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10/09/2002 | CEDH | N°76574/01

CEDH | ALLEN c. ROYAUME-UNI


[TRADUCTION]
EN FAIT
Le requérant, M. Brian Roger Allen, ressortissant britannique né en 1948, purge actuellement une peine privative de liberté à la prison de Coldingley (Surrey). Il est représenté devant la Cour par Me Newman et Me Kessler, avocats au barreau de Londres.
A.  Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le 9 mai 1991, l'administration fiscale notifia au requérant une injonction officielle le priant notamment de fournir, en application de

l'article 20 § 1 de la loi de 1970 sur l'administration des contributions (T...

[TRADUCTION]
EN FAIT
Le requérant, M. Brian Roger Allen, ressortissant britannique né en 1948, purge actuellement une peine privative de liberté à la prison de Coldingley (Surrey). Il est représenté devant la Cour par Me Newman et Me Kessler, avocats au barreau de Londres.
A.  Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le 9 mai 1991, l'administration fiscale notifia au requérant une injonction officielle le priant notamment de fournir, en application de l'article 20 § 1 de la loi de 1970 sur l'administration des contributions (Taxes Management Act 1970 – « la loi de 1970 »), une déclaration certifiée rendant compte de sa situation patrimoniale (actif et passif) au 31 janvier 1991.
Le 13 août 1991, n'ayant pas obtempéré, le requérant fut assigné à comparaître devant les inspecteurs généraux des impôts (General Commissioners). Cette assignation l'avertissait que faute de s'être conformé à l'injonction, il encourait, en vertu de l'article 98 § 1 de la loi de 1970, une pénalité pouvant aller jusqu'à 50 livres sterling (GBP). (En fait, cette pénalité était passée à 300 GBP).
Le 30 octobre 1991, le requérant, qui ne s'était toujours pas conformé à l'injonction, se vit adresser un avertissement appelé « Hansard », qui impliquait que lui fut donnée lecture de la réponse du ministre des Finances (Chancellor of the Exchequer) à une question parlementaire du 18 octobre 1991. Cette réponse décrivait la pratique de l'administration fiscale dans les affaires de fraude : l'administration fiscale pouvait accepter un règlement en argent au lieu d'engager des poursuites pénales, et sa décision d'accepter un tel règlement ou de déclencher une procédure pénale dépendait, entre autres, de la disposition du contribuable à laisser à l'administration fiscale toute latitude pour enquêter sur ses biens.
Le 3 avril 1992 ou vers cette date, le requérant fournit à l'administration fiscale une liste de ses avoirs au 31 janvier 1991, conformément à l'injonction.
L'intéressé fut ensuite inculpé de treize chefs de fraude fiscale concernant ses impôts sur le revenu et ses impôts sur les sociétés. Le onzième chef d'accusation précisait ce qui suit :
« FAITS
Escroquerie à l'encontre de Sa Majesté la reine et des inspecteurs de l'administration fiscale, au mépris de la common law.
DESCRIPTION DE L'INFRACTION
Le 3 avril 1992 ou vers cette date, [le requérant], avec une intention frauduleuse, (...) a escroqué Sa Majesté la reine et les inspecteurs de l'administration fiscale de recettes publiques, à savoir les impôts sur le revenu, en fournissant (...) à un inspecteur des impôts une déclaration de situation patrimoniale au 31 janvier 1991, dressant la liste de ses biens et des biens de ses enfants mineurs, qui était fausse, trompeuse et mensongère, dans la mesure où elle omettait d'indiquer divers biens en sa possession. Au nombre des biens ainsi omis figurait l'intérêt que le requérant possédait en tant que bénéficiaire de fiducies concernant les actions émises par des sociétés offshore, les biens détenus au nom de pareilles sociétés ou les comptes bancaires ouverts au Royaume-Uni et à Jersey au nom de pareilles sociétés. »
Le 19 février 1998, le requérant fut reconnu coupable sur tous les chefs d'inculpation. Le lendemain, 20 février 1998, il fut condamné à treize peines de sept ans d'emprisonnement et fit l'objet d'une ordonnance de confiscation pour un montant de 3 137 165 GBP. Cette somme représentait la plus faible des deux montants, à savoir le montant des bénéfices tirés des infractions (4 millions de GBP) et le total des actifs réalisables du requérant (3 137 165 GBP).
Le 7 juillet 1999, la Cour d'appel débouta l'intéressé de son recours contre sa condamnation, et le 11 octobre 1991, de son recours concernant sa peine. S'agissant de l'argument de l'intéressé selon lequel il restait assujetti au paiement de l'impôt non payé, la Cour d'appel nota que, le 20 février 1998, l'administration fiscale avait donné au requérant l'assurance qu'elle ne chercherait pas à recouvrer les dettes fiscales préexistantes sur les revenus qu'il pourrait percevoir à l'avenir.
Le 10 octobre 2000, la Chambre des lords, infirmant une décision de rejet antérieure, autorisa le requérant à la saisir d'un recours contre l'arrêt de la Cour d'appel sur un certain nombre de points et lui permit également d'en soulever un nouveau se rapportant à l'article 6 de la Convention et concernant sa condamnation sur le onzième chef d'inculpation.
Le 11 octobre 2001, la Chambre des lords rejeta le recours. En prononçant l'arrêt, Lord Hutton prit note des arguments du requérant au titre de la Convention, tirés en particulier des affaires Funke c. France (arrêt du 25 février 1993, série A no 256-A) et Saunders c. Royaume-Uni (arrêt du 17 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI) et selon lesquels la manière dont l'accusation avait recueilli des preuves à l'encontre de l'intéressé portait atteinte à son droit à un procès équitable puisqu'il avait été contraint, sous peine de sanction, de s'incriminer lui-même en fournissant la liste de ses biens, et estima ce qui suit :
« (...) la présente affaire porte sur l'obligation d'un citoyen de payer des impôts et sur son devoir de ne pas escroquer le fisc. Il est évident que le paiement des impôts fixés par le pouvoir législatif est essentiel pour le fonctionnement de tout Etat démocratique. Il est également clair que pour assurer le recouvrement des impôts, l'Etat doit avoir le pouvoir d'exiger de ses citoyens qu'ils l'informent du montant de leurs revenus annuels et de prévoir des sanctions pour contraindre les contribuables à lui communiquer ces informations (...) »
Il examina ensuite la législation fiscale en vertu de laquelle les contribuables étaient tenus de remplir leur déclaration de revenus.
« Il est manifestement légitime qu'un Etat promulgue de telles dispositions et il faut considérer comme sans fondement l'argument selon lequel il y a violation de l'article 6 § 1 si le fisc poursuit un citoyen pour escroquerie à son encontre au motif que ce citoyen a fourni une déclaration de revenus standard contenant de fausses informations. De même, en l'espèce, compte tenu du fait que l'Etat, pour collecter les impôts, est habilité à exiger d'un citoyen qu'il l'informe de ses revenus et à le sanctionner s'il ne s'acquitte pas de cette obligation, l'injonction de communiquer les informations, faite en application de l'article 20 § 1, n'emporte pas violation du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination. Il convient donc d'établir une nette distinction entre la présente affaire et l'affaire Saunders sur ce point (...) »
GRIEFS
Le requérant allègue que la procédure de l'avertissement « Hansard » donne lieu à une violation de l'article 6 § 1, puisqu'elle porte atteinte au droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et au droit de garder le silence. Il aurait été à la fois menacé et contraint de donner des informations, et la liste des biens qu'il a alors communiquée constituerait la totalité des preuves qui ont servi de base au onzième chef d'inculpation retenu contre lui.
Il se plaint aussi d'avoir été victime d'une double peine. Bien que l'ordonnance de confiscation ait concerné la dette fiscale à laquelle il s'était soustrait, cette dette est demeurée. Cela a abouti à la confiscation de tous ses biens et au maintien de l'imposition sans abattements, ce qui est, selon lui, disproportionné et injuste. Dans ce contexte, il invoque l'article 1 du Protocole no 1.
L'intéressé tire également grief de l'article 5 de la Convention, alléguant que sa privation de liberté n'a pas respecté les voies légales.
EN DROIT
1.  Le requérant allègue qu'il a été obligé de contribuer à sa propre incrimination, au mépris de l'article 6 § 1 de la Convention dont le passage pertinent est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »
La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, bien qu'ils ne soient pas spécifiquement mentionnés à l'article 6 de la Convention, les droits invoqués par le requérant, à savoir le droit de garder le silence et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable consacrée par l'article 6. Leur raison d'être tient notamment à la protection de l'accusé contre une coercition abusive de la part des autorités, ce qui évite les erreurs judiciaires et permet d'atteindre les buts de l'article 6 (John Murray c. Royaume-Uni, arrêt du 8 février 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-I, pp. 49-50, §§ 44-47). En particulier, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination présuppose que, dans une affaire pénale, l'accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou des pressions, au mépris de la volonté de l'accusé. En ce sens, ce droit est étroitement lié au principe de la présomption d'innocence consacré par l'article 6 § 2 de la Convention (Saunders précité, p. 2064, § 68).
Toutefois, le droit de ne pas s'incriminer soi-même concerne en premier lieu le respect de la volonté d'un accusé de garder le silence dans le contexte d'une procédure pénale et l'utilisation d'informations obtenues sous la contrainte. Il n'interdit pas en soi le recours à des pouvoirs coercitifs pour obliger une personne à produire des informations sur sa situation financière ou sur celle d'une société dans laquelle elle a des intérêts (voir l'arrêt Saunders précité, qui concernait une affaire dans laquelle la procédure appliquée à l'intéressé pour l'amener à répondre aux questions des inspecteurs du ministère du Commerce n'était pas en cause). La Cour estime donc que dans la présente cause l'obligation faite au requérant de fournir une déclaration de ses avoirs à l'administration fiscale ne soulève aucun problème sous l'angle de l'article 6 § 1, même si une sanction était attachée au défaut de cette déclaration. L'obligation de révéler ses revenus et son capital aux fins de la détermination de l'assiette de l'impôt et du calcul de celui-ci est en effet une caractéristique commune aux systèmes fiscaux des Etats contractants, dont il serait difficile d'envisager le fonctionnement efficace en l'absence de cette obligation.
La Cour note qu'en l'espèce le requérant ne dénonce pas le fait que les informations sur ses avoirs communiquées à l'administration fiscale aient été utilisées contre lui, dans le sens où elles l'auraient incriminé relativement à une infraction, consistant en actes ou omissions, dans laquelle il aurait été impliqué auparavant. Sa situation peut donc être distinguée de celle du requérant dans l'affaire Saunders (arrêt précité). Il n'a pas non plus été poursuivi pour ne pas avoir donné d'informations pouvant contribuer à sa propre incrimination dans une affaire pénale en cours ou escomptée, comme dans les affaires Funke (arrêt précité), Heaney et McGuinness c. Irlande (no 34720/97, CEDH 2000-XII), et J.B. c. Suisse (no 31827/96, CEDH 2001-III). L'intéressé a été inculpé et condamné pour avoir communiqué une fausse déclaration de revenus à l'administration fiscale. En d'autres termes, il a menti ou s'est parjuré en donnant des informations inexactes sur ses biens. Il ne s'agissait pas d'un cas d'auto-incrimination forcée concernant une infraction commise antérieurement ; il s'agissait de l'infraction elle-même. Il est possible que le requérant ait menti pour empêcher l'administration fiscale de découvrir un comportement qui aurait pu se révéler criminel et donner lieu à des poursuites. Toutefois, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination ne confère pas une immunité générale quant aux actes motivés par la volonté d'échapper à un contrôle fiscal.
En outre, il n'y a pas lieu de considérer comme une coercition abusive toute mesure visant à encourager les particuliers à fournir aux autorités des informations pouvant éventuellement être utilisées lors d'une procédure pénale ultérieure (John Murray précité, p. 49, § 46). Le requérant risquait une pénalité maximale de 300 GBP s'il persistait à refuser de produire une déclaration de ses avoirs, ce qui distingue le cas d'espèce de l'affaire Saunders, où le requérant encourait une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à deux ans (Saunders précité, p. 2065, § 70). La Cour ne considère pas non plus que le requérant ait été soumis à une incitation abusive du fait du recours à l'avertissement dit « Hansard », qui l'informait de la pratique de l'administration fiscale consistant à tenir compte de la coopération du contribuable avant de décider de le poursuivre ou non pour fraude. Rien n'indique que le requérant ait été trompé au sujet de l'effet de cet avertissement, étant entendu que celui-ci ne saurait s'interpréter comme une garantie contre toute poursuite.
En conséquence, la Cour estime que les faits de la cause ne révèlent pas une atteinte au droit de garder le silence ou à la protection contre l'auto-incrimination, et qu'il n'y a pas eu d'inéquité contraire à l'article 6 § 1 de la Convention. Cette partie de la requête doit donc être rejetée comme manifestement mal fondée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2.  Le requérant se plaint de rester assujetti à l'impôt après avoir fait l'objet d'une ordonnance de confiscation de ses avoirs, et invoque à cet égard l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
La Cour rappelle qu'une fois reconnu coupable le requérant a fait l'objet d'une ordonnance de confiscation, dont l'objet a été déterminé d'après le montant des bénéfices tirés des infractions de l'intéressé, à savoir le montant des impôts auxquels il s'était soustrait, et le montant de ses avoirs. S'il apparaît qu'il demeure tenu, en vertu des dispositions fiscales applicables, de s'acquitter du montant des impôts restants, ce point a été soulevé lors de la procédure d'appel, et la Cour d'appel a estimé qu'il n'avait pas de fondement, puisque l'administration fiscale avait assuré au requérant qu'elle ne chercherait pas à recouvrer les impôts encore dus. L'intéressé n'a pas fait valoir que cette décision ne serait pas exécutoire. La Cour n'est donc pas convaincue que le requérant risque encore réellement que l'administration fiscale tente une nouvelle fois de recouvrer le même montant dû au titre des impôts.
Partant, ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
3.  Enfin, le requérant invoque l'article 5 de la Convention, qui dispose :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a)  s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
Le requérant a été reconnu coupable de plusieurs infractions et condamné, après jugement, à une peine d'emprisonnement de douze ans. Il a introduit des recours contre sa condamnation ; la Cour d'appel puis la Chambre des lords les ont écartés. La Cour ne voit pas de raison d'estimer que la détention du requérant après condamnation n'a pas eu lieu « selon les voies légales » ou ne se justifiait pas au regard de l'article 5 § 1 a) susmentionné. En conséquence, elle rejette ce grief comme manifestement mal fondé en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
DÉCISION ALLEN c. ROYAUME-UNI
DÉCISION ALLEN c. ROYAUME-UNI 


Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(P1-1-1) BIENS


Parties
Demandeurs : ALLEN
Défendeurs : ROYAUME-UNI

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (première section)
Date de la décision : 10/09/2002
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 76574/01
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2002-09-10;76574.01 ?
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