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16/10/2001 | CEDH | N°37555/97

CEDH | AFFAIRE O'HARA c. ROYAUME-UNI


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE O’HARA c. ROYAUME-UNI
(Requête no 37555/97)
ARRÊT
STRASBOURG
16 octobre 2001
DÉFINITIF
16/01/2002
En l’affaire O’Hara c. Royaume-Uni,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    L. Loucaides,    P. Kūris,   Mme F. Tulkens,   M. K. Jungwiert,   Sir Nicolas Bratza,   Mme H.S. Greve, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du

conseil les 12 juin et 25 septembre 2001,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l’...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE O’HARA c. ROYAUME-UNI
(Requête no 37555/97)
ARRÊT
STRASBOURG
16 octobre 2001
DÉFINITIF
16/01/2002
En l’affaire O’Hara c. Royaume-Uni,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    L. Loucaides,    P. Kūris,   Mme F. Tulkens,   M. K. Jungwiert,   Sir Nicolas Bratza,   Mme H.S. Greve, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 12 juin et 25 septembre 2001,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 37555/97) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et dont un ressortissant irlandais, M. Gerard Patrick O’Hara (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 20 mai 1997 au titre de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant, qui s’est vu accorder le bénéfice de l’assistance judiciaire, est représenté par son conseil. Le gouvernement britannique (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.
3.  Dans sa requête à la Commission, M. O’Hara alléguait principalement qu’il n’avait pas été arrêté sur la base de motifs plausibles de le soupçonner d’avoir commis une infraction, qu’il n’avait pas été traduit aussitôt devant un juge ou un autre magistrat et qu’il ne pouvait faire valoir aucun droit à indemnité en rapport avec lesdits griefs. Il invoquait l’article 5 §§ 1, 3 et 5 de la Convention.
4.  Transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 dudit instrument), la requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour), au sein de laquelle a alors été constituée la chambre chargée d’examiner l’affaire (articles 27 § 1 de la Convention et 26 § 1 du règlement).
5.  Par une décision du 14 mars 2000, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable [Note du greffe : la décision de la Cour est disponible au greffe].
6.  Requérant et Gouvernement ont chacun déposé des observations sur le fond (article 59 § 1 du règlement).
7.  Une audience a eu lieu en public au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 12 juin 2001 (article 59 § 2 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement  MM. H. Llewellyn, ministère des Affaires étrangères    et du Commonwealth, agent,   S. Freeland, , conseil,    O. Paulin,   S. Braviner,   Mme M. Madden, conseillers ;
–  pour le requérant  MM. B. MacDonald, conseil,   D. Mullan, avocat au barreau de Londonderry, solicitor. 
La Cour a entendu MM. MacDonald et Freeland.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8.  Le requérant était, et est toujours, un membre éminent du Sinn Fein. Il a été arrêté par la police à plusieurs reprises et a saisi la justice d’allégations, entre autres, d’arrestation arbitraire, de voies de fait et de mauvais traitements en rapport avec six incidents. A l’issue d’une procédure entamée au sujet d’incidents survenus en 1988 et le 19 mars 1993, la justice lui accorda une indemnité (montant non précisé). Vers janvier 1994, il se vit allouer une indemnité de 2 500 livres sterling (GBP) pour un incident s’étant produit à Guildhall Square le 16 mars 1993, le juge ayant considéré que l’intéressé avait été arbitrairement arrêté par les policiers, qui pour l’appréhender avaient prétexté d’un manque de coopération dont il aurait fait preuve lorsqu’ils l’avaient invité à décliner son identité alors qu’ils savaient parfaitement qui il était. La présente espèce se rapporte à l’arrestation du requérant opérée en 1985 relativement au meurtre de M. Kurt Konig.
9.  Kurt Konig était un ressortissant allemand qui travaillait pour l’entreprise de restauration desservant les commissariats de police à Londonderry. Il fut tué le 21 novembre 1985. L’IRA provisoire revendiqua la responsabilité du meurtre.
10.  Le Gouvernement affirme que les Services spéciaux reçurent des renseignements d’après lesquels le requérant et trois autres personnes étaient impliqués dans le meurtre. Ces renseignements provenaient de quatre indicateurs qui s’étaient avérés fiables dans le passé et avaient notamment fourni des informations qui avaient permis de saisir des explosifs ou des armes à feu et d’entamer des poursuites. Aucun d’eux n’avait de casier judiciaire.
Les renseignements fournis par lesdits indicateurs étaient cohérents en ce sens que tous quatre identifièrent de la même manière les personnes impliquées dans le meurtre, et indépendants dans la mesure où aucun des indicateurs n’avait connaissance de l’existence des autres, chacun ayant livré ses informations lors d’un entretien séparé avec les policiers.
11.  Les Services spéciaux communiquèrent au commissaire R. de la Police royale de l’Ulster (Royal Ulster Constabulary – « RUC ») les renseignements d’après lesquels le requérant était membre de l’IRA provisoire et était impliqué dans le meurtre.
12.  Le commissaire R. répercuta les renseignements à l’inspecteur B., qui les transmit à son tour à l’agent S.
13.  Le 28 décembre 1985 vers 6 heures-6 h 15 du matin, l’agent S. se rendit au domicile du requérant et y effectua une perquisition. A l’issue de celle-ci, qui prit fin à 8 h 5 du matin, S. arrêta le requérant. Il l’avisa qu’il l’arrêtait au titre de l’article 12 § 1 b) de la loi de 1984 portant dispositions temporaires en matière de prévention du terrorisme (« la loi de 1984 »), qui habilitait les policiers à arrêter sans mandat toute personne qu’ils avaient des motifs plausibles de soupçonner de participer ou d’avoir participé à l’accomplissement ou à la préparation d’actes de terrorisme, ou à l’incitation à de tels actes.
14.  Le requérant fut emmené au centre de détention de Castlereagh, où il fut interrogé aux fins de vérification des soupçons d’après lesquels il était membre de l’IRA et avait participé non seulement au meurtre de Kurt Konig mais également à celui de deux militaires perpétré le 1er avril 1982. On l’interrogea à trente-quatre reprises. Il ne répondit à aucune question. D’après le Gouvernement, le premier interrogatoire eut lieu le 28 décembre 1985 à 11 h 50 du matin. Le requérant commença par s’entendre dire que la police enquêtait sur ses liens avec l’IRA provisoire et sur des questions connexes. Des procès-verbaux d’audition fournis par le Gouvernement il ressort qu’au cours de l’interrogatoire suivant, qui dura de 14 h 5 à 16 heures, les policiers informèrent le requérant qu’ils menaient des investigations en rapport avec son appartenance à l’IRA et avec le meurtre de Kurt Konig.
15.  Le 29 décembre 1985, le ministre pour l’Irlande du Nord prorogea de cinq jours au-delà de la période initiale de quarante-huit heures la période de détention du requérant. L’intéressé fut relâché, sans avoir été inculpé, le 3 janvier 1986 à 19 heures, après avoir passé six jours et treize heures en garde à vue.
16.  Par une assignation du 20 août 1986 dirigée contre le commissaire en chef de la RUC, le requérant engagea au civil devant la High Court en Irlande du Nord une action en dommages-intérêts pour, entre autres, voies de fait, saisie de documents, emprisonnement arbitraire et arrestation illégale.
17.  Ainsi que le juge le releva, l’avocat du requérant devant la High Court concentra ses observations sur les allégations de voies de fait et de confiscation de documents. Il souleva toutefois, dans le contexte de la légalité de l’arrestation, l’argument selon lequel l’agent S. n’avait pas des motifs suffisants de soupçonner le requérant d’avoir commis une infraction pour justifier l’arrestation. Lors de sa déposition devant le tribunal, l’agent S. déclara qu’il avait participé, le 28 décembre 1985 à 5 h 30, à un briefing au cours duquel on lui avait donné instruction d’effectuer une perquisition afin de découvrir des preuves et d’arrêter certaines personnes, au nombre desquelles figurait le requérant, soupçonnées d’avoir trempé dans le meurtre de Kurt Konig. Son supérieur, l’inspecteur B., lui avait dit lors de ce briefing que le requérant était impliqué dans le meurtre, et c’était là ce qui constituait les motifs plausibles de soupçonner le requérant. L’agent S. n’affirma pas que l’inspecteur B. lui avait fait part des éléments fondant ses propres soupçons, et il ne fut pas invité par les avocats des parties à s’exprimer à ce sujet. Chacun admettait que le meurtre était constitutif d’une infraction terroriste. Le supérieur de l’agent S. ne fut pas appelé à témoigner au procès.
18.  Le 14 novembre 1990, le juge McCollum estima que c’était au mépris de la légalité qu’un policier avait pris les notes de M. O’Hara, auquel il alloua 100 GBP à titre de dédommagement. Il rejeta en revanche les allégations de voies de fait et de mauvais traitements formulées par le requérant, expliquant que celui-ci ne l’avait pas convaincu, selon le critère de probabilité (on the balance of probabilities), que sa version des événements était exacte et que celle des policiers était fausse.
Quant aux allégations d’arrestation illégale, le juge s’exprima comme suit :
« (...) tandis que [l’avocat du requérant] soutient que l’on ne peut considérer l’arrestation comme légale que si le policier y ayant procédé nourrissait réellement les soupçons à l’origine de la mesure et s’il avait des motifs plausibles de les nourrir à partir de sa propre connaissance des faits les ayant fait naître. L’intéressé admet cependant que tant le juge Carswell que le Lord Chief Justice ont précédemment rejeté le même argument dans des affaires analogues.
Tout en réservant sa position sur cette question, il n’a pas soumis de nouvelles observations et ne m’a pas présenté de nouveaux arguments propres à justifier que je m’écarte du raisonnement développé dans les décisions précitées, et, compte tenu des circonstances, je considère en l’espèce, sur la base du témoignage livré par l’agent [S.], que, du fait des renseignements qui lui avaient été transmis, ce dernier avait des motifs plausibles de soupçonner le [requérant] d’avoir participé à l’accomplissement ou à la préparation d’actes de terrorisme ou à l’incitation à de tels actes.
L’audition de l’agent [S.] n’a pas permis de mettre au jour les éléments révélés à l’intéressé lors du briefing au cours duquel il reçut ces informations.
Sur la base des preuves disponibles, j’estime que l’agent S. soupçonnait le [requérant] d’être impliqué dans le meurtre de Kurt Konig et que ses soupçons étaient raisonnablement fondés sur des renseignements lui ayant été donnés par ses supérieurs lors dudit briefing.
Chacune des parties aurait pu chercher à tirer au clair les détails du briefing, non pour établir la véracité des éléments révélés mais pour vérifier la plausibilité des soupçons nourris par le policier auteur de l’arrestation du requérant. C’est à la partie défenderesse qu’il incombe de prouver la légalité de l’arrestation.
Loin de moi l’idée d’affirmer que l’avis d’un agent exprimé sans la moindre mention d’éléments de fait à l’appui suffit en toute circonstance à fonder des soupçons plausibles dans le chef d’un autre agent. Mais il me paraît qu’un briefing donné de façon officielle par un supérieur livre normalement les motifs plausibles d’entretenir les soupçons en question. Vu le peu de preuves dont je dispose quant aux éléments divulgués à l’agent [S.], je ne suis que tout juste convaincu de la légalité de l’arrestation, mais ma conclusion me paraît renforcée par le fait que, lorsqu’il interrogea l’agent [S.], l’avocat du requérant ne poussa pas vraiment ledit agent dans ses derniers retranchements pour l’amener à préciser davantage la nature des renseignements qui lui avaient été communiqués.
Le principal point de litige entre les parties est celui de savoir si le [requérant] a été victime de voies de fait et de mauvais traitements pendant sa période de détention (...) »
19.  Le 24 octobre 1990, le requérant saisit la Cour d’appel d’Irlande du Nord d’une déclaration d’appel concernant son allégation d’arrestation illégale et d’emprisonnement abusif.
20.  Le 6 mai 1994, ladite juridiction rejeta le recours, confirmant la décision de la High Court qui avait estimé que des soupçons plausibles pouvaient résulter des informations fournies par un supérieur et que l’arrestation litigieuse n’était pas entachée d’illégalité.
« Tout en regrettant de n’avoir pas eu davantage de précisions quant au briefing en cause, le juge de première instance a pu conclure :
« 1.  que le policier ayant procédé à l’arrestation (...) soupçonnait effectivement le [requérant] d’avoir participé à un meurtre terroriste et qu’il fallait considérer que ses soupçons étaient sincères ;
et 2.  que le briefing officiel donné par [son supérieur] à l’agent [S.] avait donné à celui-ci des motifs plausibles d’entretenir lesdits soupçons. »
Il s’agissait là de constatations factuelles, et elles contenaient clairement, d’après nous, l’ensemble des preuves essentielles que la partie défenderesse était tenue de produire pour que l’on pût considérer que l’arrestation litigieuse était légale au regard de l’article 12 § 1 b) de la loi.
[L’avocat du requérant] soutenait que tel n’était pas le cas. Il considérait que l’origine des soupçons et les motifs plausibles leur servant de fondement devaient être exposés devant le tribunal, auquel il incombait ainsi de recueillir le témoignage du policier auteur du briefing, l’inspecteur [B.], quant aux motifs pour lesquels il soupçonnait le [requérant] d’avoir participé à l’accomplissement ou à la préparation d’actes de terrorisme, ou à l’incitation à de tels actes. Il estimait qu’il serait injuste que l’article 12 pût conférer à l’inspecteur [B.] une protection le mettant à l’abri d’un engagement de sa responsabilité pour emprisonnement abusif s’il n’avait pas lui-même de motifs plausibles d’entretenir les soupçons en cause. La première partie de cet argument se heurte, nous l’avons dit, à la jurisprudence existante. Quant à la seconde partie, elle semble hypothétique en l’espèce, dans la mesure où ni l’authenticité ni la bonne foi du « briefing officiel » n’ont été contestées. Aucun élément de fait propre à étayer l’argument n’a été établi (...)
Nous considérons que la décision du juge de première instance était correcte. Les informations dispensées au policier auteur de l’arrestation lors du briefing étaient admissibles, et même si elles étaient, pour reprendre le terme utilisé par le policier lui-même, « maigres » (scanty), elles étaient suffisantes pour que l’on puisse considérer que le policier auteur de l’arrestation avait l’état d’esprit requis par l’article 12 § 1 b) de la loi. »
21.  Saisie d’un recours dirigé contre l’arrêt de la Cour d’appel, la Chambre des lords confirma celui-ci le 12 décembre 1996. Dans sa décision, à laquelle les autres juges souscrivirent, Lord Hope of Craighead considéra qu’il n’était pas nécessaire pour un policier effectuant une arrestation de posséder l’ensemble des informations ayant abouti à la décision d’y procéder, mais que le policier en question devait avoir recueilli, avant d’exercer son pouvoir d’arrestation, des renseignements suffisants pour avoir des motifs plausibles de soupçonner la personne visée. Et de préciser que les informations servant de fondement à une arrestation ne doivent pas nécessairement être basées sur les propres observations du policier qui y procède ; celui-ci peut avoir conçu ses soupçons à partir de ce qu’il a entendu dire, et ses soupçons peuvent passer pour plausibles s’ils se fondent sur des informations qui lui ont été livrées de façon anonyme mais aussi s’ils sont basés sur des renseignements apparus faux ultérieurement. Tout en relevant la rareté des preuves concernant les éléments divulgués lors du briefing, il estima que le juge était habilité à peser les preuves à la lumière des circonstances entourant la cause et eu égard à la source des renseignements en question, de même qu’à apprécier ce qu’une personne raisonnable placée dans la situation d’un observateur indépendant ferait de ces éléments.
22.  En ce qui concerne les principes généraux, Lord Steyn déclara notamment ce qui suit :
« Certains principes généraux concernant les pouvoirs pouvant être exercés par les policiers au titre d’une disposition telle que l’article 12 § 1 peuvent à présent être résumés. 1. Pour avoir des soupçons plausibles, le policier n’a pas besoin de disposer d’éléments suffisants pour constituer un commencement de preuve (prima facie case). Par hypothèse, ce que l’on examine se situe à un stade préliminaire de l’enquête, et des renseignements émanant d’un informateur ou un tuyau donné par une personne quelconque peuvent suffire (voir la décision Hussein v. Chong Fook Kam [1970] A.C. 942, 949). 2. Des renseignements recueillis par ouï-dire peuvent donc constituer pour un policier des motifs plausibles de procéder à une arrestation. Pareils renseignements peuvent émaner d’autres policiers (...) 3. Les informations à l’origine des soupçons nourris par un policier à l’encontre d’un individu doivent avoir une existence réelle dans l’esprit du policier au moment auquel il effectue l’arrestation. 4. C’est l’agent de police qui est investi du « pouvoir d’appréciation discrétionnaire » reconnu à l’exécutif en matière d’arrestation (...), et c’est donc lui, et non ses supérieurs, qui engage sa responsabilité en décidant d’arrêter ou de ne pas arrêter.
De la responsabilité indépendante qui pèse sur un agent de police en vertu d’une disposition telle que l’article 12 § 1 de la loi de 1984 il semble résulter que le simple fait qu’un policier opérant une arrestation ait reçu de la part de son supérieur instruction d’y procéder ne vaut pas motifs plausibles d’entretenir les soupçons requis, au sens de l’article 12 § 1. C’est à bon endroit qu’il est admis qu’une simple demande d’arrestation émise sans autres précisions par un policier de même rang ou d’un rang inférieur ne peut valoir motifs plausibles d’entretenir les soupçons requis. Comment l’insigne d’un supérieur et le fait qu’il a donné un ordre peuvent-ils faire une différence ? (...) En pratique, il en résulte qu’un agent de police doit se voir communiquer certains éléments lorsqu’on lui demande de procéder à l’arrestation d’une personne au titre d’une disposition telle que l’article 12 § 1, par exemple un rapport émanant d’un informateur. »
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
23.  A l’époque pertinente, l’article 12 de la loi de 1984 portant dispositions temporaires en matière de prévention du terrorisme était ainsi libellé :
« 1.  Sous réserve du paragraphe 2 (...), un agent de police peut arrêter sans mandat une personne qu’il a des raisons plausibles de soupçonner :
b)  de participer ou d’avoir participé à l’accomplissement ou à la préparation d’actes de terrorisme auxquels cette partie de la présente loi s’applique, ou à l’incitation à de tels actes ;
4.  Une personne arrêtée en application du présent article ne peut être détenue au titre de son arrestation pendant plus de quarante-huit heures à compter de son arrestation ; le ministre peut toutefois proroger ladite période de quarante-huit heures d’une période ou de périodes précisées par lui.
24.  Cette disposition établit comme critère l’existence de soupçons sincères fondés sur des motifs plausibles, ce qui implique un élément objectif. Il ressort de la jurisprudence interne qu’une arrestation est illégale lorsque le policier qui l’opère a effectivement des soupçons sincères mais que ceux-ci ne sont pas objectivement plausibles (voir, par exemple, Foulkes v. Chief Constable of the Merseyside Police, All England Law Reports 1998, vol. 3, p. 705).
25.  Bien que l’article 12 concerne les soupçons du policier qui procède à l’arrestation, lorsqu’un policier, à l’occasion d’un briefing organisé par lui, déclare à un collègue chargé d’opérer une arrestation qu’il dispose d’informations fiables alors que tel n’est pas le cas, le commissaire en chef peut être déclaré responsable de l’arrestation arbitraire, non du fait du policier auteur de l’arrestation mais du fait du policier auteur du briefing (voir Clarke v. Chief Constable of North Wales Police, 5 avril 2000).
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION
26.  Le requérant se plaint de l’arrestation dont il a fait l’objet le 28 décembre 1985. Il invoque l’article 5 § 1 de la Convention, aux termes duquel :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
c)  s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;
A.  Observations des parties
27.  Le requérant affirme que dès lors qu’il n’a jamais été membre de l’IRA et n’a jamais été impliqué dans le meurtre de Kurt Konig, la police ne peut avoir reçu d’informations fiables indiquant le contraire. Il fait observer que les policiers ne lui ont jamais dit pendant ses interrogatoires qu’ils disposaient de renseignements provenant de quelque source que ce soit qui l’auraient accusé de cette manière ou auraient précisé la nature de sa prétendue implication. Il ajoute que le Gouvernement n’a fourni aucun document ni aucun détail propres à étayer sa simple affirmation selon laquelle pareils renseignements avaient été reçus.
28.  Le requérant allègue que son arrestation et sa détention par la police s’inscrivaient dans une stratégie de harcèlement visant à le mettre sous pression au motif qu’il était un membre éminent du Sinn Fein. Il affirme avoir été arrêté au moins trente fois et avoir subi des périodes de détention de longueur variée, à la suite de quoi il a réussi à obtenir des indemnités pour arrestation et détention abusives. Dans ces conditions, compte tenu de la possibilité réelle que la police ait agi par malice, il y aurait lieu de se montrer particulièrement vigilant dans l’appréciation du caractère suffisant ou non des informations fournies quant aux raisons justifiant les soupçons.
29.  Le requérant soutient qu’en limitant le contrôle juridictionnel à l’état d’esprit du policier auteur de l’arrestation et en excluant les faits objectifs le droit interne n’offrait pratiquement aucune protection contre les arrestations arbitraires. Il autorisait le recours à un policier exécutant, utilisé comme simple outil dans un scénario d’« arrestation programmée ». Selon l’approche suivie par la jurisprudence interne, si les informations données à un policier chargé d’opérer une arrestation par un autre policier à l’occasion d’un briefing étaient suffisantes pour faire naître des soupçons sincères, elles étaient également, selon toute vraisemblance, suffisantes pour engendrer des soupçons plausibles. Il serait impossible en pratique à un requérant de prouver la faute du supérieur ayant induit en erreur le policier auteur de l’arrestation. Par ailleurs, ce ne serait en aucune manière à la personne arrêtée de prouver, dans la procédure interne, un manque de motifs plausibles de procéder à l’arrestation, mais ce serait aux autorités de police défenderesses d’établir la légalité de l’arrestation en appelant les témoins appropriés et en produisant les preuves documentaires pertinentes.
30.  Pour le requérant, l’absence de protection contre l’arbitraire ressortirait en l’espèce des preuves attestant que la police était mue par la malice : elle l’avait en effet déjà arrêté à plusieurs reprises, et à aucun moment pendant les interrogatoires elle n’avait laissé entendre qu’elle disposait d’informations de quelque source que ce fût l’accusant d’être membre de l’IRA ou d’avoir participé au meurtre de Kurt Konig. La police n’avait en outre fourni aucune indication de la nature du rôle qu’il était censé avoir joué dans ledit meurtre. Les éléments divulgués en l’espèce seraient insuffisants pour que la Cour puisse se convaincre de la plausibilité des soupçons allégués, la simple affirmation de l’existence d’informations données par des indicateurs anonymes n’ayant été ni vérifiée ni étayée de quelque manière que ce soit. Le Gouvernement serait en mesure de fournir des notes, des synthèses ou d’autres documents toilettés de manière à protéger l’indicateur concerné et à faire disparaître son identité, comme cela aurait été fait, par exemple, dans l’enquête menée au sujet du « dimanche sanglant » (Bloody Sunday Inquiry).
31.  Le Gouvernement réplique que l’arrestation du requérant a été opérée en conformité avec l’article 5 § 1 c) de la Convention, dans la mesure où l’agent S. avait des motifs plausibles de soupçonner l’intéressé d’être impliqué dans le meurtre de Kurt Konig. A l’origine de ses soupçons plausibles se trouvait le briefing donné par son supérieur. Nul n’aurait du reste contesté devant les juridictions internes que S. nourrissait subjectivement les soupçons requis et que Kurt Konig avait été tué dans le cadre d’une infraction terroriste. Dès lors que le droit interne avait été modifié de façon à remplacer la condition de sincérité des soupçons par celle de plausibilité des soupçons, une décision des tribunaux internes aux termes de laquelle une arrestation n’était pas entachée d’illégalité impliquait que les exigences de l’article 5 § 1 c) avaient été respectées, sauf application erronée du droit interne par ces tribunaux. A cet égard, le Gouvernement attire l’attention de la Cour sur le fait que les juridictions internes ont eu le bénéfice de l’audition des témoins, lesquels ont pu être interrogés par la partie adverse. Le policier auteur de l’arrestation aurait donc été entendu, mais le requérant, qui avait choisi de concentrer ses griefs sur l’allégation de voies de fait, n’aurait, en réalité, pas cherché à éclaircir davantage les circonstances de l’arrestation et se serait ainsi abstenu d’interroger les autres policiers y ayant participé. En particulier, aucune allégation de mauvaise foi n’aurait été formulée ni à l’encontre du policier auteur de l’arrestation ni à l’encontre du policier auteur du briefing. De même, le requérant n’aurait en fait pas interrogé le policier auteur de l’arrestation au sujet de ce qui s’était passé lors du briefing.
32.  Le Gouvernement affirme que les informations transmises lors du briefing provenaient de renseignements précis fournis par des indicateurs fiables et communiqués aux agents des Services spéciaux ; il ressortait de ces renseignements que le requérant et trois autres individus étaient impliqués dans le meurtre de Kurt Konig et que le requérant était membre de l’IRA. Il n’y aurait eu aucun motif de douter de la véracité de ces informations, qui, dans la mesure où elles donnaient des précisions concernant la nature des renseignements fournis et leur crédibilité, suffisaient aux fins de l’article 5 § 1 c). Il était capital que ne fussent pas divulgués des éléments complémentaires qui auraient pu nuire à une source de renseignements, lui faire courir des risques ou compromettre l’approvisionnement de la police en informations.
33.  Le Gouvernement fait encore observer qu’en vertu de l’article 12 § 1 b) de la loi de 1984 seuls devaient être pris en compte les faits et éléments connus du policier auteur de l’arrestation. Toutefois, s’il venait à être établi que les renseignements fournis étaient faux et avaient été communiqués par malice, la personne arrêtée pouvait réclamer une indemnité au travers d’une action pour emprisonnement abusif dirigée contre tout agent ayant agi par malice. Ainsi serait assurée la fonction de prévention des arrestations arbitraires, que ce soit dans le chef du policier y procédant ou dans le chef de son supérieur.
B.  Appréciation de la Cour
34.  La Cour souligne que la « plausibilité » des soupçons sur lesquels doit se fonder l’arrestation constitue un élément essentiel de la protection offerte par l’article 5 § 1 c) de la Convention. L’existence de soupçons plausibles présuppose celle de faits ou de renseignements propres à persuader un observateur objectif que l’individu en cause peut avoir accompli l’infraction. Ce qui peut passer pour plausible dépend toutefois de l’ensemble des circonstances (Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, arrêt du 30 août 1990, série A no 182, p. 16, § 32).
35.  A cet égard, la criminalité terroriste pose des problèmes particuliers, la police pouvant être appelée, dans l’intérêt de la sécurité publique, à arrêter un terroriste présumé sur la base de données fiables mais que l’on ne peut révéler au suspect ou produire en justice sans en mettre en danger la source. Toutefois, si l’on ne peut exiger des Etats contractants qu’ils établissent la plausibilité des soupçons motivant l’arrestation d’un terroriste présumé en divulguant des sources confidentielles de renseignement, la Cour a jugé que la nécessité de combattre la criminalité terroriste ne saurait justifier que l’on étende la notion de « plausibilité » jusqu’à porter atteinte à la substance de la garantie assurée par l’article 5 § 1 c) de la Convention. Même dans ces circonstances, le gouvernement défendeur doit fournir au moins certains faits ou renseignements propres à convaincre la Cour qu’il existait des motifs plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis l’infraction alléguée (arrêt Fox, Campbell et Hartley précité, pp. 16-18, §§ 32-34).
36.  On peut également faire observer que l’alinéa c) de l’article 5 § 1 ne présuppose pas que la police ait rassemblé des preuves suffisantes pour porter des accusations au moment de l’arrestation. L’objet d’un interrogatoire pendant une détention au titre de l’alinéa c) de l’article 5 § 1 est de compléter l’enquête pénale en confirmant ou en écartant les soupçons concrets fondant l’arrestation. Ainsi, les faits donnant naissance à des soupçons ne doivent pas être du même niveau que ceux nécessaires pour justifier une condamnation ou même pour porter une accusation, ce qui intervient dans la phase suivante de la procédure de l’enquête pénale (arrêts Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29 novembre 1988, série A no 145-B, p. 29, § 53, et Murray c. Royaume-Uni, 28 octobre 1994, série A no 300-A, p. 27, § 55).
37.  En l’espèce, la Cour rappelle que le requérant fut arrêté par l’agent S., qui le soupçonnait d’avoir commis une infraction terroriste, à savoir le meurtre de Kurt Konig. Après six jours et treize heures passés en détention, période au cours de laquelle il fut interrogé par des policiers qui n’obtinrent de lui aucune réponse, l’intéressé fut remis en liberté. Il contesta la légalité de son arrestation au travers d’une procédure devant les juridictions internes, qui rejetèrent ses griefs.
38.  La Cour relève d’abord le critère établi par le droit interne quant aux soupçons requis pour justifier une arrestation : ceux-ci doivent être sincères et fondés sur des motifs raisonnables (article 12 § 1 b) de la loi de 1984 ; paragraphes 23-24 ci-dessus). Aussi convient-il de distinguer la présente espèce des affaires Fox, Campbell et Hartley et Murray précitées, dans lesquelles la Cour se pencha sur des griefs visant des arrestations effectuées au titre de dispositions qui n’exigeaient que des soupçons sincères. En l’occurrence, les allégations du requérant aux termes desquelles son arrestation ne reposait pas sur des motifs plausibles de croire qu’il avait commis une infraction furent examinées par les juridictions internes à trois degrés distincts. Au cours de la procédure, le policier auteur de l’arrestation, l’agent S., déposa au sujet des circonstances ayant entouré l’arrestation, et le requérant eut l’occasion de l’interroger. Pareille procédure doit être considérée comme fournissant en soi une garantie significative contre les arrestations arbitraires.
39.  Quant aux motifs ayant présidé à l’arrestation du requérant, l’agent S. déclara au cours de sa déposition qu’un de ses supérieurs lui avait donné lors d’un briefing des informations d’après lesquelles le requérant était soupçonné d’avoir participé au meurtre de Kurt Konig. L’avocat du requérant n’interrogea pas l’agent S. plus avant pour savoir quelles informations lui avaient été communiquées lors du briefing. De même, aucune démarche ne fut entreprise pour que fussent appelés à témoigner d’autres policiers ayant participé à l’arrestation du requérant et à son placement en détention, tel le policier auteur du briefing. Par ailleurs, le requérant ne formula aucune demande de divulgation visant les preuves documentaires existantes concernant l’arrestation. Il soutient devant la Cour que c’était aux autorités de police défenderesses qu’il incombait de citer les témoins nécessaires pour établir la légalité de l’arrestation. Le Gouvernement rétorque qu’il n’y avait aucun motif de citer comme témoin quelque autre policier que ce fût, aucun problème n’ayant été soulevé concernant leur rôle dans les événements. La Cour observe qu’en effet très peu de preuves (le juge de la High Court les qualifia de « maigres ») furent produites concernant les circonstances ayant entouré l’arrestation litigieuse, cela s’expliquant en grande partie par le fait qu’au stade du procès le requérant mit surtout l’accent sur ses allégations de voies de fait et de mauvais traitements. Il n’était donc pas déraisonnable pour les défendeurs à l’action de concentrer leurs réponses sur les allégations formulées par l’intéressé. Dans la mesure dès lors où le requérant se plaint devant la Cour que des précisions n’aient pas été fournies concernant le briefing dans le cadre de la procédure interne, la Cour considère que c’est là la conséquence de la manière dont l’intéressé a articulé ses prétentions.
40.  Dans l’instance devant la Cour, le Gouvernement a expliqué que les informations qui avaient amené la police à procéder à l’arrestation du requérant avaient été obtenues de façon indépendante de quatre indicateurs distincts qui s’étaient avérés fiables par le passé et dont les informations concernant le meurtre étaient compatibles entre elles. C’étaient ces informations qui avaient formé la base de la décision d’arrêter le requérant, et c’est sur leur fondement que le policier ayant briefé l’agent S. avait donné ses instructions à son subordonné. Le requérant conteste que pareilles informations aient réellement été reçues ou qu’elles pussent passer pour fiables puisqu’il était tout à fait étranger à l’incident litigieux. Il soutient qu’il a été arrêté dans le cadre d’une politique arbitraire de la police qui le visait en tant que membre éminent du Sinn Fein. La Cour rappelle toutefois que le requérant n’a jamais révoqué en doute dans la procédure interne la bonne foi d’aucun des policiers ayant participé à son arrestation ou à son placement en détention. Il n’a jamais affirmé, par exemple, que les policiers eussent agi par malice en l’arrêtant ou que son arrestation fût constitutive d’un abus de pouvoir arbitraire, ce qu’il avait réussi à prouver à propos de l’incident du 16 mars 1993 (paragraphe 8 ci-dessus). Il n’a par ailleurs jamais contesté que des policiers eussent assisté à un briefing au cours duquel des informations avaient été communiquées concernant l’identité de personnes ayant participé au meurtre de Kurt Konig ni qu’un certain nombre d’arrestations eussent été programmées.
41.  La Cour rappelle que dans l’affaire Fox, Campbell et Hartley (arrêt précité, pp. 8-9, §§ 8-14) deux des requérants avaient été arrêtés après l’interception et la fouille de leur véhicule. La police avait apparemment obtenu avant cet incident des informations selon lesquelles les intéressés étaient soupçonnés d’appartenir à l’IRA et de faire du renseignement à son profit. Le troisième requérant avait été arrêté au motif qu’on le soupçonnait d’avoir participé à un enlèvement, sans qu’aucune indication n’eût été donnée quant aux éléments justifiant les soupçons, hormis la simple mention du fait que la police disposait d’éléments sensibles rattachant l’intéressé audit incident. La Cour jugea pour chacun des trois requérants que les critères minimums fixés par l’article 5 § 1 pour l’évaluation du caractère raisonnable ou non d’une arrestation n’étaient pas remplis. Par ailleurs, dans l’affaire Murray (arrêt précité, p. 28, §§ 61-62), elle jugea qu’il avait été satisfait aux exigences requises dès lors que l’arrestation du requérant, qui était soupçonné d’avoir participé à la collecte de fonds destinés à l’achat d’armes, se fondait sur des informations fournies au policier auteur de l’arrestation et dont il se dégageait que les frères de l’intéressé avaient été condamnés aux Etats-Unis pour des infractions analogues qui impliquaient une collaboration avec des personnes « de confiance » en Irlande du Nord ; on savait par ailleurs que le requérant s’était rendu aux Etats-Unis et qu’il entretenait des contacts avec ses frères, éléments qui ne l’incriminaient pas forcément. La frontière peut donc être très étroite entre les cas où les soupçons justifiant une arrestation ne sont pas suffisamment fondés sur des faits objectifs et les cas où ils le sont. C’est en fonction des circonstances propres à chaque espèce que l’on peut déterminer si le critère applicable se trouve rempli et si la garantie contre les arrestations arbitraires offerte par l’article 5 § 1 c) a ainsi été assurée.
42.  En l’espèce, les soupçons se fondaient sur des renseignements communiqués lors d’un briefing de police. Fournis par des indicateurs, ils identifiaient le requérant comme l’une des personnes soupçonnées d’avoir participé à une infraction terroriste déterminée : le meurtre de Kurt Konig. Rien dans les éléments fournis à la Cour ne permet de rejeter la thèse du Gouvernement sur ce point. L’arrestation effectuée s’inscrivait donc dans le cadre d’une opération programmée, qui se rapprochait à cet égard de celle opérée dans l’affaire Murray, et elle se fondait sur des éléments légèrement plus précis que dans l’affaire Fox, Campbell et Hartley. Dans ces conditions, et eu égard aux autres éléments distinctifs mentionnés ci-dessus (paragraphes 38-40), la Cour considère que l’appréciation des juridictions internes selon laquelle le juge pouvait à bon droit déduire des quelques éléments dont il disposait l’existence de motifs plausibles de soupçonner le requérant n’était pas incompatible avec le critère imposé par l’article 5 § 1 c) de la Convention.
43.  Le requérant soutient, de façon assez pertinente, que les policiers ne doivent pas être mis en mesure de s’abriter derrière le paravent des informateurs anonymes pour justifier l’usage abusif de leur pouvoir d’arrestation. La Cour rappelle toutefois que l’intéressé n’a pas formulé, dans la procédure interne, d’allégations de mauvaise foi ou d’oppression. Son grief se fondait sur l’argument juridique étroit concernant l’état d’esprit du policier auteur de l’arrestation, au sens de l’article 12 § 1 b) de la loi de 1984. La Cour n’est pas davantage persuadée que la conclusion des juridictions internes selon laquelle le policier auteur de l’arrestation avait les soupçons requis ait eu pour effet d’accorder une immunité aux autres fonctionnaires de police. Si le policier auteur du briefing ou tout autre supérieur hiérarchique du policier auteur de l’arrestation avait délibérément communiqué à celui-ci des informations mensongères ou inexactes, les autorités de police auraient, du fait de cette faute, engagé leur responsabilité pour arrestation arbitraire ou pour emprisonnement abusif (paragraphe 25 ci-dessus).
44.  En conséquence, la Cour considère que la démarche suivie par les juridictions internes en l’espèce relativement au critère applicable aux soupçons n’a pas fait disparaître la responsabilité de la police pour arrestation arbitraire et n’a pas conféré à celle-ci la moindre impunité pour les arrestations opérées sur la base de renseignements confidentiels. Eu égard aux circonstances de l’espèce, les soupçons pesant sur le requérant atteignaient le niveau requis dès lors qu’ils se fondaient sur des informations précises selon lesquelles l’intéressé avait trempé dans le meurtre de Kurt Konig, et la privation de liberté infligée à M. O’Hara visait à confirmer ou dissiper ces soupçons. On peut donc considérer que le requérant a été arrêté et détenu sur la base de « raisons plausibles de soupçonner » qu’il avait commis une infraction, au sens de l’alinéa c) de l’article 5 § 1 de la Convention.
Partant, il n’y a pas eu violation de cette disposition.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION
45.  Le requérant se plaint de n’avoir pas été traduit devant un juge après son arrestation. Il invoque l’article 5 § 3 de la Convention, aux termes duquel :
« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »
46.  La Cour relève que le Gouvernement ne conteste pas que le requérant ait été détenu pendant six jours et treize heures avant d’être finalement relâché et qu’il y a eu à cet égard méconnaissance de l’exigence selon laquelle toute personne arrêtée doit être aussitôt traduite devant un magistrat compétent. Eu égard à sa jurisprudence (en particulier l’arrêt Brogan et autres précité, pp. 33-34, § 62, où des périodes de détention supérieures à quatre jours pour des terroristes présumés ont été jugées incompatibles avec l’exigence d’un contrôle juridictionnel intervenant à bref délai), la Cour juge qu’il y a eu de ce chef violation de l’article 5 § 3 de la Convention.
III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 5 DE LA CONVENTION
47.  Le requérant invoque en outre l’article 5 § 5 de la Convention, aux termes duquel :
« Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »
48.  Le Gouvernement affirme que le requérant disposait d’un droit à réparation pour arrestation et détention illégales qu’il pouvait faire sanctionner en justice. Il précise que si l’intéressé n’a pas été dédommagé, c’est parce que les juridictions se sont dites convaincues qu’il avait été arrêté et détenu en toute légalité.
49.  Le requérant soutient que les critères régissant la légalité des arrestations en droit interne sont moins exigeants que ceux résultant de l’article 5 de la Convention et que, de ce fait, il ne jouissait pour ses griefs d’aucun droit à indemnité sanctionnable en justice.
50.  La Cour n’ayant constaté aucune violation de l’article 5 § 1 (concernant l’existence de soupçons plausibles propres à justifier l’arrestation du requérant), aucune question ne se pose sur le terrain de l’article 5 § 5 en rapport avec ce grief.
51.  Par contre, la Cour a conclu ci-dessus à la violation de l’article 5 § 3 concernant la période pendant laquelle le requérant a été détenu sans avoir été libéré ou traduit devant un magistrat compétent. Nul ne conteste que dès lors que sa détention était conforme au droit interne l’intéressé ne pouvait faire valoir aucun droit à réparation. A cet égard, dès lors, il y a eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention.
IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
52.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
53.  Le requérant affirme avoir subi un dommage moral du fait des six jours et treize heures qu’il a passés en détention et renvoie aux allégations de voies de fait formulées par lui dans la procédure interne. Il dénonce également les conditions, qu’il qualifie d’inhumaines et de dégradantes, dans lesquelles il fut détenu à Castlereagh. Il considère que l’allocation de dommages-intérêts pour l’exemple s’impose lorsqu’il est établi que les auteurs d’une arrestation ont agi en abusant de leur autorité ou de façon oppressive. S’appuyant sur les barèmes applicables en droit interne, il réclame une somme se situant entre 20 000 et 40 000 livres sterling (GBP).
54.  Faisant observer que les allégations de voies de fait et de mauvais traitements ont été rejetées par les juridictions internes, le Gouvernement conteste qu’une quelconque indemnité doive être allouée à l’intéressé pour dommage moral. Pour le cas où la Cour constaterait une violation de la Convention, il estime que pareil constat représenterait en soi une satisfaction équitable suffisante.
55.  La Cour rappelle qu’elle a rejeté la thèse du requérant selon laquelle son arrestation aurait été opérée en méconnaissance de l’article 5 § 1 de la Convention. Elle ne s’est pas exprimée quant aux allégations de voies de fait ou autres traitements oppressifs formulées par lui. Elle a en revanche constaté une violation de l’article 5 § 3 pour autant que le requérant a été détenu sans être traduit devant un magistrat compétent pendant une période dépassant la limite de l’acceptable, ainsi qu’une violation de l’article 5 § 5 pour autant que l’intéressé ne disposait en droit interne d’aucun droit à réparation sanctionnable en justice à cet égard. Tenant compte des circonstances de l’espèce, elle considère toutefois que lesdits constats de violation représentent par eux-mêmes une satisfaction équitable suffisante.
B.  Frais et dépens
56.  Le requérant sollicite un montant total de 29 868,25 GBP. Celui-ci comprend les sommes suivantes : 15 462 GBP pour les frais engagés dans la procédure devant la High Court, la Cour d’appel et la Chambre des lords et pour ceux exposés dans la procédure suivie à Strasbourg, 5 000 GBP pour le senior counsel, 5 406 GBP pour le junior counsel et 3 955 GBP pour un solicitor.
57.  Le Gouvernement considère qu’il n’y a pas lieu de rembourser les frais engagés dans la procédure interne. Il trouve excessifs les montants réclamés au titre des honoraires des deux avocats et estime qu’une somme de 8 000 GBP, à majorer de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), serait plus raisonnable. Il juge acceptable le montant de 3 955 GBP, TVA comprise, demandé au titre des honoraires du solicitor.
58.  La Cour rappelle que la procédure interne pour laquelle le requérant réclame le remboursement de ses frais se rapportait à son allégation d’illégalité de son arrestation. Or une partie de la requête n’a débouché sur aucun constat de violation. Aussi la Cour ne peut-elle accorder aucune indemnité à cet égard. Dans la mesure dès lors où les griefs fondés par le requérant sur la Convention n’ont été que partiellement couronnés de succès, la Cour, statuant en équité, alloue à l’intéressé pour frais et dépens la somme de 11 000 GBP, à majorer de tout montant pouvant être dû au titre de la TVA.
C.  Intérêts moratoires
59.  D’après les informations dont la Cour dispose, le taux d’intérêt légal applicable au Royaume-Uni à la date d’adoption du présent arrêt est de 7,5 % l’an.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.  Dit, par six voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;
2.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;
3.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention relativement au grief fondé par le requérant sur l’article 5 § 1 ;
4.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention relativement au grief fondé par le requérant sur l’article 5 § 3 ;
5.  Dit, à l’unanimité, que ces constats de violation représentent par eux-mêmes une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;
6.  Dit, à l’unanimité,
a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant pour frais et dépens, dans les trois mois de la date à laquelle le présent arrêt sera devenu définitif en application de l’article 44 § 2 de la Convention, 11 000 GBP (onze mille livres sterling), plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée ;
b)  que cette somme sera à majorer d’un intérêt simple de 7,5 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;
7.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 16 octobre 2001, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé Jean-Paul Costa  Greffière Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion partiellement dissidente de M. Loucaides.
J.-P.C.  S.D. 
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE LOUCAIDES
(Traduction)
Je considère moi aussi qu’il y a eu en l’espèce violation des paragraphes 3 et 5 de l’article 5, mais je ne puis souscrire à l’avis de la majorité selon lequel le paragraphe 1 du même article n’a pas été méconnu.
Mon désaccord ne porte pas sur les principes juridiques énoncés dans l’arrêt, mais seulement sur leur application aux faits de l’espèce. Pour ma part, je soulignerais le principe évoqué au paragraphe 34 de l’arrêt :
« (...) la « plausibilité » des soupçons sur lesquels doit se fonder l’arrestation constitue un élément essentiel de la protection offerte par l’article 5 § 1 c) de la Convention. L’existence de soupçons plausibles présuppose celle de faits ou de renseignements propres à persuader un observateur objectif que l’individu en cause peut avoir accompli l’infraction. Ce qui peut passer pour plausible dépend toutefois de l’ensemble des circonstances (Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, arrêt du 30 août 1990, série A no 182, p. 16, § 32). »
Dans l’affaire qui vient d’être citée, la Cour avait également examiné la situation de la criminalité terroriste, qu’elle avait dit entrer dans une « catégorie spéciale », dont les éléments caractéristiques empêchaient « d’apprécier toujours d’après les mêmes critères que pour les infractions de type classique la « plausibilité » des soupçons motivant de telles arrestations [de terroristes présumés] » (ibidem).
La Cour précisa néanmoins que, même pour de tels cas, « la nécessité de combattre la criminalité terroriste ne saurait justifier que l’on étende la notion de plausibilité jusqu’à porter atteinte à la substance de la garantie assurée par l’article 5 § 1 c) » (ibidem). Et de poursuivre : « la Cour doit (...) pouvoir déterminer si la substance de la garantie offerte par l’article 5 § 1 c) est demeurée intacte. Dès lors, il incombe au gouvernement défendeur de lui fournir au moins certains faits ou renseignements propres à la convaincre qu’il existait des motifs plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis l’infraction alléguée » (ibidem, p. 18, § 34).
Dès lors, la question qui se pose en l’espèce se ramène au point de savoir si le gouvernement défendeur a fourni à la Cour « au moins certains faits ou renseignements propres à la convaincre qu’il existait des motifs plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis l’infraction alléguée ». C’est au Gouvernement qu’il incombe de rapporter la preuve de pareils faits ou renseignements, qui évidemment doivent avoir existé à l’époque de l’arrestation.
Nul ne conteste que les preuves produites par l’accusation devant les juridictions internes aux fins de démontrer que des soupçons plausibles pesaient sur le requérant consistaient dans la simple affirmation qu’un  
supérieur du policier auteur de l’arrestation avait dit à ce dernier que le requérant était soupçonné d’être impliqué dans le meurtre objet de l’enquête. Aucun autre élément ne fut communiqué. Le policier auteur de l’arrestation n’affirma pas que son supérieur lui avait révélé les raisons fondant ses propres soupçons, et il ne fut invité à s’exprimer à ce sujet par l’avocat d’aucune des parties.
Pouvons-nous considérer l’information concrète soumise aux juridictions internes comme fournissant une base objectivement suffisante pour que l’on puisse parler de « soupçons plausibles » ? D’après moi, il y a lieu de répondre sans la moindre hésitation par la négative à cette question. Admettre le contraire revient à légaliser une formule générale apte à justifier n’importe quelle arrestation arbitraire : tout policier auteur d’une arrestation pourra toujours justifier celle-ci en affirmant que son supérieur lui a enjoint d’appréhender une personne au motif que des soupçons pèsent sur cette dernière, sans que la moindre explication soit donnée pour justifier pareils soupçons. En l’absence de la moindre information quant aux raisons de considérer que les soupçons étaient plausibles, comment une juridiction peut-elle décider si l’arrestation opérée était arbitraire ou non ?
Le juge ayant connu de la cause en première instance qualifia lui-même de « maigres » les preuves produites devant lui pour établir l’existence de soupçons plausibles. Le même qualificatif fut repris dans la décision de la Chambre des lords. On peut toutefois lire le passage suivant dans l’une des décisions de la Chambre des lords, partagée par la majorité des juges :
« Le juge de première instance a qualifié les preuves de maigres. Mais il lui a semblé que l’on pouvait tirer du briefing les raisons plausibles de soupçonner requises par la législation. En d’autres termes, le juge a conclu que d’autres précisions devaient avoir été livrées lors du briefing. En droit, c’était à la partie défenderesse qu’il incombait de prouver l’existence de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée. Néanmoins, je suis persuadé que le juge était fondé à conclure, à partir des rares éléments dont il disposait, à l’existence de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée. »
Je trouve qu’il y a une bonne part de spéculation dans la conclusion selon laquelle le juge de première instance a en fait considéré que « d’autres précisions devaient avoir été livrées lors du briefing » et que « le juge était fondé à conclure, à partir des rares éléments dont il disposait, à l’existence de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée ». Personnellement, je ne vois pas pourquoi de plus amples précisions concernant la plausibilité des soupçons devraient nécessairement avoir été livrées lors d’un briefing à l’issue duquel un agent de police s’est vu enjoindre par son supérieur d’arrêter le requérant. De plus, je n’aperçois pas pourquoi le juge de première instance aurait été fondé à conclure, à partir des rares éléments dont il disposait, à l’existence de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée. Il n’avait absolument aucune information concernant les motifs justifiant les soupçons. Tout ce qu’on lui avait soumis, c’était une déclaration aux termes de laquelle le supérieur du policier auteur de l’arrestation avait dit à ce dernier que le requérant était soupçonné d’avoir trempé dans le meurtre de Kurt Konig et lui avait ordonné de l’arrêter.
Dans le présent arrêt, la majorité de la Cour a invoqué le fait que le policier auteur de l’arrestation n’avait pas été interrogé par l’avocat du requérant au sujet des informations qu’il avait reçues lors du briefing. Et la majorité d’ajouter que « aucune démarche ne fut entreprise pour que fussent appelés à témoigner d’autres policiers ayant participé à l’arrestation du requérant et à son placement en détention, tel le policier auteur du briefing », puis de conclure que « [d]ans la mesure dès lors où le requérant se plaint devant la Cour que des précisions n’aient pas été fournies concernant le briefing dans le cadre de la procédure interne, la Cour considère que c’est là la conséquence de la manière dont le requérant a articulé ses prétentions ».
Or la charge légale d’établir l’existence de soupçons plausibles de nature à convaincre les autorités judiciaires responsables de la protection des justiciables contre de possibles abus incombe aux fonctionnaires détenteurs du pouvoir d’arrestation, ce que la Chambre des lords a du reste admis dans la procédure interne pertinente. Dès lors, le tribunal avait l’obligation de déterminer si les éléments produits devant lui étaient réellement suffisants pour répondre à l’exigence selon laquelle il y a lieu de fournir à la juridiction saisie « au moins certains faits ou renseignements propres à la convaincre qu’il existait des motifs plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis l’infraction alléguée ». Ce qui compte réellement, ce sont les éléments concrets soumis au tribunal, et non la stratégie choisie par les parties relativement à la présentation de ces éléments. Autrement dit, le juge doit décider exclusivement sur la base des preuves qui lui sont présentées si le critère pertinent se trouve rempli. Que davantage ou moins de preuves auraient pu être produites en fonction de la plus ou moins grande efficacité des questions posées par les parties, cela ne change rien à la mission du tribunal. En fait, l’observation vaut pour toute décision juridictionnelle sur des questions de fait : les tribunaux doivent juger sur la base des preuves produites devant eux, sans spéculer sur l’existence ou la non-existence d’autres preuves qui auraient éventuellement pu venir au jour si les parties avaient agi différemment dans la procédure.
J’ai évoqué les éléments produits en l’espèce devant les juridictions internes à l’époque pertinente pour établir l’existence de « soupçons plausibles ». D’après moi, ce sont ces preuves-là qui comptent réellement pour trancher la question litigieuse. Je considère que des preuves soumises pour la première fois ex post facto devant la Cour sont dépourvues de pertinence et doivent être écartées au simple motif que si elles avaient été disponibles au moment de l’arrestation, elles auraient dû être produites devant les juridictions internes compétentes, qui auraient ainsi pu les évaluer et statuer à leur sujet par rapport à la question en cause. La Cour européenne des Droits de l’Homme ne peut agir ni comme juridiction de première instance  ni comme juridiction de quatrième instance et elle ne peut apprécier dans des affaires telles que celle de l’espèce des preuves n’ayant jamais été produites devant les juridictions internes.
Dans la procédure devant la Cour, le Gouvernement a expliqué que les informations qui avaient amené la police à arrêter le requérant avaient été obtenues de façon indépendante de quatre indicateurs distincts qui s’étaient révélés fiables par le passé et dont les renseignements concernant le meurtre étaient compatibles entre eux. D’après le Gouvernement, ce sont ces renseignements qui fondaient la décision de procéder à l’arrestation du requérant et qui étaient à l’origine des instructions données à l’agent S., auteur de l’arrestation, par son supérieur lors du briefing. Le requérant contestait que ces renseignements eussent réellement été reçus ou qu’ils pussent être considérés comme fiables, vu qu’il était parfaitement étranger à l’incident. La majorité semble avoir admis leur existence et écarté la thèse du requérant essentiellement au motif que l’intéressé n’avait jamais contesté « dans la procédure interne la bonne foi d’aucun des policiers ayant participé à son arrestation ou à son placement en détention ». A cet égard, la majorité ajouta de façon générale que « [r]ien dans les éléments fournis à la Cour ne permet de rejeter la thèse du Gouvernement sur ce point » (paragraphes 40 et 42 de l’arrêt).
En ce qui me concerne, pour les raisons que j’ai indiquées ci-dessus, j’estime irrecevables les précisions livrées par le Gouvernement devant la Cour quinze ans après les faits. De toute manière, on peut douter que les renseignements fournis étayent suffisamment la thèse du Gouvernement puisqu’ils ne couvrent pas les raisons justifiant les soupçons, ni la nature de l’implication alléguée du requérant dans le crime en question, ni, a fortiori, le fait que ces renseignements n’ont pas été produits devant la juridiction interne compétente à l’époque pertinente.
La majorité établit dans son arrêt une comparaison entre la présente espèce et les affaires Fox, Campbell et Hartley et Murray c. Royaume-Uni. Elle considère que la présente espèce se rapproche davantage de l’affaire Murray que de l’affaire Fox, Campbell et Hartley. Je rappelle le principe énoncé dans l’arrêt de la majorité : le point de savoir si la garantie contre les arrestations arbitraires offerte par l’article 5 § 1 c) a été assurée dépend des circonstances de l’espèce. J’ajoute qu’il n’y a pas deux affaires qui soient identiques. Cela dit, s’il faut comparer les analogies qu’elle présente avec les affaires précitées, j’estime que la présente espèce se rapproche davantage de l’affaire Fox, Campbell et Hartley que de l’affaire Murray, car tant dans le cas de M. O’Hara que dans celui des requérants Fox, Campbell et Hartley, absolument aucun élément propre à étayer la plausibilité des soupçons ne fut produit devant les juridictions internes, alors que dans l’affaire Murray certains faits de nature à justifier les soupçons avaient en fait été présentés devant les juridictions nationales compétentes.
Ma conclusion est qu’en l’espèce aucun fait ni aucune information n’ont été soumis qui porteraient à conclure que les soupçons pesant sur le requérant étaient plausibles. Dès lors, le contrôle juridictionnel du point de savoir si a été assurée la garantie contre les arrestations arbitraires offerte par l’article 5 § 1 c) a été rendu inopérant. Je considère que la sûreté individuelle est une valeur très importante dans une société démocratique et que l’on ne doit y porter atteinte que lorsqu’il y a pour cela de bonnes raisons, objectivement justifiées. On ne peut établir des soupçons plausibles justifiant une arrestation sur la base d’une simple affirmation du policier auteur de l’arrestation selon laquelle son supérieur soupçonnait la personne en cause et lui a dès lors ordonné de l’arrêter. Or c’est bien ce qui s’est passé en l’espèce, et c’est pourquoi j’estime qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 c) de la Convention.
Dans ces conditions, j’aurais alloué au requérant un montant supérieur au titre de ses frais et dépens.
ARRÊT O’HARA c. ROYAUME-UNI
ARRÊT O’HARA c. ROYAUME-UNI 
ARRÊT O’HARA c. ROYAUME-UNI
ARRÊT O’HARA c. ROYAUME-UNI 
ARRÊT O’HARA c. ROYAUME-UNI –
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE LOUCAIDES
ARRÊT O’HARA c. ROYAUME-UNI –  
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE LOUCAIDES


Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Non-violation de l'art. 5-1 ; Violation de l'art. 5-3 ; Violation de l'art. 5-5 ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement partiel frais et dépens

Analyses

(Art. 5-1-c) RAISONS PLAUSIBLES DE SOUPCONNER, (Art. 5-3) AUSSITOT TRADUITE DEVANT UN JUGE OU AUTRE MAGISTRAT


Parties
Demandeurs : O'HARA
Défendeurs : ROYAUME-UNI

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (troisième section)
Date de la décision : 16/10/2001
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 37555/97
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2001-10-16;37555.97 ?

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