La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/05/2003 | CEDH | N°52763/99

CEDH | AFFAIRE COVEZZI ET MORSELLI c. ITALIE


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE COVEZZI ET MORSELLI c. ITALIE
(Requête no 52763/99)
ARRÊT
STRASBOURG
9 mai 2003
DÉFINITIF
24/09/2003
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Covezzi et Morselli c. Italie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,    L. Ferrari Bravo,    G. Bonello    P. Lorenzen,   Mmes N.

Vajić,    S. Botoucharova,    E. Steiner, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier adjoint de section,
Après en ...

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE COVEZZI ET MORSELLI c. ITALIE
(Requête no 52763/99)
ARRÊT
STRASBOURG
9 mai 2003
DÉFINITIF
24/09/2003
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Covezzi et Morselli c. Italie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,    L. Ferrari Bravo,    G. Bonello    P. Lorenzen,   Mmes N. Vajić,    S. Botoucharova,    E. Steiner, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 13 mars et 10 avril 2003,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 52763/99) dirigée contre la République italienne et dont deux ressortissants de cet Etat, M. Delfino Covezzi et Mme Maria Lorena Morselli (« les deux requérants »), ont saisi la Cour le 9 août 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). Devant la Cour ils agissent également au nom et pour le compte de quatre de leurs enfants : V., P., E. et A., nés en 1987, 1989, 1991 et 1994, respectivement.
2.  Les deux requérants, qui ont été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, sont représentés devant la Cour par Me C. Tassi et Me C. Previdi, avocats à Modène. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. U. Leanza, et par son coagent, M. F. Crisafulli.
3.  Les deux requérants allèguent une violation de leur droit au respect de leur vie familiale du fait de l’éloignement et du placement séparé de leurs quatre premiers enfants à l’assistance publique. Ils se plaignent également de ne pas avoir eu accès au tribunal pour enfants pendant une longue période afin d’obtenir une décision définitive quant à la garde de leurs enfants, et de ne pas avoir disposé d’un recours effectif à cet égard.
4.  La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement. A la suite du déport de M. V. Zagrebelsky, juge élu au titre de l’Italie (article 28), le Gouvernement a désigné M. L. Ferrari Bravo, le juge élu au titre de Saint-Marin, pour siéger à sa place (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).
5.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1).
6.  Une audience s’est déroulée en public au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 24 janvier 2002 (article 59 § 2 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement  MM. V. ESPOSITO, coagent,   F. CRISAFULLI, coagent adjoint ;
–  pour les requérants  Mes C. TASSI,   C. PREVIDI, conseils,   A. CORTELLONI,   E. ABBATI, conseillers.
La Cour a entendu en leurs déclarations Mes Previdi et Tassi et M. Crisafulli.
7.  Par une décision du 24 janvier 2002 la chambre a déclaré la requête recevable.
8.  Tant les deux requérants que le Gouvernement ont déposé des observations sur le fond de l’affaire.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
9.  Les deux requérants sont des ressortissants italiens, nés en 1959. Ils sont mariés et à l’époque des faits, ils résidaient à Massa Finalese (Modène). La requérante réside actuellement en France avec son cinquième enfant qui est né dans ce pays.
10.  La présente affaire concerne l’éloignement et la prise en charge des quatre premiers enfants du couple, V., P., E. et A. – au nom desquels les deux requérants ont également introduit la présente requête – à la suite de poursuites pénales ouvertes contre des membres de la famille de la requérante et, par la suite, contre les deux requérants. A l’époque de l’éloignement, les enfants étaient âgés respectivement de onze, neuf, huit et quatre ans.
a.   Les poursuites pénales engagées contre des membres de la famille de la requérante
11.  En juin 1998, M., une cousine des enfants des deux requérants, âgée de douze ans, déclara à la psychologue qui la suivait depuis deux ans qu’elle avait subi – de même que son frère et d’autres enfants, parmi lesquels ceux des requérants – des abus sexuels dans une habitation privée et, lors de rites sataniques, dans un cimetière de la part de ses parents et d’autres adultes, parmi lesquels d’autres membres de la famille de la requérante. Lors de cet entretien, M. ajouta que la requérante faisait confiance à son père et lui confiait ses enfants.
12.  A la suite de ces déclarations, des poursuites pénales furent engagées à l’encontre des parents de M. ainsi que du père et des frères de la requérante devant le tribunal de Modène . Les poursuites s’inscrivirent dans une procédure pénale déjà ouverte à l’encontre de douze personnes et ayant trouvé son origine dans les déclarations d’autres enfants.
13.  En juillet 1998, après avoir été soumis à des expertises médicales, M. et son frère furent éloignés de leur famille et placés à l’assistance publique.
14.   Le 21 novembre 1998, de premières expertises médicolégales furent conduites sur les enfants des requérants. Le parquet ordonna que seuls des médecins assistent aux visites et que ni les deux requérants ni leurs conseils ne soient présents. Les requérants ne désignèrent pas d’expert.
Les deux experts désignés d’office conclurent que l’état physique des quatre enfants, à l’instar de celui qui avait été révélé par les expertises faites sur M. et sur les autres enfants concernés par les allégations d’abus, étaient compatibles avec des situations d’abus sexuels graves et répétés.
15.  Le 14 février 1999, un des deux experts rencontra à nouveau V. et A. et confirma les conclusions qu’elle avait formulées le 21 novembre 1998 quant à l’existence d’abus répétés et graves sur les deux fillettes.
16.  En novembre 1999, selon la version fournie par V., son grand-père et ses oncles maternels se seraient approchés d’elle à la sortie de l’école et lui auraient infligé de nouveaux sévices, apparemment pour l’intimider à la suite de ses déclarations contre eux. Après la dénonciation de l’enfant, par une décision du 24 novembre 1999 du tribunal de Modène, ils furent mis en détention.
17.  Par un jugement du 5 juin 2000, le père et les frères de la requérante furent condamnés, en même temps que d’autres personnes, par le tribunal de Modène du chef d’abus sexuels sur mineurs, commis aussi sur les quatre enfants des requérants.
18.  Par un arrêt du 11 juillet 2001, déposé au greffe le 8 octobre 2001, la cour d’appel de Bologne confirma en partie ces condamnations.
19.  Elle affirma tout d’abord la crédibilité générale de tous les enfants par rapport aux abus subis dans le milieu domestique. Elle estima que les dépositions des enfants, qui confirmaient les déclarations de M., devaient être considérées comme étant dignes de foi et indépendantes de toute pression ou influence de la part des services sociaux, des magistrats impliqués dans l’affaire ou encore des familles d’accueil.
Sur la base de ces considérations et des preuves recueillies, la cour d’appel confirma la condamnation des parents de M., dont le père était l’un des frères de la requérante, ainsi que des deux autres frères et du père de la requérante, par rapport aux abus commis à leur domicile sur M. et sur les enfants des requérants.
Cependant, la cour d’appel acquitta les accusés par rapport aux abus prétendument commis au cimetière, au motif que ces faits n’avaient pas été établis. Sur ce point la cour d’appel soutint que les déclarations concernant les rites sataniques et les abus prétendument commis dans le cimetière tiraient leur origine des dépositions altérées de D.G., l’un des enfants impliqués, qui avait évoqué de telles situations en 1997 suite à une reconstitution artificielle des expériences d’abus réellement subis. Ces déclarations avaient par la suite été reprises, grâce aussi au contexte provincial et à la médiatisation de l’affaire, générant ainsi chez les autres enfants des suggestions et des faux souvenirs collectifs et les amenant à amplifier les violences effectivement subies. La cour d’appel ne partagea pas les conclusions des experts concernant la crédibilité des enfants à cet égard.
20.  En ce qui concerne la situation spécifique des enfants des requérants, la cour d’appel souligna qu’il ressortait des différentes expertises et dépositions qu’ils avaient vécu de façon sereine l’éloignement de leur famille et qu’ils n’avaient jamais manifesté le souhait de rentrer chez eux ni des regrets ou de la nostalgie (à l’exception de V., le soir de son éloignement). Elle ajouta que la séparation des enfants avait permis de préserver l’authenticité de leurs dépositions.
21.  Selon le Gouvernement, les requérants auraient dû être entendus dans le cadre de cette procédure en qualité de personnes accusées dans une procédure connexe (persone indagate in procedimento connesso). Cependant, toujours selon le Gouvernement, cela n’aurait pas été possible : la requérante se serait rendue introuvable et l’acte de citation n’aurait par conséquent pas pu lui être notifié ; quant au requérant, il aurait usé de sa faculté de ne pas répondre.
22.  Le 19 novembre 2001, le parquet de Bologne se pourvut en cassation. Par un arrêt rendu le 26 novembre 2002, la Cour de cassation confirma l’arrêt de la cour d’appel de Bologne.
b.  Les poursuites pénales engagées contre les requérants
23.  Par une note du 8 mars 1999, l’ASL (Azienda Sanitaria Locale) informa le tribunal pour enfants que V. avait confié à son parent d’accueil, C.P., avoir fait l’objet d’abus sexuels de la part de son père à partir de l’âge de sept ans.
24.  Le 11 mars 1999, C.P. fut interrogé par le procureur de la République près le tribunal de Modène. Il relata qu’après une rencontre avec la psychologue, V. était bouleversée et avait beaucoup pleuré ; la psychologue avait dit à C.P. que V. était peut-être prête à se confier à lui. V. lui aurait par la suite confié avoir subi des abus sexuels de la part de son père avec la complicité de sa mère. Elle avait ajouté que les abus concernaient également ses frères. C.P. affirma en outre que V. aurait été très déçue d’apprendre que ses parents refusaient de reconnaître qu’elle et ses frères avaient fait l’objet d’abus sexuels de la part de membres de la famille.
25.  Le 17 mars 1999, le procureur de la République ordonna aux requérants de comparaître devant lui le 9 avril 1999 en tant que « personnes faisant l’objet d’enquêtes préliminaires » (invito per la presentazione di persona sottoposta a indagini). Les preuves indiquées par le procureur étaient les déclarations de C.P., les résultats des expertises médicolégales conduites le 21 novembre 1998 sur les enfants et révélant des traces d’abus sexuels, ainsi que la note de l’ASL du 8 mars 1999.
26.  Le 9 avril 1999, les requérants furent interrogés par le procureur près le tribunal de Modène. Ils contestèrent fermement les accusations, dénoncèrent l’acharnement des services sociaux à leur encontre et  affirmèrent que les déclarations des enfants étaient le résultat de manipulations et de suggestions de la part des familles d’accueil et des psychologues.
27.  Le 14 juin 1999, le juge chargé des investigations préliminaires ordonna une expertise psychologique sur les trois aînés des requérants. Dans un rapport du 5 octobre 1999, les psychologues et le travailleur social mentionnèrent le climat d’intimidation créé par les défenseurs des requérants le 29 septembre 1999, durant les opérations d’expertise.
28.  Le 8 octobre 1999, le juge des investigations préliminaires ordonna une expertise médicolégale sur les quatre enfants. Ayant exclu la nécessité d’un nouvel examen médical, il ordonna que l’expertise eût lieu en n’utilisant que le matériel photographique recueilli lors de l’examen des enfants du 21 novembre 1998, dans le cadre du procès contre les membres de la famille de la requérante.
29.  Le 9 octobre 1999, le procureur de la République demanda que le délai pour clore l’enquête préliminaire fût prorogé au 25 avril 2000. Le juge chargé des investigations préliminaires fit droit à cette demande.
30.  Le 10 décembre 1999 les trois aînés des requérant furent l’objet d’une audition protégée de la part du juge des investigations préliminaires. Les avocats des requérants assistèrent à l’audition et posèrent des questions aux enfants.
31.  En février 2000, à la suite des demandes répétées des requérants, des témoignages de catéchistes ainsi que des enseignants des enfants furent versés au dossier. Ces témoignages indiquaient tous que rien d’anormal n’avait été remarqué chez les enfants avant l’intervention des autorités.
32.  Le 15 mars 2000, l’expert nommé par le juge déposa l’expertise médicolégale ordonnée le 8 octobre 1999. Dans son rapport, il exprima des divergences avec les conclusions tirées par les experts lors de l’examen du 21 novembre 1998, dans la mesure où les clichés ne prouvaient pas l’existence de signes révélateurs spécifiques d’abus.
Néanmoins, l’expert conclut que, compte tenu de la teneur de la question qui lui avait été posée (appréciation de la compatibilité de la situation objective avec l’hypothèse d’abus sexuels), il n’était peut-être pas nécessaire d’examiner à nouveau les enfants.
Les experts nommés par les deux requérants estimèrent que le matériel photographique était inadéquat et soulignèrent la nécessité d’examiner à nouveau les enfants.
33.  Le 21 mars 2000 fut déposé le rapport concernant l’expertise psychologique ordonnée le 14 juin 1999. Les experts nommés par le juge estimèrent que, malgré l’étonnement que l’on pouvait ressentir face aux abus que les enfants affirmaient avoir subis, notamment par leur père, leurs témoignages devaient être considérés comme crédibles et qu’aucun élément du dossier n’indiquait qu’ils puissent avoir été manipulés ou influencés.
34.  Le 6 mai 2000, les requérants furent à nouveau interrogés par le ministère public.
35.  Le 30 mars 2001, les requérants furent renvoyés en jugement.
36.  Le 21 mai 2001, faisant droit à la demande du ministère public, le tribunal de Modène appliqua aux requérants la mesure conservatoire de l’interdiction d’entrée et de séjour dans la province de Reggio d’Emilie, les enfants ayant déclaré avoir été approchés et menacés à plusieurs reprises par leurs parents. Le 28 février 2002, le ministère public demanda la levée de ladite mesure, estimant que les raisons qui l’avaient justifiée n’existaient plus. Par une ordonnance du même jour, le tribunal leva la mesure.
37.  Par un arrêt du 24 septembre 2002, le tribunal de Modène condamna en première instance les deux requérants à une peine de douze ans de réclusion, à l’interdiction perpétuelle d’exercer des fonctions publiques, ainsi qu’au dédommagement des parties civiles. Il les déchut en outre de l’autorité parentale.
c.  La procédure d’éloignement devant le tribunal pour enfants
1.  La mesure d’urgence
38.  Le 27 octobre 1998, en raison de l’implication des quatre enfants des requérants dans les situations évoquées par M., le ministère public près le tribunal pour enfants de Bologne demanda leur éloignement provisoire et urgent du foyer familial. Par une décision du 6 novembre 1998, déposée au greffe le 11, ledit tribunal fit droit à cette demande. Il ordonna également la suspension de l’autorité parentale des requérants et nomma l’ASL, organisme local pour les questions de santé, tuteur des enfants.
39.  Les passages pertinents de cette décision se lisent comme suit :
« Le Tribunal (...) formule les observations suivantes : il y a lieu d’intervenir à titre provisoire et urgent en vue de protéger les enfants ;
les enfants habitent avec leurs parents ;
leur cousine, [M.], éloignée de sa famille avec son frère en vertu d’une décision de ce tribunal, a relaté des faits d’une gravité bouleversante, concernant le petit R. (frère de M.), ses cousins Covezzi [V., P,. E. et A.] et S.B. ;
tous les enfants auraient fait l’objet d’abus répétés de la part de nombreux adultes (parmi lesquels les parents de [M.], son grand-père paternel et certains de ses oncles), et auraient été soumis à des rites sexuels et sataniques ;
la crédibilité de [M.] est liée aux modalités de ses déclarations (...), à la teneur de celles-ci (...), aux éléments les corroborant, à savoir les résultats des examens médicolégaux auxquels elle a été soumise en même temps que son petit frère (...) ;
la crédibilité de [M.] découle également du lien avec les déclarations faites par d’autres enfants, elles aussi crédibles, lesquels ont relaté, avec une cohérence alarmante et que l’on ne saurait considérer comme occasionnelle (...), des rites orgiaques-sexuels auxquels ont été soumis de nombreux enfants dans un contexte similaire ;
cela impose de prêter la plus grande attention aux déclarations de [M.] concernant ses cousins Covezzi (quant à ceux-ci, [M.] n’évoque pas une participation de leurs parents) et sa cousine S.B. (dont le père est en revanche directement mis en cause par [M.]) ;
en particulier, les craintes aiguës manifestées par l’enfant (même par rapport à sa sécurité personnelle) pour avoir raconté les abus subis et le contexte même extra-familial dans lequel ces derniers ont eu lieu, rendent plausibles des comportements d’intimidation à son égard, qui rendent indispensable de mettre en place une protection absolue des autres enfants impliqués, eux aussi exposés au risque de rétorsions de la part des adultes mis en cause ;
en ce qui concerne les frères Covezzi, malgré le fait que, comme on vient de le dire, leurs parents ne paraissent pas en l’état « directement » mis en cause, il y a lieu d’observer ce qui suit :
-      puisque selon toute vraisemblance ce qui a été relaté par [M.] est vrai, les parents n’ont à tout le moins rien relevé et n’ont aucunement surveillé leurs enfants qu’ils ont confiés à des proches, lequels les ont en revanche amenés à plusieurs reprises dans des endroits où ils ont été soumis à des abus ;
-      en particulier, les parents n’ont aucunement perçu l’inévitable malaise des enfants, lesquels, à leur tour, n’ont pas perçu leurs parents en tant que protecteurs si, dans la meilleure des hypothèses du point de vue de ces derniers, leurs enfants ne leur ont rien raconté de ce qu’ils subissaient ;
il apparaît en conséquence que l’environnement familial ne permet pas d’assurer la protection nécessaire des enfants, et est défaillant et hautement inadéquat, de sorte qu’en l’état s’impose l’éloignement des enfants ;
par ailleurs, seul le placement dans un environnement autre que celui dans lequel les enfants ont vécu pendant qu’ils subissaient des abus répétés et gravissimes pourra leur permettre de se sentir enfin protégés et de rendre donc possibles à la fois des examens médicolégaux (qui exigent, on le sait, la collaboration des petits) et une enquête psycho-diagnostique approfondie, mesures qui pourraient entraîner un autre traumatisme pour les enfants ;
en outre, leur placement dans un environnement protégé, dans le but précisément de comprendre pleinement les expériences qu’ils ont vécues, pourra représenter même pour les parents une occasion utile pour établir plus rapidement leur position par rapport aux événements dans lesquels leurs enfants ont été impliqués et pour assumer la fonction de protection qui jusqu’à présent a fait complètement défaut ;
dans ces circonstances et compte tenu des carences gravissimes des parents, il y a lieu de suspendre leur autorité parentale sur les enfants, de désigner l’ASL du lieu de résidence en tant que tuteur temporaire, afin que cette dernière les place dans un environnement protégé adéquat et qu’elle procède aux nécessaires vérifications psycho-diagnostiques sur l’état des enfants, sur leur relation avec leurs parents et sur les aptitudes parentales de ces derniers ;
les rapports entre les parents et les enfants devront être suspendus jusqu’à ce que la fonction de protection des premiers aura été recouvrée ;
par ces motifs
vu l’article 336 dernier alinéa du code civil
en décidant à titre provisoire et d’urgence
toute décision définitive réservée
décide
la suspension de l’autorité parentale (...)
nomme
tuteur temporaire des enfants l’ASL de Modène, qui veillera au placement des enfants dans un milieu protégé, à la suspension des rapports avec les parents jusqu’à ce que le présent tribunal prenne de nouvelles dispositions, et qui effectuera une enquête psycho-diagnostique, en relatant au tribunal la situation des enfants dans deux mois ;
ordonne
aux parents de se rendre à toutes les rencontres fixées par les responsables de l’ASL de Mirandola, de collaborer à l’enquête menée par ceux-ci et d’en respecter toutes les instructions.
40.  La décision fut exécutée le matin du 12 novembre 1998. Les requérants affirment que l’éloignement eut lieu à 5 h 45 du matin, et que les modalités de l’irruption dans l’habitation auraient causé des traumatismes psychologiques chez les enfants. Le Gouvernement conteste cette allégation et affirme que l’éloignement des enfants fut exécuté de façon non violente et à une heure raisonnable.
41.  Selon le rapport remis le 9 mars 1999 par les services sociaux au tribunal pour enfants, les enfants furent accompagnés au poste de police par leurs parents. Ceux-ci entravèrent cependant les efforts déployés par les travailleurs sociaux afin d’informer les enfants. La requérante eut une attitude menaçante envers les travailleurs sociaux, tandis que les enfants s’éloignaient tranquillement avec ceux-ci. Il ressort en outre du rapport des services sociaux que la requérante eut une attitude d’intimidation envers les enfants, tendant à leur attribuer la responsabilité de la mesure d’éloignement.
Les enfants furent placés dans quatre lieux d’accueil différents, situés dans la même province. Il s’agissait d’une communauté religieuse pour A. et de familles d’accueil pour V., P. et E.
42.  Lors de l’entretien avec les psychologues et le travailleur social qui eut lieu le lendemain, la requérante exclut toute responsabilité des membres de sa famille dans les faits évoqués par M., tandis que le requérant n’écarta pas la possibilité que le père de M. ait pu commettre des abus à l’encontre de sa fille.
43.  Le 19 novembre 1998, les requérants saisirent la cour d’appel de Bologne en demandant l’annulation de la mesure d’éloignement d’urgence prise le 6 novembre 1998. Ils faisaient valoir que le caractère inadéquat de leur environnement familial n’était point prouvé et qu’il n’existait aucun danger réel de préjudice pour les enfants. En outre, ils déposèrent au greffe plusieurs déclarations des enseignants, éducateurs, scouts et médecins ayant été en contact avec les enfants, selon lesquelles aucun signe de malaise n’avait été remarqué.
44.  Par une décision du 16 décembre 1998, déposée au greffe le 8 janvier 1999 et notifiée aux requérants le 15 janvier 1999, la cour d’appel rejeta l’opposition du 19 novembre 1998 au motif que, ayant été prise à titre provisoire et d’urgence, la décision du tribunal ne pouvait faire l’objet d’un appel.
45.  Le 21 janvier 1999, les requérants s’adressèrent alors au tribunal pour enfants de Bologne afin d’obtenir l’annulation de sa décision du 6 novembre 1998. Ils firent valoir, entre autres, que les enfants avaient été éloignés uniquement afin de mener des enquêtes ; or, les enfants ayant été examinés le 21 novembre 1998, il n’y avait plus aucune raison justifiant la suspension de leur autorité parentale.
46.  Le 9 mars 1999, l’ASL déposa devant le tribunal pour enfants le premier rapport sur l’état psychologique des enfants qu’elle était tenue d’établir en tant que tuteur des enfants. Selon ce document, depuis l’éloignement, les psychologues de l’ASL avaient eu des entretiens avec les enfants plusieurs fois par semaine. Ces entretiens n’avaient été ni filmés ni enregistrés sur support audio. Le rapport attestait que les enfants s’étaient intégrés positivement dans les familles d’accueil et qu’ils avaient déclaré ne pas vouloir rencontrer leurs parents ni retourner avec eux.
Par ailleurs, des rencontres filmées entre les requérants et les services sociaux furent organisées, toujours en présence d’au moins un des psychologues qui suivaient les enfants, afin de « pouvoir travailler sur le système de relations entre enfants et parents ». A ce propos, le rapport faisait état d’un manque de coopération de la part des requérants. En fait, ceux-ci interrompirent leur participation à ces rencontres en février 1999.
47.  Le 12 mars 1999, les requérants demandèrent au tribunal pour enfants de procéder à leur interrogatoire, de sorte que des rencontres avec les enfants puissent par la suite être organisées. Ils réitérèrent leur demande afin que la décision du 6 novembre 1998 fût révoquée. Ils soulignèrent que le procureur de la République avait terminé son enquête et demandé le renvoi en jugement des personnes soupçonnées des abus en question. Or ils ne figuraient pas parmi ces derniers.
48.  Le 31 mars 1999, après avoir reçu le résultat de l’expertise médico-légale effectuée sur les enfants le 21 novembre 1998 et le rapport de l’ASL du 8 mars 1999, le tribunal pour enfants de Bologne entendit pour la première fois les deux requérants. Ces derniers  refusèrent de signer le procès-verbal d’audience, qui selon eux ne reflétait que partiellement le déroulement de l’audience. Les requérants se plaignirent par la suite des juges du tribunal devant le Conseil supérieur de la Magistrature. Par une décision du 26 janvier 2000, ce dernier rejeta le recours des requérants et affirma qu’aucun reproche pouvait être faite aux juges du tribunal pour enfants.
49.  A l’occasion de leur première audition devant le tribunal pour enfants, les requérants contestèrent le contenu du rapport du 9 mars 1999, en faisant valoir qu’il contenait des inexactitudes et des mensonges. Ils accusèrent également les travailleurs sociaux d’avoir influencé les enfants et d’entraver leur retour dans leur famille. Ils demandèrent que les enfants fussent confiés à une autre autorité locale, qu’ils fussent réunis et qu’en tout cas des rencontres avec eux fussent organisées. Ils demandèrent en outre au tribunal de se procurer les dossiers médicaux, les enregistrements des entretiens des travailleurs sociaux avec les requérants et les enfants, les tests menés par les services sociaux et tout autre élément de preuve pertinent.
50.  Le 14 avril 1999, le tribunal pour enfants rejeta les demandes d’instruction formulées par les requérants, car la procédure pénale engagée à leur encontre était pendante, et ordonna une expertise sur leur personnalité, sur leur capacité à exercer l’autorité parentale et sur les relations avec leurs enfants. Il nomma l’expert G.Z.
Le 19 avril 1999, les requérants, ayant appris que C.P., le parent d’accueil de V., avait informé cette dernière de l’avancement des enquêtes pénales, et estimant que cela ne faisait pas partie des tâches de C.P., d’autant plus que V. avait été bouleversée par ces nouvelles, s’adressèrent au procureur de la République pour qu’il demande au tribunal pour enfants de Bologne de confier les enfants à une autre autorité locale et de les réunir.
51.  Les 5, 21 et 24 mai 1999, les requérants demandèrent de nouveau que les enfants fussent confiés à une autre autorité locale et placés dans le même foyer, et qu’en tout cas, des rencontres avec leurs enfants fussent organisées. Ils demandèrent au tribunal de statuer sur l’attribution des droits parentaux sans attendre l’issue de la procédure pénale dirigée contre eux. Ils prièrent en outre le tribunal de modifier partiellement le mandat confié à l’expert le 14 avril 1999, en procédant notamment à l’audition directe des enfants et à un examen simultané des parents et des enfants.
52.  Le 26 mai 1999, le tribunal pour enfants rejeta les demandes des requérants. Il affirma que l’expertise ordonnée par le tribunal était essentielle pour pouvoir statuer sur la capacité des requérants à exercer leurs droits parentaux et précisa qu’il n’incombait pas aux requérants de dire comment elle devait être menée à bien, l’expert étant libre de décider si les éléments recueillis par les services sociaux étaient utiles. Il estima inopportun de placer les enfants ailleurs, vu qu’aucun élément concret ne démontrait que les services sociaux qui suivaient les enfants étaient incompétents. Quant à l’adoption d’une décision définitive, le tribunal estima devoir attendre la progression de l’enquête pénale et le rapport de l’expert.
53.  Par courrier du 13 septembre 1999, les requérants demandèrent directement à G.Z., l’expert nommé par le tribunal pour enfants, de procéder à un examen direct des enfants et à une appréciation de la relation parents-enfants. L’expert ne donna pas suite à la demande des requérants. Dans une note du 27 septembre 1999, il rappela l’objet même de l’expertise, à savoir la vérification des personnalités et des aptitudes parentales des requérants, pour lequel l’examen conjoint avec les enfants et l’audition de ces derniers n’apparaissaient pas nécessaires. Il fit valoir de surcroît que l’interruption des rapports ordonnée par le tribunal pour enfants rendait impossible toute rencontre entre les requérants et les enfants.
A la suite du refus de l’expert, les requérants ne participèrent plus aux opérations d’expertise.
54.  Les 16 et 26 novembre 1999, les deux requérants s’adressèrent au tribunal pour enfants pour dénoncer le manquement de la famille d’accueil de V. à son obligation de surveillance, ce qui avait donné lieu à de nouveaux épisodes de sévices sexuels à l’encontre de cette dernière (voir paragraphe 16 ci-dessus). Ils faisaient remarquer que c’était précisément le fait qu’on leur reprochait un manque de surveillance similaire qui leur avait valu l’éloignement de leurs enfants. Ils demandèrent en outre :
-      l’adoption d’une décision définitive concernant la situation de leurs enfants ;
-      le remplacement de l’expert G.Z. ;
-      la désignation d’un neuropsychiatre pour enfants en vue de vérifier la situation psychique réelle des enfants ;
-      la suspension des entretiens entre les enfants et la psychologue V.D. ;
-      le transfert du suivi des enfants à une autre ASL et le placement de V. dans une autre famille d’accueil ;
-      une expertise médicale sur V., avec faculté pour les requérants de désigner un expert privé.
55.  Le 9 décembre 1999, G.Z. déposa son rapport d’expertise concernant les requérants. Il indiqua tout d’abord que ceux-ci avaient interrompu les opérations d’expertise avant qu’il puisse terminer l’évaluation de leurs personnalités. Compte tenu de cet élément, il conclut que les requérants ne présentaient pas de troubles psychiques proprement dits. Le couple révélait néanmoins une tendance marquée à défendre leur propre image, qui paraissait plus importante que la douleur ou la tendresse, pourtant essentielles pour des parents.
Quant aux services sociaux, l’expert rejeta les remarques des requérants concernant un manque d’objectivité et l’existence de préjugés. Il ressort du rapport que l’ASL expliqua à l’expert que la décision de séparer les enfants avait été dictée par l’opportunité de donner à chaque enfant un « entourage familial renforcé ». 
56.  Par une décision du 13 décembre 1999, le tribunal pour enfants rejeta toutes les demandes des requérants. En particulier, il estima que l’intervention d’un neuropsychiatre n’était pas nécessaire car aucun élément n’indiquait une pathologie psychiatrique chez les enfants et que leurs souffrances devaient en revanche être imputées aux abus gravissimes qu’ils avaient subis lorsqu’ils se trouvaient encore chez leurs parents. En outre, aucune raison ne commandait d’interrompre les entretiens entre les enfants et la psychologue V.D., étant donné que celle-ci, qui faisait partie du service chargé du suivi des enfants, n’avait pas les obligations d’impartialité et de neutralité pesant sur l’autorité judiciaire et était appelée à soutenir les enfants et à comprendre leurs expériences passées avec une compétence technico-professionnelle. Rien ne justifiait par ailleurs le déplacement de V. dans une autre famille d’accueil. Quant à la demande d’une expertise médicale sur V., le tribunal estima que celle-ci relevait le cas échéant de la procédure pénale ouverte à l’encontre des requérants et que le tuteur avait uniquement pour tâche de s’assurer que l’enfant était en bonne santé. Par rapport à l’état de santé de V., aucune faculté de désigner un expert privé ne pouvait être reconnue aux parents, considérant qu’ils avaient été déchus de l’autorité parentale.
Quant à l’adoption d’une décision définitive concernant la garde des enfants, le tribunal estima nécessaire de recueillir davantage d’informations, également quant à l’évolution de l’attitude des requérants, tout en soulignant que cette question était inévitablement liée à l’issue des procédures pénales pendantes. A cet égard, le tribunal considéra néanmoins nécessaire que lui fussent communiquées les raisons pour lesquelles certains cadeaux offerts par les requérants à leurs enfants n’avaient pas été remis à ces derniers.
57.  A la fin du mois de décembre 1999, la requérante se domicilia en France, où elle donna naissance à un enfant. Cette décision fut motivée par la crainte que son cinquième enfant lui fût également enlevé. En effet, selon les requérants une décision d’éloignement avait été envisagée avant même sa naissance, comme le démontrait le fait que, dès le 23 décembre 1999, l’ASL avait informé le parquet de la naissance imminente du cinquième enfant des requérants aux fins de prendre une décision relevant, le cas échéant, de sa compétence.
58.  Les requérants interjetèrent appel contre la décision du 13 décembre 1999. Dans le mémoire qu’elle déposa, l’ASL indiqua, entre autres, que la séparation des enfants avait été décidée « sur la base d’une nécessité dictée par l’urgence », mais ultérieurement, dans le même document, elle évoqua également la nécessité de « garantir un niveau de protection très élevé compte tenu de l’interruption des rapports ».
59.  L’appel fut déclaré irrecevable le 16 février 2000. La cour d’appel considéra en effet que la décision du tribunal constituant toujours une mesure provisoire et urgente, donc temporaire, elle ne pouvait faire l’objet d’un appel.
60.  Le 10 mai 2000, le président du tribunal pour enfants rejeta la demande des requérants de désigner un curateur spécial, au motif que cette mesure n’était pas prévue par la loi.
2.  Les décisions au fond
61.  Par décret du 26 juillet 2000, le tribunal pour enfants prononça la déchéance de l’autorité parentale des requérants. Le tribunal souligna notamment la crédibilité des enfants quant aux abus dont étaient accusés certains membres de la famille des requérants. Or ce fait démontrait déjà en soi l’incapacité des requérants à exercer leur fonction de parents, comme le confirmaient également les résultats de l’expertise de G.Z. En outre, les requérants s’obstinaient à nier même les abus commis par d’autres membres de leur famille et montraient l’absence d’une véritable aptitude à réparer de nature à répondre aux exigences de leurs enfants. Au demeurant, ces derniers avaient déclaré ne pas vouloir rentrer à la maison et recevoir des cadeaux de la part de leurs parents, et avaient montré que les requérants leur inspiraient des sentiments de peur et de souffrance. Leurs rapports avec les requérants paraissaient en conséquence compromis et leur perception du rôle protecteur de leurs parents inexistante. Le rétablissement des rapports entre les requérants et leurs enfants – imprévisible à ce moment-là – dépendait donc de la disponibilité des requérants. Quant aux rapports des enfants entre eux, le tribunal pour enfants confirma leur placement séparé. Il estima qu’à la lumière des résultats des expertises concernant l’état psychologique des enfants, un placement individuel pour chaque enfant était la solution la plus indiquée pour leur assurer l’espace nécessaire à la reconstruction des expériences personnelles. L’ASL était désignée comme tuteur des enfants et était chargée de maintenir les rapports entre eux ainsi que d’assurer tout soutien psychothérapeutique.
Le tribunal pour enfants interdit en outre aux requérants d’envoyer des cadeaux aux enfants, en dépit des nombreuses demandes introduites par les requérants à ce sujet.
62.  Les requérants interjetèrent appel, mais furent déboutés le 18 avril 2001 par la cour d’appel de Bologne. Celle-ci estima avant tout que le choix du tribunal pour enfants de ne pas entendre les requérants avant d’ordonner l’éloignement de leurs enfants se justifiait par la gravité des faits et par la nécessité d’éviter que les enfants ne subissent des pressions ou influences. Ce choix s’était d’ailleurs révélé justifié à la lumière du comportement ultérieur des requérants, caractérisé par une attitude très dure envers leurs enfants. Du reste, les requérants avaient pu exposer leurs raisons ultérieurement, même s’ils n’avaient pas pu le faire lors d’une audition immédiate par le tribunal. Quant à l’interruption de tout contact et à l’interdiction d’envoyer quoi que ce soit aux enfants, la cour d’appel estima que certaines modalités de mise en œuvre de cette décision pouvaient paraître rigides et discutables ; cependant, elles s’étaient révélées justifiées par la suite, compte tenu de la réaction négative des enfants lorsque les requérants avaient cherché à s’en rapprocher ou encore lorsque V. avait fait l’objet de menaces par ses oncles et son grand-père maternels. Etant donné que deux procédures pénales étaient pendantes, le risque de pression sur les enfants était trop important.
63.  Par ailleurs, la cour d’appel n’attribua pas un poids décisif au fait que les enfants avaient donné une impression de sérénité apparente avant leur éloignement : puisque leurs souffrances avaient fait surface lorsqu’ils avaient été soumis à des analyses psycho-diagnostiques après leur éloignement, il n’était pas surprenant qu’en l’absence de telles analyses, ils n’avaient rien laissé transparaître. En outre, cette impression de sérénité avait été rapportée par des non-spécialistes. Il était enfin étonnant que, même après le jugement de condamnation en première instance du tribunal de Modène du 5 juin 2000, les requérants persistent dans leur refus d’admettre ne serait-ce que la possibilité que leurs enfants aient subi des abus. Enfin, malgré les rectifications contenues dans l’expertise médicolégale du 15 mars 2000, l’ensemble des expertises médicolégales confirmait nettement les abus dénoncés par les enfants des requérants.
D.  La décision du juge des tutelles du 10 avril 2002
64.  Le 20 janvier 2001, les requérants s’adressèrent au juge des tutelles près le tribunal de Modène. Ils alléguèrent que l’ASL avait commis plusieurs violations de ses devoirs de tutelle et en demandèrent la destitution ; ils demandèrent également le regroupement des quatre enfants dans la même famille et la réalisation d’une expertise psychologique sur les enfants.
65.  Le 15 janvier 2002, la grand-mère maternelle des enfants demanda au même juge des tutelles le rétablissement des rapports avec ses petits-enfants.
66.  Par une décision du 10 avril 2002, le juge des tutelles rejeta toutes les demandes des requérants. Il estima en premier lieu que l’autorité chargée de la tutelle des enfants avait suivi de manière rigoureuse les indications du tribunal pour enfants. En outre, le juge des tutelles souligna que l’attitude des enfants à l’encontre des parents se caractérisait par un refus total et il ajouta que cette attitude, loin d’être la conséquence de l’influence des tuteurs sur les enfants, comme l’alléguaient les requérants, était due au fait objectif de l’interruption totale des rapports avec les requérants, indépendamment du bien-fondé des accusations lancées à l’encontre de ceux-ci.
Le juge des tutelles affirma que la décision de l’ASL de placer les enfants dans des lieux d’accueil séparés était conforme aux indications du tribunal pour enfants. Le juge indiqua par ailleurs avoir constaté que l’ASL remplissait son obligation de sauvegarde des rapports entre les enfants par le biais de rencontres protégées et que les solutions d’accueil des enfants étaient adaptées aux nécessités matérielles et psychologiques de ceux-ci.
Par la même décision, le juge des tutelles fit droit à la demande de la grand-mère des enfants et lui accorda le droit de rencontrer ces derniers.
67.  A une date qui n’a pas été précisée, l’ASL interjeta appel contre cette partie de la décision. La procédure est à ce jour pendante.
E.  La situation des enfants
68.  Le 5 novembre 2001, l’ASL déposa un rapport au tribunal pour enfants concernant la situation des enfants depuis l’éloignement du foyer familial.
Le rapport faisait état d’une grande affection réciproque entre les enfants, manifestée par la constante nécessité de chacun de s’enquérir du bien-être et du niveau de protection des autres. Néanmoins, les enfants exprimaient un refus total de revivre ensemble ; tout en étant disponibles pour les rencontres, ils ne demandaient jamais à se voir et vivaient les moments de rencontre avec inquiétude et agressivité. Les psychologues et les parents d’accueil expliquaient les difficultés de relations entre les enfants par l’âge de ceux-ci et la gravité des situations vécues. En particulier, on sentait un grand sentiment de culpabilité chez les enfants, notamment chez les trois aînés, dû au fait qu’ils avaient souvent été obligés d’user de violence entre eux.
Depuis leur séparation en novembre 1998, les enfants s’étaient revus quatre fois jusqu’en décembre 1999, puis avaient commencé à se revoir à partir de l’été 2000 à l’occasion de fêtes ou de circonstances particulières. Les enfants pouvaient en outre se rencontrer, même si ce n’était que pendant quelques minutes, lors des entretiens avec les psychologues et des auditions devant les autorités judiciaires.
Il ressortait en outre du rapport que les enfants avaient été bouleversés par la nouvelle de la naissance de leur cinquième frère, et avaient exprimé de l’inquiétude en apprenant que celui-ci n’avait pas été éloigné de la mère.
F.  Autres éléments de l’affaire
69.  Les 3, 9, 17 et 18 mars 1999, des députés présentèrent au président du Conseil des ministres ainsi qu’aux ministres de la Justice, de la Santé et de la Solidarité plusieurs demandes visant à obtenir des éclaircissements sur l’affaire des requérants.
Après avoir recueilli les informations pertinentes auprès des juridictions concernées, le ministre de la Justice répondit que rien ne justifiait une intervention de sa part dans l’activité desdites juridictions.
70.  Le 14 février 2002, une nouvelle question parlementaire concernant l’éloignement des enfants des requérants fut adressée au ministère de la Justice.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
71.  Les dispositions pertinentes, telles qu’en vigueur à l’époque des faits, se lisent comme suit.
72.  Aux termes de l’article 330 du code civil (« Déchéance de l’autorité parentale ») :
« Le juge peut prononcer la déchéance de l’autorité parentale lorsque le parent enfreint ou néglige ses devoirs, ou abuse des pouvoirs en découlant, et que cela entraîne un préjudice grave pour l’enfant.
Dans ce cas, pour des raisons graves, le juge peut ordonner l’éloignement de l’enfant du domicile familial. »
73.  Selon l’article 333 du code civil (« Comportement du parent préjudiciable pour les enfants ») :
« Lorsque le comportement d’un ou des deux parents, tout en étant préjudiciable pour l’enfant, n’est pas de nature à donner lieu à la décision de déchéance prévue par l’article 330, le juge, suivant les circonstances, peut adopter les mesures qui s’imposent et peut même ordonner son éloignement du domicile familial.
Ces mesures peuvent être révoquées à tout moment. »
74.  L’article 336 du code civil (« Procédure à suivre ») prévoit que :
« Les mesures indiquées dans les articles qui précédent sont adoptées à la suite d’un recours de l’autre parent, de membres de la famille ou du ministère public et, lorsqu’il s’agit de révoquer des décisions antérieures, aussi du parent concerné.
Le tribunal décide en chambre du conseil,  après avoir recueilli des informations et entendu le parquet.  Si la mesure est demandée contre un des parents, celui-ci doit être entendu.
En cas d’urgence, le tribunal peut adopter, même d’office, des mesures intérimaires dans l’intérêt du mineur (330, 333). »
75.  Les décisions des tribunaux pour enfants aux termes des articles 330 et 333 du code civil relèvent de leur compétence gracieuse (« volontaria giurisdizione »). Elles n’ont pas un caractère décisoire et peuvent dès lors être révoquées à tout moment. Ne s’agissant pas de décrets pris au sens des articles 737 et 739 du code de procédure civile, en outre, les décisions en question ne sont pas susceptibles d’appel mais peuvent seulement faire l’objet de demandes de l’une des parties en cause visant à réexaminer la situation.
76.  Par ailleurs, selon la loi no 184 du 4 mai 1983 régissant la prise en charge et l’adoption de mineurs, le mineur privé temporairement d’un environnement familial adéquat peut être confié à une autre famille, à une communauté de type familial ou, à défaut d’un placement familial adéquat, à un foyer (article 2).
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
77.  Invoquant l’article 8 de la Convention, les requérants se plaignent en premier lieu, en leur nom propre et pour le compte de leurs enfants, de la décision d’éloigner ceux-ci en l’absence de tout élément concret à leur encontre et sans qu’ils aient été entendus. Les requérants se plaignent en outre, sous différents aspects, de la mise en œuvre de la décision d’éloignement et des modalités de prise en charge des enfants par les services sociaux. En particulier, ils contestent la brutalité de l’exécution de l’éloignement, l’interruption prolongée de leurs rapports avec les enfants et des rapports de ceux-ci entre eux, et le placement des enfants dans quatre endroits différents.
78.  Aux termes des passages pertinents de l’article 8 de la Convention,
« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie (...) familiale, (...)
2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A.  « Prévue par la loi »
79.  Il n’est pas contesté que les ingérences incriminées étaient prévues par la loi au sens de l’article 8 de la Convention. La situation litigieuse découle de l’application des articles 330, 333 et 336 du code civil, ainsi que l’article 2 de la loi no 184 de 1983. Il est vrai qu’une des allégations des requérants concerne la violation de l’article 336 du code civil, notamment quant au manque d’audition des requérants avant de procéder à l’éloignement d’urgence. Cependant, ces éléments concernent la manière dont les dispositions internes pertinentes ont été appliquées et non la base légale des ingérences incriminées en soi. Ces éléments se rapportent donc à la question de savoir si les dispositions pertinentes ont été appliquées en conformité avec les principes conventionnels.
B.  But légitime
80.  D’autre part, la Cour observe que les mesures incriminées poursuivaient un but légitime au sens du paragraphe 2 de l’article 8, à savoir la « protection de la santé ou de la morale » et « la protection des droits et libertés d’autrui », dans la mesure où elles visaient à sauvegarder le bien-être des enfants. Le libellé même des décisions litigieuses montre clairement que l’intérêt des enfants et la sauvegarde de leur développement ont guidé les juges.
C.  « Nécessaire dans une société démocratique »
81.  La Cour rappelle que pour rechercher si les mesures litigieuses étaient « nécessaires dans une société démocratique », il y a lieu d’examiner, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les motifs invoqués pour les justifier étaient pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8. Sans doute, l’examen de ce qui sert au mieux l’intérêt de l’enfant est toujours d’une importance cruciale. Dans ce contexte, il faut en plus se souvenir que les autorités nationales bénéficient de rapports directs avec tous les intéressés, souvent au moment même où sont envisagées les mesures de prise en charge ou immédiatement après leur mise en œuvre. La Cour n’a donc point pour tâche de se substituer aux autorités internes pour réglementer la prise en charge d’enfants par l’administration publique et les droits des parents de ces enfants, mais d’apprécier sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (arrêts Hokkanen c. Finlande du 23 septembre 1994, série A no 299-A, p. 20, § 55 et Bronda c. Italie du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV,§ 59).
C’est dans ce contexte que la Cour examinera si les mesures s’analysant en des ingérences dans l’exercice par les deux requérants de leur droit au respect de leur vie familiale pouvaient passer pour « nécessaires ».
1.  Arguments des parties
82.  Les requérants contestent fermement l’intervention brutale des autorités dans leur vie familiale, décidée sans qu’ils aient été entendus (en violation flagrante et injustifiée de l’article 336 du code civil – paragraphe 73 ci-dessus), sans qu’aucune des personnes que fréquentaient les enfants (leurs enseignants, les voisins, les médecins) n’ait été entendue, en vertu de décisions provisoires réitérées et non attaquables en justice et en l’absence d’enquête approfondie ainsi que de véritables débats contradictoires. Cette intervention a comporté dès le début une rupture brutale et totale des rapports entre les requérants et leurs enfants.
83.  Or, aucune vérification n’a été effectuée quant aux conditions de vie des enfants au moment de leur éloignement, comme le caractère délicat de la question aurait dû l’imposer et alors que tous les témoignages indiquent que les enfants n’avaient jamais révélé quoi que ce soit d’anormal. Il est de surcroît regrettable que les autorités n’aient accepté de verser lesdits témoignages au dossier qu’en février 2000. En fait, l’éloignement des enfants devrait constituer l’extrema ratio et, dans leur cas, on aurait bien pu envisager, après des vérifications approfondies de la part des autorités, une vigilance accrue. Les requérants ne comprennent pas non plus pourquoi on a attendu cinq mois avant de les entendre.
84.  Par ailleurs, aucune trace n’a été gardée des entretiens que les psychologues ont eus avec les enfants avant l’incrimination des requérants. Ces derniers évoquent aussi le manque d’expérience de certaines de ces psychologues et soupçonnent que des méthodes de suggestion aient été utilisées.
85.  Les requérants jugent inconcevable qu’on puisse éloigner des enfants de leur famille seulement sur la base de soupçons d’abus imputés à des membres de la famille élargie, qui ne cohabitaient pas avec eux. Rien, selon eux, ne justifie non plus la rupture totale de tout contact, assortie même de l’interdiction de faire parvenir aux enfants des cadeaux ou des cartes de vœux. A cet égard, ils se demandent pour quelle raison il n’a même pas été fait droit à leur demande de voir les enfants en présence des services sociaux, dans un environnement protégé et aux conditions décidées par les autorités. Or il est bien connu que l’interruption radicale et définitive des rapports entre parents et enfants peut susciter, chez ces derniers, un sentiment d’abandon et de trahison de la part de leurs parents biologiques.
86.  Les requérants expriment ensuite leur stupéfaction d’avoir été formellement accusés seulement à l’occasion d’une demande posée au Ministre de la Justice par un député qui voulait justement savoir comment s’expliquaient les mesures prises à leur encontre, étant donné qu’ils ne faisaient même pas l’objet de poursuites pénales. De surcroît, les poursuites à leur encontre ont été engagées sur la base des déclarations des parents d’accueil de V., auxquels cette dernière avait fait des confidences à la suite d’entretiens entre elle et la psychologue V.D., entretiens auxquels personne n’avait assisté et dont il n’existe aucune trace écrite ou enregistrée.
87.  Les requérants affirment avoir systématiquement coopéré avec les autorités. Quant au déménagement en France de la requérante, où celle-ci s’occupe de son cinquième enfant, les requérants l’expliquent par la crainte de la requérante de se voir enlever également cet enfant, comme les démarches de l’ASL le laissaient craindre.
88.  Les requérants font remarquer que tous les experts désignés par le juge des investigations préliminaires, ainsi que les conseils du ministère public et de l’ASL, sont membres de la Coordination italienne des services contre les mauvais traitements et les abus envers des enfants (CISMAI - Coordinamento italiano dei Servizi contro il maltrattamento e l’abuso dell’infanzia). Cette coordination a demandé à plusieurs reprises au Conseil national des psychologues la validation de son code méthodologique mais celle-ci n’a jamais été accordée. Par ailleurs, le statut de ladite coordination impose à tous ses membres de suivre les mêmes lignes d’action et les mêmes directives, sous peine d’exclusion. Les requérants allèguent aussi un manque de surveillance de la part du tribunal pour enfants.
89.  Ils se plaignent également du fait qu’on leur reproche de ne pas s’être rendu compte des violences auxquelles leurs enfants avaient peut-être été soumis – ce qui constitue la seule raison fondant la décision du tribunal pour enfants du 6 novembre 1998 – alors qu’aucun reproche du même genre n’a été adressé à la famille d’accueil lorsque V. a été molestée à plusieurs reprises en novembre 1999. A cet égard, ils font valoir que V. n’a jamais été soumise à une examen médical après les violences qu’elle a affirmé avoir subies à cette époque.
90.  Par ailleurs, les requérants estiment que la volonté manifestée par les enfants de ne plus rentrer à la maison est à imputer à leur impression d’avoir été abandonnés par leurs parents.
91.  Quant à la séparation des enfants, les requérants la considèrent complètement injustifiée et insistent à cet égard sur les explications changeantes fournies par les services sociaux concernés. Cette séparation a sans doute porté un préjudice très sérieux aux rapports des enfants entre eux, au point que P., un an plus tard, n’exprimait plus aucun intérêt pour ses frères. Elle a aussi été traumatisante pour les fillettes, qui ont toujours manifesté le souhait d’être à nouveau ensemble. Cette situation a été aggravée par le fait que les enfants ont eu des occasions rarissimes et très courtes de se revoir.
92. Les requérants contestent le rôle dominant joué dans les procédures judiciaires par l’ASL, qui se serait servie d’experts incompétents et partiaux. Ils se plaignent également du fait que, malgré leurs nombreuses demandes, les autorités judiciaires, notamment le tribunal pour enfants, ont constamment refusé d’intervenir afin de constater directement l’état physique et psychologique des enfants.
Les requérants rappellent que la décision de la cour d’appel de Bologne du 11 juillet 2001 (paragraphe 19 ci-dessus) a conclu à l’inexistence des rites sataniques qui auraient eu lieu dans le cimetière. Ils affirment que ces faits constituaient l’élément principal sur lequel se fondait la décision d’éloigner les enfants et que leur inexistence entraîne le manque de justification de ladite décision.
Les requérants estiment en outre que la référence du Gouvernement à la décision du 21 mai 2001 (paragraphe 36 ci-dessus) ordonnant la mesure conservatoire à leur encontre n’est pas pertinente car elle a été ensuite révoquée sur demande du ministère public.
Quant à la décision du juge des tutelles (paragraphe 66 ci-dessus), les deux requérants soutiennent que, loin de constituer une démonstration des efforts accomplis par les autorités compétentes afin de rétablir les contacts entre les membres de la famille d’origine, elle représente au contraire une preuve des effets négatifs que l’éloignement aurait eu sur les enfants. De plus, les requérants se plaignent du fait que le juge des tutelles soit intervenu seulement à leur demande et non pas d’office.
Enfin, les requérants insistent sur les modalités brutales de l’exécution de la mesure d’éloignement et sur les effets traumatisants de celle-ci pour les enfants.
93.  Le Gouvernement observe que le droit garanti par l’article 8 est un droit à double facette : au droit d’être ensemble s’oppose celui de ne pas être ensemble. Ce dernier aspect peut parfois l’emporter sur le premier. Or si un adulte peut librement faire son choix, un enfant ne le peut pas. Dans ce contexte, l’intervention des autorités constitue une mise en œuvre des droits prévus par l’article 8 dans la mesure où elle vise à aider l’enfant, c’est-à-dire le sujet qui a le plus de difficultés à défendre lui-même ses intérêts. Naturellement, l’idéal pour un enfant est de vivre avec ses parents mais lorsqu’une situation pathologique se manifeste, la séparation peut s’avérer nécessaire, même pour une longue durée. En fait, si dans de tels cas les autorités mettaient sur le même plan l’intérêt des parents et celui des enfants, elles manqueraient aux obligations que leur impose justement l’article 8. Il ne faut pas oublier, à cet égard, qu’il n’y a aucune comparaison possible entre la capacité d’un adulte et celle d’un enfant à cerner ses propres intérêts et entre les forces dont ils disposent respectivement afin de faire valoir leurs droits.
94.  Le Gouvernement souligne le contexte gravissime dans lequel se situent les faits de la cause. Les rites sataniques et les abus sexuels relatés par M. correspondaient aux témoignages d’autres enfants impliqués dans l’affaire. Or le fait, mis en évidence selon le Gouvernement par la décision du tribunal pour enfants de Bologne du 6 novembre 1998 (paragraphe 39 ci-dessus), que les requérants avaient accompagné leurs enfants sur les lieux où ceux-ci étaient soumis à des abus et qu’ils n’avaient pas perçu le malaise des enfants, prouvait que l’environnement familial ne fournissait pas une protection adéquate et que seul leur placement dans un environnement protégé pouvait permettre de procéder aux vérifications légales, médicales et psychologiques qui s’imposaient. Le fait que cette mesure se justifiait en vue de protéger les droits des enfants est prouvé par les intimidations dont V. a encore fait l’objet en novembre 1999 par des parents proches de la requérante. Par conséquent, l’éloignement des enfants de leur famille naturelle et l’interruption de tout contact avec les requérants constituent, en l’état actuel, la seule manière de préserver la santé physique et psychique des enfants.
95.  Le Gouvernement observe également qu’à supposer même que les requérants ne soient pas impliqués dans les abus qui leur sont reprochés, il ressort qu’ils ont fait preuve d’une capacité de protection et d’écoute insuffisante envers leurs enfants. Ces derniers ont d’ailleurs exprimé leur hostilité à un retour chez eux, ont refusé les cadeaux offerts par leurs parents et ont montré que leur perception de la fonction protectrice des requérants était pratiquement inexistante.
96.  Le Gouvernement fait valoir par ailleurs que l’article 336 paragraphe 2 du code civil ne rend pas obligatoire l’audition préalable des parents, alors même que le paragraphe 3 de cette disposition permet au tribunal de décider d’office d’une intervention d’urgence. Quoi qu’il en soit, le tribunal pour enfants a estimé devoir recueillir des éléments objectifs avant d’entendre les requérants.
97.  Quant au placement des enfants dans des lieux d’accueil séparés, le Gouvernement souligne d’abord la difficulté de placer quatre enfants en même temps. Le Gouvernement affirme en outre que les autorités ont dû d’emblée tenir compte des conditions psychologiques de chaque enfant et de l’état des rapports entre ceux-ci. En fait, les relations des enfants entre eux étaient difficiles à cause des événements passés et il était nécessaire de mettre en œuvre une thérapie – qui par la suite a effectivement donné de bons résultats – afin que la situation puisse se normaliser et que l’on puisse envisager des rencontres de plus en plus régulières entre les enfants, même en dehors de tout contrôle. Cela dit, les enfants se sont désormais familiarisés avec leurs « familles » d’accueil respectives de sorte qu’un changement serait à ce stade extrêmement préjudiciable à leur développement. Par ailleurs, les services sociaux avaient été autorisés, et se sont employés, à maintenir les contacts entre les enfants. De plus, le gouvernement fait valoir qu’il a fallu éviter que les enfants parlent entre eux au risque de nuire à l’authenticité de leurs dépositions ultérieures.
98.  Sur le plan de la méthode, le Gouvernement estime que la démarche à suivre dans ce genre d’affaires consiste non pas à remettre en question les constats des autorités internes, qui sont le fruit de leur contact direct avec la réalité, mais à se pencher sur les motifs et les éléments sur lesquels se fondent les décisions litigieuses. On peut parvenir à la conclusion que l’article 8 a été enfreint seulement si l’on constate une contradiction patente entre les uns et les autres.
99.  Le Gouvernement fait valoir que les décisions du tribunal de Modène du 24 novembre 1999 et du 21 mai 2001, ordonnant respectivement des mesures conservatoires à l’encontre des requérants et de certains membres de leur famille, démontrent  qu’un climat de violence physique et psychologique subsistait dans l’ambiance familiale des enfants. Dans ces mêmes décisions, les autorités italiennes ont fait état de l’existence d’indices donnant à croire que des membres de la famille essayaient de dissuader les enfants de maintenir leurs accusations, ce qu’a confirmé, a posteriori, le fait que non seulement la décision d’éloigner les enfants sans entendre les requérants ne violait pas le droit national, mais aussi que le tribunal avait adopté une procédure nécessaire à la protection des enfants.
Le Gouvernement affirme en outre que la décision du juge des tutelles du 10 avril 2002 démontre, d’une part, que l’état psychologique gravement perturbé des enfants ne permettait pas la révocation de la mesure d’éloignement et la reprise des contacts avec la famille et, d’autre part, que l’autorité judiciaire avait pris en compte toutes les possibilités de rétablir les contacts entre les enfants et les membres de la famille naturelle. Partant, aucun reproche de négligence ne peut être formulé à l’encontre des autorités judiciaires et des services sociaux. Par ailleurs, les différentes explications fournies par ces derniers pour justifier la séparation des enfants ne sont pas contradictoires.
Enfin, le Gouvernement soutient que les modalités de l’éloignement n’ont été ni violentes ni traumatisantes pour les enfants.
2.  Appréciation de la Cour
100.  La Cour estime qu’il y a lieu d’examiner séparément  les six griefs tirés de l’article 8 (paragraphe 77 ci-dessus).
a)  L’éloignement d’urgence
101.  Les requérants affirment en premier lieu que les autorités ont outrepassé leur marge d’appréciation lorsqu’elles ont pris la décision d’éloigner les enfants alors qu’eux-mêmes n’étaient pas directement impliqués dans les situations d’abus commis sur ceux-ci.
102.  La Cour juge utile de rappeler que si l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’Etat de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale. Elles peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux (voir, entre autres, l’arrêt X et Y c. Pays-Bas du 26 mars 1985, série A no 91, § 23).
103.  Par ailleurs, les sévices sexuels constituent incontestablement un type odieux de méfaits qui fragilisent les victimes. Les enfants et autres personnes vulnérables ont droit à la protection de l’Etat, sous la forme d’une prévention efficace les mettant à l’abri de formes aussi graves d’ingérence dans des aspects essentiels de leur vie privée (voir les arrêts Stubbings et autres c. Royaume-Uni du 24 septembre 1996, Recueil 1996-IV, § 64, mutatis mutandis, Z. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 29392/95, § 73, A. c. Royaume-Uni du 23 septembre 1998, Recueil 1998-VI, § 22).
104.  La Cour estime que la mesure d’éloignement des enfants dans le cas d’espèce se fondait sur des motifs pertinents et suffisants, à savoir les fortes présomptions que les enfants avaient subi des abus sexuels de la part de personnes faisant partie de la famille de la requérante et les doutes sur la capacité de protection des requérants. A cet égard, il y a lieu de relever que les abus avaient eu lieu dans des conditions d’extrême gravité, compte tenu notamment du caractère répétitif des violences et du nombre considérable d’adultes et d’enfants impliqués, et que l’attitude des requérants, quoiqu’elle ne dénotât à ce moment-là aucune implication directe dans les épisodes de violence, était révélatrice d’un manque de surveillance quant à la situation de leurs enfants. Il apparaissait en particulier que les requérants avaient l’habitude de confier leurs fils à des proches, lesquels les avaient amenés maintes fois sur les lieux où se déroulaient les abus.
La Cour considère en outre que la décision du tribunal pour enfants du 6 novembre 1998 (paragraphe 39 ci-dessus) indique que les autorités ont évalué avec soin la portée des déclarations de M. avant de procéder à l’éloignement. En particulier, elles ont apprécié la crédibilité de celle-ci à la lumière des circonstances de l’espèce et ont pris en compte le fait que ses déclarations s’inscrivaient dans un contexte délictueux particulièrement complexe, qui rendait nécessaire le placement des enfants dans un milieu protégé.
105.  Dans ces conditions, la Cour est d’avis que le recours à une procédure d’urgence pour éloigner les enfants peut être considéré comme une mesure proportionnée et nécessaire « dans une société démocratique » pour la protection de la santé et des droits des enfants.
106.  Partant, elle estime qu’il n’y a eu aucune violation de l’article 8 quant à la décision d’éloigner d’urgence les enfants.
b)  L’absence d’audition préalable des requérants
107.  Les requérants contestent la décision des autorités d’ordonner l’éloignement de leurs enfants sans les avoir entendus au préalable.
108.  La Cour rappelle qu’elle a déjà admis que lorsqu’une décision de prise en charge d’urgence s’impose, il n’est peut-être pas toujours possible, à cause du caractère urgent de la situation, d’associer les personnes investies de la garde de l’enfant au processus décisionnel. Cela peut même n’être pas souhaitable quoique possible si les titulaires de la garde sont perçus comme représentant une menace immédiate pour l’enfant : en effet, les avertir pourrait priver la mesure de son efficacité. La Cour doit toutefois se convaincre qu’en l’espèce les autorités internes étaient fondées à considérer qu’il existait des circonstances justifiant de soustraire immédiatement les enfants aux soins des requérants sans que les autorités aient pris contact avec ces derniers ou les aient consultés au préalable. En particulier, il incombe à l’Etat défendeur d’établir que les autorités ont évalué avec soin l’incidence qu’aurait sur les requérants et les enfants la mesure de placement et ont envisagé d’autres solutions que la prise en charge des enfants avant de mettre pareille mesure à exécution (arrêts K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 166, CEDH 2001-VII et Venema c. Pays Bas, no 35731/97, § 93, CEDH 2002-...).
109.   En l’espèce, il y a lieu de reconnaître que l’existence de liens étroits entre les deux requérants et certaines des personnes – le père et les frères de la requérante notamment – accusées de s’être livrées à des violences sexuelles sur leurs enfants pouvait raisonnablement amener les autorités compétentes à penser que le fait d’informer les requérants au préalable de la mise en oeuvre de la procédure d’éloignement aurait pu porter préjudice aux enfants.
110.  La Cour vient de souligner la gravité du contexte dans lequel s’inscrivent les faits de la cause. Elle considère qu’il y a lieu de rappeler que les déclarations de M., qui sont à l’origine de la mesure d’éloignement des enfants des requérants, s’inscrivaient dans une situation délictueuse plus vaste déjà esquissée (paragraphe 12 ci-dessus) par d’autres enfants qui avaient déclaré avoir fait l’objet d’abus de la part de plusieurs adultes.
111.  La Cour observe, en outre, que la décision du tribunal pour enfants de Bologne fait état d’un climat général d’intimidation envers les enfants impliqués ainsi que du risque d’intimidations de la part des personnes accusées (paragraphe 39 ci-dessus). D’ailleurs, la cour d’appel de Bologne a justifié l’éloignement des enfants sans audition préalable des requérants par la nécessité d’éviter toute pression ou influence sur les enfants dans le milieu familial (paragraphe 62 ci-dessus).
112.  Dans ce contexte, la Cour ne saurait reprocher aux autorités d’avoir agi de façon disproportionnée dès lors qu’elles ont considéré devoir protéger les enfants des requérants de toute pression pouvant s’exercer dans le milieu domestique.
113.  En conséquence, la Cour estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 en raison de l’absence d’audition préalable des requérants.
c)  Les modalités d’éloignement
114.  Les requérants affirment que les enfants ont été enlevés de leur foyer à une heure et selon des modalités qu’ils considèrent violentes et traumatisantes.
115.  Quant à la prétendue brutalité de l’exécution de l’éloignement, la Cour relève que les parties lui ont donné des versions différentes des faits et que les requérants ne lui ont fourni aucun élément de preuve lui permettant d’accepter leur version.
116.  Dans ces conditions elle ne saurait conclure à une méconnaissance de la disposition invoquée par les requérants quant à ce grief.
d)  L’interruption des rapports
117.  Les requérants se plaignent en outre de la rupture totale et prolongée de leurs rapports avec leurs enfants.
118.  La Cour rappelle tout d’abord que la décision de prise en charge doit en principe être considérée comme une mesure temporaire, à suspendre dès que les circonstances s’y prêtent, et que tout acte d’exécution doit concorder avec un but ultime : unir à nouveau le parent par le sang et l’enfant (voir, en particulier, l’arrêt Olsson c. Suède (no 1) du 24 mars 1988, série A no 130, § 81). La Cour rappelle le risque élevé qu’une interruption prolongée des contacts entre parents et enfants ou que des rencontres trop espacées dans le temps compromettent toute chance sérieuse d’aider les intéressés à surmonter les difficultés apparues dans la vie familiale (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Scozzari et Giunta c. Italie [GC], no 39221/98 et 41963/98, § 177, CEDH 2000-...). Dès lors, même si la mesure d’éloignement était justifiée, la Cour doit examiner si les restrictions supplémentaires étaient conformes à l’article 8, en vertu duquel les intérêts des requérants devaient être protégés.
119.  La Cour admet néanmoins que, si les autorités doivent tout mettre en œuvre pour faciliter la réunion de la famille et les contacts entre ses membres, l’obligation de recourir à la coercition en la matière se trouve forcément limitée par le souci de l’intérêt supérieur de l’enfant. Lorsque des contacts avec les parents semblent menacer cet intérêt, il appartient aux autorités nationales de ménager un juste équilibre entre les intérêts des enfants et ceux des parents (voir, entre autres, l’arrêt K. et T. précité, § 194).
120.  La Cour note que l’interruption des rapports entre les requérants et leurs enfants a été motivée par le tribunal pour enfants par leur réelle incapacité à protéger les enfants et par la nécessité de mettre ces derniers à l’abri en les plaçant dans un milieu protégé. Le tribunal pour enfants visait entre autres à rétablir la perception par les enfants du rôle protecteur des requérants, au moyen d’une thérapie psychologique commune dirigée par les services sociaux.
121.  En conséquence, un prompt rétablissement des rapports était lié notamment à l’issue des enquêtes accomplies sur les parties en cause afin de déterminer l’état psychologique des enfants et celui des relations familiales. A ce propos, la Cour note que dès le lendemain de l’éloignement, des rencontres ont été organisées entre les services sociaux et les requérants en présence des psychologues qui suivaient plusieurs fois par semaine les enfants, et que de nombreuses expertises sur l’état physique et psychologique des enfants ont été effectuées dans le cadre des procédures pénales ouvertes à l’encontre des requérants et des membres de leur famille.
122.  Le dossier fait pourtant état d’un substantiel manque de collaboration et de confiance de la part des requérants envers l’ensemble des autorités compétentes. Il en ressort en effet que les requérants ont fait preuve de méfiance envers les services sociaux et l’autorité sanitaire chargée de la tutelle des enfants, créant à maintes reprises un climat de tension pendant les opérations d’expertise sur les enfants et pendant les rencontres des requérants avec les services sociaux. Par ailleurs, dès février 1999, les requérants ont interrompu leur participation à ces rencontres.
De plus, la Cour note que le 14 avril 1999 le tribunal pour enfants a ordonné une expertise sur la personnalité des requérants et sur leur capacité à exercer l’autorité parentale. Les requérants demandèrent, d’abord au tribunal et plus tard directement à l’expert nommé par le juge, la modification du mandat d’expertise dans le sens d’une implication directe des enfants dans les opérations. A la suite du rejet motivé de leurs demandes, les requérants cessèrent de participer à l’expertise. En décembre 1999, enfin, la requérante déménagea en France.
123.  Par ailleurs, la Cour estime qu’il y a lieu de constater que la tâche des autorités était et reste très complexe, compte tenu du caractère délicat de ce type d’affaires et du fait que des procédures pénales étaient engagées et que les deux requérants ont été d’emblée directement concernés. De plus, tous les enfants ont constamment manifesté leur volonté de ne pas retourner vivre dans leur famille naturelle ainsi qu’un sentiment de peur vis-à-vis de leurs parents.
124.  Dans ces conditions, la Cour ne saurait considérer que les autorités n’ont pris aucune mesure afin de ménager un juste équilibre entre les intérêts des enfants et les droits que les requérants tiennent de l’article 8. Partant, il n’y a pas eu non plus violation de cette disposition du fait de l’interruption prolongée des rapports entre les requérants et leurs enfants.
e)  Le placement séparé des enfants
125.  Les requérants se plaignent du fait que les enfants ont été placés dans des lieux d’accueil séparés, ce qui aurait porté préjudice aux rapports des enfants entre eux.
126.  La Cour rappelle que les liens entre les membres d’une famille et les chances de regroupement réussi se trouvent affaiblis par la force des choses si l’on dresse des obstacles empêchant des rencontres faciles et régulières des intéressés (voir, entre autres, l’arrêt Olsson (no1), précité, § 81). Il échet dès lors de déterminer, en fonction des circonstances du cas d’espèce, si les raisons de ne pas placer les enfants dans le même foyer paraissent suffisantes pour rendre la mesure « nécessaire » au regard de la Convention.
127.  En l’espèce, les explications fournies par les services sociaux pour justifier la décision de séparer les enfants reposent sur différentes raisons. Les autorités ont évoqué tout d’abord des explications d’ordre pratique, à savoir la difficulté de placer d’urgence quatre enfants dans le même lieu d’accueil. Or, la Cour a déjà estimé que dans un domaine aussi essentiel que le respect de la vie familiale, de telles considérations ne sauraient jouer qu’un rôle secondaire (arrêt Olsson (no 1), précité, § 82).
Il y a lieu de noter, cependant, que les autorités ont tenu compte également des exigences spécifiques des enfants, en évoquant la nécessité d’assurer à chacun d’entre eux un soutien familial et un niveau de protection particulièrement élevés (paragraphes 55 et 58 ci-dessus).
128.  Par ailleurs, le maintien du placement séparé des enfants a été justifié aussitôt par l’état des relations entre les enfants et par l’état psychologique de ces derniers. Les résultats des enquêtes  psychodiagnostiques auxquelles les enfants ont été soumis immédiatement après l’éloignement dénotent des rapports gravement compromis entre les enfants, en conséquence de la gravité des expériences vécues et de l’implication directe des enfants dans les situations d’abus (paragraphe 68 ci-dessus). D’ailleurs, dès qu’ils ont été éloignés du foyer familial, les enfants ont constamment manifesté leur volonté de ne pas retourner vivre ensemble et de ne pas quitter leurs lieux d’accueil, et ont vécu les rencontres organisées par les services sociaux avec inquiétude et difficulté.
129.  La Cour rappelle qu’elle doit toujours attacher une importance particulière à l’intérêt de chaque enfant. A ce propos elle observe que dans sa décision du 26 juillet 2000 de déchoir les requérants de l’autorité parentale (paragraphe 61 ci-dessus), le tribunal pour enfants a pris la décision de placement dans des lieux d’accueil séparés à la lumière de l’état psychologique des enfants ressortant des nombreuses expertises effectuées. En outre, dans la décision du 10 avril 2002 (paragraphe 66 ci-dessus), le juge des tutelles a affirmé la compatibilité des différentes solutions d’accueil avec l’état psychologique et les besoins matériels des enfants.
130.  Dans ces conditions, la Cour considère que les explications fournies par les autorités nationales pour justifier le placement des enfants dans quatre foyers différents sont raisonnables et suffisantes pour rendre la mesure « nécessaire » au regard de la Convention et proportionnée au but légitime poursuivi.
131.  En conclusion, il n’y a pas eu violation de l’article 8 quant au placement séparé des enfants.
f)  La procédure devant le tribunal pour enfants
132.  Les requérants se plaignent sous différents aspects de la procédure concernant leurs droits parentaux devant le tribunal pour enfants de Modène. Ils contestent en premier lieu l’absence de contrôle du tribunal sur le rôle dominant assumé par les services sociaux dans la procédure judiciaire. En outre, les requérants affirment que cette dernière aurait été conduite par le tribunal en l’absence de tout débat contradictoire pendant une longue période et en vertu de décisions provisoires réitérées et non attaquables en justice.
133.  La Cour rappelle que si l’article 8 ne renferme aucune condition explicite de procédure, il faut que le processus décisionnel débouchant sur des mesures d’ingérence soit équitable et respecte comme il se doit les intérêts protégés par cette disposition. Il échet de déterminer, en fonction des circonstances de chaque espèce et notamment de la gravité des mesures à prendre, si les parents ont pu jouer dans le processus décisionnel, considéré comme un tout, un rôle assez grand pour leur accorder la protection requise de leurs intérêts. Dans la négative, il y a manquement au respect de leur vie familiale et l’ingérence résultant de la décision ne saurait passer pour « nécessaire » au sens de l’article 8 (voir, entre autres, l’arrêt W. c. Royaume-Uni, précité, §§ 62 et 64).
134.  La Cour constate en premier lieu que les requérants ont eu la possibilité d’exprimer devant l’autorité judiciaire leurs doutes concernant la compétence et la bonne foi des services sociaux et des experts nommés par l’ASL. Le tribunal pour enfants et le juge des tutelles de Modène ont rejeté plusieurs demandes présentées par les requérants à ce sujet après avoir apprécié les capacités des experts mis en cause et la conformité des démarches de l’ASL aux décisions du tribunal pour enfants. Par ailleurs, dans les décisions du 26 juillet 2000 et du 18 avril 2001, relatives à la déchéance de l’autorité parentale des requérants, le tribunal pour enfants et la cour d’appel ont évalué la position de l’ASL et confirmé le rôle de tuteur des enfants de cette dernière.
135.  En conséquence, la Cour ne saurait souscrire à l’allégation des requérants selon laquelle l’autorité judiciaire n’a pas exercé un contrôle suffisant sur l’activité des services sociaux dans la mise en œuvre des décisions du tribunal pour enfants.
136.  Toutefois, la Cour a déjà estimé qu’elle peut aussi avoir égard, sur le terrain de l’article 8, à la durée du processus décisionnel de l’autorité locale ainsi que de toute procédure judiciaire connexe. Un retard dans la procédure risque toujours en pareil cas de trancher le litige par un fait accompli avant même que le tribunal ait entendu la cause. Or un respect effectif de la vie familiale commande que les relations futures entre parent et enfant se règlent sur la seule base de l’ensemble des éléments pertinents, et non par le simple écoulement du temps (voir, entre autres, W. c. Royaume-Uni, arrêt du 8 juillet 1987, série A no 121, §§ 64 et 65).
137.  En l’espèce, la Cour note que pendant plus que quatre mois les requérants n’ont pu exercer la moindre influence sur l’issue de la procédure, puisqu’ils étaient empêchés de contester la nécessité de la mesure d’éloignement ou de manifester leur opinion devant une autorité judiciaire. En fait, les requérants ont été entendus pour la première fois par le tribunal pour enfants seulement le 31 mars 1999.
La Cour n’est pas persuadée qu’un tel délai était nécessaire pour recueillir les éléments objectifs de l’affaire, comme le Gouvernement l’a affirmé (paragraphe 96 ci-dessus). Elle observe à ce propos que l’expertise médicale sur les enfants a été exécutée le 21 novembre 1998 et que, selon la décision du tribunal pour enfants (paragraphe 39 ci-dessus), le premier rapport des services sociaux sur l’état psychologique des enfants aurait dû être présenté deux mois après l’éloignement, à savoir début janvier 1999. Or, ledit rapport a été déposé au tribunal pour enfants le 9 mars 1999. En conséquence, la Cour relève un retard injustifié d’au moins deux mois de la part des autorités nationales.
138.  Par ailleurs, la Cour juge excessive la durée de la période entre l’éloignement des enfants et la décision définitive du tribunal pour enfants concernant l’autorité parentale des requérants, datée du 26 juillet 2000 (paragraphe 61 ci-dessus). Elle constate que le tribunal pour enfants a attendu plus de vingt mois avant de se prononcer sur les droits parentaux des requérants.
En outre, pendant cette période, les requérants n’ont disposé d’aucune voie de recours contre la décision provisoire du tribunal pour enfants. En fait, le seul recours à leur disposition consistait à demander au même tribunal de réexaminer la situation en vue d’une éventuelle révocation de l’ordonnance litigieuse (paragraphe 75 ci-dessus). Or, entre janvier et novembre 1999, les requérants ont présenté au tribunal pour enfants pas moins de sept demandes visant à attaquer la décision d’éloignement à titre d’urgence et à obtenir une décision définitive concernant leurs droits parentaux. Le tribunal a rejeté toutes ces demandes en faisant valoir le caractère provisoire de la décision attaquée et la nécessité d’attendre la progression des enquêtes pénales en cours.
139.  Dans ces conditions, la Cour estime qu’on ne saurait conclure que les requérants ont été dûment impliqués dans le processus décisionnel concernant leurs droits parentaux. Dans les circonstances de l’espèce, il y a donc eu violation de l’article 8.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 ET 13 DE LA CONVENTION
140.  Invoquant l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention, les requérants se plaignent de l’impossibilité prolongée d’obtenir une décision définitive du tribunal pour enfants, ce qui, selon eux, s’analyse en un déni d’accès à un tribunal. Ils se plaignent en outre sous différents aspects de l’iniquité de la procédure concernant le placement de leurs enfants à l’assistance publique. Dans ce contexte, les requérants se plaignent aussi, sous l’angle de l’article 13 de la Convention, de l’impossibilité de recourir contre le refus prolongé du tribunal pour enfants de Bologne de rendre une décision définitive susceptible d’appel.
141.  Aux termes des paragraphes 1 et 2 de l’article 6,
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) et dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...).
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
142.  L’article 13 prévoit, quant à lui, que :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
143.  La Cour note d’emblée que le paragraphe 2 de l’article 6 ne trouve pas à s’appliquer dans le cas d’espèce, les requérants n’étant pas « accusés » au sens de cette disposition dans la procédure devant le tribunal pour enfants. De ce fait, les doléances des requérants doivent être prises en considération sous l’angle du seul paragraphe 1.
144.  La Cour observe cependant que les griefs présentés par les requérants sous l’angle de l’article 6 coïncident dans une large mesure avec ceux tirés de l’article 8. Compte tenu des conclusions auxquelles elle est parvenue sur le terrain de ce dernier article, aucune question distincte ne se pose au regard de l’article 6 § 1 de la Convention.
145.  La Cour rappelle également que, quand le droit revendiqué est un droit de caractère civil, l’article 6 § 1 constitue une lex specialis par rapport à l’article 13, dont les garanties se trouvent absorbées par celle-ci (voir les arrêts Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, arrêt du 19 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, § 41 et Cordova (no 2) c. Italie, no 45649/99, § 71, CEDH 2003). En conséquence, il n’y a pas lieu de statuer sur ce grief.
III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
146.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
147.  Les deux requérants demandent 500 000 euros (EUR) chacun pour le préjudice moral qu’ils auraient subi et 100 000 EUR au nom des enfants.
148.  Quant au préjudice matériel, les requérants réclament 15 000 EUR pour les frais entraînés par le séjour de la requérante et de son cinquième enfant en France. Ils demandent en particulier le remboursement des frais de voyage encourus par le requérant afin de rejoindre son épouse ainsi que des soins médicaux relatifs à l’accouchement du cinquième enfant.
149.  La requérante réclame en outre 50 000 EUR pour la perte de son emploi du fait de son déménagement en France.
150.  Le Gouvernement allègue l’absence de preuves étayant les demandes des requérants quant au préjudice matériel subi. Il considère en outre que le constat de violation peut représenter une satisfaction équitable suffisante quant au préjudice moral.
151.  La Cour souligne d’abord qu’en vertu de l’article 41 de la Convention, le but des sommes allouées à titre de satisfaction équitable est uniquement d’accorder une réparation pour les dommages subis par les intéressés dans la mesure où ils constituent une conséquence de la violation ne pouvant en tout cas pas être effacée.
152.  Or, la Cour ne décèle aucun lien entre la violation constatée de la Convention et le déménagement en France de la requérante. Elle estime que dans ces conditions il n’y a pas lieu d’allouer la somme demandée par les requérants à titre de préjudice matériel.
153.  Quant au préjudice moral subi par les requérants, la Cour estime que le constat de violation de l’article 8 constitue une satisfaction équitable suffisante.
B.  Frais et dépens
154.  Les requérants demandent le remboursement des frais de justice et des honoraires d’expertises dans le cadre des procédures devant les juridictions italiennes, soit 124 852,82 EUR. Ils demandent en outre 32 204,84 EUR au titre des frais afférents à la procédure devant la Cour. Ils ont fourni des justificatifs à l’appui de leurs prétentions.
155.  Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour. Il estime toutefois excessif le nombre des conseils et experts nommés par les requérants.
156.  La Cour rappelle qu’au titre de l’article 41 de la Convention elle rembourse les frais dont il est établi qu’ils ont été réellement exposés, qu’ils correspondaient à une nécessité et qu’ils sont d’un montant raisonnable (voir, entre autres, Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, 25.3.1999, § 79).
Quant aux frais engagés devant les juridictions internes, la Cour relève que, bien qu’au moins une partie de ces frais ait été exposée pour faire corriger la violation de l’article 8 de la Convention, une partie des honoraires d’avocat réclamés se rapporte à la défense des requérants contre les accusations pénales dirigées contre eux dans le cadre de la procédure interne. Ces sommes n’ont donc pas été nécessairement exposées pour faire redresser une violation de la Convention constatée par la Cour (arrêt Mats Jacobsson c. Suède du 28 juin 1990, série A no 180-A, p. 16, § 46). Elle constate également que la plupart des notes d’honoraires produites n’indique pas en détail la nature des prestations des avocats des requérants.
En ce qui concerne les frais encourus devant elle, en outre, la Cour estime que l’affaire revêtait une indéniable complexité. Elle juge toutefois excessive la somme demandée par les requérants.
157.   Dans ces conditions la Cour, statuant en équité et eu égard à la pratique des organes de la Convention en la matière, estime raisonnable d’allouer aux requérants – qui ont bénéficié devant la Cour de l’assistance judiciaire – la somme de 10 000 EUR.
C.  Intérêts moratoires
158.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention en raison de la décision de prise en charge d’urgence des enfants des requérants ;
2.  Dit, par cinq voix contre deux, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention en raison de l’absence d’audition des requérants avant la prise de la décision d’éloignement ;
3.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention en raison des modalités d’exécution de la mesure d’éloignement ;
4.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention en raison de l’interruption prolongée des rapports entre les requérants et leurs enfants ;
5.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention en raison du placement séparé des enfants ;
6.  Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention en raison de la non-implication des requérants dans le processus décisionnel ;
7.  Dit, à l’unanimité, qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 6 de la Convention ;
8.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu de rechercher s’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;
9.  Dit, par six voix contre une, que le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par les requérants ;
10.  Dit, par six voix contre une,
a)  que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 10 000 EUR (dix mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur ladite somme ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
11.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 mai 2003 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Christos Rozakis   Greffier adjoint Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions suivantes :
–  opinion en partie dissidente de M. Bonello ;
–  opinion en partie dissidente de M. Lorenzen et de Mme Vajić.
C.L.R.  S.N.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE  DE M. LE JUGE BONELLO
(Traduction)
1.  Je ne peux suivre la majorité dès lors qu’elle estime que la non-implication des requérants dans le processus décisionnel touchant leurs droits parentaux a emporté violation de l’article 8 (point 6 du dispositif de l’arrêt).
2.  En principe, je souscris sans hésitation à l’idée que, de manière générale, toute personne est en droit de participer activement à la prise de décisions affectant sensiblement ses intérêts ou droits. Toutefois, face aux allégations si terribles et urgentes qui caractérisent ce type d’affaires, je pense que les autorités nationales sont mieux placées qu’une juridiction supranationale pour apprécier les mesures qui sont indispensables à la sécurité et au bien-être des mineurs concernés et pour ménager un juste équilibre entre leurs intérêts et les droits des parents.
3.  A mon sens, dans les affaires touchant les intérêts d’enfants, la Cour ne devrait se permettre de critiquer les autorités nationales a posteriori que lorsque des éléments démontrent que celles-ci ont fait preuve de négligence ou d’arbitraire. Or pareilles preuves font complètement défaut en l’espèce. Tout au plus pourrait-on reprocher aux autorités nationales d’avoir protégé avec un zèle excessif les intérêts des enfants mineurs qu’elles estimaient être en grand danger. Je ne pense pas que les accuser de violer les droits fondamentaux communique le bon message à ceux qui préservent de bonne foi l’intégrité physique et morale de mineurs et qui doivent faire face aux situations d’urgence générées par d’atroces accusations.
4.  La Cour a fréquemment recours à la notion de « marge d’appréciation » lorsqu’elle ne souhaite pas s’immiscer dans les conclusions ou censurer les actes d’organes internes dans des circonstances dans lesquelles les autorités nationales sont les mieux placées pour apprécier des situations factuelles complexes. La Cour a eu cette attitude même dans certaines affaires où, selon moi, il se serait imposé qu’elle procèdât à un examen plus strict. En l’espèce, j’estime que les faits de la cause se conjuguent tous pour l’amener à s’abstenir de critiquer la procédure interne, laquelle relève tout à fait de l’ample marge d’appréciation que la Cour reconnaît invariablement à l’ordre juridique interne dans les affaires touchant les intérêts d’enfants.
5.  J’ai également voté contre l’octroi de toute forme de satisfaction équitable aux requérants, puisque, à mon sens, aucune violation ne peut être reprochée au gouvernement défendeur.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE  M. LE JUGE LORENZEN ET DE Mme LA JUGE VAJIĆ
(Traduction)
Nous souscrivons à toutes les conclusions de la majorité sauf au constat de non-violation de l’article 8 de la Convention quant au fait que les requérants n’ont pas été entendus avant l’émission de l’ordonnance provisoire de prise en charge. Nos raisons sont les suivantes.
La Cour a souvent estimé dans sa jurisprudence antérieure que, eu égard à l’enjeu pour les parents des procédures de prise en charge, il était crucial pour ceux-ci d’avoir la possibilité, à un stade quelconque de la procédure avant qu’une ordonnance provisoire de prise en charge ne soit rendue, de formuler des observations sur les informations disponibles et de présenter leur propre point de vue (voir, par exemple, l’arrêt Venema c. Pays-Bas du 17 décembre 2002, § 98). Tel est d’autant plus le cas lorsque l’ordonnance provisoire de placement est émise pour une période indéterminée – laquelle, en l’occurrence, a duré un an et neuf mois – et n’est pas susceptible de recours devant une juridiction supérieure.
Les arguments du gouvernement selon lesquels le témoignage de M. justifiait de ne pas entendre les requérants sont à notre sens peu convaincants, puisque ces derniers, à cette époque, n’étaient pas personnellement accusés de s’être livrés à des abus sexuels sur leurs enfants et devaient donc être présumés innocents de toute participation à des activités criminelles. La simple existence de soupçons contre d’autres membres de leur famille ne peut en soi justifier de les priver de leur droit d’être entendus. On ne saurait accorder une quelconque importance au fait que les requérants ainsi que d’autres membres de leur famille ont en vérité été accusés ultérieurement et condamnés pour de graves infractions commises sur leurs enfants. Lorsqu’elle détermine l’étendue des garanties procédurales dans des affaires similaires à l’espèce, la Cour doit prendre garde à ne pas se laisser guider par des considérations a posteriori (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Johansen c. Norvège du 7 août 1996, § 79).
Nous ne sommes pas davantage convaincus par les arguments de la cour d’appel de Bologne (paragraphe 62 du présent arrêt) selon lesquels le fait que les requérants n’aient pas été entendus se justifiait soit pour protéger les enfants de toute pression ou influence indue soit pour empêcher les requérants d’intervenir dans l’instruction ou d’avoir d’autres réactions disproportionnées. Quoi qu’il en soit, les autorités auraient eu la possibilité de prendre les mesures nécessaires pour protéger les enfants dans la courte période qui se serait écoulée entre l’audition des requérants et l’émission de l’ordonnance provisoire de prise en charge.
Dès lors, nous estimons qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention à cet égard.
ARRÊT COVEZZI ET MORSELLI c. ITALIE
ARRÊT COVEZZI ET MORSELLI c. ITALIE 


Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award