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12/03/2002 | CEDH | N°2352/02

CEDH | HOLDING AND BARNES PLC contre le ROYAUME-UNI


[TRADUCTION]
EN FAIT
La requérante, Holding and Barnes PLC, est une société à responsabilité limitée créée en 1964 et dont le siège social se trouve à Canvey Island (Essex). Elle est représentée devant la Cour par Me T. Pittas, solicitor à Londres.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels que présentés au nom de la société requérante, peuvent se résumer comme suit.
La société requérante entrepose et vend des véhicules endommagés. Elle sollicita un permis d’aménagement pour abriter ailleurs une partie de

ses activités. Le 2 mai 2000, l’autorité locale compétente décida qu’elle allait accorder le...

[TRADUCTION]
EN FAIT
La requérante, Holding and Barnes PLC, est une société à responsabilité limitée créée en 1964 et dont le siège social se trouve à Canvey Island (Essex). Elle est représentée devant la Cour par Me T. Pittas, solicitor à Londres.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels que présentés au nom de la société requérante, peuvent se résumer comme suit.
La société requérante entrepose et vend des véhicules endommagés. Elle sollicita un permis d’aménagement pour abriter ailleurs une partie de ses activités. Le 2 mai 2000, l’autorité locale compétente décida qu’elle allait accorder le permis. Cependant, le 25 juillet 2000, le ministre de l’Environnement écrivit au conseil compétent pour le prier de lui transmettre la demande, en application de l’article 77 de la loi de 1990 sur l’aménagement urbain et rural (voir ci-dessous).
Le ministre estimait qu’il devait exercer son pouvoir de s’attribuer l’examen de la demande formée par la requérante en raison de la nature de l’usage envisagé, de l’impact qu’il pouvait avoir sur la prospérité économique future de la région, et de la proximité du site retenu avec des installations de stockage de gaz à risque.
La société requérante contesta le pouvoir du ministre de s’emparer de la demande, y voyant une atteinte à l’article 6 § 1 de la Convention ; cette affaire ainsi que trois autres soulevant une question similaire furent examinées le 13 décembre 2000 par la Divisional Court, qui donna gain de cause aux demandeurs. Le ministre saisit la Chambre des lords qui, le 9 mai 2001, déclara qu’il n’y avait pas eu atteinte à l’article 6 § 1. Infirmant la décision de la Divisional Court, la Chambre des lords déclara que, bien que le ministre ne fût pas lui-même un tribunal indépendant et impartial lorsqu’il traitait des affaires dont il s’était attribué l’examen, la question cruciale qui se posait sous l’angle de l’article 6 de la Convention était de savoir s’il y avait un contrôle juridictionnel suffisant pour garantir par la suite une décision d’un tribunal ayant ces qualités. La jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme (en particulier l’arrêt Bryan c. Royaume-Uni, voir ci-dessous) n’exigeait pas qu’un tel contrôle constituât un nouvel examen d’une demande quant au fond. En revanche, il importait qu’il y ait un contrôle suffisant d’un tribunal satisfaisant aux exigences d’indépendance et d’impartialité sur la légalité des décisions et des procédures suivies. La compétence de la High Court en matière de contrôle juridictionnel permettait un tel recours (R. v. Secretary of State for the Environment, ex parte Holding and Barnes, Alconbury Developments Ltd and Legal and General Assurance Society Ltd, [2001] UKHL 23 ; [2001] 2 All ER 929).
A la suite de la décision de la Chambre des lords, le requérant fut contraint d’abandonner une partie de ses projets de transfert et d’amender sensiblement sa demande de permis d’aménagement. Le ministre accepta la demande modifiée du 6 décembre 2001.
B.  Le droit et la pratique internes pertinents
En droit anglais, ce sont les autorités locales élues qui statuent sur la plupart des demandes de permis d’aménagement, leurs décisions étant susceptibles de recours auprès d’un inspecteur nommé par le ministre de l’Environnement. Toutefois, en vertu de l’article 77 de la loi de 1990 sur l’aménagement urbain et rural (« loi de 1990 »), le ministre a le pouvoir de s’attribuer des demandes afin de les trancher lui-même. De plus, le ministre a un certain nombre d’autres fonctions en matière d’aménagement, à savoir la mise en œuvre de la politique et la formulation d’orientations dont doivent tenir compte les autres autorités appelées à statuer sur des demandes de permis, et le contrôle des plans concernant l’ensemble du pays.
Les directives de 1999 sur les plans et la consultation en matière d’aménagement urbain et rural (départs), contenues dans la circulaire 07/99, donnent des indications sur la procédure par laquelle le ministre s’empare d’une demande. Selon le paragraphe 2 de cette circulaire, le ministre « suit sa politique consistant en règle générale à ne s’attribuer une demande pour la trancher lui-même que si elle soulève des questions d’aménagement dont l’importance dépasse la sphère locale ».
En vertu de l’article 77 § 5 de la loi de 1990, avant même de statuer sur une requête qu’il s’est attribuée, le ministre, à la demande du requérant ou de l’autorité locale, désigne un inspecteur chargé de recueillir les observations orales des deux parties. Les parties ont la possibilité de faire convoquer et d’interroger des témoins lors de ces audiences (règles de 2000 sur la procédure d’enquête en Angleterre en matière d’aménagement urbain et rural – « règles de 2000 »). A la suite d’une telle audience, l’inspecteur rédige un rapport dans lequel il expose ses conclusions et recommandations. Si le ministre est enclin à prendre une décision différente parce qu’il est en désaccord avec l’inspecteur sur une question de fait pertinente ou parce qu’il tient compte de nouveaux faits ou éléments, les parties sont en droit d’en être informées avant que le ministre ne prenne sa décision, et elles doivent avoir la possibilité de présenter des observations écrites ou de demander la réouverture de l’enquête afin que les éléments nouveaux soient examinés (article 17 des règles de 2000).
L’article 288 de la loi de 1990 prévoit le contrôle juridictionnel d’une décision prise par le ministre à l’issue d’une procédure par laquelle il s’est emparé d’une demande :
« 1.  Toute personne qui
a)  se trouve lésée par une décision à laquelle s’applique le présent article et souhaite en contester la validité au motif que
i.  cette décision n’entre pas dans le cadre des attributions conférées par la présente loi, ou
ii.  que l’une des conditions pertinentes n’a pas été remplie dans le cadre de cette décision ; ou qui
b)  se trouve lésée par un acte du ministre auquel s’applique le présent article et souhaite en contester la validité au motif que
i.  cet acte n’entre pas dans le cadre des attributions conférées par la présente loi, ou
ii.  que l’une des conditions pertinentes n’a pas été remplie dans le cadre de cet acte,
peut saisir la High Court sur le fondement du présent article. »
Dans l’arrêt rendu par la Chambre des lords en l’espèce, Lord Slynn of Hadley décrivait comme suit la portée du contrôle juridictionnel effectué au titre de la loi de 1990 :
« Il est établi de longue date que si le ministre fait une mauvaise interprétation de la législation en vertu de laquelle il prétend agir, ou s’il se fonde sur des éléments non pertinents pour sa décision ou refuse ou néglige de tenir compte de facteurs pertinents pour sa décision, ou s’il aboutit à une décision arbitraire, la High Court peut annuler sa décision. Même s’il néglige de prendre les mesures de procédure requises (par exemple en omettant d’annoncer une audience ou de donner la possibilité de convoquer ou d’interroger des témoins ou de soumettre des observations, ou en négligeant de prendre une mesure requise par le principe d’équité ou par les principes élémentaires de la justice), la High Court est fondée à intervenir. La légalité de la décision et des mesures de procédure doit faire l’objet d’un contrôle juridictionnel suffisant. »
Lord Slynn ajouta que selon lui, la High Court était compétente pour annuler la décision du ministre en cas de mauvaise compréhension ou d’ignorance d’un fait établi et pertinent (paragraphes 50 et 53 de l’arrêt ; voir également les interventions de Lord Nolan, § 61, Lord Hoffman, § 130, et Lord Clyde, § 169).
GRIEF
Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la société requérante se plaint de ce que la décision sur sa demande de permis d’aménagement prise par le ministre viole son droit à une procédure équitable devant un tribunal indépendant et impartial.
EN DROIT
Affirmant que le ministre ne devrait pas être à la fois un responsable politique et un décideur en matière d’aménagement, la société requérante dénonce une atteinte à l’article 6 § 1 de la Convention, dont les passages pertinents disposent :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
La Cour rappelle que selon sa jurisprudence, le fait de statuer sur une demande de permis d’aménagement « [porte] sur [des] droits de caractère civil », et que l’article 6 § 1 est donc applicable (voir, par exemple, l’arrêt Bryan c. Royaume-Uni du 22 novembre 1995, série A no 335-A, § 31).
Dans l’arrêt Bryan susmentionné, la Cour a estimé (paragraphe 38) qu’un inspecteur examinant un recours en matière d’urbanisme contre la décision d’une autorité locale n’est pas un « tribunal indépendant et impartial » en raison du simple fait que le ministre a la faculté, lorsque sa propre politique risque d’être en cause, de révoquer le pouvoir de l’inspecteur de statuer sur un recours. A plus forte raison le ministre lui-même – membre du gouvernement chargé de mettre en œuvre la politique nationale en matière d’aménagement – ne saurait être qualifié de « tribunal indépendant et impartial », ce qui d’ailleurs a été admis en l’espèce au nom du ministre devant la Chambre des lords (voir ci-dessus).
Toutefois, comme l’a expliqué la Cour dans l’arrêt Albert et Le Compte c. Belgique (10 février 1983, série A no 58, § 29), même lorsqu’un organe juridictionnel qui tranche des différends concernant des « droits et obligations de caractère civil » ne satisfait pas, dans une certaine mesure,  aux exigences de l’article 6 § 1, aucune violation de la Convention ne peut être constatée si les procédures devant cet organe « subissent le contrôle ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction présentant, lui, les garanties de cet article ». En l’espèce, il s’agit de savoir si la faculté conférée par l’article 288 de la loi de 1990 (voir ci-dessus) de demander un contrôle juridictionnel d’une décision prise par le ministre est suffisante pour satisfaire aux exigences de l’article 6 § 1.
La Cour rappelle que dans l’arrêt Bryan susmentionné, elle a déclaré que la possibilité de soumettre la décision de l’inspecteur à un contrôle juridictionnel était suffisante pour assurer le respect de l’article 6 § 1, en dépit du fait que l’appel à la High Court ne pouvait porter sur tous les aspects de la décision de l’inspecteur, en particulier le fond de la décision (arrêt Bryan, § 44). La Cour a estimé suffisant le fait que, hormis les motifs classiques d’illégalité en droit anglais (ayant trait par exemple à l’équité, à la régularité de la procédure, à l’indépendance et à l’impartialité), la High Court aurait pu annuler la décision de l’inspecteur si cette dernière s’était fondée sur des éléments étrangers à l’affaire ou avait négligé des facteurs pertinents ; si les constatations de fait n’avaient pas été étayées par des preuves suffisamment solides ; ou si la décision avait découlé d’une déduction tirée arbitrairement ou irrationnellement des faits au sens où aucun inspecteur procédant de façon correcte ne se serait livré à une telle déduction (ibidem). Par ailleurs, la Cour a formulé les observations suivantes au paragraphe 47 de l’arrêt Bryan :
« On peut raisonnablement attendre une telle façon de procéder de la part d’une juridiction d’appel dans des domaines juridiques spécialisés tels que celui en cause, en particulier lorsque les faits ont auparavant été établis au cours d’une procédure quasi judiciaire respectant nombre des exigences de l’article 6 § 1. Cette méthode se retrouve fréquemment dans les systèmes de contrôle juridictionnel des décisions administratives, en vigueur dans l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe. De fait, en l’espèce, l’objet de la décision attaquée était un parfait exemple de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire de jugement destiné à régir le comportement des citoyens dans le secteur de l’aménagement urbain et rural. »
En ce qui concerne les faits de l’espèce, la Cour observe que, si le ministre n’est pas un tribunal indépendant et impartial, la procédure qui suit une transmission de requête va de pair avec un certain nombre de garanties procédurales d’équité. Ainsi, en vertu de l’article 77 § 5 de la loi de 1990, avant de statuer sur une requête dont il s’est emparé, le ministre, à la demande du requérant ou de l’autorité locale, désigne un inspecteur chargé d’examiner les observations orales et les moyens de preuve de chaque partie. A la suite d’une telle audience, l’inspecteur rédige un rapport dans lequel il expose ses conclusions et recommandations. Si le ministre est enclin à prendre une décision différente parce qu’il est en désaccord avec l’inspecteur sur une question de fait pertinente ou parce qu’il tient compte de nouveaux faits ou éléments, les parties sont en droit d’en être informées avant que le ministre ne prenne sa décision, et elles doivent avoir la possibilité de présenter des observations écrites ou de demander la réouverture de l’enquête afin que les éléments nouveaux soient examinés.
Lorsque le ministre a rendu sa décision, il est loisible à la partie lésée de demander un contrôle juridictionnel au titre de l’article 288 de la loi de 1990. La juridiction de contrôle a compétence pour annuler la décision du ministre si elle estime que celui-ci a commis un abus de pouvoir, s’est fondé sur des éléments étrangers à l’affaire ou a négligé des facteurs pertinents, a pris une décision arbitraire ou découlant d’une mauvaise compréhension ou de l’ignorance d’un fait établi et pertinent, ou n’a pas pris les mesures de procédure requises (voir le résumé du droit interne ci-dessus).
Dans ces conditions, la Cour estime que la présente affaire ne saurait, sous l’angle de l’article 6 § 1, être distinguée de l’affaire Bryan susmentionnée. Elle estime en particulier que, comme l’a dit la Chambre des lords, le fait qu’en l’espèce c’est le ministre lui-même – et non l’inspecteur comme dans l’affaire Bryan – qui allait statuer ne constitue pas une base suffisante pour différencier les deux décisions.
Il s’ensuit que cette requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Michael O’Boyle Matti Pellonpää   Greffier Président
DÉCISION HOLDING AND BARNES PLC c. ROYAUME-UNI
DÉCISION HOLDING ET BARNES PLC c. ROYAUME-UNI 


Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 5-1) ARRESTATION OU DETENTION REGULIERE, (Art. 5-4) CONTROLE DE LA LEGALITE DE LA DETENTION


Parties
Demandeurs : HOLDING AND BARNES PLC
Défendeurs : le ROYAUME-UNI

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (deuxième section)
Date de la décision : 12/03/2002
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 2352/02
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2002-03-12;2352.02 ?
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