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27/03/2003 | CEDH | N°36813/97

CEDH | SCORDINO et AUTRES (n° 1) contre l'ITALIE


EN FAIT
Les requérants sont quatre ressortissants italiens, Giovanni, Elena, Maria et Giuliana Scordino, nés respectivement en 1959, 1949, 1951 et 1953 et résidant à Reggio de Calabre. D'abord désignés par les initiales G.S. et autres, les intéressés ont ensuite consenti à la divulgation de leur identité. Ils sont représentés devant la Cour par Me N. Paoletti, avocat à Rome.
A l'audience du 27 mars 2003, les requérants étaient en outre représentés par Me A. Mari, conseil. Le gouvernement défendeur était représenté par M. F. Crisafulli, coagent ad

joint.
A.  Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu...

EN FAIT
Les requérants sont quatre ressortissants italiens, Giovanni, Elena, Maria et Giuliana Scordino, nés respectivement en 1959, 1949, 1951 et 1953 et résidant à Reggio de Calabre. D'abord désignés par les initiales G.S. et autres, les intéressés ont ensuite consenti à la divulgation de leur identité. Ils sont représentés devant la Cour par Me N. Paoletti, avocat à Rome.
A l'audience du 27 mars 2003, les requérants étaient en outre représentés par Me A. Mari, conseil. Le gouvernement défendeur était représenté par M. F. Crisafulli, coagent adjoint.
A.  Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
1.  L'expropriation du terrain
En 1992, les requérants héritèrent de M. A. Scordino des terrains situés à Reggio de Calabre, enregistrés au cadastre (feuillet 111, parcelles 105, 107, 109 et 662).
Le 25 mars 1970, la municipalité de Reggio de Calabre avait adopté un plan général d'urbanisme, approuvé par la région de Calabre le 17 mars 1975.
Le terrain en cause dans la présente requête, d'une surface de 1 786 m2 et désigné comme la parcelle 109, était classé comme terrain constructible et faisait l'objet en vertu du plan d'urbanisme d'un permis d'exproprier en vue d'y construire des habitations.
En 1980, la municipalité de Reggio de Calabre décida que la société coopérative Edilizia Aquila procéderait aux travaux de construction sur ledit terrain. Par un arrêté du 13 mars 1981, l'administration autorisa la coopérative à occuper le terrain.
Le 30 mars 1982, en application de la loi no 385 de 1980, la municipalité de Reggio de Calabre offrit un acompte sur l'indemnité d'expropriation déterminée conformément à la loi no 865 de 1971. La somme offerte, à savoir 606 560 lires (ITL), était calculée selon les règles en vigueur pour les terrains agricoles, c'est-à-dire en prenant pour base une valeur de 340 ITL par mètre carré, sous réserve de la fixation de l'indemnisation définitive après l'adoption d'une loi établissant de nouveaux critères d'indemnisation pour les terrains constructibles.
L'offre fut refusée par A. Scordino.
Le 21 mars 1983, la région décréta l'expropriation du terrain.
Le 13 juin 1983, la municipalité présenta une deuxième offre d'acompte s'élevant à 785 000 ITL. Cette offre ne fut pas acceptée.
Par l'arrêt no 223 pris en 1983, la Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnelle la loi no 385 de 1980, au motif que celle-ci soumettait l'indemnisation à l'adoption d'une loi future.
En conséquence de cet arrêt, la loi no 2359 de 1865, selon laquelle l'indemnité d'expropriation d'un terrain correspondait à la valeur marchande de celui-ci, déploya de nouveau ses effets.
Le 10 août 1984, A. Scordino mit la municipalité en demeure de fixer l'indemnité définitive selon la loi no 2359 de 1865. Le 16 novembre 1989, il apprit que la municipalité de Reggio de Calabre, par un décret du 6 octobre 1989, avait fixé l'indemnité définitive à 88 414 940 ITL (50 000 ITL par mètre carré).
2.  La procédure engagée afin d'obtenir l'indemnité d'expropriation
Contestant le montant de cette indemnité, l'exproprié assigna le 25 mai 1990 la municipalité et la société coopérative devant la cour d'appel de Reggio de Calabre.
Il alléguait que le montant fixé par la municipalité était ridicule par rapport à la valeur marchande du terrain et demandait notamment que l'indemnité soit calculée conformément à la loi no 2359 de 1865. En outre, il demandait à être indemnisé pour la période d'occupation du terrain précédant le décret d'expropriation et réclamait une indemnité pour le terrain (1 500 m2) devenu inutilisable à la suite des travaux de construction.
La mise en état de l'affaire commença le 7 janvier 1991.
La coopérative se constitua dans la procédure et excipa de l'absence de qualité pour agir.
Le 4 février 1991, la municipalité ne s'étant toujours pas constituée, la cour d'appel de Reggio de Calabre déclara celle-ci défaillante et ordonna une expertise du terrain. Par une ordonnance du 13 février 1991, un expert fut nommé et un délai de trois mois lui fut fixé pour le dépôt de l'expertise.
Le 6 mai 1991, la municipalité se constitua dans la procédure et excipa de l'absence de qualité pour agir. L'expert accepta son mandat et prêta serment.
Le 4 décembre 1991, un rapport d'expertise fut déposé.
Le 8 août 1992 entra en vigueur la loi no 359 de 1992, qui prévoyait dans son article 5 bis de nouveaux critères pour calculer l'indemnité d'expropriation des terrains constructibles. Cette loi s'appliquait expressément aux procédures en cours.
A la suite du décès de A. Scordino, survenu le 30 novembre 1992, les requérants se constituèrent dans la procédure le 18 septembre 1993.
Le 4 octobre 1993, la cour d'appel de Reggio de Calabre nomma un nouvel expert et lui demanda de déterminer l'indemnité d'expropriation selon les critères introduits par l'article 5 bis de la loi no 359 de 1992.
L'expertise fut déposée le 24 mars 1994. Selon l'expert, la valeur marchande du terrain à la date de l'expropriation était de 165 755 ITL par mètre carré. Conformément aux critères introduits par l'article 5 bis de la loi no 359 de 1992, l'indemnité à verser était de 82 890 ITL par mètre carré.
A l'audience du 11 avril 1994, les parties demandèrent un délai pour présenter des commentaires sur l'expertise. L'avocat des requérants produisit une expertise et fit remarquer que l'expert désigné par la cour avait omis de calculer l'indemnité pour les 1 500 m2 non couverts par le décret d'expropriation mais qui étaient devenus inutilisables à la suite des travaux effectués.
L'audience pour la présentation des observations en réponse eut lieu le 6 juin 1994. L'audience suivante, fixée au 4 juillet 1994, fut reportée d'office au 3 octobre 1994, puis au 10 novembre 1994.
Par une ordonnance du 29 décembre 1994, la cour prescrivit un complément d'expertise et ajourna l'affaire au 6 mars 1995. Toutefois, l'audience fut reportée d'office à plusieurs reprises, le juge d'instruction étant indisponible. A la demande des requérants, ce dernier fut remplacé le 29 février 1996 et l'audience de présentation des conclusions eut lieu le 20 mars 1996.
Par un arrêt du 17 juillet 1996, la cour d'appel de Reggio de Calabre déclara que les requérants avaient droit à une indemnité d'expropriation calculée selon l'article 5 bis de la loi no 359 de 1992, tant pour le terrain formellement exproprié que pour celui devenu inutilisable à la suite des travaux de construction. La cour estima ensuite que, sur l'indemnité ainsi déterminée, il n'y avait pas lieu d'appliquer l'abattement ultérieur de 40 % prévu par la loi dans le cas où l'exproprié n'aurait pas conclu un accord de cession du terrain (cessione volontaria), étant donné qu'en l'espèce, au moment de l'entrée en vigueur de la loi, l'expropriation avait déjà eu lieu.
En conclusion, la cour d'appel ordonna à la municipalité et à la coopérative de verser aux requérants :
–  une indemnité d'expropriation de 148 041 540 ITL (82 890 ITL par mètre carré pour 1 786 m²) ;
–  une indemnité de 91 774 043 ITL (75 012,50 ITL par mètre carré pour 1 223,45 m²) pour la partie de terrain devenue inutilisable et qu'il fallait considérer comme étant de facto expropriée ;
–  une indemnité pour la période d'occupation du terrain ayant précédé l'expropriation.
Ces sommes devaient être indexées et assorties d'intérêts jusqu'au jour du paiement.
Le 20 décembre 1996, la coopérative se pourvut en cassation, faisant valoir qu'elle n'avait pas qualité pour agir. Les 20 et 31 janvier 1997, les requérants et la municipalité déposèrent leurs recours.
Le 30 juin 1997, la coopérative demanda la suspension de l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel. Cette demande fut rejetée le 8 août 1997.
Par un arrêt du 3 août 1998, déposé au greffe le 7 décembre 1998, la Cour de cassation accueillit le recours de la coopérative et reconnut qu'elle n'avait pas qualité pour agir, puisqu'elle n'était pas formellement partie à l'expropriation bien qu'elle en bénéficiât. Pour le reste, elle confirma l'arrêt de la cour d'appel de Reggio de Calabre.
La date à laquelle les requérants perçurent effectivement l'indemnité accordée n'est pas connue.
Conformément à la loi no 413 de 1991, l'indemnité litigieuse fut versée après déduction d'un impôt à la source de 20 %.
3.  Le recours Pinto
Le 18 avril 2001, les requérants déposèrent près la cour d'appel de Reggio de Calabre une demande d'indemnisation pour la durée de la procédure, conformément à la loi Pinto.
Les requérants sollicitaient la réparation du préjudice moral et du dommage matériel.
Par une décision du 1er juillet 2001, la cour d'appel de Reggio de Calabre accorda aux requérants une somme globale de 2 450 euros (EUR) au titre du dommage moral uniquement et procéda à la compensation des frais de procédure.
Par une lettre du 4 décembre 2002, les requérants firent savoir qu'eu égard à la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière, ils n'entendaient pas se pourvoir en cassation. Ils joignirent à leur lettre les deux arrêts de la Cour de cassation qui sont résumés dans la partie « Le droit et la pratique internes pertinents ».
B.  Le droit et la pratique internes pertinents
1.  Quant au grief tiré de la durée de la procédure
L'article 111 de la Constitution italienne, en ses passages pertinents, est ainsi libellé :
« 1.  La juridiction est exercée par le biais d'un procès équitable, régi par la loi.
2.  Chaque procès se déroule dans le respect des principes du contradictoire et de l'égalité des armes devant un juge tiers et impartial. La loi en garantit la durée raisonnable. »
Les dispositions pertinentes de la loi Pinto (loi no 89 de 2001) se lisent comme suit :
Article 2  (Droit à une satisfaction équitable)
« 1.  Toute personne ayant subi un préjudice patrimonial ou non patrimonial à la suite de la violation de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, ratifiée par la loi no 848 du 4 août 1955, du fait du non-respect du « délai raisonnable » prévu par l'article 6 § 1 de la Convention, a droit à une satisfaction équitable.
2.  Pour apprécier la violation, le juge prend en compte la complexité de l'affaire et, dans le cadre de celle-ci, le comportement des parties et du juge chargé de la procédure, ainsi que le comportement de toute autorité appelée à participer ou à contribuer à son règlement.
3.  Le juge détermine le montant de la réparation conformément à l'article 2056 du code civil, en respectant les dispositions suivantes :
a)  seul le préjudice qui peut se rapporter à la période excédant le délai raisonnable indiqué au paragraphe 1 peut être pris en compte ;
b)  le préjudice non patrimonial est réparé non seulement par le versement d'une somme d'argent, mais aussi par la publication du constat de violation selon les formes appropriées. »
Article 3  (Procédure)
2.  La demande est introduite par un recours déposé au greffe de la cour d'appel, par un avocat muni d'un mandat spécifique contenant tous les éléments visés par l'article 125 du code de procédure civile.
6.  La cour prononce, dans les quatre mois suivant la formation du recours, une décision susceptible de pourvoi en cassation. La décision est immédiatement exécutoire.
La Cour de cassation italienne est une juridiction compétente uniquement pour les questions de droit. En matière civile, l'article 360 du code de procédure civile prévoit les cas où un pourvoi est possible.
Concernant la loi Pinto, la Cour de cassation a prononcé et publié à ce jour une centaine d'arrêts, dont copie a été remise au greffe de la Cour.
Dans l'affaire Adamo et autres c. ministère de la Justice (arrêt du 10 juin 2002), les requérants avaient demandé réparation à la cour d'appel de Rome en vertu de la loi Pinto pour la durée excessive d'une procédure (contentieux du travail). La cour d'appel de Rome avait rejeté la demande au motif que les requérants n'avaient pas prouvé avoir subi un préjudice. Devant la Cour de cassation, les requérants firent valoir qu'ils avaient droit à la réparation du préjudice moral, à la lumière de la jurisprudence de Strasbourg.
La Cour de cassation affirma que l'existence d'un préjudice subi par le requérant n'était pas automatiquement reconnue dès lors qu'il y avait constat de violation du droit au respect du délai raisonnable, c'est-à-dire – pour reprendre les termes de la Cour de cassation – que le préjudice n'était pas in re ipsa. A cet égard, la Cour de cassation affirma que le droit au « délai raisonnable » n'était pas un droit fondamental de la personne garanti par une disposition constitutionnelle immédiatement applicable ; il s'agissait au contraire d'un droit uniquement prévu dans une loi ordinaire (la loi Pinto). Ce droit ne pouvait même pas être rattaché au « droit à un procès équitable » qui, lui, était garanti par la Constitution mais qui ne donnait pas lieu à des garanties individuelles puisqu'il s'agissait d'une disposition-cadre. Ainsi, lorsque le juge constatait que la durée d'une procédure était excessive, il pouvait indemniser un dommage uniquement si l'existence de celui-ci était prouvée. Par conséquent, la Cour de cassation rejeta le recours puisque la preuve du préjudice moral subi n'était pas rapportée.
Dans l'affaire Ministère de la Justice c. Maccarone (arrêt du 10 juin 2002), le requérant obtint 8 millions d'ITL (4 132 EUR) de la cour d'appel de Pérouse. Le ministère attaqua la décision, alléguant notamment que, lorsque le juge constatait la durée excessive d'une procédure, le préjudice moral n'était pas in re ipsa et que le magistrat devait ensuite apprécier les preuves du préjudice allégué.
La Cour de cassation accueillit le recours et annula la décision attaquée, puis renvoya l'affaire à la cour d'appel. Ce faisant, elle réaffirma que la violation du droit au respect du délai raisonnable ne constituait pas en soi une source de préjudice et qu'il fallait donc rechercher si ce dernier avait été subi par le requérant. En effet, selon la Cour de cassation, le droit au délai raisonnable n'était pas un droit fondamental puisqu'il était prévu uniquement par une loi ordinaire. Partant, tout préjudice, notamment moral, devait être prouvé par l'intéressé. Cette preuve pouvait en pratique être apportée au moyen d'un raisonnement par induction et par présomption, en s'appuyant sur ce qu'on savait des répercussions d'une durée de procédure sur l'individu.
Un examen comparatif des arrêts de la Cour de cassation disponibles à ce jour permet de constater que les principes établis dans les deux affaires précitées ont été constamment appliqués.
Dans aucun des cas la Cour de cassation n'a pris en considération un grief tiré de l'insuffisance du montant accordé par la cour d'appel par rapport au préjudice allégué ou de son caractère inadéquat au regard de la jurisprudence des organes de Strasbourg. En effet, il s'agit de griefs considérés par la Cour de cassation soit comme des questions de fait, échappant à sa compétence, soit comme des questions soulevées à la lumière de dispositions non applicables directement.
2.  Quant à l'expropriation
La loi no 2359 de 1865, en son article 39, prévoyait qu'en cas d'expropriation d'un terrain l'indemnité à verser devait correspondre à la valeur marchande du terrain au moment de l'expropriation.
L'article 42 de la Constitution, tel qu'interprété par la Cour constitutionnelle (voir, parmi d'autres, l'arrêt no 138 du 6 décembre 1977), garantit, en cas d'expropriation, une indemnisation qui n'atteint pas la valeur marchande du terrain.
La loi no 865 de 1971 a introduit de nouveaux critères : tout terrain, qu'il fût agricole ou constructible, devait être indemnisé comme s'il s'agissait d'un terrain agricole.
Par l'arrêt no 5 de 1980, la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnelle la loi no 865 de 1971, au motif que celle-ci traitait de manière identique deux situations très différentes, à savoir qu'elle prévoyait le même type d'indemnisation pour les terrains constructibles et les terrains agricoles.
Pour remédier à cette situation, le Parlement adopta la loi no 385 du 29 juillet 1980, qui réintroduisait les critères venant d'être déclarés inconstitutionnels mais cette fois à titre provisoire : la loi disposait en effet que la somme versée était un acompte devant être complété par une indemnité, qui serait calculée sur la base d'une loi à adopter prévoyant des critères d'indemnisation spécifiques pour les terrains constructibles.
Par l'arrêt no 223 de 1983, la Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnelle la loi no 385 de 1980, au motif que celle-ci soumettait l'indemnisation en cas d'expropriation d'un terrain constructible à l'adoption d'une loi future.
A la suite de l'arrêt no 223 de 1983, la loi no 2359 de 1865 déploya de nouveau ses effets ; par conséquent, un terrain constructible devait être indemnisé à hauteur de sa valeur marchande (voir, par exemple, Cour de cassation, sec. I, arrêt no 13479 du 13 décembre 1991 ; sec. I, arrêt no 2180 du 22 février 1992).
Le décret-loi no 333 du 11 juillet 1992, qui devint la loi no 359 du 8 août 1992, introduisit, en son article 5 bis, une mesure « provisoire, exceptionnelle et urgente », tendant au redressement des finances publiques, valable jusqu'à l'adoption de mesures structurelles.
L'article 5 bis dispose que l'indemnité à verser en cas d'expropriation d'un terrain constructible est calculée selon la formule suivante :
[[valeur marchande du terrain + total des rentes foncières des 10 dernières années] : 2] – abattement de 40 %.
En pareil cas, l'indemnité correspond à 30 % de la valeur marchande. Sur ce montant, un impôt de 20 % à la source est appliqué (impôt prévu par l'article 11 de la loi no 413 de 1991).
L'abattement de 40 % est évitable si l'expropriation se fonde non pas sur un décret d'expropriation, mais sur un acte de « cession volontaire » du terrain, ou bien, comme en l'espèce, si l'expropriation a eu lieu avant l'entrée en vigueur de l'article 5 bis (voir l'arrêt de la Cour constitutionnelle no 283 du 16 juin 1993).
Dans ces cas-là, l'indemnité qui en résulte correspond à 50 % de la valeur marchande. De ce montant il faudra encore déduire à 20 % à titre d'impôt (voir ci-dessus).
La Cour constitutionnelle a estimé que l'article 5 bis de la loi no 359 de 1992 et son application rétroactive étaient compatibles avec la Constitution (arrêt no 283 du 16 juin 1993 ; arrêt no 442 du 16 décembre 1993), dans la mesure où cette loi avait un caractère urgent et provisoire.
GRIEFS
1.  Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée de la procédure.
2.  Les requérants dénoncent en outre une atteinte à leur droit au respect de leurs biens au motif que l'indemnité leur a été versée longtemps après la confiscation du terrain et qu'elle n'était pas adéquate, étant donné qu'elle a été calculée sur la base de l'article 5 bis de la loi no 359 de 1992. Ils allèguent la violation de l'article 1 du Protocole no 1.
3.  Sur le terrain de l'article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent que l'adoption et l'application à leur cas de l'article 5 bis de la loi no 359 de 1992 constituent une ingérence législative incompatible avec leur droit à un procès équitable.
EN DROIT
1.  Les requérants se plaignent de la durée de la procédure. Ils invoquent l'article 6 § 1 de la Convention, qui, en ses passages pertinents, se lit ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
1.  Exceptions du Gouvernement
Le Gouvernement soulève deux exceptions.
En premier lieu, le Gouvernement soutient que les voies de recours internes n'ont pas été épuisées au motif que les requérants ne se sont pas pourvus en cassation contre la décision de la cour d'appel de Reggio de Calabre.
Le Gouvernement avance plusieurs arguments visant à démontrer l'efficacité du recours en cassation. Tout d'abord, il fait observer que la compétence de la Cour de cassation pour examiner les recours introduits en vertu de la loi Pinto est la même que dans tous les autres cas de recours ordinaires dont elle est saisie au regard de l'article 360 du code de procédure civile. S'il est donc vrai que le montant d'une indemnité en tant que tel ne peut pas faire l'objet d'un pourvoi, les requérants auraient néanmoins pu alléguer devant la Cour de cassation que la décision de la cour d'appel n'était pas logique ou était motivée de façon incohérente, ou ils auraient pu contester le montant de la réparation accordée en première instance sous l'angle de la conformité à la loi des critères utilisés. Le Gouvernement indique ensuite que la Cour de cassation a le pouvoir d'annuler une décision et de remettre l'affaire à un nouveau juge du fond.
Le Gouvernement soutient que les requérants ont contesté l'efficacité du remède sans fournir de démonstration et qu'ils basent leurs allégations uniquement sur deux arrêts de la Cour de cassation.
A ce propos, le Gouvernement fait observer que la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière est assez abondante mais pas encore définitivement fixée, à défaut d'un arrêt pris en chambres réunies.
Quant à l'application par la Cour de cassation des critères dégagés dans la jurisprudence des organes de Strasbourg, le Gouvernement considère qu'il s'agit là d'un faux problème puisqu'il est question de « prétendus critères ». A cet égard, le Gouvernement fait remarquer que ladite jurisprudence ne donne pas de « critères » pour le calcul de la satisfaction équitable, étant donné que l'on peut parler de « critère » seulement en présence d'une base de calcul expressément formulée et clairement identifiable, et pouvant se traduire en une formule mathématique. En outre, le Gouvernement observe que la satisfaction équitable octroyée par la Cour a un caractère facultatif, puisque celle-ci peut ne pas être accordée lorsque le constat de violation est considéré comme suffisant, et que la décision concernant la satisfaction équitable est prise « en équité » et n'a pas de motivation approfondie.
En conclusion, le Gouvernement soutient qu'il n'y a pas lieu de se plaindre du non-respect de « critères » qui, d'une part, n'existent pas, et, d'autre part, ne sauraient exister car la nature même de l'appréciation à laquelle ils devraient servir de base ne se prête point à leur établissement.
En outre, le Gouvernement soutient que la question de savoir quelle place est reconnue à la Convention dans l'ordre juridique italien n'est pas pertinente. A ce propos, le Gouvernement observe qu'une voie de recours interne est efficace si les violations alléguées par l'intéressé peuvent être redressées en substance. Il n'est pas nécessaire que les normes de la Convention et de la jurisprudence des organes de Strasbourg soient appliquées formellement.
Quant à la question du quantum, le Gouvernement soutient que la Cour de cassation aurait pu juger si le montant de la réparation obtenue par les requérants était ou non adéquat. Sur ce point, il fait observer que les deux arrêts de la Cour de cassation cités par les requérants sont conformes à l'orientation jurisprudentielle désormais établie, selon laquelle l'existence d'un préjudice moral n'est pas automatiquement reconnue à la suite du constat de dépassement du délai raisonnable. Le Gouvernement admet que la possibilité d'obtenir réparation est soumise à la condition que l'intéressé fournisse la preuve du préjudice, ou du moins des éléments de preuve permettant au juge de développer un raisonnement par présomption. A ce propos, le Gouvernement souligne que, dans certains arrêts, la Cour de cassation a rejeté des griefs tirés notamment de l'insuffisance de la réparation au motif qu'ils étaient trop vagues et fondés sur de simples allégations.
En conclusion, le Gouvernement considère que les requérants auraient dû se pourvoir en cassation et demande à la Cour de rejeter leur grief pour non-épuisement des voies de recours internes.
Le Gouvernement soulève une deuxième exception tirée de l'absence de qualité de victimes des requérants.
A cet égard, il fait observer qu'en accordant une somme aux intéressés, la cour d'appel de Reggio de Calabre a non seulement reconnu la violation du droit au délai raisonnable mais a aussi réparé le préjudice subi. Selon le Gouvernement, le montant accordé au titre de la réparation ne peut pas être remis en cause par la Cour, puisque le juge national a décidé en équité et dans le cadre de la marge d'appréciation dont il jouit pour prendre une décision en matière de satisfaction équitable.
Le Gouvernement fait observer que l'article 41 de la Convention n'oblige pas la Cour à accorder une satisfaction équitable. Selon lui, elle serait donc libre de ne pas en octroyer sans obligation de motivation, puisque la décision est prise en équité ; en outre, un requérant qui n'est pas satisfait du montant accordé n'a pas la possibilité de saisir la Grande Chambre.
2.  Arguments des requérants
Les requérants soutiennent que le pourvoi en cassation n'est pas un recours à épuiser compte tenu de la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière, dont ils ont cité deux exemples (voir, ci-dessus, la partie « Le droit et la pratique internes pertinents »).
Selon eux, il ne leur était pas loisible de soulever des griefs concernant le montant de l'indemnisation et l'étendue du préjudice allégué.
Les requérants soutiennent avoir encore le statut de « victimes » au sens de l'article 34 de la Convention, malgré la décision de la cour d'appel de Reggio de Calabre, puisque par cette décision la cour d'appel n'aurait pas réparé la violation de la Convention qu'elle a constatée. cette juridiction aurait accordé aux requérants une somme insuffisante, ce qui serait dû au fait que les tribunaux nationaux estiment que le droit au délai raisonnable n'est pas un droit fondamental, et au fait que la Convention n'est pas considérée comme applicable.
3.  Appréciation de la Cour
La Cour doit d'abord déterminer si les requérants, conformément à l'article 35 § 1 de la Convention, ont épuisé les voies de recours qui leur étaient ouvertes en droit italien. Il s'agit en l'espèce de savoir s'ils étaient tenus de se pourvoir en cassation contre la décision rendue par la cour d'appel sur une question relevant de la loi Pinto.
La Cour rappelle que, concernant le recours devant les cours d'appel, elle a estimé dans des affaires récentes (Brusco c. Italie (déc.), no 69789/01, CEDH 2001-IX ; Di Cola et autres c. Italie (déc.), no 44897/98, 11 octobre 2001) que le remède introduit par la loi Pinto était accessible et que rien ne permettait de douter de son efficacité. De plus, la Cour a considéré qu'eu égard à la nature de la loi Pinto et au contexte dans lequel elle est intervenue, il était justifié de faire une exception au principe général selon lequel la condition de l'épuisement doit être appréciée au moment de l'introduction de la requête.
La Cour rappelle que la règle de l'épuisement des voies de recours internes énoncée à l'article 35 de la Convention impose aux personnes désireuses d'intenter contre l'Etat une action devant un organe judiciaire ou arbitral international l'obligation d'utiliser auparavant les recours qu'offre le système juridique de leur pays. Les Etats n'ont donc pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d'avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Cette règle se fonde sur l'hypothèse, objet de l'article 13 de la Convention – avec lequel elle présente d'étroites affinités –, que l'ordre interne offre un recours effectif pour la violation alléguée, indépendamment de l'incorporation ou non dans l'ordre interne des dispositions de la Convention. De la sorte, elle constitue un aspect important du principe voulant que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revête un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l'homme (Akdivar et autres c. Turquie, arrêt du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, p. 1210, § 65).
Même si les Etats contractants n'ont pas d'obligation formelle d'incorporer la Convention dans l'ordre interne (James et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1986, série A no 98, p. 48, § 86 ; Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 113, CEDH 2002-VI), il découle du principe de subsidiarité ci-dessus que les juridictions nationales doivent, dans la mesure du possible, interpréter et appliquer le droit interne conformément à la Convention. En effet, s'il est vrai qu'il incombe au premier chef aux autorités nationales d'interpréter et appliquer le droit interne, la Cour est appelée en tout état de cause à vérifier si la manière dont le droit interne est interprété et appliqué produit des effets conformes aux principes de la Convention (Carbonara et Ventura c. Italie, no 24638/94, § 68, CEDH 2000-VI ; Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96, 35532/97 et 44801/98, § 49, CEDH 2001-II) dont la jurisprudence de la Cour fait partie intégrante.
A cet égard, la Cour rappelle enfin que, en substituant le mot « reconnaissant » à « s'engagent à reconnaître » dans le libellé de l'article 1, les rédacteurs de la Convention ont voulu indiquer de surcroît que les droits et les libertés du titre I seraient directement reconnus à quiconque relèverait de la juridiction des Etats contractants (document H (61) 4, pp. 664-703, 733 et 927). Leur intention se reflète avec une fidélité particulière là où la Convention a été incorporée à l'ordre juridique interne (De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, arrêt du 18 juin 1971, série A no 12, p. 43, § 82 ; Syndicat suédois des conducteurs de locomotives c. Suède, arrêt du 6 février 1976, série A no 20, p. 18, § 50 ; Irlande c. Royaume-Uni, arrêt du 18 janvier 1978, série A no 25, pp. 90-91, § 239). Néanmoins la Convention, qui vit dans la jurisprudence de la Cour, est désormais d'applicabilité directe pratiquement dans tous les Etats parties.
Dans le cadre de l'article 35, un requérant doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d'obtenir réparation des violations qu'il allègue. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l'effectivité et l'accessibilité voulues. Cependant, rien n'impose d'user de recours qui ne sont ni adéquats ni effectifs. De plus, selon les « principes de droit international généralement reconnus », certaines circonstances particulières peuvent dispenser le requérant de l'obligation d'épuiser les voies de recours internes qui s'offrent à lui. Cette règle ne s'applique pas non plus lorsqu'est prouvée une pratique administrative consistant dans la répétition d'actes interdits par la Convention et la tolérance officielle de l'Etat, de sorte que toute procédure serait vaine ou ineffective (Akdivar et autres, arrêt précité, p. 1210, §§ 66 et 67).
La Cour souligne qu'elle doit appliquer cette règle en tenant dûment compte du contexte : le mécanisme de sauvegarde des droits de l'homme que les Parties contractantes sont convenues d'instaurer. Elle a ainsi reconnu que l'article 35 doit s'appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif. Elle a de plus admis que la règle de l'épuisement des voies de recours internes ne s'accommode pas d'une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; en en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause. Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de la Partie contractante concernée, mais également du contexte juridique et politique dans lequel ils se situent ainsi que de la situation personnelle du requérant (ibidem, p. 1211, § 69).
La Cour a procédé à un examen comparatif des cent arrêts de la Cour de cassation disponibles à ce jour. Elle a pu constater qu'il a été fait application constante des principes dégagés dans les deux affaires citées par les requérants (voir la partie « Le droit et la pratique internes pertinents »), c'est-à-dire que le droit au délai raisonnable n'est pas considéré comme un droit fondamental et que la Convention et la jurisprudence de Strasbourg ne sont pas directement applicables en matière de satisfaction équitable.
La Cour n'a trouvé aucun cas où la Cour de cassation ait pris en considération un grief tiré de ce que le montant accordé par la cour d'appel était insuffisant par rapport au préjudice allégué ou inadéquat par rapport à la jurisprudence de Strasbourg. En effet, il s'agit de griefs rejetés par la Cour de cassation puisque considérés ou bien comme des questions de fait échappant à sa compétence, ou bien comme des questions soulevées à la lumière de dispositions qui ne sont pas directement applicables.
La Cour rappelle que l'article 6 § 1 garantit à toute personne le droit à ce qu'un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil (Golder c. Royaume Uni, arrêt du 21 février 1975, série A no 18, p. 18, § 36, et Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 50, CEDH 1999-I). Il consacre de la sorte le droit de toute personne « à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable ».
Le droit au « délai raisonnable », reconnu par l'article 6 § 1 de la Convention, est un droit fondamental et un impératif pour toutes les procédures visées par l'article 6 : la Convention souligne par là l'importance qui s'attache à ce que la justice ne soit pas rendue avec des retards propres à en compromettre l'efficacité et la crédibilité (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 74, CEDH 1999-II).
Compte tenu de ces éléments, la Cour conclut que les requérants n'avaient aucun intérêt à se pourvoir en cassation, leur grief ayant trait au montant de l'indemnité perçue et tombant donc dans les cas de figure ci-dessus. En outre, les intéressés couraient le risque d'être condamnés à des frais de procédure.
En conclusion, la Cour estime qu'en l'espèce les requérants n'étaient pas tenus, aux fins de l'épuisement des voies de recours, de se pourvoir en cassation. Dès lors, la première exception du Gouvernement doit être rejetée.
Cette conclusion ne remet toutefois pas en cause l'obligation de déposer une demande en réparation fondée sur la loi Pinto auprès des cours d'appel et de la Cour de cassation, sous réserve qu'il ressorte de la jurisprudence des tribunaux nationaux qu'ils appliquent la loi précitée conformément à l'esprit de la Convention et, par conséquent, que le recours soit efficace.
La Cour doit ensuite examiner la deuxième exception du Gouvernement, qui est fondée sur l'article 34 de la Convention. La question de savoir si une personne peut toujours se prétendre victime d'une violation de la Convention implique essentiellement pour la Cour un examen a posteriori de la situation de la personne concernée. A cet égard, il importe de déterminer si celle-ci a obtenu pour le dommage subi une réparation – comparable à la satisfaction équitable au sens de l'article 41 de la Convention. Il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que lorsque les autorités nationales ont constaté une violation et que leur décision constitue un redressement approprié et suffisant de cette violation, la partie concernée ne peut plus se prétendre victime au sens de l'article 34 de la Convention.
La Cour considère par conséquent que le statut de victime d'un requérant peut dépendre de l'indemnisation qui lui a été accordée au niveau national pour la situation dont il se plaint devant la Cour (Andersen c. Danemark, no 12860/87, et Frederiksen et autres c. Danemark, no 12719/87, décisions de la Commission du 3 mai 1988 ; Normann c. Danemark (déc.), no 44704/98, 14 juin 2001 ; Jensen et Rasmussen c. Danemark (déc.), no 52620/99, 20 mars 2003) ainsi que du point de savoir si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, la violation de la Convention. Ce n'est que lorsque ces deux conditions sont remplies que la nature subsidiaire du mécanisme de protection de la Convention empêche un examen de la part de la Cour (Eckle c. Allemagne, arrêt du 15 juillet 1982, série A no 51, p. 32, §§ 69 et suiv. ; Jensen c. Danemark (déc.), no 48470/99, CEDH 2001-X).
En outre, la Cour rappelle que l'article 34 de la Convention exige qu'un requérant soit personnellement affecté par la mesure qu'il critique et que cette disposition ne peut être utilisée pour introduire une actio popularis devant la Cour. Par ailleurs, les conditions pour présenter une requête au sens de l'article 34 ne coïncident pas nécessairement avec les critères nationaux relatifs au locus standi (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 138, CEDH 2000-VIII).
En l'espèce, la cour d'appel de Reggio de Calabre a reconnu dans sa décision du 1er juillet 2001 que la procédure engagée par les requérants avait eu une durée excessive et leur a accordé une somme globale de 2 450 EUR au titre du préjudice moral, soit environ 600 EUR chacun.
De l'avis de la Cour, la reconnaissance par la cour d'appel de la durée excessive de la procédure remplit, en substance, la première condition énoncée par la jurisprudence de la Cour : l'acceptation, de la part des autorités, qu'il y a eu transgression d'un droit protégé par la Convention.
En ce qui concerne la deuxième condition, à savoir le redressement approprié par les autorités de l'infraction subie par les requérants, la Cour relève que ces derniers allèguent devant elle que la somme accordée par la cour d'appel ne saurait être considérée comme adéquate pour réparer le préjudice et la violation allégués.
La Cour rappelle que, dans les affaires italiennes de durée de procédure, il ressort d'une jurisprudence abondante que le redressement approprié pour ce genre d'affaire consiste toujours en une indemnisation pécuniaire. Dans ce contexte, dans des cas similaires à la présente espèce – par exemple De Pilla c. Italie, no 49372/99, 25 octobre 2001 ; Tartaglia c. Italie, no 48402/99, 23 octobre 2001 –, la Cour a accordé des sommes nettement plus élevées. Dans les deux cas précités, elle a octroyé respectivement 10 millions d'ITL (5 000 EUR environ) et 14 millions d'ITL (7 000 EUR environ).
Il est incontestable que l'appréciation d'une durée de procédure et de ses répercussions, en particulier pour ce qui est du préjudice moral, ne se prête pas à une quantification exacte et qu'elle relève par nature d'une appréciation en équité. Par conséquent, la Cour accepte que les autorités judiciaires ou autres puissent calculer l'indemnisation, dans une affaire de longueur de procédure, d'une manière pouvant s'écarter d'une application stricte et formaliste des critères adoptés par la Cour. Cependant, dans la présente affaire, la somme allouée aux requérants par la cour d'appel de Reggio de Calabre n'a pas de rapport raisonnable avec les sommes accordées par la Cour dans les affaires similaires précitées, qui étaient plus de dix fois supérieures au montant octroyé aux requérants par la cour d'appel.
S'il convient de respecter la marge d'appréciation dont les juridictions nationales disposent, il faut aussi que ces dernières se conforment à la jurisprudence de la Cour en accordant des sommes conséquentes.
Compte tenu des éléments du dossier, la Cour estime qu'un tel écart entre la jurisprudence de Strasbourg et l'application au cas d'espèce de la loi Pinto ne peut pas se justifier. Partant, elle considère que la somme accordée aux requérants ne saurait passer pour adéquate et de ce fait apte à réparer la violation alléguée.
Il s'ensuit que les requérants peuvent se prétendre victimes au sens de l'article 34 de la Convention et qu'il convient de rejeter la seconde exception du Gouvernement.
4.  Sur le fond
Le Gouvernement fait observer que la durée de la procédure ne peut être tenue pour excessive, eu égard aux difficultés objectives survenues pendant le procès, par exemple la nouvelle loi sur l'expropriation, le décès de A. Scordino, le manque de magistrats. A ce propos, le Gouvernement indique que l'affaire a été suivie par trois juges d'instruction qui se sont succédé.
Les requérants récusent les arguments du Gouvernement.
A la lumière de l'ensemble des arguments des parties, la Cour estime que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s'ensuit que cette partie de la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention.
2.  Les requérants se plaignent d'une atteinte à leur droit au respect de leurs biens au motif que l'indemnité leur a été versée longtemps après la confiscation du terrain et qu'elle n'était pas adéquate, étant donné qu'elle a été calculée sur la base de l'article 5 bis de la loi no 359 de 1992, appliquée rétroactivement. Ils allèguent la violation de l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
Les requérants se plaignent en outre que l'adoption et l'application à leur cas de la loi no 359 de 1992 constituent une ingérence législative prohibée par l'article 6 de la Convention, qui, en ses passages pertinents, énonce que :
« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Le Gouvernement soutient que l'application de l'article 5 bis de la loi no 359 de 1992 en l'espèce ne soulève aucun problème au regard de l'article 1 du Protocole no 1 et de l'article 6 de la Convention.
A cet égard, il observe que, dans le calcul d'une indemnité d'expropriation, il faut rechercher un équilibre entre l'intérêt privé et l'intérêt général. Par conséquent, l'indemnité d'expropriation adéquate peut être inférieure à la valeur marchande d'un terrain comme la Cour constitutionnelle l'a du reste reconnu (arrêts no 283 du 16 juin 1993, no 80 du 7 mars 1996 et no 148 du 30 avril 1999).
Se référant aux arrêts de la Cour dans les affaires Les saints monastères c. Grèce (arrêt du 9 décembre 1994, série A no 301-A), Lithgow et autres c. Royaume-Uni (arrêt du 8 juillet 1986, série A no 102) et James et autres précité, le Gouvernement soutient que la présente espèce doit être examinée à la lumière du principe selon lequel les causes d'utilité publique (telles qu'une réforme économique ou une politique de justice sociale) peuvent militer pour un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande.
Cela s'inscrit, selon le Gouvernement, dans une volonté politique de mettre en œuvre un système dépassant le libéralisme classique du XIXe siècle. Tout se résume à la question de savoir si l'écart entre la valeur marchande et l'indemnité payée est raisonnable et justifié.
Le Gouvernement reconnaît que l'article 5 bis litigieux a été inspiré par des raisons budgétaires ; il fait toutefois observer que, compte tenu de son caractère provisoire, cette disposition a été jugée conforme à la Constitution par la Cour constitutionnelle.
Le Gouvernement observe que la valeur marchande du terrain n'est pas exclue du calcul qui conduit à déterminer l'indemnité à verser ; cette valeur est tempérée par un autre critère, à savoir la rente foncière calculée sur la valeur inscrite au cadastre.
En conclusion, le Gouvernement soutient que le système de calcul de l'indemnité d'expropriation appliqué en l'espèce n'est pas déraisonnable et n'a pas détruit le juste équilibre.
Quant au temps écoulé entre l'expropriation et le versement de l'indemnité, le Gouvernement observe que la procédure devant la cour d'appel de Reggio de Calabre n'a été introduite qu'en 1990, et estime que les requérants auraient pu engager l'action civile dès 1983. Cela équivaut à dire qu'ils ont contribué eux-mêmes à retarder le versement de l'indemnité.
En outre, le Gouvernement fait observer que le préjudice causé par l'écoulement du temps est réparé par le versement d'intérêts.
S'agissant de l'application rétroactive de l'article 5 bis de la loi no 359 de 1992, le Gouvernement soutient qu'elle est compatible avec la Convention. A cet égard, il fait observer que d'après la jurisprudence de la Convention et le droit italien le principe de non-rétroactivité n'est pas absolu. En l'espèce, la loi litigieuse s'inscrit dans un contexte où le critère de la valeur marchande pour calculer l'indemnité d'expropriation avait déjà été modifié à deux reprises par le Parlement italien ; après que la Cour constitutionnelle eut annulé ces lois et que le critère de la valeur marchande tel que prévu par la loi no 2359 de 1865 fut considéré comme étant à nouveau applicable en vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation, la loi litigieuse a comblé le vide législatif créé par les arrêts de la Cour constitutionnelle. L'adoption de la loi no 359 de 1992 s'expliquerait donc par ce besoin.
Le Gouvernement soutient enfin que, à compter de 1993, les requérants auraient pu obtenir une indemnité de 40 % plus élevée s'ils avaient accepté l'indemnité d'expropriation offerte par l'administration. Le Gouvernement en conclut que le grief des requérants est mal fondé.
Les requérants font observer que l'indemnité d'expropriation qui leur a été versée correspond à la moitié de la valeur marchande du terrain et qu'ensuite ce montant a été encore diminué de 20 % du fait de l'impôt à la source prévu par la loi no 413 de 1991. Il en résulte que les intéressés ont encaissé une somme correspondant à 40 % de la valeur de leur bien.
D'après les requérants, cela ne saurait être considéré comme une indemnisation présentant un rapport raisonnable avec la valeur du bien ; ils estiment donc avoir subi une charge disproportionnée.
Les requérants soulignent que la ville de Reggio de Calabre ne leur a communiqué l'offre d'indemnisation qu'en 1989, soit six ans après le décret d'expropriation, et qu'à partir de cette date seulement il leur a été possible d'introduire un recours en opposition devant la cour d'appel.
En outre, les requérants allèguent que leur terrain a été exproprié pour permettre à une société coopérative d'y construire des logements destinés à des particuliers et que ces derniers, conformément au droit interne (article 20 de la loi no 179 de 1992), seront libres cinq ans plus tard de revendre le logement au prix du marché. Cela signifie que l'expropriation du terrain des intéressés a avantagé des particuliers.
Les requérants font ensuite remarquer que l'article 5 bis a été jugé conforme à la Constitution par la Cour constitutionnelle parce qu'il était provisoire et répondait à une conjoncture particulière. Or cette disposition est en vigueur depuis plus de dix ans.
Par ailleurs, les requérants soutiennent que l'abattement ultérieur de 40 % prévu par l'article 5 bis pour ceux qui s'opposent à l'offre d'indemnisation n'a pas été appliqué dans leur cas.
Les requérants observent ensuite que le montant accordé est le résultat de l'application rétroactive de deux lois, dont l'adoption est intervenue longtemps après l'expropriation du terrain. De ce fait, ils estiment que cela constitue une raison supplémentaire de constater la violation de l'article 1 du Protocole no 1.
Les requérants allèguent enfin que l'adoption et l'application de l'article 5 bis de la loi no 359 de 1992 ne peuvent se concilier avec l'article 6 de la Convention puisqu'il y aurait eu une ingérence législative incompatible avec le principe de légalité. A ce propos, les intéressés soutiennent que la loi litigieuse ne répond pas à un intérêt public essentiel et qu'elle tend uniquement à déterminer l'issue des procédures pendantes de manière à favoriser l'administration défenderesse.
A la lumière de l'ensemble des arguments des parties, la Cour estime que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s'ensuit que cette partie de la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d'irrecevabilité n'a été constaté.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête recevable, tous moyens de fond réservés.
DÉCISION SCORDINO c. ITALIE 
DÉCISION SCORDINO c. ITALIE


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 36813/97
Date de la décision : 27/03/2003
Type d'affaire : Décision
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 2-1) PEINE DE MORT, (Art. 2-1) PREVUE PAR LA LOI, (Art. 2-1) TRIBUNAL COMPETENT, (Art. 3) PEINE INHUMAINE, (Art. 3) TRAITEMENT INHUMAIN, (Art. 34) ENTRAVER L'EXERCICE DU DROIT DE RECOURS, (Art. 5-1) ARRESTATION OU DETENTION REGULIERE, (Art. 5-1) VOIES LEGALES, (Art. 5-3) AUSSITOT TRADUITE DEVANT UN JUGE OU AUTRE MAGISTRAT, (Art. 5-4) CONTROLE DE LA LEGALITE DE LA DETENTION, (Art. 5-4) GARANTIES PROCEDURALES DE CONTROLE, (Art. 5-4) INTRODUIRE UN RECOURS, (Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) EGALITE DES ARMES, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE, (Art. 6-1) TRIBUNAL IMPARTIAL, (Art. 6-1) TRIBUNAL INDEPENDANT, (Art. 6-3) DROITS DE LA DEFENSE, (Art. 6-3-c) SE DEFENDRE AVEC L'ASSISTANCE D'UN DEFENSEUR


Parties
Demandeurs : SCORDINO et AUTRES (n° 1)
Défendeurs : l'ITALIE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2003-03-27;36813.97 ?
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