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17/02/2004 | CEDH | N°62033/00

CEDH | SOCIETE ANONYME D'HABITATIONS A LOYERS MODERES TERRE ET FAMILLE contre la FRANCE


DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 62033/00  présentée par SOCIETE ANONYME D'HABITATIONS A LOYERS MODERES TERRE ET FAMILLE  contre la France
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant le 17 février 2004 en une chambre composée de :
MM. A.B. Baka, président,    J.-P. Costa,    L. Loucaides,    C. Bîrsan,    K. Jungwiert,    M. Ugrekhelidze,   Mme A. Mularoni, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 27

avril 2000,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
La requérante, la SA Hab...

DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 62033/00  présentée par SOCIETE ANONYME D'HABITATIONS A LOYERS MODERES TERRE ET FAMILLE  contre la France
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant le 17 février 2004 en une chambre composée de :
MM. A.B. Baka, président,    J.-P. Costa,    L. Loucaides,    C. Bîrsan,    K. Jungwiert,    M. Ugrekhelidze,   Mme A. Mularoni, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 27 avril 2000,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
La requérante, la SA Habitations à Loyers Modérés Terre et Famille, est une société anonyme de droit français, domicilée à Paris. Elle est représentée devant la Cour par Me L. Pettiti, avocat au barreau de Paris.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit.
La requérante fit édifier un ensemble collectif immobilier sur la commune d'Arnouville-les-Gonesse. Ayant subi plusieurs inondations, certains acquéreurs des lots demandèrent la résolution de la vente de leurs appartements après avoir sollicité une mesure d'expertise sur référé. La mission confiée à l'expert fut ensuite élargie aux parties communes, à la demande du syndicat des copropriétaires.
Le syndicat des copropriétaires fit assigner la requérante par exploit du 8 janvier 1987.
La requérante forma alors une requête contre l'assureur – dommages d'ouvrage et les constructeurs de l'ouvrage, par exploit du 2 mars 1987.
Par un premier jugement du 9 novembre 1988, le tribunal de grande instance de Pontoise affirma la responsabilité de plein droit de la requérante, décida de ne pas joindre les appels en garantie à la procédure principale et ordonna une expertise complémentaire.
Par un second jugement du même jour, le tribunal mit l'assurance hors de cause et dit que l'expertise ordonnée sur l'action principale serait commune aux autres appelés en garantie.
L'expert déposa son rapport le 23 janvier 1992.
Par une ordonnance du 20 mai 1992, le président du tribunal de grande instance de Pontoise prononça la jonction des deux procédures.
Le 12 octobre 1992, le syndicat des copropriétaires conclut contre la seule requérante. Le 12 février 1993, celle-ci notifia les conclusions à ses appelés en garantie.
Le 23 mars 1993, la requérante sollicita la garantie in solidum des trois constructeurs et pour la totalité du préjudice qui serait retenu au profit du syndicat.
Les appelés en garantie conclurent les 15 et 16 juin 1993, invoquant notamment la péremption des instances introduites par le syndicat et par la requérante.
Concernant le moyen tiré de la péremption des instances, le tribunal rappela que les deux instances avaient été jointes, que le 9 novembre 1988 une expertise avait été ordonnée sur l'action principale et que le délai de péremption avait été suspendu pendant le cours de cette expertise puisque le syndicat avait régulièrement manifesté son souhait explicite de voir progresser l'instance. Par un jugement du 20 octobre 1993, il retint la responsabilité de la requérante, rejeta le moyen tiré de la péremption de l'instance et dit que la requérante serait garantie des conséquences de cette responsabilité par les constructeurs de l'ouvrage.
Les constructeurs firent appel de ce jugement. La requérante demanda confirmation du jugement en ce qu'il avait déclaré non-périmées les instances et précisa qu'elle les estimait interdépendantes.
Par un arrêt du 13 janvier 1995, la cour d'appel de Versailles réforma partiellement le jugement. Elle constata que l'instance principale n'était pas périmée, mais releva que seuls certains des actes interruptifs de l'instance principale avaient été portés à la connaissance des appelés en garantie lors du dépôt du rapport d'expertise en janvier 1992 et que les autres dires et courriers ne leur avaient été communiqués qu'en mars 1993. Elle nota ensuite que la requérante, qui avait assigné les constructeurs en mars 1987, ne leur avait pas communiqué en temps utile les dires et courriers du syndicat qui auraient pu interrompre le délai de péremption à leur égard, et n'avait conclu à leur encontre qu'en mars 1993. Elle constata ensuite que l'avocat de la requérante avait envoyé une lettre à l'expert le 16 mai 1990, mais releva qu'elle n'avait pas été adressée dans le délai de deux ans à compter de l'assignation de mars 1987 et qu'elle ne pouvait donc pas interrompre le délai de péremption, déjà acquis à cette date. Finalement, la jonction des instances n'ayant eu lieu que le 20 mai 1992, la cour d'appel constata que l'instance en garantie était périmée. Ainsi, elle confirma la responsabilité de la requérante mais infirma le jugement en ce qu'il avait condamné les constructeurs à la garantie.
La requérante se pourvut en cassation et fit grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré périmée l'instance en garantie. Elle estima en effet que la cour d'appel en refusant de faire produire effet à l'interdépendance des actions et en ne se fondant que sur le défaut de connaissance par les constructeurs de la diligence interruptive du syndicat avait doublement violé l'article 386 du nouveau code de procédure civile en vertu duquel l'interruption par les diligences de l'une des parties vaut pour toutes les parties à l'instance et les diligences interruptives du délai de péremption s'apprécient sur la personne du créancier de l'obligation et non pas sur celle du débiteur.
Par un arrêt du 4 février 1999, la Cour de cassation rejeta le pourvoi au motif suivant : « Mais attendu qu'après avoir constaté que, par acte du 2 mars 1987, [la requérante], assignée le 8 janvier 1987 par le syndicat des copropriétaires (...), avait elle-même appelé en garantie les constructeurs, d'où il résultait qu'il existait deux instances distinctes, la cour d'appel, devant laquelle l'interdépendance de ces instances n'était pas invoquée, a pu décider, sans violer les textes visés au moyen, que les diligences accomplies dans l'instance principale, n'avaient pas interrompu le délai de péremption de l'instance récursoire ».
La requérante déposa une requête en rectification d'erreur matérielle soulignant qu'elle avait invoqué devant la cour d'appel l'interdépendance des instances.
Par un arrêt du 28 octobre 1999, la Cour de cassation reconnut que l'arrêt du 4 février 1999 était entaché d'une erreur matérielle et qu'il y avait lieu de la rectifier. Elle dit que les mots « devant laquelle l'interdépendance de ces instances n'était pas invoquée » devaient être supprimés.
GRIEF
La requérante estime que la Cour de cassation a rejeté son unique moyen de cassation en se fondant sur une constatation manifestement inexacte. Elle admet que celle-ci a rectifié une erreur matérielle et a supprimé la mention litigieuse, mais considère qu'elle n'a pas réparé son erreur. Elle estime, en effet, que la Cour de cassation ne devait pas uniquement supprimer la disposition litigieuse, qui fondait l'arrêt de rejet, mais devait expressément la remplacer par une autre motivation. Elle estime, en conséquence, n'avoir pas été effectivement entendue par la Cour de cassation quant à son recours en rectification d'erreur matérielle et invoque l'article 6 § 1 de la Convention.
EN DROIT
La requérante se plaint de n'avoir pas été effectivement entendue par la Cour de cassation, qui a en conséquence méconnu son droit à un procès équitable. Elle invoque l'article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent en ces termes :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
La Cour rappelle que, aux termes de l'article 19 de la Convention, elle a pour tâche d'assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Parties contractantes. Elle n'est donc pas compétente pour connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne (voir l'arrêt Garcia Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I). Sa tâche se limite à vérifier que les décisions litigieuses ont été acquises dans le respect des garanties énoncées à l'article 6 de la Convention.
La Cour rappelle, ensuite, que le droit à un procès équitable, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention, englobe, entre autres, le droit des parties au procès à présenter les observations qu'elles estiment pertinentes pour leur affaire. La Convention ne visant pas à garantir des droits théoriques ou illusoires mais des droits concrets et effectifs (Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980, série A no 37, p. 16, § 33), ce droit ne peut passer pour effectif que si ces observations sont vraiment « entendues », c'est-à-dire dûment examinées par le tribunal saisi. Autrement dit, l'article 6 implique notamment, à la charge du « tribunal », l'obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence (Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A no 288, p. 19, § 59 et Dulaurans c. France du 21 mars 2000, no 34553/97, § 33).
La tâche de la Cour consiste donc à rechercher si cette condition se trouva remplie en l'espèce : la Cour doit s'assurer que le rejet du pourvoi en cassation de la requérante ne fut pas le résultat d'une erreur manifeste d'appréciation de la part de la Cour de cassation.
D'après la requérante, la mention par la Cour de cassation, dans son arrêt du 4 février 1999, du fait qu'elle n'avait pas invoqué devant la cour d'appel l'interdépendance des instances a constitué le motif déterminant sur lequel la Cour de cassation s'est fondée pour rejeter le moyen soulevé devant elle et tiré de ce que la cour d'appel avait commis une erreur de droit en considérant comme périmée l'instance en garantie de la société. La requérante reproche, dès lors, à la Cour de cassation de n'avoir tiré aucune conséquence juridique de la rectification d'erreur matérielle qu'elle a opérée dans son arrêt du 28 octobre 1999, rectification qui a consisté à dire que devaient être supprimés les mots « devant laquelle l'interdépendance de ces instances n'était pas invoquée ».
La Cour n'est toutefois pas convaincue par cette argumentation. Elle estime en effet que la mention de l'absence d'invocation devant la cour d'appel de l'interdépendance des instances n'est qu'une simple incise, qui n'avait aucune incidence ni sur le dispositif de l'arrêt du 4 février 1999 ni sur la solution à donner au pourvoi en cassation. En effet, le considérant décisif de l'arrêt de la Cour de cassation, une fois l'erreur matérielle rectifiée, se lit ainsi :
« attendu qu'après avoir constaté que par acte du 2 mars 1987, la société de HLM Terre et Famille, assignée le 8 janvier 1987 par le syndicat des copropriétaires (...), avait elle-même appelé en garantie les constructeurs, d'où il résultait qu'il existait deux instances distinctes, la cour d'appel [puis les mots supprimés par l'arrêt de rectification] a pu décider, sans violer les textes visés au moyen, que les diligences accomplies dans l'instance principale n'avaient pas interrompu le délai de péremption de l'instance récursoire ».
Dès lors, la Cour considère qu'il ne s'agit ni d'une erreur ni d'une omission de la Cour de cassation ; la mention litigieuse ne constituant pas le support nécessaire du dispositif de l'arrêt du 4 février 1999, sa suppression n'emportait aucune conséquence juridique. Certes, la Cour de cassation aurait pu davantage expliquer sa position quant à l'éventuelle erreur de droit commise par la cour d'appel. En optant pour une réponse laconique, l'arrêt de la Cour de cassation peut en effet prêter à confusion et oblige la Cour à se livrer à un examen du fond de l'affaire afin de s'assurer que les règles du procès équitable n'ont pas été méconnues.
La Cour conclut que, même si une motivation plus claire de la part de la Cour de cassation de son rejet du moyen de la requérante tiré de ce que la cour d'appel avait commis une erreur de droit en considérant comme périmée l'instance en garantie de la société eût peut-être été de nature à mieux éclairer les parties, celle-ci n'a pas commis une erreur d'appréciation (voir, a contrario, Dulaurans c. France, no 34553/97, 21 mars 2000), et a assuré à la requérante son droit à un procès équitable, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.
Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à la majorité,
Déclare la requête irrecevable.
S. Dollé A.B. Baka   Greffière Président
NOUVELLE AFFAIRE
SOCIETE ANONYME D'HABITATIONS A LOYERS MODERES TERRE ET FAMILLE
c. FRANCE
NOUVELLE AFFAIRE 
SOCIETE ANONYME D'HABITATIONS A LOYERS MODERES TERRE ET FAMILLE
c. FRANCE


Synthèse
Formation : Cour (quatrième section)
Numéro d'arrêt : 62033/00
Date de la décision : 17/02/2004
Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE D'EXECUTION, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE, (Art. 8-1) RESPECT DU DOMICILE


Parties
Demandeurs : SOCIETE ANONYME D'HABITATIONS A LOYERS MODERES TERRE ET FAMILLE
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2004-02-17;62033.00 ?

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