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19/02/2004 | CEDH | N°48889/99

CEDH | OCONE contre l'ITALIE


PREMIÈRE SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 48889/99  présentée par Paolo OCONE  contre l’Italie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 19 février 2004 en une chambre composée de :
M. C.L. Rozakis, président,   Mmes F. Tulkens,    N. Vajić,   M. E. Levits,   Mme S. Botoucharova,   MM. A. Kovler,    V. Zagrebelsky, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 20 mai 1999,
Vu les observations soumises par

le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend l...

PREMIÈRE SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 48889/99  présentée par Paolo OCONE  contre l’Italie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 19 février 2004 en une chambre composée de :
M. C.L. Rozakis, président,   Mmes F. Tulkens,    N. Vajić,   M. E. Levits,   Mme S. Botoucharova,   MM. A. Kovler,    V. Zagrebelsky, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 20 mai 1999,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Paolo Ocone, est un ressortissant italien, né en 1937 et résidant à Bénévent. Il est représenté devant la Cour par Mes Silvio Ferrara et Giuseppe La Franceschina, avocats à Bénévent.
Le gouvernement défendeur était représenté par ses agents successifs, respectivement MM. U. Leanza et I.M. Braguglia et ses coagents successifs, MM. V. Esposito et F. Crisafulli.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
A une date non précisée des poursuites furent ouvertes à l’encontre du requérant et de deux autres personnes notamment pour fraude.
Le 24 novembre 1994, les résultats d’une expertise ordonnée par le parquet de Bénévent dans le cadre des investigations préliminaires furent déposés au greffe et ensuite communiqués aux inculpés.   
Le 24 mars 1995, le parquet de Bénévent demanda le renvoi en jugement des inculpés.
Le 27 mars 1995, le juge des investigations préliminaires fixa la date de l’audience préliminaire au 31 octobre 1995. Le jour venu, l’affaire fut renvoyée à la demande de l’avocat de l’un des coinculpés au 4 juin 1996.
Le 4 juin 1996, le juge des investigations préliminaires renvoya le requérant en jugement devant le tribunal de Bénévent pour l’audience du 19 mai 1997 et prononça un non-lieu pour ses deux coïnculpés.
Le 19 mai 1997, l’audience fut reportée au 19 mai 1998 en raison d’un empêchement du requérant.   
Le 19 mai 1998, l’audience fut reportée au 26 octobre 1998 en raison de la nécessité de donner la priorité à l’examen d’une affaire plus ancienne.
Le 26 octobre 1998, l’audience fut reportée au 1er mars 1999 en raison d’une grève des avocats.
Le 1er mars 1999, l’audience fut reportée au 8 avril 1999 en raison de l’absence d’un témoin.
Le 8 avril 1999, le tribunal de Bénévent déclara que les faits constitutifs de l’infraction de fraude étaient prescrits.
Le 6 mai 1999, le parquet interjeta appel devant la cour d’appel de Naples.
Par une décision du 16 mars 2000, déposée au greffe le 22 mars 2000, la cour d’appel confirma le jugement du tribunal de première instance. Cette décision acquit autorité de la chose jugée le 30 mars 2000.
Le 18 juin 2001, la Cour informa le requérant de l’entrée en vigueur, le 18 avril 2001, de la loi no 89 du 24 mars 2001 (dite « loi Pinto »), qui a introduit dans le système juridique italien une voie de recours contre la durée excessive des procédures judiciaires.
Par une lettre du 5 juillet 2001, le requérant informa la Cour qu’il avait introduit une demande d’indemnisation au sens de la « loi Pinto » devant la cour d’appel de Rome et demanda la suspension de l’examen de sa requête par la Cour jusqu’à la fin de cette procédure.
Le 6 juillet 2001, le requérant saisit donc la cour d’appel de Rome au sens de la « loi Pinto », afin de se plaindre de la durée excessive de la procédure décrite ci-dessus. Il demanda à la cour de dire qu’il y avait eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de condamner le gouvernement italien au dédommagement des préjudices matériels et moraux subis.
Par une décision du 15 octobre 2001, déposée au greffe le 30 octobre 2001, la cour d’appel rejeta la demande d’indemnisation du requérant au motif que la durée de la procédure en question ne se révélait pas déraisonnable.
La cour d’appel estima que la procédure avait débuté le 27 mars 1995, par le renvoi en jugement du requérant, et s’était terminée le 15 mars 2000, lorsque la décision du tribunal fut prononcée.
En tout état de cause, selon la cour d’appel, le requérant n’avait subi aucun dommage mais, au contraire, avait bénéficié de la durée de la procédure, l’action publique s’étant prescrite.
Le requérant se pourvut donc en cassation en faisant valoir que la période à prendre en considération allait du 24 novembre 1994, lorsque le parquet de Bénévent avait communiqué les résultats de l’expertise, au 30 mars 2000, lorsque la décision de la cour d’appel avait acquis autorité de la chose jugée. Il demanda également  à la Cour de cassation  de  se  conformer à la jurisprudence de la Cour européenne.
Par une décision du 4 juillet 2001, déposée au greffe le 19 décembre 2002, la Cour de cassation rejeta le pourvoi, la cour d’appel ayant bien évalué les faits de la cause et sa décision étant logique, motivée et sans contradiction.
Par une lettre du 21 février 2003, le requérant informa la Cour du résultat de la procédure interne et demanda la reprise de l’examen de sa requête.
B.  Le droit interne pertinent
Le droit interne pertinent est décrit dans les décisions Brusco c. Italie, no 69789/01, CEDH 2001-IX.
GRIEFS
1. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaignait  originairement de la durée de la procédure.
2. Après le recours « Pinto », il se plaint également de la durée de la procédure « Pinto ».  
3. Invoquant l’article 13 de la Convention, il se plaint de l’ineffectivité du remède « Pinto ».
4. Invoquant l’article 19 de la Convention au regard du remède « Pinto », il se plaint du fait que la Cour de cassation considère que les arrêts de la Cour européenne ne sont pas contraignants pour les juges italiens.
5. Invoquant l’article 53 de la Convention au regard du remède « Pinto », le requérant se plaint enfin du fait que dans l’interprétation de la Cour de cassation le droit au « délai raisonnable » n’est pas considéré comme un droit fondamental.
EN DROIT
1. Le premier grief du requérant porte à l’origine sur l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) ».
Quant à la prétendue durée de la procédure, le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Après l’entrée en vigueur de la « loi Pinto », le Gouvernement excipa du non-épuisement des voies de recours internes.
Le requérant fait valoir que la procédure litigieuse a débuté le 24 novembre 1994, lorsque les résultats de l’expertise ordonnée par le parquet de Bénévent furent déposés, et s’est terminée le 30 mars 2000, lorsque la décision de la cour d’appel avait acquis l’autorité de la chose jugée.
a) Point de départ de la période à prendre en considération
La Cour rappelle que la période à prendre en considération au regard de l’article 6 § 1 débute dès qu’une personne est formellement accusée ou lorsque les soupçons dont elle est l’objet ont des répercussions importantes sur sa situation, en raison des mesures prises par les autorités de poursuite (voir, parmi d’autres, l’arrêt Metzger c. Allemagne, no 37591/97, § 31, 31.05.2002). Ainsi, « il peut s’agir d’une date antérieure à la saisine de la juridiction de jugement, celle notamment (...) de l’arrestation, de l’inculpation ou de l’ouverture des enquêtes préliminaires (...). Si l’accusation au sens de l’article 6 § 1 peut en général se définir comme la notification officielle, émanant de l’autorité compétente, du reproche d’avoir accompli une infraction pénale, elle peut dans certains cas revêtir la forme d’autres mesures impliquant un tel reproche et entraînant elles aussi des répercussions importantes sur la situation du suspect » (ibid.). 
En l’espèce, la Cour relève que le 24 novembre 1994, les résultats d’une expertise ordonnée par le parquet de Bénévent dans le cadre des investigations préliminaires sur les faits que le requérant était soupçonné d’avoir commis furent déposés au greffe et ensuite communiqués aux parties.
La Cour estime, dès lors, que le point de départ de la période à considérer se situe à cette date (voir, Maurano c. Italie, no 43350/98, § 21 ; Raimondo c. Italie, no 12954/87, série A no 281-A, p. 20, § 42).
b) Fin de la période à examiner
Quant au terme du « délai » à examiner, il se situe le 30 mars 2000, lorsque la décision de la cour d’appel a acquis l’autorité de la chose jugée (voir, Patane c.Italie, no 29898/96, § 17, 01.03.2001). 
c) Durée globale à prendre en compte
La durée à examiner sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention atteint donc cinq ans et quatre mois pour deux degrés de juridiction.
d) Le caractère raisonnable de la durée de la procédure
La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II).
La Cour relève que l’affaire revêtait une certaine complexité eu égard notamment à la nature des incriminations qui a déterminé la nécessité d’une expertise.
Elle observe ensuite que les périodes du 31 octobre 1995 au 4 juin 1996, du 19 mai 1997 au 19 mai 1998 et du 26 octobre 1998 au 1er mars 1999  ont entraîné un retard global d’environ deux ans en raison respectivement de la demande de l’avocat de l’un des coinculpés, d’un empêchement du requérant, d’une grève des avocats et de l’absence d’un témoin.
Ces événements, constituent des faits objectifs non imputables à l’Etat et à prendre en compte pour répondre à la question de savoir si la procédure a ou non dépassé le délai raisonnable de l’article 6 § 1 (voir, l’arrêt Maurano c. Italie, no 43350/98, § 25, du 26 avril 2001 et l’arrêt Matera c. Italie, nº 43635/98, § 23, 26.04.2001).
Quant au comportement des autorités saisies, la Cour relève les périodes d’inactivité suivantes : du 27 mars 1995 au 31 octobre 1995, soit le délai pour la fixation de l’audience préliminaire ; du 4 juin 1996 au 19 mai 1997, soit le délai entre le renvoi en jugement du requérant et l’audience devant le tribunal de Bénévent ; du 19 mai 1998 au 26 octobre 1998, lorsque l’audience fut reportée en raison de la nécessité de donner la priorité à l’examen d’une affaire plus ancienne.
La Cour relève là une période de retard imputable à l’Etat d’environ deux ans.
Au vue de ce qui précède et compte tenu des circonstances particulières du cas d’espèce, la Cour considère, conformément à sa jurisprudence en la matière, qu’une durée totale de cinq ans et quatre mois pour deux degrés de juridiction ne saurait passer pour déraisonnable (voir, Messeni Nemagna c. Italie (déc.), nº 46736/99, 22.03.2001 ; Spada c. Italie (déc.), no 47028/99, 16.12.1999).
Il s’ensuit que, même si l’évaluation des faits diffère de celle proposée par la cour d’appel et par la Cour de cassation notamment en ce qui concerne la période globale à examiner, le grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2. Selon le requérant la durée de la procédure « Pinto » ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :  
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
La Cour rappelle que l’article 6 § 1 de la Convention trouve à s’appliquer en l’espèce (voir, Pelli c. Italie (déc.), no 19537/02, 13.11.2003).
La Cour observe que la période à considérer a débuté le 6 juillet 2001, lorsque le requérant saisit la cour d’appel de Rome, et s’est terminée le 19 décembre 2002, lorsque l’arrêt de la Cour de cassation fut déposé au greffe.
Elle a donc duré un an et cinq mois pour deux degrés de juridiction.
Compte tenu des circonstances particulières de l’affaire, la Cour estime que cette durée n’est pas suffisamment importante pour que l’on puisse conclure à une apparence de violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Il s’ensuit que le grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
3. Le requérant allègue la violation de l’article 13 de la Convention qui dispose :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
La Cour rappelle que cette disposition exige un recours effectif pour les seules plaintes que l’on peut estimer « défendables » au regard de la Convention (voir, Guidi c. Italie (déc.), no 36737/97, du 27 février 2002).
Ayant considéré irrecevables les deux premiers griefs comme étant manifestement mal fondés, la Cour estime que le requérant n’avait pas de grief défendable de violation de son droit à un recours effectif au sens de l’article 13. Dès lors, elle ne relève aucune apparence de violation de cette disposition.
Il s’ensuit que le grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
4. Le requérant se prétend victime d’une violation de l’article 19 de la Convention qui dispose :
« Afin d’assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties contractantes de la présente Convention et de ses protocoles, il est institué une Cour européenne des Droits de l’Homme, ci-dessous nommée "la Cour". Elle fonctionne de façon permanente. »
Le requérant conteste le fait que la Cour de cassation considère que les arrêts de la Cour européenne ne sont pas contraignants pour les juges italiens et que le droit au « délai raisonnable » doit être interprété à la lumière des catégories logiques et conceptuelles de droit interne. Selon le requérant,  le refus,  opposé par les cours nationales  à son encadrement dogmatique de la question,  est le clair symptôme du fait que les institutions italiennes violent la jurisprudence de la Cour et les obligations internationales auxquelles elles ont souscrites en signant et ratifiant la Convention. Ce qui rend inutile le remède « Pinto ».   
La Cour estime que le requérant se plaint en fait de l’inefficacité du remède « Pinto ». Le grief est donc absorbé par celui tiré de l’article 13 de la Convention.
Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
5. Le requérant allègue enfin la violation de l’article 53 de la Convention, ainsi libellé :
« Aucune des dispositions de la présente Convention ne sera interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales qui pourraient être reconnus conformément aux lois de toute Partie contractante ou à toute autre Convention à laquelle cette Partie contractante est partie. »
Le requérant s’oppose à l’interprétation dogmatique et exégétique  proposée par la Cour de cassation selon laquelle le droit au « délai raisonnable » n’est pas un droit fondamental.
La Cour estime que le requérant se plaint en fait de l’inefficacité du remède « Pinto ». Le grief est donc absorbé par celui tiré de l’article 13 de la Convention.
Il s’ensuit que cette partie de la requête est également manifestement mal fondée et doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Søren Nielsen Christos Rozakis   Greffier Président
DÉCISION OCONE c. ITALIE
DÉCISION OCONE c. ITALIE 


Synthèse
Formation : Cour (quatrième section)
Numéro d'arrêt : 48889/99
Date de la décision : 19/02/2004
Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE D'EXECUTION, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE, (Art. 8-1) RESPECT DU DOMICILE


Parties
Demandeurs : OCONE
Défendeurs : l'ITALIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2004-02-19;48889.99 ?

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