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11/03/2003 | CEDH | N°35640/97

CEDH | AFFAIRE LESNIK c. SLOVAQUIE


QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE LEŠNÍK c. SLOVAQUIE
(Requête no 35640/97)
ARRÊT
STRASBOURG
11 mars 2003
DÉFINITIF
11/06/2003
En l’affaire Lešník c. Slovaquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,   M. M. Pellonpää,   Mme V. Strážnická,   MM. M. Fischbach,    R. Maruste,    S. Pavlovschi,    L. Garlicki, juges,  et de M. M. O’Boyle, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre d

u conseil les 17 décembre 2002 et 4 février 2003,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  ...

QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE LEŠNÍK c. SLOVAQUIE
(Requête no 35640/97)
ARRÊT
STRASBOURG
11 mars 2003
DÉFINITIF
11/06/2003
En l’affaire Lešník c. Slovaquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,   M. M. Pellonpää,   Mme V. Strážnická,   MM. M. Fischbach,    R. Maruste,    S. Pavlovschi,    L. Garlicki, juges,  et de M. M. O’Boyle, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 17 décembre 2002 et 4 février 2003,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 35640/97) dirigée contre la République slovaque et dont un ressortissant de cet Etat, M. Alexej Lešník (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 10 mars 1997 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant, qui avait été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, était représenté par Me J. Hrubala, avocat au barreau de Banská Bystrica. Le gouvernement slovaque (« le Gouvernement ») était représenté par son agent, M. P. Vršanský.
3.  Le requérant alléguait en particulier que son droit à la liberté d’expression avait été violé en raison de sa condamnation pour des propos tenus à l’égard d’un procureur.
4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 dudit Protocole).
5.  La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
6.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). Cette affaire a été attribuée à la quatrième section remaniée en conséquence.
7.  Par une décision du 8 janvier 2002, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.
8.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement). Après avoir consulté les parties, la chambre a décidé qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience consacrée au fond de l’affaire (article 59 § 2 in fine).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
9.  Né en 1940, le requérant réside à Košice. Il est homme d’affaires.
10.  Le 2 décembre 1991, il pria le parquet de Košice d’engager des poursuites contre H., un homme d’affaires de la République tchèque qu’il soupçonnait d’escroquerie. Sa demande fut examinée par diverses autorités, mais aucune procédure pénale ne fut engagée.
11.  Le 4 décembre 1992, le requérant porta plainte auprès de la police parce que deux inconnus avaient laissé à l’entrée de son appartement un message indiquant qu’ils lui briseraient les mains s’il ne « s’abstenait pas d’écrire ». Le 13 avril 1993, il déposa une nouvelle plainte auprès de la police au motif qu’un coup de feu avait été tiré à l’extérieur de chez lui et qu’une balle était entrée par la fenêtre. Il affirmait être harcelé pour avoir écrit des articles sur plusieurs anciens membres du parti communiste. Par la suite, il fut informé que la police n’avait pas pu identifier les auteurs de ces actes.
12.  Le 5 avril 1993, le requérant se plaignit auprès du chef du service des télécommunications de Košice que les conversations téléphoniques dans son agence fussent fréquemment interrompues depuis le remplacement du poste de standard. Il indiqua qu’avant la coupure il y avait dans le téléphone un bruit semblable à celui que l’on entendait autrefois quand les échanges téléphoniques étaient écoutés par la police secrète communiste. Il demandait qu’il fût remédié à ce dysfonctionnement.
13.  Le 10 juin 1993, un enquêteur de police diligenta des poursuites pénales à l’encontre de l’intéressé, soupçonné d’avoir volé des biens appartenant à H. Cette décision reposait sur une communication écrite émanant du procureur de district de Semily (République tchèque).
14.  Le 1er novembre 1993, le requérant pria le procureur régional de Košice de clore les poursuites engagées contre lui. Dans sa lettre, il affirmait sans fournir plus de précisions que l’enquêteur chargé de son affaire avait obtenu des renseignements sur lui en mettant illégalement son téléphone sur écoute. Il réclamait des poursuites contre X pour écoutes téléphoniques illégales.
15.  Le 6 décembre 1993, l’intéressé adressa à P., le procureur de district de Košice I, une lettre dans laquelle il déclarait notamment :
« Comme vous n’avez pas réussi, camarade procureur, à atteindre vos objectifs dans un domaine, vous vous employez énergiquement – suivant la pratique des [anciens] agents de la sécurité de l’Etat – à forger de toutes pièces une autre affaire [contre le requérant], ainsi que vous avez appris à le faire à l’époque de l’« infaillible » législation socialiste. En cette occasion, je puis toutefois vous assurer que je ne me suis pas incliné devant les hauts représentants de l’ancien système politique, en particulier les [anciens] agents de la sécurité de l’Etat, qui m’ont porté au moins autant d’attention que vous le faites à présent. Je n’ai pas l’intention de me laisser intimider aujourd’hui, surtout pas par des individus comme vous, qui avez un passé douteux ; sans parler de [vos] autres qualités (...)
Ce n’est pas seulement en raison de mon expérience passée de dirigeant d’une agence de détectives que j’ai du mal à vous associer avec l’objectivité, le professionnalisme et le respect de la loi. Permettez-moi donc de vous rappeler par la présente que vous aussi êtes tenu au respect de la loi, même si vous vous considérez probablement (...) comme un seigneur tout-puissant [de la montagne] des Tatras et de la [rivière] Váh, et donc comme intouchable, parce que vous êtes pour l’heure sous la protection du camarade [M.]. Enfreindre la loi pourrait vous attirer de gros ennuis. Pour le moment, je me contenterai de mentionner certaines irrégularités qui se passent de commentaires. »
16.  Dans sa lettre, le requérant ajoutait que le destinataire était responsable du rejet de sa plainte contre H. et de l’ouverture de poursuites contre lui-même en 1993, et qu’il avait illégalement ordonné la mise sur écoute de son téléphone.
17.  P. montra la lettre à son supérieur hiérarchique, le procureur régional de Košice. Dans une lettre du 17 mars 1994, ce dernier informa le requérant qu’il n’était pas établi que P. eût donné l’ordre de mettre sur écoute le téléphone de l’intéressé ou qu’il eût d’une autre manière agi illégalement.
18.  Dans l’intervalle, le 7 mars 1994, le requérant se plaignit auprès du procureur général que P. eût commis une infraction en abusant de ses pouvoirs. La lettre comportait notamment les passages suivants :
« [P.] a accueilli la demande de [l’avocat de H.] (...) visant à ce qu’il n’y eût pas de poursuites pénales contre [H.] en Slovaquie, alors même qu’il y avait suffisamment d’éléments à cet effet (...) Bien évidemment, l’argent versé par [H.] pour dissimuler ses actes frauduleux a joué un certain rôle dans cette affaire. Il semblerait donc approprié de rechercher si dans ce contexte [il n’y a pas eu corruption] (...)
A la suite d’une (...) menace (...) formulée (...) par un enquêteur du bureau d’instruction de Košice I dans le cadre de l’affaire de [H.] (...), je me suis rendu dans ce service le 10 juin 1993. Après que j’eus refusé un « accord » qui m’avait été proposé, [l’enquêteur], ancien agent de la sécurité de l’Etat, m’accusa d’avoir volé en 1991 [des biens appartenant à H.]. Ainsi, [P.], qui depuis 1991 refusait d’entamer une procédure contre [H.], s’est arrangé, par le biais d’un enquêteur de police facile à faire chanter, pour que des poursuites fussent engagées à mon encontre, et ce pour se venger des plaintes justifiées que j’avais déposées contre lui. [P.] a ainsi agi au mépris des [dispositions pertinentes du code de procédure pénale], puisqu’à ce jour (...) [les autorités compétentes] n’ont en leur possession aucun élément permettant de conclure avec suffisamment de certitude que j’aie volé quoi que ce soit à [H.]. Par la suite, je me suis rendu compte que mon téléphone, qui servait également à mon agence de détectives, avait été mis sur écoute, en violation de l’article 88 du code de procédure pénale. »
19.  A la demande de P., le parquet général accepta qu’une procédure pénale fût engagée contre le requérant pour outrage à un magistrat du parquet. L’affaire fut transmise à un procureur de Liptovský Mikuláš. Le 2 juin 1994, l’intéressé fut inculpé d’outrage à un fonctionnaire à raison du contenu des lettres susmentionnées des 6 décembre 1993 et 7 mars 1994.
20.  Dans une lettre datée du 5 septembre 1994 et adressée au parquet régional de Košice, le requérant estimait que le harcèlement dont il avait fait l’objet en 1992 et en 1993 avait eu pour objet de lui faire retirer sa plainte contre H. Il demandait l’ouverture d’une enquête.
21.  En septembre 1994, le journal Necenzurované noviny publia un article d’une tierce personne exposant en détail l’affaire du requérant. Intitulé « Comment la peste rouge opère en Slovaquie orientale », cet article citait des extraits des lettres en question. Les passages pertinents en sont les suivants :
« (...) C’est sur ce fondement que, le 2 juin 1994, le parquet de district de Liptovský Mikuláš entama des poursuites contre [le requérant]. Pour donner au lecteur une idée de ce qui est possible en [Slovaquie], je citerai le texte qui, selon le procureur [L.], constitue une infraction pénale.
Dans son message écrit adressé le 7 mars 1994 au procureur général de Bratislava, [le requérant] affirmait au sujet du [procureur P.] que dans l’affaire pénale concernant [H.] il avait délibérément procédé de manière injustifiée, de façon à « pouvoir assurer son ami [M.] de Košice, l’ancien président du tribunal de Košice – autrefois considéré comme un membre clé par le comité du parti communiste slovaque de cette ville et à présent avocat de [H.] –, qu’aucune procédure pénale ne serait engagée contre [H.] en Slovaquie, alors qu’il y avait suffisamment d’éléments à cet effet. Bien évidemment, l’argent versé par H. pour dissimuler ses actes frauduleux a joué un certain rôle dans cette affaire. Il semblerait donc approprié de rechercher si dans ce contexte les faits ne tombent pas sous le coup des articles 161 et 162 du code pénal [lesquels régissent la corruption] ».
Dans le même document, [le requérant] déclarait : « Par la suite, je me suis rendu compte que mon téléphone, qui servait également à mon agence de détectives privés, avait été mis sur écoute, en violation de l’article 88 du code de procédure pénale. »
Dans une lettre adressée au procureur [P.] le 6 décembre 1993, [le requérant] disait entre autres ceci : « Comme vous n’avez pas réussi, camarade procureur, à atteindre vos objectifs dans un domaine, vous vous employez énergiquement – suivant la pratique des [anciens] agents de la sécurité de l’Etat – à forger de toutes pièces une autre affaire [contre le requérant], ainsi que vous avez appris à le faire à l’époque de l’« infaillible » législation socialiste. En cette occasion, je puis toutefois vous assurer que je ne me suis pas incliné devant les hauts représentants de l’ancien système politique, en particulier les [anciens] agents de la sécurité de l’Etat, qui m’ont porté au moins autant d’attention que vous le faites à présent. Je n’ai pas l’intention de me laisser intimider aujourd’hui, surtout pas par des individus comme vous, qui avez un passé douteux ; sans parler de [vos] autres qualités (...) »
Dans la même lettre, [le requérant] poursuivait ainsi : « Ce n’est pas seulement en raison de mon expérience passée de dirigeant d’une agence de détectives que j’ai du mal à vous associer avec l’objectivité, le professionnalisme et le respect de la loi. Permettez-moi donc de vous rappeler par la présente que vous aussi êtes tenu au respect de la loi, même si vous vous considérez probablement (...) comme un seigneur tout-puissant [de la montagne] des Tatras et de la [rivière] Váh, et donc comme intouchable, parce que vous êtes pour l’heure sous la protection du camarade [M.]. Enfreindre la loi pourrait vous attirer de gros ennuis. Pour le moment, je me contenterai de mentionner certaines irrégularités qui se passent de commentaires. »
Ainsi, en raison de ces propos, le procureur [L.], sur instruction du [procureur général], engagea des poursuites contre [le requérant]. Toute personne honnête ne peut qu’être abasourdie face à la stupidité de pareille attitude. »
22.  Le 7 novembre 1994, le requérant déclara devant le procureur de Liptovský Mikuláš qu’il avait voulu critiquer P. pour ses fautes et non lui faire outrage. Par ailleurs, il précisa au procureur chargé de l’affaire qu’il n’avait écrit aucun article de presse sur la question mais avait simplement fourni les documents pertinents à l’auteur.
23.  Le 8 novembre 1994, le procureur régional de Košice présenta au parquet de district de Liptovský Mikuláš un document indiquant – avec renvoi au registre pertinent – que le procureur de district de Košice I n’avait pas ordonné la mise sur écoute du téléphone du requérant entre 1992 et 1994.
24.  Le 23 novembre 1994, devant le tribunal de district de Liptovský Mikuláš, le procureur de ce district inculpa le requérant d’outrage à un fonctionnaire. Le 25 novembre, la juridiction en question transmit l’affaire au tribunal de district de Košice I pour des raisons de compétence. Le procureur visé par les propos du requérant étant chargé de ce ressort, le tribunal régional de Košice attribua l’affaire au tribunal de district de Trebišov le 9 mars 1995.
25.  Le 25 avril 1995, cette dernière juridiction rendit une ordonnance pénale condamnant le requérant pour affront à un fonctionnaire, au motif qu’il avait fait outrage à un magistrat du parquet par le biais de ses lettres des 6 décembre 1993 et 7 mars 1994. Elle infligea à l’intéressé une peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis et un an de mise à l’épreuve.
26.  Le requérant interjeta appel de cette décision. L’affaire fut confiée à un autre juge. Le 25 juin 1996, le tribunal de district de Trebišov, se fondant sur l’article 156 § 3 du code pénal, déclara l’intéressé coupable d’outrage à un fonctionnaire et le condamna à une peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis et un an de mise à l’épreuve. La décision indiquait notamment que le requérant avait formulé dans ses lettres les allégations suivantes : le procureur avait délibérément agi de façon irrégulière en ce qui concerne la demande formée par l’intéressé en 1991 en vue du déclenchement de poursuites contre H. ; le procureur avait agi ainsi à la demande de l’avocat représentant H. ; H. avait versé une certaine somme à cet effet. Le tribunal de district relevait également que le requérant avait accusé P. de ne pas avoir voulu reconnaître le bien-fondé de sa plainte, d’avoir ordonné le déclenchement d’une procédure pénale à son encontre et d’avoir fait placer son téléphone sur écoute.
27.  De plus, selon le jugement, l’intéressé n’avait pas démontré que le procureur en question eût agi au mépris de la loi. En conclusion, les propos du requérant étaient donc diffamatoires et extrêmement offensants.
28.  Le tribunal de district écarta le moyen de défense de l’intéressé selon lequel le seul objet de ses lettres était d’obtenir un traitement adéquat de sa demande en vue du déclenchement de poursuites contre H. Le tribunal relevait qu’outre les deux lettres en question le requérant avait envoyé un nombre considérable d’autres plaintes sur le même sujet, mais que celles-ci ne contenaient pas de remarques diffamatoires ou offensantes. Tant le parquet régional de Košice que le parquet général avaient examiné les plaintes de l’intéressé, qu’ils avaient rejetées pour défaut de fondement.
29.  Le requérant interjeta appel, à la fois personnellement et par le biais de son avocat. Il affirmait qu’il avait tenu les propos litigieux à seule fin d’éviter de nouveaux retards dans la procédure afférente à sa plainte de 1991, et non de heurter P. Selon lui, les déclarations en question n’étaient pas offensantes et ne constituaient pas une infraction.
30.  Le 24 septembre 1996, le tribunal régional de Košice rejeta l’appel après avoir entendu l’intéressé et l’avoir prié d’étayer ses allégations.
31.  Le tribunal régional estima que les déclarations du requérant contenues dans les lettres des 6 décembre 1993 et 7 mars 1994 outrageaient gravement et sans justification un magistrat du parquet. La décision observait en particulier que l’intéressé n’avait pas apporté d’éléments à l’appui de son accusation selon laquelle H. avait versé une somme d’argent pour échapper à des poursuites et répétait que le parquet général n’avait pas établi que P. eût agi de manière illégale sur ce point ou un autre.
32.  Le tribunal régional jugea par ailleurs diffamatoires et extrêmement offensants les propos du requérant selon lesquels le procureur avait procédé suivant la pratique des anciens agents de la sécurité de l’Etat, avait un passé douteux, sans parler de ses autres qualités, et se considérait peut-être comme un seigneur tout-puissant de la montagne des Tatras et de la rivière Váh et comme une personne « intouchable ».
33.  De l’avis du tribunal régional, le requérant n’avait pas démontré être fondé à tenir de tels propos. Le tribunal ne retint pas l’argument de l’intéressé selon lequel il avait des doutes quant au passé et aux qualités du procureur parce que celui-ci avait étudié le droit socialiste, n’avait pas donné suite à sa plainte de 1991 et avait engagé des poursuites contre lui.
34.  Le tribunal régional soulignait dans sa décision que rien n’empêchait le requérant de solliciter auprès des autorités compétentes réparation des actes de P. qu’il jugeait inappropriés ou illégaux. Le tribunal estimait néanmoins qu’en formulant des remarques diffamatoires et offensantes l’intéressé avait commis un affront à l’encontre d’un fonctionnaire, au sens de l’article 156 § 3 du code pénal. Le tribunal régional confirma la peine infligée au requérant par le tribunal de district.
35.  Le 28 octobre 1996, le bureau de district de Košice IV annula la licence commerciale qui autorisait notamment l’intéressé à diriger une agence de détectives, ce au motif qu’il avait été condamné. Le 12 décembre 1996, le bureau régional de Košice rejeta l’appel du requérant contre cette décision.
36.  Le 4 juin 1997, le tribunal régional de Košice annula les décisions administratives relatives au retrait de la licence commerciale du requérant et renvoya l’affaire au bureau régional de Košice. Il observait que les deux autorités administratives ayant statué à un niveau inférieur avaient pris leurs décisions respectives sans base légale.
37.  Par une décision du 18 novembre 1997, le tribunal de district de Trebišov prit acte du fait que l’intéressé n’avait commis aucune infraction durant la période de mise à l’épreuve et déclara qu’il fallait le considérer comme n’ayant pas été condamné.
38.  Au 1er janvier 1998, le droit pertinent fut modifié de telle sorte que les personnes souhaitant diriger une agence de sécurité privée devaient désormais obtenir l’accord de la direction de la police. Le requérant ne sollicita pas cet agrément et, le 3 juin 1998, restitua au bureau de district de Košice IV la licence commerciale du 7 janvier 1993 par laquelle il avait été autorisé à diriger une agence de détectives. Dans l’intervalle, le 18 février 1998, il s’inscrivit auprès des autorités compétentes en tant que dirigeant d’une autre entreprise. Il fournit un certificat selon lequel son casier judiciaire était vierge. Le 6 avril 1998, il reçut une nouvelle licence commerciale.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
39.  Selon l’article 156 § 3 du code pénal, toute personne qui formule à l’encontre d’un fonctionnaire des remarques extrêmement offensantes ou diffamatoires ayant trait à l’exercice par lui des pouvoirs de sa charge est punie d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an ou d’une amende.
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
40.  Le requérant se plaint de la violation de son droit à la liberté d’expression en ce qu’il fut condamné pour avoir critiqué les actes d’un magistrat du parquet qu’il jugeait illégaux. Il allègue la violation de l’article 10 de la Convention, qui en ses passages pertinents dispose :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques (...)
2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, (...) à la protection de la réputation ou des droits d’autrui (...) ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
A.  Sur l’existence d’une ingérence
41.  Il n’est pas contesté que la condamnation pour outrage à un fonctionnaire et la peine d’emprisonnement avec sursis dont le requérant a fait l’objet constituent une ingérence dans sa liberté d’expression telle que garantie par le paragraphe 1 de l’article 10. La Cour n’aperçoit aucune raison d’en juger autrement.
B.  Sur la justification de l’ingérence
42.  Pareille ingérence est contraire à l’article 10 de la Convention sauf si elle est « prévue par la loi », poursuit un ou des buts légitimes visés par le paragraphe 2 de l’article 10, et est « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre le ou les buts susmentionnés.
1.  « Prévue par la loi »
43.  Le requérant soutient qu’en dépit de divers amendements les dispositions respectives du code pénal et du code de procédure pénale promulgués en 1961 visent à harceler les citoyens. Pour cette raison, sa condamnation ne saurait selon lui passer pour légale.
44.  Le Gouvernement affirme que l’ingérence était conforme à l’article 156 § 3 du code pénal tel qu’en vigueur à l’époque considérée. Il estime que, s’agissant de déterminer si cette ingérence était « prévue par la loi », la date et les circonstances de cette promulgation n’entrent pas en ligne de compte.
45.  La Cour observe que l’ingérence litigieuse avait une base légale, à savoir l’article 156 § 3 du code pénal, et constate que l’application des dispositions pertinentes à la situation du requérant n’est pas allée au-delà de ce que l’on pouvait raisonnablement prévoir vu les circonstances. L’ingérence était donc prévue par la loi au sens de l’article 10 § 2 de la Convention. En ce qui concerne l’argument que l’intéressé tire de la nature du droit pénal slovaque, il porte pour l’essentiel sur le point de savoir si l’ingérence résultée de l’application du droit pertinent à la présente affaire était « nécessaire dans une société démocratique », question que la Cour examinera ci-dessous.
2.  But légitime
46.  Le requérant affirme que l’ingérence litigieuse ne poursuivait aucun but légitime dès lors qu’elle avait pour principal objet de justifier le manquement du procureur concerné à donner suite à sa plainte contre un tiers.
47.  D’après le Gouvernement, l’ingérence poursuivait le but légitime consistant à préserver la réputation et les droits du procureur dont il s’agit, et également le but que représente la protection de l’autorité et de l’impartialité du pouvoir judiciaire.
48.  La Cour fait observer que la procédure pénale engagée contre le requérant à raison de ses critiques à l’encontre de P. avait pour légitime but de protéger la réputation et les droits de ce dernier, et ce pour lui permettre d’exercer ses fonctions de procureur sans être indûment perturbé.
3.  « Nécessaire dans une société démocratique »
a)  Thèses des parties
49.  Le requérant affirme que l’ingérence n’était pas nécessaire dans une société démocratique. Il souligne en particulier que ses propos étaient des jugements de valeur ne se prêtant pas à une démonstration de leur exactitude, que leur objet n’était pas de faire offense au fonctionnaire concerné mais de critiquer les actions de ce dernier qu’il jugeait illégales, et qu’il n’avait ni publié ses lettres ni diffusé celles-ci auprès de tiers. Enfin, l’intéressé allègue que l’ingérence était disproportionnée dès lors qu’une peine d’emprisonnement lui avait été infligée et que sa licence commerciale avait été annulée à la suite de cette condamnation.
50.  Le Gouvernement rétorque que, dans les lettres susmentionnées, le requérant a prétendu que le procureur avait abusé de son autorité et agi de manière illégale. Or ces affirmations, formulées en dehors de tout débat sur des questions d’intérêt public, se sont révélées sans fondement. L’ingérence litigieuse était donc justifiée par un besoin social impérieux, à savoir la protection d’un fonctionnaire contre tout affront susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa réputation. Enfin, le Gouvernement soutient que les motifs invoqués par les juridictions internes étaient pertinents et suffisants, et que l’ingérence était proportionnée au but légitime poursuivi.
b)  Appréciation de la Cour
i.  Les principes applicables
51.  Selon la jurisprudence de la Cour (voir le rappel dans Janowski c. Pologne [GC], no 25716/94, §§ 30 et 33, CEDH 1999-I ; Nikula c. Finlande, no 31611/96, §§ 44 et 48, CEDH 2002-II, avec d’autres références), l’adjectif « nécessaire », au sens de l’article 10 § 2, implique l’existence d’un « besoin social impérieux ». Les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence d’un tel besoin, mais cette marge va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions appliquant celle-ci, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante. La Cour a donc compétence pour statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une « restriction » se concilie avec la liberté d’expression que protège l’article 10.
52.  Dans l’exercice de son pouvoir de contrôle, la Cour doit examiner l’ingérence critiquée à la lumière de l’ensemble de l’affaire, y compris la teneur des remarques reprochées au requérant et le contexte dans lequel elles ont été formulées. En particulier, il incombe à la Cour de déterminer si l’ingérence en question était « proportionnée aux buts légitimes poursuivis » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier sont « pertinents et suffisants ». Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l’article 10 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents.
53.  Certes, pour les fonctionnaires dans l’exercice de leurs pouvoirs, les limites de la critique admissible peuvent dans certains cas être plus larges que pour un simple particulier. Cependant, on ne saurait dire que les fonctionnaires s’exposent sciemment à un contrôle attentif de leurs faits et gestes exactement comme c’est le cas des hommes politiques et devraient dès lors être placés sur un pied d’égalité avec ces derniers lorsque leur comportement est critiqué. Qui plus est, les fonctionnaires doivent, pour s’acquitter de leurs fonctions, bénéficier de la confiance du public sans être indûment perturbés, et il peut dès lors se révéler nécessaire de les protéger contre des attaques verbales offensantes lorsqu’ils sont en service.
ii.  Application à l’espèce des principes susmentionnés
54.  Les procureurs sont des fonctionnaires dont la tâche est de contribuer à une bonne administration de la justice. A cet égard, ils font partie de l’ordre judiciaire au sens large de ce terme. Il est de l’intérêt général qu’ils jouissent, à l’instar des magistrats, de la confiance du public. Il peut donc être nécessaire que l’Etat les protège d’accusations infondées.
55.  Dans une société démocratique, les particuliers sont assurément en droit de formuler des commentaires et des critiques sur l’administration de la justice et les fonctionnaires qui y prennent part. Néanmoins, pareilles critiques ne doivent pas dépasser certaines limites. La Cour a déjà estimé que les autorités nationales sont en principe mieux placées pour assurer, dans le cadre de la marge d’appréciation qui leur est réservée, un juste équilibre entre les divers intérêts en jeu dans des affaires semblables à celle-ci.
56.  En l’espèce, l’ingérence dans l’exercice par le requérant de sa liberté d’expression est résultée de la conclusion des juridictions internes selon laquelle les propos qu’il avait tenus dans deux lettres datées respectivement du 6 décembre 1993 et du 7 mars 1994 avaient gravement outragé un procureur et ce sans justification. La tâche de la Cour consiste à rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les droits et les intérêts concurrents : d’une part, le droit du requérant à la liberté d’expression et, d’autre part, le droit du procureur à la protection de ses droits individuels. Plus spécialement, pour apprécier le caractère nécessaire de la mesure litigieuse, la Cour doit déterminer si les juridictions internes ont outrepassé ou non leur marge d’appréciation en condamnant le requérant.
57.  Certes, les propos tenus par ce dernier au sujet des qualités professionnelles et personnelles du procureur concerné peuvent être considérés comme des jugements de valeur ne se prêtant pas à une démonstration de leur exactitude ; cependant, la Cour relève que les lettres susmentionnées taxaient également le magistrat d’un comportement illicite et abusif. Ainsi, l’intéressé a notamment prétendu que le procureur avait illégalement refusé de reconnaître le bien-fondé de sa plainte, qu’il avait commis un abus de pouvoir lié à son implication dans des actes de corruption et dans la mise sur écoute illicite du téléphone du requérant. De l’avis de la Cour, ces allégations sont des affirmations de fait que les tribunaux internes ont à juste titre demandé à l’intéressé de corroborer par des éléments pertinents.
58.  Or les juridictions nationales ont constaté, après avoir examiné tous les éléments en leur possession, que ces déclarations factuelles étaient dénuées de fondement. La Cour ne dispose d’aucune information tendant à indiquer que cette conclusion était contraire aux circonstances de l’espèce ou arbitraire pour une autre raison. Les tribunaux ayant connu de l’affaire ont dûment examiné les conditions dans lesquelles les propos outrageants avaient été formulés et recherché si ces derniers pouvaient être justifiés, par exemple par la conduite du procureur en question. La Cour juge suffisants et pertinents les motifs exposés par les juridictions nationales au sujet des déclarations précitées du requérant, qui accusaient P. de fautes et d’infractions à la loi.
59.  Ces allégations étaient graves et furent formulées à diverses reprises. Elles étaient de nature à faire outrage au procureur, à l’atteindre dans l’exercice de ses fonctions et – s’agissant de la lettre adressée au parquet général – à nuire à sa réputation.
60.  Certes, en tenant les propos litigieux, l’intéressé entendait faire redresser par les autorités compétentes les actes de P. qu’il jugeait injustifiés ou illicites. A cet égard, la Cour observe néanmoins que le requérant avait tout loisir d’employer les moyens appropriés pour parvenir à ses fins (voir les paragraphes 28 et 34 ci-dessus, et également Tammer c. Estonie, no 41205/98, § 67, CEDH 2001-I, avec d’autres références).
61.  Les passages pertinents des lettres ayant par ailleurs été publiés dans un journal, il est concevable qu’ils aient ouvert la voie à un débat public. Dans ce contexte, la Cour doit tenir compte du fait que l’article en question avait été rédigé par un tiers et que les juridictions internes ne se sont pas fondées sur ce texte publié pour condamner l’intéressé. Néanmoins, le préjudice causé au procureur concerné par les déclarations factuelles dont le requérant ne pouvait prouver la véracité a certainement été accru dans une certaine mesure par la publication des lettres, à laquelle l’intéressé a somme toute contribué en fournissant les documents utiles à l’auteur de l’article (paragraphe 22 ci-dessus).
62.  En ce qui concerne l’argument du requérant selon lequel l’ingérence litigieuse était disproportionnée, notamment parce que sa licence commerciale lui fut retirée à la suite de sa condamnation, la Cour observe que le 4 juin 1997 le tribunal régional de Košice a annulé les décisions administratives pertinentes pour défaut de base légale. De plus, dans sa décision du 8 janvier 2002 sur la recevabilité de la présente requête, la Cour a rejeté le grief du requérant tiré de l’article 8 de la Convention à cet égard, en relevant que l’intéressé n’avait pas montré en quoi il avait subi un quelconque préjudice à raison des décisions de retrait de sa licence commerciale et qu’en tout état de cause il lui était loisible de demander réparation à ce titre en vertu de la loi de 1969 sur la responsabilité de l’Etat.
63.  Bien que la peine infligée au requérant (quatre mois d’emprisonnement avec sursis avec une mise à l’épreuve d’un an) ne soit pas négligeable en soi, la Cour note qu’elle se situe au bas de l’échelle des sanctions applicables.
64.  Eu égard aux considérations qui précèdent et au fait que les autorités nationales jouissent d’une certaine marge d’appréciation en la matière, la Cour estime que l’ingérence litigieuse n’était pas disproportionnée au but légitime poursuivi et peut passer pour « nécessaire » au sens de l’article 10 § 2 de la Convention.
65.  Dès lors, il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
Dit, par cinq voix contre deux, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 11 mars 2003, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Michael O’Boyle Nicolas Bratza   Greffier Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion dissidente commune à Sir Nicolas Bratza et M. Maruste.
N.B.  M.O’B.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE  À Sir NICOLAS BRATZA ET M. MARUSTE, JUGES
(Traduction)
Nous ne pouvons nous rallier à l’avis de la majorité de la chambre selon lequel les droits du requérant au regard de l’article 10 de la Convention n’ont pas été violés en l’espèce. A nos yeux, les poursuites à l’encontre de l’intéressé et la peine d’emprisonnement avec sursis qui a été infligée pour outrage à un magistrat du parquet, P., ne constituaient ni une réponse à un besoin social impérieux ni une mesure proportionnée à un quelconque but légitime poursuivi.
Comme la majorité, nous admettons que les propos litigieux étaient graves, puisqu’ils accusaient P. d’avoir abusé de ses pouvoirs de procureur et allaient jusqu’à lui imputer l’acceptation d’un dessous-de-table. Nous approuvons également le constat des juridictions internes selon lequel, d’une part, le requérant n’a pas prouvé la véracité des accusations qui, d’autre part, étaient outrageantes vis-à-vis de P.
Toutefois, contrairement à la majorité, nous attachons une importance majeure, voire décisive, au fait que les propos litigieux qui étaient au cœur des poursuites n’avaient pas été tenus dans les médias ni publiés d’une autre manière par l’intéressé à l’intention du public, mais figuraient dans deux lettres, la première adressée personnellement à P. lui-même et la seconde au procureur général, qui était le plus haut supérieur hiérarchique de P.
Dans plusieurs affaires (voir en particulier Janowski c. Pologne [GC], no 25716/94, CEDH 1999-I, et Nikula c. Finlande, no 31611/96, CEDH 2002-II), la Cour a observé qu’il peut se révéler nécessaire de protéger les fonctionnaires, y compris les procureurs, contre des attaques offensantes et diffamatoires visant à les atteindre dans l’exercice de leurs fonctions et à nuire à la confiance que le public place en eux et dans la charge qu’ils occupent. Néanmoins, toutes ces affaires concernaient des attaques publiques (écrites ou orales), et non, comme en l’espèce, des attaques formulées dans le cadre d’une correspondance privée adressée au fonctionnaire visé, cas de figure dans lequel les mêmes considérations ne nous semblent pas devoir s’appliquer. Non seulement les limites de la critique admissible sont plus larges pour un fonctionnaire que pour un simple particulier, mais les fonctionnaires doivent être prêts à tolérer pareilles critiques lorsqu’elles leur sont envoyées personnellement dans une correspondance privée, même si elles sont exprimées dans des termes offensants, durs et excessifs, et si elles consistent en des allégations graves et non fondées. Lorsque, comme en l’espèce, les allégations figurent dans une lettre personnelle adressée au fonctionnaire en question, le recours à des poursuites pénales ne peut être justifié au regard de l’article 10 de la 
Convention que dans des circonstances absolument exceptionnelles. Or, en l’espèce, nous n’observons pas de circonstances particulières de ce type.
Les mêmes observations valent pour les propos contenus dans la lettre envoyée au procureur général. En tant que supérieur hiérarchique de P., celui-ci était à notre avis l’autorité adéquate pour recevoir des plaintes sur la manière dont P. s’acquittait de ses fonctions et plus spécifiquement pour rechercher – ainsi que le requérant l’en priait – s’il y avait eu corruption. Un particulier doit en principe rester libre de se plaindre d’un fonctionnaire auprès du supérieur hiérarchique de ce dernier sans risquer des poursuites pour diffamation ou outrage, même lorsque ces plaintes reviennent à accuser une personne d’avoir commis une infraction, et même lorsque ces allégations s’avèrent gratuites après examen.
Il est vrai qu’en l’espèce le contenu des deux lettres est devenu public lorsqu’il a pour l’essentiel été reproduit dans un article écrit par un tiers et relatant avec précision l’affaire du requérant. Il est vrai également que l’intéressé a reconnu avoir fourni les documents pertinents à l’auteur de cet article. Toutefois, cet élément n’a à notre avis aucune importance vu les circonstances particulières de l’espèce. L’inculpation du requérant pour outrage à P. remonte à juin 1994, date antérieure à la publication de l’article, et portait exclusivement sur les lettres de l’intéressé datées des 6 décembre 1993 et 7 mars 1994. De plus, le fait que l’article ait donné une plus large publicité aux accusations n’a été mis en avant à aucun stade des procédures pénales qui visaient le requérant et se sont déroulées devant le tribunal de district et le tribunal régional ; cette publication n’a pas davantage été évoquée dans les décisions de l’une et l’autre juridiction, la condamnation du requérant et la peine qui lui fut infligée ayant reposé uniquement sur les deux lettres rédigées par lui.
Dans ces conditions, nous estimons qu’il y a eu une ingérence injustifiée dans la liberté d’expression du requérant.
ARRÊT LEŠNÍK c. SLOVAQUIE
ARRÊT LEŠNÍK c. SLOVAQUIE 
ARRÊT LEŠNÍK c. SLOVAQUIE – OPINION DISSIDENTE COMMUNE    À Sir NICOLAS BRATZA ET M. MARUSTE, JUGES


Synthèse
Formation : Cour (quatrième section)
Numéro d'arrêt : 35640/97
Date de la décision : 11/03/2003
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Non-violation de l'art. 10

Analyses

(Art. 10-1) LIBERTE D'EXPRESSION, (Art. 10-2) INGERENCE, (Art. 10-2) NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE, (Art. 10-2) PREVUE PAR LA LOI, (Art. 10-2) PROTECTION DE LA REPUTATION D'AUTRUI, (Art. 10-2) PROTECTION DES DROITS D'AUTRUI


Parties
Demandeurs : LESNIK
Défendeurs : SLOVAQUIE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2003-03-11;35640.97 ?
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