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13/02/2003 | CEDH | N°37721/97

CEDH | AFFAIRE ERKANLI c. TURQUIE


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ERKANLI c. TURQUIE
(Requête no 37721/97)
ARRÊT
(Règlement amiable)
STRASBOURG
13 février 2003
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Erkanlı c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
M. J.-P. Costa, président,   M. A.B. Baka,   M. Gaukur Jörundsson,   M. R. Türmen,   M. K. Jungwiert,   M. V. Butkevych,   Mme W. Thomassen, juges,  et de  M T. L. Early, greffier a

djoint de section,  Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 janvier 2003,
Rend l'arrêt que voici, ad...

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ERKANLI c. TURQUIE
(Requête no 37721/97)
ARRÊT
(Règlement amiable)
STRASBOURG
13 février 2003
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Erkanlı c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
M. J.-P. Costa, président,   M. A.B. Baka,   M. Gaukur Jörundsson,   M. R. Türmen,   M. K. Jungwiert,   M. V. Butkevych,   Mme W. Thomassen, juges,  et de  M T. L. Early, greffier adjoint de section,  Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 janvier 2003,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 37721/97) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Ahmet Erkanlı (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 30 juin 1997 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représenté devant la Cour par M. E. Cinmen, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Erdoğan İşcan, ministre plénipotentiaire, directeur général adjoint pour le Conseil de l'Europe et les Droits de l'Homme.
3.  Le requérant alléguait avoir été victime d'une violation de l'article 10 de la Convention en ce qu'il a été condamné au pénal sur la base d'une caricature qu'il avait dessinée.
4.  L'affaire a été transférée à la Cour le 1er novembre 1998 en vertu de l'article 5 § 2 du Protocole no 11 à la Convention. La présente requête été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement).
5.  A la suite de la communication de la requête au Gouvernement, le 25 juin 2002, et après avoir recueilli les observations des parties, la Cour a déclaré la requête recevable.
6.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
7.  Le 28 août 2002, après un échange de correspondance, la greffière a proposé aux parties la conclusion d'un règlement amiable au sens de l'article 38 § 1 b) de la Convention. Les 12 septembre 2002 et 20 novembre 2002 respectivement, le requérant et le Gouvernement ont présenté des déclarations formelles d'acceptation d'un règlement amiable de l'affaire.
EN FAIT
8.  Citoyen turc, le requérant est né en 1953 et réside à Istanbul.
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
9.  Une caricature signée par le requérant fut publiée à la page six du numéro du 19 janvier 1995 du quotidien Özgür Ülke (« pays libre »). La caricature exposait un homme en uniforme avec une torche allumée dans une main, qui, s'adressant à trois paysans pauvres grelottant sous la neige, s'exclamait « N'attendez pas tout de l'Etat, putain ! Incendiez donc votre village vous-même...vous voyez bien que l'Etat ne peut pas se charger de tout... » Sur le fond, étaient dessinées des maisons incendiées et détruites. Une copie de la caricature, avec sa traduction, se trouve en annexe.
10.  A une date non précisée, une action publique fut intentée devant la cour d'assises d'Istanbul (« cour d'assises ») contre le requérant et M.Y.E., éditrice du quotidien, en vertu de l'article 159 § 1 du code pénal, pour avoir outragé et vilipendé la République par voie de publication.
11.  Le quotidien Özgür Ülke cessa de paraître au cours de la procédure.
12.  Devant la cour d'assises, le requérant, qui n'était pas assisté d'un avocat, réfuta les accusations. Il souligna que l'incendie et la destruction des villages était un fait mentionné dans les déclarations publiques de plusieurs ministres et députés et qu'il s'était basé sur ces déclarations. Il présenta à la cour des coupures de journaux attestant ses allégations.
13.  Par un arrêt du 22 septembre 1995, la cour d'assises déclara les deux intéressés coupables du délit incriminé et les condamna à dix mois d'emprisonnement. Elle convertit la peine de M.Y.E. en amende.
14.  Dans les attendus de son arrêt, la cour d'assises décrivit la caricature litigieuse et indiqua :
(...) « Il est exact que des allégations de l'incendie de certains villages lors des opérations militaires dans la région du sud-est ont déjà été publiées, aussi bien dans la presse écrite qu'à la télévision, et ces allégations ont même été exprimées à l'Assemblée nationale. Cependant, la caricature litigieuse ne se borne pas à reproduire lesdites allégations. En effet, dans la caricature en question, une image saisissante, illustrant un Etat qui incendie les villages est présentée aux lecteurs. L'Etat est ainsi outragé et vilipendé par le biais de cette caricature (... )».
15.  Le 27 septembre 1995, le requérant se pourvut en cassation contre ledit arrêt.
16.  Par un arrêt du 16 janvier 1997, la Cour de cassation confirma l'arrêt de la cour d'assises.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
17.  L'article 159 § 1 du code pénal dispose :
« Quiconque insulte ou vilipende publiquement la nation, la République, la Grande Assemblée nationale, la personnalité morale du gouvernement, les ministères, les forces militaires, ou bien la défense ou la sûreté de l'Etat, ou la personnalité morale du pouvoir judiciaire, sera puni d'un à six ans de réclusion. »
III.  DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA RÉSOLUTION INTÉRIMAIRE DU COMITÉ DES MINISTRES No (106) SUR LES ATTEINTES A LA LIBERTÉ D'EXPRESSION EN TURQUIE
18.  Par la résolution précitée adoptée le 23 juillet 2001, se référant aux arrêts rendus par la Cour et à la Résolution intérimaire DH(99)560 du 8 octobre 19991 adoptée à l'occasion du rapport de la Commission européenne des Droits de l'Homme dans l'affaire no 25658/94 concernant la Turquie en matière de liberté d'expression, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a rappelé que :
« (...) dans toutes ces affaires, la Cour ou le Comité des Ministres ont notamment constaté que les condamnations pénales des requérants, en raison de déclarations contenues dans des articles, des livres, des brochures ou des messages adressés ou préparés pour le public, avaient enfreint leur liberté d'expression, garantie par l'article 10 de la Convention ;
Ayant été informé d'un programme important de réformes qui a été établi en vue de mettre, à bref terme, le droit et la pratique turcs en conformité avec les exigences de la Convention en matière de liberté d'expression, afin de prévenir de nouvelles violations semblables à celles constatées dans ces affaires ; (...) ».
19.  Dans cette résolution, considérant que, dans la plupart de ces affaires, les condamnations figurent toujours dans le casier judiciaire des requérants et que des restrictions de leurs droits civils et politiques restent en vigueur, le Comité de Ministres a, à nouveau, invité le Gouvernement turc à se conformer aux arrêts de la Cour, y compris par l'adoption de mesures individuelles mettant un terme aux violations constatées et effaçant autant que possible leurs conséquences, en vertu de l'article 46 § 1 de la Convention, et a encouragé les autorités turques à mener à bien les réformes globales envisagées pour rendre le droit turc conforme aux exigences de l'article 10 de la Convention.
EN DROIT
20.  Le 12 septembre 2002, la Cour a reçu la déclaration suivante, signée par le requérant :
«1.  Je note que le gouvernement de la République de Turquie offre de me verser, à titre gracieux, la somme de 8.300 euros en guise de règlement amiable de ma requête enregistrée sous le numéro 37721/97. Exonérée de tous impôts éventuellement applicables, cette somme, qui couvre également les frais et dépens afférents à la cause, sera versée en euros, dans les trois mois de l'arrêt rendu par la Cour conformément à l'article 39 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, sur un compte bancaire que j'aurai indiqué.
2.  J'accepte cette proposition et renonce par ailleurs à toute autre prétention à l'encontre de la Turquie à propos des faits à l'origine de ladite requête. Je déclare  l'affaire définitivement réglée.
3.  La présente déclaration s'inscrit dans le cadre du règlement amiable auquel le Gouvernement et moi-même sommes parvenus.
4.  En outre, je m'engage à ne pas demander, après l'intervention de l'arrêt de la Cour, le renvoi de l'affaire à la Grande Chambre rendu possible par l'article 43 § 1 de la Convention. »
21.  Le 22 novembre 2002, la Cour a reçu du Gouvernement la déclaration suivante :
« 1.  Les condamnations de la Turquie prononcées par la Cour dans les affaires concernant les poursuites engagées en vertu de la législation pénale, avec des chefs d'inculpation comparables, en substance, à ceux retenus contre M. Erkanlı, font clairement apparaître que le droit et la pratique turcs doivent d'urgence être mis en conformité avec les exigences résultant de l'article 10 de la Convention. L'ingérence incriminée dans le cas d'espèce en constitue une illustration supplémentaire.
2.  Le Gouvernement se réfère aux mesures individuelles visées dans la Résolution intérimaire adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe le 23 juillet 2001 (RésDH(2001)106), qu'il appliquera dans les circonstances telles que celles qui caractérisent la présente espèce.
3.   Je déclare que le gouvernement de la République de Turquie offre de verser au requérant, à titre gracieux, la somme de 8.300 (huit mille trois cents) euros en guise de règlement amiable de sa requête enregistrée sous le numéro 37721/97. Exonérée de tous impôts éventuellement applicables, cette somme, qui couvre également les frais et dépens afférents à la cause, sera versée en euros, dans les trois mois de l'arrêt rendu par la Cour conformément à l'article 39 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, sur un compte bancaire indiqué par le requérant et/ou son représentant dûment autorisé. Le versement vaudra règlement définitif de l'affaire.
4.  Enfin, le Gouvernement s'engage à ne pas demander, après l'intervention de l'arrêt de la Cour, le renvoi de l'affaire à la Grande Chambre rendu possible par l'article 43 § 1 de la Convention. »
22.  La Cour prend acte du règlement amiable auquel les parties ont abouti (article 39 de la Convention). Elle observe que le gouvernement défendeur s'engage à verser une somme d'argent au requérant, à opérer toutes les modifications du droit et de la pratique internes nécessaires pour mettre le droit turc en conformité avec les exigences de la Convention en matière de liberté d'expression et à adopter, afin d'effacer rapidement et intégralement les conséquences de la condamnation du requérant, les mesures individuelles visées dans la Résolution intérimaire adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe le 23 juillet 2001 (RésDH(2001)106).
23.  Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que le règlement amiable intervenu s'inspire du respect des droits de l'homme tels que les reconnaissent la Convention ou ses Protocoles (articles 37 § 1 in fine de la Convention et 62 § 3 du règlement).
24.  Partant, il convient de rayer l'affaire du rôle.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Décide de rayer l'affaire du rôle ;
2.  Prend acte de l'engagement des parties de ne pas demander le renvoi de l'affaire à la Grande Chambre.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 février 2003 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
T. L. Early J.-P. Costa   Greffier adjoint Président
1.  Voir Incal c. Turquie du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV ; Arslan c. Turquie [GC], no 23462/94 ; Başkaya et Okçuoğlu c. Turquie [GC], nos 23536/94 et 24408/94, CEDH 1999-IV ; Ceylan c. Turquie [GC], no 23556/94, CEDH 1999-IV ; Erdoğdu et İnce c. Turquie [GC], nos 25067/94 et 25068/94, CEDH 1999-IV ; Gerger c. Turquie [GC], no 24919/94 ; Karataş c. Turquie [GC], no 23168/94, CEDH 1999-IV ; Okçuoğlu c. Turquie [GC], no 24246/94 ; Polat c. Turquie [GC], no 23500/94 ; Sürek et Özdemir c. Turquie [GC], nos 23927/94 et 24277/94 ; Sürek c. Turquie (no 2) [GC], no 24122/94 ; Sürek c. Turquie (no 4) [GC], no 24762/94 ; Öztürk c. Turquie [GC], no 22479/93, CEDH 1999-VI ; Özgür Gündem c. Turquie, no 23144/93, CEDH 2000-III ; Erdoğdu c. Turquie, no 25723/94, CEDH 2000-VI ; Şener c. Turquie, no 26680/95 et İbrahim Aksoy c. Turquie, nos 28635/95, 30171/96 et 34535/97.
ARRÊT ERKANLI c. TURQUIE (RÈGLEMENT AMIABLE)
ARRÊT ERKANLI c. TURQUIE (RÈGLEMENT AMIABLE) 


Synthèse
Formation : Cour (deuxième section)
Numéro d'arrêt : 37721/97
Date de la décision : 13/02/2003
Type d'affaire : Arrêt (Radiation du rôle)
Type de recours : Radiation du rôle (règlement amiable)

Analyses

(Art. 10-1) LIBERTE D'EXPRESSION


Parties
Demandeurs : ERKANLI
Défendeurs : TURQUIE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2003-02-13;37721.97 ?
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