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13/05/2003 | CEDH | N°59290/00

CEDH | MONTCORNET DE CAUMONT contre la FRANCE


DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 59290/00  présentée par Robert MONTCORNET DE CAUMONT  contre la France
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant le 13 mai 2003 en une chambre composée de
MM. L. Loucaides, président,    J.-P. Costa,    C. Bîrsan,    K. Jungwiert,    V. Butkevych,   Mmes W. Thomassen,    A. Mularoni, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 16 juin 2000,
Après en avoir délibéré,

rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, Robert Montcornet de Caumont, est un ressortissant fr...

DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 59290/00  présentée par Robert MONTCORNET DE CAUMONT  contre la France
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant le 13 mai 2003 en une chambre composée de
MM. L. Loucaides, président,    J.-P. Costa,    C. Bîrsan,    K. Jungwiert,    V. Butkevych,   Mmes W. Thomassen,    A. Mularoni, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 16 juin 2000,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, Robert Montcornet de Caumont, est un ressortissant français, né en 1930 et résidant à Briançon. Il est représenté devant la Cour par Me E. de Caumont, avocat à Paris.
A.  Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant fut poursuivi pour dépassement de la vitesse limite hors agglomération (173 km/h au lieu des 130 km/h autorisés), infraction relevée à Peyrolles le 1er juin 1992.
Par jugement rendu le 16 décembre 1992, le tribunal de police d'Aix-en-Provence prononça la relaxe des fins de la poursuite, les faits reprochés n'étant pas suffisamment établis.
Sur appel du ministère public, la cour d'appel d'Aix-en-Provence rendit, le 5 mai 1994, un arrêt infirmatif, déclara le requérant coupable des faits d'excès de vitesse, le condamna à 3 000 francs français (FRF) d'amende et à une suspension de son permis de conduire pour une durée d'un mois.
Dans son arrêt, la cour d'appel releva notamment :
« (...) qu'il résulte des énonciations ci-dessus précisées du procès-verbal servant de base aux poursuites, que c'est bien le véhicule du prévenu, dont le numéro d'immatriculation et la marque ont été exactement relevés, qui a été contrôlé puis intercepté ; que par ses seules dénégations le prévenu n'apporte pas la preuve contraire des constatations effectuées par les gendarmes (...) ;
en conséquence, (...) il y a lieu, infirmant le jugement déféré, et sans qu'il soit besoin d'ordonner des investigations supplémentaires, de déclarer le prévenu coupable de la contravention reprochée ».
Le requérant se pourvut en cassation mais, par un arrêt rendu le 22 février 1995, la Cour de cassation rejeta le pourvoi.
La condamnation du requérant devint donc définitive et le 22 avril 1996 la trésorerie de Marseille procéda, par voie de commandement à payer, au recouvrement de l'amende prononcée en vertu de l'arrêt rendu le 5 mai 1994 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
Le requérant saisit à nouveau la cour d'appel et demanda à bénéficier de la loi no 95-884 du 3 août 1995 portant amnistie. Par un arrêt rendu le 15 décembre 1997, la cour d'appel d'Aix-en-Provence rejeta la requête. Elle releva que « la contravention dont l'intéressé a été reconnu coupable est exclue de la loi d'amnistie aux termes de l'article 25-10o de ce texte ».
Le requérant se pourvut en cassation. Par un moyen unique, il invoqua l'article 6 § 1 de la Convention et « dans leur ensemble, les droits de la défense », et soutint essentiellement que la cour d'appel ne s'était pas suffisamment expliquée sur l'impossibilité d'appliquer à l'infraction le bénéfice de la loi d'amnistie. Il soutint qu'il pouvait bénéficier de la loi d'amnistie, et que la seule disposition qui pouvait l'en exclure ne pouvait lui être opposée sous peine d'une application rétroactive de la loi portant amnistie.
Par un arrêt rendu le 21 septembre 1999 et notifié le 21 décembre 1999, la Cour de cassation rejeta le pourvoi.
B.  Le droit interne pertinent
1.  Loi no 95-884 du 3 août 1995 portant amnistie
Article 25
« Sont exclus du bénéfice de la présente loi :  (...)
10o Les contraventions concernant la conduite des véhicules visées au 2o de l'article R.256 du code de la route dans sa rédaction en vigueur le 18 mai 1995 ».
2.  Code de la route
Article R.256
Dans sa rédaction résultant du décret du 23 novembre 1992 et en vigueur le 18 mai 1995 :
« Les infractions aux articles énumérés ci-après (...) donnent lieu à la réduction de plein droit du nombre de points du permis de conduire dans les conditions suivantes :
1o réduction de six points pour les délits énumérés aux articles ci-après (...) ;
2o réduction de 4 points pour les contraventions prévues aux articles ci-après (...)
- dépassement de 40 km/h ou plus de la vitesse maximale autorisée ;
3o réduction de 3 points pour les contraventions aux articles ci-après (...) ;
4o réduction de 2 points pour les contraventions aux articles ci-après (...) ;
5o réduction d'un point pour les contraventions aux articles ci-après (...) ;
I. - Le présent décret entrera en vigueur le 1er déc. 1992.
II. - a) Les pertes de points résultant d'infractions dont la réalité aura été établie (...) antérieurement au 1er déc. 1992, demeurent calculées conformément aux dispositions du décret du 25 juin 1992 susvisé.
   b) Les pertes de points résultant d'infractions commises antérieurement au 1er déc. 1992, mais dont la réalité sera établie postérieurement à cette date, seront calculées conformément aux dispositions du présent décret.
III. - Le nombre de points affectés le 30 nov. 1992 à chaque permis de conduire sera doublé le 1er déc. 1992. »
GRIEFS
1.  Invoquant l'article 7 § 1 de la Convention, le requérant soutient qu'il aurait dû bénéficier de la loi d'amnistie. Il expose qu'il a été exclu du bénéfice de cette loi sur la base de son article 25-10o, lequel se réfère à l'article R.256 du code de la route concernant le système de permis à points. Or, les faits reprochés au requérant datant du 1er juin 1992, ils apparaissent, selon le requérant, comme étant antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi sur le permis à points (1er juillet 1992) et aux décrets d'application de celle-ci, datant des 23 juin et 23 novembre 1992. Par conséquent, le requérant soutient que l'application à son affaire de l'article 25-10o de la loi de 1995, et donc de l'article R.256 du code de la route, constitue une violation du principe de la non-rétroactivité de la loi pénale garanti par l'article 7 de la Convention.
2.  De plus, il allègue une violation de l'article 6 § 3 a) in fine de la Convention, dans la mesure où si l'on considérait que l'infraction était susceptible d'un retrait de points, selon les modalités de l'article R.256 du code de la route, cela constituerait une méconnaissance du droit de l'accusé d'être informé de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui. Il s'ensuit, selon le requérant, qu'il devrait pouvoir bénéficier de la loi d'amnistie et ne pas pouvoir être sanctionné par un retrait de points.
EN DROIT
Le requérant soutient que la non-application de la loi d'amnistie à son affaire en vertu de l'article 25-10o de ce texte constitue une violation de l'article 7 § 1 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« 1.  Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. »
Il soutient également que si l'infraction qu'il a commise était sanctionnée d'un retrait de points, cela équivaudrait à le condamner à une sanction dont il ne connaissait ni la nature ni la cause au moment de l'accusation, puisque le système de retrait des points du permis n'est entré en vigueur que postérieurement à la commission de l'infraction. Il se plaint de la violation de l'article 6 § 3 a) de la Convention, dont les dispositions pertinentes sont ainsi rédigées :
« (...) 3.  Tout accusé a droit notamment à :
a)  être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ; (...) »
La Cour note d'emblée que tout grief du requérant concernant la procédure qui s'est terminée par l'arrêt rendu le 22 février 1995 par la Cour de cassation doit être considéré comme tardif en application de l'article 35 § 1 de la Convention.
La Cour n'est donc compétente que pour examiner les griefs relatifs à la procédure qui a débuté par la saisine de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et s'est terminée par l'arrêt rendu le 21 septembre 1999 par la Cour de cassation.
La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, une personne ne satisfait à l'épuisement des voies de recours internes que si elle a fait valoir, explicitement ou au moins en substance, devant les instances nationales, les griefs qu'elle soumet à la Cour (voir, entre autres, Ankerl c. Suisse, arrêt du 23 octobre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996, no 19, § 34). Or, il ressort clairement du mémoire soumis par le requérant à la Cour de cassation ainsi que de l'arrêt rendu par celle-ci le 21 septembre 1999, que le requérant n'invoque que « l'article 6 § 1 de la Convention et, dans leur ensemble, les droits de la défense », tout en insistant, dans ce cadre, sur l'antériorité de l'infraction commise par rapport à l'entrée en vigueur du système de retrait de points.
Il s'ensuit que les articles 6 § 3 a) et 7 de la Convention n'ont été soulevés que partiellement et de façon implicite devant les instances nationales.
Toutefois, même en considérant que le requérant ait fait valoir ces dispositions en substance, la Cour estime que la requête dans sa totalité est irrecevable pour les raisons ci-après.
En effet, se pose d'abord la question de l'applicabilité de l'article 6 de la Convention. Comme le relève le requérant lui-même, la procédure en cause, qui s'est terminée par l'arrêt rendu le 21 septembre 1999 par la Cour de cassation, ne concerne que les conditions d'application d'une loi d'amnistie à une condamnation déjà devenue définitive. Elle ne concerne pas une « contestation sur des droits et obligations de caractère civil ». Elle n'est pas davantage relative au « bien-fondé d'une accusation en matière pénale », comme le prévoit l'article 6 § 1 de la Convention, mais bien à une question touchant à l'exécution des peines. Or, selon une jurisprudence constante des organes de contrôle de la Convention, l'article 6 de la Convention n'est pas applicable à de telles procédures (requête no 20872/92, décision de la Commission du 22 février 1995, Décisions et rapports (DR) 80, p. 66). C'est notamment vrai lorsqu'il s'agit de l'examen d'une demande d'amnistie (Asociación de Aviadores c. Espagne, requête no 10733/84, décision de la Commission du 11 mars 1985, DR 41, p. 211).
L'amnistie, en effet, dès lors qu'elle peut concerner une personne qui, comme c'est le cas du requérant, a fait l'objet d'une condamnation prononcée par un jugement définitif, n'est plus relative à une accusation en matière pénale dirigée contre cette personne, au sens de l'article 6 de la Convention. Dès lors, un litige portant sur l'existence ou l'étendue d'une loi d'amnistie échappe au champ d'application de l'article 6, pris sous l'angle pénal.
Partant, l'article 6 de la Convention ne trouve pas à s'appliquer ratione materiae.
En ce qui concerne la violation alléguée de l'article 7 de la Convention, la Cour, de façon analogue, relève que la non-application d'une loi d'amnistie (même si l'amnistie peut effacer une condamnation encourue) ne constitue pas une condamnation selon la loi pénale et ne concerne pas les conditions dans lesquelles cette condamnation a été prononcée (en particulier en ce qui concerne tant la légalité de la peine que la non-rétroactivité de la loi), et elle ne relève donc pas du champ d'application de l'article 7 de la Convention.
En outre, et en tout état de cause, la Cour relève que les griefs tirés de la violation alléguée de l'article 7 de la Convention se confondent en l'espèce avec ceux tirés de la violation alléguée de l'article 6 de la Convention, comme le montre l'argumentation développée par le requérant devant la Cour de cassation, qui évoque la rétroactivité en invoquant exclusivement l'article 6 § 1 de la Convention.
Enfin, à titre subsidiaire, la Cour constate qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant se soit vu retirer des points de permis pour la même infraction, cette possibilité hypothétique étant seulement évoquée par le requérant lui-même. Le grief, dans cette mesure, ne peut être regardé comme étayé.
Il s'ensuit que la requête doit dès lors être rejetée dans son ensemble comme manifestement mal fondée, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
S. Dollé L. Loucaides   Greffière Président
DÉCISION MONTCORNET DE CAUMONT c. FRANCE
DÉCISION MONTCORNET DE CAUMONT c. FRANCE 


Synthèse
Formation : Cour (première section)
Numéro d'arrêt : 59290/00
Date de la décision : 13/05/2003
Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE ADMINISTRATIVE, (Art. 6) PROCEDURE CIVILE, (Art. 6) PROCEDURE D'EXECUTION, (Art. 6-1) ACCES A UN TRIBUNAL, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE PRIVEE


Parties
Demandeurs : MONTCORNET DE CAUMONT
Défendeurs : la FRANCE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2003-05-13;59290.00 ?
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