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01/07/2003 | CEDH | N°29865/96

CEDH | TEKELI ÜNAL contre la TURQUIE


QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 29865/96  présentée par Ayten TEKELI ÜNAL  contre la Turquie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 1er juillet 2003 en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,   M. M. Pellonpää,   Mme E. Palm,   MM. R. Türmen,    M. Fischbach,    S. Pavlovschi,    J. Borrego Borrego, juges,  et de M. M. O’Boyle, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des

Droits de l’Homme le 20 décembre 1995,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celle...

QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 29865/96  présentée par Ayten TEKELI ÜNAL  contre la Turquie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 1er juillet 2003 en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,   M. M. Pellonpää,   Mme E. Palm,   MM. R. Türmen,    M. Fischbach,    S. Pavlovschi,    J. Borrego Borrego, juges,  et de M. M. O’Boyle, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 20 décembre 1995,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
La requérante,  Ayten Tekeli Ünal, est une ressortissante turque, née en 1965 et résidant à Izmir. Elle est représentée devant la Cour par Mme Nilay Oktar, avocate au barreau d’İzmir.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
A la suite de son mariage le 25 décembre 1990, la requérante, stagiaire- avocate à l’époque, prit le nom de son mari en application de l’article 153 du code civil turc. Comme elle était connue avec son nom de jeune fille dans sa vie professionnelle, elle continua d’utiliser celui-ci devant son nom de famille légal. Pourtant, elle ne pouvait utiliser ces deux noms en même temps sur les documents officiels.
Le 22 février 1995, la requérante formula un recours devant le tribunal de grande instance de Karşıyaka («le tribunal de grande instance») afin d’obtenir une autorisation pour pouvoir porter uniquement son nom de jeune fille « Ünal ». Le 4 avril 1995, le tribunal de grande instance débouta la requérante de sa demande en faisant valoir qu’en vertu de l’article 153 du code civil turc, la femme mariée doit porter le nom de son mari tout au long de sa vie d’épouse.
Le pourvoi en cassation formé par la requérante fut rejeté par la Cour de cassation le 6 juin 1995. Cette décision fut notifiée à la requérante le 23 juin 1995.
B.  Le droit interne pertinent
L’article 153 du code civil turc disposait à l’époque des faits 
« La femme mariée porte le nom de son époux. (...). »
L’article 153 du code civil turc tel qu’amendé par la loi no 4248 du 14 mai 1997
 « La femme mariée porte le nom de son époux. Toutefois, elle peut faire une déclaration écrite au préposé du mariage lors de la signature de l’acte de mariage ou au registre de l’état civil après le mariage, pour garder son nom de jeune fille devant son nom de famille (...) »
GRIEFS
Invoquant l’article 8 de la Convention, la requérante se plaint de ce que le refus des juridictions nationales de lui accorder la permission de porter uniquement son nom de jeune fille, a porté atteinte de manière injustifiable à son droit à la protection de la vie privée.
Elle se plaint d’ailleurs qu’elle a été victime d’une discrimination en ce que seul l’homme marié peut porter son nom patronymique après le mariage. A cet égard, elle invoque l’article 14 de la Convention combiné avec son article 8.
EN DROIT
La requérante allègue une violation de son droit à la vie privé en ce que les dispositions juridiques internes ne lui permettent pas de porter uniquement son nom de jeune fille après le mariage. Elle invoque l’article 8, pris isolément et combiné avec l’article 14.
L’article 8 de la Convention dispose en ses passages pertinents :
«1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...).
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre (...). »
Aux termes de l’article 14 de la Convention :
  « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
Vu la nature des allégations formulées, la Cour estime approprié de se placer directement sur le terrain de l’article 14 combiné avec l’article 8.
A.   Exception d’irrecevabilité
Le Gouvernement soulève une exception préliminaire tirée du non-épuisement des voies de recours internes. A cet égard, il fait valoir que selon l’article 440 du code de procédure civile, les parties peuvent faire un recours en rectification de l’arrêt, dans un délai de 15 jours à partir de la notification de la décision de la Cour de cassation aux parties. Or, dans la présente affaire, la requérante n’aurait pas épuisé cette voie de recours interne adéquate et effective.
La requérante relève que l’article 440 du code de procédure civile dispose une énumération exhaustive des situations qui peuvent donner lieu à un examen en rectification. Elle avance que, dans le cas de l’espèce, il s’agit d’une décision qui est en pleine conformité avec les dispositions positives (aussi bien celle du tribunal de première instance que celle de la Cour de cassation) et qui, par conséquent, ne remplit pas les conditions prévues par l’article 440 du code de procédure civile. Elle soutient que le recours en rectification prévu par cet article du code de procédure civile n’est pas un recours effectif qui doit être épuisé avant la saisine de la Cour.
La Cour note qu’en droit turc, le recours en rectification de l’arrêt, tel que prévu par l’article 440 du code de procédure civile, a pour objet de réviser l’arrêt en question en raison d’une erreur de la part de la Cour de cassation. Sur simple recours en rectification des parties, la juridiction procède à un deuxième examen de la même affaire sans qu’il y ait d’éléments nouveaux  (voir Karaduman c. Turquie (déc), no 16278/90, non-publiée). Elle rappelle sa jurisprudence antérieure selon laquelle un requérant n’est pas tenu de faire usage d’un recours qui n’est pas de nature à parer à ses griefs (arrêt De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique du 18 juin 1971, série A no 12, § 62). En l’espèce, la Cour relève que la Cour de cassation a confirmé la décision du tribunal de grande instance concernant le rejet du recours de la requérante, en application de l’article 153 du code civil, selon lequel la femme mariée doit porter le nom de son époux. Elle estime dès lors que, dans les circonstances de l’espèce, le recours en rectification d’arrêt n’était pas une voie de recours efficace pour ce genre de grief.
Partant, la Cour rejette l’exception préliminaire du Gouvernement.
B.   Bien-fondé
Le Gouvernement fait valoir que, si la requérante voulait maintenir son nom de jeune fille après le mariage, elle avait la possibilité d’exercer un recours devant le tribunal compétent et solliciter un enregistrement de son nom de jeune fille devant le nom de famille légal. Il fait par ailleurs observer qu’au moment mariage, la requérante, étant stagiaire-avocate, n’était pas habilitée à exercer le métier d’avocat et au moment où elle avait commencé à exercer sa profession, elle avait déjà acquis le nom de son époux. Le Gouvernement maintient donc que le changement de nom de la requérante à la suite du mariage, ne pouvait lui poser de problèmes dans sa vie professionnelle. Il fait en outre valoir que la famille en tant qu’union, a besoin d’un nom et que le code civil turc a choisi le nom de l’époux comme nom de famille à l’instar des dispositions des codes civils de plusieurs pays membres du Conseil de l’Europe. Le but de l’article 153 n’aurait donc pas été de réserver une place inférieure à l’épouse par rapport à l’époux mais de protéger l’unité de la famille à travers celle du nom.
La requérante conteste ces arguments. Elle met d’abord en exergue que son recours devant les tribunaux nationaux concernait une demande d’acquisition de son nom de jeune fille « Ünal » comme nom unique, et non pas une demande pour le faire précéder celui de son époux pour s’appeler « Ünal-Tekeli ». En faisant ensuite valoir que le métier d’avocat exige des relations professionnelles qui sont établies dès l’époque du stage judiciaire, elle soutient que le changement de nom en question l’a affectée dans sa vie professionnelle.
La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que le grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de son examen, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit qu’elle ne saurait être déclarée manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête recevable, tous moyens de fond réservés.
Michael O’Boyle Nicolas Bratza   Greffier Président
DÉCISION TEKELI ÜNAL c. TURQUIE
DÉCISION TEKELI ÜNAL c. TURQUIE 


Synthèse
Formation : Cour (première section)
Numéro d'arrêt : 29865/96
Date de la décision : 01/07/2003
Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE FAMILIALE


Parties
Demandeurs : TEKELI ÜNAL
Défendeurs : la TURQUIE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2003-07-01;29865.96 ?
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