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11/03/2004 | CEDH | N°70626/01

CEDH | AFFAIRE MANIOS c. GRECE


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE MANIOS c. GRÈCE
(Requête no 70626/01)
ARRÊT
STRASBOURG
11 mars 2004
DÉFINITIF
11/06/2004
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Manios c. Grèce,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. P. Lorenzen, président,    C.L. Rozakis,    G. Bonello,   Mmes F. Tulkens,    N. Vajić,   M. E. Levits,   Mm

e S. Botoucharova, juges,  et de M. S. Nielsen, greffier de Section,
Après en avoir délibéré en chambre du consei...

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE MANIOS c. GRÈCE
(Requête no 70626/01)
ARRÊT
STRASBOURG
11 mars 2004
DÉFINITIF
11/06/2004
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Manios c. Grèce,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. P. Lorenzen, président,    C.L. Rozakis,    G. Bonello,   Mmes F. Tulkens,    N. Vajić,   M. E. Levits,   Mme S. Botoucharova, juges,  et de M. S. Nielsen, greffier de Section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 17 octobre 2002 et 19 février 2004,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 70626/01) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Nikolaos Manios (« le requérant ») a saisi la Cour le 30 juin 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant est représenté par Me D. Nikopoulos, avocat à Salonique et Me I. Prousanides, avocat à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. S. Spyropoulos, assesseur auprès du Conseil Juridique de l'Etat et Mme M. Papida, auditrice auprès du Conseil Juridique de l'Etat.
3.  Le requérant se plaignait, en particulier, de la durée d'une procédure administrative.
4.  La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement. Le 18 octobre 2001, la chambre a décidé de communiquer au gouvernement défendeur le grief tiré de la durée de la procédure et celui tiré du droit au respect des biens (article 54 § 2 b du règlement) et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus.
5.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1).
6.  Par une décision finale du 17 octobre 2002, la chambre a déclaré recevable le grief tiré de la durée de la procédure et irrecevable le restant de la requête.
7.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
8.  Le requérant est un ressortissant grec, né en 1947 et résidant à Athènes.
9.  Le requérant est un médecin de l'ESY et membre de l'EINAP. Selon l'article 24 § 2 de la loi no 1397/1983, les médecins de l'ESY sont des fonctionnaires. L'article 29 § 2 de cette loi prévoit une indemnité pour les heures supplémentaires, fixée selon les dispositions générales en vigueur pour leur calcul.
10.  Par une décision du 14 juin 1991, le ministre de l'Economie fixa le montant de l'indemnité à verser par heure supplémentaire, à partir du 1er juillet 1991, à 1/65e du salaire de base pour le secteur public. Toutefois, par arrêté du 29 juillet 1991, il précisa que la décision précitée ne s'appliquait pas aux médecins de l'ESY, qui restaient soumis aux dispositions de l'article 7 de la loi no 1810/1988 (fixant l'indemnité à 1/100e du salaire de base). Le ministre précisa que cette décision serait publiée au Journal Officiel.
11.  La publication eut lieu le 3 septembre 1991.
12.  Le 16 septembre 1991, le requérant introduisit devant le Conseil d'Etat un recours en annulation contre la décision du 29 juillet 1991. Il se plaignait d'un traitement discriminatoire dans la mesure où il percevait, en tant que médecin du secteur public, une indemnité par heure supplémentaire correspondant à 1/100e de son salaire de base alors que celle des autres fonctionnaires s'élevait à 1/65e de celui-ci.
13.  L'audience, initialement fixée au 10 février 1994, fut reportée au 17 février 1994. En raison d'une grève des avocats du barreau d'Athènes, elle fut ajournée à nouveau à trois reprises. Par la suite, elle fut derechef ajournée en raison de la tenue des élections municipales et puis d'office à trois reprises. L'audience eut finalement lieu le 25 mai 1995.
14.  Le 29 février 1996, par un arrêt avant dire droit, le Conseil d'Etat invita l'Etat à déposer des preuves supplémentaires. Il constata que la loi pertinente en matière de publication des décisions fixant l'indemnité des fonctionnaires pour heures supplémentaires prévoyait qu'une telle publication devait se faire par notification aux services compétents et par voie d'affichage à un endroit visible au sein de ces services. Toutefois, comme il ne ressortait pas du dossier si ce mode de publication avait été suivi en l'espèce, il incombait à l'Etat d'en apporter la preuve car un défaut de publication rendait la décision litigieuse sujette à annulation.
15.  Après quatre ajournements, l'audience eut lieu le 13 février 1997.
16.  Le 29 mai 1997, la troisième chambre du Conseil d'Etat déféra l'affaire à la formation plénière de celui-ci. La chambre releva que l'Etat n'était pas en mesure de confirmer que la décision litigieuse avait été affichée à un endroit visible et elle n'avait donc pas d'existence légale. Pour cette raison, examinée d'office par le Conseil d'Etat, la décision « quoique inexistante, était sujette à annulation car sa notification aux services intéressés impliquait son application par ces services ».
17.  L'audience devant la formation plénière se tint le 13 février 1998.
18.  Le 20 décembre 1999, le Conseil d'Etat annula la décision ministérielle du 29 juillet 1991 (arrêt no 4108/1999). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 31 décembre 1999. Le requérant en eut connaissance le 21 janvier 2000.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
19.  Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A.  Période à prendre en considération
20.  La Cour note que la période à prendre en considération débuta le 16 septembre 1991, avec la saisine du Conseil d'Etat, et prit fin le 20 décembre 1999, lorsque le Conseil d'Etat rendit son arrêt. La procédure litigieuse a donc durée 8 ans, 3 mois et 4 jours.
B.  Caractère raisonnable de la durée de la procédure
21.  Le requérant soutient qu'aucun retard dans la procédure ne saurait lui être imputé.
22.  Le Gouvernement affirme qu'entre la saisine du Conseil d'Etat et l'audience du 25 mai 1995, les ajournements accordés étaient de courte durée malgré les difficultés occasionnées par la grève des avocats du barreau, qui dura, avec des interruptions, du 23 janvier 1989 au 30 juin 1994. Cette grève aurait eu un caractère imprévisible et exceptionnel et aurait aggravé sensiblement le rôle des tribunaux qui était déjà chargé. Compte tenu de son caractère ponctuel, il n'aurait pas été possible d'adopter des mesures institutionnelles, telles que l'augmentation du nombre des juges. Plusieurs ajournements seraient dus exclusivement à cette grève. La tenue des élections municipales, dont les autorités judiciaires supervisent le déroulement, serait à l'origine d'un autre ajournement. A cela, se seraient ajoutées les vacances judiciaires fixées du 1er juillet jusqu'au 15 septembre, pendant lesquelles seules sont examinées les affaires urgentes, telles celles qui exigent l'adoption de mesures provisoires.
23.  De plus, le Gouvernement avance que le retard de la procédure devant la formation plénière du Conseil d'Etat était dû à une force majeure, notamment l'absence pour des raisons de santé de certains membres de cette juridiction.
24.  Enfin, selon le Gouvernement, le requérant ne demanda pas, comme il en avait le droit, l'accélération de la procédure, en sollicitant notamment la fixation des dates d'audiences dans des délais plus brefs.
25.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure doit s'apprécier notamment à la lumière de la complexité de l'affaire et du comportement du requérant et des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour l'intéressé (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII). En particulier, la Cour relève que le comportement du requérant constitue un élément objectif, non imputable à l'Etat défendeur et qui entre en ligne de compte pour déterminer s'il y a eu ou non dépassement du délai raisonnable de l'article 6 § 1 (Wiesinger c. Autriche, arrêt du 30 octobre 1991, série A no 213, p. 22, § 57 ; Erkner et Hofauer, arrêt du 23 avril 1987, série A no 117, p. 63, § 68). Quant à la responsabilité des autorités judiciaires en la matière, la Cour réaffirme qu'il incombe aux États contractants d'organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d'obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable (Richart-Luna c. France, no 48566/99, § 47, 8 avril 2003 et, en dernier lieu, Signe c. France, no 55875/00, § 37, 14 octobre 2003).
26.  En ce qui concerne les retards provoqués par la grève du barreau, la Cour a déjà jugé qu'une telle grève, à elle seule, ne saurait engager la responsabilité d'un Etat contractant au regard de l'exigence du délai raisonnable ; toutefois, les efforts déployés par celui-ci pour résorber tout retard qui en serait résulté entrent en ligne de compte aux fins du contrôle du respect de cette exigence. La Cour a aussi affirmé qu'elle n'ignorait pas les complications qu'une grève aussi persistante risquait de provoquer quant à l'encombrement du rôle d'une juridiction. Il n'en demeure pas moins qu'aux termes de l'article 6 § 1 les affaires doivent être entendues « dans un délai raisonnable » (Papageorgiou c. Grèce, arrêt du 22 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VI, pp. 2290-2291, §§ 47-48).
27.  En l'espèce, la Cour relève que seuls trois ajournements tirent leur origine de la grève du barreau (paragraphe 13 ci-dessus) et constate qu'ils ne retardèrent pas de manière excessive la procédure. En revanche, la Cour note le délai de près de 2 ans et 5 mois entre la date d'introduction de l'affaire le 16 septembre 1991 (paragraphe 12 ci-dessus) et celle de l'audience fixée au 10 février 1994 (paragraphe 13 ci-dessus), ce qui est un délai important. De plus, après la grève des avocats et l'ajournement lié aux élections municipales, l'audience fut encore ajournée à trois reprises. Quatre autres ajournements intervinrent également après le prononcé du jugement avant dire droit (paragraphe 15). Enfin, lorsque l'affaire fut déférée à la formation plénière, plus de deux ans s'écoulèrent entre le 29 mai 1997, date de la décision de la déférer (paragraphe 16 ci-dessus) et le 20 décembre 1999, celle du prononcé de l'arrêt (paragraphe 18 ci-dessus). De tels délais sont excessifs pour une affaire dans laquelle la procédure avait déjà subi des retards suite à la grève des avocats sur laquelle le Gouvernement fonde l'essentiel de son argumentation. Partant, la Cour n'aperçoit pas en l'espèce les efforts déployés par le Gouvernement pour résorber le retard accusé les premières années de la procédure devant le Conseil d'Etat.
28.  Quant à l'argument du Gouvernement selon lequel le requérant avait omis de solliciter la fixation des dates d'audience dans des délais plus brefs, la Cour relève que le Gouvernement n'a pas démontré que le Conseil d'Etat aurait envisagé de donner priorité à l'affaire du requérant si celui-ci en avait formulé la demande (voir, Stamoulakatos c. Grèce (no 2), arrêt du 26 novembre 1997, Recueil 1997-VII, p. 2647, § 26). Qui plus est, même dans le cas où le Conseil d'Etat aurait été tenu de donner priorité à l'affaire du requérant s'il l'avait demandé, la Cour rappelle que le devoir de diligence dans l'administration de la justice incombe en premier lieu  aux autorités compétentes (Philis c. Grèce (no 2), arrêt du 27 juin 1997, Recueil 1997-IV, p. 1086, § 49). Par conséquent, une éventuelle omission du requérant d'utiliser tout moyen afin d'accélérer la procédure ne supplée pas l'obligation de l'Etat d'organiser son système judiciaire de telle sorte que ses juridictions puissent garantir à chacun le droit d'obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable.
29.  Au vu des considérations qui précèdent, la Cour conclut dès lors, que la cause du  requérant n'a pas été entendue dans un « délai raisonnable » et que, partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
30.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
31.  Le requérant s'en remet à l'appréciation de la Cour et lui laisse le soin de fixer le montant qu'elle jugera équitable au titre de la satisfaction équitable.
32.  Le Gouvernement ne prend pas position.
33.  La Cour estime que le prolongement de la procédure au-delà du « délai raisonnable » a causé au requérant un préjudice moral justifiant l'octroi d'une indemnité. Statuant en équité, comme le veut l'article 41, elle lui alloue à ce titre la somme de 8 000 EUR.
B.  Frais et dépens
34.  Pour ce qui est des frais et dépens se rapportant à la présente procédure, la Cour note que le requérant ne présente pas de demande spécifique à ce titre. Il n'y a donc pas lieu d'allouer une somme à cet égard.
C.  Intérêts moratoires
35.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,
1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
2.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 8 000 EUR (huit mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ladite somme;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 mars 2004 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Peer Lorenzen   Greffier Président
ARRÊT MANIOS c. GRÈCE
ARRÊT MANIOS c. GRÈCE 


Synthèse
Formation : Cour (première section)
Numéro d'arrêt : 70626/01
Date de la décision : 11/03/2004
Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE ADMINISTRATIVE


Parties
Demandeurs : MANIOS
Défendeurs : GRECE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2004-03-11;70626.01 ?

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