La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/07/2002 | CEDH | N°34209/96

CEDH | AFFAIRE S.N. c. SUEDE


PREMIÈRE SECTION
[Dans sa composition antérieure au 1er novembre 2001]
AFFAIRE S.N. c. SUÈDE
(Requête no 34209/96)
ARRÊT
STRASBOURG
2 juillet 2002
DÉFINITIF
02/10/2002
En l'affaire S.N. c. Suède,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Mmes W. Thomassen, présidente,    E. Palm,   MM. Gaukur Jörundsson,    R. Türmen,    C. Bîrsan,    J. Casadevall,    R. Maruste, juges,  et de M. M. O'Boyle, greffier de section,
Après en av

oir délibéré en chambre du conseil les 20 novembre 2001 et 10 juin 2002,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dern...

PREMIÈRE SECTION
[Dans sa composition antérieure au 1er novembre 2001]
AFFAIRE S.N. c. SUÈDE
(Requête no 34209/96)
ARRÊT
STRASBOURG
2 juillet 2002
DÉFINITIF
02/10/2002
En l'affaire S.N. c. Suède,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Mmes W. Thomassen, présidente,    E. Palm,   MM. Gaukur Jörundsson,    R. Türmen,    C. Bîrsan,    J. Casadevall,    R. Maruste, juges,  et de M. M. O'Boyle, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 20 novembre 2001 et 10 juin 2002,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 34209/96) dirigée contre le Royaume de Suède et dont un ressortissant de cet Etat, S.N. (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 28 août 1996 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Invoquant l'article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, le requérant se plaignait de n'avoir pas bénéficié d'un procès équitable dans le cadre de la procédure pénale diligentée à son égard.
3.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 dudit Protocole).
4.  Elle a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
5.  Par une décision du 16 janvier 2001, la chambre a déclaré la requête recevable.
6.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).
7.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a cependant continué à être examinée par la chambre de l'ancienne première section telle qu'elle existait avant cette date.
8.  Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 20 novembre 2001 (article 59 § 2 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement  Mmes E. Jagander, ministère des Affaires étrangères, agente,   C. Renfors, ministère de la Justice,  M. J. Sangborn, ministère de la Justice,  Mme C. Hellner, ministère des Affaires étrangères, conseillers ;
–  pour le requérant  M. P.E. Samuelsson, conseil. 
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Samuelsson et Mme Jagander.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
9.  En février 1995, une institutrice prit contact avec le conseil social (socialnämnden) de Borgholm car elle soupçonnait que l'un de ses élèves, M., un garçon né en 1984 et donc âgé de dix ans à l'époque, avait été victime d'agressions sexuelles de la part du requérant. Le 29 mars 1995, après avoir mené une enquête, le conseil signala l'affaire à la police de Kalmar.
10.  Le 7 avril 1995, entre 10 h 9 et 10 h 51, M. fit l'objet d'un interrogatoire de police, qui fut enregistré sur une cassette vidéo. Les parents du garçon et des représentants du conseil social étaient présents dans la pièce voisine. A ce moment-là, le requérant n'avait pas été informé des soupçons qui pesaient sur lui et aucun avocat ne lui avait été commis.
L'interrogatoire fut mené par un inspecteur ayant vingt-six ans d'ancienneté dans la police et qui, depuis 1989, se consacrait exclusivement aux enquêtes concernant des sévices et des agressions sexuelles sur enfant.
11.  Le 10 mai 1995, le requérant fut interrogé par la police et le procureur. Auparavant, il fut informé, conformément au chapitre 23, article 18, du code de procédure judiciaire (Rättegångsbalken) des soupçons pesant sur lui.
12.  En juin 1995, le requérant reçut une copie du rapport d'enquête préliminaire et, le 3 juillet, un avocat lui fut commis d'office. Il eut la possibilité de présenter des observations et de demander des interrogatoires complémentaires et d'autres mesures d'enquête. Estimant qu'il y avait lieu de recueillir de plus amples informations concernant, notamment, les dates et le nombre d'occasions auxquelles les actes allégués auraient été commis et les lieux où ils étaient censés s'être déroulés, l'avocat du requérant demanda que M. fût interrogé une nouvelle fois.
13.  Conformément à la demande de l'avocat, un second interrogatoire de M. fut conduit, par le même inspecteur, le 20 septembre 1995, de 12 h 50 à 13 h 14, au domicile du garçon. Les parents de M., mais non l'avocat du requérant, assistèrent à cet interrogatoire, qui fut enregistré sur une cassette audio seulement. Il apparaît que le conseil de M., qui n'avait pas été informé de l'interrogatoire, s'était opposé au fait que l'avocat d'une des parties seulement y assistât. Estimant qu'il serait déraisonnable d'annuler l'interrogatoire, étant donné que le policier était présent et que M. s'était absenté de l'école, l'avocat du requérant avait consenti à ce que l'interrogatoire se déroulât en son absence. Cet avocat et le policier examinèrent quels aspects de l'affaire devaient être abordés. L'avocat du requérant souhaitait, de manière générale, obtenir un récit plus précis sur les faits allégués. Toutefois, aucune liste écrite de questions ne fut dressée. L'avocat du requérant écouta par la suite la cassette de l'interrogatoire et se vit remettre une transcription de l'enregistrement. Considérant que les questions soulevées dans sa demande avaient été abordées, il ne sollicita pas un autre interrogatoire.
14.  Le 29 septembre 1995, le requérant fut inculpé d'agressions sexuelles sur mineur (sexuellt umgänge med barn).
15.  Le procès eut lieu devant le tribunal de district (tingsrätten) de Kalmar le 31 octobre 1995. Le requérant contesta les accusations. Au cours de l'audience, l'enregistrement vidéo du premier interrogatoire de M. par la police fut diffusé et la transcription du second interrogatoire fit l'objet d'une lecture à haute voix. La mère de M. et l'institutrice de l'enfant comparurent en tant que témoins. Nul ne demanda que M. fût entendu en personne par le tribunal.
16.  Par un jugement du 14 novembre 1995, le tribunal de district condamna le requérant à une peine de huit mois d'emprisonnement. Le tribunal, qui constata que l'issue de l'affaire tenait entièrement à la crédibilité des déclarations de M., n'aperçut aucune raison de douter de leur véracité. Dès lors, se fondant sur ces déclarations, il conclut que le requérant s'était, à de nombreuses reprises en 1994, livré à des attouchements sur M. ou l'avait masturbé, et avait incité l'enfant à en faire autant sur lui.
17.  Le requérant saisit la cour d'appel de Göta (Göta hovrätt). Par la suite, à sa demande, son avocat fut remplacé. Le 22 avril 1996, la cour d'appel tint une audience au cours de laquelle elle entendit le requérant et son nouvel avocat. La mère de M. et l'institutrice de l'enfant témoignèrent. L'enregistrement vidéo du premier interrogatoire de M. par la police et l'enregistrement audio du second furent diffusés. A ce stade également, le requérant s'abstint de demander l'audition de M.
18.  Par un arrêt du 6 mai 1996, la cour d'appel confirma le verdict mais ramena la peine d'emprisonnement à trois mois. Etant donné l'absence de preuves techniques et de témoins des actes allégués, la cour d'appel estima que la crédibilité des déclarations de M. revêtait une importance décisive pour établir la culpabilité du requérant. Elle poursuivit ainsi :
« Pour des raisons de sécurité juridique, l'interrogatoire d'enfants au cours d'une enquête préliminaire doit – comme l'a expliqué de façon approfondie la Cour suprême [Högsta domstolen] dans NJA, 1993, p. 616 – respecter des règles strictes concernant à la fois les méthodes et le contenu.
Les informations fournies par [M.] sont en partie imprécises et ambiguës. Il n'a pas été en mesure de donner des précisions sur un incident spécifique visé par l'accusation et n'a pu décrire qu'en termes généraux le type de contact sexuel ayant eu lieu. Il faut noter également que certaines des questions qui lui ont été posées étaient orientées. Même en tenant compte de ces circonstances, la cour d'appel estime que l'on ne saurait faire abstraction des déclarations de [M.].
La crainte exprimée par [M.] de devenir « gay » laisse fortement supposer qu'il a subi des agressions à caractère homosexuel. La cour d'appel a en outre tenu compte des circonstances suivantes. L'impression générale que donne l'enregistrement vidéo est que [M.] parle de quelque chose qu'il a effectivement subi et qu'il lui est difficile et pénible d'exprimer. Cela peut expliquer sa réticence à donner des détails sur tel ou tel incident. [M.] ne présente aucune tendance à l'exagération dans ses déclarations et a corrigé le policier qui l'interrogeait à plusieurs reprises. De surcroît, on peut dire qu'à certains égards ses déclarations renferment davantage d'observations personnelles ; par exemple : « bien sûr, je ne voulais pas toucher le sien mais parfois je le faisais sans gants » et « d'abord, je demandais si j'en aurais (des bonbons). Il n'en avait pas, alors je le faisais de mon plein gré mais je ne sais pas pourquoi ». Il y a lieu de noter également qu'on ne dispose d'aucune information de nature à expliquer raisonnablement pourquoi [M.] ferait de fausses déclarations sur des événements qu'il considère manifestement comme honteux. Ont également de l'importance les renseignements donnés par la mère et l'institutrice de [M.] qui décrivent les changements intervenus dans la personnalité du garçon depuis les actes répréhensibles allégués. Le fait que [M.] ait mis du temps avant de parler de ce qu'il a subi s'explique aisément par ses sentiments de culpabilité et par sa répugnance à penser aux incidents. Les récits de [M.] ne renferment aucune invraisemblance et les renseignements qu'il a donnés ne sont pas contredits par d'autres déclarations. Eu égard à ce qui précède, la cour d'appel estime que [M.] est crédible et qu'elle doit se fonder sur les déclarations de celui-ci pour apprécier si [le requérant] s'est comporté à l'égard de l'enfant de la façon dont l'indique le procureur dans l'acte d'inculpation. »
La cour d'appel estima que les informations données par M. indiquaient que le requérant avait incité l'enfant à se livrer à des attouchements sur lui et à le masturber. Toutefois, les déclarations selon lesquelles le requérant en avait fait autant sur M. étaient trop ambiguës et imprécises et ne constituaient donc pas des preuves suffisantes.
19.  Le requérant saisit la Cour suprême. Invoquant l'article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, il se plaignit de ce que son avocat n'avait pas pu interroger M. Il fit valoir qu'il n'existait en l'espèce aucune preuve technique ou autre à l'appui des déclarations de M. Il critiqua également la façon dont M. avait été interrogé et affirma que les déclarations de celui-ci étaient imprécises et contradictoires. Cela étant, il prétendit avoir le droit de contre-interroger M. Selon lui, la jurisprudence de la Cour suprême, qui d'après la cour d'appel autorisait la procédure suivie en l'espèce, devait être modifiée pour conférer à la défense le droit d'interroger le mineur ou exiger des éléments de preuve clairs corroborant les faits allégués.
20.  Le 26 juin 1996, la Cour suprême refusa au requérant l'autorisation de se pourvoir devant elle.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
21.  Les dispositions du droit interne pertinentes en l'espèce figurent dans le code de procédure judiciaire (« le code ») et dans l'ordonnance sur les enquêtes préliminaires (Förundersökningskungörelsen, 1947:948 – « l'ordonnance »). En outre, la jurisprudence interne présente également un intérêt à certains égards.
A.  La législation
22.  Une enquête préliminaire est conduite chaque fois qu'il y a des raisons de croire qu'un crime a été commis. Le chapitre 23, article 10, du code renferme des dispositions relatives aux catégories de personnes autorisées à assister à un interrogatoire au cours d'une enquête préliminaire. Le suspect et son conseil sont toujours autorisés à assister à un interrogatoire conduit à la demande du suspect lui-même. Toutefois, ce droit ne se concrétise pas tant que la personne concernée n'a pas été informée des soupçons dont elle fait l'objet, conformément au chapitre 23, article 18, du code. En ce qui concerne les autres interrogatoires éventuels, l'avocat de la défense peut y assister si sa présence ne nuit pas à l'enquête. C'est la personne qui dirige l'enquête préliminaire – un policier ou un procureur – qui décide qui peut assister à ce stade à un interrogatoire donné. Lorsque le suspect ou son avocat sont présents, les questions ne peuvent être posées que dans l'ordre fixé par la personne chargée de l'enquête préliminaire (chapitre 23, article 11, du code).
23.  Lorsqu'une enquête préliminaire atteint le stade où il y a des raisons plausibles de soupçonner une personne d'avoir commis un crime, celle-ci doit être informée des soupçons pesant sur elle, conformément au chapitre 23, article 18, du code. En vertu du second paragraphe de cette disposition, un interrogatoire peut être mené ou une autre forme d'enquête conduite à la demande du suspect ou de son avocat lorsque la mesure est jugée importante pour l'enquête préliminaire en soi. Le refus d'une demande à cet effet doit être motivé. Si le suspect formule une plainte, la question est réglée par le tribunal (chapitre 23, article 19, du code).
24.  Les interrogatoires d'enfants conduits au cours d'une enquête préliminaire sont régis par des règles spéciales. Ainsi, conformément au chapitre 23, article 10, du code, lorsqu'un enfant âgé de moins de quinze ans est interrogé, la personne investie de sa garde doit être présente, à moins que cela ne soit préjudiciable à l'enquête.
25.  D'autres dispositions plus détaillées concernant les interrogatoires d'enfants figurent à l'article 17 de l'ordonnance, lequel énonce que les interrogatoires, notamment de victimes âgées de moins de dix-huit ans, doivent être conduits de façon à éviter tout risque de préjudice pour elles. Cette disposition stipule également que des précautions particulières doivent être prises lorsque l'interrogatoire porte sur des questions sexuelles. En outre, il importe de veiller surtout à ce que l'interrogatoire ne provoque pas d'émoi et n'aborde pas des questions plus intimes que nécessaire. Enfin, d'après l'article 17 de l'ordonnance, un enfant ne doit faire l'objet que d'un interrogatoire, sauf s'il est préférable d'en conduire plusieurs par égard pour l'intéressé.
26.  Conformément à l'article 18 de l'ordonnance, les interrogatoires d'enfants doivent être menés par des personnes particulièrement aptes à remplir cette tâche. En outre, d'après l'article 19, une personne ayant des connaissances spécialisées dans le domaine de la psychologie infantile ou de la psychologie des interrogatoires peut assister à l'interrogatoire ou formuler des observations sur la valeur du témoignage de l'enfant.
27.  Lorsque la déposition d'un enfant âgé de moins de quinze ans est utilisée dans le cadre d'une affaire pénale, le tribunal doit déterminer, compte tenu de l'ensemble des circonstances pertinentes, si l'intéressé doit témoigner (chapitre 36, article 4, du code). Il n'existe aucune disposition équivalente applicable aux enfants se trouvant en situation de victime. Toutefois, dans la pratique, ce type de preuve est normalement soumis au tribunal sous la forme d'un enregistrement vidéo de l'interrogatoire de police, qui est diffusé au cours de l'audience principale. En pareil cas, le tribunal applique l'article 14 du chapitre 35 du code selon lequel une déclaration faite à la police, au procureur ou autrement hors prétoire peut être utilisée comme preuve dans le cadre d'un procès seulement si cette utilisation est expressément prévue, si l'auteur de la déclaration ne peut être entendu par le tribunal, ou s'il existe des raisons particulières justifiant de s'appuyer sur la déclaration. Ce faisant, le tribunal tient compte, d'une part, des frais ou inconvénients qu'une comparution devant lui peut entraîner et, d'autre part, des avantages d'une audition des témoins par lui, de l'importance de la déclaration et de l'ensemble des autres circonstances pertinentes.
B.  La jurisprudence
28.  Comme cela a été mentionné, les enfants âgés de moins de quinze ans ne témoignent normalement pas en personne devant un tribunal. Il existe toutefois des cas où des enfants ont été entendus. Ainsi, dans deux affaires récentes devant la cour d'appel de Svea (Svea hovrätt) concernant des infractions à caractère sexuel sur mineurs (affaire no B 1129-98, arrêt du 28 septembre 1998, et affaire no B 1635-99, arrêt du 7 juin 1999), les victimes, deux filles âgées de dix et onze ans, témoignèrent en personne devant les membres de la cour, le procureur, l'avocat de la défense et leurs propres avocats, mais en l'absence des accusés, qui purent écouter les déclarations dans une pièce adjacente. Dans les deux cas, les fillettes furent entendues à la demande du procureur, à la suite de la relaxe des accusés en première instance. Dans une autre affaire devant la même cour d'appel concernant une infraction à caractère sexuel (affaire no B 4488-01, arrêt du 25 octobre 2001), la défense, dans le cadre de l'appel contre la condamnation de l'accusé en première instance, demanda que la victime, une jeune fille de treize ans, fût entendue en personne. Le procureur et l'avocat de la jeune fille s'opposèrent à la demande qui fut par la suite rejetée par la cour d'appel en raison de l'âge de l'intéressée. En revanche, la juridiction d'appel autorisa l'écoute des déclarations de la jeune fille qui avaient été enregistrées au cours de l'enquête préliminaire. Cependant, elle infirma le jugement du tribunal de district et relaxa l'accusé, estimant que les éléments de preuve présentés ne démontraient pas à suffisance que l'intéressé eût commis l'infraction alléguée.
29.  L'application du chapitre 35, article 14, du code au regard de l'article 6 de la Convention a été examinée en une occasion par la Cour suprême. Dans l'affaire en question, publiée dans Nytt juridiskt arkiv (NJA), 1992, pp. 532 et suiv., la Cour suprême cassa l'arrêt rendu par la cour d'appel et renvoya l'affaire à cette dernière pour réexamen, au motif que tant la juridiction d'appel que celle de première instance avaient autorisé le procureur à utiliser comme éléments de preuve des procès-verbaux écrits d'un interrogatoire de la victime par la police dans une affaire concernant une inculpation pour vol qualifié. Il n'avait pas été possible de citer la victime à comparaître à l'audience principale. La cour d'appel avait estimé qu'il fallait ajouter foi aux renseignements donnés à la police par la victime et avait condamné l'accusé pour vol qualifié. En revanche, la Cour suprême souligna que l'article 6 de la Convention ainsi que son application et son interprétation revêtaient une importance majeure quant à l'application du chapitre 35, article 14, du code. Eu égard au fait que la Cour européenne des Droits de l'Homme était parvenue à la conclusion qu'il y avait violation de l'article 6 lorsqu'un tribunal invoquait à l'appui d'une condamnation des déclarations faites par une personne qui n'avait pas été entendue par le tribunal et que l'accusé n'avait pas eu la possibilité d'interroger dans un autre contexte, la Cour suprême conclut à son tour que la disposition en question devait être appliquée de façon plus restrictive que ne semblaient l'exiger son libellé et les intentions initiales des rédacteurs. Selon la Cour suprême, les juridictions inférieures avaient appliqué la disposition d'une telle façon que l'accusé avait été privé d'un procès équitable, au sens de la Convention.
30.  La Cour suprême a examiné des questions relatives à la qualité et à l'appréciation d'éléments de preuve dans deux affaires (publiées dans NJA, 1993, pp. 68 et suiv., et 1993, pp. 616 et suiv.) présentant un intérêt dans le contexte de l'espèce. La première concernait des allégations de violences sexuelles sur un mineur âgé de quatorze ans qui ne pouvait pas témoigner devant le tribunal en raison de problèmes mentaux. Les éléments de preuve comprenaient principalement des informations fournies à la police par la victime. L'interrogatoire de police avait été enregistré sur cassette vidéo. La Cour suprême conclut que la valeur de ces déclarations en tant qu'éléments de preuve n'était forcément pas la même que celle de dépositions faites au cours de l'audience principale. Malgré cela, les preuves soumises dans cette affaire, à savoir le témoignage de la victime ainsi que d'autres éléments, furent jugées suffisamment solides pour une condamnation.
31.  Dans la seconde affaire, les victimes étaient nées en 1981 et 1983 respectivement. Les enregistrements vidéo des interrogatoires des victimes constituèrent les principaux éléments de preuve. Les interrogatoires s'étaient déroulés en l'absence du suspect et de son avocat. Ceux-ci avaient eu la possibilité d'examiner les informations et d'en solliciter d'autres avant l'inculpation. Toutefois, l'avocat de la défense estima qu'un autre interrogatoire serait inutile puisque, à son avis, les victimes ne feraient que répéter de mémoire ce qu'elles avaient dit précédemment. Etant donné que l'accusé avait choisi de ne pas demander un autre interrogatoire, la Cour suprême déclara que l'on ne pouvait considérer que le droit à un procès équitable avait été méconnu du fait de l'utilisation des enregistrements vidéo en tant que preuves à charge. Quant à l'évaluation des preuves, la Cour suprême souligna que les victimes avaient uniquement été interrogées hors prétoire et qu'elle ne pouvait donc pas apprécier leur crédibilité et la fiabilité de leurs informations en se fondant sur les impressions que produisait un interrogatoire direct en audience. Il s'ensuivait que les informations données par les victimes devaient être appréciées avec une précaution particulière. L'impossibilité pour l'accusé de poser des questions aux victimes par le biais de son avocat et le fait que le tribunal lui-même n'avait pas pu non plus les interroger amenaient à la même conclusion. Selon la Cour suprême, il n'en résultait pas pour autant que des interrogatoires enregistrés en vidéo ne suffisaient pas à prouver la culpabilité d'un accusé au-delà de tout doute raisonnable. Les déclarations des victimes, associées à d'autres éléments de preuve, amenèrent la Cour suprême à conclure que le jugement devait se fonder, entre autres, sur les déclarations en question.
EN DROIT
SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
32.  Le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié d'un procès équitable, dans la mesure où il n'a pas eu la possibilité d'interroger M. Il invoque l'article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, dont les passages pertinents sont ainsi libellés :
« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)
3.  Tout accusé a droit notamment à :
d)  interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; »
A.  Arguments des parties
1.  Le Gouvernement
33.  Le Gouvernement soutient que, dans le cadre d'une procédure pénale, il faut tenir compte non seulement des droits de la défense, mais aussi de la situation de la victime, en particulier lorsqu'il s'agit d'un enfant. Selon lui, les deux interrogatoires au cours de l'enquête préliminaire ont été bien moins préjudiciables à M. que ne l'aurait été son audition par un tribunal. Estimant que ces circonstances ne sauraient empêcher les poursuites, le Gouvernement arguë qu'il y a lieu de considérer comme proportionné de sauvegarder les intérêts de la victime en lui épargnant une ou plusieurs comparutions devant un tribunal, compte tenu du fait que le requérant a eu la possibilité de contester la version des événements donnée par M. et d'exposer la sienne, d'abord à la police, puis aux tribunaux. En outre, la pratique selon laquelle seul un policier pose des questions à un enfant durant un interrogatoire de police vise à protéger l'enfant. Pour le Gouvernement, on ne saurait interpréter l'article 6 comme donnant à l'avocat de la défense le droit d'interroger directement l'enfant.
34.  Le Gouvernement souligne également que le requérant n'a pas demandé que M. fût entendu par les tribunaux. Bien qu'étant conscient de la réticence générale des tribunaux à autoriser des enfants à déposer, le Gouvernement renvoie aux affaires susmentionnées, dont a connu la cour d'appel de Svea et dans lesquelles des enfants âgées de dix et onze ans avaient témoigné en personne (paragraphe 28 ci-dessus), et relève que M. était âgé de douze ans lorsque la Cour suprême a décidé de ne pas autoriser le requérant à la saisir. De surcroît, l'avocat du requérant a consenti à ce que le second interrogatoire de M. par la police se déroulât en son absence et n'a pas demandé que la date de cet interrogatoire fût changée.
35.  Le Gouvernement fait valoir également que les déclarations de M. ont été soumises aux juridictions nationales sous forme d'enregistrements vidéo et audio, ce qui leur a permis de bien mieux apprécier la valeur de ces propos en tant qu'éléments de preuve que si, par exemple, elles avaient été rapportées par un policier ou retranscrites et lues au cours des audiences. Selon le Gouvernement, la technique de l'enregistrement vidéo en particulier a permis aux tribunaux d'apprécier la valeur des déclarations de M., en ce qu'ils ont pu observer, entre autres, la façon dont l'enfant avait réagi à certaines questions.
36.  Par ailleurs, il ressortirait de l'arrêt de la cour d'appel que celle-ci était consciente des vices ayant entaché les interrogatoires de M. par la police. Ainsi, cette juridiction a relevé que « certaines des questions qui lui [avaient] été posées étaient orientées ». Le raisonnement de la cour d'appel montrerait qu'elle a fait preuve d'une prudence particulière en appréciant la valeur probante des enregistrements vidéo et audio. En outre, l'analyse du récit de M. à laquelle la cour d'appel s'est livrée a en fait abouti à la relaxe partielle du requérant.
37.  Le Gouvernement affirme également que les enregistrements vidéo et audio des interrogatoires de police n'ont pas constitué les seules preuves à charge sur lesquelles le procureur s'est fondé. La mère de M. et l'institutrice de l'enfant ont témoigné devant le tribunal de district et devant la cour d'appel au sujet du changement de personnalité intervenu chez M. depuis qu'il avait subi les actes répréhensibles allégués. Les déclarations de l'enfant ont donc été corroborées par d'autres éléments de preuve.
38.  En résumé, le Gouvernement affirme que les juridictions suédoises ont ménagé un juste équilibre dans l'affaire du requérant, en tenant compte des droits de la victime et de ceux de la défense.
2.  Le requérant
39.  Le requérant soutient que l'impossibilité pour son avocat, en application du droit et de la pratique suédois, de poser directement des questions à M. a emporté violation de ses droits garantis par l'article 6 § 3 d) de la Convention. Même si son avocat avait assisté au second interrogatoire de M., il n'aurait pas été autorisé à poser une seule question à l'enfant.
40.  En outre, le requérant fait valoir qu'il aurait été inutile pour lui de demander que M. fût entendu par les tribunaux car, d'après la pratique judiciaire, cela n'avait pas été autorisé depuis plus de trente ans. Si une telle demande avait été tout de même présentée, elle aurait certainement été rejetée et l'avocat se serait exposé à des reproches pour avoir tenté de s'appuyer sur des éléments de preuve à mauvais escient. Le requérant ne connaît aucune affaire dans laquelle la demande d'un avocat de la défense tendant à l'audition d'un mineur en justice ait été acceptée.
41.  Il fait valoir qu'un avocat de la défense n'est pas autorisé à interroger un enfant car des questions trop critiques pourraient nuire à celui-ci. Le système en vertu duquel la police remplace l'avocat de l'accusé est arbitraire. Selon le requérant, étant donné que ce système vise à éviter que l'interrogatoire ne soit trop critique, il y a lieu de déduire que la police n'est pas aussi critique que l'avocat de la défense. Tel est probablement le cas, ce qui est catastrophique pour la sécurité juridique dont devrait bénéficier l'accusé. Le requérant considère que les interrogatoires de M. par la police ont été viciés, étant donné en particulier qu'ils contenaient des questions orientées et qu'aucune n'a été posée durant le second interrogatoire sur les points indiqués par l'avocat de la défense.
42.  Le requérant soutient en outre qu'il a été condamné sur la seule base des déclarations de M., alors que son avocat n'a pas été autorisé à contre-interroger l'enfant. Par conséquent, il s'inscrit en faux contre l'avis du Gouvernement selon lequel il existait d'autres preuves à charge. Selon lui, lorsqu'il existe une volonté de mettre les victimes de crimes à l'abri du préjudice susceptible d'être causé par les audiences, l'avocat de la défense et les contre-interrogatoires, l'accusé devrait être relaxé. Dans la situation actuelle, une personne est condamnée dans tous les cas, ce qui signifie concrètement que dans les affaires relatives à des infractions à caractère sexuel sur enfant, le niveau de preuve requis est très bas.
B.  Appréciation de la Cour
43.  La Cour relève d'abord que les exigences du paragraphe 3 d) de l'article 6 de la Convention représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable, garanti par le paragraphe 1. Dès lors, elle examinera le grief sous l'angle de ces deux textes combinés (voir, parmi d'autres, Asch c. Autriche, arrêt du 26 avril 1991, série A no 203, p. 10, § 25).
44.  La Cour rappelle que la recevabilité des preuves relève au premier chef des règles du droit interne et qu'il revient en principe aux juridictions nationales d'apprécier les éléments recueillis par elles. La tâche des organes de la Convention consiste à rechercher si la procédure dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, revêtit un caractère équitable (ibidem, p. 10, § 26). Les éléments de preuve doivent normalement être produits devant l'accusé en audience publique, en vue d'un débat contradictoire, mais l'emploi de dépositions remontant à la phase de l'enquête préliminaire et de l'instruction ne se heurte pas en soi aux paragraphes 3 d) et 1 de l'article 6, sous réserve du respect des droits de la défense ; en règle générale, ils commandent d'accorder à l'accusé une occasion adéquate et suffisante de contester un témoignage à charge et d'en interroger l'auteur, au moment de la déposition ou plus tard (arrêts Saïdi c. France, 20 septembre 1993, série A no 261-C, p. 56, § 43, et A.M. c. Italie, no 37019/97, § 25, CEDH 1999-IX). La Cour souligne en outre que l'article 6 ne reconnaît pas à l'accusé un droit absolu d'obtenir la comparution de témoins devant un tribunal. Il incombe en principe au juge national de décider de la nécessité ou opportunité de citer un témoin (voir, parmi d'autres, Bricmont c. Belgique, arrêt du 7 juillet 1989, série A no 158, p. 31, § 89).
45.  Quant à la notion de « témoin », la Cour constate que si M. n'a pas comparu à la barre, il y a lieu, aux fins de l'article 6 § 3 d), de le considérer comme témoin – terme à interpréter de manière autonome – car ses dires, tels qu'enregistrés par la police, ont été utilisés comme éléments de preuve par les juridictions internes (voir, parmi d'autres, Asch précité, p. 10, § 25).
46.  Quant aux circonstances de l'espèce, la Cour relève que les déclarations faites par M. ont constitué pratiquement le seul élément de preuve sur lequel les juridictions internes ont fondé leur verdict de culpabilité. Les personnes entendues par les tribunaux – la mère et l'institutrice de M. – n'ont pas été témoins des actes allégués et dans leurs dépositions elles se sont bornées aux changements qu'elles avaient observés par la suite dans la personnalité de l'enfant. Le tribunal de district a relevé que l'issue de l'affaire tenait entièrement à la crédibilité des déclarations de M. et la cour d'appel a estimé que cet aspect revêtait une importance décisive pour apprécier la culpabilité du requérant. Il y a donc lieu d'examiner si le requérant a eu une possibilité adéquate d'exercer ses droits de la défense, au sens de l'article 6 de la Convention, quant au témoignage de M.
47.  La Cour tient compte des particularités des procédures pénales portant sur des infractions à caractère sexuel. Ce type de procédure est souvent vécu comme une épreuve par la victime, en particulier lorsque celle-ci est confrontée contre son gré à l'accusé. Ces aspects prennent d'autant plus de relief dans une affaire impliquant un mineur. Pour apprécier si un accusé a bénéficié ou non d'un procès équitable au cours d'une telle procédure, il faut tenir compte du droit de la victime présumée au respect de sa vie privée. Par conséquent, la Cour admet que dans le cadre de procédures pénales se rapportant à des violences sexuelles, certaines mesures soient prises aux fins de protéger la victime, pourvu que ces mesures puissent être conciliées avec un exercice adéquat et effectif des droits de la défense (Baegen c. Pays-Bas, arrêt du 27 octobre 1995, série A no 327-B, avis de la Commission, p. 44, § 77). Pour garantir les droits de la défense, les autorités judiciaires peuvent être appelées à prendre des mesures qui compensent les obstacles auxquels se heurte la défense (Doorson c. Pays-Bas, arrêt du 26 mars 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, p. 471, § 72, et P.S. c. Allemagne, no 33900/96, § 23, 20 décembre 2001).
48.  La Cour rappelle que M. n'a jamais comparu devant les tribunaux. Le requérant déclare qu'il s'est abstenu de demander que M. déposât lors des audiences car, selon une pratique de longue date, une telle requête aurait été écartée. Tout en reconnaissant que les tribunaux hésitent en général à laisser des enfants témoigner en personne, le Gouvernement invoque quelques affaires dans lesquelles des mineurs ont en fait comparu à la barre. La Cour relève que ces affaires, sur lesquelles il a été statué après la condamnation du requérant, concernaient des demandes émanant du procureur. Etant donné qu'il n'existe manifestement pas de cas où la demande d'un avocat de la défense tendant au contre-interrogatoire d'un mineur aurait été accueillie et constatant que les parties expriment des points de vue similaires sur la pratique générale suivie par les juridictions suédoises en la matière, la Cour admet l'argument du requérant selon lequel, dans les circonstances de l'espèce, l'intéressé n'aurait pas pu obtenir la comparution de M. en personne devant les tribunaux.
49.  Toutefois, le second interrogatoire de M. mené par la police au cours de l'enquête préliminaire a eu lieu à la demande de l'avocat du requérant, qui estimait que des informations supplémentaires s'imposaient. En raison de l'absence du conseil de M. (paragraphe 13 ci-dessus), l'avocat du requérant n'a pas assisté à l'interrogatoire et n'a pas pu le suivre au moyen de dispositifs techniques dans une pièce adjacente. Cependant, il a consenti à ne pas y assister, nonobstant l'inconvénient susceptible d'en résulter pour la défense, et n'a par ailleurs rien trouvé à redire à la manière dont l'interrogatoire devait être conduit. Il avait également la possibilité de solliciter un ajournement de l'interrogatoire jusqu'à une date où le conseil de M. pourrait être présent. Or il a choisi de n'en rien faire. Il lui était également loisible de demander l'enregistrement vidéo du second interrogatoire, ce qui lui aurait permis de s'assurer que celui-ci s'était déroulé en toute équité. Or il ne s'est pas non plus prévalu de cette possibilité.
50.  Par ailleurs, il ressort des faits présentés par les parties que l'avocat du requérant a pu poser des questions à M. par l'intermédiaire du policier chargé de l'interrogatoire. Par la suite, après avoir écouté l'enregistrement audio de celui-ci et en avoir lu la transcription écrite, il a apparemment estimé que les questions qu'il avait soumises au policier avaient bien été posées à M.
51.  Dès lors, il n'y a pas eu violation des droits du requérant garantis par l'article 6 § 3 d) de la Convention du fait que son avocat n'a pas assisté au second interrogatoire de police.
52.  On ne saurait davantage affirmer que le requérant s'est vu refuser les droits garantis par l'article 6 § 3 d) au motif qu'il n'a pas pu interroger ou faire interroger M. pendant le procès ou au cours de la procédure d'appel. Eu égard aux particularités des procédures pénales portant sur des infractions à caractère sexuel (paragraphe 47 ci-dessus), on ne saurait interpréter cette disposition comme exigeant dans tous les cas que des questions soient posées directement par l'accusé ou par son conseil, dans le cadre d'un contre-interrogatoire ou par d'autres moyens. La Cour relève que l'enregistrement vidéo du premier interrogatoire de police a été diffusé au cours des audiences de première instance et d'appel ; quant au second interrogatoire, la transcription écrite en a été lue à haute voix devant le tribunal de district, et la cour d'appel en a écouté l'enregistrement audio. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de considérer que ces mesures ont suffi à permettre au requérant de mettre en cause les déclarations et la crédibilité de M. au cours de la procédure pénale. D'ailleurs, le requérant a ainsi réussi à obtenir de la cour d'appel une réduction de sa peine, cette juridiction ayant estimé qu'une partie des charges pesant sur lui n'étaient pas étayées par des preuves.
53.  La Cour rappelle toutefois qu'il faut traiter avec une extrême prudence les déclarations obtenues de témoins dans des conditions telles que les droits de la défense ne pouvaient être garantis dans la mesure normalement requise par la Convention (Doorson, précité, p. 472, § 76). Dans son arrêt du 6 mai 1996, la cour d'appel a relevé que les interrogatoires d'enfants conduits au cours d'enquêtes préliminaires devaient respecter des règles strictes concernant les méthodes et le contenu. Cette juridiction a tenu compte de ce que certaines des informations fournies par M. étaient vagues, ambiguës et imprécises. Elle a également pris en considération le fait que certaines des questions posées à l'enfant durant les interrogatoires de police étaient orientées. Dans ces conditions, la Cour est convaincue que les déclarations de M. ont été appréciées avec la prudence requise.
54.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que la procédure pénale dirigée contre le requérant, considérée dans son ensemble, ne saurait être qualifiée d'inéquitable.
Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
Dit, par cinq voix contre deux, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 2 juillet 2002, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Michael O'Boyle Wilhelmina Thomassen   Greffier Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé des opinions séparées suivantes :
–  opinion concordante de Mme Thomassen, à laquelle se rallie M. Casadevall ;
–  opinion dissidente de MM. Türmen et Maruste.
W.T.
M.O' B.
OPINION CONCORDANTE  DE Mme LA JUGE THOMASSEN,  À LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE CASADEVALL
(Traduction)
Tout en partageant l'avis de la majorité selon lequel il n'y a pas eu violation de l'article 6, j'ai certaines réserves de caractère plus général quant à la procédure suivie en l'espèce.
Certes, avec la majorité, j'estime que les procédures concernant des infractions à caractère sexuel sont souvent perçues comme une épreuve par la victime, en particulier lorsque celle-ci est confrontée contre son gré à l'accusé, et que ces aspects prennent d'autant plus de relief dans une affaire impliquant un mineur. En l'espèce, il était donc, à mon sens, entièrement justifié que les autorités judiciaires suédoises prissent des mesures pour protéger l'enfant.
La Cour a déjà déclaré que les Etats contractants doivent organiser leur procédure pénale de manière que les intérêts des témoins et, en particulier, ceux des victimes, ne soient pas indûment mis en péril (Doorson c. Pays-Bas, arrêt du 26 mars 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, p. 470, § 70).
Toutefois, la jurisprudence de la Cour sur l'utilisation d'éléments de preuve obtenus de témoins anonymes permet de conclure que, lorsque la défense – en raison des mesures prises pour protéger des témoins vulnérables – se trouve confrontée à des difficultés qui, normalement, ne devraient pas s'élever dans le cadre d'un procès pénal, les obstacles auxquels elle se heurte doivent être suffisamment compensés par la procédure suivie devant les autorités judiciaires (Doorson précité, p. 471, § 72, Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, arrêt du 23 avril 1997, Recueil 1997-III, p. 712, § 54, et Kok c. Pays-Bas (déc.), no 43149/98, CEDH 2000-VI).
En outre, la Cour a déclaré dans les affaires précitées et dans l'affaire Lucà c. Italie (no 33354/96, § 40, CEDH 2001-II), dans lesquelles la défense n'avait pu interroger ou faire interroger un témoin à aucun stade de la procédure, que les droits de la défense se trouvent restreints de manière incompatible avec les garanties de l'article 6 lorsqu'une condamnation se fonde uniquement ou dans une mesure déterminante sur des dépositions faites par ce témoin.
Certes, la présente affaire ne concerne pas un témoin anonyme, et l'on ne saurait affirmer que la défense n'a eu aucune possibilité de faire interroger l'enfant. Toutefois, le point commun avec les affaires susmentionnées réside dans le fait qu'en l'espèce la défense a été entravée dans ses possibilités d'interroger ou de faire interroger l'enfant et que la déclaration de ce dernier a constitué l'élément de preuve déterminant (voir, mutatis mutandis, P.S. c. Allemagne, no 33900/96, 20 décembre 2001).
Dans les affaires d'agressions sexuelles, le témoignage de la victime constitue souvent l'élément déterminant pour une condamnation. Dans ces cas, lorsque la défense ne peut, même pour de très bonnes raisons, interroger la victime, elle se heurte, à mon avis et d'après le raisonnement adopté par la Cour dans les affaires précitées, à de tels obstacles que des mesures suffisantes doivent être prises au cours de la procédure pour les compenser.
A mon sens, on peut considérer que la procédure suivie en l'espèce révèle une insuffisance intrinsèque ; en effet, après qu'un policier avait recueilli la première et plus importante déclaration de l'enfant en l'absence de la défense, le second interrogatoire a de nouveau été conduit par la police et, en fait, par le même policier, si bien qu'à aucun stade de la procédure l'enfant n'a été entendu – ou n'aurait pu être entendu – par une personne indépendante de l'accusation. Ces circonstances soulèvent la question de savoir si la procédure en tant que telle peut passer pour avoir compensé suffisamment le fait que l'enfant, puisqu'il était âgé de moins de quinze ans, ne pouvait être interrogé en audience publique.
Je partage néanmoins la conclusion de la majorité selon laquelle le requérant n'a pas été privé d'un procès équitable, pour les raisons suivantes.
L'avocat du requérant a choisi de son plein gré de ne pas se prévaloir de la possibilité d'assister au second interrogatoire de l'enfant. Il s'est donc privé lui-même de la faculté d'observer le comportement de l'enfant au cours de l'interrogatoire. Il n'a pas non plus sollicité un enregistrement audio de cet interrogatoire, qui lui aurait fourni des indications sur la façon dont celui-ci s'était déroulé et la manière dont l'enfant avait répondu aux questions qui lui étaient posées.
Par conséquent, l'avocat du requérant s'est privé lui-même de la pleine possibilité de contester la crédibilité des déclarations de l'enfant sur la base de constatations directes faites par la défense, et de formuler lors du procès des observations sur le témoignage en question en vue de convaincre les juridictions de trancher en faveur de son client.
Dans ces conditions, je ne puis que conclure, même si l'on peut considérer que la procédure litigieuse était entachée de vices, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 de la Convention.
OPINION DISSIDENTE  DE MM. LES JUGES TÜRMEN ET MARUSTE
(Traduction)
Nous regrettons de ne pouvoir nous rallier à la majorité qui conclut que la procédure pénale dirigée contre le requérant, considérée dans son ensemble, ne fut pas inéquitable, et tenons à souligner que les autorités n'ont pas fait tout ce qui était en leur pouvoir en l'espèce.
Il est vrai que les procédures pénales concernant des agressions sexuelles sur mineurs sont très délicates et que des mesures claires doivent être prises pour protéger les victimes et éviter de leur porter davantage préjudice. On peut donc comprendre la décision de la police et des tribunaux de ne pas autoriser un contre-interrogatoire dans ces conditions. Du fait de cette décision, la victime, M., n'a jamais comparu devant les tribunaux et le requérant a été condamné sur la base des enregistrements des déclarations de la victime. La mère et l'institutrice de M. ont été entendues par le tribunal, mais elles n'avaient aucune connaissance directe des événements. Aucun examen médical n'a été pratiqué, aucune enquête sur les lieux en question n'a été menée et aucun psychologue n'a commenté les dépositions faites par M. ou interrogé celui-ci.
En outre, on savait que certaines des questions posées par la police étaient orientées et que les informations fournies par M. étaient en partie imprécises et ambiguës. La cour d'appel a relevé à juste titre que les interrogatoires d'enfants conduits au cours d'enquêtes préliminaires devaient respecter des règles strictes concernant les méthodes et le contenu. Par ailleurs, la Cour rappelle qu'il faut traiter avec une extrême prudence les déclarations obtenues de témoins dans des conditions telles que les droits de la défense ne pouvaient être garantis dans la mesure normalement requise par la Convention. Eu égard à l'ensemble de ces circonstances et exigences particulières, toutes les mesures possibles doivent être prises dans un souci de diligence et d'équité du procès. Il en résulte que d'autres procédures compensatrices doivent être appliquées ou des éléments de preuve supplémentaires recueillis ; sinon, l'accusé doit être relaxé.
Une mesure envisageable dans ce type d'affaire est l'intervention d'experts en psychologie légale, qui ont une formation et des connaissances particulières en la matière. Ils protégeraient l'enfant contre tout préjudice délibéré ou involontaire causé par la procédure et aideraient la police et les tribunaux dans leur appréciation du comportement et du témoignage de la victime. Nous estimons que la participation de tels experts constituerait une procédure compensant suffisamment les obstacles auxquels se heurte la défense (Doorson c. Pays-Bas, arrêt du 26 mars 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II). Rien dans le dossier n'indique que des mesures aient été prises pour demander l'assistance d'experts.
Nous reconnaissons que les intérêts des mineurs doivent être dûment pris en considération et que même le principe du contre-interrogatoire peut être écarté pour cette raison, mais cela ne doit être possible que dans les cas où il existe d'autres éléments de preuve neutres confirmant les faits. Sinon, la protection des droits d'une personne (la victime) compromet de façon disproportionnée le droit de l'accusé à un procès équitable. L'arrêt Doorson susmentionné précise (p. 470, § 70) :
« (...) [L]'article 6 ne requiert pas explicitement que les intérêts des témoins en général, et ceux des victimes appelées à déposer en particulier, soient pris en considération. Toutefois, il peut y aller de leur vie, de leur liberté ou de leur sûreté (...) [Les] intérêts (...) des victimes sont en principe protégés par d'autres dispositions, normatives, de la Convention, qui impliquent que les Etats contractants organisent leur procédure pénale de manière que lesdits intérêts ne soient pas indûment mis en péril. Cela posé, les principes du procès équitable commandent également que, dans les cas appropriés, les intérêts de la défense soient mis en balance avec ceux des témoins ou des victimes appelés à déposer. »
Nous estimons que ce principe s'applique également en sens inverse.
ARRÊT S.N. c. SUÈDE 
ARRÊT S.N. c. SUÈDE 
ARRÊT S.N. c. SUÈDE 
ARRÊT S.N. c. SUÈDE – OPINION CONCORDANTE DE Mme LA JUGE
THOMASSEN, À LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE CASADEVALL
ARRÊT S.N. c. SUÈDE – OPINION CONCORDANTE 
DE Mme LA JUGE THOMASSEN, À LAQUELLE SE RALLIE M. LE JUGE CASADEVALL
ARRÊT S.N. c. SUÈDE 
ARRÊT S.N. c. SUÈDE – OPINION DISSIDENTE
DE MM. LES JUGES TÜRMEN ET MARUSTE
ARRÊT S.N. c. SUÈDE – OPINION DISSIDENTE 
DE MM. LES JUGES TÜRMEN ET MARUSTE
ARRÊT S.N. c. SUÈDE 


Type d'affaire : Arrêt (Au principal)
Type de recours : Non-violation des art. 6-1 et 6-3-d

Analyses

(Art. 6-1) PROCES EQUITABLE


Parties
Demandeurs : S.N.
Défendeurs : SUEDE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (première section)
Date de la décision : 02/07/2002
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 34209/96
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2002-07-02;34209.96 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award