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25/04/2002 | CEDH | N°45019/98

CEDH | PASCOLINI contre la FRANCE


PREMIÈRE SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 45019/98  présentée par René PASCOLINI  contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 25 avril 2002 en une chambre composée de
M. C.L. Rozakis, président,   Mme F. Tulkens,   MM. J.-P. Costa    P. Lorenzen,    E. Levits,    A. Kovler,    V. Zagrebelsky, juges,  et de M. S. Nielsen, greffier adjoint de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme

le 14 octobre 1998,
Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la c...

PREMIÈRE SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 45019/98  présentée par René PASCOLINI  contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 25 avril 2002 en une chambre composée de
M. C.L. Rozakis, président,   Mme F. Tulkens,   MM. J.-P. Costa    P. Lorenzen,    E. Levits,    A. Kovler,    V. Zagrebelsky, juges,  et de M. S. Nielsen, greffier adjoint de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 14 octobre 1998,
Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
A.  Les circonstances de l’espèce
Le requérant, M. René Pascolini, est un ressortissant français, né en 1948 et résidant à Aussonne.
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant fut cité à comparaître devant le tribunal correctionnel de Toulouse le 18 janvier 1993 pour des faits de publicité mensongère. A l’audience, le conseil du requérant souleva une exception de nullité.
Par jugement du 27 janvier 1993, le tribunal correctionnel rejeta l’exception et renvoya l’affaire au 14 avril 1993. A cette date, le requérant sollicita que lui soient remises des photocopies du dossier, son avocat lui ayant refusé sur instruction du ministère public. Le tribunal rejeta cette demande et renvoya l’affaire au 23 avril 1993. Le requérant interjeta appel de la décision de rejet de sa demande.
Par jugement du 9 février 1994, le tribunal correctionnel de Toulouse déclara le requérant coupable des faits reprochés et le condamna à une peine de deux cents jours-amende d’un montant de 200 francs chacun. Le requérant et le ministère public interjetèrent appel.
Par arrêt du 6 avril 1995, statuant sur les appels formés contre les jugements des 14 avril 1993 et 9 février 1994, la cour d’appel de Toulouse rejeta l’exception de nullité tenant au défaut de délivrance des copies de pièces, confirma le jugement sur la culpabilité et, le réformant sur la peine, condamna le requérant à un mois d’emprisonnement avec sursis. Le requérant forma un pourvoi en cassation.
Par arrêt du 12 juin 1996, la chambre criminelle de la Cour de cassation cassa l’arrêt de la cour d’appel sur le fondement de l’article 6 § 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et renvoya l’affaire devant une autre cour d’appel.
Par arrêt du 29 avril 1997, la cour d’appel de Bordeaux annula les jugements attaqués, déclara le requérant coupable du délit de publicité mensongère et le condamna à une peine de 10 000 francs d’amende.
Le requérant forma un pourvoi en cassation. Il fut représenté par un avocat à la Cour de cassation et au Conseil d’Etat qui déposa un mémoire ampliatif au soutien du pourvoi. De son côté, le requérant déposa également un mémoire personnel.
Par arrêt du 6 mai 1998, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi.
B.  Le droit et la pratique internes pertinents
Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt du 18 décembre 1996 :
« Attendu que le demandeur en cassation sollicite, en invoquant les dispositions de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qu’il lui soit donné connaissance, avant l’audience, des réquisitions écrites du ministère public ;
Qu’une telle requête est sans objet et qu’il ne saurait y être donné suite ;
Qu’en effet, les réquisitions de l’avocat général, dont le rôle, devant la chambre criminelle, n’est pas de soutenir l’accusation, au sens des dispositions conventionnelles invoquées, mais de veiller, en toute indépendance, à l’exacte application de la loi pénale, ne sont, selon l’article 602 du Code de procédure pénale, présentées qu’oralement à l’audience, après les observations des avocats à la Cour de cassation représentant les parties, lorsqu’ils ont demandé à être entendus ; que ceux-ci sont ensuite invités par le président, pour satisfaire aux exigences du débat contradictoire, à reprendre la parole après l’intervention de l’avocat général (...) »
GRIEF
Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de ne pas avoir obtenu communication des conclusions de l’avocat général et du rapport du conseiller rapporteur devant la Cour de cassation.
EN DROIT
Le requérant se plaint de ne pas avoir obtenu communication des conclusions de l’avocat général et du rapport du conseiller rapporteur devant la Cour de cassation. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation pénale dirigée contre elle (...). »
Le Gouvernement indique, s’agissant du grief relatif à la communication des conclusions de l’avocat général, qu’un grief similaire a déjà été examiné par la Cour dans l’affaire Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France (arrêt du 31 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II). Il rappelle ses observations sur l’existence d’une pratique selon laquelle les avocats aux Conseils disposent de la possibilité de répliquer aux conclusions de l’avocat général, pratique instaurée par la chambre criminelle de la Cour de cassation dès la fin des années 80 et confirmée en outre par un arrêt du 18 décembre 1996 la consacrant solennellement. Le Gouvernement, relevant que la Cour a jugé cette pratique conforme aux exigences du procès équitable, considère notamment que le requérant en a bénéficié en l’espèce et que son avocat aux Conseils était en mesure de connaître les conclusions de l’avocat général et d’y répliquer. Partant, il considère que ce grief est manifestement mal fondé.
Concernant l’absence de communication du rapport du conseiller rapporteur, le Gouvernement relève que la Cour a jugé contraire aux exigences du procès équitable le fait que le requérant, à la différence de l’avocat général, ne reçoive pas ce document. Tout en s’en remettant à la sagesse de la Cour sur ce point, il souligne néanmoins que le sens du rapport fait l’objet d’une mention au rôle d’audience, déposé à l’Ordre des avocats aux Conseils dix jours avant l’audience.
Le requérant allègue qu’il n’a pas été en mesure de bénéficier de la pratique évoquée par le Gouvernement, selon laquelle son avocat aux Conseils disposait de la possibilité de prendre connaissance des conclusions de l’avocat général et d’y répliquer. Il dénonce l’absence de respect du principe du contradictoire dans la procédure devant la chambre criminelle de la Cour de cassation. S’agissant de l’absence de communication du rapport du conseiller rapporteur, il indique notamment que le Gouvernement ne produit pas la mention relative à son affaire et en conteste la réalité.
La Cour rappelle que dans son arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd (précité) elle avait conclu à une violation de l’article 6 § 1, aux motifs suivants :
105.  Il n’est pas contesté que bien avant l’audience, l’avocat général reçut communication du rapport du conseiller rapporteur et du projet d’arrêt préparé par celui-ci. Le Gouvernement l’indique lui-même, ledit rapport se compose de deux volets : le premier contient un exposé des faits, de la procédure et des moyens de cassation, et le second, une analyse juridique de l’affaire et un avis sur le mérite du pourvoi.
Ces documents ne furent pas transmis aux requérants ou à leurs conseils. De nos jours, une mention au rôle diffusé à l’ordre des avocats aux Conseils une semaine avant l’audience informe les avocats des parties du sens dudit avis (irrecevabilité du pourvoi, rejet, ou cassation totale ou partielle ; paragraphe 73 ci-dessus).
Les avocats de Mme Reinhardt et de M. Slimane-Kaïd auraient pu plaider l’affaire s’ils en avaient manifesté la volonté ; à l’audience, ils auraient eu la parole après le conseiller rapporteur, ce qui leur eût permis d’entendre le premier volet du rapport litigieux et de le commenter. Le deuxième volet de celui-ci ainsi que le projet d’arrêt –légitimement couverts par le secret du délibéré – restaient en tout état de cause confidentiels à leur égard ; dans le meilleur des cas, ils ne purent ainsi connaître que le sens de l’avis du conseiller rapporteur quelques jours avant l’audience.
En revanche, c’est l’intégralité dudit rapport ainsi que le projet d’arrêt qui furent communiqués à l’avocat général. Or celui-ci n’est pas membre de la formation de jugement. Il a pour mission de veiller à ce que la loi soit correctement appliquée lorsqu’elle est claire, et correctement interprétée lorsqu’elle est ambiguë. Il « conseille » les juges quant à la solution à adopter dans chaque espèce et, avec l’autorité que lui confèrent ses fonctions, peut influencer leur décision dans un sens soit favorable, soit contraire à la thèse des demandeurs (paragraphes 74 et 75 ci-dessus).
Étant donné l’importance du rapport du conseiller rapporteur, principalement du second volet de celui-ci, le rôle de l’avocat général et les conséquences de l’issue de la procédure pour Mme Reinhardt et M. Slimane-Kaïd, le déséquilibre ainsi créé, faute d’une communication identique du rapport aux conseils des requérants, ne s’accorde pas avec les exigences du procès équitable.
106.  L’absence de communication des conclusions de l’avocat général aux requérants est pareillement sujette à caution.
De nos jours, certes, l’avocat général informe avant le jour de l’audience les conseils des parties du sens de ses propres conclusions et, lorsque, à la demande desdits conseils, l’affaire est plaidée, ces derniers ont la possibilité de répliquer aux conclusions en question oralement ou par une note en délibéré (paragraphe 79 ci-dessus). Eu égard au fait que seules des questions de pur droit sont discutées devant la Cour de cassation et que les parties y sont représentées par des avocats hautement spécialisés, une telle pratique est de nature à offrir à celles-ci la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses et de les commenter dans des conditions satisfaisantes. Il n’est toutefois pas avéré qu’elle existât à l’époque des faits de la cause. »
S’agissant du défaut de communication des conclusions de l’avocat général, la Cour avait donc relevé l’existence d’une pratique conforme aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention. S’il n’était pas avéré qu’une telle pratique existait à l’époque des faits dans l’affaire Reinhardt et Slimane-Kaïd, reste que l’expression « de nos jours » utilisée par la Cour couvre nécessairement la période postérieure à son arrêt, en date du 31 mars 1998. Par ailleurs, la Cour relève que l’existence d’une pratique soucieuse du respect du contradictoire est confirmée dans un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 18 décembre 1996.
En l’espèce, le pourvoi du requérant ayant été rejeté par arrêt du 6 mai 1998, la Cour constate que l’avocat aux Conseils du requérant a pu bénéficier de la pratique lui offrant la possibilité de prendre connaissance des conclusions de l’avocat général et de les commenter dans des conditions satisfaisantes.
Il s’ensuit que ce grief doit dès lors être rejeté comme étant manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Concernant l’absence de communication du rapport du conseiller rapporteur, la Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare recevable, tous moyens de fond réservés, le grief du requérant tiré du défaut de communication du rapport du conseiller rapporteur ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
Søren Nielsen Christos Rozakis   Greffier adjoint Président
DÉCISION PASCOLINI c. FRANCE
DÉCISION PASCOLINI c. FRANCE 


Synthèse
Formation : Cour (première section)
Numéro d'arrêt : 45019/98
Date de la décision : 25/04/2002
Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 14) DISCRIMINATION, (Art. 2-1) VIE, (Art. 3) TRAITEMENT DEGRADANT, (Art. 3) TRAITEMENT INHUMAIN, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE PRIVEE, (Art. 8-2) INGERENCE, (Art. 8-2) NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE, (Art. 8-2) PROTECTION DES DROITS ET LIBERTES D'AUTRUI, (Art. 9-1) LIBERTE DE PENSEE, DROITS ET LIBERTES N'ADMETTANT AUCUNE DEROGATION


Parties
Demandeurs : PASCOLINI
Défendeurs : la FRANCE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2002-04-25;45019.98 ?
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