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27/03/2003 | CEDH | N°58698/00

CEDH | PAULINO TOMAS contre le PORTUGAL


TROISIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 58698/00  présentée par Ana Maria PAULINO TOMÁS  contre le Portugal
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant les 27 mars et 22 mai 2003 en une chambre composée de :
MM. G. Ress, président,    L. Caflisch,    R. Türmen,    B. Zupančič,   Mme H.S. Greve,   MM. K. Traja, juges,    V.M. Gonçalves Gomes, juge ad hoc,  et de M.  V. Berger, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée, introduite le 29 juin 200

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Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requé...

TROISIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 58698/00  présentée par Ana Maria PAULINO TOMÁS  contre le Portugal
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant les 27 mars et 22 mai 2003 en une chambre composée de :
MM. G. Ress, président,    L. Caflisch,    R. Türmen,    B. Zupančič,   Mme H.S. Greve,   MM. K. Traja, juges,    V.M. Gonçalves Gomes, juge ad hoc,  et de M.  V. Berger, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée, introduite le 29 juin 2000,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,
Vu les observations présentées oralement par les parties à l’audience du 27 mars 2003,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
La requérante, Mme Ana Maria Paulino Tomás, est une ressortissante portugaise née en 1970 et résidant à Caldas da Rainha (Portugal). Elle est représentée devant la Cour par Me A.P. de Carvalho, avocate à Caldas da Rainha, qui a comparu pour sa cliente à l’audience du 27 mars 2003. Le gouvernement défendeur était représenté à celle-ci par son agent, M. J. Miguel, procureur général adjoint, assisté par Mme M.M. Flores Ferreira, également procureur général adjoint et coordonnatrice à la section du contentieux administratif du Tribunal central administratif.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 17 mai 1993, la requérante introduisit devant le tribunal de Caldas da Rainha, qu’elle invita par ailleurs à lui octroyer l’assistance judiciaire, une demande en réparation des préjudices subis à la suite d’un accident de la circulation dont elle avait été victime ; l’action était dirigée contre deux personnes physiques et contre le Fonds de garantie automobile (ci-après « le Fonds »).
Le 25 mai 1993, le juge ordonna la comparution des défendeurs.
Le Fonds déposa ses conclusions en réponse le 13 juillet 1993. L’un des autres défendeurs déposa les siennes le 14 juillet 1993, réclamant par ailleurs le bénéfice de l’assistance judiciaire.
Par une ordonnance du 10 février 1995, le juge demanda aux autorités de police des renseignements sur la situation économique et sociale de la requérante et du défendeur qui avait sollicité l’assistance judiciaire. La Garde nationale républicaine lui répondit le 26 mai 1995.
Le 26 juin 1995, le juge rendit une décision préparatoire (despacho saneador) spécifiant les faits établis et ceux restant à établir. Il accorda par ailleurs l’assistance judiciaire à la requérante et au défendeur qui l’avait demandée.
Le greffe du tribunal de Caldas da Rainha ayant constaté que ni les conclusions en réponse susmentionnées ni la décision préparatoire n’avaient été portées à la connaissance de la requérante, le juge ordonna, le 15 février 1996, la notification desdits actes à cette dernière.
Le 30 septembre 1996, la requérante déposa sa liste de témoins. Elle pria par ailleurs le tribunal d’inviter une compagnie d’assurances et le centre médical de Caldas da Rainha à produire certains documents et exprima le vœu d’être soumise à une expertise médicale. Le juge fit droit à ces demandes le 28 octobre 1996.
Le centre médical de Caldas da Rainha produisit les documents requis le 30 janvier 1997. La compagnie d’assurances s’exécuta pour sa part le 2 décembre 1997, après que le juge l’eut sanctionnée d’une amende pour n’avoir pas obtempéré en temps utile.
Par une ordonnance du 30 janvier 1998, le juge fixa au 9 février 1998 la désignation des experts. L’expertise eut lieu le 20 mai 1998, et le rapport fut déposé le 2 juin 1998.
Le 30 juin 1998, le juge fixa les débats au 25 novembre 1998. L’audience ne put toutefois se tenir le jour dit, l’avocat de l’un des défendeurs étant absent. Reportée au 26 avril 1999, elle ne put davantage avoir lieu à cette date, le tribunal étant occupé par une déposition de témoins dans le cadre d’une procédure pénale. Elle eut finalement lieu le 16 novembre 1999.
Par un jugement du 4 janvier 2000, le tribunal fit partiellement droit aux prétentions de la requérante.
B.  Le droit et la pratique internes pertinents
1.  La Constitution
L’article 20 § 4 de la Constitution de 1976 consacre le droit à une « décision judiciaire dans un délai raisonnable ».
L’article 22 définit par ailleurs la responsabilité civile de l’Etat et de ses organes et agents dans les termes suivants :
« L’Etat et les autres entités publiques sont civilement responsables, conjointement avec les membres de leurs organes et leurs fonctionnaires ou agents, de toutes les actions ou omissions commises par ceux-ci dans l’exercice ou à cause de l’exercice de leurs fonctions et dont il résulte des violations des droits, libertés et garanties ou un préjudice pour autrui. »
2.  Le décret-loi no 48051 du 21 novembre 1967
Ce décret-loi régit la responsabilité civile extra-contractuelle de l’Etat. Ses dispositions présentant un intérêt pour la présente affaire se lisent ainsi :
Article 2 § 1
« L’Etat et les autres personnes morales publiques sont civilement responsables envers les tiers des atteintes aux droits de ceux-ci ou aux dispositions légales destinées à protéger leurs intérêts qui résultent d’actes illicites commis avec faute (culpa) par leurs organes ou agents administratifs dans l’exercice ou à cause de l’exercice de leurs fonctions. »
Article 6
« Aux fins de ce décret, sont réputés illicites les actes juridiques qui enfreignent les normes légales et réglementaires ou les principes généraux généralement applicables, ainsi que les actes matériels qui enfreignent ces normes et principes ou les règles d’ordre technique et de prudence générale qui doivent être prises en considération. »
Article 7
« Le devoir d’indemniser qui pèse sur l’Etat et les autres personnes morales publiques, ainsi que sur les membres de leurs organes et leurs agents, ne dépend pas de l’exercice par les victimes de leur droit de recours contre les actes à l’origine du dommage ; toutefois, le droit à réparation ne subsiste que si le dommage ne peut être imputé au défaut d’introduction d’un recours ou à une conduite procédurale négligente après l’introduction d’un recours. »
La jurisprudence en matière de responsabilité civile extra-contractuelle de l’Etat considère que ce dernier n’est tenu à réparation que s’il y a un acte illicite, commis avec faute, et un lien de causalité entre l’acte et le dommage allégué.
Selon l’article 498 du code civil, le droit à réparation se prescrit dans le délai de trois ans à compter de la date à laquelle la victime prend ou aurait dû prendre connaissance de la possibilité d’exercer ce droit.
3.  La jurisprudence des juridictions portugaises en la matière
Rendue le 7 mars 1989, la décision de la Cour suprême administrative dans l’affaire Garagens Pintosinho, Lda demeura longtemps le seul exemple d’application du décret-loi no 48051 à la durée d’une procédure. Se référant aux arrêts rendus par la Cour européenne des Droits de l’Homme dans les affaires Guincho c. Portugal (arrêt du 10 juillet 1984, série A no 81), Baraona c. Portugal (arrêt du 8 juillet 1987, série A no 122) et Martins Moreira c. Portugal (arrêt du 26 octobre 1988, série A no 143), la haute juridiction considéra que la durée excessive d’une procédure s’analysait en un acte illicite justifiant une réparation. Etaient surtout en cause dans l’affaire Garagens Pintosinho, Lda les cinq ans mis par le tribunal du travail de Lisbonne pour prononcer un jugement que la loi lui imposait de rendre dans un délai de trois jours.
Puis, le 15 octobre 1998, la Cour suprême administrative se prononça sur l’affaire Pires Neno, qui concernait une procédure civile dont l’instance unique avait duré pratiquement sept ans. Les demandeurs à cette action avaient parallèlement introduit devant la Commission européenne des Droits de l’Homme une requête dénonçant ladite durée. La procédure avait abouti à l’adoption par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe d’une résolution accordant aux intéressés une indemnité de 540 000 escudos portugais (PTE). La Cour suprême administrative fit partiellement droit à la demande des requérants et condamna l’Etat à leur verser une indemnité de 900 000 PTE, moins les 540 000 PTE susmentionnés. Se référant à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, elle considéra notamment que la responsabilité civile extra-contractuelle de l’Etat était engagée à raison des dommages moral et matériel causés de manière illicite et fautive par les dysfonctionnements de la justice ayant emporté violation des articles 20 de la Constitution et 6 § 1 de la Convention. Cet arrêt fut publié et commenté dans la revue juridique Cadernos de Justiça Administrativa no 17 de septembre/octobre 1999.
Une décision similaire fut rendue par la Cour suprême administrative le 1er février 2001 dans l’affaire Alecarpeças, Lda., qui concernait le retard avec lequel une commission rogatoire avait été accomplie dans le cadre d’une procédure d’exécution. La Cour suprême administrative souligna que le dépassement des délais de procédure n’était pas, en tant que tel, un acte illicite, mais qu’il le devenait s’il y avait en même temps violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Enfin, le tribunal administratif de Coimbra, dans un jugement du 14 juillet 1999 non contesté par l’Etat, fit également droit à une demande d’indemnisation fondée sur la responsabilité extra-contractuelle de celui-ci pour la durée excessive d’une procédure d’opposition à une exécution déjà terminée.
D’après un tableau statistique produit par le Gouvernement, vingt-cinq actions fondées sur la responsabilité extra-contractuelle de l’Etat pour des durées excessives de procédures ont été introduites devant les juridictions administratives. Quatre se sont soldées par la condamnation de l’Etat, quatre autres ont vu les demandeurs déboutés de leurs prétentions. Dix-sept procédures sont toujours pendantes ; dans deux d’entre elles, l’Etat a été condamné en première instance mais a fait appel devant la Cour suprême administrative.
4.  Les projets de loi no 95/VIII et no 148/IX
En juillet 2001, le gouvernement déposa au Parlement le projet de loi   no 95/VIII concernant la responsabilité civile extra-contractuelle de l’Etat et abrogeant le décret-loi no 48051.
L’exposé des motifs du projet indiquait notamment que « pour la première fois dans l’ordre juridique portugais » un texte législatif réglait de manière globale la responsabilité extra-contractuelle de l’Etat pour les dommages résultant de l’exercice des fonctions politique, législative, administrative et, « pour la première fois au Portugal », juridictionnelle. Il y était précisé que l’on avait « jugé utile d’incorporer dans la loi des solutions trouvées au fil du temps par la jurisprudence ».
Les articles 7 à 10 du projet réglaient la responsabilité de l’Etat pour les dommages causés dans l’exercice de ses fonctions administratives. L’article 7 §§ 2 et 3 introduisait de manière explicite la notion de « faute de service » ou « faute fonctionnelle ».
L’article 12 du projet disposait notamment :
« (...) les règles en matière de responsabilité pour les faits illicites commis dans l’exercice de la fonction administrative sont applicables aux dommages causés de manière illicite par l’administration de la justice, notamment en cas de violation du droit à une décision judiciaire dans un délai raisonnable. »
Ce projet est devenu caduc à la suite de la dissolution du Parlement.
Le 21 novembre 2002, toutefois, le nouveau Parlement a adopté en première lecture le projet de loi no 148/IX, déposé par des membres du Parti socialiste, qui reprend intégralement l’exposé des motifs et le texte du projet de loi no 95/VIII.
Ce texte doit encore être approuvé en deuxième lecture.
5.  La circulaire no 11/2002 du procureur général de la République
Le 20 décembre 2002, le procureur général de la République a émis une circulaire à l’intention de tous les agents et magistrats du ministère public. Il les invite à s’abstenir de contester la compétence ratione materiae des juridictions administratives pour examiner les actions en responsabilité extra-contractuelle de l’Etat fondées sur des durées excessives de procédures.
Conformément à l’article 76 du Statut du ministère public, tous les agents et magistrats du ministère public sont tenus de suivre cette circulaire.
GRIEF
Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint de la durée de la procédure en réparation intentée par elle.
EN DROIT
La requérante voit dans la longueur de la procédure en cause une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, qui dit notamment ceci :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Le Gouvernement soulève d’emblée une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Pour lui, il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour suprême administrative que la violation du droit à une décision dans un délai raisonnable engage la responsabilité civile extra-contractuelle de l’Etat, qui est donc tenu d’indemniser les victimes.
Le Gouvernement soutient que l’action en responsabilité extra-contractuelle prévue par le décret-loi no 48051 du 21 novembre 1967 est un moyen accessible, adéquat et efficace pour redresser la situation dénoncée par la requérante. D’après lui, on ne saurait contester l’efficacité de ce recours sur la seule base de critères statistiques.
Le Gouvernement considère qu’il faut distinguer les moyens de prévention, tels ceux permettant de provoquer l’accélération de la procédure, qui visent, pour l’essentiel, à prévenir la violation ou à y mettre fin immédiatement, des moyens de réparation, qui concernent une violation qui a déjà eu lieu. En l’espèce, la violation alléguée ayant déjà été commise, la seule question serait de savoir si la requérante avait à sa disposition un moyen efficace d’obtenir réparation. Le Gouvernement estime que tel était le cas. Il se réfère en particulier à l’arrêt rendu par la Cour suprême administrative le 15 octobre 1998 dans l’affaire Pires Neno, dont il ressortirait clairement que la haute juridiction a suivi intégralement les principes et critères de la Cour européenne des Droits de l’Homme en matière de « délai raisonnable ».
Le Gouvernement invoque également la décision Giummarra c. France (no 61166/00, 12 juin 2001), dans laquelle la Cour a considéré que l’action fondée sur l’article L. 781-1 du code français de l’organisation judiciaire est un recours qui doit être exercé par celui qui veut se plaindre de la durée excessive d’une procédure. Il considère que la situation est analogue au Portugal, les différences entre les deux dispositions légales en cause ne pouvant justifier des solutions divergentes.
La requérante conteste ces arguments.
Elle souligne d’abord que l’article 20 de la Constitution est, à l’instar d’autres dispositions de cette dernière, une norme « de programme », ou « d’intention ».
D’après elle, les dispositions du décret-loi no 48051 ne sauraient constituer un recours efficace permettant de se plaindre de la durée d’une procédure. Le nombre très réduit de cas ayant débouché sur un dédommagement des intéressés le prouverait.
Par ailleurs, il serait de notoriété publique que la justice au Portugal est trop lente. Si les justiciables étaient obligés de saisir les juridictions administratives avant de s’adresser à la Cour, la violation de leur droit à voir leur cause tranchée dans un délai raisonnable serait aggravée dans la mesure où, en réagissant contre la durée excessive de la procédure, ils se trouveraient confrontés au risque de subir une deuxième violation dudit droit. On ne pourrait admettre qu’une telle situation puisse persister pendant un temps indéterminé.
Quant aux éléments jurisprudentiels produits par le Gouvernement, ils n’y changeraient rien. Les juridictions portugaises seraient toujours en train de discuter la question préalable de leur compétence pour examiner ce type d’actions. Une telle compétence serait d’ailleurs contestée de manière systématique par le ministère public, agissant au nom de l’Etat. Le libellé des projets de loi no 95/VIII et no 148/IX démontrerait qu’il n’est pas possible, sous l’empire de la loi actuelle, d’obtenir un dédommagement en raison de la durée excessive d’une procédure. Les décisions de la Cour suprême administrative paraissant attester du contraire, notamment celle rendue dans l’affaire Pires Neno, seraient exceptionnelles et isolées : le Gouvernement n’en aurait cité que quatre, alors que le décret-loi no 48051 est en vigueur depuis 35 ans.
Et la requérante de conclure que le recours en cause ne peut être considéré comme adéquat ou efficace.
La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. Se pose donc en premier lieu la question du bien-fondé de l’exception formulée par le Gouvernement en l’espèce. A cet égard, la Cour souligne que tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l’occasion que cette disposition a pour finalité de ménager en principe aux Etats contractants : éviter ou redresser les violations alléguées contre eux (voir, par exemple, Cardot c. France, arrêt du 19 mars 1991, série A no 200, p. 19, § 36). Cette règle se fonde sur l’hypothèse – objet de l’article 13 de la Convention, avec lequel elle présente d’étroites affinités – que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (voir, par exemple, Selmouni   c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V).
L’article 35 de la Convention ne prescrit toutefois l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Vernillo c. France du 20 février 1991, série A no 198, § 27, et Dalia c. France du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, § 38).
La Cour rappelle que le gouvernement portugais a déjà par le passé formulé sans succès devant la Commission européenne des Droits de l’Homme une exception de non-épuisement consistant à dire que l’action en responsabilité prévue par le décret-loi no 48051 constituait un recours efficace pour se plaindre de la durée d’une procédure. Dans l’affaire Gama da Costa c. Portugal (no 12659/87, décision du 5 mars 1990, Décisions et rapports 65, p. 136) la Commission expliqua son rejet comme suit :
« (...) le Gouvernement n’a pas montré que le décret-loi no 48051 du 21 novembre 1967 régissant la responsabilité extra-contractuelle de l’Etat s’applique aux cas de durées de procédures pendantes ou terminées, devant les juridictions portugaises compétentes. Le Gouvernement n’a pas cité à cet égard un seul exemple tiré de la jurisprudence démontrant qu’une telle action avait des chances réelles de succès, alors que le texte législatif en question est en vigueur depuis plus de vingt ans. »
Le Gouvernement soulève de nouveau cette exception aujourd’hui, en se fondant notamment sur l’évolution de la jurisprudence des juridictions administratives. Il y aurait ainsi un nombre croissant de décisions accordant des dédommagements à raison de la durée excessive de procédures.
Au vu des documents produits par le Gouvernement, la Cour constate que tel est effectivement le cas. Certes, pendant un long laps de temps la jurisprudence de la Cour suprême administrative se résuma à l’arrêt Garagens Pintosinho, Lda., du 7 mars 1989. Depuis le 15 octobre 1998, toutefois, c’est-à-dire depuis l’arrêt Pires Neno, on peut considérer que la Cour suprême administrative admet que la durée excessive d’une procédure judiciaire peut engager la responsabilité de l’Etat au regard de l’article 6 de la Convention. Comme ceux qui l’ont suivi, l’arrêt Pires Neno se réfère d’ailleurs expressément à la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme et se fonde sur les critères retenus par cette dernière pour examiner le caractère raisonnable de la longueur d’une procédure judiciaire.
La requérante soutient que cette jurisprudence ne présente pas un degré suffisant de certitude juridique. Elle relève à cet égard que le ministère public conteste la compétence des juridictions administratives pour examiner ce type d’actions et considère que les projets de loi déposés au Parlement prouvent que le texte actuel est pour le moins incertain.
La Cour juge ces arguments peu convaincants. Elle souligne d’abord que, par sa circulaire no 11/2002 du 20 décembre 2002, le procureur général de la République a invité tous les agents et magistrats du ministère public à s’abstenir de contester la compétence ratione materiae des juridictions administratives dans ce type d’affaires. Quoi qu’il en soit, la question semble aujourd’hui résolue, les juridictions administratives s’estimant désormais compétentes pour connaître des actions en responsabilité intentées contre l’Etat pour durée excessive d’une procédure.
Quant aux projets de loi déposés au Parlement et visant à remplacer le décret-loi no 48051, la Cour note qu’il ressort de leur exposé des motifs que l’on a « jugé utile d’incorporer dans la loi des solutions trouvées au fil du temps par la jurisprudence ». Cette phrase semble viser notamment l’évolution relativement récente de la jurisprudence en matière de recours contre la durée excessive de la procédure. On ne saurait donc se fonder sur la teneur de ces projets de loi pour nier au décret-loi no 48051, tel qu’interprété par les juridictions administratives à l’heure actuelle, un degré suffisant de certitude juridique. Cela dit, la Cour tient à souligner que la situation en la matière s’améliorera et se clarifiera encore lorsque les projets en cause auront été adoptés par le Parlement.
Eu égard à ce qui précède, la Cour estime qu’au moins à partir du mois d’octobre 1999, au cours duquel l’arrêt Pires Neno a été publié et commenté dans la revue juridique Cadernos de Justiça Administrativa, l’action en responsabilité extra-contractuelle de l’Etat a acquis un degré de certitude juridique suffisant pour qu’elle puisse et doive être exercée aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention (voir à cet égard la décision Giummarra c. France précitée).
Cette conclusion vaut pour les procédures terminées comme pour celles qui sont toujours pendantes. Il ressort en effet des jugements et arrêts produits par le Gouvernement que ni le droit positif ni la jurisprudence ne distinguent les procédures pendantes de celles qui sont achevées.
La circonstance que l’action en cause, qui revêt un caractère purement indemnitaire, ne permet pas d’accélérer une procédure en cours n’est pas déterminante. La Cour rappelle à cet égard qu’elle a jugé que les recours dont un justiciable dispose sur le plan interne pour se plaindre de la durée d’une procédure sont « effectifs », au sens de l’article 13 de la Convention, lorsqu’ils permettent d’« empêcher la survenance ou la continuation de la violation alléguée, ou [de] fournir à l’intéressé un redressement approprié pour toute violation s’étant déjà produite » (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 158, CEDH 2000-XI). L’article 13 ouvre donc une option en la matière : un recours est « effectif » dès lors qu’il permet soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés (Kudła précité, § 159). Selon la Cour, vu les « étroites affinités » que présentent les articles 13 et 35 § 1 de la Convention (Kudła précité, § 152), il en va nécessairement de même pour la notion de recours « effectif » au sens de cette seconde disposition (Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, CEDH 2002-VIII).
La Cour tient cependant à préciser que cette conclusion n’est valable que pour autant que l’action en responsabilité extra-contractuelle de l’Etat demeure elle-même un recours efficace, adéquat et accessible pour faire sanctionner la durée excessive d’une procédure judiciaire. C’est pourquoi il serait souhaitable que les juridictions administratives portent une attention particulière à ces actions, notamment pour ce qui est de la durée de leur examen. On ne peut en effet exclure qu’une lenteur excessive à cet égard affecte le caractère adéquat de l’action en responsabilité. La Cour rappelle enfin et au demeurant que le caractère adéquat de l’action peut également dépendre du niveau de l’indemnisation (Scordino c. Italie (déc.), no 36813/97, CEDH 2003-IV).
En l’espèce, la Cour constate que la requérante n’a pas saisi les juridictions administratives d’une action en responsabilité extra-contractuelle de l’Etat. Elle relève que lors de l’introduction de la présente requête, le 29 juin 2000, une telle action avait déjà le caractère d’un recours devant être exercé aux fins de l’épuisement des voies de recours internes, au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. La requérante est donc restée en défaut d’épuiser les voies de recours internes. Le fait qu’elle ne peut en principe plus le faire maintenant - une telle action semblant se heurter au délai de prescription de trois ans prévu à l’article 498 du code civil - ne saurait changer ce constat. La Cour rappelle à cet égard que l’épuisement des voies de recours internes s’apprécie normalement à la date d’introduction de la requête (Brusco c. Italie (déc), no 69789/01, CEDH 2001-IX).
La requête doit donc être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Vincent Berger Georg Ress   Greffier Président
DÉCISION PAULINO TOMÁS  c. PORTUGAL
DÉCISION PAULINO TOMÁS  c. PORTUGAL 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 58698/00
Date de la décision : 27/03/2003
Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 2-1) PEINE DE MORT, (Art. 2-1) PREVUE PAR LA LOI, (Art. 2-1) TRIBUNAL COMPETENT, (Art. 3) PEINE INHUMAINE, (Art. 3) TRAITEMENT INHUMAIN, (Art. 34) ENTRAVER L'EXERCICE DU DROIT DE RECOURS, (Art. 5-1) ARRESTATION OU DETENTION REGULIERE, (Art. 5-1) VOIES LEGALES, (Art. 5-3) AUSSITOT TRADUITE DEVANT UN JUGE OU AUTRE MAGISTRAT, (Art. 5-4) CONTROLE DE LA LEGALITE DE LA DETENTION, (Art. 5-4) GARANTIES PROCEDURALES DE CONTROLE, (Art. 5-4) INTRODUIRE UN RECOURS, (Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) EGALITE DES ARMES, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE, (Art. 6-1) TRIBUNAL IMPARTIAL, (Art. 6-1) TRIBUNAL INDEPENDANT, (Art. 6-3) DROITS DE LA DEFENSE, (Art. 6-3-c) SE DEFENDRE AVEC L'ASSISTANCE D'UN DEFENSEUR


Parties
Demandeurs : PAULINO TOMAS
Défendeurs : le PORTUGAL

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2003-03-27;58698.00 ?
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