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14/06/2001 | CEDH | N°53072/99

CEDH | ALUJER FERNANDEZ ET CABALLERO GARCIA contre l'ESPAGNE


QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 53072/99  présentée par José ALUJER FERNANDEZ et Rosa CABALLERO GARCIA  contre l’Espagne
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 14 juin 2001 en une chambre composée de
MM. G. Ress, président,    A. Pastor Ridruejo,    L. Caflisch,    J. Makarczyk,    I. Cabral Barreto,   Mme N. Vajić,   M. M. Pellonpää, juges,  et de M. V. Berger, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 24 novembre 1999

et enregistrée le 30 novembre 1999,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles p...

QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 53072/99  présentée par José ALUJER FERNANDEZ et Rosa CABALLERO GARCIA  contre l’Espagne
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 14 juin 2001 en une chambre composée de
MM. G. Ress, président,    A. Pastor Ridruejo,    L. Caflisch,    J. Makarczyk,    I. Cabral Barreto,   Mme N. Vajić,   M. M. Pellonpää, juges,  et de M. V. Berger, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 24 novembre 1999 et enregistrée le 30 novembre 1999,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants sont des ressortissants espagnols, nés respectivement en 1948 et 1949 et résidant à Albalat dels Sorells (Valence). Ils sont représentés devant la Cour par Me Miguel Ramón Mancebo Monge, avocat au barreau de Valence.
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
A. Les circonstances de l’espèce
Les requérants pratiquent la religion protestante et sont membres de l’Eglise évangélique baptiste de Valence. Inscrite au registre officiel des institutions religieuses du ministère de la Justice, elle est membre de la Fédération des Eglises évangéliques d’Espagne (FEREDE).
Dans le cadre de leurs déclarations de revenus pour 1988, les requérants avaient le choix de destiner une partie de leur impôt soit au soutien économique de l’Eglise catholique, soit à d’autres fins d’intérêt social.
N’ayant pas la possibilité légale de destiner cette partie de leur impôt au soutien économique de leur Eglise, les requérants, utilisant la voie prévue par la loi 62/1978 sur la protection juridictionnelle des droits fondamentaux de la personne, présentèrent un recours contentieux-administratif auprès du Tribunal supérieur de justice de Valence contre la loi sur l’impôt sur les revenus pour 1988 en invoquant les articles 14 (principe d’égalité) et 16 (droit à la liberté de conscience et de religion) de la Constitution. Dans leur recours, les requérants demandaient au tribunal d’annuler le système de déclaration d’impôt sur les revenus pour 1988 dans la mesure où il ne leur permettait pas d’exercer un droit dont jouissaient les Espagnols de confession catholique.
Par un jugement du 22 avril 1990, le Tribunal supérieur de justice de Valence rejeta le recours, notamment aux motifs suivants :
« Trois : La question à résoudre dans le présent recours revient en définitive à décider si la différence de traitement quant à la fiscalité, à laquelle il est fait référence, suppose ou non une discrimination injustifiée et prohibée par la Constitution, ce qui entraînerait  la nullité des actes attaqués. (...)
Quatre : Ainsi que le Tribunal constitutionnel l’a déclaré à de nombreuses reprises, pour qu’une discrimination contraire au principe d’égalité puisse être appréciée,  il est nécessaire que, dans des cas normatifs identiques en substance, ait lieu une différence de traitement légal dépourvue d’une justification objective et raisonnable par manque d’un fondement rationnel (...).
Cinq : Dans le présent cas, on ne relève pas de violation du principe d’égalité dès lors que, conformément à l’article 133.3 de la Constitution, tout avantage fiscal touchant aux impôts de l’Etat devra être déterminé en vertu d’une loi. Or, dans le cas d’espèce, l’article 7°.2 de la loi organique 7/1980, du 5 juillet, sur la liberté religieuse mettant en œuvre ledit article 16 de la Constitution espagnole subordonne la reconnaissance légale d’avantages fiscaux prévus par l’ordonnancement juridique général en faveur des institutions sans fins lucratives et autres institutions de caractère charitable à la souscription d’accords ou de conventions qui devront respecter le principe d’égalité mais devront aussi, en vertu de l’alinéa 1 du même article, tenir compte des croyances religieuses en vigueur dans la société espagnole, ce qui est conforme au contenu de l’article 16.3 de la Constitution.
Cependant, il n’existe pas en fait d’égalité entre l’Eglise catholique, titulaire d’une Convention en vigueur au sein de l’Etat espagnol, comptant le plus grand nombre de fidèles pratiquants et ayant à sa charge un large patrimoine historique et culturel, et l’Eglise évangélique baptiste, en l’absence d’une convention ou d’un accord de coopération avec l’Etat espagnol et de l’autre condition.
Naturellement, cela ne signifie en aucun cas que cette Chambre puisse douter de la constitutionnalité d’un éventuel accord établissant la possibilité exposée par les demandeurs et, même s’il n’incombe pas à cette Chambre de juger des questions pour lesquelles le législateur est souverain, il est évident que cette possibilité serait plus conforme au principe de liberté religieuse et d’égalité. (...)
Six : Quant à la supposée violation du droit à ne pas déclarer sa propre croyance religieuse, il est évident qu’une telle violation n’a pas eu lieu en l’espèce puisqu’aucune déclaration n’a été faite dans l’acte attaqué. En outre, l’impôt destiné à la religion catholique, qui en tout état de cause n’affecterait que les catholiques, ne méconnaît pas plus le droit en question dans la mesure où, à l’instar de tout droit fondamental, il a ses limites. Or, en l’espèce, la déclaration de prédétermination de la dépense est justifiée et raisonnable (...). D’autre part, le fait d’opter pour ce choix n’implique pas nécessairement que la personne professe ladite religion car on ne peut écarter qu’il ait opté pour cette finalité pour d’autres motifs comme, par exemple, (...) l’exercice d’une activité sociale adéquate. »
Contre ce jugement, les requérants interjetèrent appel devant le Tribunal suprême qui, par une décision du 26 mars 1992, déclara le recours irrecevable. Contre cette décision, les requérants formèrent un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. Par un arrêt du 20 juin 1994, la haute juridiction enjoignit le Tribunal suprême à déclarer l’appel recevable et à statuer sur le fond. Par un arrêt du 20 octobre 1997, le Tribunal suprême, examinant l’appel, le rejeta au fond et confirma le jugement entrepris.
Invoquant les articles 14, 16 et 24 de la Constitution, les requérants formèrent un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. Par une décision du 13 mai 1999, le Tribunal constitutionnel rejeta le recours pour les motifs suivants :
« Dans le présent cas, aucune violation  des droits constitutionnels à l’égalité devant la loi sans aucune discrimination fondée sur la religion (article 14 de la Constitution espagnole), à ne pas être obligé de déclarer sa religion ou croyance (article 16.2 de la Constitution) et à la protection juridictionnelle effective (article 24.1 de la Constitution) (...) ne s’est produite.
En effet, ne pas remplir la rubrique de la déclaration sur les revenus correspondant au pourcentage légal déterminé pour l’assignation fiscale à des fins religieuses ou autres d’intérêt social en l’absence d’une alternative permettant la possibilité d’effectuer une assignation semblable à leur propre Eglise, n’implique aucune violation, même indirecte, de la garantie constitutionnelle du droit à ne pas déclarer sa propre religion ou croyance (article 16.2 de la Constitution).
Par ailleurs, on ne saurait relever aucune discrimination fondée sur la religion violant le droit à l’égalité devant la loi (article 14 de la Constitution), dès lors que la prévision de cette voie spécifique de soutien économique de l’Eglise catholique dans la disposition additionnelle 5.4 de la loi 33/1987 ne manque pas de fondement rationnel et objectif (...). Le principe du caractère non confessionnel de l’Etat est complété par l’article 16.3 de la Constitution contenant un mandat à l’attention des pouvoirs publics pour que, prenant en compte les croyances religieuses de la société espagnole, soient établies « les relations appropriées de coopération avec l’Eglise catholique et les autres confessions ». C’est dans ce cadre institutionnel que s’insèrent les différents accords de coopération. Et parmi eux (...) celui sur les questions économiques souscrit avec le Saint-Siège, moyennant lequel l’Etat s’engage à collaborer au soutien économique de l’Eglise catholique. Ainsi, en l’absence d’un engagement semblable avec d’autres confessions, le terme de comparaison proposé n’est pas adéquat dès lors que la différence de traitement articulée par le législateur n’est pas arbitraire ni ne manque de justification. Par ailleurs, l’article 16.3 de la Constitution ne donne pas un droit fondamental directement exigible aux pouvoirs publics les obligeant à mettre en place les voies indiquées en vue de réaliser le prétendu droit de pouvoir affecter un pourcentage de son impôt au soutien de sa propre Eglise, et la voie constitutionnelle de l’amparo ne constitue pas la voie indiquée pour mettre en doute la constitutionnalité des (prétendues insuffisances) de la loi.
Enfin, les jugements contestés fournissent une réponse raisonnée et juridiquement fondée aux questions soulevées par les requérants (...) ».
B. Le droit interne pertinent
1. Constitution
Article 14
« Les Espagnols sont égaux devant la loi. Ils ne peuvent faire l’objet d’aucune discrimination pour des raisons de naissance, de race, de sexe, de religion, d’opinion ou pour n’importe quelle autre condition ou circonstance personnelle ou sociale ».
Article 16
« 1. La liberté idéologique, religieuse et de culte des personnes individuelles et des communautés est garantie, sans autres limitations, quant à leurs formes d’expression, que celles qui sont nécessaires au maintien de l’ordre public protégé par la loi.
2. Nul ne pourra être obligé de déclarer son idéologie, sa religion ou ses croyances.
3. Aucune confession n’aura le caractère de religion d’Etat. Les pouvoirs publics tiendront compte des croyances religieuses de la société espagnole et maintiendront de ce fait des relations de coopération avec l’Eglise catholique et les autres confessions. »
Aux termes de la loi organique 7/1980 sur la liberté religieuse, l’Etat peut conclure des accords de collaboration - prévoyant, entre autres, des exonérations fiscales - avec des Eglises, et ce en fonction du nombre de leurs fidèles, leur implantation dans la société espagnole et les croyances majoritaires de celle-ci.
2. Loi n° 33/1987 du 23 décembre 1987 sur le budget de l’Etat pour 1988
Disposition additionnelle 5
« 1. En exécution de la disposition prévue à l’article II de l’accord souscrit entre l’Etat espagnol et le Saint-Siège du 3 janvier 1979 sur les affaires économiques (...), à partir de 1988, un pourcentage du produit de l’impôt sur le revenu des personnes physiques sera destiné à des fins religieuses ou autres fins d’intérêt social.
2. Ledit pourcentage sera fixé dans la loi budgétaire pour chaque année et s’appliquera à l’impôt résultant des déclarations annuelles présentées par les contribuables.
4. Le contribuable pourra indiquer dans sa déclaration sa volonté afin que le pourcentage de son impôt soit destiné :
a)  à sa collaboration au soutien économique de l’Eglise catholique, ou
b)  à d’autres fins déterminées à l’alinéa 1 de cette disposition.
Au cas où la personne n’aura pas manifesté expressément sa volonté dans un sens ou dans l’autre, on estimera qu’elle a opté pour les fins de l’alinéa b). »
3. Loi du 10 novembre 1992 établissant un accord de coopération de l’Etat avec la Fédération des Eglises évangéliques d’Espagne (« FEREDE »)
La loi du 10 novembre 1992, publiée au journal officiel de l’Etat le 12 novembre 1992, régit les questions suivantes :
- le statut des ministres du culte évangélique ;
- la protection juridique des lieux de culte ;
- la reconnaissance sur le plan civil des mariages célébrés selon le rite évangélique ;
- l’assistance religieuse dans les centres ou établissements publics ;
- l’enseignement religieux évangélique dans les centres scolaires ;
- les avantages fiscaux applicables à certains biens et activités des Eglises membres de la FEREDE.
Par ailleurs, d’après la disposition additionnelle n° 2 de la loi, l’accord pourra faire l’objet d’une révision totale ou partielle à l’initiative de l’une ou l’autre des parties. La disposition additionnelle n° 3 crée une commission mixte paritaire comprenant des représentants de l’administration de l’Etat et de la FEREDE.
Selon les informations fournies en février 2001 par le directeur général des affaires religieuses du ministère de la Justice, le 15 avril 1999 eut lieu une réunion de la commission mixte Etat-FEREDE. Examinant le problème de la collaboration économique avec l’Etat relative à certaines activités des Eglises évangéliques, le représentant de l’Etat demanda à la FEREDE de faire connaître sa position sur le système de l’affectation d’impôt. A cette question, le secrétaire exécutif de la FEREDE répondit « qu’après avoir effectué diverses consultations, l’opinion des Eglises membres de la Fédération n’était pas homogène, de sorte qu’il n’existait pas encore de position définitive ; celle-ci serait formulée en fonction du contenu dans le cadre d’une négociation ». En conséquence, l’accord de 1992 n’a fait l’objet d’aucun changement et, à ce jour, la FEREDE n’a pas demandé la révision de l’accord en question.
GRIEF
Les requérants font valoir que, dans le cadre de leur déclaration de revenus, ils ne peuvent, en tant que membres de l’Eglise évangélique baptiste et à l’instar des Espagnols de religion catholique, affecter directement une partie de leur impôt sur le revenu au soutien économique de leur Eglise. Ils estiment que cette différence de traitement constitue une discrimination contraire aux articles 14 et 9 § 1 de la Convention.
EN DROIT
Invoquant les articles 14 et 9 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent que, dans le cadre de leur déclaration de revenus, ils ne peuvent, en tant que membres de l’Eglise évangélique baptiste et à l’instar des Espagnols de religion catholique, affecter directement une partie de leur impôt sur le revenu au soutien économique de leur Eglise.
Ces dispositions se lisent comme suit :
Article 14
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur (...) la religion (...). »
Article 9
« 1.  Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2.  La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Le Gouvernement précise d’emblée que l’impossibilité alléguée par les requérants d’affecter directement une partie de leur impôt sur le revenu au soutien économique de leur Eglise ne découle d’aucune loi mais simplement du fait que ni l’Eglise évangélique baptiste de Valence ni la FEREDE n’ont à ce jour demandé à bénéficier d’un tel système de financement.
Le Gouvernement souligne que, conformément aux articles 16 et 14  de la Constitution, aux articles 9 et 14 de la Convention et à la loi du 5 juillet 1980 sur la liberté de religieuse, toute personne jouit en Espagne du droit à la liberté de religion et de celui de ne faire l’objet d’aucune discrimination dans l’exercice de ce droit. En outre, et selon l’accord de coopération souscrit entre l’Etat et la FEREDE, objet de la loi du 10 novembre 1992, les fidèles des Eglises évangéliques se sont vu reconnaître d’autres droits.
Le Gouvernement précise que les requérants, en tant qu’individus, peuvent effectuer des dons à leur Eglise ou à toute autre Eglise, dons qui peuvent faire l’objet de réductions d’impôt. Quant au financement public d’une Eglise, le Gouvernement souligne que cette question relève au premier chef de la position prise par l’Eglise en tant que groupe religieux. A cet égard, le Gouvernement fait observer que l’Espagne a souscrit avec l’Eglise catholique des accords économiques en 1979. Or, c’est en application de ces accords qu’en 1987 a été créée la possibilité d’une assignation fiscale à cette Eglise, par le biais de l’affectation spéciale d’un pourcentage de l’impôt sur le revenu. Dans le cas d’espèce, le Gouvernement constate, toutefois, que  les requérants n’ont pas agi en tant que représentants d’une Eglise, mais uniquement en tant que membres de l’Eglise évangélique baptiste de Valence, dans laquelle le premier requérant est diacre de musique. Ainsi, ni l’Eglise évangélique de Valence ni la FEREDE n’ont demandé jusqu’ici à bénéficier de la possibilité de recevoir l’assignation fiscale de l’Etat. A cet égard, le Gouvernement note que les Eglises évangéliques sont regroupées au sein de la FEREDE qui les représente dans le cadre de la commission mixte paritaire avec l’Etat. Or, ainsi qu’il ressort de la communication du directeur général des affaires religieuses du ministère de la Justice, lors de la réunion du 15 avril 1999, le représentant de la FEREDE n’a pas souhaité présenter une demande tendant à pouvoir bénéficier de l’assignation fiscale au moyen d’une affectation spéciale d’une partie de l’impôt sur le revenu.
En conclusion, le Gouvernement estime que la requête est manifestement dépourvue de fondement.
Les requérants contestent la thèse du Gouvernement et exposent qu’ils ne souhaitent pas un financement public de leur Eglise ni un accord avec les Eglises protestantes. En revanche, ils refusent que leur soit obligatoirement appliqué l’accord souscrit entre l’Etat espagnol et le Saint-Siège du 3 janvier 1979 sur  les affaires économiques. Ce qu’ils exigent, c’est le droit personnel de pouvoir, comme les catholiques, disposer de leur patrimoine afin d’en affecter une partie de l’impôt à leur Eglise. Or, pour ce faire, ils estiment qu’un accord entre l’Etat et les Eglises protestantes n’est pas nécessaire.
Selon la Cour, la question qui se pose dans le cas d’espèce est celle de savoir si les requérants sont victimes d’un traitement qui constitue une discrimination contraire à la Convention sous l’angle de l’article 9 § 1 de celle-ci combiné avec l’article 14.
La Cour rappelle que l’article 14 n’interdit pas toute distinction de traitement dans l’exercice des droits et libertés reconnus, l’égalité de traitement n’étant violée que si la distinction manque de justification objective et raisonnable, c’est-à-dire en l’absence d’un but légitime et d’un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (cf. arrêts du 9 février 1967 en « l’affaire linguistique belge », série A n° 5 § 38, et Darby c. Suède du 24 septembre 1990, série A n° 187, p. 12, § 31).
La Cour rappelle que, par l’article 1 du Protocole n° 1, le système de la Convention reconnaît expressément à l’Etat le pouvoir de lever l’impôt (cf. n° 10358/83, déc. 15.12.83, D.R. 37 pp. 142, 153). En outre, la liberté de religion n’implique nullement que les Eglises ou leurs fidèles doivent se voir accorder un statut fiscal différent de celui des autres contribuables. Cela étant, la conclusion d’accords entre un Etat et une Eglise donnée prévoyant un statut fiscal spécifique en sa faveur ne s’oppose pas, en principe, aux exigences découlant des articles 9 et 14 de la Convention dès lors que la différence de traitement s’appuie sur une justification objective et raisonnable et qu’il est possible de conclure des accords similaires avec d’autres Eglises qui en exprimeraient le souhait. Sur ce point, la Cour note que la loi 7/1980 sur la liberté religieuse autorise la conclusion d’accords entre l’Etat et les différentes Eglises ou associations religieuses en fonction du nombre de leurs fidèles et des croyances majoritaires de la société espagnole. Dans le cadre de cette loi, l’Etat et la FEREDE ont conclu un accord de coopération qui s’est concrétisé dans la loi du 10 novembre 1992. Cet accord couvre divers aspects liés à l’exercice et à la protection juridique du culte évangélique en Espagne. A cet égard, la Cour observe que cet accord est un accord ouvert puisque la  disposition additionnelle n° 2 de la loi prévoit la possibilité de le réviser à l’initiative de l’une ou l’autre des parties. Or, force est de constater que ni l’Eglise à laquelle appartiennent les requérants ni la FEREDE n’ont souhaité souscrire un  accord avec l’Etat espagnol concernant l’assignation à leur Eglise d’une partie de l’impôt sur le revenu.
S’agissant du traitement fiscal spécifique dont bénéficie l’Eglise catholique en Espagne, la Cour observe qu’il est contenu dans la disposition additionnelle 5 de la loi du 23 décembre 1987 sur le budget de l’Etat pour 1988 et découle des  accords conclus le 3 janvier 1979 entre l’Espagne et le Saint-Siège, qui mettent à la charge des deux parties des obligations réciproques : ainsi, par exemple, l’Eglise catholique s’engage à mettre au service de la société son patrimoine historique, artistique et documentaire (accord relatif à l’enseignement et aux affaires culturelles, article XV). D’un autre côté, ses locaux de culte bénéficient d’une exonération fiscale (accord relatif aux affaires économiques, article IV). La Cour constate que les requérants ne contestent pas, en tant que telle, la compatibilité avec la Convention de la possibilité légale dont disposent les fidèles de l’Eglise catholique de pouvoir affecter, s’ils le souhaitent, un pourcentage de leur impôt sur le revenu au financement de leur Eglise. Ce dont ils se plaignent, c’est de ne pas pouvoir agir de même en faveur de leur Eglise sans devoir conclure auparavant un accord avec l’Etat espagnol. La Cour estime toutefois que l’obligation faite à une Eglise de conclure un accord avec l’Etat afin de pouvoir bénéficier de la rétrocession d’une partie de l’impôt sur le revenu recouvré par l’Etat n’apparaît pas comme étant une exigence dénuée de fondement ni disproportionnée. En outre, eu égard à la marge d’appréciation qu’il faut laisser à chaque Etat (arrêt Manoussakis et autres c. Grèce du 29 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1364, § 44), notamment pour ce qui est de l’établissement des délicats rapports entre l’Etat et les religions, un telle obligation ne saurait constituer une ingérence discriminatoire dans le droit à la liberté de religion des requérants (arrêt Cha’are Shalom Ve Tsedek c. France [GC], n° 27417/95 § 84, CEDH 2000-VII). En effet, une telle marge d’appréciation est d’autant plus justifiée qu’il n’existe pas au niveau européen un standard commun en matière de financement des églises ou cultes ; ces questions étant étroitement liées à l’histoire et aux traditions de chaque pays. En outre, la Cour constate que la législation fiscale espagnole ne contraint nullement une personne à verser une partie de ses impôts à l’Eglise catholique. En effet, chaque contribuable peut destiner le pourcentage de ses impôts fixé par la loi budgétaire à des fins d’intérêt social ou général. Au demeurant, la Cour note que, selon le Gouvernement, la législation espagnole en vigueur permet à toute personne d’effectuer, à titre personnel, des dons à l’Église de son choix dans des conditions fiscales avantageuses.
Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le grief des requérants doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Vincent Berger Georg Ress   Greffier Président
DÉCISION ALUJER FERNANDEZ
ET CABALLERO GARCIA c. ESPAGNE
DÉCISION ALUJER FERNANDEZ
ET CABALLERO GARCIA c. ESPAGNE 


Synthèse
Formation : Cour (quatrième section)
Numéro d'arrêt : 53072/99
Date de la décision : 14/06/2001
Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 10-1) LIBERTE D'EXPRESSION, (Art. 10-2) INGERENCE, (Art. 10-2) NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE, (Art. 10-2) PREVUE PAR LA LOI, (Art. 10-2) PROTECTION DES DROITS D'AUTRUI, (Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 14) DISCRIMINATION, (Art. 14) SITUATION COMPARABLE, (Art. 35-3) REQUETE ABUSIVE


Parties
Demandeurs : ALUJER FERNANDEZ ET CABALLERO GARCIA
Défendeurs : l'ESPAGNE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2001-06-14;53072.99 ?
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