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26/02/2002 | CEDH | N°38784/97

CEDH | AFFAIRE MORRIS c. ROYAUME-UNI


ANCIENNE TROISIÈME SECTION
AFFAIRE MORRIS c. ROYAUME-UNI
(Requête no 38784/97)
ARRÊT
STRASBOURG
26 février 2002
DÉFINITIF
26/05/2002
En l'affaire Morris c. Royaume-Uni,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    W. Fuhrmann,    L. Loucaides,   Sir Nicolas Bratza,   Mme H.S. Greve,   MM. K. Traja,    M. Ugrekhelidze, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambr

e du conseil les 23 octobre 2001 et 30 janvier 2002,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
P...

ANCIENNE TROISIÈME SECTION
AFFAIRE MORRIS c. ROYAUME-UNI
(Requête no 38784/97)
ARRÊT
STRASBOURG
26 février 2002
DÉFINITIF
26/05/2002
En l'affaire Morris c. Royaume-Uni,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    W. Fuhrmann,    L. Loucaides,   Sir Nicolas Bratza,   Mme H.S. Greve,   MM. K. Traja,    M. Ugrekhelidze, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 23 octobre 2001 et 30 janvier 2002,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 38784/97) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et dont un ressortissant de cet Etat, M. Dean Morris (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 31 octobre 1997 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant allègue qu'il n'a pas été entendu par un tribunal indépendant et impartial en raison des défauts tenant à la structure du système des cours martiales. En outre, son audience devant la cour martiale n'aurait pas été équitable du fait des actes des autorités de poursuite et de son officier défenseur. Enfin, il n'aurait pas bénéficié d'une assistance judiciaire gratuite comme il en avait le droit.
3.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 dudit Protocole).
4.  La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
5.  Par une décision du 3 juillet 2001, la chambre a déclaré la requête recevable [Note du greffe : la décision de la Cour est disponible au greffe].
6.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).
7.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a cependant continué à être examinée par la chambre de l'ancienne troisième section qui l'avait déclarée recevable.
8.  Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 23 octobre 2001 (article 59 § 2 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement  MM. C. Whomersley, ministère des Affaires étrangères    et du Commonwealth, agent,   P. Havers QC, conseil,   J. Betteley,  Mme L. Nicholl,  MM. D. Howell,   G. Risius,   S. Andrews,  conseillers ;
–  pour le requérant  MM.  J. Mackenzie, conseil,    S. Lindsay, conseiller.
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Mackenzie et M. Havers.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
9.  En septembre 1991, à l'âge de seize ans, le requérant s'enrôla dans l'armée britannique, plus précisément dans les Life Guards, les cavaliers de la garde. En novembre 1992, il fut affecté au régiment de cavalerie de la garde royale (Household Cavalry Mounted Regiment – « le HCMR »), où il apprit l'équitation. Il allègue que des militaires, dont un soldat de première classe, lui firent subir des brimades pendant les leçons d'équitation. Vers la fin de novembre 1992, le soldat de première classe lui aurait donné un coup de poing sur le côté de la tête, ce qui l'aurait fait tomber et se cogner la tête par terre. Le 30 novembre 1992, quelques jours après cette agression, l'intéressé se fit porter malade et déclara au médecin militaire que sa blessure au visage résultait d'une chute de cheval. Le 26 février 1993, le requérant, qui allègue avoir craint une nouvelle agression, s'absenta sans permission. Le 17 mars 1993, il écrivit une lettre au chef de corps du régiment (un lieutenant-colonel), où il déclarait notamment : « mon incapacité à faire preuve d'un enthousiasme suffisant pendant l'entraînement a parfois conduit certains sous-officiers à commettre des violences physiques » ; il y demandait aussi à ne plus servir dans l'armée. Cette lettre resta sans réponse.
10.  La police arrêta le requérant le 16 octobre 1996 et le conduisit à la caserne du régiment, située à Hyde Park, à Londres. Le lendemain, il fut accusé de s'être absenté sans permission au mépris de l'article 38 a) de la loi de 1955 sur les armées. Le 18 octobre 1996, le major Kelly, en sa qualité de chef de corps adjoint, le mit aux arrêts de rigueur. Le rapport du 24 octobre 1996, rédigé au bout de huit jours d'incarcération, indique le motif de détention suivant : « susceptible de s'absenter (...) – a déjà proposé un pot-de-vin au sous-officier adjoint de garde pour qu'il le libère ». Le 31 octobre 1996, il comparut devant le chef de corps, qui le mit aux arrêts de rigueur afin d'obtenir sa déposition, puis aux arrêts simples le 11 novembre 1996. Le chef de corps le plaça en détention provisoire en attendant le jugement par une cour martiale de district le 13 mars 1997.
11.  Dans une déclaration formulée le 4 novembre 1996 devant la police militaire, le requérant indiqua avoir été agressé par le soldat de première classe au cours de la semaine précédant son absence sans permission, mais il affirma dans une déclaration du 29 janvier 1997 que l'agression s'était produite en février 1993. La police constata que le soldat en question avait quitté l'armée et enregistra les déclarations d'autres militaires qui avaient suivi les mêmes cours d'équitation que l'intéressé. Elle ne trouva aucun élément pour étayer sa plainte. Le requérant signa par la suite une déclaration où il indiquait notamment : « [j]e suis parvenu à la conclusion que la seule chose que je veuille, c'est quitter l'armée et recommencer à vivre (...). Même si cette agression a eu lieu, je ne veux pas que la police militaire (...) prenne une autre mesure au sujet de cet incident, quelle qu'elle soit. »
12.  Après que le requérant eut été placé en détention dans l'attente de son procès, le chef de corps désigna le capitaine A. comme « officier défenseur ». Ce dernier était un officier de l'armée sans formation juridique, servant dans le HCMR comme commandant de troupes. Le requérant sollicita l'assistance judiciaire auprès de l'autorité militaire compétente en matière d'assistance judiciaire au pénal (« l'autorité militaire compétente ») afin de pouvoir se faire représenter par un solicitor. Il indiqua sur le formulaire de demande que sa solde hebdomadaire, après déduction des impôts, du loyer et de l'assurance sociale, était de 158,13 livres sterling (GBP), et qu'il ne possédait pas d'économies ni de biens de valeur. Le formulaire était contresigné par son chef de corps. Par une lettre du 26 mars 1997, l'autorité militaire répondit qu'une accusation d'absence sans permission ne justifiait pas normalement une représentation en justice, mais que soit son chef de corps soit lui-même devait lui adresser une lettre exposant les raisons pour lesquelles il considérait qu'une assistance judiciaire devait lui être accordée à titre exceptionnel, si tel était le cas. Le solicitor du requérant écrivit à l'autorité militaire le 18 avril 1997 pour faire observer que l'intéressé risquait une peine d'emprisonnement et devait donc être représenté. Par une lettre du 21 avril 1997, l'autorité militaire proposa au requérant l'assistance judiciaire moyennant un acompte de 240 GBP. Le Gouvernement affirme que le requérant aurait pu payer en dix versements hebdomadaires de 24 GBP chacun, mais celui-ci dément que cette possibilité lui ait été offerte. Le 30 avril 1997, le solicitor du requérant écrivit à l'autorité militaire pour lui demander de revoir la condition relative au versement d'un acompte, mais le 2 mai 1997 avant que l'autorité militaire n'eût répondu, le requérant refusa l'offre d'assistance judiciaire. En conséquence, il ne fut pas représenté par un solicitor devant la cour martiale.
13.  Le 2 mai 1997, le requérant signa également un document adressé « à qui de droit », où il faisait la déclaration suivante :
« Je soussigné, Morris D., matricule 25009734, soldat de deuxième classe dans les Life Guards, certifie que je ne souhaite plus être représenté à mon prochain procès devant la cour martiale de district autrement que par mon officier défenseur, le capitaine [A.].
J'ai pris cette décision de mon plein gré. Je comprends qu'il ne sera désormais plus tenu aucun compte des précédents courriers se rapportant à ma demande de représentation en justice. »
14.  Le procès du requérant en cour martiale se tint à la caserne de Chelsea le 28 mai 1997. La cour siégeait dans la composition suivante : lieutenant-colonel A.D. Hall, du corps royal des ingénieurs en électricité et mécanique, président permanent des cours martiales (désigné à ce poste en janvier 1997 pour l'occuper jusqu'à son départ à la retraite en septembre 2001), président ; capitaine R. Reid, du corps royal des médecins militaires, à Aldershot ; capitaine W.D. Perks, du second bataillon du régiment royal du Gloucestershire, Berkshire et Wiltshire (volontaires), à Reading, ainsi qu'un judge advocate civil ayant une formation juridique (paragraphe 26 ci-dessous). Les trois officiers ne relevaient pas de la zone de commandement dans laquelle le requérant servait. Le président travaillait chez lui lorsqu'il ne participait pas à des audiences de cour martiale.
15.  Le capitaine A. représenta le requérant, qui plaida coupable du chef d'absence sans permission entre le 25 février 1993 et le 16 octobre 1996. La lettre adressée par l'intéressé le 17 mars 1993 à son chef de corps fut remise à la cour, sans autre mention des brimades que l'intéressé alléguait avoir subies. Le requérant fut condamné à être révoqué de l'armée et à une peine d'emprisonnement de neuf mois.
16.  Après l'audience, le capitaine A. informa le requérant que, s'il interjetait appel, la date de début de la peine risquait d'être repoussée à la date de rejet de l'appel, ce qui était faux. Le 31 mai 1997, le requérant désigna un solicitor. Le 19 juin 1997, celui-ci adressa un recours au Conseil de défense, en sa qualité d'« autorité de contrôle » (paragraphe 29 ci-dessous), en se fondant sur le fait que le requérant n'avait pas été représenté devant la cour martiale et que ses allégations d'agression n'avaient pas été soumises à la cour, soit pour plaider la contrainte (cet argument peut être utilisé en défense lorsque la personne accusée d'une infraction pénale peut montrer qu'à l'époque des faits elle était raisonnablement convaincue qu'elle serait tuée ou grièvement blessée si elle ne commettait pas cette infraction) soit pour demander une atténuation de la peine. Aux termes du recours, il était peu vraisemblable que l'officier défenseur eût compris que le requérant pouvait invoquer la contrainte pour sa défense et cet officier aurait déclaré qu'on lui avait « donné l'ordre » de ne pas se référer à ces allégations devant la cour martiale, sans préciser de qui venait cet ordre. Le recours mentionnait également les instructions que l'officier défenseur avait données à l'intéressé quant à ce que celui-ci devait faire au cas où la cour martiale lui poserait d'elle-même des questions sur ses allégations. Il indiquait enfin que l'officier défenseur avait informé le requérant que « s'il faisait appel, sa peine pourrait bien être allongée ». Le jour du dépôt du recours, le solicitor écrivit au capitaine A. pour l'inviter à formuler des commentaires à ce sujet et lui rappeler qu'il était soumis au secret professionnel et ne devait divulguer à aucun tiers les détails de ses entretiens avec le requérant. Malgré cet avertissement, le capitaine A. remit au Conseil de défense une déclaration où il indiquait notamment :
« En ma qualité de chef de troupes [du requérant], on m'a demandé de le représenter devant la cour martiale ; c'est le premier procès en cour martiale auquel j'ai assisté, à quelque titre que ce soit, alors que j'ai l'expérience d'affaires civiles devant des Magistrates'courts et des Crown courts. (...)
[Le requérant] m'a déclaré qu'il s'était absenté de l'armée pour de multiples raisons ; comme indiqué dans sa lettre du 17 mars 1993, il montrait des réserves quant à son enthousiasme, son engagement et son dévouement au devoir. (...)
[L]e recours indique que j'ai supposé que l'appelant n'avait pas d'autre possibilité que de plaider coupable, puisqu'il s'était absenté sans permission. Je ne savais pas qu'il aurait pu plaider non coupable en invoquant la contrainte. [Le requérant] et moi n'avons pas discuté des allégations de brimades très en détail, et ce parce qu'il les avait retirées lorsqu'il avait été interrogé par les policiers militaires.
[Le requérant] m'a déclaré qu'il voulait supprimer toute référence aux violences commises par le sous-officier pendant sa formation, afin que le procès puisse se tenir à une date bien plus proche et dure sensiblement moins longtemps. Cela m'a conduit à conseiller [au requérant] de plaider coupable, car il me semblait qu'il pourrait ainsi être révoqué de l'armée au plus tôt, ce qui, après tout, était le but principal qu'il recherchait. (...)
J'ai parlé avec l'officier adjoint de mon rôle d'officier défenseur. Nous avons évoqué les étapes de la procédure devant la cour martiale et la conduite que j'aurais à tenir jusqu'au procès. Il m'a été confirmé qu'en plaidant coupable la date du procès pourrait être fixée plus tôt qu'en plaidant non coupable.
J'ai informé [le requérant] que le fait de mentionner ses allégations de brimades pourrait prolonger et compliquer son procès. Ce sujet serait abordé par le biais de sa lettre du 17 mars 1993 adressée à son chef de corps, où il en parlait ; il accepta que cette lettre fût soumise à la cour comme circonstance atténuante. [Le requérant] convint qu'il ne voulait pas répondre à des questions concernant ses allégations antérieures, qu'il avait bel et bien abandonnées.
C'est pourquoi je lui ai conseillé de me transmettre pareilles questions si on lui en posait, à charge pour moi de déclarer à la cour qu'il ne souhaitait pas en parler. (...) »
17.  Le 14 juillet 1997, l'autorité de contrôle rejeta le recours en ces termes :
« L'autorité de contrôle a examiné le recours soumis par votre client susmentionné, et le rejette pour les raisons suivantes.
L'acompte pour l'assistance judiciaire a été calculé avec soin, et correspond bien au montant que l'appelant aurait dû payer dans le cadre du système civil. L'attestation qu'il a signée montre à l'évidence qu'il avait décidé de ne pas maintenir sa demande de représentation. Nous ne pouvons admettre que [le requérant] a en quoi que ce soit été contraint de prendre cette décision. Il semble également qu'il ait été satisfait d'avoir le capitaine [A.] pour officier défenseur.
Le bureau des enquêtes spéciales de la police militaire a enquêté sur les griefs de brimade et n'a pu établir les allégations. De fait, il est apparu lors de l'enquête que l'appelant avait déclaré à [un autre soldat] qu'il avait l'intention de s'absenter simplement parce qu'il en avait assez de la formation et des longues heures de travail. Eu égard au rapport du bureau des enquêtes spéciales, l'autorité de contrôle doit admettre que l'allégation selon laquelle l'appelant a subi des violences de la part d'un sous-officier ne peut être établie, et ne saurait donc passer pour une circonstance atténuante.
Pour examiner votre grief selon lequel l'appelant aurait pu plaider non coupable en invoquant la contrainte s'il avait bénéficié des conseils d'un solicitor qualifié, nous nous sommes fiés à l'avis du Judge Advocate General. Celui-ci a déclaré qu'une personne est soumise à la contrainte lorsque les paroles ou le comportement d'une autre personne lui font craindre d'être tuée ou grièvement blessée si elle ne commet pas l'infraction en cause. Il apparaît à l'évidence que l'appelant n'a à aucun moment pu raisonnablement croire qu'il avait des raisons de craindre d'être tué ou gravement blessé.
L'autorité de contrôle constate que l'appelant avait abandonné ses allégations de violence avant de comparaître devant la cour martiale. Le capitaine [A.] avait seulement l'intention d'informer la cour que l'appelant ne souhaitait pas maintenir ces allégations. En fait, la cour en a quand même eu connaissance parce qu'il lui a été donné lecture de la lettre du (sic) chef de corps.
Nous reconnaissons que le capitaine [A.] a commis une erreur en conseillant à l'appelant de consulter la brochure intitulée « Appels et recours après une condamnation par une cour martiale de l'armée de terre » [« Appeals and Petitions after conviction by Army Court Martial »], qui n'était plus valable après le 1er avril 1997. En outre, il s'est également trompé de paragraphe. Toutefois, puisque nous devons nous prononcer sur le recours, nous estimons qu'en dépit de ces conseils erronés l'appelant n'a subi aucun préjudice. (...) »
18.  Le 26 juillet 1997, le requérant sollicita l'autorisation de saisir la cour martiale d'appel. Un juge unique la refusa le 22 octobre 1997 au motif que l'intéressé n'avait pas la possibilité d'invoquer la contrainte comme moyen de défense, que le conseil de plaider coupable lui avait été donné à bon escient et que la peine infligée n'était pas manifestement excessive.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A.  La structure des cours martiales et la procédure devant elles
19.  La loi de 1996 sur les forces armées (la « loi de 1996 »), entrée en vigueur le 1er avril 1997, est venue amender la loi de 1955 sur les forces armées (la « loi de 1955 »).
20.  En vertu de la loi de 1996, la décision initiale d'engager ou non des poursuites appartient à l'autorité supérieure – un officier supérieur – qui doit déterminer si une affaire dont l'a saisie le chef de corps de l'accusé doit être traitée selon une procédure simplifiée, renvoyée à l'autorité de poursuite, ou classée définitivement. Une fois sa décision prise, l'autorité supérieure n'aura plus à intervenir.
21.  Lorsque l'accusé appartient à l'armée, le rôle du procureur est assuré par l'autorité de poursuite de l'armée (« l'autorité de poursuite »). Après la décision de l'autorité supérieure de lui déférer une affaire, l'autorité de poursuite a toute latitude, en appliquant des critères analogues à ceux dont le parquet fait usage au civil, de décider d'entamer ou non des poursuites, de choisir le type de cour martiale approprié et de préciser les chefs d'accusation. C'est elle qui mènera alors les poursuites (annexe I à la loi de 1996, partie II), au nom de l'Attorney General. Actuellement, l'autorité de poursuite est la direction des services juridiques de l'armée. Dans son rôle d'autorité de poursuite, le directeur doit rendre compte à l'Attorney General et, lorsqu'il exerce les fonctions de juriste principal de l'armée, il doit faire rapport à l'Adjutant General (officier responsable du personnel et de la formation, chargé notamment de la politique disciplinaire de l'armée et membre de la commission ad hoc de l'armée (Army Board)). Dans ces dernières attributions, le directeur des services juridiques de l'armée fournit des conseils juridiques à la hiérarchie militaire, mais non à la hiérarchie disciplinaire, ce rôle étant réservé au comité consultatif du général de brigade.
22.  L'autorité militaire compétente en matière d'assistance judiciaire pénale est également sous la responsabilité de l'Adjutant General.
23.  Le bureau administratif de la cour martiale (désormais le service judiciaire des armées), indépendant de l'autorité supérieure comme de l'autorité de poursuite, est chargé de prendre les dispositions nécessaires pour les cours martiales, notamment fixer les lieu et date du procès, s'assurer de la disponibilité d'un judge advocate et de tout agent de la cour dont la présence serait nécessaire, veiller à la comparution des témoins et choisir les membres des cours martiales. Les officiers du bureau sont nommés par le Conseil de défense. L'officier administrateur responsable a compétence pour dissoudre la cour avant l'audience. Jusqu'au début de 2001, le responsable du bureau administratif de la cour martiale était un officier à la retraite. Le service judiciaire des armées, qui a été créé pour le remplacer, est maintenant dirigé par un général de brigade en activité.
24.  A l'époque des faits, une cour martiale de district devait se composer d'un président permanent des cours martiales (« président permanent »), d'au moins deux officiers en activité ayant un minimum de deux années d'expérience militaire et d'un judge advocate ou rapporteur (article 84D de la loi de 1955 tel qu'amendé par la loi de 1996). L'officier administrateur, les supérieurs de l'accusé, les membres de l'autorité supérieure, les officiers enquêteurs ainsi que tous les autres officiers ayant participé à l'instruction de l'affaire ne pouvaient faire partie de la cour martiale (article 84C(4) de la loi de 1955 tel qu'amendé par la loi de 1996). Le règlement de 1997 sur les cours martiales (Courts Martial (Army) Rules 1997) prévoit en outre qu'un officier servant sous les ordres de : i. l'autorité supérieure qui renvoie l'affaire, ii. l'autorité de poursuite, ou iii. l'officier administrateur, ne peut être choisi. Les décrets royaux (Queen's Regulations) disposent qu'une cour martiale doit, autant que faire se peut, être composée d'officiers appartenant à des unités différentes.
25.  Le poste de président permanent des cours martiales fut créé à l'origine en 1941. Les présidents permanents furent par la suite couramment désignés pour siéger dans des cours martiales de district lorsqu'ils étaient disponibles jusqu'à la suppression de ce poste en 2000, à peu près à l'époque où M. Pearson, suppléant du judge advocate, jugea le 6 mars 2000, dans l'affaire McKendry (paragraphe 31 ci-dessous), que, vu la désignation des présidents permanents, les cours martiales ne présentaient pas l'impartialité et l'indépendance nécessaires aux fins de l'article 6 de la Convention. Les présidents permanents étaient choisis parmi les officiers en activité possédant l'âge et le grade requis. Jusque vers la fin de 1996, les présidents permanents des cours martiales avaient le grade de commandant. Par la suite, ils eurent celui de lieutenant-colonel, en conséquence de quoi les présidents permanents avaient habituellement un grade supérieur à celui des autres membres de la cour martiale de district, qui n'étaient jamais plus que commandants. Il ne leur était pas demandé d'avoir des qualifications ou une expérience juridiques. Ils étaient en général désignés pour une période de plus de trois ans et il s'agissait presque toujours du dernier poste occupé par un officier avant sa retraite. Le secrétaire militaire (un subordonné de l'Adjutant General) avait le pouvoir de mettre fin aux fonctions d'un président permanent, mais cela ne s'est jamais produit.
26.  Les judge advocates sont nommés par le ministre de la Justice (Lord Chancellor). Il s'agit de civils qui doivent posséder au moins sept ans d'expérience comme advocate, ou cinq ans comme barrister. La décision d'un judge advocate sur un point de droit lie la cour. Le judge advocate prononce un résumé en public avant que la cour ne se retire pour délibérer. Il détient le pouvoir de dissoudre la cour martiale une fois l'audience ouverte. Il participe au vote sur la peine mais non sur le verdict. La loi de 1996 lui a retiré sa fonction consistant à fournir des conseils juridiques d'ordre général au ministre de la Défense (annexe I, partie III, articles 19, 25 et 27).
27.  Tout membre de la cour martiale doit prêter le serment suivant :
« Je jure devant Dieu tout-puissant de juger le prévenu qui comparaît devant la présente cour en mon âme et conscience, en me fondant sur les preuves, et d'administrer dûment la justice en respectant la loi de 1955 sur l'armée, sans partialité ni distinction de personnes.  Je jure en outre de ne divulguer en aucune manière ni à aucun moment le vote ou l'avis du président ou de tout membre de la présente cour, sauf si la loi m'y oblige. »
28.  Les décisions concernant le verdict et la peine sont prises à la majorité (article 96 de la loi de 1955). Si une voix prépondérante est requise, ce sera celle du président de la cour martiale, qui doit aussi énoncer en public les raisons du choix de la peine. Les membres de la cour doivent s'exprimer puis, à l'issue des délibérations, voter sur le verdict et la peine, par ordre d'ancienneté croissante.
29.  Tous les verdicts de culpabilité et peines prononcés par une cour martiale doivent être revus par l'« autorité de contrôle » (article 113 de la loi de 1955 tel que modifié par la loi de 1996). Bien que la responsabilité en incombe en dernier ressort au Conseil de défense, le contrôle est en général effectué par un subordonné de l'Adjutant General. L'avis postérieur au procès que l'autorité de contrôle reçoit d'un judge advocate (autre que celui ayant siégé à la cour martiale) est communiqué au prévenu, qui a le droit de soumettre un recours à l'autorité. Celle-ci peut annuler le verdict de culpabilité et la peine qui l'accompagne, et prononcer à la place un verdict de culpabilité et une peine, choisis parmi ceux que la cour martiale aurait pu rendre, la peine ne devant pas être selon elle plus lourde que la peine initiale (article 113AA de la loi de 1955 tel que modifié par la loi de 1996). L'autorité de contrôle rend une décision motivée ; le verdict et la peine qu'elle prononce sont considérés à toutes fins utiles comme s'ils émanaient de la cour martiale.
30.  Il existe un droit de recours contre la condamnation et la peine auprès de la cour martiale d'appel (juridiction civile) (article 8 de la loi de 1968 sur les cours martiales d'appel – Courts Martial (Appeals) Act 1968). La cour martiale d'appel accorde l'autorisation de la saisir lorsque la condamnation est contestable et la refuse dans tous les autres cas. Elle a notamment le pouvoir de demander la présentation de preuves et la comparution de témoins, qu'ils soient nouveaux ou qu'il s'agisse de preuves déjà produites ou de témoins déjà comparus devant la cour martiale (article 28 de la loi de 1968).
B.  Jurisprudence interne
31.  Le rôle du président permanent a été examiné par la cour martiale d'appel (composée comme la cour d'appel civile) dans les affaires R. v. Spear and another et R. v. Boyd (Court of Appeal, Criminal Division (England and Wales), 2001, p. 2). La cour a rejeté le grief des appelants selon lequel la participation des présidents permanents aux cours martiales était contraire à l'article 6 § 1 de la Convention au motif que ceux-ci ne présentaient pas l'indépendance et l'impartialité nécessaires. La cour a refusé de suivre le raisonnement exposé par le judge advocate adjoint Pearson dans l'affaire McKendry. Lord Justice Laws a déclaré lors du prononcé de l'arrêt de la cour :
« 24.  M. Mackenzie s'appuie bien entendu sur la décision du Judge Advocate General adjoint Pearson dans McKendry. Ce dernier a donné son avis, comme nous l'avons dit, le 6 mars 2000, par le biais d'un jugement dans une affaire qui passait alors en cour martiale, et portait sur des récusations soulevées pour le compte de la défense à l'encontre du [président permanent de la cour martiale] qui siégeait à la cour. La partie centrale du raisonnement du judge advocate figure aux pages 8-9 du procès-verbal, après qu'il se fut correctement référé aux normes à appliquer contenues à l'article 6 (les numéros figurant dans le texte du judge advocate general ont été ajoutés par nos soins) :
« 1.  Je suis préoccupé par les conditions de nomination de ces présidents permanents. Il me semble qu'il n'y a pas d'autre limite fixe dans le temps qu'une durée qui peut être assez brève – deux, trois ou quatre ans ; une période de deux ans est probablement trop courte pour assurer une totale indépendance, quatre années pourraient convenir – je ne me prononce pas à ce sujet.
2.  Leur formation me soucie. Quant à la mention du fait qu'ils se rendent à l'APA [Army Prosecuting Authority – autorité de poursuite de l'armée], je soupçonne qu'il s'agit d'une faute de frappe ; quoi qu'il en soit, elle figure actuellement dans le descriptif de leurs fonctions et je ne peux qu'être préoccupé par l'impression de parti pris qu'elle suscite ; il ne me paraît pas bon que l'on dise aux présidents permanents qu'ils doivent se rendre à une réunion d'information organisée par l'autorité de poursuite.
3.  A l'évidence, la possibilité de leur renvoi me préoccupe. Il est clair que toute personne exerçant des fonctions judiciaires ou quasi-judiciaires doit être à l'abri d'un renvoi arbitraire, et il doit exister une certaine forme de garantie pour que le renvoi ne puisse être prononcé qu'en cas de faute dans l'exercice de ces fonctions précises. Il me paraît donc que les présidents permanents ne jouissent actuellement d'aucune sécurité dans leurs fonctions.
4.  Je suis à l'évidence aussi préoccupé par la question du rapport. Je doute qu'ils fassent un rapport annuellement, ils en font un plus probablement un an sur deux, ou peut-être au moment où ils sont reconduits dans leurs fonctions – je ne saurais dire, mais il existe certainement une forme de rapport et il me semble là encore qu'il s'agit d'une difficulté importante qui influe sur la manière dont est perçue leur indépendance.
Je viens donc de faire part de trois [en réalité quatre] de mes principales préoccupations (...) elles sont à mon avis suffisantes pour dire que, vu les caractéristiques particulières du système actuel, la désignation de présidents permanents ne permet pas de constituer un tribunal indépendant et impartial. »
Le judge advocate a pris grand soin de souligner que sa décision « se limitait à cette affaire précise » ; cependant, son raisonnement s'applique à l'évidence au moins à toutes les cours martiales de district présidées par un président permanent.
25.  M. Mackenzie s'est efforcé de compléter le raisonnement de l'affaire McKendry par une série de nouveaux arguments (...). Il a en particulier fait valoir que a) il n'existait pas de dispositions objectives pour réglementer la désignation des présidents permanents en dehors des procédures ordinaires relatives à la désignation du personnel ; b) « le grade intermédiaire des présidents permanents les empêche d'être à l'abri de l'influence générale de l'armée » (...) ; c) le président permanent est d'un grade supérieur aux autres officiers siégeant à la cour martiale (...) et serait susceptible d'exercer une grande influence sur eux.
26.  Il est commode de traiter tout d'abord de ce dernier point. Dans McKendry, le judge advocate a déclaré (à propos d'un membre subalterne d'une cour martiale de district – p. 6C-D) :
« Parlant en mon nom – j'ai bien entendu pris part à de très nombreuses délibérations sur la peine avec des présidents permanents – je peux dire que j'ai constaté que les membres subalternes (...) le fait qu'ils soient d'un grade inférieur, ne les a pas empêchés d'exprimer leurs arguments quant à la peine avec beaucoup de fermeté. »
En tant que judge advocate, il n'aurait naturellement pas participé aux délibérations de la cour sur la condamnation. Il faut noter qu'en vertu du paragraphe 70 al. 4 du règlement de 1997 sur la cour martiale militaire (Court Martial (Army) Rules 1997), l'officier subalterne doit prendre la parole le premier dans le cadre de toute délibération de cour martiale. Cette disposition vise à l'évidence à permettre aux membres de grade inférieur d'exprimer leur véritable opinion.
27.  A cet égard, l'argument de M. Mackenzie ne porte pas du tout sur la situation particulière du président permanent, mais plutôt sur le fait que les membres des cours martiales ne sont pas tous du même grade, que le président soit un président permanent ou non. Nous nous demandons donc s'il peut utiliser cet argument. En tout état de cause, il est clair pour nous que cet argument est sans fondement. S'il était juste, cela signifierait probablement que l'article 6 § 1 exige que les membres d'une cour martiale soient des officiers du même grade. Or cela ne saurait être la règle. Si elle était admise, l'idée qu'il est raisonnable de craindre que, lorsque des personnes appelées à prendre ensemble une décision n'ont pas le même grade, il y a systématiquement un risque que le moins gradé soit indûment influencé par ce qu'il perçoit comme étant le point de vue du plus gradé, constituerait à n'en pas douter un effet secondaire non recherché et indésirable du régime bénéfique de la Convention. Nous estimons qu'il est parfaitement raisonnable de supposer que les officiers subalternes considéreraient qu'il est de leur devoir d'exprimer leur propre point de vue et que la culture moderne au sein de l'armée irait précisément en ce sens. Nous ne pensons pas qu'il soit raisonnable que le soldat accusé nourrisse une autre opinion. Cet argument ne tient pas.
28.  Il en va de même de l'argument relatif au grade intermédiaire du président permanent et à « l'influence générale de l'armée ». Il y a toutefois autre chose à dire. La manière dont cet argument est formulé – « le grade intermédiaire des présidents permanents les empêche d'être à l'abri de l'influence générale de l'armée » – s'assimile, en toute rigueur, à une allégation  de parti pris réel (inconscient ou non). Il ne s'agit pas, ou pas seulement, d'une question d'apparence ou de présence ou non de garanties objectives. C'est une manière délicate de dire que les officiers de grade intermédiaire sont plutôt susceptibles d'adopter le point de vue de l'accusation. Il s'agit là d'une allégation grave, qui n'est pas étayée par le moindre commencement de preuve. Selon nous, il est tout bonnement condescendant de suggérer qu'un officier du grade de lieutenant-colonel (...) verra son jugement quant aux faits concrets d'une affaire particulière affecté par une entité aussi informe que « l'influence générale de l'armée ».
29.  A notre avis, l'argument suivant de M. Mackenzie quant à l'absence de disposition réglementaire particulière ne conduit nulle part, sauf s'il vient étayer la thèse selon laquelle la durée des fonctions des présidents permanents n'est pas suffisante pour que cette cour soit convaincue que les exigences de l'article 6 en matière d'indépendance et d'impartialité sont respectées. (...)
30.  (...) [R]églons le point 2 dans McKendry. Le judge advocate a compris que les présidents permanents des cours martiales de l'armée étaient tenus, au cours de leur formation, de rendre visite à l'autorité de poursuite des armées et d'en recevoir des instructions. Or le judge advocate lui-même rapporte (p. 4E) l'assurance qui lui a été donnée que de telles visites n'avaient pas lieu. Le lieutenant-colonel Stone a expressément déclaré qu'il ne s'était jamais rendu à l'autorité de poursuite. Le raisonnement suivi par le judge advocate dans McKendry donne à penser qu'un ou plusieurs documents malhonnêtes ont dû circuler ; quoi qu'il en soit, cet argument est à l'évidence dénué de tout fondement. »
32.  Lord Justice Laws a formulé la conclusion suivante concernant le grief des requérants tiré de la position des présidents permanents (paragraphe 33) :
« (...) Nous estimons que les conditions dans lesquelles les présidents permanents de cours martiales sont désignés et exercent leurs fonctions ne sont à l'origine d'aucune méconnaissance de l'article 6 § 1, et notamment, qu'il n'y a pas eu violation dans les circonstances particulières de ces affaires. Citons tout d'abord les faits que nous considérons comme importants : 1) les présidents permanents exercent en dehors de la hiérarchie militaire ; ils exécutent pour l'essentiel leurs activités professionnelles sans avoir de contacts, ou très peu, avec leurs collègues militaires ; 2) M. Havers a reconnu à juste titre qu'il n'existait aucune « garantie écrite » les protégeant contre le renvoi, mais aucun président permanent n'a en pratique jamais été démis de ses fonctions ; nous pouvons en déduire qu'un tel renvoi n'est prononcé que dans des circonstances très exceptionnelles qui ne se sont jamais produites ; 3) le poste de président permanent est le dernier qu'occupe cet officier et il ne débouche sur aucun avancement ou promotion ; aucun des présidents permanents en fonction dans ces affaires n'entretenait pareil espoir ; (...) 4) ces présidents permanents ont tous été nommés pour un mandat de quatre ans au moins (...) ; 5) il n'y a pas eu de rapport sur les présidents permanents des cours martiales de l'armée depuis avril 1997. (...) »
C.  Autre jurisprudence pertinente
33.  Dans l'affaire R. c. Généreux (Recueil de la Cour suprême, 1992, vol. 1, p. 259), la Cour suprême du Canada a notamment examiné la compatibilité d'une cour martiale générale canadienne avec l'article 11 d) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui dispose :
« 11.  Tout inculpé a le droit :
d)  d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable. »
34.  Une cour martiale générale se compose de cinq à neuf membres appelés à voter, ainsi que d'un judge advocate qui se prononce sur les questions de droit ou de droit et de fait pendant le procès. Le Judge Advocate General, ou avocat général, nomme à la cour martiale générale le judge advocate sur une base ad hoc.
35.  La Cour suprême a conclu que le judge advocate ne jouissait pas d'une inamovibilité suffisante pour satisfaire à l'exigence d'« indépendance » énoncée à l'article 11 d) de la charte. Le juge Lamer déclara ce qui suit en rendant l'arrêt de principe de la Cour suprême (traduction officielle) :
« (...) [L]e juge-avocat n'occupait qu'une charge ad hoc. Par conséquent, il n'y avait objectivement aucune garantie que sa carrière de juge militaire ne serait pas compromise s'il rendait des décisions favorables à l'accusé plutôt qu'à la poursuite. Une personne raisonnable aurait bien pu craindre que la charge de juge militaire d'un avocat militaire ne dépendît de son rendement lors de procès antérieurs [ou que] la personne nommée au poste de juge-avocat ait été choisie parce qu'elle avait satisfait aux intérêts de l'exécutif, ou du moins parce qu'elle n'avait pas sérieusement déçu les attentes de l'exécutif lors de procédures antérieures. (...)
Les juges militaires qui, périodiquement, agissent comme juge-avocat doivent donc bénéficier d'une inamovibilité qui les mette à l'abri de toute ingérence de l'exécutif pendant une période déterminée. »
Il ajouta que les amendements apportés à la procédure devant les cours martiales canadiennes, entrés en vigueur après la fin du procès en cause, avaient remédié aux défauts relevés quant à l'inamovibilité de la fonction de judge advocate en prévoyant que celui-ci soit nommé pour une durée de deux à quatre ans.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
36.  Le requérant formule sur le terrain de l'article 6 § 1 de la Convention une série de griefs concernant la structure générale du système des cours martiales au Royaume-Uni à la suite de l'adoption de la loi de 1996. En outre, il dénonce sous l'angle de l'article 6 §§ 1 et 3 c) le manque d'équité de la procédure et le fait qu'il n'a pas été représenté par un conseil devant la cour martiale.
37.  L'article 6 dispose, dans ses passages pertinents :
« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)
3.  Tout accusé a droit notamment à :
c)  se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent ;
A.  Applicabilité de l'article 6
38.  Pour la Cour, l'article 6 s'applique manifestement à la procédure devant la cour martiale, car celle-ci a emporté décision sur la peine à infliger au requérant après qu'il eut plaidé coupable sur un chef d'absence sans permission. Alors que, contrairement à ce qui était le cas dans l'affaire Findlay c. Royaume-Uni (arrêt du 25 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-I), l'intéressé n'était pas en l'espèce accusé d'une infraction pénale ordinaire, la Cour relève qu'à l'issue de l'audience il a été condamné notamment à une peine de neuf mois d'emprisonnement. Une privation de liberté aussi conséquente suppose à l'évidence une décision sur une « accusation en matière pénale » (arrêts Findlay précité, p. 279, § 69, Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, série A no 22, p. 36, § 85, et Hood c. Royaume-Uni [GC], no 27267/95, CEDH 1999-I). De fait, le Gouvernement n'a pas contesté ce point.
B.  Griefs généraux
1.  Arguments des parties
a)  Le requérant
39.  Le requérant dénonce un certain nombre de défauts structurels dans le système des cours martiales tel qu'amendé par la loi de 1996. Il fait valoir que son chef de corps, son officier défenseur, l'autorité supérieure, le bureau administratif de la cour martiale, l'autorité de l'armée compétente en matière d'assistance judiciaire au pénal (« l'autorité militaire compétente »), l'autorité de poursuite de l'armée (« l'autorité de poursuite ») et les officiers qui ont siégé à la cour martiale étaient tous totalement ou partiellement sous le contrôle de l'Adjutant General, lui-même directement subordonné au Conseil de défense. Il indique en particulier que la désignation, la désignation future et la promotion des officiers assurant le commandement, la défense et les poursuites, et de ceux siégeant en cour martiale dépendaient au moins en partie du secrétaire militaire, qui est le subordonné de l'Adjutant General. Il souligne que l'autorité de poursuite assure également la direction des services juridiques de l'armée (paragraphe 21 ci-dessus), laquelle est tenue de répondre devant l'Adjutant General. Il déclare enfin que ce dernier est également responsable du respect de la discipline dans l'armée.
40.  Le requérant précise que, pour satisfaire à l'article 6 § 1 de la Convention, les cours martiales doivent être indépendantes de l'armée en tant qu'institution, et notamment du haut commandement. Or il considère que la hiérarchie militaire, représentée en dernier lieu par l'Adjutant General et le Conseil de défense, a étroitement collaboré à toutes les étapes clés de son procès en cour martiale, notamment l'inculpation, la désignation des membres de la cour, la prise de décisions sur le verdict et la peine et le contrôle de ces décisions.
41.  Il attire notamment l'attention sur le mode de sélection des membres de la cour martiale par les officiers administrateurs de la cour, et signale qu'aucune loi ni aucun règlement ne donne de conseil sur la manière de choisir les membres de la cour martiale. Bien qu'il existe des règles sur les conditions requises pour siéger en cour martiale, les personnes menant la défense ne sont en général pas munies des informations qui leur permettraient de vérifier si les officiers désignés pour siéger en cour martiale remplissent ces conditions. Le requérant fait valoir que rien n'empêche les officiers administrateurs, eux-mêmes désignés par le Conseil de défense, de considérer qu'ils agissent dans l'intérêt de l'armée lorsqu'ils choisissent les membres d'une cour martiale. Il soutient que le fait que l'Adjutant General ait au début de 2001 pu remplacer l'officier responsable du bureau administratif de la cour martiale, parti à la retraite, par un général de brigade en activité, montre que ce bureau n'est pas, et n'a jamais été, indépendant du haut commandement de l'armée. Il ajoute qu'en tout état de cause l'affectation d'officiers en activité qui passent de leur unité à une cour martiale relève habituellement de la hiérarchie opérationnelle de l'armée. Quant aux présidents permanents des cours martiales, bien qu'ils soient affectés à une cour martiale donnée par le bureau administratif de la cour martiale, ils sont désignés à leur poste de président permanent en vertu du système normal de désignation du personnel de l'armée. L'ensemble de ces facteurs met selon lui en question l'indépendance des cours martiales.
42.  Pour le requérant, les présidents permanents ne jouissent d'aucune inamovibilité formelle, le secrétaire militaire pouvant les révoquer à tout moment. La désignation des présidents permanents et la nature de leur rôle ne sont régis par aucune disposition légale ou réglementaire. De même, aucune clause formelle ne protège les présidents permanents d'influences extérieures indues. Le président permanent de la cour martiale qui a examiné son affaire était lieutenant-colonel ; il avait donc un grade nettement supérieur à celui des deux officiers en activité qui siégeaient à la cour martiale. Comparant la désignation à temps plein du président permanent et le caractère ad hoc de la nomination des deux officiers en activité, il fait valoir que le président permanent bénéficiait d'une apparence d'expérience et d'autorité devant laquelle les officiers moins gradés ne pouvaient que s'incliner.
43.  Le requérant soutient que, par principe, une cour composée presque exclusivement d'officiers de l'armée statuant sur des chefs d'accusation portés par l'armée ne saurait constituer un « tribunal indépendant et impartial », notamment lorsque sont jugées des infractions à la discipline militaire telles que l'absence sans permission. Cela est encore plus vrai dans un cas tel que l'espèce où deux des trois officiers siégeant à la cour avaient été désignés de manière ad hoc pour une affaire unique. Il n'existait pas non plus de mesure permettant de garantir que les deux officiers en activité ne subiraient pas d'ingérence dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires. Les officiers de l'armée britannique possèdent à son avis un fort esprit de corps consistant à reconnaître l'importance de la discipline militaire et à imposer à autrui des mesures dissuasives telles que des peines de détention, ce qui conduit inévitablement à un conflit d'intérêts lors de tout procès en cour martiale en vertu de la loi de 1996.
44.  La présence au sein d'une cour martiale d'un judge advocate indépendant et impartial n'est pas suffisante pour pallier les carences qu'il a relevées dans le système, notamment parce que le judge advocate ne prend pas part au vote sur le verdict, n'est que l'une des quatre personnes à voter pour fixer la peine et a une bien moindre influence sur les autres membres de la cour martiale que le président permanent.
45.  Le requérant affirme qu'au stade de la fixation de la peine l'influence de l'armée s'illustre par le fait que les peines sont calculées en référence à des décisions de cours martiales antérieures à l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Findlay précitée, ainsi que par la présence de présidents permanents, et éventuellement d'autres officiers participant à des procès en cour martiale, à des conférences sur la discipline militaire.
46.  Etant donné que le Conseil de défense, en tant qu'« autorité de contrôle », jouit de pouvoirs relativement étendus pour annuler un verdict de cour martiale à la suite du contrôle obligatoire qu'il exerce, pouvoirs habituellement délégués en pratique, comme dans son cas, à un officier en activité, le requérant soutient de plus que la cour martiale ne possède pas les caractéristiques nécessaires pour constituer un « tribunal établi par la loi » et qu'il s'agit là d'une raison supplémentaire de douter de son indépendance.
47.  Le requérant fait aussi valoir que la cour martiale devant laquelle il a comparu ne présentait pas les caractéristiques nécessaires pour être « établie par la loi ». Il souligne en particulier l'absence de toute loi réglementant sérieusement la sélection et la désignation des membres des cours martiales.
b)  Le Gouvernement
48.  Le Gouvernement considère que le système des cours martiales instauré par la loi de 1996 est parfaitement compatible avec la Convention.
49.  Selon lui, le fait que le Conseil de défense détienne certaines fonctions de commandement et d'administration des forces armées et de nomination au sein de ces forces ne signifie pas que le requérant n'a pas été jugé par un tribunal indépendant et impartial. Il établit une distinction entre les postes de commandement et les postes administratifs et précise que la discipline ne relève que des officiers occupant des postes de commandement. Il indique que l'Adjutant General n'occupe en rien un poste de commandement mais est plutôt un officier très haut placé responsable de la politique du personnel. Le requérant aurait eu tort de laisser entendre que le secrétaire militaire contrôle les nominations et promotions des officiers siégeant en cour martiale, car ce sont les commissions de promotion et de sélection qui exercent pareil contrôle.
50.  Le Gouvernement souligne que le nouveau système des cours martiales répond à toutes les objections suscitées par l'ancien système et relevées par la Cour dans l'arrêt Findlay (paragraphe 45 ci-dessus). En particulier, le poste d'« officier convocateur » a été supprimé et les principales fonctions que celui-ci assumait ont été scindées entre l'autorité supérieure, l'autorité de poursuite et l'officier administrateur de la cour martiale.
51.  Le Gouvernement précise que l'autorité supérieure a un rôle très étroit. Elle rend un avis décisif sur le point de savoir s'il y a lieu de renvoyer une affaire au chef de corps de l'accusé pour qu'elle soit traitée selon une procédure simplifiée, de la déférer à l'autorité de poursuite qui lancera des poursuites formelles ou de ne pas engager du tout de poursuites ; cet avis relève du commandement, et non du domaine juridique.
52.  Pour ce qui est de l'autorité de poursuite, le Gouvernement souligne que celle-ci est totalement indépendante du haut commandement de l'armée et qu'elle engage les poursuites au nom de l'Attorney General. Le fait que cette autorité assure actuellement aussi la direction des services juridiques de l'armée, fonction dans l'exercice de laquelle le directeur répond devant l'Adjutant General, ne porte pas atteinte à l'indépendance et à l'impartialité dont il fait preuve en tant que procureur, surtout depuis qu'il ne s'occupe plus de conseiller la hiérarchie militaire sur les questions de discipline.
53.  Le Gouvernement déclare que la personne qui était responsable du bureau administratif de la cour martiale à l'époque où le requérant est passé en jugement était un civil et que les officiers qui lui étaient subordonnés étaient indépendants tant de l'autorité supérieure que de l'autorité de poursuite. Il réfute l'affirmation de l'intéressé selon laquelle le choix des membres d'une cour martiale était en général effectué non par cette personne mais par la hiérarchie opérationnelle de l'armée.
54.  Il souligne que le président permanent qui a siégé lors du procès du requérant occupait son dernier poste avant de prendre sa retraite de l'armée ; il était donc vraisemblablement désigné pour une durée de quatre ans et huit mois. Il était en outre en dehors de la hiérarchie militaire, ne recevait aucun rapport confidentiel et travaillait chez lui. Enfin, aucun président permanent n'a jamais été prématurément révoqué de son poste.
55.  Quant aux deux officiers en activité ayant participé au procès, le Gouvernement précise une fois encore qu'ils ne faisaient pas partie des supérieurs hiérarchiques du requérant ni de l'autorité supérieure ou de l'autorité de poursuite et n'exerçaient pas les fonctions d'officier défenseur. De plus, le serment que prêtent tous les membres de la cour martiale (paragraphe 27 ci-dessus) et l'obligation où ils se trouvent de suivre les décisions prises par le judge advocate sur les questions de droit constituent autant de garanties contre les pressions extérieures. La position des officiers en activité lors d'un procès en cour martiale serait à plusieurs titres comparable à celle qu'occupent les jurys lors des procès pénaux dans la vie civile. Ils étaient certes, comme l'officier défenseur, soumis en dernier ressort à l'autorité du commandant en chef des forces terrestres britanniques, mais cela était aussi vrai de tout officier de l'armée. Le Gouvernement affirme que l'on ne saurait laisser entendre que ce fait suffit à lui seul à rendre un procès devant une cour martiale incompatible par nature avec l'article 6 de la Convention.
56.  Pour autant que le système des cours martiales antérieur à la loi de 1996 présentait des insuffisances quant à la fixation de la peine, celles-ci ont été corrigées par l'élargissement du rôle du judge advocate à cet égard ainsi que par le droit d'appel contre la peine qui sont prévus par cette loi.
57.  Le Gouvernement soutient que, contrairement à ce qui se passait à l'époque de l'affaire Findlay, les verdicts et peines prononcés par les cours martiales, au moment des faits de l'espèce, n'étaient plus sujets à la confirmation ou à la révision de l'« officier confirmateur ». Le rôle joué par l'« autorité de contrôle » ne saurait à son avis mettre en cause l'équité ou l'indépendance de la cour martiale qui a jugé le requérant ou sa qualité de « tribunal » au sens de l'article 6 § 1 de la Convention. L'autorité de contrôle était indépendante de l'autorité supérieure et de l'autorité de poursuite puisqu'elle n'était pas placée sous leurs ordres. Elle servait principalement à fournir une protection supplémentaire à un accusé en vérifiant qu'aucune erreur grossière n'avait été commise lors du procès en cour martiale. Elle pouvait procéder à cela relativement vite par rapport à la durée d'une procédure d'appel, notamment dans les affaires de cours martiales intervenues outre-mer, et devait tenir compte des conseils du judge advocate avant de se prononcer. Le Gouvernement affirme que, lors de son contrôle, l'autorité ne pouvait agir autrement que de manière favorable à l'accusé. Il répète que ce contrôle n'a eu aucune incidence sur le droit du requérant de former un recours devant la cour martiale d'appel.
2.  Appréciation de la Cour
58.  La Cour rappelle que, pour établir si un tribunal peut passer pour « indépendant », il faut prendre en compte, notamment, le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l'existence d'une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s'il y a ou non apparence d'indépendance.
Quant à la condition d'« impartialité », elle revêt deux aspects. Il faut d'abord que le tribunal ne manifeste subjectivement aucun parti pris ni préjugé personnel. Ensuite, le tribunal doit être objectivement impartial, c'est-à-dire offrir des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (Findlay précité).
Les notions d'indépendance et d'impartialité objective étant étroitement liées, la Cour, comme dans l'affaire Findlay, les examinera ensemble dans la mesure où elles concernent la présente affaire.
59.  La Cour constate que la pratique consistant à utiliser des tribunaux composés en tout ou partie de militaires afin de juger des membres des forces armées est solidement ancrée dans le système juridique de nombreux Etats membres.
Elle rappelle que sa propre jurisprudence montre qu'un tribunal militaire peut en principe constituer un « tribunal indépendant et impartial » aux fins de l'article 6 § 1 de la Convention. Dans l'affaire Engel et autres précitée, par exemple, elle a jugé que la Haute Cour militaire des Pays-Bas, composée de deux civils, conseillers à la Cour suprême, et de quatre officiers de l'armée, formait un tel tribunal. Toutefois, ces tribunaux ne sont conformes à la Convention que lorsqu'il existe des mesures de protection suffisantes pour garantir leur indépendance et leur impartialité.
60.  Dans l'arrêt Findlay précité, la Cour a dit que M. Findlay nourrissait des doutes objectivement fondés quant à l'indépendance et à l'impartialité de la cour martiale générale devant laquelle il avait comparu pour répondre de différentes accusations. Dans cette affaire, elle était essentiellement préoccupée par les multiples fonctions exercées dans la procédure par l'« officier convocateur ». Celui-ci jouait un rôle capital dans l'accusation mais il nommait aussi les membres de la cour martiale, qui lui étaient hiérarchiquement subordonnés et étaient placés sous ses ordres. Il pouvait également dissoudre la cour martiale avant ou pendant l'audience et exerçait la fonction d'« officier confirmateur », si bien que la décision de la cour martiale quant au verdict et à la peine ne prenait effet que lorsqu'il l'avait ratifiée. La Cour a dit que ces lacunes fondamentales ne se trouvaient pas compensées par l'existence de protections, telle la participation du judge advocate, qui n'était pas lui-même membre de la cour martiale et dont l'avis à celle-ci n'était pas rendu public (arrêt Findlay précité, pp. 281-282, §§ 74-78).
61.  La Cour constate que les modifications apportées par la loi de 1996 répondent pour une large part aux préoccupations exprimées dans l'affaire Findlay. Les postes d'« officier convocateur » et d'« officier confirmateur » ont été supprimés et les fonctions auparavant exercées par ces officiers ont été scindées. Les responsabilités de l'« officier convocateur » en matière d'accusation et de poursuite sont maintenant réparties entre l'autorité supérieure et l'autorité de poursuite (paragraphes 20 et 21 ci-dessus). La convocation de la cour martiale, la nomination de ses membres, le choix du lieu du procès et la convocation des témoins, qui incombaient à cet officier, ont été confiés au service judiciaire des armées (l'ancien bureau administratif de la cour martiale), dont les membres sont indépendants de l'autorité supérieure comme de l'autorité de poursuite. Le pouvoir de dissolution de la cour martiale, auparavant dévolu à l'officier convocateur, l'est à présent, avant l'audience, au service judiciaire des armées et, après le procès, au judge advocate, qui fait désormais officiellement partie de la cour martiale, prononce son résumé en public et participe au vote sur la peine.
62.  La Cour conclut que la loi de 1996 a introduit entre les attributions des cours martiales dans les domaines des poursuites et du pouvoir décisionnel une distinction qui n'existait pas à l'époque de l'affaire Findlay. Les fonctions de conseil ont aussi été attribuées séparément au directeur des services juridiques de l'armée et au comité consultatif du général de brigade. Bien que le directeur des services juridiques de l'armée soit aussi l'autorité de poursuite, la Cour estime qu'il existe des garanties suffisantes quant à son indépendance dans la mesure où, dans son rôle de conseiller, il ne traite pas de questions de discipline. En toute hypothèse, il répond de ses actes de conseiller devant l'Adjutant General et rend compte de ses fonctions d'autorité de poursuite devant l'Attorney General.
63.  C'est pourquoi la Cour estime que la relation qui existerait entre le haut commandement de l'armée, représenté par le Conseil de défense et l'Adjutant General, et les personnes qui ont participé au procès du requérant en cour martiale, et dont l'intéressé tire un grief d'ordre général, n'emporte pas en soi violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
64.  Toutefois, il reste à déterminer si les membres de la cour martiale qui a jugé le requérant constituaient collectivement un « tribunal indépendant et impartial » au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion.
65.  La Cour rappelle que, dans l'affaire Incal c. Turquie (arrêt du 9 juin 1998, Recueil 1998-IV, pp. 1571-1572, § 67), qui portait sur le procès pénal d'un civil devant une cour de sûreté de l'Etat, elle a noté l'existence de certaines garanties quant à l'indépendance et à l'impartialité des juges militaires qui faisaient partie de cette cour. Elle a notamment relevé que les juges militaires concernés suivent la même formation professionnelle que leurs homologues civils, qu'ils jouissent pendant leurs fonctions de garanties constitutionnelles identiques à celles dont bénéficient les juges civils et que la Constitution turque postule leur indépendance et interdit à tout pouvoir public de leur donner des instructions ou de les influencer. Toutefois, elle cite ensuite (p. 1572, § 68) d'autres caractéristiques du statut des juges militaires qui rendent leur indépendance sujette à caution. Il s'agit de militaires continuant d'appartenir à l'armée, qui restent soumis à la discipline militaire et font l'objet de notations, et dont la nomination requiert pour une large part l'intervention de l'administration et de l'armée ; enfin, leur mandat n'est que de quatre ans et peut se voir renouvelé.
66.  Considérant tout d'abord le mode de désignation suivi en l'espèce, le requérant se déclare préoccupé par la manière dont ont été choisis les officiers qui ont siégé à son procès et à propos de l'indépendance du bureau administratif de la cour martiale qui a effectué ce choix. Le fait que le chef de ce bureau soit désigné par le Conseil de défense ne constitue pas en soi un motif de douter de l'indépendance de la cour martiale parce que son rôle est bien distinct des fonctions de poursuite et de décision devant ladite cour, accomplies par d'autres personnes. La Cour note qu'il ne paraît pas s'être vu attribuer un mandat à durée déterminée et qu'il n'existait pas de garantie claire le protégeant des ingérences du haut commandement de l'armée lorsqu'il choisissait les membres des cours martiales. Cependant, en l'espèce, aucun élément ne prouve qu'il y ait eu pareilles ingérences. Dès lors, la Cour conclut que la manière dont ont été désignés les membres de la cour martiale qui a jugé le requérant n'a pas en soi porté atteinte à l'indépendance de ce tribunal aux fins de l'article 6 § 1 de la Convention.
67.  Quant au mandat des membres de la cour martiale et à la présence de garanties contre les pressions extérieures, la Cour juge nécessaire d'examiner tour à tour la situation du président permanent et celle des deux officiers en activité qui ont siégé au procès du requérant. Celui-ci ne met pas en cause l'indépendance du dernier membre de la cour, à savoir le judge advocate.
68.  La Cour relève que, dans l'affaire examinée ici, le président permanent a été nommé à son poste en janvier 1997, et devait l'occuper pendant quatre ans et huit mois, jusqu'à son départ à la retraite, en septembre 2001. Il n'était pas placé sous les ordres de la hiérarchie militaire. La Cour estime qu'à cet égard il se trouvait dans la même situation que les officiers membres de la Haute Cour militaire des Pays-Bas dans l'affaire Engel et autres précitée. Dans celle-ci, la Cour a conclu que cette juridiction était « indépendante et impartiale » en s'appuyant sur le fait que la nomination des juges militaires était habituellement la dernière de leur carrière et que, dans l'exercice de leur fonction de juge, ils ne relevaient d'aucune autorité supérieure et n'avaient pas à rendre compte de leurs actes à la hiérarchie militaire (pp. 12-13, § 30, et p. 37, § 89).
La Cour réitère que si, d'une manière générale, on doit assurément considérer l'inamovibilité des juges en cours de mandat comme un corollaire de leur indépendance, l'absence de consécration expresse en droit de cette inamovibilité n'implique pas en soi un défaut d'indépendance du moment qu'il y a reconnaissance de fait et que les autres conditions nécessaires se trouvent réunies (Campbell et Fell c. Royaume-Uni, arrêt du 28 juin 1984, série A no 80, p. 40, § 80). Elle note aussi que, comme la cour martiale d'appel l'a souligné dans les affaires R. v. Spear and another et R. v. Boyd précitées (paragraphe 31 ci-dessus), même s'il n'existe aucune « garantie écrite » contre le renvoi prématuré des présidents permanents, en pratique aucun d'eux n'a jamais été démis de ses fonctions.
69.  Le requérant avance que l'indépendance du président permanent qui a siégé à son procès en cour martiale aurait pu être renforcée s'il avait joui de l'inamovibilité et si sa désignation avait été entérinée dans tel ou tel instrument juridique. La Cour constate néanmoins que la présence du président permanent n'a pas mis en péril l'indépendance de la cour martiale. Bien au contraire, de par la durée de son mandat et de par son inamovibilité de facto, jointes au fait qu'il ne nourrissait aucune préoccupation apparente quant à sa promotion future dans l'armée et n'était plus soumis à des rapports de notation, et quant à sa séparation relative d'avec la structure de commandement militaire, il représentait une garantie d'indépendance significative au sein d'un tribunal par ailleurs composé de manière ad hoc.
70.  Contrairement au président permanent, les deux officiers en activité qui ont siégé au procès du requérant n'étaient pas désignés pour une durée fixe mais à titre purement ad hoc, en sachant qu'ils reprendraient leurs tâches militaires ordinaires à la fin de la procédure. Même si la Cour ne juge pas que le caractère ad hoc de leur nomination ait suffi en soi à rendre la composition de la cour martiale incompatible avec les exigences d'indépendance posées par l'article 6 § 1, cela a renforcé la nécessité de mesures de protection contre les pressions extérieures.
71.  La Cour reconnaît qu'il existait en l'espèce certaines garanties. Par exemple, la présence du judge advocate, un civil doté d'une formation juridique et d'attributions élargies par la loi de 1996, constituait une garantie importante, tout comme celle des deux juges civils siégeant à la Haute Cour militaire des Pays-Bas dans l'affaire Engel et autres précitée. Cela est d'autant plus vrai que la culpabilité du requérant, sur laquelle le judge advocate n'était pas appelé à voter, n'était pas en cause devant la cour martiale. Comme indiqué au paragraphe 69 ci-dessus, la présence du président permanent fournissait une garantie supplémentaire. La Cour relève aussi la protection qu'offrent les dispositions légales et autres relatives aux critères de sélection des membres des cours martiales et le serment que prête chacun d'eux (paragraphes 24 et 27 ci-dessus).
72.  Cependant, la Cour considère que ces garanties n'étaient pas suffisantes pour exclure le risque que des pressions extérieures ne s'exercent sur les deux officiers en activité, d'un grade relativement peu élevé, qui ont siégé au procès du requérant. Elle observe notamment que ces deux officiers n'avaient aucune formation juridique, qu'ils restaient soumis à la discipline et à la notation militaires, et qu'aucune loi ni autre règle ne les mettait à l'abri d'une influence extérieure de l'armée lorsqu'ils siégeaient à un procès. Or cela est particulièrement préoccupant dans une affaire telle que celle-ci, où l'infraction reprochée consiste précisément en un manquement à la discipline militaire. A cet égard, la situation des militaires siégeant en cour martiale ne saurait se comparer de manière générale avec celle des membres d'un jury civil, qui ne courent pas le risque de subir pareilles pressions.
73.  S'agissant des griefs du requérant quant au rôle de l'« autorité de contrôle », la Cour rappelle que le pouvoir de rendre une décision obligatoire non susceptible d'être modifiée par une autorité non judiciaire est inhérent à la notion même de « tribunal ». Ce principe peut aussi passer pour un élément de l'« indépendance » requise par l'article 6 § 1 (arrêts Findlay précité, p. 282, § 77, et Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 61, CEDH 1999-VII). Dans l'affaire Findlay, la Cour a jugé contraire à ce principe bien établi le rôle tenu par l'« officier confirmateur » dans le cadre du système des cours martiales antérieur à la loi de 1996.
74.  En l'espèce, le verdict et la peine prononcés à l'encontre du requérant étaient automatiquement revus par l'« autorité de contrôle » en vertu des amendements introduits par la loi de 1996. La Cour note que cette autorité avait compétence pour casser le verdict et la peine prononcés par la cour martiale et, surtout, pouvait rendre tout verdict de culpabilité que la cour martiale aurait pu prononcer et pouvait substituer à la peine infligée toute autre peine qui s'offrait au choix de la cour, à condition qu'elle ne juge pas la peine plus lourde que celle de départ. Le nouveau verdict ou la nouvelle peine éventuels étaient ensuite considérés comme émanant de la cour martiale elle-même.
75.  Pour la Cour, la circonstance même que le contrôle soit effectué par un organe non judiciaire tel que l'« autorité de contrôle » est contraire au principe rappelé au paragraphe 73 ci-dessus. La Cour est notamment préoccupée par le fait que fût laissée à l'appréciation de l'autorité de contrôle la question de savoir si la nouvelle peine éventuellement infligée par celle-ci était plus ou moins lourde que celle antérieurement prononcée par la cour martiale. Ni l'argument du Gouvernement selon lequel l'existence d'un contrôle sert l'intérêt de militaires condamnés tels que le requérant ni le caractère globalement équitable de la procédure menée par l'autorité ne dissipent ces craintes.
76.  La Cour est d'avis que les carences fondamentales qu'elle a relevées n'ont pas été corrigées par le recours formé ensuite par le requérant devant la cour martiale d'appel, car cette procédure n'a pas permis de réexaminer l'affaire mais a au contraire abouti à la conclusion, exprimée dans une décision lapidaire de deux phrases, qu'il convenait de refuser l'autorisation de contester en appel le verdict et la peine.
77.  Pour toutes ces raisons, la Cour estime que les doutes du requérant quant à l'indépendance de la cour martiale et à son caractère de « tribunal » étaient objectivement justifiés.
78.  Dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'examiner l'autre grief, sur le terrain de l'article 6 § 1, selon lequel la cour martiale n'était pas « établie par la loi ». De plus, eu égard à ses conclusions quant au grief tiré de l'article 6 § 3 c) (paragraphe 93 ci-dessous), la Cour n'a pas à se pencher sur l'allégation du requérant relative au manque d'indépendance de l'autorité compétente en matière d'assistance judiciaire.
79.  Pour conclure, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention pour ce qui est de certains des griefs du requérant concernant la structure générale du système des cours martiales.
C.  Griefs spécifiques
1.  Arguments des parties
a)  Le requérant
80.  Le requérant fait valoir qu'il était en droit d'être représenté lors du procès en cour martiale, mais que cela lui a été refusé à cause du caractère inéquitable du système d'assistance judiciaire de l'armée. Il signale les différences qui, à son avis, distinguent ce système du dispositif civil d'assistance judiciaire au Royaume-Uni, et l'auraient désavantagé. Il souligne en particulier le fait que le système militaire l'a obligé à déposer un acompte équivalant à dix fois sa solde hebdomadaire, alors que le système civil se serait probablement borné à exiger des versements hebdomadaires ou mensuels pris sur ce revenu. Il nie s'être vu proposer de payer l'acompte en dix versements hebdomadaires et attire l'attention sur la lettre de l'autorité compétente en matière d'assistance judiciaire datée du 21 avril 1997, aux termes de laquelle les solicitors rémunérés par la voie de l'assistance judiciaire ne seraient commis qu'une fois le paiement effectué. Il déclare qu'il n'a pu rassembler la totalité de la somme demandée et n'a donc pas bénéficié d'une représentation en justice.
81.  Le requérant arguë en outre que l'officier défenseur chargé de le représenter n'était à l'évidence pas en mesure d'agir au mieux de ses intérêts puisqu'il avait été désigné par son chef de corps au sein de la propre unité de ce dernier ; cet officier était donc subordonné à celui qui avait placé l'intéressé en détention en vue de son procès en cour martiale. Il déclare ne pas avoir été consulté quant au choix de l'officier défenseur et, comme il avait quitté l'armée depuis très longtemps lorsque son procès s'est tenu, il ne pouvait en tout état de cause connaître aucun officier suffisamment bien pour effectuer un choix éclairé. Il affirme que l'officier défenseur ne l'a pas bien conseillé sur la possibilité de plaider non coupable en excipant de la contrainte et n'a pas correctement informé la cour martiale des raisons pour lesquelles il s'était absenté sans permission. Même s'il reconnaît avoir signé une déclaration pour signifier qu'il ne voulait pas que la police militaire prît d'autres mesures au sujet de ses allégations de brimades, il précise que ce texte continuait à proclamer la véracité de ces allégations. Il mentionne la divulgation par l'officier défenseur au Conseil de défense, à l'issue du procès, d'instructions qu'il lui avait communiquées sous le sceau du secret et de conseils donnés à lui-même, alors que son solicitor avait expressément demandé à cet officier de n'en rien faire.
b)  Le Gouvernement
82.  Le Gouvernement soutient que le versement de l'acompte de 240 GBP au titre de l'assistance judiciaire n'a été exigé par l'autorité compétente en la matière qu'après une évaluation soigneuse des ressources du requérant. Selon lui, l'intéressé avait manifestement les moyens de payer cette somme compte tenu de sa solde nette hebdomadaire, telle qu'indiquée dans sa demande initiale d'assistance judiciaire. Il allègue qu'il était possible de payer en dix versements hebdomadaires et souligne que le requérant a refusé la proposition d'assistance judiciaire avant que l'autorité compétente ait répondu à une lettre de son solicitor du 30 avril 1997 par laquelle il priait celle-ci de revoir les termes de sa proposition. Il indique que, si le requérant avait accepté la proposition d'assistance judiciaire, elle lui aurait été accordée sur-le-champ, et non pas en fonction du paiement ou non de l'intégralité de l'acompte.
83.  De plus, le Gouvernement nie que la désignation ou le comportement de l'officier défenseur lors du procès du requérant devant la cour martiale ait emporté violation de l'article 6 § 1 de la Convention. Il n'existerait aucun motif sur lequel l'officier défenseur aurait pu s'appuyer pour conseiller au requérant de plaider non coupable puisque l'argument de la contrainte était en l'occurrence voué à l'échec. Les allégations de brimades et d'agressions formulées par l'intéressé n'étaient pas suffisantes en droit pour fonder pareille défense ; d'ailleurs, comme les enquêteurs l'ont confirmé à l'époque, elles n'étaient pas étayées par les preuves. Quoi qu'il en soit, le requérant avait retiré ces allégations et décidé de ne pas répondre à des questions s'y rapportant pendant l'audience. Le Gouvernement affirme que ces allégations ont en tout état de cause été portées à la connaissance de la cour martiale et que tous les motifs de l'absence du requérant ont ainsi été donnés, puisque l'officier défenseur a remis à la cour la lettre du 17 mars 1993 adressée par l'intéressé à son chef de corps alors qu'il invoquait les circonstances atténuantes.
84.  Le Gouvernement reconnaît que l'officier défenseur a dispensé des conseils erronés au requérant, après sa condamnation, quant aux conséquences d'un appel. Il fait toutefois valoir que l'intéressé n'en a pas pâti puisqu'il a eu peu après recours aux services d'un solicitor et, sans nul doute sur l'avis de ce dernier, a adressé une demande au Conseil de défense en sa qualité d'« autorité de contrôle », puis saisi la cour martiale d'appel.
85.  Le Gouvernement affirme que l'officier défenseur était en droit de divulguer au Conseil de défense, après le procès, les informations auparavant protégées, eu égard aux graves allégations que le requérant avait formulées au sujet de cet officier dans sa demande au Conseil.
86.  Le Gouvernement attire également l'attention sur le fait que le requérant pouvait prétendre à l'assistance judiciaire aux fins de se faire représenter devant la cour martiale, s'est vu proposer pareille assistance sous réserve du versement d'un « modeste » acompte du même ordre que celui qui aurait été exigé par des juridictions civiles, et qu'il a pour finir refusé cette offre. Il s'ensuit que l'officier défenseur ne remplaçait pas un représentant en justice, et qu'il n'a jamais été question qu'il assume ce rôle. Le Gouvernement évoque par contraste la situation qui prévaut au pénal dans le monde civil : si un accusé refuse une offre d'assistance judiciaire, il doit en général se défendre lui-même au procès. Le Gouvernement souligne que le requérant avait le droit de choisir son officier défenseur en dehors de son unité et qu'on lui a fourni en octobre 1996 un document l'informant de ce droit, qu'il a choisi de ne pas utiliser.
87.  Le Gouvernement nie que l'officier défenseur du requérant ait eu un quelconque lien, apparent ou autre, avec l'autorité de poursuite ou avec les membres de la cour martiale, qui appartenaient tous à des régiments différents et obéissaient à une hiérarchie différente. Selon lui, le simple fait que l'officier défenseur se soit trouvé sous les ordres du chef de corps de l'intéressé et, comme tout autre militaire, en dernier lieu sous l'autorité du commandant en chef des forces terrestres britanniques, ne pouvait influer sur l'équité du procès du requérant devant la cour martiale puisque la décision de poursuivre et la conduite des poursuites relevaient de la responsabilité de l'autorité de poursuite.
2.  Appréciation de la Cour
88.  La Cour rappelle avoir conclu, dans l'affaire Croissant c. Allemagne (arrêt du 25 septembre 1992, série A no 237-B, pp. 34-35, §§ 33-38), qu'il n'y a pas violation de l'article 6 § 3 c) lorsqu'un individu doit payer une partie des frais de l'assistance judiciaire et a les moyens de le faire.
89.  La Cour relève que le requérant s'est vu proposer l'assistance judiciaire à condition de verser un acompte de 240 GBP. Les termes de cette offre ne lui paraissent ni arbitraires ni déraisonnables, connaissant la solde nette de l'intéressé à l'époque, indépendamment de la question de savoir s'il lui a ou non été proposé de payer en plusieurs fois.
90.  La Cour relève en outre que, si le requérant avait accepté l'offre d'assistance judiciaire émanant de l'autorité compétente dans les termes exposés dans sa lettre du 21 avril 1997, il aurait été représenté à son procès en cour martiale par un avocat indépendant. Au lieu de cela, il a refusé cette offre avant même que l'autorité ait répondu à la lettre par laquelle son solicitor demandait une révision des termes de la proposition. De fait, le requérant a certifié le 2 mai 1997 qu'il ne voulait être représenté par personne d'autre que son officier défenseur et qu'il prenait cette décision de son plein gré (paragraphe 13 ci-dessus).
91.  Dès lors, la Cour juge dénués de fondement les griefs du requérant quant à l'indépendance de son officier défenseur et à la manière dont celui-ci a mené sa défense. Quoi qu'il en soit, les preuves dont elle dispose l'amènent à conclure que l'officier défenseur a conseillé et représenté l'intéressé comme il convient, sauf en ce qui concerne les risques qu'aurait comportés un recours contre le verdict de la cour martiale. Or le requérant a tout de même interjeté appel en bénéficiant de l'assistance d'un avocat, de sorte que cette erreur a été sans conséquence pour lui.
92.  La Cour ne considère pas que la divulgation par l'officier défenseur d'informations protégées au Conseil de défense en sa qualité d'« autorité de contrôle » ait donné lieu en l'espèce à la moindre iniquité dans la procédure devant la cour martiale.
93.  Partant, il n'y a pas eu violation des paragraphes 1 ou 3 c) de l'article 6 de la Convention pour ce qui est des griefs spécifiques soulevés par le requérant.
II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
94.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage moral
95.  Le requérant sollicite 5 000 livres sterling (GBP) pour dommage moral au motif que, s'il avait été représenté de manière conforme à la Convention, il se serait vu infliger une peine nettement moins lourde que celle qui a été prononcée contre lui et n'aurait peut-être même pas été du tout condamné à une peine privative de liberté.
96.  Le Gouvernement soutient qu'il n'y a pas lieu de spéculer sur l'issue qu'aurait pu connaître le procès du requérant devant la cour martiale dans d'autres circonstances. Il fait valoir que les affirmations de l'intéressé quant à ce qui se serait passé s'il avait été représenté par quelqu'un d'autre devant la cour martiale ne sont absolument pas plausibles étant donné qu'il avait été porté absent sans permission pendant plus de trois ans et demi, avait été arrêté au lieu de se rendre, et que l'absence sans permission est une infraction grave dans le cadre de l'armée.
97.  La Cour note que le requérant associe sa demande au titre du dommage moral avec ses griefs relatifs à sa représentation devant la cour martiale. Or elle a déjà conclu qu'aucun de ces griefs ne révèle une violation de la Convention.
98.  Quoi qu'il en soit, la Cour considère qu'elle ne saurait spéculer sur le résultat auquel la procédure devant la cour martiale aurait abouti si l'infraction à la Convention n'avait pas eu lieu (arrêt Findlay précité, p. 284, §§ 85, 88).
En conclusion, elle estime que le constat de violation de l'article 6 § 1 de la Convention fournit en soi au requérant une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral allégué.
B.  Frais et dépens
99.  Le requérant réclame aussi 20 925,46 GBP pour frais et dépens, taxe sur la valeur ajoutée (TVA) comprise.
100.  Le Gouvernement trouve ces prétentions excessives. Le chiffre de cent quinze heures de travail de la part du représentant principal de l'intéressé lui semble très élevé. En particulier, il conteste la partie de la demande relative à la préparation des observations du requérant entre novembre 1999 et janvier 2000, soit cinquante heures de travail, et celle relative à la préparation des observations pour l'audience entre juillet et octobre 2001, soit trente-cinq heures de travail. Il avance également que le travail accompli pendant cette dernière période a pu chevaucher celui consacré aux procédures internes auxquelles l'avocat en cause participait à cette époque. Il ne voit pas non plus pourquoi le requérant a engagé un second avocat. Le montant de 12 000 GBP, TVA comprise, lui semblerait plus raisonnable.
101.  La Cour rappelle qu'au titre de l'article 41 de la Convention elle ne rembourse que les frais et dépens dont il est établi qu'ils ont été réellement et nécessairement exposés et sont d'un montant raisonnable (voir, entre autres, Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 79, CEDH 1999-II).
102.  La Cour note que les observations soumises par le représentant du requérant en janvier 2000 se composaient pour l'essentiel d'un document général intitulé « The British Army Court-Martial System following the Armed Forces Act 1996 and the European Human Rights Convention » (Le système britannique des cours martiales de l'armée de terre à la suite de l'adoption de la loi de 1996 sur les forces armées et la Convention européenne des Droits de l'Homme). Ce document, qui comportait quelque quatre-vingt-quatre pages sans les annexes, ne mentionne pas expressément la présente affaire et renferme de très nombreux éléments qui n'ont jamais été évoqués lors de la procédure devant la Cour. Elle considère que ce document n'a à l'évidence pas été conçu à la seule fin d'être utilisé dans la procédure devant elle. La Cour en conclut que le requérant ne saurait prétendre que la totalité des frais correspondant à l'élaboration de ce document a été réellement et nécessairement exposée et est d'un montant raisonnable. En revanche, la Cour ne pense pas comme le Gouvernement qu'il soit excessif d'évaluer à trente-cinq heures le travail de préparation de l'audience vu la portée et la complexité des questions soumises devant elle. Il ne lui paraît pas non plus déraisonnable de la part du requérant d'avoir instruit un second avocat pour participer à l'audience.
A la lumière de ces considérations, la Cour alloue au requérant la somme globale de 30 000 euros au titre des frais et dépens, TVA comprise.
C.  Intérêts moratoires
103.  Selon les informations dont la Cour dispose, le taux d'intérêt légal applicable au Royaume-Uni à la date d'adoption du présent arrêt est de 7,5 % l'an.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,
1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention pour ce qui est de certains griefs du requérant relatifs à la structure générale du système des cours martiales ;
2.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention pour ce qui est des griefs spécifiques du requérant ;
3.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 3 c) de la Convention ;
4.  Dit que le constat de violation de l'article 6 § 1 de la Convention fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral que le requérant allègue avoir subi ;
5.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 30 000 EUR (trente mille euros) au titre des frais et dépens exposés pour la procédure devant les organes de la Convention, la taxe sur la valeur ajoutée comprise ;
b)  que ce montant sera à majorer d'un intérêt simple de 7,5 % l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;
6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 26 février 2002, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé  J.-P. Costa  Greffière    Président
ARRÊT MORRIS c. ROYAUME-UNI
ARRÊT MORRIS c. ROYAUME-UNI 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 38784/97
Date de la décision : 26/02/2002
Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1 quant à la structure général du système de cours martiales ; Non-violation de l'art. 6-1 quant à des griefs particuliers ; Non-violation de l'art. 6-3-c ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE, (Art. 6-1) TRIBUNAL IMPARTIAL, (Art. 6-1) TRIBUNAL INDEPENDANT


Parties
Demandeurs : MORRIS
Défendeurs : ROYAUME-UNI

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2002-02-26;38784.97 ?

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