saurait être jugé compatible avec les exigences découlant de l'article 2 que si les informations requises étaient accessibles par un autre biais. Or tel n'est pas le cas [Note du greffe : des passages similaires figurent dans les arrêts Kelly et autres c. Royaume-Uni et Shanaghan c. Royaume-Uni (nos 30054/96 et 37715/97, 4 mai 2001).].
132.  La Cour observe toutefois qu'à l'instar des proches parents des victimes dans l'affaire McCann et autres le requérant a été représenté par un solicitor et un conseil tout au long de l'enquête judiciaire, bien que l'obtention de l'aide juridictionnelle ne soit devenue possible pour une enquête judiciaire en Irlande du Nord que le 25 juillet 2000 (paragraphe 67 ci-dessus). Par ailleurs, il a bénéficié de pareille aide pour les demandes de contrôle juridictionnel formulées par lui dans le cadre de ladite enquête. Cela dit, il apparaît que la procédure a de fait été ajournée du 19 novembre 1997 au 1er novembre 1999, soit durant près de deux ans, en attendant l'issue d'une affaire pendante qui concernait la possibilité pour les familles d'obtenir l'aide juridictionnelle dans le cadre d'une enquête judiciaire. Si l'on ne peut dans ces conditions affirmer que l'absence d'aide juridictionnelle ait empêché le requérant de bénéficier de l'assistance nécessaire lors de l'enquête judiciaire, il reste que la question de l'aide juridictionnelle a largement contribué à allonger la durée de la procédure. La Cour examinera ce point plus en détail dans le contexte de la lenteur de la procédure (paragraphes 136-140).
136.  Enfin, la Cour a pris en considération les retards accusés par la procédure. L'enquête judiciaire s'ouvrit le 4 janvier 1995, soit plus de vingt-cinq mois après le décès de Pearse Jordan. Le coroner fut informé le 29 novembre 1993 qu'il n'y aurait pas de poursuites, mais la RUC ne transmit les documents relatifs à l'affaire que le 4 novembre 1994, soit presque un an après. Aucune explication n'a été donnée pour ce retard.
L'enquête judiciaire n'a toujours pas connu son aboutissement à la date d'adoption du présent arrêt, c'est-à-dire plus de huit ans et quatre mois après les faits considérés. Elle a été émaillée de toute une série d'ajournements :
–  Le 16 janvier 1995, la procédure fut suspendue à la demande du requérant, afin de permettre au DPP de reconsidérer sa décision de ne pas engager de poursuites. La décision négative fut communiquée le 14 février 1995. Or la reprise de l'enquête judiciaire ne fut programmée qu'au 12 juin 1995.
–  Le 2 juin 1995, il y eut un nouvel ajournement à la demande du requérant, qui avait décidé d'engager une procédure de contrôle juridictionnel en vue notamment de pouvoir consulter les dépositions des témoins. La High Court rejeta la requête le 11 décembre 1995, puis les demandes d'appel et d'autorisation de faire appel formées par l'intéressé furent écartées respectivement par la Cour d'appel le 28 juin 1996 et la Chambre des lords le 20 mars 1997.
–  L'enquête judiciaire était censée reprendre le 1er décembre 1997, mais il y eut auparavant un nouvel ajournement en attendant l'issue d'une affaire susceptible d'avoir une incidence sur la possibilité d'obtenir l'aide juridictionnelle dans le cadre d'une enquête judiciaire. L'affaire en question ne fut tranchée que le 16 mars 1999, et la reprise de l'enquête fut alors programmée au 1er novembre 1999.
–  L'enquête judiciaire fut suspendue une quatrième fois le 13 octobre 1999, le requérant ayant sollicité la divulgation des dépositions en s'appuyant sur la politique nouvellement introduite en Angleterre et au pays de Galles (paragraphes 73-74 ci-dessus). Une divulgation partielle fut accordée le 2 février 2000 ou aux alentours de cette date. Le requérant a formé contre cette décision une demande – toujours pendante – de contrôle juridictionnel tendant à l'obtention d'une divulgation complète. L'enquête judiciaire n'a pas encore repris.
137.  La Cour observe que lesdits ajournements furent sollicités ou acceptés par le requérant. Ils étaient liés pour l'essentiel à des recours concernant certains aspects procéduraux de l'enquête judiciaire – en particulier l'accès aux documents – qu'il jugeait déterminants pour sa capacité de participer à la procédure. Il est à noter que le contrôle juridictionnel qui donna lieu à l'ajournement du 2 juin 1995 au 20 mars 1997 (lequel dura donc un an et neuf mois) concernait l'accès à des dépositions qui ont à présent été communiquées volontairement grâce aux progrès enregistrés dans ce qui est perçu comme une pratique souhaitable vis-à-vis des proches d'une victime. Par ailleurs, on ne saurait juger déraisonnable le fait que le requérant ait accepté un ajournement en attendant le dénouement d'une affaire qui était susceptible de déboucher sur l'octroi de l'aide juridictionnelle pour couvrir ses frais d'avocat. La Cour relève que le financement de la représentation juridique dans le cadre d'une enquête judiciaire en Irlande du Nord est désormais possible en vertu d'un système officieux qui reconnaît, selon des critères provisoires, que la famille du défunt peut avoir besoin d'une assistance juridique pour pouvoir participer réellement à l'enquête judiciaire, que des investigations effectives de l'Etat sur un décès peuvent être nécessaires dans certaines circonstances et que l'enquête judiciaire peut être le seul moyen de les mener (paragraphe 67 ci-dessus).
138.  S'il est donc vrai que le requérant a largement contribué aux retards constatés, cela découle dans une certaine mesure des difficultés rencontrées par la famille pour participer à l'enquête judiciaire (concernant l'absence d'aide juridictionnelle et la non-communication des dépositions des témoins, voir les paragraphes 132 et 134 ci-dessus). On ne saurait juger déraisonnable le fait que le requérant ait exercé les recours qui s'offraient à lui pour se plaindre desdits aspects procéduraux. La Cour observe que le coroner, qui est responsable de la conduite de la procédure, accepta ces ajournements. Le fait que ceux-ci eussent été sollicités par le requérant ne dispensait pas les autorités de faire preuve de la célérité voulue (concernant l'exigence de rapidité découlant de l'article 6 § 1 de la Convention, voir, mutatis mutandis, l'arrêt Scopelliti c. Italie du 23 novembre 1993, série A no 278, p. 9, § 25). Si de longs ajournements sont considérés comme justifiés pour garantir à la famille de la victime une procédure équitable, cela incite à se demander si le système de l'enquête judiciaire était, à l'époque considérée, structurellement capable de garantir une procédure rapide et un accès effectif pour la famille du défunt.
139.  Même en dehors des périodes où elle était suspendue, l'enquête judiciaire n'a pas progressé avec la célérité requise. La Cour se réfère au retard avec lequel elle a débuté et au délai (par deux fois supérieur à huit mois) qui s'est écoulé avant que sa reprise ne soit programmée à l'issue des ajournements.
140.  Eu égard aux considérations qui précèdent, le temps pris par l'enquête judiciaire ouverte en l'espèce ne saurait être jugé compatible avec l'obligation que l'article 2 de la Convention fait à l'Etat de veiller à ce que les investigations sur les morts suspectes soient menées promptement et avec la célérité voulue.
142.  La Cour estime qu'il est établi en l'espèce que la procédure mise en œuvre pour enquêter sur le recours à la force meurtrière par le policier a comporté les déficiences suivantes :
–  les policiers enquêtant sur les faits manquaient d'indépendance par rapport aux policiers impliqués ;
–  le public ne pouvait exercer aucun contrôle sur les motifs pour lesquels le DPP avait décidé de ne poursuivre aucun policier, et la famille de la victime ne fut jamais informée de ceux-ci ;
–  le policier ayant abattu Pearse Jordan ne pouvait être contraint à venir témoigner devant le coroner ;
–  l'enquête judiciaire ne permettait pas de rendre un verdict ou de formuler des conclusions susceptibles de jouer un rôle effectif dans le déclenchement de poursuites pour toute infraction pénale ayant pu être découverte ;
–  la famille de la victime ne pouvait obtenir l'aide juridictionnelle pour se faire représenter et les déclarations faites antérieurement par les témoins ne pouvaient être communiquées avant la comparution de ceux-ci devant le coroner, ce qui a sapé la capacité du requérant à participer à l'enquête judiciaire et contribué à de longs ajournements ;
–  l'enquête judiciaire a tardé à commencer et n'a pas progressé avec la célérité voulue.
Extraits de l'arrêt Kelly et autres c. Royaume-Uni,  no 30054/96, 4 mai 2001
130.  Enfin, la Cour a pris en considération les retards accusés par la procédure. L'enquête judiciaire s'ouvrit le 30 mai 1995, soit plus de huit ans après les décès. Bien que la décision du DPP de ne pas engager de poursuites eût été rendue le 22 septembre 1988, la RUC ne transmit les documents au coroner que le 9 mai 1990. Aucune explication n'a été donnée pour ce retard. Il y eut ensuite une série d'ajournements avant l'ouverture de l'enquête judiciaire, qui s'acheva au bout de quelques jours, le 2 juin 1995. Les ajournements furent les suivants :
–  L'enquête judiciaire était censée débuter le 24 septembre 1990. Le 6 septembre 1990, le coroner accepta un ajournement sollicité par les requérants dans l'attente de la décision sur l'affaire Devine, qui concernait la question de l'accès de proches parents aux dépositions des témoins. L'affaire Devine fut tranchée le 6 février 1992, soit environ seize mois plus tard.
–  Le coroner consentit à un nouvel ajournement le temps que soit examiné un recours juridictionnel formé dans le cadre des enquêtes judiciaires menées au sujet des décès de MM. McKerr, Toman et Burns, et qui posait la question de l'accès aux documents consultés par les témoins pour se rafraîchir la mémoire. La procédure en question prit fin le 28 mai 1993, soit quinze mois plus tard.
–  L'ajournement fut prolongé en attendant qu'il soit statué, dans le cadre des enquêtes judiciaires McKerr, Toman et Burns, sur un incident de procédure concernant l'accès aux rapports Stalker et Sampson, supposés traiter de questions relatives à une politique consistant à tirer pour tuer. La procédure en question prit fin le 20 avril 1994, c'est-à-dire onze mois plus tard. Or l'enquête judiciaire ne reprit que le 30 mai 1995, soit plus d'un an après.
131.  La Cour observe que lesdits ajournements furent sollicités ou acceptés par les requérants. Ils étaient liés pour l'essentiel à des recours concernant certains aspects procéduraux de l'enquête judiciaire – en particulier l'accès aux documents – qu'ils jugeaient déterminants pour leur capacité de participer à la procédure. Il est à noter que le contrôle juridictionnel qui donna lieu à l'ajournement du 6 septembre 1990 au 6 février 1992 (lequel dura donc plus d'un an et quatre mois) concernait l'accès aux dépositions des témoins, qui sont désormais communiquées volontairement grâce aux progrès enregistrés dans ce qui est perçu comme une pratique souhaitable vis-à-vis des proches d'une victime. La deuxième procédure judiciaire évoquée ci-dessus s'est également conclue par une décision favorable aux familles, puisque les tribunaux ont jugé que les coroners doivent autoriser l'accès au texte écrit des dépositions antérieures consulté par les témoins pour se rafraîchir la mémoire. Par ailleurs, on ne saurait juger déraisonnable le fait que les requérants aient accepté un ajournement en attendant l'éventuelle divulgation des résultats d'une enquête indépendante de police censée porter sur des questions relatives à une politique délibérée des forces de sécurité consistant à faire usage de la force meurtrière.
132.  S'il est donc vrai que les requérants ont largement contribué au retard mis à ouvrir l'enquête judiciaire, cela découle dans une certaine mesure des difficultés rencontrées par la famille pour participer à la procédure (concernant la non-communication des dépositions des témoins, voir les paragraphes 127-128 ci-dessus). On ne saurait juger déraisonnable le fait que les requérants aient tenu compte des recours exercés pour contester lesdits aspects procéduraux de l'enquête judiciaire. La Cour observe que le coroner, qui était responsable de la conduite de la procédure, accepta ces ajournements. Le fait qu'ils eussent été sollicités par les requérants ne dispensait pas les autorités de faire preuve de la célérité voulue (concernant l'exigence de rapidité découlant de l'article 6 § 1 de la Convention, voir, mutatis mutandis, l'arrêt Scopelliti c. Italie du 23 novembre 1993, série A no 278, p. 9, § 25). Si de longs ajournements sont considérés comme justifiés pour garantir aux familles des défunts une procédure équitable, cela incite à se demander si le système de l'enquête judiciaire était, à l'époque considérée, structurellement capable de garantir une procédure rapide et un accès effectif pour les familles concernées.
133.  Même en dehors des périodes où elle était suspendue, l'enquête judiciaire n'a pas progressé avec la célérité requise. La Cour se réfère au retard avec lequel elle a débuté et au délai qui s'est écoulé avant que sa reprise ne soit programmée à l'issue des ajournements.
134.  Eu égard aux considérations qui précèdent, le temps pris par l'enquête judiciaire ouverte en l'espèce ne saurait être jugé compatible avec l'obligation que l'article 2 de la Convention fait à l'Etat de veiller à ce que les investigations sur les morts suspectes soient menées promptement et avec la célérité voulue.
136.  La Cour estime qu'il est établi en l'espèce que la procédure mise en œuvre pour enquêter sur le recours à la force meurtrière par les forces de sécurité a comporté les déficiences suivantes :
–  les policiers enquêtant sur les faits manquaient d'indépendance par rapport aux forces de sécurité impliquées ;
–  le public ne pouvait exercer aucun contrôle sur les motifs pour lesquels le DPP avait décidé de ne poursuivre aucun soldat, et les familles des victimes ne furent jamais informées de ceux-ci ;
–  l'enquête judiciaire ne permettait pas de rendre un verdict ou de formuler des conclusions susceptibles de jouer un rôle effectif dans le déclenchement de poursuites pour toute infraction pénale ayant pu être découverte ;
–  les soldats ayant abattu les victimes ne pouvaient être contraints à venir témoigner devant le coroner ;
–  les déclarations faites antérieurement par les témoins ne pouvaient être communiquées avant la comparution de ceux-ci devant le coroner, ce qui a sapé la capacité des requérants à participer à l'enquête judiciaire et contribué à de longs ajournements ;
–  l'enquête judiciaire a tardé à commencer et n'a pas progressé avec la célérité voulue.
Extraits de l'arrêt Shanaghan c. Royaume-Uni,
no 37715/97, 4 mai 2001
111.  La présente affaire comporte des éléments particuliers. Il a ainsi été admis que des photographies montrant Patrick Shanaghan avaient été perdues par les forces de sécurité dans des circonstances suspectes. D'après certains témoignages, Patrick Shanaghan avait été menacé de mort par des policiers avant son décès, et des policiers ont, après les faits, revendiqué un rôle dans l'organisation de l'homicide. A la suite d'un recours de la RUC contestant l'admissibilité du témoignage de D.C., la High Court jugea qu'il n'appartenait pas au coroner d'entendre des témoignages relatifs à des menaces de mort que des policiers auraient proférées à l'encontre de Patrick Shanaghan avant les faits. Le coroner écarta par la suite les déclarations faites par Patrick Shanaghan à ses solicitors au sujet des menaces que des policiers avaient proférées à son encontre. Les juridictions nationales ont semblé estimer que le seul enjeu de l'enquête judiciaire était de découvrir qui avait appuyé sur la détente, et que, comme il n'était pas contesté que Patrick Shanaghan était la cible de terroristes loyalistes, il n'y avait pas lieu d'étendre les investigations à des questions de collusion. L'enquête judiciaire n'a donc pas répondu à certaines préoccupations graves et légitimes de la famille et du public.
119.  Enfin, la Cour a pris en considération les retards accusés par la procédure. L'enquête judiciaire s'ouvrit le 26 mars 1996, soit plus de quatre ans et demi après le décès de Patrick Shanaghan. Le Gouvernement affirme que le temps mis par la RUC à envoyer le dossier au coroner, ce qu'elle fit le 14 janvier 1994, était dû à sa lourde charge de travail en matière criminelle. La Cour estime que cet argument ne suffit pas à justifier qu'il n'ait pas été procédé à la transmission des documents pour une procédure judiciaire importante. Hormis une référence à des investigations complémentaires, dont la nature n'a du reste pas été précisée, aucune explication n'a été donnée pour le retard accusé après le transfert du dossier. Une fois ouverte, l'enquête judiciaire se déroula sans délai et aboutit en l'espace d'un mois.
122.  La Cour estime qu'il est établi en l'espèce que la procédure mise en œuvre pour enquêter sur le recours à la force meurtrière a comporté les déficiences suivantes :
–  il n'a pas été montré qu'il y ait eu une enquête prompte et effective sur les allégations de collusion formulées en rapport avec le décès de Patrick Shanaghan ;
–  les policiers enquêtant sur les faits manquaient d'indépendance par rapport aux forces de sécurité soupçonnées de complicité avec les paramilitaires loyalistes ayant commis l'homicide ;
–  le public ne pouvait exercer aucun contrôle sur les motifs pour lesquels le DPP avait décidé de ne pas engager de poursuites relativement à une prétendue collusion ;
–  la portée de l'enquête judiciaire excluait les soupçons de complicité d'agents des forces de sécurité dans la prise pour cible et le meurtre de Patrick Shanaghan ;
–  l'enquête judiciaire ne permettait pas de rendre un verdict ou de formuler des conclusions susceptibles de jouer un rôle effectif dans le déclenchement de poursuites pour toute infraction pénale ayant pu être découverte ;
–  les déclarations faites antérieurement par les témoins ne pouvaient être communiquées avant la comparution de ceux-ci devant le coroner, ce qui a sapé la capacité de la requérante à participer à l'enquête judiciaire ;
–  l'enquête judiciaire a tardé à commencer.
ARRÊT McKERR c. ROYAUME-UNI
ARRÊT McKERR c. ROYAUME-UNI 
ARRÊTS HUGH JORDAN, KELLY ET AUTRES, ET SHANAGHAN c. ROYAUME-UNI
ARRÊTS HUGH JORDAN, KELLY ET AUTRES, ET SHANAGHAN c. ROYAUME-UNI 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 28883/95
Date de la décision : 04/05/2001
Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 2 ; Non-violation de l'art. 14 ; Non-violation de l'art. 13 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 14) DISCRIMINATION, (Art. 14) RELIGION, (Art. 2-1) VIE, (Art. 2-2) RECOURS A LA FORCE, DROITS ET LIBERTES N'ADMETTANT AUCUNE DEROGATION


Parties
Demandeurs : McKERR
Défendeurs : ROYAUME-UNI

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2001-05-04;28883.95 ?
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