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26/02/2002 | CEDH | N°44872/98

CEDH | AFFAIRE MAGALHAES PEREIRA c. PORTUGAL


ANCIENNE QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE MAGALHÃES PEREIRA c. PORTUGAL
(Requête no 44872/98)
ARRÊT
STRASBOURG
26 février 2002
DÉFINITIF
26/05/2002
En l'affaire Magalhães Pereira c. Portugal,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. G. Ress, président,    A. Pastor Ridruejo,    L. Caflisch,    J. Makarczyk,    I. Cabral Barreto,   Mme N. Vajić,
M. M. Pellonpää, juges,  et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir déli

béré en chambre du conseil les 14 juin 2001 et 30 janvier 2002,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière d...

ANCIENNE QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE MAGALHÃES PEREIRA c. PORTUGAL
(Requête no 44872/98)
ARRÊT
STRASBOURG
26 février 2002
DÉFINITIF
26/05/2002
En l'affaire Magalhães Pereira c. Portugal,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. G. Ress, président,    A. Pastor Ridruejo,    L. Caflisch,    J. Makarczyk,    I. Cabral Barreto,   Mme N. Vajić,
M. M. Pellonpää, juges,  et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 14 juin 2001 et 30 janvier 2002,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 44872/98) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant de cet Etat, M. Joaquim Magalhães Pereira (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 3 avril 1997 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant alléguait en particulier ne pas avoir bénéficié d'un recours respectant les conditions de l'article 5 § 4 de la Convention et se plaignait, sur le terrain de l'article 5 §§ 1 et 4, des insuffisances de son assistance juridique et de la durée excessive de l'examen de la légalité du maintien de son internement.
3.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 dudit Protocole).
4.  Elle a été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
5.  Par une décision du 14 juin 2001, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable [Note du greffe : la décision de la Cour est disponible au greffe], après une audience dédiée à la fois aux questions de recevabilité et à celles de fond (article 54 § 4 du règlement).
6.  Tant le requérant que le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).
7.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a cependant continué à être examinée par la chambre de l'ancienne quatrième section telle qu'elle existait avant cette date.
8.  Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 14 juin 2001 (article 59 § 2 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement  M. A. Henriques Gaspar, procureur général adjoint, agent, 
–  pour le requérant  Me J. Pires de Lima, avocat, conseil. 
La Cour les a entendus en leurs déclarations.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
9.  Le requérant est un ressortissant portugais né en 1940. Il était avocat et est actuellement détenu à la clinique psychiatrique pénitentiaire de Santa Cruz do Bispo à Matosinhos (Portugal).
A.  L'internement du requérant
10.  Soupçonné d'escroquerie, le requérant fut arrêté le 1er mars 1996 et placé en détention provisoire.
11.  Pendant le déroulement de la procédure, il fut soumis à une expertise psychiatrique. Dans son rapport du 22 juillet 1996, l'expert conclut qu'il souffrait de schizophrénie résiduelle et qu'il devait être soumis à un traitement psychiatrique prolongé.
12.  Par un jugement du 11 novembre 1996, le tribunal criminel de Porto constata que l'inculpé, en raison de son aliénation mentale, était pénalement irresponsable (inimputável) et dangereux. En conséquence, il ordonna son internement pour une durée maximale de huit ans.
13.  Le 4 décembre 1996, le requérant fut transféré à la clinique psychiatrique pénitentiaire de Santa Cruz do Bispo.
14.  Par une ordonnance du 24 janvier 1997, le juge du tribunal criminel de Porto décida que, conformément à la loi, le contrôle périodique obligatoire de l'internement devrait avoir lieu le 1er mars 1998.
B.  Le contrôle de la légalité du maintien de l'internement
15.  Le dossier fut transmis au tribunal de l'application des peines (Tribunal de Execução das Penas) de Porto. Le 19 février 1997, le juge de ce tribunal commit d'office un avocat pour défendre le requérant, qui n'en avait choisi aucun. Il demanda également aux services de la clinique de Santa Cruz do Bispo d'effectuer une première évaluation de l'état du requérant.
16.  Par une lettre du 19 mars 1997, le docteur M.S.C. informa le juge de ce que le requérant se trouvait « cliniquement équilibré ». Il ajouta que l'intéressé « a[vait] un comportement adéquat et pourra[it] bénéficier d'une mise en liberté avec mise à l'épreuve [liberdade para prova] s'il accept[ait] un soutien psychiatrique à l'extérieur et pren[ait] ses médicaments ».
17.  Par une ordonnance du 7 avril 1997, le juge décida d'attendre l'écoulement des délais prévus à l'article 504 du code de procédure pénale.
18.  Le 2 juillet 1997, le requérant déposa lui-même une demande de mise en liberté, se fondant sur l'avis favorable du docteur M.S.C. Le 4 juillet 1997, le juge apposa sur le dossier la mention « vu » (visto).
19.  Le 7 janvier 1998, le juge, conformément à la loi, invita l'Institut de réinsertion sociale à présenter son avis sur la situation sociale du requérant et l'Institut de médecine légale (IML) de Porto à soumettre l'intéressé à un examen médical.
20.  L'Institut de réinsertion sociale présenta son rapport le 18 mai 1998. Il y concluait à l'existence de conditions favorables pour la mise en liberté avec mise à l'épreuve du requérant. Un examen médical eut lieu le 28 avril 1998. L'IML déposa lui aussi son rapport le 18 mai 1998. Il y concluait à la persistance du caractère dangereux du requérant.
21.  Le 2 juin 1998, le requérant forma lui-même une nouvelle demande de mise en liberté, invoquant, entre autres, l'article 5 § 4 de la Convention.
22.  Le 1er juillet 1998, il fut entendu par le juge. L'avocat qui lui avait été commis d'office ne se trouvant pas présent, le juge désigna un fonctionnaire de l'établissement pénitentiaire de Santa Cruz do Bispo pour assurer sa défense. Le requérant déclara notamment qu'il s'estimait rétabli et que les médicaments qu'il était toujours en train de prendre étaient inutiles.
23.  Le 9 juillet 1998, il introduisit lui-même une nouvelle demande de mise en liberté. Les 14 et 24 juillet 1998, il déposa des mémoires critiquant le rapport médical de l'IML.
24.  Le 9 novembre 1998, la Direction générale des services pénitentiaires demanda au tribunal de l'application des peines une copie de la dernière décision relative au contrôle périodique de l'internement du requérant. Le 10 novembre 1998, le juge indiqua qu'aucune décision n'avait encore été prise.
25.  Le requérant s'évada au cours d'une sortie temporaire entre le 1er et le 3 avril 1999. Les autorités de police le capturèrent à son domicile familial le 11 novembre 1999.
26.  Par une décision du 20 janvier 2000, le tribunal de l'application des peines décida de maintenir l'internement du requérant. Le juge se fonda d'abord sur le rapport de l'IML du 18 mai 1998. Il souligna ensuite qu'il était clair que le requérant, qui avait profité d'une sortie temporaire pour s'évader, n'était pas en mesure de se montrer à la hauteur de la confiance que le système pénitentiaire lui avait accordée. Enfin, le juge considéra qu'il n'était pas nécessaire d'examiner les demandes de mise en liberté présentées par le requérant lui-même, compte tenu de l'aliénation mentale de l'intéressé.
27.  Le requérant fit lui-même appel de cette décision devant la cour d'appel (Tribunal da Relação) de Porto. Toutefois, par une ordonnance du 4 février 2000, le juge du tribunal de l'application des peines décida de ne pas examiner cette demande. Après avoir constaté la situation d'interné du requérant et le fait que celui-ci était représenté par un défenseur d'office, il se fonda sur une décision rendue par le président de la chambre criminelle de la Cour suprême le 5 janvier 2000 dans le cadre d'une procédure d'habeas corpus et selon laquelle aucune autre demande d'habeas corpus présentée par le requérant lui-même ne serait examinée, compte tenu de l'aliénation mentale de l'intéressé.
28.  A une date non précisée, le requérant fit lui-même appel de cette dernière ordonnance devant la cour d'appel. Toutefois, le juge du tribunal de l'application des peines, par une ordonnance du 1er mars 2000, refusa d'examiner l'appel, renvoyant aux motifs de son ordonnance du 4 février 2000.
29.  Le 8 novembre 2000, le requérant, agissant par l'intermédiaire de Me Pires de Lima, saisit la cour d'appel de Porto d'une demande de récusation du juge du tribunal de l'application des peines chargé du dossier. La cour d'appel, par un arrêt du 7 janvier 2001, fit droit à la demande, et un nouveau juge fut désigné.
30.  Le 29 janvier 2001, le ministère public requit la mise en liberté du requérant, celui-ci ne présentant plus aucun danger. Par une décision du 30 janvier 2001, le juge rejeta la demande et décida de revoir la situation lors du prochain contrôle périodique, prévu le 20 janvier 2002. Le ministère public fit appel de cette décision devant la cour d'appel de Porto.
31.  Par un arrêt du 20 juin 2001, la cour d'appel rejeta le recours.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
32.  Les dispositions pertinentes du code pénal, telles que modifiées par le décret-loi no 48/95 du 15 mars 1995, sont les suivantes :
Article 20 § 1
« N'est pas pénalement responsable celui qui, en raison de troubles psychiques, est incapable au moment des faits d'apprécier le caractère illicite de ses actes ou d'en évaluer la portée. »
Article 91
« 1.  Celui qui commet un fait punissable et est considéré comme pénalement irresponsable, au sens de l'article 20, est interné, sur ordre du tribunal, dans un établissement de soins, de traitement ou de sûreté, dans la mesure où, compte tenu de ses troubles psychiques et de la gravité de ses actes, il y a lieu de craindre qu'il perpètre d'autres faits graves.
2.  Lorsque l'infraction commise par une personne pénalement irresponsable consiste en un crime contre les personnes ou en un crime de droit commun punis d'une peine supérieure à cinq ans, l'internement est d'une durée minimale de trois ans, sauf si la mise en liberté se révèle compatible avec la défense de l'ordre juridique et de la paix sociale. »
Article 92 § 1
« Sans préjudice des dispositions du paragraphe 2 de l'article précédent, l'internement prend fin lorsque le tribunal constate que la dangerosité criminelle ayant motivé l'internement a cessé. »
Article 93
« 1.  Quel que soit le moment, dès lors qu'une cause justifiant la cessation de la mesure d'internement est invoquée, le tribunal apprécie la question.
2.  Le tribunal statue d'office, indépendamment de toute demande, deux ans après le début de l'internement ou la décision le maintenant.
33.  Tant le code de procédure pénale que le décret-loi no 783/76 du 29 octobre 1976 portant organisation des tribunaux de l'application des peines détaillent la procédure à suivre en la matière. Les articles 503 et 504 du code de procédure pénale disposent :
Article 503
« 1.  Dans l'établissement où l'internement doit se faire, un dossier individuel est ouvert, dans lequel sont enregistrés ou versés toutes les communications reçues du tribunal et tous les éléments fournis à ce dernier, ainsi que les rapports d'évaluation périodique des résultats du traitement sur la dangerosité de l'interné.
2.  Une fois par an ou dès lors que les conditions le justifient ou que le tribunal de l'application des peines le sollicite, le directeur de l'établissement envoie à ce tribunal le rapport d'évaluation périodique. »
Article 504
« 1.  Deux mois ou plus avant la date prévue pour la révision obligatoire de la situation de l'interné, le tribunal de l'application des peines ordonne :
a) une expertise psychiatrique ou de personnalité, à effectuer si possible dans l'établissement où se trouve l'interné, le rapport y afférent devant être présenté au tribunal dans un délai de trente jours ;
b) d'office ou sur demande du ministère public, de l'interné ou de l'avocat, les mesures qui semblent avoir un intérêt pour la décision.
2.  Pour la même date, les services de réinsertion sociale envoient un rapport contenant une analyse du milieu familial et professionnel de l'interné.
3.  La révision obligatoire de la situation de l'interné a lieu après audition du ministère public, de l'avocat et de l'interné, l'absence de ce dernier ne pouvant être admise que lorsque son état de santé rend son audition inutile ou impossible.
34.  L'article 62 § 2 du code de procédure pénale, applicable à titre subsidiaire à la procédure devant les tribunaux de l'application des peines, prévoit qu'exceptionnellement, en cas d'urgence ou d'impossibilité de trouver un avocat ou un avocat stagiaire, le juge peut commettre d'office, aux fins de la représentation de l'accusé, une personne idoine non juriste. Dans son arrêt no 59/99 du 2 février 1999 (Boletim do Ministério da Justiça no 484, p. 48), le Tribunal constitutionnel a décidé que la désignation d'un fonctionnaire du greffe d'un tribunal en tant que défenseur d'office de l'accusé ne portait pas atteinte aux droits de la défense, garantis par l'article 32 de la Constitution.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 §§ 1 ET 4 DE LA CONVENTION
35.  Le requérant allègue que la légalité du maintien de son internement a été examinée de manière tardive et non conforme au droit interne. Il se plaint par ailleurs de ne pas avoir bénéficié d'une assistance juridique effective dans le cadre de la procédure en cause. Il invoque les paragraphes 1 et 4 de l'article 5 de la Convention, qui disposent notamment :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a)  s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
e)  s'il s'agit de la détention régulière d'une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d'un aliéné, d'un alcoolique, d'un toxicomane ou d'un vagabond ;
4.  Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.
A.  Le contrôle de la légalité du maintien de l'internement
36.  Le requérant affirme que, d'après la législation interne, le premier contrôle périodique de la légalité de son internement devait avoir lieu avant le 1er mars 1998. Or ce contrôle n'aurait eu lieu que le 20 janvier 2000, qui plus est sur la base d'un rapport de 1998, ce qui serait également contraire au droit interne. Enfin, le juge n'aurait pas répondu à la demande de mise en liberté présentée par le requérant le 2 juillet 1997. Pour l'intéressé, il y a donc eu violation de l'article 5 §§ 1 et 4 de la Convention.
37.  Le Gouvernement soutient quant à lui que la procédure interne en matière de contrôle de la légalité de l'internement a été respectée. Il estime qu'aucune violation de l'article 5 § 1 ne peut être constatée, dans la mesure où la décision initiale d'internement justifie selon lui la durée totale de privation de liberté, telle qu'elle a été décidée par le tribunal criminel de Porto, ce dernier ayant fixé à huit ans la durée maximale de la mesure d'internement appliquée au requérant.
38.  Le Gouvernement considère que la question ne peut être examinée que sous l'angle de l'article 5 § 4. Il soutient qu'il n'y a pas eu violation de cette disposition car la procédure interne concernant le contrôle périodique de la légalité de la détention a été respectée, même si c'est avec un certain retard. Il souligne que le requérant a finalement bénéficié d'un examen de sa situation à des intervalles réguliers, comme l'exige l'article 5 § 4. Il rappelle à cet égard que le requérant a été en fuite du 3 avril au 11 novembre 1999.
39.  La Cour estime pour sa part plus approprié d'examiner lesdits griefs d'abord sous l'angle de l'article 5 § 4.
1.  Sur la violation de l'article 5 § 4
40.  La Cour constate d'emblée que nul ne conteste que la détention du requérant tombait dans le champ d'application de l'article 5 § 1 e), l'intéressé ayant été considéré comme pénalement irresponsable et auteur de faits punissables graves. D'après la jurisprudence de la Cour, une personne internée dans ces conditions a le droit, au titre de l'article 5 § 4, de faire examiner par un tribunal à des intervalles raisonnables la « légalité » – au sens de la Convention – de sa détention car les motifs qui justifiaient l'internement à l'origine peuvent cesser d'exister (Musiał c. Pologne [GC], no 24557/94, § 43, CEDH 1999-II).
41.  Pour remplir les exigences de l'article 5 § 4, pareil contrôle doit respecter les normes de fond comme de procédure de la législation nationale et s'exercer de surcroît en conformité avec le but de l'article 5 : protéger l'individu contre l'arbitraire. La seconde condition implique non seulement que les juridictions compétentes statuent « à bref délai », mais aussi que leurs décisions se suivent à un rythme raisonnable (Herczegfalvy c. Autriche, arrêt du 24 septembre 1992, série A no 244, p. 24, § 75).
42.  La Cour observe d'abord que la procédure instituée par la législation portugaise pertinente s'analyse en un contrôle judiciaire périodique et automatique des motifs de l'internement similaire à celui qui était en cause dans l'affaire Herczegfalvy susmentionnée. Par ailleurs, l'interné dispose, à tout moment, de la possibilité de demander la levée de la mesure et sa mise en liberté.
43.  En l'espèce, le requérant a déposé le 2 juillet 1997 une demande de mise en liberté fondée sur un rapport médical établi par l'un des médecins de la clinique psychiatrique pénitentiaire de Santa Cruz do Bispo. Le 4 juillet 1997, le juge du tribunal de l'application des peines apposa sur le dossier la mention « vu ».
La Cour observe d'abord que cette mention ne saurait passer pour un examen de la demande qui avait été déposée par le requérant, et encore moins pour une décision sur les motifs de l'internement.
44.  Comme le juge du tribunal criminel de Porto l'avait signalé dans son ordonnance du 24 janvier 1997, le premier contrôle périodique obligatoire de l'internement du requérant devait avoir lieu le 1er mars 1998, soit deux ans après la mise en détention provisoire de l'intéressé. Or aucun contrôle n'eut lieu à cette date.
45.  Le premier contrôle des motifs de l'internement n'a finalement eu lieu que le 20 janvier 2000, soit deux ans, six mois et dix-huit jours après la première demande de mise en liberté déposée par le requérant. La Cour note d'emblée que, sauf motifs exceptionnels propres à la justifier, pareille période doit passer pour excessive et incompatible avec la notion de bref délai au sens de l'article 5 § 4.
46.  Soulignant le fait que le requérant a été en fuite pendant sept mois, le Gouvernement estime quant à lui que la période en cause n'est pas excessive.
47.  La Cour n'est pas convaincue qu'il faille retrancher de ladite période de deux ans, six mois et dix-huit jours celle de sept mois pendant laquelle le requérant a été absent de la clinique. Elle relève que les autorités de police ont finalement retrouvé le requérant à son domicile familial, dont l'adresse était connue dès le début de la procédure pénale, en 1996, et où l'intéressé était tenu de résider pendant sa sortie temporaire. On peut dès lors se demander s'il était justifié que ces autorités laissent s'écouler sept mois avant de retrouver le requérant à l'adresse qu'il avait-lui même indiquée.
48.  Quoi qu'il en soit, la période en cause demeure excessive, sans que la Cour puisse discerner des circonstances exceptionnelles capables de la justifier au regard de l'article 5 § 4. Ce motif suffit, à lui seul, pour amener la Cour à conclure à la violation de cette disposition.
49.  La Cour relève par ailleurs que lorsque le tribunal de l'application des peines a décidé le 20 janvier 2000 de maintenir le requérant en détention, il s'est fondé notamment sur un rapport médical établi le 18 mai 1998. Le tribunal s'est donc prononcé à partir d'éléments médicaux obtenus un an et huit mois auparavant et qui ne reflétaient donc pas nécessairement l'état du requérant au moment de la décision. La Cour estime que pareil intervalle entre l'établissement d'un rapport médical et la décision subséquente peut se heurter en soi au principe qui sous-tend l'article 5 de la Convention : prémunir l'individu contre l'arbitraire quand se trouve en jeu une mesure privative de liberté (Musiał précité, § 50).
50.  Enfin, la Cour souligne que le tribunal de l'application des peines de Porto n'a pas satisfait, comme le Gouvernement lui-même semble le reconnaître lorsqu'il parle d'un « certain retard » dans le « respect » des dispositions pertinentes, aux normes de procédure de la législation nationale concernant le contrôle périodique obligatoire des motifs de l'internement ; le délai prévu à l'article 93 § 2 du code pénal, qui est à cet égard sans équivoque, n'a pas été respecté (paragraphe 32 ci-dessus).
51.  Bref, il y a eu violation de l'article 5 § 4 de la Convention.
2.  Sur la violation de l'article 5 § 1
52.  Le requérant allègue que les dispositions du droit interne en matière de contrôle de la légalité du maintien de l'internement n'ont pas été respectées, ce qui serait également contraire à l'article 5 § 1.
53.  La Cour a déjà examiné ce grief sous l'angle de l'article 5 § 4 (paragraphe 50 ci-dessus). Compte tenu de la conclusion à laquelle elle est parvenue, elle estime qu'il n'y a pas lieu de l'examiner de surcroît sur le terrain du paragraphe 1 (Herczegfalvy précité, p. 22, § 68 in fine).
B.  L'assistance juridique
54.  Le requérant affirme que l'avocat stagiaire désigné par le juge du tribunal de l'application des peines n'est pas du tout intervenu dans la procédure et était absent lors de l'audition du 1er juillet 1998. Il estime ainsi ne pas avoir bénéficié avant octobre 2000, date à laquelle Me Pires de Lima a assumé la défense de ses intérêts, d'une véritable assistance juridique, alors qu'eu égard à son état mental l'Etat avait l'obligation de lui fournir une telle assistance. Le requérant voit dans cette carence une violation de l'article 5 § 4 de la Convention.
55.  Le Gouvernement considère que l'intéressé a bénéficié d'une assistance juridique suffisante. Pour ce qui est en particulier de l'audition du 1er juillet 1998, il souligne qu'il n'y avait aucune question juridique ou de procédure à régler, raison pour laquelle le juge s'est passé de la présence de l'avocat d'office.
56.  La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle l'article 5 § 4 exige que la procédure appliquée revête un caractère judiciaire et offre à l'individu en cause des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il se plaint ; pour déterminer si une procédure offre des garanties suffisantes, il faut avoir égard à la nature particulière des circonstances dans lesquelles elle se déroule. Les instances judiciaires relevant de l'article 5 § 4 ne doivent pas toujours s'accompagner de garanties identiques à celles que l'article 6 § 1 prescrit pour les litiges civils ou pénaux. Encore faut-il que l'intéressé ait accès à un tribunal et l'occasion d'être entendu lui-même ou, au besoin, moyennant une certaine forme de représentation. Des garanties spéciales de procédure peuvent s'imposer pour protéger ceux qui, en raison de leurs troubles mentaux, ne sont pas entièrement capables d'agir pour leur propre compte (Megyeri c. Allemagne, arrêt du 12 mai 1992, série A no 237-A, pp. 11-12, § 22).
57.  En conséquence, une personne détenue dans un établissement psychiatrique pour avoir accompli des actes constitutifs d'infractions pénales, mais dont les troubles mentaux empêchent de la juger responsable, doit, sauf circonstances exceptionnelles, jouir de l'assistance d'un homme de loi dans les procédures ultérieures relatives à la poursuite, la suspension ou la fin de son internement. L'importance de l'enjeu pour elle – sa liberté –  combinée à la nature même de son mal – une aptitude mentale diminuée – dicte cette conclusion (Megyeri précité, p. 12, § 23).
58.  Nul ne conteste que le requérant en l'espèce présentait des troubles mentaux qui l'empêchaient de mener une instance judiciaire de manière adéquate, nonobstant sa formation juridique. C'est d'ailleurs pour cette raison que le président de la chambre criminelle de la Cour suprême décida, dans son ordonnance du 5 janvier 2000, de ne plus prendre en considération les demandes présentées par le requérant (paragraphe 26 ci-dessus).
59.  Les circonstances de l'affaire commandaient donc la désignation d'un homme de loi pour assister le requérant dans le cadre de la procédure relative au contrôle périodique de la légalité de son internement.
60.  La Cour constate que le juge du tribunal de l'application des peines a désigné en tout début de procédure, conformément à la loi, un avocat stagiaire comme défenseur d'office du requérant. Toutefois, cet avocat n'est jamais intervenu dans la procédure. Or, comme la Cour l'a souligné à maintes reprises sur le terrain de l'article 6 § 3 c), la nomination d'un conseil n'assure pas à elle seule l'effectivité de l'assistance qu'il peut procurer à l'accusé (voir, entre autres, Daud c. Portugal, arrêt du 21 avril 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, pp. 749-750, § 38).
61.  Ce manque d'assistance effective s'est révélé particulièrement frappant lors de l'audition du 1er juillet 1998. Le Gouvernement soutient que si le juge s'est passé alors de la présence de l'avocat d'office c'est parce qu'il n'y avait aucune question juridique à régler. La Cour ne peut accepter cet argument. Elle relève en premier lieu que l'audition en cause avait pour but, conformément à l'article 504 du code de procédure pénale, de permettre au juge de statuer sur la nécessité de prolonger l'internement du requérant. Or il va de soi que des questions de droit peuvent se poser au cours d'une telle audition. Deuxièmement, le juge n'avait apparemment pas renoncé à ce que le requérant fût représenté, puisqu'il avait désigné à cet effet un fonctionnaire de l'établissement pénitentiaire dans lequel se trouvait le requérant. Même si une telle désignation était, semble-t-il, conforme à la législation interne et à la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, elle ne saurait valoir, aux yeux de la Cour, représentation adéquate du requérant.
62.  Au vu de ce qui précède, force est de constater que la procédure menée en vue du contrôle juridictionnel de la légalité du maintien de l'internement du requérant n'a pas offert des garanties suffisantes, faute pour l'intéressé d'avoir pu bénéficier d'une assistance juridique adéquate avant octobre 2000.
63.  Il y a donc eu violation de l'article 5 § 4  de la Convention sur ce point également.
II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
64.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
65.  Le requérant réclame 10 000 000 d'escudos portugais (PTE), soit 49 879 euros (EUR), pour dommage moral.
De l'avis du Gouvernement, un constat de violation suffirait par lui-même à réparer le préjudice moral éventuellement subi par l'intéressé.
66.  La Cour estime que le requérant a indéniablement subi, à raison de la durée et du manque d'équité de la procédure par laquelle il a cherché à mettre fin à son internement, un préjudice moral, que le simple constat de violation ne saurait compenser. Vu les circonstances de l'espèce et statuant en équité comme le veut l'article 41, elle lui alloue 6 000 EUR à ce titre.
B.  Frais et dépens
67.  Le requérant fait valoir à cet égard que la somme versée par le Conseil de l'Europe au titre de l'assistance judiciaire ne représente pas la moitié des frais – honoraires compris – déjà facturés par son conseil.
Le Gouvernement s'en remet sur ce point à la sagesse de la Cour.
68.  La Cour rappelle qu'un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Musiał précité, § 61).
69.  Elle constate que le requérant en l'espèce n'a fourni aucune précision concernant les frais qui dépasseraient les montants perçus par la voie de l'assistance judiciaire. Il n'en reste pas moins, au vu du dossier, que l'intéressé a nécessairement dû engager certains frais pour la présentation de l'affaire devant la Cour par son avocat (voir à cet égard Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 210, CEDH 2000-IV, et Demiray c. Turquie, no 27308/95, § 70, CEDH 2000-XII).
Statuant en équité, la Cour juge raisonnable de lui octroyer à ce titre 5 000 EUR, moins les 1 779 EUR versés par le Conseil de l'Europe au titre de l'assistance judiciaire.
C.  Intérêts moratoires
70.  Selon les informations dont la Cour dispose, le taux d'intérêt légal applicable au Portugal à la date d'adoption du présent arrêt est de 7 % l'an.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,
1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 4 de la Convention ;
2.  Dit qu'il ne s'impose pas de rechercher s'il y a eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention ;
3.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i.  6 000 EUR (six mille euros) pour dommage moral,
ii.  5 000 EUR (cinq mille euros), moins 1 779 EUR (mille sept cent soixante-dix-neuf euros), pour frais et dépens ;
b)  que ces montants seront à majorer d'un intérêt simple de 7 % l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;
4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 26 février 2002.
Vincent Berger Georg Ress   Greffier Président
ARRÊT MAGALHÃES PEREIRA c. PORTUGAL
ARRÊT MAGALHÃES PEREIRA c. PORTUGAL 


Synthèse
Formation : Cour (quatrième section)
Numéro d'arrêt : 44872/98
Date de la décision : 26/02/2002
Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 5-4 ; Non-lieu à examiner l'art. 5-1 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Parties
Demandeurs : MAGALHAES PEREIRA
Défendeurs : PORTUGAL

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2002-02-26;44872.98 ?

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