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21/06/2001 | CEDH | N°59498/00

CEDH | BOURDOV contre la RUSSIE


EN FAIT
Le requérant, M. Anatoli Tikhonovitch Bourdov, ressortissant russe né en 1952, est domicilié à Chakhty (Russie).
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le 1er octobre 1986, le requérant fut appelé par les autorités militaires pour prendre part aux opérations d’urgence sur le site de la catastrophe de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Le requérant participa à ces opérations jusqu’au 11 janvier 1987 et fut en conséquence abondamment exposé à des émissions radioactives.<

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EN FAIT
Le requérant, M. Anatoli Tikhonovitch Bourdov, ressortissant russe né en 1952, est domicilié à Chakhty (Russie).
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le 1er octobre 1986, le requérant fut appelé par les autorités militaires pour prendre part aux opérations d’urgence sur le site de la catastrophe de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Le requérant participa à ces opérations jusqu’au 11 janvier 1987 et fut en conséquence abondamment exposé à des émissions radioactives.
En 1991, à la suite d’une expertise qui établit le lien entre la mauvaise santé du requérant et son implication dans les événements de Tchernobyl, l’intéressé se vit accorder une indemnité à titre de réparation.
En 1997, le requérant engagea une procédure contre le bureau de sécurité sociale (Управление социальной защиты населения по г. Шахты) de Chakhty, l’indemnité n’ayant pas été versée. Le 3 mars 1997, le tribunal municipal (Шахтинский городской суд) de Chakhty accueillit les griefs du requérant. Il ordonna le versement de la somme due et le paiement d’une pénalité de retard.
Le 9 avril 1999, le bureau d’exécution des jugements (Служба судебных приставов г. Шахты) de Chakhty engagea une procédure d’exécution en vue de recouvrer la pénalité octroyée le 3 mars 1997.
En 1999, le requérant engagea une action contre le bureau de sécurité sociale pour contester une réduction du montant qu’il percevait et pour recouvrer l’indemnité due. Le 21 mai 1999, le tribunal municipal de Chakhty ordonna de revenir au montant de l’indemnité fixé à l’origine. Le tribunal ordonna également le paiement des sommes restant dues et l’indexation des versements de l’indemnité.
Le 30 août 1999, le bureau d’exécution des jugements de Chakhty engagea une procédure d’exécution relativement à l’ordonnance du 21 mai 1999.
Le 16 septembre 1999, le bureau d’exécution avisa le requérant que même si la procédure d’exécution de la décision du 3 mars 1997 était en cours, les versements ne pouvaient être effectués, le bureau de sécurité sociale n’ayant pas les fonds nécessaires.
Le 7 octobre 1999, la direction régionale de la Justice (Главное управление юстиции Ростовской области) de Rostov informa le requérant que les deux décisions ne pouvaient être exécutées car le défendeur ne disposait pas des fonds adéquats.
A la suite de la plainte du requérant concernant le défaut d’exécution, le procureur de Chakhty l’informa le 12 novembre 1999 que le bureau d’exécution suivait la procédure établie mais que son action était entravée par l’absence de financement adéquat.
Le 22 décembre 1999, la direction régionale de la Justice de Rostov informa le requérant que les fonds affectés au versement des indemnités liées à la catastrophe de Tchernobyl allaient être pris sur le budget fédéral et que le paiement serait effectué dès réception de l’accusé du virement correspondant en provenance du ministère russe des Finances.
Le 26 janvier 2000, le parquet régional (Прокуратура Ростовской области) de Rostov informa le requérant que le bureau d’exécution n’était pas responsable du défaut d’exécution et que la dette serait honorée dès que les fonds correspondants seraient virés du budget fédéral.
Le 22 mars 2000, la direction régionale de la Justice avisa le requérant que les indemnités accordées aux victimes de Tchernobyl seraient financées sur le budget fédéral.
Le 11 avril 2000, le bureau d’exécution de Chakhty informa le requérant qu’il était impossible d’exécuter les jugements rendus en sa faveur car la direction régionale du Travail et de la Protection sociale (Министерство труда и социального развития Ростовской области) de Rostov ne disposait pas de fonds suffisants.
Le 16 mai 2000, le procureur de Chakhty informa le requérant que le bureau de sécurité sociale s’était conformé au jugement du 21 mai 1999 et avait recalculé le montant de l’indemnité qui lui était due, mais les paiements ne pouvaient toujours pas être effectués en raison du manque de financement.
Le 9 mars 2000, le tribunal municipal de Chakhty ordonna l’indexation du montant de la pénalité accordée le 3 mars 1997, qui n’avait toujours pas été payée au requérant.
A la suite d’une décision prise par le ministère des Finances, le bureau de sécurité sociale de Chakhty versa le 5 mars 2001 au requérant le montant total restant dû, soit 113 040,38 roubles.
GRIEFS
Le requérant se plaint sous l’angle des articles 2, 13 et 17 de la Convention ainsi que de l’article 1 du Protocole no 1 que le Gouvernement n’a pas rempli ses obligations à son égard en ce qui concerne le versement des indemnités qui lui sont dues.
EN DROIT
1.  Le requérant se plaint sur le terrain des articles 2, 13 et 17 de la Convention ainsi que de l’article 1 du Protocole no 1 que les indemnités qu’il perçoit à titre de réparation ne sont pas conformes à la loi. Il met également en cause la responsabilité du Gouvernement pour les retards importants et non justifiés dans l’exécution des décisions définitives.
La Cour examinera tout d’abord la requête au regard des articles 6 de la Convention et 1 du Protocole no 1, en tant qu’elle soulève la question de l’inexécution des jugements rendus par le tribunal municipal de Chakhty en faveur du requérant.
L’article 6 de la Convention dispose en ses passages pertinents que :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
L’article 1 du Protocole no 1 est ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
Le Gouvernement fait valoir qu’il a versé au requérant les sommes qui restaient dues, soit 113 040,38 roubles (RUR), ce qui comprend les montants accordés par les décisions rendues par le tribunal municipal de Chakhty les 3 mars 1997, 21 mai 1999 et 9 mars 2000 ainsi que les intérêts moratoires. Le Gouvernement allègue que, puisque les demandes pécuniaires du requérant ont été satisfaites, il ne peut plus être considéré comme une victime de la violation alléguée de la Convention ; la requête est donc manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention. Le Gouvernement invoque les contraintes budgétaires et la suspension d’une des procédures pour expliquer les retards survenus dans l’exécution. En outre, il observe qu’entre janvier 1999 et février 2001 le jugement du 21 mai 1999 a été partiellement exécuté.
Le requérant confirme avoir perçu la somme de 113 040,38 RUR à titre de paiement de la dette. Il soutient toutefois que l’indemnité périodique qui lui est versée en raison de sa mauvaise santé reste inférieure à ce qu’elle devrait être en vertu de la loi. Il conteste l’existence de raisons valables justifiant cette inexécution prolongée, affirmant que le Gouvernement n’a commencé à prendre les mesures nécessaires qu’après l’intervention de la Cour. En conclusion, le requérant invite la Cour à constater une violation des droits que lui reconnaît la Convention, à lui accorder une satisfaction équitable pour dommage moral, ainsi qu’à obliger le Gouvernement à réajuster conformément à la loi les montants qu’il perçoit à l’heure actuelle.
Selon l’article 34 de la Convention, « La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne (...) qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles (...) »
Dans son arrêt du 25 juin 1996 dans l’affaire Amuur c. France, la Cour a rappelé qu’« une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention » (Recueil des arrêts et décisions 1996-III, p. 846, § 36).
Certes, en l’espèce, le Gouvernement s’est acquitté de sa dette. Toutefois, ce paiement à titre extraordinaire n’a été effectué que le 5 mars 2001, alors que le requérant s’est trouvé dans l’incapacité pendant au moins les deux années précédant cette date de faire exécuter les jugements.
Pareille situation ne dénote pas de la part des autorités nationales une reconnaissance, explicite ou en substance, d’une violation des droits reconnus au requérant dans la Convention.
Dans ces conditions, la Cour estime que le requérant peut toujours se prétendre victime d’une violation des droits protégés par la Convention. Dès lors, l’exception du Gouvernement doit être rejetée.
Après examen des griefs du requérant au regard des articles 6 de la Convention et 1 du Protocole no 1, la Cour estime qu’ils soulèvent de sérieuses questions de fait et de droit dont la complexité appelle un examen au fond. Cette partie de la requête n’est donc pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention, aucun autre motif d’irrecevabilité n’ayant été établi.
2.  Dans la mesure où le requérant se plaint sous l’angle des articles 2, 13 et 17 de la Convention que le montant de l’indemnité qu’il perçoit est inférieur à ce qu’il devrait être conformément à la loi, la Cour rappelle que la Convention ne garantit pas en soi un droit à des prestations sociales, quels qu’en soient la nature ou le montant (voir, mutatis mutandis, l’affaire Müller c. Autriche, no 5849/72, rapport de la Commission du 1er octobre 1975, Décisions et rapports 3, p. 25). En conséquence, la Cour estime que cette question ne révèle aucune apparence de violation des droits et libertés énoncés dans la Convention ou ses Protocoles. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare recevables, tous moyens de fond réservés, les griefs relatifs à l’inexécution des jugements (article 6 § 1 de la Convention et article 1 du Protocole no 1) ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
DÉCISION BOURDOV c. russie
DÉCISION BOURDOV c. russie 


Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 10-1) LIBERTE D'EXPRESSION, (Art. 10-2) INGERENCE, (Art. 10-2) NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE, (Art. 10-2) PREVUE PAR LA LOI, (Art. 10-2) PROTECTION DES DROITS D'AUTRUI, (Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 14) DISCRIMINATION, (Art. 14) SITUATION COMPARABLE, (Art. 35-3) REQUETE ABUSIVE


Parties
Demandeurs : BOURDOV
Défendeurs : la RUSSIE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (deuxième section)
Date de la décision : 21/06/2001
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 59498/00
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2001-06-21;59498.00 ?
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