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04/07/2002 | CEDH | N°20862/02

CEDH | SLAVICEK contre la CROATIE


[TRADUCTION]
EN FAIT
Le requérant, M. Antun Slaviček, est un ressortissant croate, né en 1935 et résidant à Čakovec.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le 17 octobre 1992, le requérant prêta à S.H. la somme de 6 820 000 dinars croates (HDR) à un taux d’intérêt de 3 %, pour une période de trois mois. Il prêta également à N.Š.F., une société sise à Zagreb, une somme de 3 100 000 HRD à un taux d’intérêt de 40 %, pou

r une période de trois à douze mois.
Le 17 novembre 1992, il prêta à T.T.B., une société sise à Zagreb, u...

[TRADUCTION]
EN FAIT
Le requérant, M. Antun Slaviček, est un ressortissant croate, né en 1935 et résidant à Čakovec.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le 17 octobre 1992, le requérant prêta à S.H. la somme de 6 820 000 dinars croates (HDR) à un taux d’intérêt de 3 %, pour une période de trois mois. Il prêta également à N.Š.F., une société sise à Zagreb, une somme de 3 100 000 HRD à un taux d’intérêt de 40 %, pour une période de trois à douze mois.
Le 17 novembre 1992, il prêta à T.T.B., une société sise à Zagreb, une somme 5 370 marks (DEM) à un taux d’intérêt de 30 %, pour une période de trois à douze mois.
Lesdites sociétés n’ayant pas remboursé les sommes empruntées, le requérant engagea à leur encontre trois procédures devant le tribunal municipal de Zagreb (Općinski sud u Zagrebu).
Le 15 octobre 1993, l’intéressé intenta deux actions civiles distinctes en remboursement des prêts, l’une contre T.B., propriétaire de la société T.T.B., et l’autre contre N.Š., propriétaire de la société N.Š.F.
Le 18 avril 1994, le requérant engagea une autre action en remboursement du prêt consenti à S.H.
Ces trois procédures sont pendantes devant la juridiction de première instance.
B.  Le droit interne pertinent
L’article 59 § 4 de la loi constitutionnelle sur la Cour constitutionnelle (entrée en vigueur le 24 septembre 1999 – ci-après « la loi de 1999 sur la Cour constitutionnelle » – Ustavni zakon o Ustavnom sudu) se lit ainsi :
« La Cour constitutionnelle peut, à titre exceptionnel, examiner un recours constitutionnel avant que les autres recours possibles ne soient épuisés si elle estime qu’une action, ou l’absence de toute action entreprise dans un délai raisonnable, enfreint manifestement les droits et libertés constitutionnels d’une des partie et que sans intervention de sa part, cette partie serait exposée à des conséquences graves et irréparables. »
L’article 26 de la loi constitutionnelle portant modification de la loi sur la Cour constitutionnelle (entrée en vigueur le 15 mars 2002 et publiée au Journal officiel no 29 du 22 mars 2002 – ci-après « la loi du 15 mars 2002 » – Ustavni zakon o izmjenama i dopunama Ustavnog zakona o Ustavnom sudu Republike Hrvatske) a introduit un nouvel article 59 a), devenu par la suite l’article 63 de la loi de 2002 sur la Cour constitutionnelle. Les passages pertinents de cette disposition se lisent ainsi :
« 1.  La Cour constitutionnelle doit examiner un recours constitutionnel avant même que tous les recours n’aient été épuisés dans les cas où un tribunal compétent n’a pas statué dans un délai raisonnable sur les droits et obligations d’une personne ou sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)
2.  Si la Cour constitutionnelle retient le recours constitutionnel (...) prévu par la paragraphe 1 du présent article, elle fixe le délai dans lequel un tribunal compétent doit statuer sur le fond de l’affaire (...)
3.  Dans la décision rendue en vertu du paragraphe 2 du présent article, la Cour constitutionnelle fixe le montant adéquat de la réparation à accorder pour la violation des droits constitutionnels constatée (...) Le montant de la réparation doit être payé sur le budget de l’Etat dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la partie a présenté une demande en vue du versement.
GRIEFS
1.  Le requérant dénonce sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention la durée de trois procédures civiles.
2.  Invoquant l’article 13 de la Convention, il allègue en outre n’avoir disposé d’aucun recours effectif pour se plaindre de la durée des procédures.
EN DROIT
1.  Le requérant se plaint que les trois actions en remboursement de prêts qu’il avait engagées n’ont pas été conclues dans un délai raisonnable, en violation de l’article 6 § 1 de la Convention, dont le passage pertinent est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
La Cour a d’abord examiné si le requérant avait respecté la règle de l’épuisement des voies de recours internes, ainsi que l’exige l’article 35 § 1 de la Convention.
Elle observe que conformément à la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention, un requérant doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue (voir, parmi d’autres, l’arrêt Akdivar et autres c. Turquie du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, p. 1210, § 66). Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (ibidem).
En outre, la Cour doit appliquer cette règle en tenant dûment compte du contexte : le mécanisme de sauvegarde des droits de l’homme que les Parties contractantes sont convenues d’instaurer (ibidem, § 69). La Cour a ainsi reconnu que l’article 35 § 1 (ancien article 26) doit s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif (voir, par exemple, l’arrêt Cardot c. France du 19 mars 1991, série A no 200, p. 18, § 34). Elle a de plus admis que la règle de l’épuisement des voies de recours internes ne s’accommode pas d’une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; en en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause (voir, par exemple, l’arrêt Van Oosterwijk c. Belgique du 6 novembre 1980, série A no 40, p. 18, § 35). Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de la Partie contractante concernée, mais également du contexte juridique et politique dans lequel ils se situent ainsi que de la situation personnelle des requérants (arrêt Akdivar précité, p. 1211, § 69).
La Cour rappelle que dans l’affaire Horvat (Horvat c. Croatie, no 51585/99, 26 juillet 2001, §§ 41-43, 45, CEDH 2002-...), elle avait relevé que la procédure prévue par l’article 59 § 4 de la loi sur la Cour constitutionnelle ne pouvait être instituée que si la Cour constitutionnelle, après un examen préliminaire du grief, décidait de le retenir. Dès lors, s’il était vrai que la personne concernée pouvait saisir directement la Cour constitutionnelle, l’ouverture formelle de la procédure était laissée à la discrétion de cette juridiction.
En outre, pour qu’une partie pût présenter un recours constitutionnel en vertu de cette disposition, deux conditions cumulatives devaient être remplies. Premièrement, les droits constitutionnels du demandeur devaient être manifestement enfreints du fait qu’aucune mesure n’avait été prise dans un délai raisonnable et, deuxièmement, il fallait que le demandeur fût exposé à des conséquences graves et irréparables.
La Cour avait constaté que des termes tels que « manifestement enfreints » et « conséquences graves et irréparables » étaient susceptibles d’être interprétés largement et de différentes manières et que, par conséquent, une demande fondée sur l’article 59 § 4 de la loi sur la Cour constitutionnelle ne pouvait être considérée avec un degré suffisant de certitude comme un recours effectif quant à la durée d’une procédure (Horvat c. Croatie, no 51585/99, 26 juillet 2001, §§ 41-43, 45, CEDH 2002-...).
La Cour constate qu’à la suite de l’arrêt Horvat, le Parlement croate a adopté, le 15 mars 2002, la loi portant modification de la loi sur la Cour constitutionnelle, qui a été publiée au Journal officiel no 29 le 22 mars 2002. Cette loi a introduit un nouvel article 59 a), désormais l’article 63 de la loi constitutionnelle de 2002 sur la Cour constitutionnelle. Cette disposition énonce notamment que la Cour constitutionnelle doit examiner un recours constitutionnel avant même que tous les recours n’aient été épuisés dans les cas où un tribunal compétent n’a pas statué dans un délai raisonnable sur les droits et obligations de caractère civil d’une personne ou sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale dirigée contre elle.
La Cour relève que cette nouvelle disposition a supprimé les obstacles qui l’avaient amenée à conclure que l’ancien article 59 § 4 ne remplissait pas toutes les conditions nécessaires pour constituer un recours effectif relativement à la durée d’une procédure.
Bien que la Cour constitutionnelle n’ait encore rendu aucune décision depuis l’introduction de ce nouveau recours, le libellé de l’article 63 de la loi de 2002 sur la Cour constitutionnelle indique, sans équivoque, qu’il vise expressément à régler le problème de la durée excessive de procédures devant les juridictions internes. En vertu de la nouvelle loi, toute personne estimant qu’une procédure visant à décider d’une contestation sur ses droits et obligations de caractère civil ou du bien-fondé d’une accusation en matière pénale dirigée contre elle n’a pas été conclue dans un délai raisonnable peut former un recours constitutionnel. La Cour constitutionnelle doit examiner ce recours et, si elle le juge fondé, fixer le délai dans lequel un tribunal doit statuer sur le fond de l’affaire ; elle doit également accorder un dédommagement au titre de la durée excessive de la procédure. La Cour estime qu’il s’agit d’une voie de recours dont le requérant doit user pour satisfaire à l’article 35 § 1 de la Convention.
La Cour relève en outre que la loi susmentionnée a été adoptée par le Parlement le 15 mars 2002 et publiée au Journal officiel le 22 mars 2002. La présente requête a été portée devant la Cour le 10 mai 2002, soit après l’introduction du nouveau recours constitutionnel prévu par l’article 59 a).
Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
2.  Le requérant allègue en outre n’avoir disposé d’aucun recours effectif pour faire valoir le grief qu’il formule sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention, contrairement à ce qu’exige l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
Ainsi qu’elle l’a précisé ci-dessus, la Cour estime que le nouvel article 63 de la loi constitutionnelle de 2002 sur la Cour constitutionnelle fournit au requérant un recours effectif pour se plaindre de la durée des procédures.
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Erik Fribergh Christos Rozakis   Greffier de section Président
DÉCISION SLAVICEK c. CROATIE
DÉCISION SLAVIČEK c. CROATIE 


Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE CIVILE, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE, (Art. 6-1) PROCES PUBLIC, (Art. 6-1) TRIBUNAL IMPARTIAL, (Art. 6-1) TRIBUNAL INDEPENDANT, (P1-1-1) BIENS, (P1-1-1) RESPECT DES BIENS


Parties
Demandeurs : SLAVICEK
Défendeurs : la CROATIE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (première section)
Date de la décision : 04/07/2002
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 20862/02
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2002-07-04;20862.02 ?
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