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05/07/2001 | CEDH | N°52024/99

CEDH | ARCURI ET TROIS AUTRES contre l'ITALIE


DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 52024/99  présentée par Rocco ARCURI et trois autres  contre l’Italie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 5 juillet 2001 en une chambre composée de
MM. C.L. Rozakis, président,    A.B. Baka,    P. Lorenzen,   Mme M. Tsatsa-Nikolovska,   MM. E. Levits,    A. Kovler,    V. Zagrebelsky, juges,  et de M. E. Fribergh, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 12 janvier 1999 et enregistrée le 2

0 octobre 1999,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants, Rocco Ar...

DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 52024/99  présentée par Rocco ARCURI et trois autres  contre l’Italie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 5 juillet 2001 en une chambre composée de
MM. C.L. Rozakis, président,    A.B. Baka,    P. Lorenzen,   Mme M. Tsatsa-Nikolovska,   MM. E. Levits,    A. Kovler,    V. Zagrebelsky, juges,  et de M. E. Fribergh, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 12 janvier 1999 et enregistrée le 20 octobre 1999,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants, Rocco Arcuri, Anna Maria Mussurici, Mirko Arcuri et Greta Guarino, sont des ressortissants italien, nés respectivement en 1933, 1951, 1974 et 1970 et résident à Turin. Le troisième requérant est le fils de deux premiers requérants, qui sont un couple marié. La quatrième requérante est la fille de la deuxième requérante. Les requérants sont représentés devant la Cour par Me Barone, avocat à Milan.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.
En raison des soupçons qui pesaient sur le premier requérant et qui donnaient à penser qu'il était membre d'une organisation criminelle visant le trafic de stupéfiants, le 23 octobre 1995 le parquet de Turin entama contre celui-ci une procédure en vue de l'application des mesures de prévention établies par la loi n° 1423 du 27 décembre 1956 et par la loi n° 575 du 31 mai 1965, telle que modifiée par la loi n° 646 du 13 septembre 1982. Le parquet demanda également la saisie de certains biens appartenant au premier requérant et/ou aux autres requérants.
Par une ordonnance du 31 octobre 1995, le président de la chambre spécialisée pour les mesures de prévention du tribunal de Turin ordonna la saisie des biens en question, notamment huit véhicules, plusieurs terrains et appartements, deux quote-parts de sociétés commerciales et de nombreux documents. Il observa qu’il ressortait des contrôles accomplis par la direction nationale contre la mafia (DIA) que le premier requérant avait de moyens financiers disproportionnés par rapport à ses activités lucratives légales et aux revenus qu’il déclarait.
Au cours de la procédure devant la chambre spécialisée, les deux premiers requérants, ainsi que des nombreux témoins, furent examinés. Des expertises comptables et financières furent accomplies et les transcriptions de certaines écoutes furent déposées au greffe du tribunal. Ce dernier ordonna en outre la production de certains documents relatifs à d’autres procédures judiciaires entamées contre le premier requérant et/ou d’autres personnes soupçonnées d’appartenir à des associations de type mafieux. Tous les requérants, représentés par un avocat de leur choix, participèrent à la procédure pour l’application des mesures de prévention.
Par une ordonnance du 13 juin 1997, dont le texte fut déposé au greffe le 24 juillet 1997, la chambre spécialisée pour les mesures de prévention du tribunal de Turin décida de soumettre le premier requérant à la mesure de liberté sous contrôle de police, ordonnant en même temps son assignation à résidence dans la commune de Turin pour une durée de quatre ans. La chambre spécialisée ordonna en outre la confiscation des biens précédemment saisis appartenant aux requérants, et ce en application de l'article 2 ter, troisième alinéa, de la loi n° 575 de 1965.
Les juges de la chambre spécialisée soulignèrent d’abord qu’entre 1959 et 1980, le premier requérant avait été condamné à plusieurs reprises pour escroquerie, instigation à la prostitution, coups et blessures, violence privée, séquestration de personne, actes obscènes en lieu public, émission de chèques sans provision, détention abusive d’arme, banqueroute frauduleuse et association des malfaiteurs. D’autre part, il ressortait de certains documents retrouvés chez le premier requérant que celui-ci entretenait des relations étroites avec des personnes liées à la criminalité organisée. Des poursuites pour usure et association des malfaiteurs de type mafieux étaient par ailleurs pendantes contre le premier requérant. Il était vrai que dans le cadre de la procédure pénale pour association des malfaiteurs, la détention provisoire du premier requérant avait été révoquée ; cependant, cette circonstance n’empêchait pas d’estimer « raisonnablement probable » que l’intéressé faisait partie d’une telle association, qu’il prêtait des sommes d’argent à des taux d’intérêt exorbitants et qu’il avait formulé des menaces de mort en cas de non-paiement. En effet, le maintient en détention d’une personne accusée se justifiait lorsqu’il y avait une « très haute probabilité » de culpabilité, alors que l’application des mesures de prévention pouvait se fonder sur un degré de probabilité moins élevé.
En ce qui concernait la situation financière de la famille Arcuri, la chambre spécialisée du tribunal observa qu’il était difficile de reconstituer l’historique des différentes activités économiques entamées par le premier requérant, compte tenu du fait que ce dernier n’avait pas officiellement comptabilisé toutes ses opérations. En tout état de cause, il ressortait des éléments produits qu’au moins une partie de l’importante fortune du premier requérant avait une origine illicite, étant le fruit des infractions de banqueroute frauduleuse, émission de chèques sans provision, commerce illégal de diamants et usure commises par l’intéressé. D’autre part, les requérants n’avaient pas fourni la preuve de la provenance légitime des biens saisis. Il était vrai qu’une partie de ces biens appartenait formellement aux deuxième, troisième et quatrième requérants ; cependant, la chambre spécialisée estima que la totalité du patrimoine de la famille Arcuri avait été créée par le premier requérant, qui, faisant l’objet de nombreuses procédures judiciaires, avait par la suite estimé préférable de transmettre à titre gracieux certains biens aux deux enfants de son couple et d’associer sa femme à ses activités lucratives.
Les requérants interjetèrent appel contre l’ordonnance du 13 juin 1997.
Par une ordonnance du 2 février 1998, la cour d’appel de Turin confirma la décision de première instance. Elle observa notamment que la chambre spécialisée du tribunal avait retenu la dangerosité sociale du premier requérant sur la base des déclarations faites dans le cadre d’autres procédures judiciaires par certains mafieux « repentis », déclarations corroborées par de nombreux éléments et démontrant que l’intéressé avait fréquenté un milieux criminel au moins jusqu’au début des années quatre-vingt-dix. Il ressortait par ailleurs de la transcription des écoutes que le premier requérant avait lourdement menacé ses débiteurs. Quant à l’allégation de l’intéressé, selon laquelle ses disponibilités financières s’expliquaient exclusivement par ses activités lucratives légales de commerçant, la cour d’appel estima que l’origine de la fortune de la famille Arcuri était liée à des activités criminelles. De plus, faute de documentation précise à cet égard, il s’avérait impossible d’évaluer les profits réels que le premier requérant avait tirés de certaines opérations commerciales. Il ressortait par ailleurs de plusieurs éléments que les activités légales de la famille Arcuri étaient nées, s’étaient développées et avaient été alimentées grâce à l’argent provenant des infractions pénales commises par le premier requérant.
La cour d’appel observa enfin que selon une jurisprudence de la Cour de cassation, les biens qui font l’objet d’une mesure de prévention patrimoniale ne doivent pas formellement appartenir à la personne jugée socialement dangereuse, étant suffisant que cette dernière puisse de facto les utiliser comme si elle en était le propriétaire. En l’espèce, le premier requérant n’avait pas allégué que la transmission de certains biens au troisième et quatrième requérant avait entraîné, pour lui, l’impossibilité d’en disposer selon ses souhaits. En ce qui concernait la deuxième requérante, même s’il était vrai que cette dernière avait participé à certaines activités commerciales, il en demeurait pas moins que le premier requérant gardait un rôle primordial dans la gestion et l’organisation des activités en question.
Les requérants se pourvurent en cassation. Par arrêt du 3 juillet 1998, dont le texte fut déposé au greffe le 12 septembre 1998, la Cour de cassation, estimant que la cour d'appel de Turin avait motivé d'une façon logique et correcte tous les points controversés, débouta les requérants de leur pourvoi.
B.  Le droit interne pertinent
Conformément à l'article 2 ter de la loi n° 575 du 31 mai 1965, au cours de la procédure pour l'application des mesures de prévention à l'encontre d'une personne soupçonnée d'appartenir à des associations de type mafieux, « le tribunal, même d'office, ordonne par décision motivée la saisie des biens dont la personne contre laquelle la procédure a été engagée dispose directement ou indirectement, quand il y a lieu d'estimer, sur la base d'indices suffisants, telle que la disproportion considérable entre le train de vie et les revenus apparents ou déclarés, que ces biens constituent le profit d'activités illicites ou son remploi. Avec l'application de la mesure de prévention, le tribunal ordonne la confiscation des biens saisis dont la provenance légitime n'a pas été démontrée. (...) La saisie est révoquée par le tribunal lorsque la demande d'application de la mesure de prévention est rejetée ou lorsque la provenance légitime des biens est démontrée. »
GRIEFS
1.  Les requérants considèrent que la mesure de prévention de la confiscation a porté atteinte à leur droit au respect des biens, tel qu’il est garanti par l’article 1 du Protocole n° 1.
2.  Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, les requérants se plaignent de l’iniquité de la procédure pour l’application des mesures de prévention.
EN DROIT
1.  Les requérants considèrent que la mesure de prévention de la confiscation a porté atteinte à leur droit au respect des biens, tel qu’il est garanti par l’article 1 du Protocole n° 1. Cette disposition se lit ainsi :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
La Cour constate que la confiscation litigieuse a constitué sans nul doute une ingérence dans la jouissance du droit des requérants au respect de leurs biens (voir M. c. Italie, requête n° 12386/86, décision de la Commission du 15 avril 1991, Décisions et Rapports (DR) 70, pp. 59, 78).
Elle note ensuite que la confiscation a frappé des biens dont les tribunaux ont constaté l'origine illégale et a pour but d'éviter que le premier requérant qui, selon les juges italiens, pouvait directement ou indirectement en disposer, puisse les utiliser pour réaliser ultérieurement des bénéfices à son profit ou au profit de l'association de malfaiteurs à laquelle il est soupçonné d'appartenir, et ce au préjudice de la collectivité.
Ainsi, même si la mesure en question a entraîné une privation de propriété, celle-ci relève d'une réglementation de l'usage des biens au sens du second alinéa de l'article 1 du Protocole n° 1, qui laisse aux Etats le droit d'adopter « les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général » (arrêts Agosi c. Royaume-Uni du 24 octobre 1986, série A n° 108, p. 17, § 51 et suivants ; Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A n° 24, pp. 29 et 30, §§ 62-63).
En ce qui concerne le respect des conditions de cet alinéa, la Cour constate d'emblée que la confiscation des biens des requérants a été ordonnée conformément à l'article 2 ter de la loi de 1965. Il s'agit donc d'une ingérence prévue par la loi.
La Cour constate ensuite que la confiscation litigieuse tend à empêcher un usage illicite et dangereux pour la société de biens dont la provenance légitime n'a pas été démontrée. Elle considère donc que l'ingérence qui en résulte vise un but qui correspond à l'intérêt général (arrêt Raimondo c. Italie du 22 février 1994, série A n° 281-A, p. 17, § 30 ; décision de la Commission dans l’affaire M. c. Italie, précitée, pp. 59 et 79). Il reste néanmoins à vérifier si cette ingérence est proportionnée au but légitime poursuivi.
A cet égard, la Cour souligne que la mesure litigieuse s'inscrit dans le cadre d'une politique de prévention criminelle et considère que, dans la mise en œuvre d'une telle politique, le législateur doit jouir d'une grande latitude pour se prononcer tant sur l'existence d'un problème d'intérêt public appelant une réglementation que sur le choix des modalités d'application de cette dernière.
Elle observe par ailleurs que le phénomène de criminalité organisée a atteint, en Italie, des proportions fort préoccupantes.
Les profits démesurés que ces associations tirent de leurs activités illicites leur donnent un pouvoir dont l'existence remet en cause la primauté du droit dans l'Etat. Ainsi, les moyens adoptés pour combattre ce pouvoir économique, notamment la confiscation litigieuse, peuvent apparaître comme indispensables pour lutter efficacement contre lesdites associations (arrêt Raimondo, précité, p. 17, § 30 ; décision de la Commission dans l’affaire M. c. Italie, précitée, p. 80).
De ce fait, la Cour ne saurait méconnaître les circonstances spécifiques qui ont guidé l'action du législateur italien. Il lui incombe toutefois de s'assurer que les droits garantis par la Convention soient, dans chaque cas, respectés.
La Cour constate qu'en l'espèce l'article 2 ter de la loi de 1965 établit, en présence d'« indices suffisants », une présomption que les biens de la personne soupçonnée d'appartenir à une association des malfaiteurs constituent le profit d'activités illicites ou son remploi.
Tout système juridique connaît des présomptions de fait ou de droit. La Convention n'y fait évidemment pas obstacle en principe. Le droit des requérants au respect de leurs biens implique, cependant, l'existence d'une garantie juridictionnelle effective. Dès lors, la Cour doit rechercher si la procédure qui s'est déroulée devant les juridictions italiennes offrait aux requérants, compte tenu de la gravité de la mesure encourue, une occasion adéquate d'exposer leur cause aux autorités compétentes (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Agosi, précité, p. 18, § 55).
A cet égard, la Cour constate que la procédure pour l'application des mesures de prévention s'est déroulée de manière contradictoire devant trois juridictions successives - tribunal, cour d'appel et Cour de cassation. En particulier, les requérants ont eu la possibilité, par les biais de l’avocat de leur choix, de soulever les exceptions et de présenter les moyens de preuve qu’ils ont estimés nécessaires pour sauvegarder leur intérêts, ce qui démontre que les droits de la défense ont été respectés.
La Cour observe en outre que les juridictions italiennes ne pouvaient pas se fonder sur de simples soupçons. Elles devaient établir et évaluer objectivement les faits exposés par les parties et rien dans le dossier ne permet de croire qu'elles aient apprécié de façon arbitraire les éléments qui leur ont été soumis.
Bien au contraire, les juges italiens se sont fondés sur les informations recueillies à la charge du premier requérant, d'où il ressortait que celui-ci entretenait des relations régulières avec des affiliés à la criminalité organisée et disposait de ressources financières disproportionnées par rapport à ses revenus. Les tribunaux nationaux ont en outre soigneusement analysé la situation financière des autres requérants et la nature de leurs relations avec le premier requérant et ont conclu que tous les biens confisqués ne pouvaient qu'avoir été achetés grâce au remploi des profits illicites de M. Rocco Arcuri et étaient de facto gérés par celui-ci, l'attribution formelle du droit de propriété aux trois derniers requérants n'étant qu'un escamotage juridique visant à soustraire les biens litigieux à l'application des dispositions de la loi (voir, mutatis mutandis, Autorino c. Italie, requête n° 39704/98, décision de la Commission du 21 mai 1998, non publiée).
D'autre part, le caractère préventif de la confiscation en justifiait l'application immédiate nonobstant tout recours (arrêt Raimondo, précité, p. 17, § 30).
Dans ces circonstances, compte tenu de la marge d'appréciation qui revient aux Etats lorsqu'ils réglementent « l'usage des biens conformément à l'intérêt général », en particulier dans le cadre d'une politique criminelle visant à combattre le phénomène de grande criminalité, la Cour conclut que l'ingérence dans le droit des requérants au respect de leurs biens n'est pas disproportionnée par rapport au but légitime poursuivi (arrêt Raimondo, précité, p. 17, § 30 ; décision de la Commission dans l’affaire M. c. Italie, précitée, p. 81).
Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2.  Les requérants se plaignent de l’iniquité de la procédure pour l’application des mesures de prévention. Ils invoquent l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, qui, en ses parties pertinentes, est ainsi libellé :
« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)
3.  Tout accusé a droit notamment à :
a)  être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
b)  disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
d)  interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge. »
La Cour doit d'abord déterminer si la disposition invoquée trouve à s'appliquer en l'espèce.
Elle rappelle que, selon la jurisprudence des organes de la Convention, les mesures de prévention prévues par les lois italiennes de 1956, 1965 et 1982, qui n'impliquent pas un jugement de culpabilité mais visent à empêcher l'accomplissement d'actes criminels, ne sauraient se comparer à une « peine » (voir les arrêts Raimondo, précité, p. 20, § 43, Ciulla c. Italie du 22 février 1989, série A n° 148, p. 17, § 39, et Guzzardi c. Italie du 6 novembre 1980, série A n° 39, p. 37, § 100, ainsi que la décision de la Commission dans l’affaire M. c. Italie, précitée, pp. 59, 73-77).
Dès lors, la procédure y relative ne porte pas sur le « bien- fondé » d'une « accusation en matière pénale » (arrêts Raimondo, précité, p. 20, § 43 ; Guzzardi, précité, p. 40, § 108). Le troisième paragraphe de l’article 6, qui concerne les droits des personnes accusées, ne trouve donc pas à s’appliquer en l’espèce.
Il reste à déterminer si la procédure entamée contre les requérants portait sur des « droits et obligations de caractère civil » aux termes du premier paragraphe de l'article 6.
La Cour observe à cet égard que l'article 6 s'applique au civil à toute action ayant un objet « patrimonial » et se fondant sur une atteinte alléguée à des droits eux aussi patrimoniaux (voir arrêts Raimondo, précité, p. 20, § 43 ; Editions Périscope c. France du 26 mars 1992, série A n° 234-B, p 66, § 40).
Tel étant le cas en l'espèce, l'article 6 § 1 est applicable à la procédure litigieuse dans son volet civil.
Les requérants allèguent que les décisions internes se fondent sur une dénaturation des faits et sur des erreurs de droit, qu’il leur a été défendu de prouver que leurs biens avaient été légitimement acquis et qu’en tout cas les autorités ont inversé la charge de la preuve, appliquant une présomption de provenance illicite des biens en question. Cette dernière aurait été fondée sur des simples soupçons, et non sur des preuves produites au cours d’un procès.
La Cour rappelle qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. La recevabilité des preuves relève au premier chef des règles du droit national et il revient en principe aux juridictions internes, et notamment aux cours et tribunaux, d’interpréter la législation et d’apprécier les faits (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Brualla Gómez de la Torre c. Espagne du 19 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, p. 2955, § 31, et Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne du 19 février 1998, Recueil 1998-I, p. 290, § 33). Il n’entre pas dans les attributions de la Cour de substituer sa propre appréciation des faits à celle des juridictions internes ou de se prononcer sur le point de savoir si certains éléments ont été à bon droit admis comme preuves, mais à rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable (voir, entre autres, les arrêts Doorson c. Pays-Bas du 26 mars 1996, Recueil 1996-II, p. 470, § 67, et Van Mechelen et autres c. Pays-Bas du 23 avril 1997, Recueil 1997-III, p. 711, § 50).
Or, comme la Cour vient de le constater sous l’angle de l’article 1 du Protocole n° 1, la procédure pour l'application des mesures de prévention s'est déroulée de manière contradictoire et dans le respect des droits de la défense devant trois juridictions successives. Celles-ci ne pouvaient pas fonder leurs conclusions sur de simples soupçons et ont amplement motivé tous les points controversés, ce qui permet d’écarter tout risque d’arbitraire.
Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Erik Fribergh Christos Rozakis   Greffier Président
DÉCISION ARCURI ET TROIS AUTRES c. ITALIE
DÉCISION ARCURI ET TROIS AUTRES c. ITALIE 


Synthèse
Formation : Cour (quatrième section)
Numéro d'arrêt : 52024/99
Date de la décision : 05/07/2001
Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 35-1) RECOURS INTERNE EFFICACE, (Art. 6) PROCEDURE CIVILE


Parties
Demandeurs : ARCURI ET TROIS AUTRES
Défendeurs : l'ITALIE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2001-07-05;52024.99 ?
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