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27/03/2003 | CEDH | N°52903/99

CEDH | AFFAIRE DACTYLIDI c. GRECE


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE DACTYLIDI c. GRÈCE
(Requête no 52903/99)
ARRÊT
STRASBOURG
27 mars 2003
DÉFINITIF
09/07/2003
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Dactylidi c. Grèce,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Mme F. Tulkens, présidente,   MM. C.L. Rozakis,    G. Bonello,    P. Lorenzen,   Mme N. Vajić,   MM. A. Kov

ler,    V. Zagrebelsky, juges,  de M. S. Nielsen, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en cham...

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE DACTYLIDI c. GRÈCE
(Requête no 52903/99)
ARRÊT
STRASBOURG
27 mars 2003
DÉFINITIF
09/07/2003
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Dactylidi c. Grèce,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Mme F. Tulkens, présidente,   MM. C.L. Rozakis,    G. Bonello,    P. Lorenzen,   Mme N. Vajić,   MM. A. Kovler,    V. Zagrebelsky, juges,  de M. S. Nielsen, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 28 février 2002 et 6 mars 2003,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 52903/99) dirigée contre la République hellénique et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Marouso Dactylidi (« la requérante »), a saisi la Cour le 16 novembre 1999 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  La requérante est représentée devant la Cour par Me P. Verbist, avocat au barreau d'Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. S. Spyropoulos, assesseur au Conseil Juridique de l'Etat, et Mme V. Pélékou, auditrice au Conseil Juridique de l'Etat.
3.  La requérante se plaignait en particulier de la durée des deux procédures engagées devant le Conseil d'Etat, ainsi que de l'absence d'un recours permettant de contester l'omission de l'administration de procéder à la démolition des constructions illégales érigées sur le terrain de son voisin. Elle invoquait les articles 6 § 1 et 13 de la Convention.
4.  La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
5.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1).
6.  Par une décision du 28 février 2002, la Cour a déclaré la requête partiellement recevable.
7.  Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
8.  La requérante est née en 1939 et réside à Athènes.
9.  La requérante est propriétaire d'une maison sur l'île de Santorin (Cyclades), sise à la commune d'Imeroviglio. Un décret présidentiel du 17 juin 1988 qualifie cette commune de traditionnelle et impose des conditions spécifiques et des limitations de construction dans le but de conserver ce caractère pittoresque. Devant la maison de la requérante passe une ruelle communale d'une largeur d'un mètre vingt, accessible aux piétons seulement. De l'autre côté de la ruelle se trouvent trois terrains acquis par M. entre 1987 et 1991.
A.  Le permis de bâtir no 2/1987 et les rapports de descente sur les lieux (εκθέσεις αυτοψίας) nos 35/1990 et 33/1990
10.  Le 13 janvier 1987, le bureau d'urbanisme de Thira accorda à M. un permis de bâtir (no 2/1987), « pour la restauration des enduits et le complément de la façade » d'un bâtiment.
11.  Toutefois, M. procéda à des constructions en violation de ce permis de bâtir. Le 21 juin 1990, suite aux réclamations de la requérante, le bureau d'urbanisme effectua une descente sur les lieux et établit deux rapports (nos 35/1990 et 33/1990), dans lesquels il fut constaté que les constructions litigieuses étaient illégales et devaient être démolies. Les recours exercés par M. contre ces deux rapports furent rejetés par décision de la commission d'examen de constructions illégales, visée par l'article 2 § 4 du décret du 12 juillet 1983, en date du 7 août 1990. Aux termes dudit décret, les constructions illégales doivent être démolies par le propriétaire ou le service de l'urbanisme dans un délai de dix jours à partir de la décision de la commission (voir ci-dessous). Toutefois, à ce jour, les constructions litigieuses n'ont pas été démolies.
B.  Le permis de bâtir no 329/1989 et les rapports de descente sur les lieux nos 42/1990 et 41/1990
12.  Le 3 juillet 1989, le bureau d'urbanisme de Thira accorda à M. un permis de bâtir (no 329/1989) pour un étage supplémentaire sur le bâtiment mentionné ci-dessus.
13.  Toutefois, M. procéda à des constructions en violation de ce permis de bâtir. Le 3 juillet 1990, suite aux réclamations de la requérante, le bureau d'urbanisme effectua une descente sur les lieux et établit deux rapports (nos 42/1990 et 41/1990), dans lesquels il fut constaté que les constructions litigieuses étaient illégales et devaient être démolies. Aucun recours n'ayant été exercé contre ces deux rapports, la commission d'examen de constructions illégales ordonna la démolition des constructions en question, par décision du 7 août 1990. A ce jour, les constructions litigieuses n'ont pas été démolies.
C.  Le permis de bâtir no 19/1990 et les rapports de descente sur les lieux nos 34/1990 et 36/1990
14.  Le 30 janvier 1990, le bureau d'urbanisme de Thira accorda à M. un permis de bâtir (no 19/1990) pour la reconstruction du rez-de-chaussée et l'addition d'un étage sur un bâtiment.
15.  Toutefois, M. procéda à des constructions en violation de ce permis de bâtir. Le 21 juin 1990, suite aux réclamations de la requérante, le bureau d'urbanisme effectua une descente sur les lieux et établit deux rapports (nos 34/1990 et 36/1990), dans lesquels il fut constaté que les constructions litigieuses étaient illégales et devaient être démolies. Par la suite, la suspension des travaux fut ordonnée.
16.  En décembre 1991, le bureau d'urbanisme procéda à la révision du permis de construire. Le 13 décembre 1991, sans mettre au courant la requérante, le bureau donna à M. la permission de continuer les travaux. Lorsque la requérante en fut informée en mai 1992, elle déposa une demande en révocation de cette permission, laquelle n'a pas abouti.
D.  Le permis de bâtir no 246/1992 portant révision des permis nos 2/1987, 329/1989 et 19/1990
17.  Le 2 juillet 1992, par acte no 284/1992, la commission de contrôle architectural (Επιτροπή Αρχιτεκτονικού Ελέγχου) exprima l'avis unanime que M. devait procéder à la révision de ses permis de bâtir afin de régulariser les constructions litigieuses.
18.  Le 8 juillet 1992, le bureau d'urbanisme délivra le permis de bâtir no 246/1992 pour la construction d'une terrasse couverte. Les permis nos 2/1987, 329/1989 et 19/1990 furent révisés « en raison de petites modifications sur les façades », en vertu du même permis.
19.  Le 12 décembre 1994, le bureau d'urbanisme de Thira procéda à la révocation du permis no 246/1992 ainsi que des révisions des précédents permis de bâtir, tout en laissant en vigueur les permis de bâtir initiaux.
E.  Les procédures devant le Conseil d'Etat
20.  Le 24 août 1992, la requérante saisit le Conseil d'Etat d'un recours en annulation des actes nos 246/1992 et 284/1992. Elle invoquait notamment l'existence de constructions illicites sur les immeubles de M. et contestait la légalité des permis nos 2/1987, 329/1989 et 19/1990. La requérante assortit son recours d'une demande de préférence (αίτηση προτιμήσεως), pour que l'affaire soit examinée le plus vite possible. L'audience fut fixée au 2 février 1993 et reportée par la suite à douze reprises.
21.  Le 26 octobre 1999, par arrêt no 3326/1999, le Conseil d'Etat rejeta le recours de la requérante. S'agissant de l'acte no 246/1992, le Conseil d'Etat considéra que « les actes attaqués [portant révision des permis de construire nos 2/1987, 329/1989 et 19/1990] ne concernent pas la légalisation des constructions illégales et qu'en tout état de cause, l'existence de constructions illégales ne saurait empêcher la délivrance d'un permis de construire ou d'un acte de révision pour d'autres parties de l'immeuble ». Dès lors, le Conseil d'Etat estima que les rapports de descente sur les lieux, invoqués par la requérante à l'appui de son recours, étaient sans rapport avec la légalité des actes attaqués. Par ailleurs, le Conseil d'Etat nota que les autres moyens invoqués par la requérante concernaient la légalité des permis nos 2/1987, 329/1989 et 19/1990. Or, ces moyens étaient irrecevables, puisqu'ils sollicitaient un examen incident d'actes administratifs individuels, ce qui serait contraire à la loi. A titre subsidiaire, le Conseil d'Etat nota que le recours en annulation dont il était saisi ne saurait être considéré comme visant également lesdits permis, puisque l'intéressée n'avait pas respecté à cet égard le délai prévu par la loi.
22.  S'agissant de l'acte no 284/1992, le Conseil d'Etat considéra que celui-ci était un avis sans caractère exécutoire et ne pouvait donc faire l'objet d'un recours en annulation.
23.  Entre-temps, le 14 avril 1995, M. saisit également le Conseil d'Etat d'un recours en annulation des actes de révocation du permis no 246/1992 et des révisions des permis nos 2/1987, 329/1989 et 19/1990. La requérante intervint dans la procédure.
24.  Le 26 octobre 1999, par arrêt no 3325/1999, le Conseil d'Etat fit droit au recours de M. et annula les actes attaqués.
F.  Les rapports de descente sur les lieux nos 20/1995 et 57/1995 et la demande en révision des permis nos 2/1987, 329/1989 et 19/1990
25.  Le 15 février 1995, le bureau d'urbanisme effectua une nouvelle descente sur les lieux et établit deux rapports (nos 20/1995 et 57/1995) portant sur les constructions litigieuses. Les 24 février et 5 mai 1995, M. exerça un recours contre ces deux rapports. L'examen de ce recours est toujours pendant.
26.  Par ailleurs, le 9 juin 1995, M. déposa une demande tendant à la révision des permis nos 2/1987, 329/1989 et 19/1990. L'examen de cette demande est toujours en cours.
G.  Les autres démarches entreprises par la requérante aux fins de la démolition des constructions litigieuses
27.  La requérante continua à entreprendre des démarches auprès des services compétents aux fins de la démolition des constructions litigieuses.
28.  Elle dénonça également le danger d'écroulement causé par les constructions de M. Suite à ses multiples réclamations, une enquête administrative sous serment fut ordonnée par le ministère de l'Environnement. Le 3 mars 1993, l'expert nommé aboutit à la conclusion que « l'Etat doit prendre des mesures immédiates et efficaces afin de faire face à ces problèmes ».
29.  Par la suite, la requérante dénonça à plusieurs reprises l'inertie des autorités compétentes.
30.  Le 13 juin 1994, le ministre de l'Environnement, de l'Aménagement du territoire et des Travaux publics envoya une lettre au bureau de l'urbanisme de Thira, lui ordonnant de procéder à tous les actes nécessaires (révocation des permis de construire, imposition d'amendes, démolitions) afin de régulariser la situation.
31.  Le 20 septembre 1995, le bureau d'urbanisme de Thira, dans un rapport adressé au ministre de l'Environnement, de l'Aménagement du territoire et des Travaux publics, se justifiait de ne pas avoir procédé à la démolition des constructions litigieuses en raison de l'absence d'une équipe de démolition.
32.  Le 15 avril 2002, dans un courrier adressé au Conseil Juridique de l'Etat, le bureau d'urbanisme de Thira exprimait l'avis que les constructions litigieuses n'entravaient pas particulièrement la vue et l'accès à la propriété de la requérante.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
33.  L'article 2 § 1 du décret présidentiel du 12 juillet 1983 « relatif à la procédure de qualification et de démolition de nouvelles constructions illégales » prévoit que tout intéressé peut déposer un recours contre le rapport de descente sur les lieux. Ce recours est examiné par une commission qui décide dans un délai de dix jours à compter du dépôt du recours. La décision de la commission est définitive. Si la commission rejette le recours, la démolition doit être exécutée dans un délai de dix jours (article 2 § 4 du décret).
34.  Selon la jurisprudence de la Cour suprême spéciale, les actes administratifs qui concernent la légalité des constructions et qui imposent des amendes ou ordonnent la démolition de constructions illégales, poursuivent un but d'intérêt public ; par conséquent, les recours exercés contre eux sont à l'origine de litiges administratifs (arrêt no 2/1993).
Article 1108 du Code civil (actio negatoria)
« S'il est porté atteinte à la propriété autrement que par usurpation ou détention du bien, le propriétaire a le droit d'exiger de l'auteur de l'atteinte de supprimer celle-ci et de s'abstenir à l'avenir. La prétention à un dédommagement ultérieur selon les dispositions relatives aux actes illicites n'est pas exclue.
Le droit visé à l'alinéa précédent n'est pas accordé si l'auteur de l'atteinte agit en vertu d'un droit. »
Article 914 du Code civil
« Celui qui, contrairement à la loi, cause par sa faute un dommage à autrui, est tenu à réparation. »
Article 919 du Code civil
« Celui qui a causé intentionnellement un dommage à autrui en agissant contre les bons mœurs, est tenu à réparation. »
Article 731 du Code de procédure civile
« Le tribunal a le droit d'ordonner comme mesure conservatoire l'exécution, l'omission ou la tolérance d'un acte par celui contre lequel la demande est adressée. »
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
35.  La requérante se plaint de la durée des deux procédures engagées devant le Conseil d'Etat. Elle invoque l'article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
36.  Le Gouvernement ne se prononce pas sur ce point.
A.  Périodes à prendre en considération
37.  La Cour note que la première procédure devant le Conseil d'Etat a débuté le 24 août 1992 et s'est terminée le 26 octobre 1999, soit une durée de sept ans, deux mois et deux jours. Quant à la seconde procédure, elle a débuté le 14 avril 1995 et s'est terminée le 26 octobre 1999, soit une durée de quatre ans, six mois et douze jours.
B.  Caractère raisonnable de la durée des procédures
38.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d'autres, Richard c. France, arrêt du 22 avril 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p. 824, § 57 ; Doustaly c. France, arrêt du 23 avril 1998, Recueil 1998-II, p. 857, p. 39).
39.  Par ailleurs, seules les lenteurs imputables aux autorités judiciaires compétentes peuvent amener à constater un dépassement du délai raisonnable contraire à la Convention. Même dans les systèmes juridiques consacrant le principe de la conduite du procès par les parties, l'attitude des intéressés ne dispense pas les juges d'assurer la célérité voulue par l'article 6 § 1 (Varipati c. Grèce, no 38459/97, 26.10.1999, § 26).
40.  Pour ce qui est de la présente affaire, la Cour observe que la requérante a en général fait preuve de diligence dans la conduite des procédures. Force est alors de constater que, s'agissant des durées de plus de sept et quatre ans respectivement pour un seul degré de juridiction, la lenteur des procédures résulte essentiellement du comportement de la juridiction saisie.
41.  La Cour réaffirme qu'il incombe aux Etats contractants d'organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d'obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable. Dès lors, la Cour ne saurait estimer « raisonnable » les durées écoulées en l'espèce.
Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
42.  La requérante se plaint de ne pas disposer en droit grec d'un recours effectif pour faire valoir ses droits et obtenir la démolition des constructions litigieuses. Elle invoque l'article 13 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
43.  Le Gouvernement affirme que la requérante aurait pu intenter l'actio negatoria, prévue par l'article 1108 du Code civil, afin d'obliger M. à procéder à la démolition des constructions litigieuses. Elle aurait pu aussi intenter une action en dommages-intérêts, conformément aux articles 914 et 919 du Code civil. Enfin, elle aurait pu s'adresser au juge des référés, suivant la procédure prévue par l'article 731 du Code de procédure civile, afin d'obtenir la protection provisoire de ses droits.
44.  A titre subsidiaire, le Gouvernement soutient que la requérante n'a pas démontré de manière plausible qu'elle peut se prétendre victime de ses droits reconnus par la Convention. A cet égard, le Gouvernement invoque un courrier adressé le 15 avril 2002 au Conseil Juridique de l'Etat, dans lequel le bureau d'urbanisme de Thira exprimait l'avis que les constructions litigieuses ne portaient pas atteinte à la propriété de la requérante, notamment en ce qui concerne la vue ou l'accès à celle-ci.
45.  La requérante répond qu'elle a un grief plausible et défendable fondé sur l'article 1 du Protocole no 1, dans la mesure où ses droits patrimoniaux sont atteints en raison du refus illicite du bureau d'urbanisme de Thira de procéder à la démolition des constructions litigieuses. Elle précise que ses griefs sont dirigés non pas contre M., mais contre l'inertie de l'administration, face à laquelle elle ne dispose d'aucun recours effectif.
46.  A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la Cour considérerait que l'article 13 vise également les recours qu'elle aurait pu intenter contre M., la requérante affirme qu'aucun des recours proposés par le Gouvernement ne lui serait d'utilité. Concernant en particulier l'actio negatoria et l'action en réparation, la requérante souligne qu'elle ne peut intenter ces recours, dans la mesure où son différend avec M. constitue un litige administratif qui échappe à la compétence des tribunaux civils. A supposer même que les tribunaux civils seraient compétents pour connaître de l'affaire, la requérante estime que M. pourrait contester le caractère illicite de ses agissements, condition nécessaire de la recevabilité des recours susmentionnés, en arguant que la légalité de ses constructions fait actuellement l'objet d'un nouvel examen (voir paragraphes 25 et 26 ci-dessus). Enfin, la requérante note que même si elle avait saisi le juge des référés, elle aurait dû assortir sa demande d'une action sur le fond, basée sur les articles 914, 919 ou 1108 du Code civil, dont elle affirme qu'elle vient de démontrer l'inefficacité.
47.  La Cour rappelle que l'article 13 de la Convention garantit l'existence en droit interne d'un recours permettant de s'y prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu'ils peuvent s'y trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d'exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d'un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié (voir, parmi beaucoup d'autres, Kudla c. Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000–XI).
La portée de l'obligation que l'article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l'article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit (voir, par exemple, İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 97, CEDH 2000-VII).
L'« effectivité » d'un « recours » au sens de l'article 13 ne dépend pas de la certitude d'une issue favorable pour le requérant. De même, l'« instance » dont parle cette disposition n'a pas besoin d'être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu'elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l'effectivité du recours s'exerçant devant elle. En outre, l'ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l'article 13, même si aucun d'eux n'y répond en entier à lui seul (voir, parmi beaucoup d'autres, Silver et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 25 mars 1983, série A no 61, p. 42, § 113 ; Chahal c. Royaume-Uni, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, pp. 1869-1870, § 145).
48.  En l'occurrence, la Cour rappelle que, dans sa requête initiale, la requérante s'était plainte d'une atteinte à ses droits patrimoniaux. Elle soutenait que le fait de ne pas pouvoir obtenir la démolition des constructions litigieuses la privait de la vue dont elle jouissait auparavant et réduisait la valeur marchande de sa propriété. La Cour rejeta ce grief pour non-épuisement des voies de recours internes (Dactylidi c. Grèce (déc.), no 52903/99, 28 février 2002, non publiée). Cette conclusion n'implique pas que les allégations de manquement aux exigences de l'article 1 du Protocole no 1 n'étaient pas défendables. La Cour reconnaît qu'elles l'étaient (voir Antonetto c. Italie (déc.), no 15918/89, 16.12.1999, non publiée). La requérante était donc en droit de disposer d'un recours pour les faire valoir.
49.  Il s'impose dès lors de déterminer si l'ordre juridique hellénique offrait à la requérante un recours effectif au sens de l'article 13 de la Convention lui permettant d'exposer son grief défendable et d'obtenir réparation.
50.  La Cour note que le Gouvernement se borne à invoquer les recours dont disposerait la requérante à l'encontre de M. Or, c'est l'inertie de l'administration qui fait grief à la requérante et la question qui se pose en l'espèce est celle de savoir si l'intéressée dispose en droit interne d'un recours lui permettant d'obliger l'administration à se conformer aux décisions prises par ses propres organes. La Cour relève à cet égard que le Gouvernement n'affirme pas qu'il existe une telle voie de recours.
51.  Par ailleurs, à supposer même qu'une action contre M. eût été utile, la Cour note que l'effectivité des recours proposés par le Gouvernement n'a pas été établie, s'agissant notamment des recours civils alors que la présente affaire porte sur un litige administratif. De plus, le Gouvernement n'a pu produire aucun exemple de la pratique interne attestant qu'il aurait été possible à la requérante d'obtenir la démolition des constructions litigieuses en utilisant les recours en question.
52.  Dès lors, la Cour estime qu'en l'espèce il y a eu violation de l'article 13 de la Convention en raison de l'absence en droit interne d'un recours qui eût permis à la requérante d'obtenir la démolition des constructions litigieuses.
III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
53.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommages
54.  La requérante affirme que le fait de ne pas disposer en droit interne d'un recours effectif pour faire valoir ses droits, lui a causé un tort matériel qui doit être indemnisé. Dès lors, elle réclame 148 000 euros (EUR) au titre du dommage matériel. Cette somme correspond à la valeur marchande de sa propriété, telle qu'établie par les experts immobiliers Lambert Smith Hampton dans un rapport du 30 avril 2002.
55.  Par ailleurs, la requérante demande à la Cour de lui allouer 157 500 EUR pour la souffrance et la détresse morales résultant de la violation de ses droits garantis par la Convention.
56.  Le Gouvernement juge ces sommes exorbitantes. Il affirme notamment qu'il n'existe pas de lien de causalité entre le préjudice matériel allégué et la violation constatée.
57.  Sur la base des éléments dont elle dispose, la Cour conclut que la requérante n'a pas démontré que le dommage matériel allégué par elle ait effectivement résulté de l'absence en droit interne d'un recours lui permettant d'obtenir la démolition des constructions litigieuses. En conséquence, rien ne justifie qu'elle lui accorde une indemnité de ce chef.
58.  En revanche, la Cour admet que la requérante doit avoir subi un préjudice moral – du fait notamment de la frustration provoquée par la longue durée des procédures devant le Conseil d'Etat et l'absence en droit interne d'un recours effectif pour faire valoir ses droits – que ne compensent pas suffisamment les constats de violations. Statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, la Cour alloue à la requérante 8 000 EUR à ce titre.
B.  Frais et dépens
59.  La requérante sollicite le remboursement de 6 706,6 EUR pour les frais et dépens exposés devant les juridictions administratives dans le cadre des démarches entreprises aux fins de la démolition des constructions litigieuses. Elle demande en outre à la Cour de lui accorder ex aequo et bono la somme forfaitaire de 3 000 EUR en remboursement des frais relatifs aux procédures devant le Conseil d'Etat. La requérante réclame aussi 26 279,43 EUR pour les frais et dépens engagés dans le cadre de la procédure devant la Cour.
60.  Le Gouvernement qualifie d'exorbitantes les demandes de la requérante.
61.  La Cour rappelle que, lorsqu'elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder à un requérant le paiement non seulement de ses frais et dépens devant les organes de la Convention, mais aussi de ceux qu'il a engagés devant les juridictions nationales pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation (voir Hertel c. Suisse, arrêt du 25 août 1998, Recueil 1998-VI, p. 2334, § 63).
62.  En l'espèce, la Cour estime que la requérante est en droit de demander le remboursement des frais relatifs à ses demandes auprès de l'administration. La Cour ne peut cependant accueillir la totalité des prétentions de la requérante, d'autant plus que celle-ci ne produit aucune facture ou note d'honoraires relatives à ces démarches. Statuant en équité, la Cour accorde à la requérante 2 000 EUR pour les frais encourus devant les instances administratives. S'agissant en outre des frais encourus devant le Conseil d'Etat, la Cour note qu'ils n'ont aucunement été établis. Partant, il y a lieu d'écarter la demande sur ce point.
63.  Pour ce qui est des frais et dépens se rapportant à la présente procédure, la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, l'allocation de frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000–XI).
64.  La Cour ne doute pas que les honoraires réclamés aient été effectivement engagés. Comme le Gouvernement, elle trouve cependant excessifs les frais totaux revendiqués à ce titre. Elle note d'ailleurs qu'elle a rejeté une importante fraction des griefs de la requérante.
65.  La Cour considère dès lors qu'il n'y a lieu de rembourser qu'en partie les frais exposés par la requérante devant elle. Statuant en équité et en fonction des critères susmentionnés, la Cour accorde à la requérante 8 000 EUR à ce titre.
C.  Intérêts moratoires
66.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention ;
3.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 8 000 EUR (huit mille euros) pour dommage moral ;
ii. 10 000 EUR (dix mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 mars 2003 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Françoise Tulkens   Greffier adjoint Présidente
ARRÊT DACTYLIDI c. GRÈCE
ARRÊT DACTYLIDI c. GRÈCE 


Synthèse
Formation : Cour (première section)
Numéro d'arrêt : 52903/99
Date de la décision : 27/03/2003
Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1 ; Violation de l'art. 13 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 13) GRIEF DEFENDABLE, (Art. 6) PROCEDURE ADMINISTRATIVE


Parties
Demandeurs : DACTYLIDI
Défendeurs : GRECE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2003-03-27;52903.99 ?
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