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19/02/2004 | CEDH | N°53640/00

CEDH | BAUCHER contre la FRANCE


TROISIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 53640/00  présentée par Gilles BAUCHER  contre la France
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant le 19 février 2004 en une chambre composée de :
MM. I. Cabral Barreto, président,    J.P. Costa
L. Caflisch,    P. Kūris,    J. Hedigan,   Mmes M. Tsatsa-Nikolovska,    H.S. Greve, juges,  et de M. M. Villiger, greffier adjoint de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 20 octobre 1999,
Vu les observati

ons soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoi...

TROISIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 53640/00  présentée par Gilles BAUCHER  contre la France
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant le 19 février 2004 en une chambre composée de :
MM. I. Cabral Barreto, président,    J.P. Costa
L. Caflisch,    P. Kūris,    J. Hedigan,   Mmes M. Tsatsa-Nikolovska,    H.S. Greve, juges,  et de M. M. Villiger, greffier adjoint de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 20 octobre 1999,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, Gilles Baucher, est un ressortissant français, né en 1963 et résidant à Paris. Il est représenté devant la Cour par  Me Grégoire Triet, avocat à Paris.
A.  Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant exerce la profession de directeur du marketing au sein de la société France Quick, société de restauration rapide ayant son siège social à Bagnolet.
Le 10 novembre 1995, deux inspectrices de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) constatèrent dans un restaurant à l'enseigne Quick situé à Besançon : « d'une part la présence d'affiches publicitaires dont le graphisme représentait un produit dénommé « swiss'n toast » fabriqué avec deux tranches d'emmental, le texte desdites annonces et le tarif précisant qu'il s'agissait d'un produit fabriqué avec de l'emmental fondu ; d'autre part la mise en vente de produits dénommés « quick'n toast » et « swiss'n swiss », pour lesquels le tableau d'affichage indiquait qu'ils étaient préparés avec de l'emmental fondu ». Ces constatations furent consignées dans un procès-verbal de délit en date du 12 juin 1997.
Le 26 novembre 1998, le requérant fut cité à l'audience du 20 janvier 1999 du tribunal correctionnel de Besançon, pour y répondre des délits de publicité mensongère et de tromperie sur la qualité d'une marchandise. Il lui était reproché d'avoir effectué une publicité de nature à induire en erreur sur l'utilisation de fromage emmental suisse dans la composition des produits dénommés « swiss'n toast », « quick'n toast » et « swiss'n swiss ».
L'affaire fut renvoyée à l'audience du 24 mars 1999, à laquelle la société France Quick fut citée en tant que civilement responsable du requérant.
Dans ses conclusions écrites devant le tribunal correctionnel, le requérant souleva la prescription de l'action publique, demanda au tribunal de dire les infractions non constituées et de débouter les parties civiles - deux associations de consommateurs - de leurs demandes.
A l'issue des débats tenus à l'audience publique du 24 mars 1999, à laquelle le requérant comparut assisté de son avocat, le tribunal correctionnel informa les parties que le jugement serait prononcé le 23 avril 1999, conformément aux dispositions de l'article 462 du code de procédure pénale.
Le 23 avril 1999, le président du tribunal ne lut en audience publique que le dispositif du jugement, ainsi rédigé :
« Déclare irrecevables les exceptions relevées relatives à l'action publique développées dans les conclusions écrites ;
1o) Sur l'action publique
Déclare M. Baucher Gilles coupable des faits qui lui sont reprochés ;
Condamne Baucher Gilles à la peine d'amende de 20 000 francs [soit 3050,18 euros];
Dit qu'il sera sursis à la peine d'amende qui vient d'être prononcée contre lui.
(...) déclare France Quick civilement responsable de M. Baucher Gilles ;
2o) Sur l'action civile [les mêmes termes et sommes étant repris pour les deux parties civiles]
Reçoit l'Association (...) en sa constitution de partie civile ;
Déclare Baucher Gilles et France Quick responsables du préjudice subi par l'Association (...) ;
Condamne solidairement Baucher Gilles et France Quick à payer à l'Association (...) la somme de 3 000 francs [soit 457,53 euros] à titre de dommages et intérêts ;
Et à verser la somme de 1 500 francs [soit 228,76 euros] au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale. »
Le délai de dix jours pendant lequel le requérant pouvait faire appel commença à courir le jour même et expira le 3 mai suivant.
Le jour où le jugement fut rendu, c'est-à-dire le 23 avril 1999, l'avocat du requérant, dont le cabinet est à Paris (alors que le tribunal est à Besançon, mais il disposait sur place d'un confrère correspondant), adressa une lettre au greffe afin d'obtenir copie du jugement pour connaître sa motivation.
Le 30 avril 1999, soit quelques jours avant l'expiration du délai d'appel, l'avocat du requérant écrivit une seconde lettre aux même fins, adressée cette fois au vice-président du tribunal de grande instance de Besançon qui avait présidé l'audience du 24 mars 1999. Dans cette lettre, l'avocat relatait une conversation téléphonique avec une greffière du tribunal, qui lui aurait   indiqué que le jugement prononcé le 23 avril 1999 n'était pas rédigé, ni dactylographié, et que « s'il y [avait] des appels, ils (les jugements) [étaient] parfois motivés ».
L'avocat réitéra sa demande de copie du jugement et indiqua transmettre copie de sa lettre au premier président de la cour d'appel de Besançon.
Le 3 mai 1999, le délai d'appel expira, sans qu'appel fût interjeté.
Le 7 mai 1999, le tribunal expédia la copie du jugement à l'avocat, qui la reçut le 11 mai suivant. La condamnation du requérant était motivée ainsi :
« Attendu que les clichés photographiques établis par les inspectrices corroborent les constatations [consignées dans le procès-verbal du 12 juin 1997] et montrent que quatre affiches différentes représentaient le produit « Swiss'n Toast » incorporant deux tranches d'emmental ; que le texte de deux de ces affiches mentionne qu'il s'agit d'emmental fondu ;
Attendu qu'il ressort des vérifications de la DGCCRF et des explications données par la société QUICK que l' « emmental fondu » était une préparation fabriquée en Allemagne et ne contenant que 50 % à 55 % d'emmental fondu ;
Attendu que l'article 7 de la convention de Stresa autorise l'emploi de la dénomination d'emmental fondu pour les fromages fondus contenant au moins 75% d'emmental ; que par ailleurs l'article 4 et l'annexe B de ce même texte réservent l'appellation d'emmental, sans indication du pays d'origine, aux seuls fromages fabriqués en Suisse ;
Attendu qu'en présentant, sur les affiches et sur le tarif, comme étant de l'emmental fondu un produit qui ne pouvait être commercialisé ni sous la dénomination d'emmental, ni sous celle d'emmental fondu, les dirigeants de la société QUICK FRANCE ont commis le délit de publicité mensongère ;
Que l'hypothèse, qui n'est pas démontrée en l'espèce, selon laquelle la préparation importée d'Allemagne serait confectionnée avec de l'emmental provenant de Suisse n'enlève pas le caractère mensonger de la publicité et n'autorise pas l'emploi des termes « emmental fondu » ;
Attendu qu'eu égard à l'ancienneté de la convention de Stresa et à la spécificité des produits préparés par la société QUICK, le responsable de cette publicité ne pouvait ignorer les prescriptions relatives à l'emploi de la dénomination « emmental fondu » ;
Qu'en l'utilisant à tort, accolée aux appellations « Swiss'n Toast » et « Swiss'n Swiss » destinées à conforter l'idée que le produit était d'origine suisse, ce même responsable a commis le délit de tromperie sur le nature, l'origine, la composition ou l'identité du produit ;
Attendu que le 29 mai 1998, BAUCHER a précisé aux policiers qu'il reconnaissait avoir lancé la publicité correspondant aux affiches qui lui étaient présentées et a confirmé la teneur de la correspondance de la société QUICK précisant qu'il était le ou l'un des responsables des infractions dans le domaine de la communication ;
Qu'en conséquence, la responsabilité des faits objet de la poursuite lui est imputable (...) »
Le tribunal rejetait en outre l'exception de prescription de l'action publique soulevée par le requérant comme étant tardive.
Le 11 mai 1999, le premier président de la cour d'appel de Besançon répondit à la lettre de l'avocat du requérant du 30 avril 1999, lui rappelant que « les formalités de l'article 486 du code de procédure pénale [n'étaient] pas prescrites à peine de nullité par principe ».
B.  Le droit et la pratique internes pertinents
1.  Le code de procédure pénale
Article 462
« Le jugement est rendu soit à l'audience même à laquelle ont eu lieu les débats, soit à une date ultérieure.
Dans ce dernier cas, le président informe les parties présentes du jour où le jugement sera prononcé. »
Article 498
« (...) l'appel est interjeté dans le délai de dix jours à compter du prononcé du jugement contradictoire (...) »
Article 485
«  Tout jugement doit contenir des motifs et un dispositif.
Les motifs constituent la base de la décision.
Le dispositif énonce les infractions dont les personnes citées sont déclarées coupables ou responsables, ainsi que la peine, les textes de loi appliqués, et les condamnations civiles.
Il est donné lecture du jugement par le président ou par l'un des juges ; cette lecture peut être limitée au dispositif (...) »
Article 486
«  (...) Après avoir été signée par le président et le greffier, la minute est déposée au greffe du tribunal dans les trois jours au plus tard du prononcé du jugement (...) »
Article 500
«  En cas d'appel d'une des parties pendant les délais ci-dessus, les autres parties ont un délai supplémentaire de cinq jours pour interjeter appel. »
Article 500-1
(issu de la loi no 2000-516 du 15 juin 2000, applicable à compter du 1er janvier 2001)
«  Lorsqu'il intervient dans un délai d'un mois à compter de l'appel, le désistement par le prévenu ou la partie civile de son appel principal entraîne la caducité des appels incidents, y compris celui du ministère public. Constitue un appel incident l'appel formé, à la suite d'un précédent appel, dans le délai prévu par l'article 500, ainsi que l'appel formé, à la suite d'un précédent appel, dans les délais prévus par les articles 498 ou 505, lorsque l'appelant précise qu'il s'agit d'un appel incident. Dans tous les cas, le ministère public peut toujours se désister de son appel formé après celui du prévenu en cas de désistement de celui-ci. »
Article 515
« La cour peut, sur l'appel du ministère public, soit confirmer le jugement, soit l'infirmer en tout ou en partie dans un sens favorable ou défavorable au prévenu.
La cour ne peut, sur le seul appel du prévenu, du civilement responsable, de la partie civile ou de l'assureur de l'une de ces personnes, aggraver le sort de l'appelant. »
2.  La jurisprudence
Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, l'absence de dépôt de la minute, c'est-à-dire d'un exemplaire du jugement, n'entraîne pas la nullité du jugement (Cass. crim. 12 mai 1971, Dalloz 1971, sommaire, p.165 ; Cass. crim. 14 novembre 1996). De plus, le dépôt au-delà du délai de trois jours n'entraîne pas la nullité du jugement, lorsque le prévenu n'en a subi aucun préjudice (Cass. crim. 27 novembre 1984, Bulletin crim. no 370 ; Cass. crim. 21 mars 1995, Bulletin crim. no 115 ; Cass. crim. 4 février 1998 ; Cass. crim. 6 septembre 2000 ; Cass. crim. 4 avril 2002).
GRIEFS
1.  Invoquant l'article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention, le requérant se plaint de ce que le jugement rendu n'ait pas été motivé dans le délai imparti pour faire appel, ce qui équivaut pour lui à une absence de motivation. Il se plaint de l'atteinte aux droits de la défense en découlant.
2.  Sous l'angle de l'article 2 du Protocole no 7, il se plaint de ce que n'ayant pas eu connaissance de la motivation du jugement avant l'expiration du délai d'appel, il ne pouvait apprécier l'opportunité d'un appel. Il estime de ce fait avoir été privé d'un double degré de juridiction.
EN DROIT
Invoquant les articles 6  §§ 1 et 3 b) et 2 du Protocole no 7, le requérant se plaint de n'avoir pas eu connaissance de la motivation du jugement le condamnant avant l'expiration du délai d'appel. Il soutient que l'impossibilité en découlant d'apprécier l'opportunité d'un appel l'a privé d'un double degré de juridiction.
1.  Sur l'exception préliminaire du Gouvernement
Le Gouvernement soulève à titre principal une exception d'irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il relève que le requérant n'a pas interjeté appel du jugement du tribunal correctionnel. Il rappelle que lorsqu'est invoqué devant elle le non respect de l'article 486 du code de procédure pénale, la Cour de cassation vérifie que le dépôt tardif de la minute n'a pas causé de préjudice à celui qui s'en prévaut et a notamment conclu à l'absence de préjudice lorsque le recours avait pu être exercé dans le délai légal malgré cette irrégularité (Cass. crim. 23 mars 1994, concernant un pourvoi en cassation ; Cass. crim. 18 avril 2000, concernant un appel). Le Gouvernement soutient que le requérant aurait pu se prévaloir devant la cour d'appel, puis la Cour de cassation, de l'impossibilité pour lui de faire appel dans le délai légal faute d'avoir eu connaissance de la motivation du jugement. Dans ce cas, la cour d'appel aurait pu prononcer la nullité du jugement puis évoquer l'affaire, c'est-à-dire la rejuger en fait et en droit. Le Gouvernement ajoute que le dispositif du jugement lu à l'audience du 23 avril 1999 contenait les informations suffisantes pour décider d'un appel et que le risque de voir aggraver la peine fait partie de ceux que doit prendre en compte le prévenu même lorsqu'il a eu connaissance à temps de la motivation du jugement. Il en conclut qu'en s'abstenant en connaissance de cause d'exercer une voie de recours utile au redressement des violations de la Convention alléguées, le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes.
Le requérant fait valoir que la lecture de la jurisprudence interne montre qu'un prévenu qui interjette appel ou forme un pourvoi en cassation en invoquant l'absence de connaissance de la motivation du jugement dans le délai d'appel est toujours débouté, les juridictions françaises considérant que la connaissance de cette motivation même postérieure à l'exercice de la voie de recours suffit à écarter tout grief. Il estime qu'en faisant appel, il prenait le risque de voir sa peine aggravée par la cour d'appel à la suite de l'appel incident du ministère public (article 515, premier alinéa, du code de procédure pénale) et que l'évaluation de ce risque nécessitait de connaître les raisons de sa condamnation. Il conteste la possibilité d'un redressement efficace de la violation alléguée puisque, comme l'a rappelé le président de la cour d'appel de Besançon en l'espèce ainsi que le Gouvernement, les formalités de l'article 486 du code de procédure pénale ne sont pas prescrites à peine de nullité. De plus, en supposant que la cour d'appel ait annulé le jugement déféré pour violation de l'article 486, elle aurait alors évoqué l'affaire au fond et aurait pu là aussi aggraver la peine.
Rappelant la jurisprudence de la Cour relative à l'article 35 de la Convention (notamment Keegan c. Irlande, arrêt du 26 mai 1994, série A no 290 ; Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, CEDH 1999-II), le requérant considère en conclusion qu'il ne disposait pas d'un recours effectif propre à redresser les violations alléguées.
La Cour considère que la question de l'épuisement des voies de recours soulevée par le Gouvernement est liée à l'examen du bien-fondé des griefs dans la mesure où le requérant se plaint précisément de ne pas avoir pu interjeter appel du jugement le condamnant en connaissance de cause, faute d'avoir eu connaissance des motifs de ce jugement. Elle décide en conséquence de joindre l'examen de l'exception d'irrecevabilité à l'examen au fond de la requête.
2.  Sur le bien-fondé des griefs
a)  Grief tiré de l'article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention
Le requérant se plaint de l'absence de motivation du jugement du tribunal correctionnel avant l'expiration du délai d'appel et de l'atteinte aux droits de la défense en découlant. Il invoque l'article 6  §§ 1 et 3 b) de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)
3.  Tout accusé a droit notamment à : (...)
b)  disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; (...) »
Dès lors que les exigences du paragraphe 3 de l'article 6 s'analysent en des éléments particuliers du droit à un procès équitable, garanti par le paragraphe 1, la Cour examinera le grief du requérant sous l'angle des deux textes combinés (voir, parmi d'autres, l'arrêt Vacher c. France du 17 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, p. 2147, § 22).
Citant la jurisprudence de la Cour (Ruiz Torija c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 303-A ; Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A no 288 ; Jahnke et Lenoble c. France (déc.), no 40490/98, CEDH 2000-IX), le Gouvernement rappelle à titre liminaire que l'obligation de motiver les jugements constitue une règle d'ordre public en droit français qui s'impose à toutes les juridictions. Il reconnaît « qu'il peut arriver (...) que la rédaction complète du jugement soit établie après que les parties ont décidé d'interjeter appel », mais considère que cette pratique peut être rapprochée de celle des jugements en forme abrégée des juridictions néerlandaises et examinée par la Cour dans son arrêt Zoon c. Pays-Bas (no 29202/95, § 18, CEDH 2000-XII).
Le Gouvernement estime que le dispositif du jugement, bien que succinct, répondait à l'ensemble des moyens développés par le requérant dans ses conclusions, en l'informant du rejet de ses prétentions et que la motivation délivrée par la suite par le tribunal a complété et précisé la solution adoptée. Il relève l'importance toute relative de l'affaire eu égard à la peine très modérée infligée au requérant et considère que l'obligation de motivation qui découle de l'article 6 de la Convention a été respectée par le tribunal correctionnel.
Le requérant fait valoir que la lecture du dispositif telle que prévue par l'article 485 du code de procédure pénale doit être complétée par la rédaction du jugement en son entier au plus tard dans les trois jours du prononcé de la décision. Il souligne qu'il a plusieurs fois par l'intermédiaire de son avocat, ainsi que par l'intermédiaire d'un avocat sur place à Besançon, tenté d'obtenir une copie du jugement ou du moins de sa motivation avant l'expiration du délai d'appel afin d'évaluer les chances de succès d'un appel et que ces efforts sont restés sans effet. Le requérant relève à cet égard que le Gouvernement reconnaît lui-même que certaines juridictions françaises ne motivent leur jugement que lorsqu'une partie a décidé d'interjeter appel de la décision rendue, en contradiction avec l'article 485 précité. Il affirme que les motifs du jugement étaient nécessaires à la compréhension du dispositif, celui-ci ne précisant notamment pas chacune des infractions pour lesquelles il était poursuivi.
Enfin, le requérant distingue sa situation de celle de l'arrêt Zoon c. Pays-Bas, où le requérant pouvait non seulement obtenir une copie du jugement dans le délai d'appel par simple demande au greffe, ce qu'il avait omis de faire, mais pouvait aussi interjeter appel à titre conservatoire et se désister ensuite afin de mettre un terme à l'action.
La Cour estime que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui nécessitent un examen au fond. Dès lors, il ne saurait être déclaré manifestement mal fondé en application de l'article 35 § 3 de la Convention. En outre, la Cour ne discerne aucun autre motif d'irrecevabilité.
b)  Grief tiré de l'article 2 du Protocole no 7
Le requérant se plaint de ce que l'absence de motivation du jugement dans le délai d'appel l'a empêché d'interjeter appel en connaissance de cause, ce qui l'a privé d'un double degré de juridiction. Il invoque l'article 2 du Protocole no 7, qui dispose :
« 1.  Toute personne déclarée coupable d'une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation. L'exercice de ce droit, y compris les motifs pour lesquels il peut être exercé, sont régis par la loi.
2.  Ce droit peut faire l'objet d'exceptions pour des infractions mineures telles qu'elles sont définies par la loi ou lorsque l'intéressé a été jugé en première instance par la plus haute juridiction ou a été déclaré coupable et condamné à la suite d'un recours contre son acquittement. »
Le Gouvernement rappelle que le dépôt de la minute du jugement au greffe du tribunal dans les trois jours de son prononcé (prévu par l'article 486 du code de procédure pénale) n'est pas prescrit sous peine de nullité du jugement et que le requérant disposait des éléments nécessaires et essentiels pour apprécier l'opportunité d'un appel après la lecture du dispositif à l'audience du 23 avril 1999. En cela, la situation du requérant se distinguait de celle d'un justiciable souhaitant former un pourvoi en cassation, le texte intégral du jugement étant nécessaire à la formulation de moyens de cassation (Aepi S.A. c. Grèce, no 48679/99, 9 avril 2002).
Le Gouvernement souligne en outre que le requérant avait la possibilité de se désister de son appel après avoir pris connaissance de la motivation du tribunal correctionnel. Il considère que l'absence d'effet du désistement sur l'appel incident éventuellement formé par le ministère public, invoquée par le requérant comme pouvant entraîner l'aggravation de la peine prononcée, ne peut justifier en soi son refus d'interjeter appel. En effet, d'une part il s'agit d'un risque inhérent à tout appel, et d'autre part, il n'existe ni obligation pour le ministère public d'interjeter appel (Zoon précité, §§ 39 et 45), ni obligation pour la cour d'appel de procéder le cas échéant à une aggravation de la peine. Le Gouvernement en conclut que ces éléments ne sont pas déterminants pour justifier l'abstention volontaire du requérant de former appel, et que ce dernier s'est privé de son seul fait du bénéfice d'un double degré de juridiction.
Le requérant souligne qu'à la date des faits, l'article 500 du code de procédure pénale offrait un délai supplémentaire au ministère public pour interjeter un appel incident sans que son propre désistement postérieur à cette action ait aucun effet sur cet appel incident. Ce n'était pas alors l'article 515, deuxième alinéa, empêchant la cour d'appel de statuer in pejus, qui trouvait à s'appliquer, mais l'article 515, premier alinéa, permettant à la cour d'appel de statuer dans un sens favorable ou défavorable au prévenu et par conséquent, d'aggraver la peine. Il relève que de nos jours, l'article 500-1 du code de procédure pénale permet à l'appelant de se désister de son appel principal dans le délai d'un mois, entraînant la caducité des appels incidents, y compris celui du ministère public, mais que cet article, inséré au code par la loi du 15 juin 2000, n'était pas en vigueur en 1999 et qu'il ne pouvait donc pas en bénéficier lorsque le jugement le condamnant a été rendu. A cette époque, au contraire, la jurisprudence de la Cour de cassation décidait que le désistement de l'appelant principal n'entraînait pas l'irrecevabilité des appels incidents formés dans le délai de l'article 500 (Cass. crim. 19 janvier 1994, Bulletin crim. no 26). Le requérant fait valoir qu'il ne pouvait donc pas interjeter un appel conservatoire pour se désister ensuite, ce désistement ne mettant pas un terme au litige, ce qui l'exposait au risque d'aggravation de sa peine par la cour d'appel. Or, il ne pouvait raisonnablement prendre un tel risque sans connaître la motivation de sa condamnation.
La Cour estime que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui nécessitent un examen au fond. Dès lors, il ne saurait être déclaré manifestement mal fondé en application de l'article 35 § 3 de la Convention. En outre, elle ne discerne aucun autre motif d'irrecevabilité.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Décide de joindre au fond l'exception préliminaire du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes ;
Déclare la requête recevable, tous moyens de fond réservés.
Mark Villiger Ireneu Cabral Barreto   Greffier adjoint Président
DÉCISION BAUCHER c. FRANCE
DÉCISION BAUCHER c. FRANCE 


Synthèse
Formation : Cour (quatrième section)
Numéro d'arrêt : 53640/00
Date de la décision : 19/02/2004
Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE D'EXECUTION, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE, (Art. 8-1) RESPECT DU DOMICILE


Parties
Demandeurs : BAUCHER
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2004-02-19;53640.00 ?

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