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29/04/2003 | CEDH | N°50390/99

CEDH | AFFAIRE MCGLINCHEY ET AUTRES c. ROYAUME-UNI


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE McGLINCHEY ET AUTRES c. ROYAUME-UNI
(Requête no 50390/99)
DÉFINITIF
29/07/2003
ARRÊT
STRASBOURG
29 avril 2003
En l’affaire McGlinchey et autres c. Royaume-Uni,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    A.B. Baka,   Sir Nicolas Bratza,   MM. L. Loucaides,    C. Bîrsan,    M. Ugrekhelidze,   Mme A. Mularoni, juges,  et de M. T.L. Early, greffier adjoint de section,
Après en avoi

r délibéré en chambre du conseil les 28 mai 2002 et 1er avril 2003,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette derni...

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE McGLINCHEY ET AUTRES c. ROYAUME-UNI
(Requête no 50390/99)
DÉFINITIF
29/07/2003
ARRÊT
STRASBOURG
29 avril 2003
En l’affaire McGlinchey et autres c. Royaume-Uni,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    A.B. Baka,   Sir Nicolas Bratza,   MM. L. Loucaides,    C. Bîrsan,    M. Ugrekhelidze,   Mme A. Mularoni, juges,  et de M. T.L. Early, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 28 mai 2002 et 1er avril 2003,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 50390/99) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et dont trois ressortissants de cet Etat, Andrew George McGlinchey, Natalie Jane Best et Hilary Davenport (« les requérants »), ont saisi la Cour le 17 juin 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants, qui ont été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, sont représentés par Me K. Lomax, avocat à Leeds. Le gouvernement britannique (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. D. Walton, du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth, à Londres.
3.  Les requérants alléguaient en particulier que Judith McGlinchey, mère des deux premiers requérants et fille du troisième, avait subi des traitements inhumains et dégradants en prison avant sa mort. Ils affirmaient par ailleurs ne disposer d’aucun recours effectif pour faire examiner ce grief.
4.  La requête a initialement été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour).
5.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête est ainsi échue à la deuxième section telle que remaniée (article 52 § 1). Au sein de celle-ci a alors été constituée, conformément à l’article 26 § 1 du règlement, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention).
6.  Par une décision du 28 mai 2002, la chambre a déclaré la requête recevable.
7.  Seul le Gouvernement a déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement). La chambre a décidé, après consultation des parties, qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience consacrée au fond de l’affaire (article 59 § 3 in fine du règlement).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8.  Les requérants Andrew George McGlinchey et Natalie Jane Best sont nés respectivement en 1985 et en 1990. Ils sont les enfants de Judith McGlinchey (née en 1968). La requérante Hilary Davenport, née en 1945, est la mère de Judith McGlinchey. Tous sont des ressortissants britanniques.
9.  Le 3 janvier 1999, Judith McGlinchey est décédée à l’hôpital de Pinderfields, à Wakefield, dans le West Yorkshire, alors qu’en sa qualité de détenue condamnée elle se trouvait sous la garde du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni.
10.  Judith McGlinchey, qui consommait depuis longtemps de l’héroïne par la voie intraveineuse et était asthmatique, avait été admise à l’hôpital à six reprises au cours de l’année précédente.
Avant son incarcération, elle aurait dit à sa mère, qui s’occupe à présent de ses enfants Andrew et Natalie, qu’elle désirait obtenir de l’aide pour se sevrer de la drogue. Elle expliqua à son solicitor qu’elle avait demandé pareille aide mais qu’il était impossible d’obtenir des rendez-vous dans des délais raisonnables.
11.  Après avoir été reconnue coupable de vol, Judith McGlinchey fut condamnée le 7 décembre 1998 à quatre mois d’emprisonnement par la Magistrates’ Court de Leeds, qui écarta l’autre solution qu’on lui avait suggérée, à savoir le prononcé d’une ordonnance de probation (probation order) assortie d’une condition de désintoxication. Elle fut détenue par la suite à la prison de New Hall, à Wakefield. Elle déclara à son solicitor qu’elle entendait saisir l’occasion de sa détention pour se libérer de sa dépendance à l’héroïne.
12.  Le 7 décembre 1998, lors du contrôle de santé effectué à son arrivée en prison, il fut relevé que Judith McGlinchey n’était pas particulièrement repliée sur elle-même, déprimée, ou anxieuse. Elle fut pesée à 50 kilos. Elle déclara souffrir d’une enflure à son bras gauche, de symptômes de sevrage et de graves crises d’asthme, liées notamment auxdits symptômes ; elle demeura au centre de santé en attendant d’être examinée par un médecin. Elle téléphona le soir à sa mère en se plaignant de l’infection à son bras et de son asthme. Au cours de la nuit, sa respiration étant sifflante on lui donna un inhalateur et du paracétamol.
13.  Le dossier médical de la requérante constitué en prison montre qu’elle se plaignit par la suite de symptômes de sevrage et qu’elle vomissait fréquemment. Ce dossier se compose de la fiche de suivi médical, des tableaux des prescriptions et des administrations, ainsi que des notes infirmières. La tension artérielle de l’intéressée, sa température et son pouls furent contrôlés chaque jour.
14.  Le 8 décembre 1998, Judith McGlinchey fut examinée par le Dr K., médecin en chef de la prison, qui lui prescrivit des antibiotiques pour son bras, des inhalateurs pour son asthme, ainsi que de la Lofexidine pour ses symptômes de sevrage. Il ressort des notes infirmières que l’intéressée jeta une tasse de thé à travers sa cellule, fut « enfermée pour formation » (locked in for education) et fit beaucoup de bruit et de difficultés cette nuit-là. A midi, sa dose de Lofexidine ne lui fut pas administrée. Pour les requérants, il s’agissait là d’une punition. Le Gouvernement explique pour sa part que c’est le médecin qui avait interdit l’administration du médicament en raison d’une chute de la tension artérielle de Judith McGlinchey. Les notes infirmières attestent qu’un médecin examina Judith McGlinchey ce matin-là, et la fiche des médicaments, signée par le Dr K., indique qu’en raison d’une tension artérielle de 80/60 la dose de Lofexidine devant être administrée à midi ne le fut pas.
15.  D’après le dossier médical, le 9 décembre 1998 la requérante fit encore des difficultés. On lui avait demandé de nettoyer sa cellule avant sa formation, c’est-à-dire de la mettre en ordre, conformément à la pratique courante. Elle refusa de se plier à cette injonction et fut enfermée pendant le temps réservé à la formation. Elle renvoya chaque repas. Le soir, elle fut pesée à 43 kilos. Elle vomit dans la soirée et se plaignit le lendemain matin d’avoir vomi au cours de la nuit. Le personnel infirmier l’encouragea à ingérer des liquides et lui administra deux doses d’un médicament anti-nauséeux léger à base de trisilicate de magnésium.
16.  Le 10 décembre 1998, elle fut examinée par le Dr K. Comme ce dernier le déclara au coroner le 4 janvier 1999, son état de santé, à en juger d’après sa température, son pouls et sa tension artérielle, demeurait satisfaisant. Elle ne semblait pas déshydratée – le médecin releva que sa langue était humide et propre – mais, comme elle se plaignait encore de vomissements, on lui fit une injection d’antiémétiques. Au cours de la nuit, elle se plaignit de diarrhée et de crampes à l’estomac auprès de l’infirmière de garde. Une dose de trisilicate de magnésium lui fut administrée pour ses nausées, mais sans grand effet d’après les notes.
17.  Le même jour, Judith McGlinchey avait appelé sa mère en pleurant : bien qu’elle eût reçu une injection, elle ne cessait de vomir, et elle ne recevait aucune autre aide médicale pour se sevrer. Elle déclara qu’elle était obligée de nettoyer ses propres vomissures et qu’elle pensait qu’elle allait mourir. D’après le Gouvernement, il y avait dans sa cellule un lavabo qu’elle aurait pu atteindre, et il revenait normalement au personnel infirmier de nettoyer les vomissures pouvant se trouver au sol ou ailleurs. Du personnel qui eut à s’occuper de Judith McGlinchey à l’époque il ne reste plus aujourd’hui en activité à la prison qu’une seule personne. Celle-ci, qui est la responsable des soins infirmiers, a informé le Gouvernement qu’un prisonnier n’aurait jamais été invité à nettoyer ses propres vomissures et elle ne se souvient pas que l’on ait demandé à Judith McGlinchey de le faire.
18.  Le 11 décembre 1998, Judith McGlinchey put boire sans vomir une tasse de thé et un verre de jus, mais vomit à nouveau dans l’après-midi et la soirée. A 6 h 10 du matin, elle fut trouvée fumant dans son lit ; quand on lui demanda ce qu’elle avait, elle répondit « rien ». Le jour suivant, on constata la présence d’opiacés dans ses urines.
19.  Au cours de la journée du 11 décembre 1998, elle fut examinée par le médecin. Elle reçut une autre injection destinée à atténuer ses symptômes. Le médecin qualifia son état général de stable. Dans sa déposition du 4 janvier 1999, il déclara qu’à la suite de l’injection l’intéressée avait pu ingérer des liquides dans la journée, mais qu’elle avait à nouveau vomi dans la soirée. D’après le Gouvernement, le médecin vérifia si elle présentait des signes de déshydratation mais n’en décela aucun. Cette affirmation se trouve corroborée par le témoignage livré au coroner par le Dr K. Le médecin indiqua dans la fiche de suivi médical que la langue de Mme McGlinchey était humide et propre. Or, selon le Dr K., une personne gravement déshydratée aurait été très faible, voire alitée, et elle aurait eu un pouls rapide et une tension basse ; un examen aurait révélé des yeux enfoncés, une langue sèche et craquelée, des lèvres tirées et une peau tirée et fine.
20.  Le 12 décembre 1998, l’intéressée continua à vomir et souffrit de diarrhée et de douleurs abdominales. On prit son poids, qui s’afficha à 40 kilos. Elle ne mangea rien. Les notes infirmières précisent qu’elle avait passé une meilleure nuit. Elles comportent la mention suivante : « Continue de vomir de temps à autre ? Doigts dans la gorge. » D’après la fiche de suivi médical, on l’avait vue mettre ses doigts dans sa gorge et vomir sur sa main.
21.  Le 13 décembre 1998, suivant les notes infirmières, elle ne se plaignit pas de vomissements et l’on n’en constata qu’à deux reprises au début de la nuit. Il est aussi mentionné qu’elle prit un dîner léger et dormit pendant de longs moments cette nuit-là. Rien n’est indiqué dans la fiche de suivi médical concernant cette journée. Le médecin précisa dans sa déposition du 4 janvier 1999 que les 12 et 13 décembre 1998 la température, le pouls et la tension artérielle de l’intéressée étaient restés dans des limites normales. Des doses orales d’antiémétiques (métoclopramide) à prendre après les injections lui furent prescrites ; on lui en administra à quatre reprises entre le 10 et le 12 décembre 1998. Dans sa déposition devant le coroner, la sœur N., responsable des soins infirmiers de la prison, expliqua que, l’intéressée ayant cessé de vomir, ces médicaments ne lui avaient pas été donnés le 13 décembre.
22.  Le 14 décembre 1998 à 8 h 30, toutefois, un incident se produisit, que la fiche de suivi médical décrit comme suit :
« (...) je suis allé voir la détenue dans sa cellule ; en sortant de son lit, elle s’est effondrée sur moi en vomissant (marc de café). Je l’ai allongée sur le sol en position latérale de sécurité et j’ai appelé à l’aide. Apparemment en état de crise, la patiente ne réagissait pas. J’ai composé le 999 pour appeler une ambulance. La patiente a repris connaissance ; elle vomissait toujours. Deux infirmières l’ont aidée à rejoindre son lit. Oxygène in situ. Electrocardiogramme. Impossible d’obtenir le pouls ni la tension artérielle. Impossible d’effectuer une intraveineuse en raison des abcès sur ses bras et de la consommation antérieure de drogues. A la demande de Judith, un proche a été appelé à 9 h 15 ; il n’était pas là ; le fils devait transmettre le message dans la demi-heure. Transportée à l’hôpital en ambulance. Ambulance arrivée à 8 h 45 et partie à 8 h 53 pour l’hôpital général de Pinderfields, à Wakefield. »
23.  Une grande quantité de vomissure ressemblant à du marc de café (sang altéré dans l’estomac) fut trouvée dans le lit de Judith McGlinchey. D’après le dossier médical ouvert à l’hôpital de Pinderfields, l’intéressée fut admise dans celui-ci à 9 h 18. A peu près au même moment, la mère de Judith McGlinchey fut informée que cette dernière était à l’hôpital, qu’elle n’était pas bien mais que son état s’était stabilisé. Le dossier médical comporte les précisions suivantes :
« (...) Mme McGlinchey était somnolente mais pouvait être déplacée et réagissait. L’infirmière a déclaré que la numération des globules blancs était élevée, que les reins et le foie ne fonctionnaient pas normalement (...) possible de diagnostiquer (...) la consommation de drogues. »
24.  La mère de Judith McGlinchey apprit par la suite du personnel infirmier qu’au moment de son entrée à l’hôpital Judith McGlinchey avait les cheveux couverts de vomi.
25.  Le 15 décembre 1998 à 8 heures du matin, la mention suivante fut inscrite dans le dossier médical de l’intéressée :
« Transférée à l’unité 7 ; unité 7 contactée au milieu d’une crise ; son cœur s’est arrêté, mais on l’a réanimée (...) et on est en train de lui faire une transfusion sanguine et de lui dégager les voies respiratoires (...) »
A 10 h 30 :
« (...) demandé à l’unité 7 si ses proches ont été informés de l’aggravation de son état ; ils sont maintenant avec elle ; ils vont refaire un contrôle dans une demi-heure, et si aucune amélioration n’est constatée ils arrêteront le respirateur. »
26.  L’hôpital informa la famille de Judith McGlinchey que celle-ci se trouvait dans un état critique et avait pu subir des dommages cérébraux à la suite de son arrêt cardiaque. Son foie et ses reins fonctionnaient mal, et l’hôpital ne parvenait pas à stabiliser son état. Elle était en ventilation manuelle, car il n’y avait aucun lit disponible dans l’unité des soins intensifs. Les médecins décidèrent d’arrêter les soins pour voir si elle revenait à elle et était capable de respirer seule, et de la laisser si tel n’était pas le cas. Un prêtre catholique fut appelé. On conseilla à la famille de dire au revoir à Judith McGlinchey, ce qu’elle fit. L’état de l’intéressée s’améliora toutefois quelque peu et, à 19 h 15, elle fut transférée à la Bradford Royal Infirmary, où un lit était disponible dans l’unité des soins intensifs. Son état y demeura stable, mais on la maintint sous assistance respiratoire et on continua à lui administrer de fortes doses de calmants.
27.  Le 16 décembre 1998 à 6 h 45 du matin, Judith McGlinchey fut à nouveau examinée ; son état fut jugé stable mais critique. A 13 heures, le prognostic des médecins était très pessimiste. Le 18 décembre 1998 à 14 heures, son état s’était quelque peu amélioré. Elle était toujours sous respirateur, mais on ne lui administrait plus de calmants. Elle faisait par moments des mouvements convulsifs et semblait se réveiller doucement. La nuit du 23 décembre 1998, elle ouvrit les yeux et réagit à la lumière, bien que le scanner du cerveau ne révélât aucune activité.
28.  Le 27 décembre 1998, Judith McGlinchey fut transférée à l’hôpital général de Pinderfields, dans le service destiné aux personnes hautement dépendantes, puis de là à l’unité 7. Le 31 décembre, les médecins notèrent dans son dossier que, bien que ses yeux fussent ouverts, elle ne réagissait pas et restait dans un état critique. Le 2 janvier 1999, sa mère et ses enfants lui rendirent visite. Ses yeux étaient ouverts, mais son teint était jaune foncé et elle était secouée de mouvements convulsifs dus aux dégâts subis par son cerveau.
29.  Le 3 janvier 1999, l’hôpital recommanda à la famille de venir immédiatement. Le dossier médical de la prison indique que Judith McGlinchey décéda à 13 h 30.
30.  Le rapport dressé à la suite de l’autopsie effectuée le 4 janvier 1999 indique que Judith McGlinchey pesait 41 kilos. Il précise que si le sevrage de l’héroïne peut s’accompagner de vomissements, la cause de ceux observés chez l’intéressée ne fut jamais pleinement établie. Des crises de vomissements graves auraient pu provoquer une hémorragie digestive haute (« syndrome de Mallory-Weiss »), même si la déchirure se serait très probablement cicatrisée avant le moment où l’intéressée décéda. Ce phénomène constitue la cause la plus commune des hémorragies gastriques pouvant donner des vomissures ressemblant à du marc de café. Si Judith McGlinchey avait perdu une quantité importante de sang, devenant ainsi anémique, cela avait pu provoquer l’arrêt du cœur. Il avait pu en résulter une lésion cérébrale par hypoxie et une défaillance de plusieurs organes, ce qui ne pouvait avoir qu’une issue fatale.
31.  Dans une lettre du 18 janvier 1999, le coroner informa la famille qu’une enquête judiciaire aurait lieu devant un jury. Vinrent témoigner à l’audience, qui se tint le 6 décembre, le Dr K., médecin en chef de la prison, la sœur N., responsable des soins infirmiers de la prison, le médecin légiste auteur de l’autopsie, trois médecins des hôpitaux de Pinderfields et de Bradford qui s’étaient occupés de Judith McGlinchey et la mère de Judith McGlinchey. Celle-ci était par ailleurs représentée par un solicitor, qui interrogea les témoins en son nom.
32.  Ces auditions firent apparaître que les balances utilisées pour peser Judith McGlinchey en prison étaient inexactes et donnaient des résultats variant de l’une à l’autre, celles utilisées lors de l’incarcération de Judith McGlinchey affichant un écart de 2 à 3 livres par rapport à celles utilisées au centre de santé par la suite. Le Dr K. expliqua qu’à cause de cette différence il s’était davantage fié à ses impressions cliniques pour apprécier les effets possibles d’une éventuelle perte de poids chez Judith McGlinchey, ajoutant toutefois que, conscient du problème potentiel, il avait donné des ordres pour que le poids de l’intéressée fût surveillé. Il précisa que des antibiotiques avaient été prescrits à Judith McGlinchey pour l’infection de son bras, mais que pendant quelques jours on ne les lui avait pas administrés (sur les 20 doses qu’elle aurait dû recevoir en cinq jours, elle n’en avait reçu que 16). La responsable des soins infirmiers, la sœur N., ne fut pas en mesure d’expliquer cette anomalie, évoquant simplement la possibilité que l’infirmière eût oublié de signer la fiche des médicaments.
33.  La sœur N. et le Dr K. déclarèrent tous deux que Judith McGlinchey ne donnait pas cliniquement l’impression d’être très malade au cours de cette période. Ils expliquèrent qu’elle était debout, se déplaçait et parlait aux autres. Le Dr K. affirma que les symptômes s’étaient atténués et que, compte tenu de sa tension artérielle, de sa température, de son pouls et de son apparence générale, il ne craignait pas qu’elle fût gravement malade ni qu’il fût nécessaire de l’envoyer dans un hôpital extérieur. On apprit que le Dr K. ne travaillait pas à la prison les week-ends et en était donc absent les 12 et 13 décembre 1998, avant le collapsus de Judith McGlinchey. Un médecin à temps partiel se rendait à la prison les samedis matin ; en dehors de ces moments-là, la prison devait si nécessaire appeler un médecin suppléant. D’où l’absence de toute indication dans le dossier à la date du 13 décembre 1998. La sœur N. expliqua que la mention inscrite par le personnel infirmier le 8 décembre et selon laquelle Judith McGlinchey avait été « enfermée pour formation » renvoyait à la procédure de routine en vertu de laquelle les prisonniers ne participant pas à une séance de formation étaient enfermés dans leur cellule pendant son déroulement.
34.  Les trois médecins qui s’occupèrent de Judith McGlinchey à l’hôpital témoignèrent également sur l’état qui était le sien à son arrivée et sur sa détérioration subséquente. Ils ne furent pas en mesure de dire avec certitude ce qui avait provoqué le collapsus ou les saignements gastriques. Le Dr Tobin déclara que la patiente était déshydratée à son arrivée à l’hôpital mais qu’en raison de son état il n’avait pu placer un cathéter central qui aurait permis une analyse précise. En réponse à une question, il déclara que les signes de déshydratation pouvaient également avoir été le résultat de saignements récents mais non d’une crise unique de vomissement produisant une substance ressemblant à du marc de café.
35.  Dans le résumé des preuves qu’il établit à l’intention du jury, le coroner s’exprima comme suit :
« (...) le premier jour, Judith fut admise au centre de santé (...) Le deuxième jour, c’est-à-dire le 8 décembre, elle fut examinée par le médecin [le Dr K.], qui rédigea une note. Elle demeura au centre de santé, mais son état se détériora au cours de la semaine. Vous avez entendu qu’elle consommait de l’héroïne et l’on savait que si elle devait se sevrer de cette drogue, elle manifesterait probablement des symptômes peu plaisants (...) tels des diarrhées et des vomissements, éventuellement des crampes d’estomac, des insomnies etc. De fait, les mots adressés par Judith à sa mère lorsqu’elle l’eut au téléphone pour la première fois dégageaient plutôt l’impression qu’elle savait que le sevrage serait peut-être difficile mais qu’elle était prête à le supporter.
Les témoignages livrés ne laissent aucun doute sur le fait que Judith a beaucoup vomi au cours de cette semaine-là. Bien qu’on lui donnât parfois des antiémétiques, ceux-ci agissaient très brièvement, et l’on peut dire qu’à partir du milieu de la semaine elle a vomi chaque jour, à un moment ou à un autre. Il ressort également des témoignages qu’elle souffrait de diarrhée et que, d’une manière générale, elle ne se sentait pas bien.
Son état nutritionnel n’était vraisemblablement pas satisfaisant. Bien que des boissons lui fussent administrées, il n’était pas possible de savoir quelle quantité de liquide elle ingurgitait. On ne pouvait pas savoir si elle buvait effectivement puis vomissait, ou si elle ne buvait pas du tout. Aucune mesure des volumes de liquides ne fut effectuée au cours de cette semaine, et les vomissements se firent plus intensifs ; à plusieurs reprises, le personnel du centre de santé fit état de vomissements importants. Les notes contiennent la mention « vomissements +++ », qui suggère des vomissements importants, et, si Judith fut examinée par les infirmières chaque jour et par le médecin à certaines occasions, le personnel médical de la prison de New Hall a toujours eu l’impression que Judith ne présentait pas de signes de déshydratation. En d’autres termes, Judith n’était pas atteinte de déplétion, et [le Dr K.] a exposé dans sa déposition comment il était parvenu à ses conclusions. Il a expliqué qu’il n’avait trouvé aucun véritable signe de déshydratation chez l’intéressée, ajoutant que, même avec le recul, il considérait qu’une hospitalisation ne s’imposait pas à l’époque.
Près d’une semaine après son incarcération, Judith s’effondra un matin à son réveil (...) en présence des infirmières ; elle vomit en grande quantité une substance (...) ressemblant à du marc de café (...)
Lors de l’exposé des preuves, (...) la question a été posée de savoir si Judith avait effectivement été victime d’un arrêt cardiaque à ce moment-là. En fait, tous les médecins qui l’examinèrent par la suite (...) ont déclaré que cela n’avait probablement pas été le cas, même si l’intéressée était certainement tombée en collapsus et avait pu perdre une quantité relativement importante de sang à cette occasion. Rien n’indiquait à ce moment précis qu’elle eût subi un arrêt cardiaque.
Judith McGlinchey fut transportée en ambulance à l’hôpital de Pinderfields (...) où elle fut immédiatement placée sous la responsabilité du Dr Tobin (...) D’après le diagnostic posé par celui-ci, Judith souffrait peut-être du foie et le fait qu’elle eût vomi une substance ressemblant à du marc de café donnait à penser qu’elle était peut-être atteinte (...) d’une hémorragie digestive haute, d’une hémorragie de l’œsophage (...).
Mme Naomi Carter, la pathologiste (...), a déclaré lors de son audition qu’elle avait trouvé dans l’estomac de Judith des résidus qui ressemblaient à du sang ou à du sang altéré (...) mais elle a pris grand soin de préciser qu’elle n’avait rien trouvé qui pût expliquer des saignements dans les organes internes de Judith (...) le saignement mis en évidence par la présence dans les vomissures d’une substance ressemblant à du marc de café pouvait avoir été engendré par le haut-le-cœur subi par Judith (...) celui-ci avait pu provoquer une petite déchirure soit dans son œsophage, à la jointure de l’estomac, soit dans la paroi de l’estomac lui-même (...) phénomène connu sous le nom de syndrome de Mallory-Weiss. Mme Carter a toutefois déclaré qu’elle n’avait rien constaté qui lui permît de conclure en ce sens, mais qu’une petite déchirure avait très bien pu se résorber dans l’intervalle de quelques jours au moins qui s’était écoulé avant qu’elle n’examine la dépouille de Judith. C’est la seule explication possible des traces de sang constatées (...) Ce saignement a son importance : à la suite de celui-ci (...) Judith a perdu un certain volume de sang ; du coup, son cœur a peut-être été obligé de battre plus fort ; elle était donc vraisemblablement en très mauvais état de santé au moment de son séjour à l’hôpital de Pinderfields.
Le Dr Tobin a expliqué qu’il pensait que Judith McGlinchey était effectivement déshydratée. Il n’avait toutefois pu s’en assurer car il ne lui avait pas été possible de placer un cathéter central. S’il avait été en mesure de le faire, peut-être cela l’aurait-il aidé dans son diagnostic (...) Il est clair que d’après lui certains éléments donnaient à penser que Judith était déshydratée, même si le personnel médical de New Hall avait estimé jour après jour qu’elle ne l’était pas.
Le 15 décembre au matin (...), Judith fut malheureusement victime d’un arrêt cardiaque, et l’on estima que cela avait dû entraîner un manque d’oxygène (...) Son cerveau aurait été privé d’oxygène, ce qui aurait entraîné une lésion cérébrale par hypoxie.
(...) L’autopsie (...) a révélé la cause du décès. Le Dr Carter a été en mesure de confirmer qu’il s’agissait d’une lésion cérébrale par hypoxie (manque d’oxygène dans le cerveau) due à un arrêt cardiaque, que le Dr Carter a attribué à une hémorragie digestive haute, d’origine indéterminée (...) »
36.  Le coroner invita le jury à rendre un verdict de mort due à des causes naturelles ou un verdict ouvert. Le jury rendit à l’unanimité un verdict ouvert.
37.  Désireux de former des recours internes afin d’obtenir réparation, les trois requérants sollicitèrent et obtinrent l’aide judiciaire. Sous le couvert d’une lettre datée du 12 février 1999, leurs solicitors envoyèrent au Treasury Solicitor une mise en demeure (notice of issue) lui demandant de divulguer les dossiers médical et pénitentiaire concernant Judith McGlinchey aux fins d’une demande en réparation pour le décès de cette dernière.
38.  Dans un rapport du 13 septembre 2000, le médecin consulté par les requérants déclara notamment ce qui suit :
« Selon moi, des vomissements répétés peuvent être associés à un sevrage de l’héroïne. Je ne me suis jamais occupé personnellement de patients en cure de désintoxication, mais je dois avouer que je serais très gêné d’avoir à traiter un patient vomissant de façon répétée sans pouvoir employer des liquides intraveineux, sans pouvoir administrer des antiémétiques par la voie intraveineuse, et sans pouvoir contrôler fréquemment la composition sanguine.
(...) Judith accusait une sévère carence pondérale.
Son mauvais état nutritionnel général était très sûrement ancien et probablement lié à sa consommation d’héroïne, mais des crises prolongées de vomissements, quelle que fût leur cause, étaient de nature à provoquer très rapidement un grave déséquilibre de sa composition sanguine. Indépendamment des perturbations électrolytiques et de la déshydratation, il était très probable qu’elle éprouve des difficultés à maintenir son taux de glycémie à un niveau normal, dans la mesure où elle n’avait pas de réserves d’hydrates de carbone susceptibles d’être utilisées par son corps lorsqu’elle n’était pas capable, en raison de ses vomissements répétés, d’absorber des nutriments adéquats de son système gastro-intestinal.
Pareille situation peut faire naître un cercle vicieux. Un faible taux de glycémie peut lui-même entraîner des nausées et des vomissements. De nombreuses voies métaboliques peuvent s’en trouver déréglées. Le sujet peut devenir irritable. Le degré de conscience peut être gravement diminué, et le patient peut même tomber dans le coma.
Il est parfois très difficile, même pour des cliniciens comme les anesthésistes, qui sont habitués à introduire des aiguilles, d’administrer des médicaments par la voie intraveineuse à des toxicomanes intraveineux. Un cathéter central est souvent nécessaire. Longs et comportant souvent plus d’une lumière, ces cathéters spéciaux sont introduits dans les gros vaisseaux proches du cœur. Je ne pense pas que le médecin pénitentiaire ordinaire ait le savoir-faire requis pour introduire un tel cathéter.
Il est préférable que ces cathéters soient posés à l’hôpital par du personnel compétent. Une fois le cathéter introduit, sa position (...) doit être contrôlée par radio avant qu’on ne l’emploie pour administrer des médicaments et des liquides. L’entretien de ces cathéters demande des soins infirmiers qualifiés et aseptiques (...)
J’aurais tendance à attribuer l’agitation et le manque apparent de coopération montrés par Judith après son admission (...) et avant son second collapsus à une irritation cérébrale. Une irritation cérébrale suit souvent une période d’hypoxie cérébrale. Or Judith a certainement été atteinte dans une certaine mesure de pareille hypoxie au moment de son collapsus [en prison], et cette hypoxie a dû se poursuivre jusqu’au moment où l’on tenta de la réanimer à Pinderfields (...)
Le saignement survenu par la suite, après une période de vomissements répétés et violents, a certainement pu être provoqué par le syndrome de Mallory-Weiss, ainsi qu’il est suggéré (...) dans le rapport d’autopsie.
Si Judith avait été admise plus tôt à l’hôpital, il aurait malgré tout pu s’avérer difficile d’enrayer ses vomissements et, compte tenu du délabrement de son état de santé général et de son état nutritionnel, si le saignement trouvait sa source dans un syndrome de Mallory-Weiss, il aurait de toute façon pu se produire, mais Judith n’aurait pas souffert d’une telle déshydratation et/ou de tels troubles biochimiques, et les conséquences de l’hémorragie auraient probablement été moins graves.
Autrement, si les vomissements avaient pu être arrêtés plus tôt, la suite tragique des événements aurait éventuellement pu être évitée. »
39.  Dans son opinion du 30 octobre 2000, le conseil des requérants déclara qu’au vu dudit rapport médical il n’y avait pas assez de preuves pour établir le lien de causalité nécessaire entre le décès de Judith McGlinchey et la négligence supposée avoir caractérisé les soins lui ayant été dispensés pendant sa détention. Les requérants n’introduisirent donc pas d’action en négligence.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
40.  Toute personne qui subit un dommage physique ou psychiatrique par la faute d’autrui peut intenter une action en dommages-intérêts. L’aggravation d’un état existant est constitutive d’un tel dommage. Une faute provoquant un trouble ou blessant les sentiments sans causer de dommage ou d’aggravation sur les plans physique ou psychiatrique ne donne pas droit à des dommages-intérêts au plaignant. Toute action en réparation d’un dommage corporel pouvant être intentée par une personne de son vivant subsiste en faveur de sa succession et peut être menée après sa mort.
41.  Les réclamations faisant suite à la mort d’une personne provoquée par une faute de négligence sont intentées sur le fondement de la loi de 1976 sur les accidents mortels (Fatal Accidents Act 1976) ou sur celui de la loi de 1934 portant diverses dispositions de réforme du droit (Law Reform (Miscellaneous Provisions) Act 1934). La première loi permet aux personnes qui étaient à la charge du défunt de toucher une indemnité pour la perte de leur soutien. Elle est à visée compensatoire et, mis à part la somme forfaitaire de 7 500 livres sterling allouée en cas de mort du conjoint ou d’un enfant mineur de dix-huit ans, l’indemnité est fonction du soutien financier perdu. La seconde loi permet de toucher des dommages-intérêts pour le compte de la succession du défunt ; l’indemnité peut couvrir les droits d’action que possédait le défunt au moment de sa mort, ainsi que les frais d’enterrement.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
42.  L’article 3 de la Convention est ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A.  Arguments des parties
43.  Les requérants allèguent que les autorités carcérales ont fait subir un traitement inhumain et dégradant à Judith McGlinchey pendant sa détention. Elles seraient restées en défaut de lui administrer les médicaments qui lui avaient été prescrits pour son asthme et pour son sevrage de l’héroïne. En une occasion, elles se seraient délibérément abstenues de lui faire une injection afin de la punir de son comportement difficile. Elles l’auraient également laissée se déshydrater et vomir, et elles auraient repoussé de façon injustifiée son transfert à un hôpital civil où elle aurait pu être soignée par un personnel compétent. Elles l’auraient obligée à nettoyer ses vomissures dans sa cellule et elles l’auraient laissée couchée dans son vomi. Les requérants soulignent l’état de vulnérabilité dans lequel se trouvait Judith McGlinchey, la durée de la période au cours de laquelle elle a souffert de symptômes graves, et le fait qu’elle n’était pas un détenu à haut risque.
44.  Le Gouvernement affirme pour sa part que Judith McGlinchey reçut les médicaments nécessaires à son sevrage et fut transférée à l’hôpital dès qu’il apparut que son état exigeait des soins médicaux plus intensifs que ceux que la prison pouvait lui dispenser. On lui aurait ainsi administré des antiémétiques par injection à plusieurs reprises, conformément à la prescription du médecin de la prison. La raison pour laquelle une dose d’antiémétiques ne lui fut pas administrée le 8 décembre 1998 tiendrait à une instruction du médecin, qui avait constaté une baisse de sa tension artérielle. Rien ne prouverait par ailleurs qu’elle ait eu à nettoyer son propre vomi, le personnel infirmier étant normalement chargé de ce genre de tâche. Quant au fait qu’elle était couverte de vomissures lors de son arrivée à l’hôpital, il s’expliquerait par l’urgence de son transfert au moment de son collapsus et non pas par un refus délibéré de la laver.
B.  Appréciation de la Cour
1.  Principes généraux
45.  La Cour rappelle qu’un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité pour tomber sous le coup de l’article 3. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la durée du traitement, de ses effets physiques et/ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, par exemple, l’arrêt Tekin c Turquie, 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV, p. 1517, § 52).
46.  L’article 3 de la Convention impose à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (voir, mutatis mutandis, les arrêts Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, Recueil 1998-V, p. 1966, §§ 64 et suiv., et Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000-XI).
2.  Application en l’espèce
47.  La Cour rappelle que les requérants ont exprimé un certain nombre de griefs reprochant aux autorités carcérales d’avoir infligé un traitement inhumain et dégradant à Judith McGlinchey, le Gouvernement soutenant pour sa part que celle-ci reçut les traitements adaptés à ses symptômes de sevrage et fut transférée à l’hôpital dès qu’il apparut que son état exigeait des soins médicaux plus intensifs que ceux que la prison pouvait dispenser.
48.  En ce qui concerne l’allégation selon laquelle les autorités carcérales se sont délibérément abstenues, en guise de châtiment, d’administrer à Judith McGlinchey le médicament (la Lofexidine) qui lui avait été prescrit pour son sevrage, la Cour note que d’après la fiche de suivi médical la dose de cette substance qui aurait normalement dû être administrée le 8 décembre 1998 à midi ne le fut pas. Les requérants affirment qu’il s’agissait là d’une mesure visant à punir l’intéressée pour son comportement difficile. Le Gouvernement soutient pour sa part que c’est le médecin qui donna l’ordre de ne pas administrer la Lofexidine à Judith McGlinchey au motif que sa tension artérielle avait chuté. Cette thèse se trouve confirmée par la fiche des traitements, dont il ressort que la tension de Judith McGlinchey devait être contrôlée avant chaque administration de ce médicament et qu’une tension basse fut effectivement constatée à ce moment. La fiche de suivi médical atteste également que le médecin avait examiné Judith McGlinchey ce matin-là et signé la fiche d’administration des médicaments.
49.  S’il est indiqué dans les notes infirmières, à la suite de la mention concernant la non-administration de la Lofexidine, que Judith McGlinchey jeta une tasse de thé à travers la salle et fut ensuite « enfermée pour formation », il est apparu lors de l’enquête judiciaire que cette mesure correspondait à la pratique normale, suivant laquelle les détenus qui ne se rendaient pas à une séance de formation restaient enfermés dans leur cellule au cours de celle-ci. La Cour constate donc qu’il n’est pas établi que des soins destinés à soulager Judith McGlinchey de ses symptômes de sevrage lui aient été refusés à titre de punition.
50.  En ce qui concerne l’allégation selon laquelle Judith McGlinchey a été laissée dans son vomi, le Gouvernement observe qu’elle résulte de déclarations du personnel de l’hôpital d’après lesquelles les cheveux et les vêtements de Judith McGlinchey étaient couverts de vomissures à son arrivée. Il ressort de la fiche de suivi médical et des notes infirmières que l’on n’avait pas constaté de vomissements pendant la nuit mais que Judith McGlinchey eut un collapsus en vomissant le matin. Compte tenu de l’urgence du transfert de l’intéressée à l’hôpital, la Cour estime que la circonstance que les autorités carcérales n’ont pas fait le nécessaire pour d’abord la débarrasser de ses souillures ne peut faire conclure à un traitement qualifiable de dégradant. Quant à l’assertion selon laquelle Judith McGlinchey a été astreinte à nettoyer son propre vomi, ainsi que l’intéressée l’aurait déclaré à sa mère, elle ne se trouve confirmée ni par le dossier médical établi à l’hôpital ni par celui tenu à la prison, même si une note mentionne que Judith McGlinchey refusa de nettoyer sa cellule. Le Gouvernement, se fondant sur une déclaration de la responsable des soins infirmiers, affirme qu’il s’agissait là d’une obligation générale de rangement, et non d’une mesure censée répondre à une crise de vomissements. Il précise que suivant la pratique en vigueur il revenait au personnel infirmier de nettoyer les vomissures pouvant se trouver sur le sol ou ailleurs dans la cellule. La Cour estime que les éléments de preuve dont elle dispose ne lui permettent pas de formuler une conclusion à ce sujet.
51.  En ce qui concerne l’allégation selon laquelle on n’a pas administré à Judith McGlinchey de médicaments pour son asthme, la Cour relève que d’après les notes infirmières des inhalateurs furent remis à l’intéressée au cours de la nuit du 7 décembre 1998, lorsqu’on s’aperçut que sa respiration était sifflante. Quant à l’irrégularité de l’administration des antibiotiques destinés au bras de Judith McGlinchey, il apparaît que sur les vingt doses qui devaient être données en cinq jours, quatre furent omises. La sœur N. fut incapable d’expliquer cette anomalie lors de l’enquête judiciaire, suggérant simplement que l’infirmière avait peut-être oublié de remplir la fiche des médicaments. Dans un cas comme dans l’autre, il est regrettable que la procédure n’ait pas été respectée. Cela étant, la Cour ne relève dans les documents qui lui ont été présentés aucun élément attestant que cette carence ait eu un effet préjudiciable sur l’état de Judith McGlinchey ou lui ait causé de l’inconfort.
52.  Enfin, la Cour a examiné le grief selon lequel les autorités n’en ont pas fait assez, ou n’ont pas agi assez rapidement, pour soigner les symptômes de sevrage de l’héroïne présentés par Judith McGlinchey ou pour empêcher ses souffrances ou une aggravation de son état.
53.  La Cour rappelle que Judith McGlinchey fut examinée par une infirmière lors de son incarcération, le 7 décembre 1998. Le 8 décembre 1998, elle fut examinée par le Dr K., médecin en chef de la prison, qui prescrivit des traitements pour ses différents problèmes. Pour le sevrage de l’héroïne, le Dr K. prescrivit au départ un médicament appelé Lofexidine. Une dose de ce médicament fut omise à midi au motif que la tension artérielle de l’intéressée était trop basse. Le 10 décembre 1998, le Dr K. examina à nouveau Judith McGlinchey ; il prescrivit une injection intramusculaire pour la soulager de ses symptômes de sevrage, qui perduraient. Il ne constata pas de signes de déshydratation et se fia plus à ses impressions cliniques qu’à la baisse apparente du poids de Judith McGlinchey, qui n’accusait plus que 43 kilos sur la balance, après avoir initialement été pesée à 50, les balances utilisées lors de l’admission et celles employées au centre de santé étant réputées ne pas donner le même résultat. Conscient toutefois d’un problème potentiel, il ordonna que l’on surveille le poids de l’intéressée. Le 11 décembre 1998, il examina à nouveau Judith McGlinchey, ne décela aucun signe de déshydratation et estima que l’état de l’intéressée était généralement stable. Il ordonna une autre injection, qui eut apparemment un certain effet puisque Judith McGlinchey put garder des liquides pendant le reste de la journée. Il prescrivit des doses orales d’antiémétiques à administrer le samedi et le dimanche. Il ressort des notes infirmières que le personnel infirmier administra des anti-nauséeux légers à Judith McGlinchey au cours de cette période pour la soulager ; il l’encouragea également à avaler des liquides.
54.  S’il apparaît donc que l’état de Judith McGlinchey fut régulièrement contrôlé entre le 7 et le 12 décembre 1998 et que le corps médical et infirmier prit des mesures pour atténuer les symptômes de sevrage de Judith McGlinchey, la Cour constate que celle-ci vomit de façon répétée au cours de cette période, s’alimenta très peu et perdit un poids important, quoique indéterminé. Des injections lui furent certes faites à deux reprises, mais elles eurent tout au plus un effet à court terme, et le 11 décembre 1998 au soir Judith McGlinchey se remit à vomir. Aux yeux de la Cour, il est difficile d’affirmer que l’état de l’intéressée se fût amélioré à ce stade.
55.  Les deux jours qui suivirent étaient un samedi et un dimanche. Conformément à l’organisation du personnel de la prison, le Dr K. n’était pas de service. Un médecin suppléant se rendit à la prison le samedi 12 décembre au matin, mais il ne ressort pas de la fiche de suivi médical qu’il ait examiné Judith McGlinchey. Le restant du week-end, le personnel infirmier devait en cas de besoin appeler un médecin de l’extérieur ou prévoir un transfert à l’hôpital. Il apparaît ainsi que Judith McGlinchey resta deux jours sans voir un médecin. Le 12 décembre 1998, sa température, sa tension artérielle et son pouls furent enregistrés comme normaux. Cependant, elle vomissait toujours et son poids tomba à 40 kilos. Elle avait donc perdu trois kilos depuis le 9 décembre et peut-être dix kilos depuis son incarcération, cinq jours auparavant. Malgré cette aggravation, le personnel infirmier jugea qu’il n’y avait pas lieu de s’alarmer et qu’il ne s’imposait pas de solliciter l’avis d’un médecin sur l’état de la prisonnière.
56.  Le Gouvernement fait remarquer que des signes positifs furent constatés au cours de cette période : Judith McGlinchey dormit mieux la nuit et prit un repas léger le 13 décembre. Il n’en reste pas moins qu’elle vomit le samedi et le dimanche, notamment après le repas en question. Le Dr K. souligna que ses signes vitaux étaient constamment demeurés dans la normale, précisant qu’en principe une personne souffrant de déshydratation grave se montre fatiguée et présente des symptômes physiques reconnaissables, que Judith McGlinchey ne manifestait pas. Le Dr Tobin indiqua toutefois lors de l’enquête judiciaire que si en raison du fait que l’on n’avait pu introduire un cathéter central il n’avait pas été établi par un examen spécifique que Judith McGlinchey était déshydratée lors de son entrée à l’hôpital, l’intéressée montrait tout de même des signes forts de déshydratation. Si ces signes pouvaient s’expliquer par une perte de sang importante, une crise unique de vomissement d’une substance ressemblant à du marc de café n’offrait pas une explication suffisante.
57.  Les preuves présentées à la Cour indiquent qu’au matin du 14 décembre 1998 Judith McGlinchey, une héroïnomane dont l’état nutritionnel et général n’était pas bon lors de son incarcération, avait perdu beaucoup de poids et était déshydratée. Cet état résultait d’une semaine de vomissements pour l’essentiel non contrôlés et d’incapacité à manger et à garder des liquides. Source de détresse et de souffrance pour Judith McGlinchey, cette situation représentait également une grave menace pour sa santé, comme le montra le collapsus dont elle fut victime par la suite. Compte tenu de la responsabilité qui incombe aux autorités carcérales d’apporter les soins médicaux requis aux détenus, la Cour constate que les exigences de l’article 3 de la Convention n’ont pas été respectées en l’espèce. Elle relève à cet égard que les autorités carcérales n’ont pas pris les mesures qui auraient permis d’établir avec exactitude la perte de poids de Judith McGlinchey, facteur qui aurait dû alerter la prison sur la gravité de l’état de l’intéressée mais qui fut largement ignoré en raison des écarts entre les balances. L’état de la prisonnière ne fut pas surveillé par un médecin au cours du week-end, période pendant laquelle son poids baissa encore sensiblement, et les autorités carcérales omirent de prendre des mesures plus efficaces pour soigner l’intéressée : elles auraient pu par exemple l’envoyer à l’hôpital afin de permettre l’administration de médicaments et de liquides par la voie intraveineuse, ou chercher à obtenir l’assistance de personnes plus compétentes pour enrayer les vomissements.
58.  La Cour conclut que la manière dont les autorités carcérales se sont occupées de Judith McGlinchey a enfreint l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants prévue par l’article 3 de la Convention.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
59.  Aux termes de l’article 13 de la Convention :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
A.  Arguments des parties
60.  Les requérants soutiennent qu’ils ne disposaient d’aucun recours adéquat pour dénoncer le traitement réservé à Judith McGlinchey lors de sa détention ou les défaillances de la gestion et de la politique pénitentiaires ayant rendu possibles l’abandon et les mauvais traitements dont ils estiment que l’intéressée a été victime. Le succès d’une action en négligence était tributaire de l’établissement d’un lien de causalité entre les faits incriminés et le décès et/ou les dommages corporels subis par la défunte ; or pareil lien n’existerait pas en l’espèce. Le traitement en cause n’en serait pas moins inhumain et dégradant, au sens de l’article 3 de la Convention. Il n’aurait existé aucun autre recours susceptible d’aboutir à une réparation et à une reconnaissance de la violation commise.
61.  Le Gouvernement affirme pour sa part que, comme l’exigeait l’article 13 de la Convention, des recours étaient disponibles. Judith McGlinchey aurait pu utiliser le système de plaintes interne à la prison pour critiquer la manière dont elle était traitée. Des conditions intolérables de détention auraient également pu être invoquées à l’appui d’une demande de contrôle juridictionnel. Les requérants auraient eu le choix entre diverses causes d’action, parmi lesquelles la négligence et la faute dans l’exercice d’une fonction publique (misfeasance in public office). On ne pourrait pas dire en l’espèce que le droit interne n’offrait aucun recours susceptible de prospérer. Le fait que les requérants étaient dans l’impossibilité de prouver l’existence d’une faute de négligence à partir des faits ne signifierait pas qu’aucun recours n’était disponible.
B.  Appréciation de la Cour
62.  La Cour rappelle que l’article 13 garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de s’y prévaloir des droits et libertés de la Convention, tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne permettant l’examen du contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et l’octroi d’un redressement approprié, même si les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur fait cette disposition. La portée de l’obligation découlant de l’article 13 varie en fonction de la nature du grief que le requérant tire de la Convention. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit (arrêts Aksoy c. Turquie, 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, p. 2286, § 95 ; Aydın c. Turquie, 25 septembre 1997, Recueil 1997-VI, pp. 1895-1896, § 103 ; Kaya c. Turquie, 19 février 1998, Recueil 1998-I, pp. 329-330, § 106).
63.  Lorsque la violation concerne les articles 2 et 3, qui sont les dispositions les plus fondamentales de la Convention, une indemnisation du dommage moral découlant de la violation doit en principe être possible et faire partie du régime de réparation mis en place (Z et autres c. Royaume-Uni [GC], no 29392/95, § 109, CEDH 2001-V).
64.  Sur la base des éléments de preuve présentés en l’espèce, la Cour a constaté que Judith McGlinchey a subi en détention avant son collapsus des traitements inhumains et dégradants, au sens de l’article 3 de la Convention, dont l’Etat défendeur est responsable. Les griefs des requérants revêtent donc un caractère défendable aux fins de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention (arrêts Boyle et Rice c. Royaume-Uni, 27 avril 1988, série A no 131, p. 23, § 52 ; Kaya, cité plus haut, pp. 330-331, § 107 ; Yaşa c. Turquie, 2 septembre 1998, Recueil 1998-VI, p. 2442, § 113).
65.  Le Gouvernement a fait état de recours internes à la prison que Judith McGlinchey aurait pu exercer pour se plaindre de mauvais traitements avant son décès. La Cour relève toutefois que ces recours n’auraient pas permis à l’intéressée d’obtenir réparation pour les souffrances déjà subies. Dans sa décision sur la recevabilité, elle a déjà constaté qu’une action en négligence ne peut prospérer devant les juridictions civiles lorsque le comportement incriminé n’a provoqué ni préjudice corporel ni dommage psychologique. Par ailleurs, rien ne permet de dire qu’une procédure de contrôle juridictionnel, que Judith McGlinchey aurait pu engager en arguant que la prison avait manqué à son obligation de prendre correctement soin d’elle pendant sa détention et qui aurait pu constituer un moyen d’obtenir un examen de la façon dont les autorités carcérales s’acquittaient de leurs obligations, aurait pu déboucher sur l’octroi de dommages et intérêts à un autre titre. Si le Gouvernement soutient que cette impossibilité de faire accueillir une demande de dommages-intérêts découlait des faits de l’espèce et non d’une lacune juridique, il n’en demeure pas moins que le droit anglais ne permet pas d’obtenir réparation pour les souffrances et la détresse que la Cour a jugé ci-dessus résulter d’une violation de l’article 3 de la Convention.
66.  Il faut examiner si, dans ce contexte, l’article 13 exige que soit offerte la possibilité d’obtenir réparation. La Cour elle-même accorde souvent une satisfaction équitable en pareil cas, reconnaissant que la douleur, le stress, l’angoisse et la frustration rendent approprié l’octroi d’une indemnité pour dommage moral. Dans le cas d’une violation des articles 2 ou 3 de la Convention, qui constituent les dispositions les plus fondamentales de celle-ci, une indemnisation pour le dommage moral provoqué par la violation doit en principe faire partie des formes de réparation disponibles.
67.  La Cour conclut donc en l’espèce que Judith McGlinchey – ou les requérants agissant en son nom après sa mort – aurait dû pouvoir introduire un recours en réparation pour le dommage moral subi par elle. Dès lors qu’il n’existait pas de recours donnant accès à un mécanisme permettant de faire examiner la qualité des soins apportés à Judith McGlinchey en prison et offrant la possibilité d’obtenir une indemnisation, il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.
III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
68.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
69.  En leur qualité d’héritiers de Judith McGlinchey, les requérants sollicitent des dommages et intérêts pour le traitement qui fut réservé à l’intéressée. A titre personnel, ils demandent également réparation pour le choc et la détresse que leur ont causés les souffrances de Judith. Ils affirment que celle-ci a reçu des soins médicaux insuffisants et inadéquats, et a ainsi souffert inutilement, connaissant sept jours de vomissements continus, une incapacité à manger ou boire, et une peur et une détresse mentale aiguës, associées à la conviction qu’elle allait mourir. Ils allèguent également que les autorités carcérales contraignirent l’intéressée à nettoyer ses propres vomissures et la punirent en omettant de lui administrer un médicament. Ils disent enfin avoir éprouvé de la détresse et de l’angoisse en prenant connaissance des conditions dans lesquelles Judith McGlinchey passa ses ultimes jours et heures de lucidité. Ils réclament une somme de 20 000 livres sterling (GBP).
70.  Le Gouvernement n’a pas formulé d’observations sur ces demandes.
71.  La Cour rappelle qu’elle a constaté une violation de l’article 3 à raison du caractère déficient des soins prodigués à Judith McGlinchey pendant sa détention. Elle a jugé par contre qu’il n’avait pas été établi que Judith McGlinchey eût été forcée à nettoyer ses propres vomissures ou qu’on eût omis de lui administrer un médicament pour la punir. Notant qu’une grande partie des souffrances de l’intéressée était liée à son sevrage de l’héroïne lui-même mais que le fait que les autorités carcérales n’ont pas pris de mesures plus efficaces pour combattre ses symptômes de sevrage et pour faire face à l’aggravation de son état a certainement contribué à sa douleur et sa détresse, la Cour, statuant en équité, alloue une somme de 11 500 euros (EUR) aux requérants en leur qualité d’héritiers de Judith McGlinchey et 3 800 EUR à chacun d’eux pour son préjudice personnel, soit au total 22 900 EUR.
B.  Frais et dépens
72.  Les requérants réclament 5 480,54 GBP au titre des frais engagés dans le cadre des procédures internes. Cette somme comprend les frais afférents à la représentation devant le coroner et à l’obtention d’avis sur la cause de la mort de Judith McGlinchey et sur l’existence de recours en droit interne. Les requérants demandent par ailleurs 844,43 GBP, taxe sur la valeur ajoutée comprise, pour les frais et dépens étant résultés de la saisine de la Cour de Strasbourg. Le total des sommes réclamées s’élève ainsi à 6 324,97 GBP.
73.  Le Gouvernement ne s’est pas exprimé sur ces demandes.
74.  La Cour observe que les frais encourus par les requérants pour obtenir des avis juridiques et être représentés à l’enquête judiciaire sont liés au moins en partie aux questions concernant la cause du décès de Judith McGlinchey et la responsabilité éventuelle des autorités. Les requérants n’ont toutefois pas maintenu devant la Cour le grief qu’ils avaient initialement formulé sur le terrain de l’article 2 de la Convention. Statuant en équité, la Cour alloue 7 500 EUR au titre des frais et dépens.
C.  Intérêts moratoires
75.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.  Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;
2.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;
3.  Dit, à l’unanimité,
a)  que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en livres sterling au taux applicable à la date du règlement et à majorer de tout montant pouvant être dû à titre d’impôt :
i.  22 900 EUR (vingt-deux mille neuf cents euros) pour dommage moral,
ii.  7 500 EUR (sept mille cinq cents euros) pour frais et dépens ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 29 avril 2003, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Lawrence Early Jean-Paul Costa   Greffier adjoint Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :
–  opinion concordante de M. Costa ;
–  opinion partiellement dissidente de Sir Nicolas Bratza.
J.-P.C.  T.L.E.
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE COSTA
Ayant pesé le pour et le contre, j’ai finalement conclu, dans cette affaire délicate, à la violation de l’article 3 de la Convention. Je souhaite cependant expliquer mon opinion, car l’arrêt, auquel je souscris pour l’essentiel, ne représente pas complètement celle-ci.
1.  Je précise tout d’abord, parce que cela me paraît juste, que je n’ai vu dans cette affaire aucune intention des autorités judiciaires, pénitentiaires et médicales britanniques, d’humilier ou de maltraiter Judith McGlinchey, qui fut condamnée à quatre mois d’emprisonnement et, en conséquence, incarcérée à la prison de New Hall, Wakefield, à partir du 7 décembre 1998. Mais j’ajoute aussitôt que, aux yeux de la Cour, « l’absence d’un tel but ne saurait exclure de façon définitive le constat de violation de l’article 3 » (voir les arrêts V. c. Royaume-Uni [GC], no 24888/94, § 71, CEDH 1999-IX, et Peers c. Grèce, no 28524/95, § 74, CEDH 2001-III). Il faut tenir compte de cette jurisprudence.
2.  Je ne pense pas non plus qu’il soit souhaitable d’abaisser le seuil de gravité que la Cour exige pour considérer que des traitements sont inhumains ou dégradants. L’article 3 ne mérite pas d’être galvaudé ou banalisé. Toutefois, je pense que le présent arrêt n’abaisse pas ce seuil. Je suis par ailleurs convaincu qu’il ne faut pas juger les faits de la cause avec une « sagesse rétrospective », ni être influencé par la circonstance que l’intéressée est malheureusement décédée, le 3 janvier, à la suite de l’arrêt cardiaque qui est intervenu le 14 décembre et des séquelles qui en sont résultées. Mais, même en m’efforçant de me placer à l’époque de l’emprisonnement et de faire abstraction de son issue tragique, je peux aboutir, pour les raisons que je vais indiquer, à la conclusion que le traitement subi par Judith McGlinchey a été objectivement inhumain et/ou dégradant.
3.  Ce qui compte à mes yeux, c’est un ensemble de faits qui se sont accumulés. La victime était une héroïnomane, et elle souffrait d’asthme ; elle avait pour cette raison été hospitalisée à six reprises au cours de l’année précédente. Malgré cet état de santé délabré, elle fut condamnée à la prison, alors qu’il avait été proposé, alternativement, de la soumettre à un sursis avec mise à l’épreuve (probation order). Dès son entrée à la prison de New Hall, elle se mit à vomir fréquemment. Alors qu’elle avait indiqué qu’elle voulait se désintoxiquer de l’héroïne, et que le médecin de la prison lui prescrivit immédiatement un médicament destiné à apaiser les symptômes de la désintoxication, celui-ci ne lui fut pas donné le second jour de son séjour en prison (peut-être pour de bonnes raisons, mais...). Elle fut également, par deux fois, enfermée dans sa cellule afin de punir son comportement. Mais surtout les vomissements n’ont pas cessé, jour et nuit, et ils se sont accompagnés d’une perte de poids rapide et brutale : sept kilos 
en quarante-huit heures, dix kilos entre le lundi, jour de son arrivée, et le samedi. Je peux admettre que l’absence du médecin de la prison pendant le week-end n’a pas été déterminante, car il y avait un médecin de permanence (locum), et elle aurait pu demander à le voir. Mais je n’arrive pas à comprendre que la prisonnière n’ait pas été hospitalisée dès les premiers jours de sa détention, alors qu’elle vomissait constamment, qu’elle avait perdu 20 % de son poids en cinq jours, et qu’on savait qu’elle cherchait, simultanément, à se désintoxiquer. C’est seulement le lundi matin, donc une semaine après son entrée, qu’elle fut envoyée dans une ambulance à l’hôpital, parce qu’elle avait eu un malaise et émettait des vomissements dont la couleur et l’aspect révélaient la présence de sang dans l’estomac. Cet ensemble de circonstances explique le constat de violation auquel nous sommes parvenus, la majorité de mes collègues et moi-même.
4.  Cette constatation doit par ailleurs être placée dans un contexte plus large, celui des soins particuliers qu’il faut administrer aux personnes détenues dont l’état de santé est préoccupant, ce qui peut déboucher, dans des cas comme celui de la victime, sur l’incompatibilité même de leur état avec leur placement ou en tout cas leur maintien en détention.
5.  La prise de conscience croissante d’une telle nécessité, qui, en soi, se distingue de la question que j’ai évoquée plus haut du seuil de souffrances à prendre en compte, est reflétée dans de nombreux instruments du Conseil de l’Europe. Je peux citer trois Recommandations du Comité des Ministres aux Etats membres, celle du 12 février 1987 sur les règles pénitentiaires européennes (no R (87) 3), celle du 8 avril 1998 relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire (no R (98) 7), enfin celle du 29 septembre 2000 concernant l’amélioration de la mise en œuvre des règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la Communauté (Rec(2000)22) ; je peux aussi citer le troisième rapport général d’activités du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), couvrant la période du 1er janvier au 31 décembre 1992, qui comprend un chapitre III consacré aux services de santé dans les prisons.
6.  Notre Cour elle-même est de plus en plus sensible à cette préoccupation. Elle a souvent indiqué dans ses arrêts que l’appréciation au regard de l’article 3 du minimum de gravité d’un traitement dépend, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, par exemple, l’arrêt Raninen c. Finlande du 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997 VIII, pp. 2821-2822, § 55). On peut rappeler aussi, bien qu’il s’agît de circonstances de fait différentes (la détenue étant gravement handicapée), l’arrêt Price c. Royaume-Uni (no 33394/96, CEDH 2001-VII), avec l’opinion séparée de Sir Nicolas Bratza à laquelle je me suis rallié, et l’opinion séparée de Madame la juge Greve ; les auteurs de ces opinions ont considéré que le principe même du placement de la requérante en détention était, compte tenu de son état, incompatible avec l’article 3. Voir aussi  
l’arrêt récent Mouisel c. France (no 67263/01, CEDH 2002-IX), par lequel la Cour a dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 3, s’agissant des conditions de traitement, et du maintien en détention, d’une personne souffrant d’une maladie incurable.
7.  Je ne sous-estime pas, naturellement, les difficultés auxquelles sont confrontées les autorités judiciaires lorsqu’elles ont à déterminer les modalités de la peine à infliger à un délinquant, fût-il dans un mauvais état de santé ; ni celles des autorités pénitentiaires et des services de santé en milieu carcéral quand ils ont à choisir entre un traitement in situ et une hospitalisation extérieure, et cela d’autant plus que le mauvais état de santé d’un détenu n’est malheureusement pas une chose exceptionnelle, en particulier en raison des ravages de la drogue parmi les délinquants. Mais, si je reviens au cas de l’espèce, je pense que toutes ces autorités ont, elles, sous-estimé la gravité de l’état personnel de Judith McGlinchey. L’accumulation d’erreurs a été telle, à mon avis, qu’elle finit par constituer une violation de l’article 3 de la Convention. Et je serais parvenu à la même conclusion si la victime avait finalement survécu : l’émotion que suscite son décès ne doit pas fausser le jugement intrinsèque sur sa détention et ses conditions de traitement.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE  DE Sir Nicolas BRATZA, JUGE
(Traduction)
Je ne puis malheureusement souscrire à l’avis de la majorité de la chambre, qui a constaté une violation de l’article 3 de la Convention en l’espèce.
Les principes généraux qui régissent l’application de l’article 3 sont bien résumés dans l’arrêt de la chambre. La jurisprudence de la Cour fixe un seuil de gravité élevé en deçà duquel des mauvais traitements ne peuvent être réputés relever de cette disposition. Dans le contexte particulier des conditions de détention, la Cour a notamment déclaré que si l’article 3 ne peut être interprété comme établissant une obligation générale de libérer un détenu pour motifs de santé il impose à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (voir, par exemple, l’arrêt Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 93-94, CEDH 2000-XI).
La question principale qui se pose en l’espèce est de savoir si les éléments de preuve présentés à la Cour établissent dans une mesure suffisante que le traitement – y compris les soins médicaux – réservé à Judith McGlinchey par les autorités carcérales a été, compte tenu de l’ensemble des circonstances de la cause, déficient au point d’emporter violation de l’article 3.
A cet égard, je relève d’emblée deux points qui me paraissent non dépourvus d’importance.
Premièrement, nul n’a allégué – et la majorité de la chambre n’a pas constaté – que l’état de santé de Judith McGlinchey au moment de sa condamnation était tel qu’elle n’aurait jamais dû être envoyée ou détenue en prison. De ce point de vue, la situation est sensiblement différente de celle examinée par la Cour dans l’arrêt Price c. Royaume-Uni (no 33394/96, CEDH 2001-VII), où fut constatée une violation de l’article 3 aux dépens d’une requérante présentant une malformation des quatre membres liée à la thalidomide et souffrant de nombreux problèmes de santé, qui avait été incarcérée sans que les autorités se fussent assurées de l’existence d’installations adaptées à son grave handicap. A l’inverse, il n’a été ni soutenu ni constaté en l’espèce que les installations de la prison n’étaient pas de nature à permettre le traitement d’un prisonnier en cours de sevrage de l’héroïne et – complication supplémentaire – atteint d’asthme. 
Deuxièmement, j’observe que plusieurs des allégations de traitements inhumains et dégradants formulées par les requérants ont été écartées par la chambre ou déclarées non établies. En particulier, la chambre a estimé que la plainte selon laquelle les autorités carcérales avaient privé Judith McGlinchey du traitement destiné à son sevrage pour la punir était dépourvue de fondement, la fiche d’administration des traitements faisant apparaître que le médicament fut omis une seule fois, le 8 décembre 1998, et ce sur l’instruction du médecin, qui avait constaté une baisse de la tension artérielle de l’intéressée. La chambre a de même déclaré qu’il n’avait pas été établi que des médicaments pour l’asthme n’avaient pas été fournis à Judith McGlinchey : les notes infirmières indiquent que l’intéressée reçut des inhalateurs lorsque le personnel s’aperçut que sa respiration était sifflante. Quant au fait que sur les vingt doses d’antibiotiques qui devaient être administrées à Judith McGlinchey pour l’infection de son bras sur une période de cinq jours quatre furent omises ou ne furent pas consignées dans la fiche d’administration des médicaments, la chambre, tout en observant que dans un cas comme dans l’autre il était regrettable que la procédure n’eût pas été respectée, a constaté que rien ne permettait de dire que cette carence eût produit un effet préjudiciable sur l’état de Judith McGlinchey ou lui eût causé de l’inconfort.
C’est sur la base de la plainte selon laquelle les autorités n’en ont pas fait assez, ou n’ont pas agi assez rapidement, pour traiter les symptômes de sevrage de l’héroïne présentés par Judith McGlinchey ou pour remédier à l’aggravation importante de son état général pendant sa détention que la majorité a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention.
Nul ne conteste que Judith McGlinchey fut examinée par une infirmière lors de son incarcération le 7 décembre 1998, puis le lendemain par le médecin en chef de la prison, le Dr K., qui prescrivit des traitements pour ses différents problèmes de santé. Ainsi qu’il ressort des paragraphes 53 et 54 de l’arrêt, l’état de Judith McGlinchey fut, entre le 7 et le 12 décembre, régulièrement contrôlé par le corps médical et infirmier de la prison, qui prit des mesures pour atténuer les symptômes de sevrage présentés par l’intéressée. A mon sens, rien dans les éléments de preuve présentés à la Cour n’indique que Judith McGlinchey ait été négligée ou abandonnée à son sort.
S’il est vrai, comme l’a souligné la majorité de la chambre, qu’au cours de cette période Judith McGlinchey continua à vomir, mangea peu et perdit du poids, il ressort des témoignages fournis par le corps médical et infirmier lors de l’enquête judiciaire que l’état de santé de Judith McGlinchey demeurait stable et, nonobstant un nouvel épisode de vomissements le 11 décembre au soir, montrait même des signes d’amélioration. La sœur N. et le Dr K. expliquèrent tous deux que Judith McGlinchey ne donnait pas cliniquement l’impression d’être très malade au cours de cette période et qu’elle était active et communiquait avec des tiers. Le Dr K. déclara en particulier que, compte tenu de sa tension artérielle, de sa température, de son pouls et de son aspect général, il n’avait pas estimé nécessaire de l’envoyer dans un hôpital extérieur.
Plus gênant est le fait que les deux jours suivants, le samedi 12 et le dimanche 13 décembre, le Dr K. n’était pas à la prison et Judith McGlinchey ne fut apparemment examinée par aucun médecin, bien qu’un médecin suppléant fût présent à la prison le samedi matin. Si d’après les éléments de preuve présentés lors de l’enquête judiciaire le personnel médical de la prison constata le 12 décembre que la température, la tension artérielle et le pouls de Judith McGlinchey étaient normaux, il releva aussi que l’intéressée continuait à vomir et que son poids était tombé à 40 kilos, ce qui représentait une diminution de trois kilos depuis le 9 décembre et vraisemblablement une perte de poids encore plus importante depuis son incarcération.
J’observe toutefois que, malgré cette perte de poids, le personnel infirmier ne s’alarma pas et n’estima pas nécessaire d’appeler un médecin ou d’organiser le transfert de Judith McGlinchey à l’hôpital conformément à la pratique de la prison. Il ressort du dossier médical de l’intéressée que le 12 décembre Judith McGlinchey avait mieux dormi et que le 13 décembre, lorsqu’elle prit un repas léger et ne vomit pas dans la journée, le corps infirmier estima que son état s’améliorait au point de rendre inutile l’administration de l’antiémétique prescrit. Si l’intéressée vomit de nouveau à deux reprises ce soir-là, aucun problème ne fut observé pendant la nuit. Par ailleurs, si je suis quelque peu embarrassé par le fait que Judith McGlinchey est restée deux jours sans être examinée par un médecin, qui aurait pu, par exemple, déceler un problème de déshydratation, je relève que les preuves présentées lors de l’enquête judiciaire n’ont pas établi que Judith McGlinchey fût effectivement déshydratée lors de son arrivée à l’hôpital à la suite de son collapsus, le 14 décembre au matin. Le Dr Tobin ne fut pas en mesure de poser un cathéter central en raison de l’état de Judith McGlinchey, mais s’il déclara que l’intéressée présentait des signes permettant de soupçonner une déshydratation, il n’exclut pas pour autant que ceux-ci pussent résulter d’une perte de sang significative. Plus important encore, selon moi, est le fait qu’aucun des médecins qui témoignèrent devant le coroner ne critiqua le Dr K. pour n’avoir pas envoyé Judith McGlinchey à l’hôpital plus tôt.
Dans ces conditions, j’estime qu’il n’est pas établi au vu des preuves présentées à la Cour que les soins médicaux prodigués à Judith McGlinchey par les autorités carcérales aient été déficients au point de causer de la détresse ou de la souffrance à l’intéressée ou d’emporter violation de ses droits découlant de l’article 3.
Comme l’arrêt l’a constaté, certains aspects du fonctionnement de la prison ou des soins administrés à Judith McGlinchey prêtent à critique : par exemple, l’inexactitude des balances utilisées, le fait que tous les médicaments prescrits ne furent pas administrés ou que l’administration de certaines doses ne fut pas enregistrée, et l’absence d’un médecin dans l’enceinte de la prison pendant la plus grande partie du week-end. De surcroît, si Judith McGlinchey avait été transférée à l’hôpital plus tôt, elle aurait pu bénéficier de l’assistance d’un personnel plus compétent, et peut-être de meilleurs soins palliatifs. Cependant, même avec du recul, je ne puis conclure qu’il a été démontré que les autorités carcérales ont fait subir à Judith McGlinchey un traitement inhumain ou dégradant.
En conséquence, mais non sans avoir hésité, j’ai voté contre le constat d’une violation de l’article 3 de la Convention en l’espèce.
Cette conclusion ne signifie pas pour autant que les griefs formulés par les requérants ne relèvent pas de l’article 13 de la Convention. Ils n’ont pas été déclarés irrecevables au motif qu’ils étaient manifestement mal fondés, et ils ont nécessité un examen au fond. Je conviens que les différents arguments invoqués par les requérants constituaient un grief défendable de violation de la Convention aux fins de l’article 13, et, pour les raisons exposées aux paragraphes 71 à 74 de l’arrêt de la chambre, j’estime que les droits garantis aux requérants par cet article ont été violés.
Par respect pour l’avis de la majorité de la chambre selon lequel Judith McGlinchey a également été victime d’une méconnaissance de ses droits découlant de l’article 3, j’ai voté pour l’intégralité des sommes allouées dans l’arrêt au titre du dommage moral et des frais et dépens.
ARRÊT McGLINCHEY ET AUTRES c. Royaume-Uni
ARRÊT McGLINCHEY ET AUTRES c. Royaume-Uni  
ARRÊT McGLINCHEY ET AUTRES c. ROYAUME-UNI –
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE COSTA 
ARRÊT McGLINCHEY ET AUTRES c. Royaume-Uni
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE COSTA
ARRÊT McGLINCHEY ET AUTRES c. ROYAUME-UNI 
ARRÊT McGLINCHEY ET AUTRES c. ROYAUME-UNI –
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE Sir Nicolas BRATZA, JUGE
ARRÊT MCGLINCHEY ET AUTRES c. ROYAUME-UNI –
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE Sir Nicolas BRATZA, JUGE 


Synthèse
Formation : Cour (deuxième section)
Numéro d'arrêt : 50390/99
Date de la décision : 29/04/2003
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 3 ; Violation de l'art. 13 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire

Analyses

(Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 3) TRAITEMENT DEGRADANT


Parties
Demandeurs : MCGLINCHEY ET AUTRES
Défendeurs : ROYAUME-UNI

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2003-04-29;50390.99 ?
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