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07/02/2002 | CEDH | N°42189/98

CEDH | AFFAIRE H.L. c. FRANCE


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE H.L. c. FRANCE
(Requête n° 42189/98)
ARRÊT
STRASBOURG
7 février 2002
DÉFINITIF
07/05/2002
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire H.L. c. France,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
M. C.L. Rozakis, président,   Mme F. Tulkens,   MM. J.-P. Costa,    P. Lorenzen,    E. Levits,    A. Kovler,   

 V. Zagrebelsky, juges,  et de M. E. Fribergh, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le...

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE H.L. c. FRANCE
(Requête n° 42189/98)
ARRÊT
STRASBOURG
7 février 2002
DÉFINITIF
07/05/2002
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire H.L. c. France,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
M. C.L. Rozakis, président,   Mme F. Tulkens,   MM. J.-P. Costa,    P. Lorenzen,    E. Levits,    A. Kovler,    V. Zagrebelsky, juges,  et de M. E. Fribergh, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 janvier 2002,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (n° 42189/98) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat,  H. L. (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 3 avril 1998 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant est représenté devant la Cour par Maître Lipsos, avocat au barreau de Pau. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par Mme M. Dubrocard, Sous-directrice des Droits de l’Homme au ministère des Affaires étrangères, en qualité d’agent.
3.  Le requérant alléguait la durée excessive de procédures diligentées devant les juridictions administratives.
4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).
5.  La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
6.  Par une décision du 17 octobre 2000, la Cour a déclaré la requête recevable.
7.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).
8.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1).
EN FAIT
9.  Le requérant est propriétaire de plusieurs parcelles qu’il exploite à Lagos (Pyrénées-Atlantiques). En 1986, une procédure de remembrement fut mise en œuvre par les autorités administratives portant sur diverses communes, dont Lagos.
10.  Le requérant s’opposa à ce remembrement et formula de nombreuses demandes et observations devant les commissions intercommunale et départementale. Il contesta la légalité des décisions prises par ces commissions ainsi que la redistribution des terres, la répartition des parcelles lui paraissant inéquitable.
1.  Première procédure
11.  Le 31 mars 1989, le requérant déposa une requête auprès du tribunal administratif de Pau, tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 2 février 1989 par laquelle la commission départementale avait rejeté sa réclamation concernant le remembrement de ses terres sises à Lagos. La défense déposa son mémoire le 9 juin 1989. L’instruction fut clôturée le 31 octobre 1992. Le requérant déposa de nouveaux mémoires les 5 novembre 1991 et 17 août 1992 et des pièces les 14 novembre 1989 et 3 novembre 1992.
12.  Le tribunal rejeta cette requête dans un jugement du 2 décembre 1992 en considérant que les dispositions du code rural invoquées n’avaient pas été méconnues.
13.  Le requérant déposa une requête contre cette décision, devant le Conseil d’Etat, le 11 février 1993, invoquant la violation de plusieurs dispositions du code rural.
14.  Par arrêt du 17 décembre 1997 notifié le 5 janvier 1998, le Conseil d’Etat rejeta la requête.
2.  Deuxième procédure
15.  Le requérant déposa, le 31 août 1989, une requête devant le tribunal administratif de Pau tendant à l’annulation de la décision de la commission interdépartementale du 15 novembre 1988, désignant le géomètre. Il déposa un mémoire tendant aux mêmes fins le 17 août 1992. Le 27 août 1992, la défense présenta son mémoire. L’instruction fut clôturée le 4 novembre 1992.
16.  Le requérant déposa une autre requête devant le tribunal administratif de Pau le 20 décembre 1989, tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté du 20 octobre 1989 par lequel le préfet ordonnait l’envoi en possession provisoire des nouvelles parcelles. La défense déposa son mémoire le 9 juillet 1990, et le requérant un nouveau mémoire le 5 novembre 1991. L’instruction fut clôturée le 4 novembre 1992.
17.  Le tribunal joignit ces deux affaires et rejeta les requêtes dans un jugement du 2 décembre 1992.
18.  Le requérant forma une requête devant le Conseil d’Etat, le 11 février 1993. Cette requête fut rejetée par arrêt du 17 décembre 1997 qui lui fut notifié le 5 janvier 1998.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
19.  Le grief du requérant porte sur la durée des procédures qui ont débuté respectivement le 31 mars 1989 et les 31 août 1989 et 20 décembre 1989 et se sont toutes terminées le 17 décembre 1997. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
20.  Les procédures ont débuté respectivement le 31 mars 1989 et les 31 août 1989 et 20 décembre 1989 et se sont terminées le 17 décembre 1997. Elles ont donc duré respectivement huit ans et plus de huit mois, huit ans et plus de trois mois et huit ans.
21.  Le Gouvernement convient que l’affaire ne présentait pas de complexité particulière de nature à allonger la procédure. Il considère que le comportement des juridictions saisies n’a pas révélé d’importants dysfonctionnements dans la phase de jugement. Par contre, il expose que le requérant a, par son comportement, contribué à l’allongement de la procédure. Le Gouvernement admet cependant que ces nombreuses productions ne peuvent expliquer à elles seules les délais, que le délai de jugement des requêtes n’apparaît pas globalement satisfaisant et s’en remet à la sagesse de la Cour pour l’appréciation de leur caractère raisonnable.
22.  Le requérant conteste les affirmations du Gouvernement concernant son comportement durant les procédures, et estime au contraire avoir fait preuve de diligence. Il affirme n’avoir pas produit des pièces nouvelles à multiples reprises devant le Conseil d’Etat. Il produit la correspondance échangée entre son avocat et le greffe du Conseil d’Etat et notamment quatre courriers adressés au Conseil d’Etat en 1994 et 1995, demandant le point de la procédure dans les deux affaires.
23.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Frydlender c. France [GC], n° 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
24.  Elle constate que dans les procédures en cause, le Gouvernement n’excipe pas de la complexité des affaires. Elle estime que le comportement du requérant ne peut, à lui seul, expliquer la durée de ces procédures et relève notamment qu’un délai de respectivement trois ans et dix mois et un peu plus de cinq ans s’est écoulé entre la saisine du Conseil d’Etat et le prononcé de ses arrêts.
25.  La Cour rappelle qu’il incombe aux Etats contractants d’organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d’obtenir une décision définitive dans un délai raisonnable (voir, par exemple, les arrêts Caillot c. France, n° 36932/97, § 27, ou Frydlender précité, § 45). Il appartenait donc à l’Etat défendeur de faire le nécessaire pour éviter des délais d’inactivité aussi longs.
26.  En conclusion, à la lumière des critères dégagés par la jurisprudence et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, la Cour considère que la durée des procédures litigieuses est excessive et ne répond pas à la condition du délai raisonnable. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
27.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
28.  Le requérant sollicite 150 000 francs français en réparation de son préjudice moral et matériel. Il expose qu’il a subi un préjudice moral certain du fait de la durée anormalement longue de la procédure, soulignant le fait qu’il est agriculteur.
29.  Le Gouvernement estime que le requérant ne démontre pas l’existence d’un préjudice matériel résultant directement de la durée de la procédure et propose de lui allouer, au cas où la Cour estimerait le délai excessif, 25 000 francs français au titre du préjudice moral.
30.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et un quelconque dommage matériel dont le requérant aurait à souffrir . Partant, il échet de rejeter ses prétentions à ce titre (voir, par exemple, les arrêts Demir et autres c. Turquie du 23 septembre 1998, Recueil 1998-VI, p. 2660, § 63, Nikolova c. Bulgarie du 25 mars 1999, n° 31195/96, § 73, CEDH 1999-II, Caillot c. France du 4 juin 1999, 36932/97, (troisième section), non publié , § 29 et Arvois c. France du 23 novembre 1999, n° 38249/97, non publié, § 18).
En revanche, elle juge que le requérant a subi un tort moral certain du fait de la durée des procédures litigieuses. Compte tenu des circonstances de la cause et statuant en équité comme le veut l’article 41, elle lui octroie 7 000 euros, à ce titre.
B.  Frais et dépens
38.  Le requérant sollicite le remboursement de 40 000 francs au titre des honoraires d’avocat. Il produit des factures pour un montant de 30 460 francs français, dont 23 960 francs pour la procédure devant la Cour.
32.  Le Gouvernement estime que, compte tenu du grief invoqué, seuls les frais exposés pour la procédure devant la Cour devraient être pris en compte.
33.  La Cour constate, au vu des documents produits par le requérant, que son avocat a incontestablement fait des démarches au moins devant le Conseil d’Etat pour tenter de faire accélérer la procédure. Elle lui alloue donc environ 10 150 francs français, soit 1 547,42 euros, à ce titre. Elle accorde également au requérant le remboursement des honoraires pour la procédure à Strasbourg pour un montant dûment justifié de 23 960 francs français, soit 3 652, 58 euros.
C.  Intérêts moratoires
34.  Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable en France à la date d’adoption du présent arrêt est de 4,26 % l’an.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
2.  Dit,
a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i) pour dommage moral, 7 000 EUR (sept mille euros) ,
ii) pour frais et dépens, 5 200 EUR (cinq mille deux cents euros) ,
b)  que ces montants seront à majorer d’un intérêt simple de 4, 26 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;
3.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 février 2002 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Erik Fribergh Christos Rozakis   Greffier Président
ARRÊT H.L.  c. FRANCE
ARRÊT H.L.  c. FRANCE 


Synthèse
Formation : Cour (première section)
Numéro d'arrêt : 42189/98
Date de la décision : 07/02/2002
Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE ADMINISTRATIVE


Parties
Demandeurs : H.L.
Défendeurs : FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2002-02-07;42189.98 ?

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