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11/02/2003 | CEDH | N°59477/00

CEDH | SCP HUGLO, LEPAGE & ASSOCIES et AUTRES contre la FRANCE


DEUXIÈME SECTION
DÉCISION PARTIELLE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 59477/00  présentée par la SCP HUGLO, LEPAGE & ASSOCIES et autres  contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 11 février 2003 en une chambre composée de
MM. A.B. Baka, président,    J.-P. Costa,    Gaukur Jörundsson,    K. Jungwiert,    V. Butkevych,   Mme W. Thomassen,   M. M. Ugrekhelidze, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 14 juin 2

000,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
La société requérante, la SCP Hu...

DEUXIÈME SECTION
DÉCISION PARTIELLE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 59477/00  présentée par la SCP HUGLO, LEPAGE & ASSOCIES et autres  contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 11 février 2003 en une chambre composée de
MM. A.B. Baka, président,    J.-P. Costa,    Gaukur Jörundsson,    K. Jungwiert,    V. Butkevych,   Mme W. Thomassen,   M. M. Ugrekhelidze, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 14 juin 2000,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
La société requérante, la SCP Huglo, Lepage & Associés, Conseil, est une société civile professionnelle d’avocats, représentée par Me C. Huglo, et dont le siège est à Paris. Les autres requérants, associés de la SCP, Mes Christian Huglo et Corinne Lepage, ressortissants français, nés respectivement en 1942 et 1951, résident à Paris.
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.
A.  La genèse de l’affaire
Le 16 mars 1978, une marée noire fut provoquée par le naufrage du pétrolier Amoco Cadiz survenu sur la côte Nord-Ouest du Finistère. Dès le lendemain, l’Association d’avocats Huglo-Lepage, aux droits de laquelle vient la société requérante, fut chargée de la défense des intérêts de la ville de Brest, rapidement imitée par de nombreuses autres collectivités publiques et privées concernées par la catastrophe écologique.
Le cabinet d’avocats agit rapidement pour la conservation des preuves en engageant une procédure d’urgence auprès du tribunal administratif de Rennes afin que soient diligentées des expertises. Par ailleurs, une information pénale fut conduite contre X par un juge d’instruction du tribunal de grande instance de Brest. Parallèlement, les requérants organisèrent la coordination des victimes, les regroupant dans des structures dont ils rédigèrent les statuts. Décidant également de la stratégie procédurale à suivre, choisissant et permettant notamment la mise en cause de tous les responsables dans le cadre d’un procès unique et ce, nonobstant les obstacles juridiques, ils portèrent l’affaire devant les juridictions américaines et désignèrent, sous leur responsabilité financière et directe jusqu’en 1980, le cabinet d’avocats américains Curtis, Mallet, Prevost.
Par arrêtés des 30 mai et 24 juin 1980, un Syndicat mixte « de protection et de conservation du littoral du Nord-Ouest de la Bretagne » (« Syndicat mixte »), établissement public, fut créé entre le département des Côtes-du-Nord et soixante-seize communes situées sur ce département et celui du Finistère, afin notamment de « mettre en œuvre tous les moyens légaux tant en France qu’à l’étranger pour assurer la réparation des dommages subis, poursuivre les actions judiciaires engagées en avril 1978 et mobiliser les moyens financiers nécessaires pour les mener à bonne fin ». Ses statuts furent rédigés par les requérants.
Le 15 septembre 1978, une première assignation tendant à la réparation des dommages fut délivrée devant la cour fédérale de l’Etat de New-York à la société de droit américain Amoco International Oil Company and Claude Phillips Dependants. D’autres procédures ayant été initiées devant diverses juridictions américaines, elles furent toutes jointes devant le tribunal fédéral de Chicago, déclaré seul compétent pour en connaître. L’instance se déroula, conformément aux règles du droit américain, en deux phases successives, à savoir la détermination des responsabilités dans un premier temps puis, dans un second temps, l’évaluation et la réparation des dommages subis.
Le 4 septembre 1980, un protocole d’accord portant sur les honoraires d’avocat fut signé entre le syndicat mixte, les requérants et le cabinet d’avocats américain. Un compte C.A.R.P.A. (caisse des règlements pécuniaires des avocats) fut ouvert afin d’y faire transiter tous les fonds à destination des Etats-Unis (paiement des avocats américains) ou en provenance de ce pays.
Le 18 avril 1984, le tribunal fédéral de Chicago rendit une première décision portant sur la responsabilité de Standard Oil, Amoco international et Amoco Transports et les condamnant conjointement et solidairement à réparer les dommages.
Le 11 janvier 1988, le juge fédéral du tribunal fédéral de Chicago rendit une seconde décision portant sur le montant des dommages-intérêts dus par les sociétés déclarées responsables. A partir de cette date, et jusqu’en 1990, s’engagea une phase de rectification de la décision sur les dommages.
Non satisfaits du montant alloué, les demandeurs en réparation firent appel devant la cour fédérale d’appel.
Le 21 janvier 1992, après plus de treize ans de procédure, la cour d’appel de Chicago fixa les indemnités à 987 millions de francs pour l’Etat et 225 millions pour les collectivités publiques et privées, ainsi que pour les autres parties à l’instance. Les sociétés défenderesses renoncèrent à user des voies de recours disponibles et exécutèrent la décision de la cour d’appel par le versement de l’indemnisation due au mois d’avril 1992.
Parallèlement, une instance distincte diligentée aux mêmes fins contre American Bureau of Shipping aboutit au paiement transactionnel d’une somme de dix millions de francs.
B.  La procédure en contestation d’honoraires
Par lettre du 26 février 1992, suite au refus du syndicat mixte de voir transiter les sommes attribuées au titre de la responsabilité par la cour d’appel de Chicago par le compte C.A.R.P.A. ouvert par le cabinet français et à un différend s’élevant entre eux quant à la part revenant au cabinet français au titre des honoraires, les requérants saisirent le Bâtonnier de Paris pour voir fixer des honoraires différés pendant le courant de la procédure, ainsi que des honoraires en fonction de l’importance de l’affaire et en raison des services rendus. Dans leur demande, ils insistèrent notamment sur la durée du procès, son caractère créateur dans la jurisprudence internationale, l’importance exceptionnelle des intérêts en cause et les difficultés tout à fait particulières qui avaient marqué la procédure. Ils soulignèrent le montant extrêmement modéré de leurs honoraires, d’un montant de 6 295 758 francs, et indiquèrent avoir accordé en cours de procédure une diminution provisoire de 10 % de leurs honoraires, soit 468 590,97 francs toutes taxes comprises dont ils réclamèrent le paiement. Enfin, ils relevèrent une disparité avec les honoraires de plus de cent millions de francs payés par le Syndicat mixte aux avocats américains. Selon une consultation d’un ancien bâtonnier, leurs honoraires de résultat auraient pu s’élever à cinq ou six millions de francs.
Devant le bâtonnier, le Syndicat mixte contesta devoir des honoraires différés et proposa volontairement de verser une somme de 700 000 francs pour solde de tout compte.
Par décision du 25 juin 1992, le Bâtonnier de l’Ordre des avocats à la cour d’appel de Paris écarta la demande d’honoraires différés relatifs à la ristourne prétendument provisoire de 10 % sur les honoraires des requérants. En outre, il accorda aux requérants une somme de 3 704 242 francs hors taxes à titre d’honoraires de diligences exceptionnelles et de résultat.
Par arrêt du 28 avril 1993, sur recours du Syndicat mixte, la cour d’appel de Paris confirma la décision du bâtonnier, estimant notamment :
« Considérant que la preuve est donc ainsi rapportée de l’importance et du caractère exceptionnel du résultat obtenu qualifié d’ailleurs par la presse locale de « sensationnel et fabuleux » ;
Qu’ainsi, en raison de l’ingéniosité des moyens développés, de la détermination manifestée par la S.C.P. Huglo-Lepage dans l’intérêt de ses clients, de l’efficacité de ses efforts renouvelés et soutenus, de sa compétence avérée à l’occasion d’une affaire hors du commun qui, bien qu’historiquement sans précédent est désormais à l’origine d’une jurisprudence relative au droit international de la pollution et de l’environnement, c’est à juste titre que la décision entreprise a fait droit à la demande formée ;
Considérant que l’ampleur jamais égalée en cette matière du succès obtenu, qui dépasse manifestement ce qu’un pronostic mesuré et même optimiste laissait attendre, justifie en effet le montant de la somme qui a été allouée à cette partie. »
Par arrêt du 17 octobre 1995, sur pourvoi formé par le Syndicat mixte qui avait néanmoins versé la somme de 4 809 312 francs le 23 juin 1993, la Cour de cassation cassa l’arrêt de la cour d’appel du 28 avril 1993 en toutes ses dispositions, aux motifs que :
- sur le premier moyen :
« Attendu que, pour accueillir la demande de la SCP Huglo-Lepage et associés, la cour d’appel a retenu que le projet de protocole de 1978 prévoyant le principe d’un honoraire de diligences et résultats exceptionnels, confirmé par le protocole du 4 septembre 1980, avait été accepté sans réserve par les clients de ce cabinet d’avocats « aux droits desquels se trouve le Syndicat mixte » ;
Attendu qu’en se déterminant par cette seule affirmation pour admettre l’opposabilité au Syndicat mixte de l’accord de 1978, alors que, dans son mémoire, ce syndicat faisait valoir que, créé en 1980, il était une personne morale totalement nouvelle, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ; (...) »
- sur le deuxième moyen :
« Attendu que pour statuer comme elle l’a fait, la cour d’appel, par adoption des motifs du bâtonnier, a retenu que le Syndicat mixte ne pouvait soutenir qu’un honoraire de résultat n’avait pas été contractuellement prévu, dès lors que la convention du 4 septembre 1980 s’était référée expressément aux usages en vigueur à l’Ordre des avocats au barreau de Paris et que ces usages, non seulement n’interdisaient pas, mais admettaient, le principe d’un honoraire de diligences et résultats exceptionnels ;
Attendu, cependant, qu’en l’absence de toute stipulation prévoyant l’allocation d’un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu, la seule référence aux usages en vigueur à l’Ordre des avocats au barreau de Paris pour le calcul des honoraires de l’avocat n’implique pas l’accord des parties pour l’octroi, en fin de procès, d’un honoraire de résultat ; qu’en se déterminant ainsi, la cour d’appel a dénaturé la convention invoquée (... ) »
L’affaire fut renvoyée devant la cour d’appel de Versailles.
Par arrêt du 29 mai 1996, la cour d’appel de Versailles observa tout d’abord que le bâtonnier avait estimé que le projet de protocole établi en 1978 et adressé par une note aux communes devait être tenu pour connu et approuvé par les communes concernées, étant par ailleurs observé que la convention de 1980 s’était référée aux usages en vigueur à l’Ordre des avocats à la cour de Paris, usages incluant, même en l’absence de convention particulière, une majoration  au titre du résultat.
La cour d’appel estima qu’avant 1980, les communes n’avaient pu exprimer un quelconque accord sur le projet de 1978 et « qu’ainsi le Syndicat mixte, personne morale nouvelle, n’a pas eu à reprendre lors de sa constitution, s’agissant des honoraires, de quelconques engagements qu’auraient antérieurement pris les personnes qu’il a rassemblées ». Elle jugea que seule la convention de 1980 avait dès lors été valablement souscrite par le Syndicat mixte, que l’usage en vigueur à l’Ordre des avocats n’impliquait pas l’accord pour des honoraires de résultat et, partant, que la somme de 4 809 312 francs versée par le Syndicat mixte le 23 juin 1993 devait être restituée par la société requérante.
Dans son arrêt, la cour d’appel considéra en outre que la phrase « En toute hypothèse, ici, on observera qu’il n’est nul besoin de raisonner sur l’hypothèse d’un honoraire de résultat sans convention car les conventions existent » dans les conclusions prises par la société requérante le 14 février 1996 signifiait que cette dernière entendait seulement se prévaloir d’une convention d’honoraires de résultat et n’entendait pas faire valoir, serait-ce à titre subsidiaire, que de tels honoraires puissent être dus sans convention. Pour la cour d’appel de Versailles, les prétentions subsidiaires ne tendaient dès lors qu’à une réévaluation d’honoraires calculés au temps passé, prétentions qu’elle rejeta.
La société requérante forma un pourvoi en cassation. Dans son mémoire ampliatif, elle critiqua notamment l’argument tiré de la constitution en cours de procédure d’une nouvelle personne juridique, ce qui avait entraîné l’inopposabilité de la convention d’honoraires, et contesta son abandon prétendu du moyen tiré de l’honoraire hors convention, invoquant également les dispositions de l’article 631 du nouveau code de procédure civile aux termes duquel l’instruction est reprise en l’état de la procédure non atteinte par la cassation devant la juridiction de renvoi.
Le 18 novembre 1999, la première chambre civile de la Cour de cassation tint une audience publique, en présence notamment de Mme Delaroche, conseiller rapporteur, et des avocats aux Conseils des parties qui présentèrent des observations orales.
Par arrêt du 15 décembre 1999, la Cour de cassation rejeta le pourvoi dans les termes suivants :
« Attendu, d’abord, que la cour d’appel a relevé qu’aucune des collectivités publiques regroupées en 1980 dans le Syndicat mixte n’avait auparavant, en tant que telle et dans les formes de droit, exprimé un accord sur les modalités proposées pour la fixation des honoraires par le projet de convention établi en octobre 1978 par la SCP d’avocats ; qu’elle a encore relevé que la constitution d’associations dites « comités de coordination et de vigilance » n’avait pu fournir à cette SCP un interlocuteur avec qui contracter afin d’engager chacune des communes ou personnes publiques qui y adhéraient ; qu’elle a ainsi retenu, à bon droit, que le Syndicat mixte, personne morale nouvelle, n’avait pas eu à reprendre, lors de sa constitution en 1980, des engagements d’honoraires qui n’avaient pas été pris par les personnes publiques qu’il a rassemblées ; qu’ensuite, après avoir constaté que seule la convention du 4 septembre 1980, stipulant une rémunération horaire, liait les parties, elle a, pour écarter la possibilité « d’honoraires complémentaires » évoquée dans une correspondance dont il était dit qu’elle corroborerait une acceptation de ces honoraires, souverainement estimé qu’une telle acceptation n’était pas établie ; que sans dénaturer les conclusions invoquées, ni méconnaître les exigences de l’article 631 du nouveau Code de procédure civile, elle a, souverainement encore, considéré que la prétention subsidiairement formulée par la SCP d’avocats ne tendait qu’à une réévaluation d’honoraires calculés au temps passé ; qu’elle a relevé, sur ce point, d’une part, que les avocats eux-mêmes avaient déclaré, dès 1986, avoir minimisé volontairement leurs heures de cabinet dans l’intérêt du syndicat, ce, selon les conventions conclues, et, d’autre part, que la correspondance échangée excluait toute réévaluation ; qu’ainsi, la cour d’appel a légalement justifié sa décision disant n’y avoir lieu ni à paiement d’un honoraire de résultat, ni à autre réévaluation d’honoraires (...) » .
GRIEFS
1.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent :
- d’un manque d’impartialité de la Cour de cassation ayant statué le 15 décembre 1999, d’une part, en ce que le conseiller rapporteur, domicilié à Quarantec, commune voisine de celle de Ploudalmézeau, lieu du siège social du Syndicat mixte financé par les cotisations des communes membres, aurait eu un intérêt au litige en sa qualité de contribuable et, d’autre part, en ce que ce magistrat, admis à faire valoir ses droits à la retraite, aurait néanmoins été spécialement appelé à siéger le 18 novembre 1999, date à laquelle la Cour de cassation examina l’affaire ;
- de l’absence de communication du rapport du conseiller rapporteur de la Cour de cassation durant la procédure ayant abouti à l’arrêt du 15 décembre 1999 et ce, malgré les demandes de leur avocat aux Conseils ;
- d’une erreur manifeste d’appréciation de la cour d’appel de Versailles dans son arrêt du 29 mai 1996 et de la Cour de cassation dans sa décision du 15 décembre 1999, dans la mesure où elles auraient considéré que la société requérante avait renoncé à voir taxer ses honoraires de résultat hors convention, demande pourtant soumise au bâtonnier en première instance ;
- d’une atteinte à l’égalité des armes en raison de l’application rétroactive de la loi de 1991 régissant la profession d’avocat, avec pour conséquence d’exiger d’une partie au procès de produire une convention d’honoraires écrite alors qu’un document écrit n’était pas requis par le droit interne à l’époque des faits.
2.  Invoquant l’article 8 de la Convention, ils estiment avoir été privés d’une juste rémunération au regard de l’importance du travail accompli.
EN DROIT
1.  Les requérants se plaignent d’un manque d’impartialité de la Cour de cassation ayant statué le 15 décembre 1999 en raison de la situation personnelle du conseiller rapporteur, ainsi que de l’absence de communication du rapport de ce même conseiller rapporteur. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
La Cour doit d’abord examiner si les personnes physiques requérantes peuvent se prétendre victimes, au sens de l’article 34 de la Convention, d’une violation de ses dispositions, compte tenu de l’existence d’une personne morale constituée pour l’exercice de leur profession d’avocats. A cet égard, la Cour note que la procédure interne et les décisions rendues par les juridictions nationales ne concerne que la société civile professionnelle (S.C.P.) Huglo, Lepage et Associés, Conseil. Une telle entité est dotée de la personnalité juridique.
Or la Cour rappelle qu’elle n’estime justifié de lever le « voile social » ou de faire abstraction de la personnalité juridique d’une société que dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsqu’il est clairement établi que celle-ci se trouve dans l’impossibilité de saisir par l’intermédiaire de ses organes statutaires ou - en cas de liquidation - par ses liquidateurs les organes de la Convention (Agrotexim et autres c. Grèce, arrêt du 24 octobre 1995, série A no 330-A, p. 25, § 66 ; Paparatti et autres c. Italie (déc.), nos 37196/97, 37198/97, 37199/97, 37200/97, 37202/97, 37203/97, 37204/97, 37205/97 et 37208/97, 1er juin 1999). Tel n’est pas le cas en l’espèce, la société requérante, qui est en activité, ayant agi devant la Cour par l’intermédiaire de son représentant légal, Me Christian Huglo.
A la lumière des considérations qui précèdent, la Cour est d’avis que Mes Huglo et Lepage, pris individuellement, ne sauraient être considérés comme ayant la qualité pour agir devant elle. Il s’ensuit que la requête, en ce qui les concerne à titre personnel, est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention et doit être rejetée conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
S’agissant de la société requérante, qui a qualité pour agir, en l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité du grief et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.
2.  La requérante se plaint également, au regard de l’article 6 § 1, d’une part, d’une erreur manifeste d’appréciation de la cour d’appel de Versailles puis de la Cour de cassation et, d’autre part, d’une atteinte à l’égalité des armes en raison de l’application rétroactive de la loi de 1991 régissant la profession d’avocat.
La Cour rappelle que le droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, englobe, entre autres, le droit des parties au procès à présenter les observations qu’elles estiment pertinentes pour leur affaire. La Convention ne visant pas à garantir des droits théoriques ou illusoires mais des droits concrets et effectifs (Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980, série A no 37, p. 16, § 33), ce droit ne peut passer pour effectif que si ces observations sont vraiment « entendues », c’est-à-dire dûment examinées par le tribunal saisi. Autrement dit, l’article 6 implique notamment, à la charge du « tribunal », l’obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence (voir les arrêts Van de Hurk c. Pays-Bas du 19 avril 1994, série A no 288, p. 19, § 59 et Dulaurans c. France du 21 mars 2000, no 34553/97, § 33).
Cependant, la Cour rappelle également qu’il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (voir, entre autres, Garcia Ruiz c. Espagne, arrêt du 21 janvier 1999, Recueil des arrêts et décisions 1999-I, § 28).
Or, la Cour estime, au vu des circonstances de l’espèce, dans la mesure où elle est compétente pour connaître de ces griefs, qu’il n’a pas été porté atteinte aux dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention. En particulier, s’agissant de la prétendue erreur manifeste d’appréciation quant à l’une des prétentions de la requérante, elle constate qu’il ne s’agit ni d’une erreur ni d’une omission de la cour d’appel de Versailles et de la Cour de cassation (voir, a contrario, Fouquet c. France, arrêt du 31 janvier 1996, Recueil 1996-I, avis de la Commission, p. 29, § 37), mais au contraire d’une appréciation portée par ces juridictions sur les conclusions de la requérante, la Cour de cassation répondant même aux observations développées par l’avocat aux Conseils de la requérante sur ce point précis, en jugeant que la cour d’appel n’avait ni dénaturé les conclusions, ni méconnu les dispositions de l’article 631 du nouveau code de procédure civile.
Pareillement, la prétendue rétroactivité dans l’application de la loi de 1991 ne résulte que d’une interprétation de la société requérante et ne révèle pas, selon la Cour, une atteinte aux droits et libertés garantis par la Convention. La Cour rappelle au surplus qu’en principe le pouvoir législatif n’est pas empêché de réglementer en matière civile, par de nouvelles dispositions à portée rétroactive, des droits découlant de lois en vigueur (Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres c. France [GC], nos 24846/94 et 34165/96 à 34173/96, § 57, CEDH 1999-VII)
Il s’ensuit que les griefs doivent dès lors être rejetés comme étant manifestement mal fondés, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
3.  La requérante estime enfin avoir été privée d’une juste rémunération au regard de l’importance du travail accompli. Aux termes de l’article 8 de la Convention :
« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
La Cour note que le grief de la requérante ne porte que sur sa rémunération, qu’elle estime insuffisante au regard du travail effectivement accompli. Or la question de la contestation de la rémunération d’un avocat par son client ne relève pas du domaine de la vie privée et familiale, du domicile ou de la correspondance au sens de l’article 8 de la Convention. En tout état de cause, il s’agit d’un litige entre particuliers qui échappe dès lors à la compétence de la Cour.
Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et doit être rejeté conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Ajourne l’examen des griefs de la société requérante tirés d’un manque d’impartialité de la Cour de cassation ayant statué le 15 décembre 1999 en raison de la situation personnelle du conseiller rapporteur, ainsi que de l’absence de communication du rapport de ce même conseiller rapporteur ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
S. Dollé A.B. Baka   Greffière Président
DÉCISION HUGLO LEPAGE & ASSOCIES SCP c. FRANCE
DÉCISION HUGLO LEPAGE & ASSOCIES SCP c. FRANCE 


Synthèse
Formation : Cour (deuxième section)
Numéro d'arrêt : 59477/00
Date de la décision : 11/02/2003
Type d'affaire : Decision (Partielle)
Type de recours : Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE CIVILE, (Art. 6) PROCEDURE CONSTITUTIONNELLE


Parties
Demandeurs : SCP HUGLO, LEPAGE & ASSOCIES et AUTRES
Défendeurs : la FRANCE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2003-02-11;59477.00 ?
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