QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 29134/03 présentée par le GOUVERNEMENT DE LA COMMUNAUTÉ AUTONOME DU PAYS BASQUE contre l’Espagne
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 3 février 2004 en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président, M. M. Pellonpää, Mme V. Strážnická, MM. R. Maruste, S. Pavlovschi, L. Garlicki, J. Borrego Borrego, Mme E. Fura-Sandström, juges, et de M. M. O’Boyle, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 10 septembre 2003,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant est le Gouvernement de la Communauté Autonome du Pays Basque. La Communauté Autonome Basque est l’une des Communautés autonomes de l’Etat espagnol. Il est représenté devant la Cour par Mes Mikel Loizaga Brouska, Fernando Rodríguez Cuberta et Iñaki Beitia Ruiz de Arbulo, juristes au sein des Services Juridiques Centraux du gouvernement basque.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le 22 juin 2000, le parlement espagnol adoptait la loi organique 2/2000 sur les Partis politiques en remplacement de la loi 54/1978 du 4 décembre 1978 sur les partis politiques. D’après son exposé des motifs, la nouvelle loi vise à établir un cadre juridique des partis politiques en accord avec leurs fonctions et le rôle essentiel qu’ils remplissent dans le système démocratique. Parmi les modifications introduites par la nouvelle législation figure l’introduction de motifs de dissolution des partis et de la procédure y afférente (articles 9 à 12 de la loi).
Estimant que certaines dispositions de la nouvelle loi contrevenaient à divers droits fondamentaux garantis par la Constitution espagnole, le requérant présenta auprès du Tribunal constitutionnel un recours en inconstitutionnalité. Dans son recours, il sollicitait également la récusation du président de la haute juridiction. Par une décision du 20 novembre 2002, l’assemblée plénière du Tribunal constitutionnel rejeta la demande de récusation. Une nouvelle demande de récusation formée par le requérant fut rejetée par une décision du 19 février 2003.
Sur le fond, l’assemblée plénière du Tribunal constitutionnel, par un arrêt du 12 mars 2003, rejeta le recours en inconstitutionnalité en estimant que les dispositions critiquées n’étaient pas contraires à la Constitution espagnole.
B. Le droit interne pertinent
Constitution
Article 137
« L’Etat s’organise territorialement au moyen de municipalités, de provinces et des Communautés Autonomes constituées. Toutes ces entités jouissent d’autonomie dans la gestion de leurs intérêts respectifs. »
Article 143
« 1. Dans l’exercice du droit à l’autonomie reconnu à l’article 2 de la Constitution, les provinces limitrophes possédant des caractéristiques historiques, culturelles et économiques communes, les territoires insulaires et les provinces constitutives d’une entité régionale historique, pourront accéder à un gouvernement propre et se constituer en Communautés Autonomes conformément à ce qui est prévu dans ce Titre et dans les Statuts respectifs.
GRIEFS
Le requérant se plaint du manque d’impartialité du président du Tribunal constitutionnel et allègue la violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Il estime également que certaines dispositions de la loi organique 6/2002 sur les partis politiques contreviennent à l’article 7 de la Convention combiné avec l’article 11. Le requérant invoque également l’article 6 § 1 isolément et en liaison avec l’article 11. Il se plaint enfin que la loi en question porte atteinte à l’article 11 de la Convention.
EN DROIT
Le requérant se plaint d’une violation des articles 6 § 1, 7 et 11 de la Convention.
La Cour considère qu’il y a lieu d’examiner au préalable si le requérant jouit du droit de présenter une requête en vertu de l’article 34 de la Convention, lequel se lit ainsi :
« La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit. »
Le requérant soutient que même s’il s’agit d’une personne morale de droit public, on ne saurait le priver de la possibilité de demander pour la Communauté autonome qu’il représente et pour l’ensemble des groupes et des citoyens la protection de la Convention. D’après lui, l’effet utile de la Convention implique, dans les circonstances de l’espèce, l’accès à la Cour. A cet égard, il rappelle que les Communautés Autonomes sont titulaires dans l’ordre interne d’une action de promotion et de défense des droits fondamentaux comme cela découle de l’article 9 § 2 de la Constitution espagnole et de l’article 9 § 2 a) et b) du Statut d’autonomie du Pays Basque. En conclusion, il estime qu’il doit jouir du droit d’ester devant la Cour en application de l’article 34 de la Convention.
La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, doivent être qualifiées d’« organisations gouvernementales », par opposition à « organisations non gouvernementales » au sens de l’article 34 de la Convention, non seulement les organes centraux de l’Etat, mais aussi les autorités décentralisées qui exercent des « fonctions publiques », quel que soit leur degré d’autonomie par rapport auxdits organes ; il en va ainsi des collectivités territoriales (voir, essentiellement, Commune de Rothenthurm c. Suisse, no 13252/87, décision de la Commission du 14 décembre 1988, Décisions et rapports (DR) 59, p. 251 ; Section de commune d’Antilly c. France (déc.), no 45129/98, CEDH 1999-VIII ; Ayuntamiento de Mula c. Espagne (déc.), no 55346/00, CEDH 2001-I, et Danderyds Kommun c. Suède (déc.) no 52559/99, 7 juin 2001).
La Cour note que tant le requérant que la Communauté autonome qu’il représente constituent en Espagne des autorités publiques exerçant des compétences et des fonctions officielles qui leur sont dévolues par la Constitution et par la loi, quel que soit le degré de leur autonomie. Dès lors, ils ne peuvent être considérés comme étant des organisations non gouvernementales au sens de l’article 34 de la convention.
Il s’ensuit que le gouvernement basque ne peut pas, au nom de la Communauté autonome du Pays Basque, introduire une requête fondée sur l’article 34 de la Convention. La requête doit donc être rejetée comme étant incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention, conformément à l’article 35 § 4 de celle-ci (cf., par exemple, The Province of Bari, Sorrentino and Messeni Nemagna v. Italy, no 41877/98, décision de la Commission du 15 septembre 1998 ; Hatzitakis, mairie de Thermaikos et mairie de Mikra c. Grèce (déc.), nos 48391/99 et 48392/99, 18.5.2000, non publiée).
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Michael O’Boyle Nicolas Bratza Greffier Président
DÉCISION GOUVERNEMENT
DE LA COMMUNAUTÉ AUTONOME DU PAYS BASQUE c. ESPAGNE
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