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25/07/2002 | CEDH | N°54210/00

CEDH | AFFAIRE PAPON c. FRANCE


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE PAPON c. FRANCE
(Requête no 54210/00)
ARRÊT
STRASBOURG
25 juillet 2002
DÉFINITIF
25/10/2002
En l'affaire Papon c. France,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
M. C.L. Rozakis, président,   Mme F. Tulkens,   MM. J.-P. Costa,    G. Bonello,    P. Lorenzen,   Mme N. Vajić,    M. A. Kovler, juges,  et de M. E. Fribergh, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 juillet 2002,<

br> Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête ...

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE PAPON c. FRANCE
(Requête no 54210/00)
ARRÊT
STRASBOURG
25 juillet 2002
DÉFINITIF
25/10/2002
En l'affaire Papon c. France,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
M. C.L. Rozakis, président,   Mme F. Tulkens,   MM. J.-P. Costa,    G. Bonello,    P. Lorenzen,   Mme N. Vajić,    M. A. Kovler, juges,  et de M. E. Fribergh, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 juillet 2002,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 54210/00) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Maurice Papon (« le requérant »), a saisi la Cour le 14 janvier 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant est représenté devant la Cour par Me L. Argand, avocat à Genève, et Me J.-M. Varaut, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par Mme M. Dubrocard, sous-directrice des droits de l'homme au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agente.
3.  Le requérant soulevait divers griefs tirés de la durée de la procédure pénale à son encontre, de son défaut d'équité, du non-respect des principes de présomption d'innocence et de non-rétroactivité de la loi pénale. Il invoquait également le défaut d'accès à la Cour de cassation en raison de la déchéance de son pourvoi et l'absence d'un double degré de juridiction.
4.  La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
5.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1).
6.  Par une décision du 15 novembre 2001 [Note du greffe : la décision est publiée sous forme d'extraits dans le recueil CEDH 2001-XII], la Cour a déclaré recevables les griefs du requérant concernant le défaut d'accès à la Cour de cassation en raison de la déchéance de son pourvoi et l'absence de double degré de juridiction. Elle a déclaré irrecevable les neuf autres griefs constituant le surplus de la requête.
7.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
8.  Le requérant, né en 1910, est actuellement détenu à la maison d'arrêt de la Santé à Paris.
9.  De mai 1942 à août 1944, le requérant occupait les fonctions de secrétaire général de la préfecture de la Gironde, sous l'autorité du préfet Sabatier.
10.  Après la Libération, selon les chiffres fournis par le requérant, plus de 30 000 fonctionnaires ayant servi sous l'Occupation furent sanctionnés tandis que plusieurs milliers de personnes furent exécutées, officiellement et officieusement.
11.  Dans un avis daté du 6 décembre 1944, le comité d'épuration du ministère de l'Intérieur estima que, bien qu'ayant occupé des fonctions officielles sous le régime de Vichy, le requérant avait manifesté une attitude favorable à la Résistance, et proposa son maintien dans ses fonctions. Il fut donc maintenu à son poste de directeur de cabinet de Gaston Cusin, commissaire de la République de Bordeaux.
12.  Nommé au rang de préfet et affecté en Corse dès 1947, il fut préfet de police de Paris de 1958 à 1966. Député de 1968 à 1978, il fut maire de Saint-Amand-Montrond de 1971 à 1988. Il occupa les fonctions de président de la commission des finances de l'Assemblée nationale de 1972 à 1973, puis de rapporteur général du budget jusqu'en 1978. Il fut ministre du Budget de 1978 à 1981.
13.  Le 6 mai 1981, entre les deux tours de l'élection présidentielle, l'hebdomadaire Le Canard enchaîné publia le premier d'une série d'articles dans lesquels le requérant, alors ministre du Budget, était mis en cause quant à son comportement pendant la Seconde Guerre mondiale.
14.  Le requérant demanda au Comité d'action de la Résistance la mise en place d'un jury d'honneur chargé d'apprécier son comportement sous l'occupation allemande. Le 15 décembre 1981, après avoir entendu son supérieur hiérarchique direct, Maurice Sabatier, qui déclara « assumer l'entière responsabilité de la répression antijuive dans le ressort de sa préfecture », le jury d'honneur rendit une sentence donnant acte au requérant de son appartenance à la Résistance à compter de janvier 1943, mais concluant « qu'au nom même des principes qu'il croyait défendre et faute d'avoir été mandaté par une autorité qualifiée de la Résistance pour demeurer à son poste, il aurait dû démissionner de ses fonctions de secrétaire général de la Gironde en juillet 1942 ».
15.  Le 8 décembre 1981, une plainte avec constitution de partie civile concernant la déportation de huit personnes, arrêtées par la police française à Bordeaux, internées à Bordeaux puis au camp de Drancy avant d'être déportées et exterminées à Auschwitz, fut déposée par Me Boulanger contre le requérant des chefs de crime contre l'humanité, complicité d'assassinats et abus d'autorité. Six autres plaintes avec constitution de partie civile concernant dix-sept autres victimes de déportations furent déposées en mars et avril 1982 par Me Serge Klarsfeld, par ailleurs président de l'association des « Fils et filles de déportés juifs de France ». Pour chacune de ces sept plaintes, le parquet de Bordeaux requit l'ouverture d'une information le 29 juillet 1982.
A.  La procédure d'instruction 
16.  Le 19 janvier 1983, le requérant fut inculpé de crimes contre l'humanité par le premier juge d'instruction près le tribunal de grande instance de Bordeaux.
17.  Le 22 février 1984, le juge d'instruction ordonna une expertise historique confiée à trois historiens. Le rapport d'expertise fut déposé le 11 janvier 1985.
18.  Entre-temps, le 23 mai 1983, le juge d'instruction avait procédé à l'audition en qualité de témoin notamment de Maurice Sabatier, préfet de la Gironde à l'époque des faits. Or l'ancien article 681 du code de procédure pénale [Abrogé par la loi du 4 janvier 1993] prévoit que lorsqu'un fonctionnaire ou un maire est susceptible d'être inculpé pour un crime ou un délit commis dans l'exercice de ses fonctions, le procureur de la République doit d'abord saisir la chambre criminelle de la Cour de cassation d'une requête en désignation de la juridiction qui pourra être chargée de l'instruction.
19.  Le non-respect de cette formalité constituant une nullité substantielle d'ordre public, conformément à l'article 171 du code de procédure pénale, la Cour de cassation, par un arrêt du 11 février 1987, déclara nuls tous les actes de poursuite et d'instruction accomplis après le 5 janvier 1983 comme émanant d'un magistrat incompétent, y compris l'inculpation du requérant, et désigna la chambre d'accusation de la cour d'appel de Bordeaux pour poursuivre l'instruction.
20.  Par un arrêt du 4 août 1987, la chambre d'accusation ordonna la jonction des sept procédures ouvertes sur les plaintes déposées avant le 5 janvier 1983, et ordonna que l'information soit poursuivie, désignant pour y procéder un conseiller de la chambre d'accusation. Par des arrêts des 9 novembre et 8 décembre 1987, la chambre d'accusation constata le dépôt de trois nouvelles plaintes avec constitution de partie civile intervenante par des associations et décida leur versement au dossier. Une plainte de deux parties civiles de mars 1982 donna encore lieu à un arrêt de désignation de juridiction rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 9 décembre 1987 et à un arrêt du 28 juin 1988 de la chambre d'accusation ordonnant la jonction de procédures et confirmant la mission d'instruction du conseiller. Le 2 février 1988, la chambre d'accusation prit acte du dépôt d'une nouvelle plainte avec constitution de partie civile intervenante, datée du 24 juillet 1987, et décida de la verser au dossier.
21.  Par un arrêt du 5 janvier 1988, la chambre d'accusation rejeta la demande d'expertise historique formée par le ministère public.
22.  Les 8 juillet et 20 octobre 1988 respectivement, le requérant et Maurice Sabatier furent inculpés de crimes contre l'humanité. Ce dernier étant décédé le 19 avril 1989, la chambre d'accusation constata l'extinction de l'action publique à son encontre le 6 février 1990.
23.  En février, juin, octobre et décembre 1988, de nouvelles associations intervinrent dans la procédure par voie de plaintes avec constitution de partie civile, qui furent prises en compte par des arrêts de la chambre d'accusation en février, mars, juin et novembre 1988, et en janvier 1989.
24.  Une autre plainte avec constitution de partie civile fut déposée les 18 novembre 1988 et 3 février 1989 par l'association des « Fils et filles des déportés juifs de France ». Elle visait non seulement le requérant et Maurice Sabatier mais aussi Jean Leguay et René Bousquet, tous deux anciens hauts fonctionnaires ayant rang de préfet du gouvernement de Vichy, ainsi que Norbert Techoueyres, commissaire aux délégations judiciaires à l'époque des faits. Par un arrêt du 20 décembre 1988, la chambre d'accusation avait déclaré recevable par voie d'intervention cette constitution pour les faits dont elle était déjà régulièrement saisie et avait ordonné pour le surplus communication de celle-ci au procureur général.
25.  En application de l'article 681 du code de procédure pénale, cette plainte fut à l'origine d'une nouvelle saisine de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui, par un arrêt du 26 avril 1989, désigna à nouveau la chambre d'accusation de la cour d'appel de Bordeaux pour instruire ces faits nouveaux, mais la plainte fut par la suite déclarée irrecevable faute de paiement de la consignation dans le délai prescrit.
26.  Norbert Techoueyres et Jean Leguay décédèrent respectivement le 4 avril 1989 et le 3 juillet 1989, avant leur inculpation, et l'action publique se trouva donc éteinte à leur égard.
27.  Le requérant fut interrogé à quatre reprises entre le 31 mai et le 6 octobre 1989. Le 6 février 1990, la chambre d'accusation désigna un nouveau conseiller pour poursuivre l'information.
28.  Le 16 mai 1990, vingt nouvelles plaintes avec constitution de partie civile concernant des faits de déportations commis en 1943 et 1944, non visés par les premières plaintes, furent déposées contre le requérant par Me Boulanger pour le compte de plusieurs personnes physiques. Trois de ces constitutions de parties civiles furent déclarées recevables et versées au dossier le 3 juillet 1990. Les dix-sept autres plaintes visant notamment des faits nouveaux pouvant être imputés à René Bousquet donnèrent lieu le 19 décembre 1990 à dix-sept arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation désignant comme juridiction d'instruction la chambre d'accusation de la cour d'appel de Bordeaux. Après réitération du 19 juin 1991 et dispense de consignation, ces plaintes furent jointes à la procédure principale pour instruction par des arrêts de la chambre d'accusation de Bordeaux du 14 avril 1992.
29.  Entre-temps, le 12 décembre 1990 et le 21 mai 1991, une autre association s'était constituée partie civile intervenante. Cette constitution fut déclarée recevable par un arrêt du 20 octobre 1991.
30.  Le 19 mars 1992, le procureur général prit dix-sept réquisitoires aux fins d'informer contre le requérant et René Bousquet.
31.  Le 19 avril 1992, René Bousquet fut inculpé de crimes contre l'humanité. Il fut assassiné par balles devant son domicile le 8 juin 1993, ce qui entraîna l'extinction de l'action publique à son égard.
32.  Le 22 juin 1992, le requérant fit l'objet d'une inculpation supplétive du chef de crimes contre l'humanité en raison des faits dénoncés dans les plaintes du 16 mai 1990.
33.  Par un arrêt du 20 octobre 1992, la chambre d'accusation déclara recevable la plainte avec constitution de partie civile intervenante d'une association. Parmi les autres personnes morales déjà constituées parties civiles, certaines ayant étendu leurs plaintes aux faits objet des arrêts du 14 avril 1992, la chambre d'accusation constata le dépôt de trois de ces plaintes par un arrêt du 28 juin 1993, d'une autre plainte le 7 juin 1994 et de deux autres par arrêt du 20 juin 1995.
34.  Entre juin 1992 et juillet 1995, le conseiller instructeur entendit des parties civiles (environ trente-trois auditions) et des témoins (environ trente-six) et effectua plus d'une trentaine de déplacements dans des centres d'archives pour saisir des pièces.
35.  Le 3 mai 1994, la chambre d'accusation rejeta les réquisitions du ministère public tendant à ce que soit retiré de la procédure l'opuscule intitulé « Fonctionnaire sous l'Occupation », reproduisant in extenso le rapport d'expertise historique annulé par la Cour de cassation le 11 février 1987, qui avait été publié par l'avocat du requérant, Me Varaut, en vue de disculper son client devant l'opinion. Ce même ouvrage avait fait l'objet d'une diffusion aux parlementaires en 1987 et avait été produit dans le cadre d'une procédure en diffamation intentée par le requérant contre le magazine Le Nouvel Observateur.
36.  Un pourvoi fut formé contre cet arrêt, mais la requête du ministère public tendant à faire déclarer son pourvoi immédiatement recevable fut rejetée par le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation le 10 juin 1994.
37.  Au terme de l'information, le 28 juillet 1995, le dossier de la procédure fut communiqué au procureur général près la cour d'appel de Bordeaux, qui déposa son réquisitoire le 19 décembre 1995. Dans ce réquisitoire de 185 pages, le procureur général concluait au non-lieu partiel pour ce qui était de l'organisation par le requérant des convois de septembre 1942, novembre et décembre 1943 et mai 1944, à l'extinction de l'action publique à l'égard de René Bousquet, à la requalification en complicité d'enlèvements et séquestrations arbitraires et au renvoi devant la cour d'assises pour les convois de juillet, août et octobre 1942 et janvier 1944. Il ne retenait pas le crime de complicité d'assassinats.
38.  Les 1er et 5 mars 1996, cinq autres associations demandèrent à ce qu'il leur soit donné acte de leur constitution de parties civiles, ce qui fut effectué dans l'arrêt de renvoi du 18 septembre 1996.
39.  La procédure suivie à la cour d'appel de Bordeaux du chef de crimes contre l'humanité à l'encontre du requérant et de trois autres personnes sur plaintes avec constitution de partie civile de trente-cinq personnes physiques et vingt associations, donna lieu à un arrêt de renvoi devant la cour d'assises rendu par la chambre d'accusation le 18 septembre 1996.
40.  Il ressort de cet arrêt de 169 pages qu'entre le mois de juin 1942 et le mois d'août 1944, 1 560 personnes d'origine juive, dont de nombreux enfants, réparties en dix convois, furent déportées au camp d'Auschwitz où la plupart d'entre elles périrent, soit qu'elles y eussent subi des traitements inhumains, soit qu'elles y eussent été exterminées ; certains de ces convois avaient été précédés d'arrestations massives dans la population juive.
41.  La chambre d'accusation releva notamment que ces arrestations et internements illégaux, opérés à la demande des autorités allemandes, auraient été réalisés avec le concours actif du requérant, alors secrétaire général de la préfecture de Gironde qui, en vertu des larges délégations de pouvoirs consenties par le préfet régional, avait autorité tant sur les services préfectoraux que sur les services de police et de gendarmerie, ainsi que sur la direction du camp de Mérignac et sur les services issus de la guerre, comme le service des questions juives. Elle releva également que le requérant aurait eu une connaissance précise de la politique antijuive menée par le gouvernement de Vichy et que, dès sa prise de fonctions, il aurait « acquis la conviction que l'arrestation, la séquestration, et la déportation des Juifs vers l'Est les conduisaient inéluctablement à la mort (...), même s'il a pu demeurer dans l'ignorance des conditions (...) et des moyens techniques utilisés (...) ».
42.  La chambre d'accusation concluait que le concours actif qu'aurait, en connaissance de cause, apporté le requérant par ses agissements personnels à l'exécution des faits criminels commis par les services du SIPO-SD (Sicherheitspolizei-Sicherheitsdienst), organisation déclarée criminelle par le tribunal militaire international de Nuremberg le 1er octobre 1946, s'inscrivait dans le cadre d'un plan concerté pour le compte de l'Allemagne nazie, pays de l'Axe pratiquant une politique d'hégémonie idéologique. Elle estimait que le requérant ne pouvait invoquer ni les instructions données le 8 janvier 1942 par les autorités françaises à Londres [Message du lieutenant-colonel Tissier, diffusé par la BBC le 8 janvier 1942, invitant les fonctionnaires métropolitains à rester à leur poste, à faire le travail qu'on leur demandait et à ne le saboter que dans la mesure où il était en opposition avec l'intérêt de la nation et où le sabotage pouvait se faire sans risque. Il était également recommandé aux fonctionnaires d'agir isolément et de ne pas même se confier à leurs meilleurs amis], ni la contrainte, ni l'ordre de la loi ou le commandement de son supérieur hiérarchique, ni la responsabilité de ses propres subordonnés pour se décharger de sa responsabilité. Elle considérait en outre que la qualité de membre de la Résistance invoquée par le requérant ne permettait pas d'exclure son concours aux actes perpétrés par les nazis à l'encontre des Juifs.
43.  En conséquence, la chambre d'accusation prononça la mise en accusation du requérant pour complicité d'arrestations, de séquestrations arbitraires et d'assassinats et tentatives d'assassinats, ayant revêtu le caractère de crimes contre l'humanité, pour quatre rafles et huit convois, et elle le renvoya devant la cour d'assises de la Gironde pour y être jugé.
44.  Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt. Il invoquait notamment la nullité de la procédure, dont il dénonçait le caractère inéquitable en raison surtout de sa durée excessive, d'où il résultait que des documents et témoins favorables à la défense avaient disparu. Il reprochait également à la chambre d'accusation de l'avoir renvoyé devant la cour d'assises pour complicité de crimes contre l'humanité alors que la complicité individuelle s'agissant d'un tel crime imputable à titre principal à une institution ou organisation supposait, selon lui, l'adhésion du complice à l'idéologie hégémonique et raciale de l'institution criminelle. Or il soutenait n'avoir jamais appartenu aux organisations nazies condamnées par le tribunal de Nuremberg, les faits reprochés ayant été commis dans le cadre de ses fonctions de secrétaire général de la préfecture de Gironde, émanation de l'Etat de Vichy qui n'avait, selon lui, pas d'idéologie hégémonique tendant à l'extermination raciale. Il estimait qu'au regard du droit de Nuremberg, base des poursuites, l'Etat allemand et les organisations nazies devaient être considérés comme des entités distinctes de l'Etat de Vichy, auquel le crime contre l'humanité ne pouvait dès lors être imputé rétroactivement ; en conséquence, il estimait qu'il ne pouvait pas davantage être imputé aux personnes ayant exercé des fonctions purement administratives dans son administration. Il soutenait en outre que, contrairement à ce qu'avait affirmé la chambre d'accusation, son appartenance à la Résistance suffisait à exclure sa participation à un plan concerté.
45.  Le 23 janvier 1997, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Constatant que le grief tiré du caractère inéquitable de la procédure était invoqué pour la première fois devant elle, elle le déclara irrecevable. Elle considéra en outre « que le demandeur [était] sans intérêt à critiquer les motifs de l'arrêt par lesquels les juges ont écarté le grief pris d'une violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, dès lors que la durée excessive d'une procédure pénale est sans incidence sur sa validité ». La Cour de cassation considéra en outre que les motifs de la chambre d'accusation caractérisaient, sans insuffisance ni contradiction, la complicité d'arrestations, de séquestrations arbitraires, d'assassinats ou tentatives d'assassinats, constitutifs de crimes contre l'humanité. Elle rappela que les chambres d'accusation apprécient souverainement si les faits sont constitutifs d'une infraction, le rôle de la Cour de cassation se limitant à « vérifier, à supposer que ces faits soient établis, si leur qualification justifie la saisine de la juridiction de jugement ». Elle estima que tel était le cas en l'espèce, et que « dès lors, les moyens notamment en ce qu'ils invoquent le dernier alinéa de l'article 6 du statut du tribunal militaire international, lequel n'exige pas que le complice des crimes contre l'humanité ait adhéré à la politique d'hégémonie idéologique des auteurs principaux, ni qu'il ait appartenu à une des organisations déclarées criminelles par le tribunal de Nuremberg, ne peuvent qu'être écartés ».
46.  Par un réquisitoire du 25 juillet 1997, le procureur général sollicita le placement du requérant sous contrôle judiciaire.
47.  Par un arrêt du 7 août 1997, la chambre d'accusation plaça le requérant sous contrôle judiciaire, avec certaines obligations. Le 18 novembre 1997, la chambre criminelle de la Cour de cassation constata le désistement du requérant de son pourvoi en cassation contre cet arrêt.
B.  La procédure de jugement 
48.  Le 7 octobre 1997 le requérant fut placé en détention à la maison d'arrêt de Bordeaux, en exécution de l'ordonnance de prise de corps contenue dans l'arrêt de renvoi de la chambre d'accusation.
49.  Le procès devant la cour d'assises de la Gironde s'ouvrit le 8 octobre 1997. L'avocat du requérant formula immédiatement une demande de mise en liberté de son client, en invoquant son grand âge (quatre-vingt-sept ans) et son mauvais état de santé, à la suite d'un triple pontage coronarien effectué en 1996. La cour ordonna une expertise médicale qui lui fut remise le 9 octobre 1997 et dont il ressortait que l'état du requérant était compatible avec l'incarcération, mais uniquement dans un service de cardiologie spécialisé. Le soir même, le requérant dut être hospitalisé pour la nuit.
50.  Par un arrêt du 10 octobre 1997, au vu du rapport d'expertise, la cour d'assises ordonna la mise en liberté du requérant. Cette mise en liberté déclencha des protestations des parties civiles, dont certaines menacèrent de se retirer du procès, protestations dont la presse se fit largement l'écho. Le ministère public se pourvut en cassation de l'arrêt ordonnant la mise en liberté.
51.  La durée totale du procès, prévue initialement pour deux mois et demi, fut de près de six mois (du 8 octobre 1997 au 2 avril 1998). Les débats furent en effet suspendus à plusieurs reprises, essentiellement en raison de l'état de santé du requérant. Dans ce procès, où le dossier comportait plus de 3 000 cotes, 6 300 documents furent versés aux débats. Il y eut 94 journées d'audiences, au cours desquelles 85 témoins furent entendus, 12 heures furent consacrées au réquisitoire, 40 heures aux plaidoiries des parties civiles et 20 heures aux plaidoiries de la défense. Le délibéré dura 19 heures.
52.  A l'audience du 9 octobre 1997, soit le lendemain de l'ouverture du procès, l'avocat du requérant déposa des conclusions tendant à dire le procès incompatible avec les exigences d'un procès équitable, notamment à cause de l'impossibilité d'entendre des témoins en raison de la durée excessive de la procédure, à déclarer nulle la procédure et à constater l'extinction de l'action publique. Le représentant du ministère public, pour s'opposer à la demande d'annulation de la procédure, fit notamment état du travail effectué par les derniers magistrats instructeurs : 164 transports dans des dépôts d'archives, 6 354 documents saisis et analysés, 95 témoins entendus et 85 auditions de parties civiles.
53.  Par un arrêt incident du 15 octobre 1997, la cour d'assises rejeta la demande d'abandon des poursuites contre le requérant aux motifs suivants :
« Attendu que s'il est vrai que de nombreux témoins à décharge sont aujourd'hui décédés ou dans l'incapacité de se déplacer, force est de constater qu'il en est de même des témoins à charge, et qu'à ce point de vue, comme d'une manière générale, les parties sont à égalité ;
Attendu que la durée exceptionnelle de la procédure ayant conduit Maurice Papon devant la cour d'assises de la Gironde n'en est pas pour autant excessive dans la mesure où la complexité de cette affaire, liée pour l'essentiel à l'ancienneté des faits reprochés à l'accusé, à leur nombre, à l'échelonnement dans le temps de leur dénonciation, à l'éparpillement et à l'âge des témoins, a nécessité de la part des magistrats instructeurs de très nombreuses investigations qu'ils ont souvent été contraints, en raison de la nature même des faits, d'accomplir eux-mêmes ; qu'à ces difficultés sont venues s'ajouter celles tenant à la dispersion des sources documentaires et aux obstacles rencontrés parfois pour y accéder ;
Attendu que, contrairement à ce qu'il est soutenu, le procès dont est saisie la cour d'assises de la Gironde n'est pas celui d'un Etat ou d'une administration, mais celui d'un homme bénéficiant de la présomption d'innocence – principe ayant valeur constitutionnelle qui ne saurait céder dans l'esprit des juges aux emballements médiatiques dénoncés par la défense –, accusé d'avoir personnellement commis des actes qui, aux termes de l'acte de poursuite, seraient constitutifs des crimes de « complicité de crimes contre l'humanité » ;
Attendu qu'enfin, pour répondre à l'argument développé par les défenseurs de Maurice Papon, selon lequel l'arrêt rendu le 23 janvier 1997 par la chambre criminelle de la Cour de cassation serait « en complète contradiction, non seulement avec l'article 6 du statut de Nuremberg (...) mais également avec l'article 123-1 du code pénal », il y a lieu de souligner qu'il n'appartient pas à une cour d'assises d'apprécier la conformité d'une décision de la cour suprême aux règles de droit applicable. »
54.  Du 23 au 31 octobre 1997, les débats furent suspendus en raison de l'hospitalisation du requérant pour une bronchite infectieuse.
55.  Par un autre arrêt incident du 3 novembre 1997 (non produit), la cour d'assises rejeta la demande du requérant tendant à ce qu'il lui soit donné acte qu'un historien américain, spécialiste du régime de Vichy, avait, dans son témoignage du 31 octobre, développé des considérations historiques et politiques sans lien direct avec les faits de l'accusation. Le requérant estimait en effet qu'il y avait violation du principe de l'oralité des débats devant une cour d'assises puisque le « témoin » n'en était pas un, n'ayant été témoin d'aucun des actes reprochés à l'accusé.
56.  Le 14 novembre, l'avocat du requérant demanda de faire verser aux débats la correspondance entre les autorités allemandes d'occupation et la préfecture entre 1942 et 1944.
57.  Du 17 novembre au 4 décembre 1997, l'audience dut à nouveau être suspendue, après expertise médicale, en raison de la mauvaise santé du requérant.
58.  Lors de la reprise des débats, le 5 décembre 1997, l'avocat du requérant déposa des conclusions pour solliciter un supplément d'information visant la production aux débats de l'intégralité des archives de l'intendant de police détenues par les archives de la Gironde, en lieu et place de saisies partielles et sélectives qui ne permettaient pas d'apprécier la réalité des pouvoirs exercés par les divers intervenants de la préfecture entre 1942 et 1944. Par un arrêt du 11 décembre 1997, la cour d'assises décida de surseoir à l'examen de cette demande.
59.  Du 23 décembre 1997 au 5 janvier 1998, l'audience fut suspendue.
60.  Le 7 janvier 1998, le président autorisa la projection de deux témoignages audiovisuels enregistrés à l'occasion du procès de Klaus Barbie à Lyon en 1987, celui de l'écrivain André Frossard, sur les conditions d'internement à la prison de Montluc à Lyon, et celui d'Yves Jouffa, ancien président de la Ligue des droits de l'homme, sur les conditions régnant au camp de Drancy, près de Paris.
61.  Lors de l'audience du 26 janvier 1998, qui portait plus particulièrement sur l'examen du convoi du 25 novembre 1943, le requérant fut interrogé par le ministère public, avec l'autorisation du président et en s'appuyant sur les pièces de la procédure, sur des faits antérieurs à ce convoi, et notamment sur ceux touchant à l'organisation du convoi du 2 février 1943, évoqué dans l'arrêt de renvoi, mais non compris dans la saisine de la cour. L'avocat du requérant déposa immédiatement des conclusions en vue de demander à la cour d'assises de lui en donner acte.
62.  Le 28 janvier 1998, Me Arno Klarsfeld, l'un des avocats des parties civiles, publia un communiqué de presse révélant un lien de parenté lointain entre le président de la cour d'assises de Gironde et certaines personnes dont la déportation était imputée à l'accusé. Il reprochait au président de ne pas avoir fait état du fait que la mère et les deux sœurs de sa tante par alliance avaient fait partie du convoi de décembre 1943.
63.  Aucune demande de récusation ne fut cependant présentée, ni par les parties civiles ni par la défense, car le code de procédure pénale ne prévoit cette possibilité que si le juge est parent ou allié de l'une des parties jusqu'au degré de cousin issu de germain inclusivement, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. Le président de la cour d'assises fit savoir qu'il ne se souvenait pas même du nom de la femme de son oncle, décédé lorsqu'il était enfant. Il ne jugea pas utile de se récuser d'office.
64.  Le 2 février 1998, la cour d'assises donna acte au requérant de ce que l'avocat général l'avait interrogé, le 26 janvier, avec l'autorisation du président, sur des faits antérieurs au convoi du 25 novembre 1943 retenu à charge par l'arrêt de la chambre d'accusation, et notamment sur l'organisation du convoi du 2 février 1943, non compris dans la saisine de la cour d'assises.
65.  Par un autre arrêt incident du même jour (non produit), elle refusa en revanche de faire droit à la demande de certaines des parties civiles de donner acte que ces questions étaient en relation directe avec les faits objet de la saisine de la cour d'assises quant aux pouvoirs du requérant. Elle releva qu'il ne lui appartenait pas, « sauf à préjuger du fond de cette affaire et à enfreindre par là même les dispositions de l'article 316 du code de procédure pénale, de se prononcer sur la relation directe qui existerait entre ces faits et ceux visés dans l'acte de poursuite quant aux pouvoirs de Maurice Papon ».
66.  Par un arrêt incident du 5 mars 1998 (non produit), la cour d'assises rejeta la demande de supplément d'information sollicitée par le requérant le 5 décembre 1997, concernant la production aux débats de l'intégralité des archives de l'intendant de police, au motif qu'au vu du résultat de l'instruction à l'audience la mesure sollicitée n'apparaissait pas nécessaire à la manifestation de la vérité.
67.  Le même jour, l'avocat du requérant demanda que soit versée au dossier copie de la plainte pénale qu'il venait de déposer contre Me Serge Klarsfeld, président de l'une des associations parties civiles, sur le fondement de l'article 434-16 du code pénal, qui prohibe la publication, avant l'intervention de la décision juridictionnelle définitive, de commentaires tendant à exercer des pressions en vue d'influencer la décision des juridictions de jugement. Il reprochait à Me Klarsfeld le contenu de plusieurs interviews concernant la révélation du lien de parenté entre le président de la cour d'assises, à qui Me Klarsfeld imputait un préjugé favorable à l'accusé, et certaines victimes, et critiquait le fait que seule une procédure disciplinaire avait été diligentée par le parquet contre le fils de Me Klarsfeld, auteur de cette révélation en janvier 1998.
68.  Du 25 au 30 mars 1998, les débats furent suspendus à la suite du décès de l'épouse du requérant.
69.  Par un autre arrêt incident daté du 1er avril 1998 (non produit), la cour d'assises rejeta la demande du requérant tendant à ce que fût posée une question relative à sa connaissance d'un plan concerté d'extermination des Juifs par les nazis, et à sa volonté d'y participer, au motif qu'une telle question était comprise dans celles relatives à la culpabilité de complicité de crimes contre l'humanité.
70.  Elle refusa également que fût posée la question subsidiaire de savoir si la démission du requérant, en diminuant son activité résistante, aurait modifié le mécanisme d'extermination des Juifs à Bordeaux, au motif qu'il n'y avait pas lieu, faute de pouvoir se prévaloir d'un intérêt juridique, de poser la question relative à sa démission.
71.  Le 2 avril 1998, par un arrêt de 123 pages et après un délibéré de dix-neuf heures, la cour d'assises, répondant à 768 questions, reconnut le requérant coupable de complicité d'arrestations illégales et de séquestrations arbitraires sur la personne de Juifs déportés à l'occasion des convois de juillet, août, octobre 1942 et janvier 1944, ces crimes ayant revêtu le caractère de crimes contre l'humanité. Il fut acquitté des chefs de complicité d'assassinats et de tentative d'assassinats.
72.  Le requérant fut condamné à dix années de réclusion criminelle ainsi qu'à dix ans d'interdiction de ses droits civils, civiques et de famille. Par un arrêt du 3 avril 1998 (non produit), la cour d'assises statua sur les intérêts civils.
C.  La procédure de cassation
73.  Le requérant forma le 3 avril 1998 un pourvoi en cassation contre l'arrêt de condamnation et il déposa le 14 décembre 1998 un mémoire ampliatif qui contenait dix moyens, dont six visaient expressément l'article 6 de la Convention.
74.  Par une dépêche du 8 septembre 1999, le procureur général près la Cour de cassation demanda que soit notifiée au requérant l'obligation de se mettre en état en vue de l'audience devant la Cour de cassation, prévue pour le 21 octobre 1999. Cette notification fut faite le 16 septembre 1999.
75.  Le 17 septembre 1999, le requérant déposa une requête aux fins de dispense de mise en état devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Bordeaux, dont il se désista le 27 septembre 1999, pour présenter une nouvelle requête devant la cour d'assises. Celle-ci rendit un arrêt d'incompétence le 4 octobre 1999, qui fut frappé de pourvoi. Le même jour, le requérant présenta une nouvelle requête de dispense de mise en état devant la chambre d'accusation. Il invoquait l'article 6 de la Convention, son âge (quatre-vingt-neuf ans) et son état de santé.
76.  Par un arrêt du 12 octobre 1999, la chambre d'accusation répondit tout d'abord dans les termes suivants à la demande du requérant de constater que l'article 583 du code de procédure pénale devait être réputé non écrit en application de l'article 6 § 1 de la Convention :
« Attendu que si les dispositions de la Convention (...) sont intégrées dans l'ordre juridique français en application de l'article 55 de la Constitution et si les juges sont compétents pour vérifier, dans un cas d'espèce, la conformité d'une disposition législative aux prescriptions de ladite Convention, encore faut-il que la disposition en question serve de fondement à leur saisine ;
Attendu qu'en l'espèce l'article 583 du code de procédure pénale n'attribue compétence à la chambre d'accusation que pour connaître d'une question d'administration judiciaire précise, à savoir les demandes de dispense de mise en état ;
Attendu qu'il appartient exclusivement à la Cour de cassation de faire application de la mise en état puisqu'elle seule peut décider des conséquences à tirer d'un défaut de mise en état ; qu'il appartient donc à la Cour de cassation de statuer sur les demandes tendant à écarter l'application de l'article 583 à l'espèce qui lui est soumise et de décider, si elle y faisait droit, de ne pas déclarer le requérant déchu de son pourvoi. »
77.  Ensuite, la chambre d'accusation rejeta la demande de dispense de mise en état, en estimant qu'eu égard au quantum de la condamnation prononcée les garanties de représentation du requérant apparaissaient insuffisantes, que le certificat médical produit ne dénotait pas une aggravation significative de son état de santé par rapport à celui constaté dans le rapport d'expertise d'octobre 1997 et que cet état de santé n'apparaissait pas incompatible avec une détention sous le régime de l'hospitalisation, dont l'organisation relevait de l'administration pénitentiaire.
78.  Le requérant ne se mit pas en état et quitta la France pour aller se réfugier en Suisse. Les autorités suisses lui ordonnèrent toutefois de quitter le territoire, à une date qui ne figure pas au dossier.
79.  Par un arrêt du 21 octobre 1999, à l'issue d'une audience publique lors de laquelle les avocats du requérant présentèrent leurs observations sur les moyens de cassation invoqués, la chambre criminelle de la Cour de cassation déclara le requérant déchu de son pourvoi contre l'arrêt de la cour d'assises du 2 avril 1998, sur le fondement de l'article 583 du code de procédure pénale, au motif « que le demandeur, condamné à une peine emportant privation de liberté pour une durée de plus d'un an, ne s'est pas mis en état et n'a pas obtenu dispense de se soumettre à cette obligation ».
80.  Par deux arrêts du 20 décembre 2000, la Cour de cassation rejeta les pourvois que le requérant avait formés, dans la procédure de dispense de mise en état, contre les arrêts de la cour d'assises et de la chambre d'accusation des 4 et 12 octobre 1999, au motif qu'ils étaient sans objet, le requérant ayant entre-temps été déchu de son pourvoi en cassation contre l'arrêt de condamnation de la cour d'assises.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
81.  Pour ce qui est de l'obligation de se mettre en état préalablement à l'examen d'un pourvoi en cassation, la disposition pertinente du code de procédure pénale était, au moment des faits, la suivante :
Article 583 (dans sa rédaction issue de la loi no 99-515 du 23 juin 1999)
« Sont déclarés déchus de leur pourvoi les condamnés à une peine emportant privation de liberté pour une durée de plus d'un an, qui ne sont pas en état ou qui n'ont pas obtenu, de la juridiction qui a prononcé, dispense, avec ou sans caution, de se mettre en état.
L'acte de leur écrou ou l'arrêt leur accordant dispense est produit devant la Cour de cassation, au plus tard au moment où l'affaire y est appelée.
Pour que son recours soit recevable, il suffit au demandeur de justifier qu'il s'est constitué dans une maison d'arrêt, soit du lieu où siège la Cour de cassation, soit du lieu où a été prononcée la condamnation ; le surveillant chef de cette maison d'arrêt l'y reçoit sur l'ordre du procureur général près la Cour de cassation ou du chef du parquet de la juridiction de jugement. »
82.  L'article 583 a été abrogé par la loi du 15 juin 2000 « renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes ». La loi a également institué un double degré de juridiction en matière criminelle, en prévoyant la possibilité de faire appel des arrêts de cours d'assises.
83.  La loi du 15 juin 2000 a par ailleurs inséré dans le code de procédure pénale un livre III relatif au « réexamen d'une décision pénale consécutif au prononcé d'un arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme ».
Les nouveaux articles 626-1 et 626-4 disposent :
Article 626-1
« Le réexamen d'une décision pénale définitive peut être demandé au bénéfice de toute personne reconnue coupable d'une infraction lorsqu'il résulte d'un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l'homme que la condamnation a été prononcée en violation des dispositions de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou de ses protocoles additionnels, dès lors que, par sa nature et sa gravité, la violation constatée entraîne pour le condamné des conséquences dommageables auxquelles la « satisfaction équitable » allouée sur le fondement de l'article 41 de la convention ne pourrait mettre un terme. »
Article 626-4
« Si elle estime la demande justifiée, la commission procède conformément aux dispositions ci-après :
–  Si le réexamen du pourvoi du condamné, dans des conditions conformes aux dispositions de la convention, est de nature à remédier à la violation constatée par la Cour européenne des droits de l'homme, la commission renvoie l'affaire devant la Cour de cassation qui statue en assemblée plénière ;
–  Dans les autres cas, la commission renvoie l'affaire devant une juridiction de même ordre et de même degré que celle qui a rendu la décision litigieuse (...) »
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
84.  Le requérant se plaint d'avoir été déchu de son pourvoi en cassation, en vertu de l'article 583 du code de procédure pénale. Il y voit une entrave à son droit d'accès à un tribunal garanti par l'article 6 § 1 de la Convention, qui dispose :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »
A.  Thèses des parties
1.  Le requérant
85.  Le requérant invoque l'arrêt Khalfaoui c. France du 14 décembre 1999 (no 34791/97, CEDH 1999-IX). D'après lui, l'argument selon lequel la solution de l'arrêt Khalfaoui ne serait pas transposable en matière de crime a été écarté par la Cour elle-même dans l'arrêt Krombach c. France du 13 février 2001 (no 29731/96, CEDH 2001-II), où elle a clairement admis que le principe de l'arrêt Khalfaoui s'appliquait indistinctement aux crimes et aux délits. Pour ce qui est de la nécessité de faire exécuter l'arrêt de la cour d'assises en l'absence de mandat d'arrêt, le requérant répond que cette justification méconnaît gravement la position de principe de l'arrêt Khalfaoui précité, selon lequel l'obligation de se mettre en état sous peine de déchéance du pourvoi constitue une entrave excessive au droit d'accès à un tribunal.
86.  Par ailleurs, les autorités publiques disposent de toutes les possibilités ordinaires de faire exécuter un arrêt après le rejet du pourvoi en cassation. En outre, le requérant souligne qu'il a été le dernier à se voir appliquer une procédure de mise en état, comme s'il s'était agi de faire de son cas un « ultime exemple ». Enfin, il fait valoir que la Cour, dans l'arrêt Khalfaoui précité, a rattaché sa solution au respect de la présomption d'innocence, sans prendre aucunement en considération les faits reprochés.
2.  Le Gouvernement
87.  Le Gouvernement considère que, compte tenu de l'ensemble des éléments de la procédure, la déchéance du pourvoi ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit d'accès du requérant à la Cour de cassation. Il soutient tout d'abord que la présente affaire se distingue de l'affaire Khalfaoui, en ce que M. Khalfaoui a été jugé pour des délits par une cour d'appel, alors que le requérant a été condamné pour un crime par une cour d'assises. Or, à l'époque des faits, la cour d'assises n'avait pas la possibilité de délivrer un mandat d'arrêt à l'encontre d'un accusé comparaissant librement et la procédure de mise en état était le seul moyen de s'assurer de sa personne.
88.  Le Gouvernement souligne en outre l'extrême gravité des faits pour lesquels le requérant a été condamné, faits portant atteinte aux valeurs mêmes de l'humanité. Dans ces conditions, le Gouvernement conclut que la décision de déchoir le requérant de son pourvoi en raison de son défaut de mise en état ne constituait pas une mesure disproportionnée et qu'il n'a pas, en conséquence, subi une atteinte excessive à son droit d'accès à la Cour de cassation.
89.  Dans ses observations complémentaires, le Gouvernement se réfère à l'arrêt rendu par la Cour le 16 octobre 2001 dans l'affaire Eliazer c. Pays-Bas (no 38055/97, CEDH 2001-X), dans laquelle elle a conclu que l'accès du requérant à la Cour suprême n'avait pas été entravé de façon excessive, après avoir relevé que l'avocat du requérant avait été entendu en appel et avait été admis à plaider devant la Cour suprême. Le Gouvernement considère qu'il y a lieu de faire application de cette approche, puisque le requérant a pu assurer sa défense pendant la phase d'instruction et devant la cour d'assises de la Gironde, mais aussi devant la Cour de cassation, dans la mesure où ses avocats ont pu plaider dans son intérêt tant sur la déchéance du pourvoi que sur les moyens invoqués à l'appui dudit pourvoi.
B.  Appréciation de la Cour
90.  La Cour rappelle que le droit à un tribunal, dont le droit d'accès constitue un aspect, n'est pas absolu : il peut donner lieu à des limitations implicites, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d'un recours. Néanmoins ces limitations ne sauraient restreindre l'accès ouvert à l'individu d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l'article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir notamment l'arrêt Khalfaoui précité, §§ 35-36).
91.  La Cour a souligné, notamment dans l'affaire Poitrimol c. France (arrêt du 23 novembre 1993, série A no 277-A, p. 15, § 38) et dans les affaires Omar et Guérin c. France (arrêts du 29 juillet 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-V, p. 1841, § 41, et p. 1869, § 44, respectivement), qui concernaient l'irrecevabilité de pourvois en cassation, le rôle crucial de l'instance en cassation, qui constitue une phase particulière de la procédure pénale dont l'importance peut se révéler capitale pour l'accusé.
92.  Dans les arrêts Omar et Guérin, la Cour a estimé que « l'irrecevabilité d'un pourvoi en cassation, fondée uniquement (...) sur le fait que le demandeur ne s'est pas constitué prisonnier en exécution de la décision de justice faisant l'objet du pourvoi, contraint l'intéressé à s'infliger d'ores et déjà à lui-même la privation de liberté résultant de la décision attaquée, alors que cette décision ne peut être considérée comme définitive aussi longtemps qu'il n'a pas été statué sur le pourvoi ou que le délai de recours ne s'est pas écoulé ». La Cour a estimé qu'il était ainsi porté « atteinte à la substance même du droit de recours, en imposant au demandeur une charge disproportionnée, rompant le juste équilibre qui doit exister entre, d'une part, le souci légitime d'assurer l'exécution des décisions de justice et, d'autre part, le droit d'accès au juge de cassation et l'exercice des droits de la défense » (arrêts Omar et Guérin, p. 1841, §§ 40-41, et p. 1868, § 43, respectivement).
93.  Dans l'affaire Khalfaoui précitée, la Cour était appelée à se prononcer sur la déchéance du pourvoi en cassation du requérant faute pour lui de s'être mis en état et d'en avoir obtenu dispense.
94.  Après avoir relevé qu'il n'y avait pas de différence substantielle entre l'irrecevabilité et la déchéance du pourvoi en cassation, la Cour a jugé que « compte tenu de l'importance du contrôle final opéré par la Cour de cassation en matière pénale et de l'enjeu de ce contrôle pour ceux qui peuvent avoir été condamnés à de lourdes peines privatives de liberté, (...) il [s'agissait] là d'une sanction particulièrement sévère au regard du droit d'accès à un tribunal garanti par l'article 6 de la Convention » (§ 47). La Cour a en outre retenu que la possibilité de demander une dispense de mise en état n'était pas « de nature à retirer à la sanction de la déchéance du pourvoi son caractère disproportionné » (§ 53).
95.  La Cour n'est pas convaincue par l'argument du Gouvernement dans la présente affaire, tenant à la spécificité de la procédure criminelle : en premier lieu, l'approche de l'arrêt Khalfaoui a été réaffirmée dans l'affaire Krombach, dans laquelle le requérant avait été condamné pour crime par une cour d'assises et, en second lieu, la Cour ne peut que réitérer le principe posé dans l'arrêt Khalfaoui précité (§ 49), selon lequel « le respect de la présomption d'innocence, combiné avec l'effet suspensif du pourvoi, s'oppose à l'obligation pour un accusé libre de se constituer prisonnier, quelle que soit la durée, même brève, de son incarcération ».
96.  S'agissant par ailleurs de l'obligation de se mettre en état, la Cour a relevé que, si le souci d'assurer l'exécution des décisions de justice était en soi légitime, les autorités avaient à leur disposition d'autres moyens leur permettant de s'assurer de la personne condamnée, avant ou après examen du pourvoi en cassation. La Cour s'est ainsi exprimée : « En pratique, l'obligation de la mise en état vise à substituer à des procédures qui relèvent de l'exercice des pouvoirs de la police une obligation qui pèse sur l'accusé lui-même et qui, en outre, est sanctionnée par une privation de son droit au recours en cassation » (§ 44).
97.  Enfin, la Cour a estimé que l'obligation de mise en état ne se justifiait pas davantage par les particularités de la procédure devant la Cour de cassation (§ 45).
98.  Quant à l'argument du Gouvernement tiré de l'extrême gravité des faits reprochés au requérant, la Cour ne le méconnaît pas. Toutefois, la circonstance que le requérant a été poursuivi et condamné pour complicité de crimes contre l'humanité ne le prive pas de la garantie des droits et libertés de la Convention (Koch c. Allemagne, no 1270/61, décision de la Commission du 8 mars 1962, Annuaire 5, p. 135).
99.  Le Gouvernement cite encore l'arrêt Eliazer, dans lequel la Cour a conclu qu'il n'y avait pas violation de l'article 6 § 1 de la Convention. Toutefois, la Cour a relevé dans cet arrêt (§ 33) qu'à la différence des requérants dans les affaires Poitrimol, Omar, Guérin et Khalfaoui précitées, d'une part, M. Eliazer n'avait aucune obligation de se constituer prisonnier pour que la procédure faisant suite à son opposition puisse se dérouler devant la cour d'appel commune (aux Antilles néerlandaises et à Aruba) et, d'autre part, la voie du recours en cassation lui était ouverte dès lors qu'il choisissait de comparaître à la procédure d'opposition.
100.  Dans ses conditions, la Cour ne voit aucune raison de s'écarter de la conclusion à laquelle elle est arrivée dans l'arrêt Khalfaoui précité. Constatant que le requérant a été déchu de son pourvoi en cassation faute de s'être mis en état, en application de l'article 583 du code de procédure pénale, applicable au moment des faits, elle considère qu'eu égard à l'ensemble des circonstances de la cause il a subi une entrave excessive à son droit d'accès à un tribunal et donc à son droit à un procès équitable (arrêt Goth c. France, no 53613/99, § 36, 16 mai 2002).
Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 2 DU PROTOCOLE No 7 À LA CONVENTION
101.  Le requérant se plaint d'avoir été privé, en raison de la déchéance de son pourvoi, du droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et sa condamnation. Il invoque l'article 2 du Protocole no 7 à la Convention, qui est ainsi libellé :
« 1.  Toute personne déclarée coupable d'une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation. L'exercice de ce droit, y compris les motifs pour lesquels il peut être exercé, sont régis par la loi.
2.  Ce droit peut faire l'objet d'exceptions pour des infractions mineures telles qu'elles sont définies par la loi ou lorsque l'intéressé a été jugé en première instance par la plus haute juridiction ou a été déclaré coupable et condamné à la suite d'un recours contre son acquittement. »
102.  Le requérant fait valoir que le droit au double degré de juridiction en matière pénale est une extension du droit d'accès prévu par l'article 6 § 1 et peut être considéré comme une lex specialis. Dès lors, la déclaration de déchéance de son pourvoi a violé simultanément les deux dispositions.
103.  Selon lui, la méconnaissance du droit à bénéficier d'un double degré de juridiction est d'autant plus grave que l'examen par une juridiction supérieure n'était alors possible en France que par le moyen du pourvoi devant la Cour de cassation, qui ne peut connaître que du droit.
104.  Le Gouvernement considère qu'il n'y a pas en l'espèce violation de l'article 2 du Protocole no 7. Citant la déclaration interprétative faite par la France lors du dépôt de l'instrument de ratification du Protocole, il rappelle que la Cour a eu l'occasion, à plusieurs reprises, de considérer que le système français en vigueur au moment des faits était conforme à l'article 2 précité. Le Gouvernement réitère les arguments développés sous l'angle du droit d'accès à un tribunal, en rappelant que la Cour estime que les Etats jouissent en la matière d'un large pouvoir d'appréciation. Il en conclut que l'accès du requérant à une juridiction supérieure n'a pas été entravé de manière disproportionnée.
105.  Le Gouvernement fait enfin valoir que, dans l'hypothèse où la Cour considérerait que le droit d'accès du requérant à la Cour de cassation au sens de l'article 6 § 1 a été méconnu, ce constat n'entraînerait pas ipso facto le non-respect du droit à un double degré de juridiction : en effet, le requérant a bien saisi la Cour de cassation et a déposé des mémoires, et le pourvoi a fait l'objet d'une audience où toutes les parties ont pris la parole. Si la Cour de cassation a rendu un arrêt constatant la déchéance, elle a procédé néanmoins à l'examen de la cause et n'a pu que tirer les conséquences du non-respect par le requérant des règles procédurales.
106.  La Cour a déjà eu l'occasion de reconnaître que le système français en vigueur au moment des faits était en principe compatible avec l'article 2 du Protocole no 7 (voir notamment Krombach, § 96, et les décisions citées).
Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 2 du Protocole no 7 à la Convention.
III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
107.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
108.  Au titre du dommage matériel, le requérant sollicite les sommes suivantes, découlant de sa condamnation par la cour d'assises : 372 750 euros (EUR) au titre de la suspension pendant la durée de sa peine (dix ans) de sa retraite d'ancien député, 633 718 EUR pour la suspension de sa retraite de haut fonctionnaire, et 701 265 EUR au titre des condamnations civiles prononcées par la cour d'assises. Au titre du préjudice moral, il demande l'allocation d'une somme de 1 million d'EUR, en faisant valoir qu'il est le plus ancien détenu d'Europe, que son état de santé n'est plus compatible avec la détention et qu'à l'âge où l'on aspire à une retraite paisible, il s'est vu affronter une procédure judiciaire longue et pénible, dans un climat politique et médiatique houleux, qui a terni sa réputation de manière durable.
109.  Le Gouvernement rappelle que seuls les préjudices découlant directement des violations alléguées peuvent, le cas échéant, donner lieu à l'octroi d'un dédommagement. Pour ce qui est des demandes au titre du dommage matériel, le Gouvernement fait valoir que, à supposer constatée par la Cour la violation du droit d'accès du requérant à la Cour de cassation, son préjudice ne pourrait consister que dans la perte d'une chance de voir la Cour de cassation examiner son pourvoi et, le cas échéant, casser l'arrêt rendu par la cour d'assises et renvoyer l'affaire devant une autre cour d'assises. Il est en effet impossible d'affirmer, d'une part, que la Cour de cassation aurait cassé l'arrêt et, d'autre part, que la cour de renvoi éventuellement saisie aurait acquitté le requérant. Le Gouvernement estime donc qu'il y a lieu de rejeter les demandes de l'intéressé au titre du dommage matériel.
110.  S'agissant de la demande au titre du dommage moral, le Gouvernement soutient principalement qu'elle ne pourra qu'être rejetée puisque, dans une décision rendue le 7 juin 2001 sur une autre requête déposée par le requérant, la Cour a jugé que sa détention était compatible tant avec son âge avancé qu'avec son état de santé. Dans l'hypothèse où la Cour considérerait comme établies les violations des articles 6 § 1 de la Convention et 2 § 1 du Protocole no 7, seul un préjudice moral lié à la perte d'une chance de voir un recours examiné pourrait être constaté, et le Gouvernemment propose à ce titre une somme de 30 000 francs français (FRF) (soit 4 573,47 EUR).
111.  La Cour estime qu'en l'absence de tout lien de causalité direct entre le préjudice matériel allégué et la violation constatée, il n'y a pas lieu à indemnisation à ce titre.
112.  Pour ce qui est du préjudice moral, la Cour considère que les circonstances invoquées par le requérant (paragraphe 108 ci-dessus) n'ont aucun rapport avec la violation constatée (arrêts précités Omar, p. 1843, § 49, et Poitrimol, p. 16, § 42). Dès lors, il n'y a pas lieu à indemnisation de ce chef.
B.  Frais et dépens
113.  Au titre des frais et honoraires d'avocats pour la procédure interne, le requérant réclame le remboursement des sommes suivantes :
–  frais de Me Varaut pour le procès devant la cour d'assises (selon une attestation d'un expert-comptable, établie le 11 janvier 2002, détaillant ses frais relatifs à la défense du requérant devant la cour d'assises du 27 septembre 1997 au 2 avril 1998) : 667 376 FRF (soit 101 740 EUR), se décomposant en frais de déplacement (342 223 FRF), frais d'honoraires, toutes taxes comprises, du collaborateur avocat (202 917 FRF), et frais du chauffeur-garde du corps (122 236 FRF) ;
–  honoraires de Me Boré et Me Emery pour les procédures de cassation : 138 690 FRF (soit 22 144 EUR).
S'agissant de la procédure devant la Cour, le requérant sollicite 83 720 FRF pour les honoraires de Me Varaut (et produit deux notes d'honoraires non détaillées des 6 mars et 18 juin 2001), ainsi que 35 880 FRF pour ceux de Me Vuillemin, au total 119 600 FRF (soit 18 223 EUR), et 56 266 francs suisses (soit 37 510,65 EUR), au titre des honoraires de Me Argand.
114.  En ce qui concerne les frais et honoraires d'avocats, le Gouvernement estime les demandes particulièrement excessives et propose l'allocation d'une somme de 30 000 FRF (soit 4 573,47 EUR).
115. La Cour rappelle que, lorsqu'elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder à un requérant le paiement non seulement de ses frais et dépens devant les organes de la Convention, mais aussi de ceux qu'il a engagés devant les juridictions nationales pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation (voir notamment arrêt Hertel c. Suisse du 25 août 1998, Recueil 1998-VI, p. 2334, § 63). En l'espèce, la seule violation retenue concernant le défaut d'accès à la Cour de cassation, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de rembourser les frais et dépens encourus pendant les phases d'instruction et de jugement de l'affaire. Partant, il y a lieu d'écarter la demande sur ce point.
116.  En revanche, le requérant est en droit de solliciter le remboursement des frais relatifs aux demandes de dispense de mise en état et au pourvoi en cassation contre l'arrêt de condamnation de la cour d'assises. Toutefois, pour ce qui est des demandes de dispense de mise en état, la Cour n'est en possession d'aucune demande chiffrée, ni d'aucune note d'honoraires relative à ces procédures ; quant à l'attestation de l'expert-comptable, elle ne mentionne que les frais exposés par Me Varaut pour la procédure devant la cour d'assises, et il n'est pas fait état de diligences ultérieures. Dans ces conditions, la Cour ne peut allouer aucune somme à ce titre. S'agissant de la procédure de cassation faisant suite à l'arrêt de condamnation rendu par la cour d'assises, il y a lieu d'octroyer au requérant la somme de 60 300 FRF (soit 9 192,68 EUR), correspondant aux honoraires versés à Me Emery. En revanche, la Cour ne peut tenir compte des honoraires versés à Me Boré, s'agissant de pourvois en cassation formés pendant la phase d'instruction de l'affaire.
117.  Pour ce qui est des honoraires se rapportant à la présente procédure, la Cour a apprécié la demande à la lumière des principes se dégageant de sa jurisprudence (arrêts Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 79, CEDH 1999-II, Oztürk c. Turquie [GC], no 22479/93, § 83, CEDH 1999-VI, et Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 88, CEDH 2000-III). Elle rappelle qu'au titre de l'article 41 de la Convention elle rembourse les frais dont il est établi qu'ils ont été réellement et nécessairement exposés et sont d'un montant raisonnable.
118.  En premier lieu, la Cour observe que le requérant n'a désigné pour le représenter devant elle que Me Varaut et Me Argand. Elle ne peut donc prendre en compte la note d'honoraires de Me Vuillemin, qui ne comporte aucun détail relatif aux diligences accomplies pour la présente procédure. Si la requête initiale, adressée le 14 janvier 2000 par Me Argand, a été cosignée par Me Varaut, les observations en réponse à celles du Gouvernement et les demandes au titre de la satisfaction équitable ont été formulées par Me Argand. La note d'honoraires de Me Varaut du 18 juin 2001 qui ne mentionne qu'un montant global ne comporte aucun autre détail et la note du 6 mars 2001 semble se référer à une procédure contre les parties civiles devant le tribunal de grande instance de Melun. Dans ces conditions, la Cour n'est pas en mesure de s'assurer que les honoraires versés à Me Varaut ont été réellement et nécessairement exposés pour la procédure devant la Cour et considère qu'il n'y a pas lieu d'en accorder le remboursement. S'agissant des honoraires de Me Argand, qui font l'objet d'une note comportant un relevé d'activités détaillé, et tenant compte de ce que seuls deux des griefs soulevés initialement ont été déclarés recevables, la Cour estime raisonnable d'allouer au requérant la somme de 20 000 EUR à ce titre.
C.  Intérêts moratoires
119.  La Cour considère que le taux annuel des intérêts moratoires doit être calqué sur celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne augmenté de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
2.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 2 du Protocole no 7 à la Convention ;
3.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 29 192,68 EUR (vingt-neuf mille cent quatre-vingt-douze euros soixante-huit centimes) en remboursement des frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b)  que ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux annuel égal au taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne augmenté de trois points de pourcentage à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;
4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 juillet 2002, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Erik Fribergh Christos Rozakis   Greffier Président
Au présent arrêt se trouve joint l'exposé de la déclaration de M. Costa.
C.L.R.  E.F.
DÉCLARATION DE M. LE JUGE COSTA
Le requérant a soutenu que la Convention européenne des Droits de l'Homme avait été violée, sur onze points, dans la procédure relative à sa condamnation pour complicité de crimes contre l'humanité. Sur un point seulement, il a obtenu satisfaction ; c'était inévitable compte tenu de la jurisprudence, qui est la même pour tous. J'ai donc voté en ce sens.
Cette violation a été encourue parce que la Cour de cassation a appliqué une disposition du code de procédure pénale, qui a été abrogée, quelques mois plus tard, par la loi du 15 juin 2000. A quelques mois près, la « condamnation » de la France eût donc été évitée. Cette remarque me semble relativiser le sens et la portée du présent arrêt, qui a en outre rejeté les demandes formées par le requérant devant notre Cour au titre du dommage matériel et du préjudice moral.
ARRÊT PAPON c. FRANCE
ARRÊT PAPON c. FRANCE 


Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1 ; Non-violation de P7-2 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - demande rejetée ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) ACCES A UN TRIBUNAL


Parties
Demandeurs : PAPON
Défendeurs : FRANCE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (première section)
Date de la décision : 25/07/2002
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 54210/00
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2002-07-25;54210.00 ?
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