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01/04/2004 | CEDH | N°59584/00

CEDH | AFFAIRE RIVAS c. FRANCE


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE RIVAS c. FRANCE
(Requête no 59584/00)
ARRÊT
STRASBOURG
1er avril 2004
DÉFINITIF
01/07/2004
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. 
En l'affaire Rivas c. France,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,
J.-P. Costa,  Mmes F. Tulkens,   N. Vajić,  M. E. Levits,  Mme S. Botoucharova,  M. 

A. Kovler, juges,
et de M. S. Quesada, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du...

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE RIVAS c. FRANCE
(Requête no 59584/00)
ARRÊT
STRASBOURG
1er avril 2004
DÉFINITIF
01/07/2004
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. 
En l'affaire Rivas c. France,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,
J.-P. Costa,  Mmes F. Tulkens,   N. Vajić,  M. E. Levits,  Mme S. Botoucharova,  M. A. Kovler, juges,
et de M. S. Quesada, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 6 mars 2003 et 11 mars 2004,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 59584/00) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Giovanni Rivas (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 juillet 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant est représenté par Me Maître Waquet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, Directeur des Affaires juridiques au Ministère des Affaires étrangères.
3.  Le requérant alléguait en particulier la violation de l'article 3 de la Convention en raison des mauvais traitements subis au cours de sa garde à vue.
4.  La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement).
5. Par une décision du 6 mars 2003, la chambre a déclaré la requête recevable. .
6.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
7.  Le requérant est né en 1979 et réside à Nouméa .
8.  Le 14 janvier 1997, à 11 h 50, le requérant, à l'époque âgé de 17 ans, mesurant 1 m 66 et pesant cinquante kilos, fut interpellé dans le cadre d'une enquête sur un vol avec effraction. Le jeune homme avait déjà eu affaire à la police pour des petits délits, vols et autres.
A 14 h 10, le lieutenant W., de l'unité des flagrants délits du Commissariat central de Nouméa, commença l'audition de l'intéressé.
A 14 h 30, ce policier informa le responsable de son groupe, le capitaine H. (d'une taille de 1 m 61 et d'un poids de 61 kilos), que [le requérant] « niait l'évidence ». Le capitaine H. décida alors d'emmener le jeune homme dans son bureau, afin de le « raisonner ».
Quelques instants plus tard, le fonctionnaire de police lui porta un coup qui l'atteignit aux parties génitales.
Selon les déclarations du requérant, le capitaine H. lui donna, au moment de pénétrer dans le bureau, un coup de poing dans le dos, pour le pousser à l'intérieur. Sous la violence du choc, il aurait fait quelques pas dans le bureau, puis se serait retourné pour parer d'autres coups éventuels. C'est à ce moment que le policier lui aurait porté un violent coup l'atteignant au niveau des testicules.
Selon la version du capitaine H., le requérant serait normalement entré dans son bureau, et se serait assis sur le siège qui lui était indiqué. Lui-même se serait assis à son bureau et aurait tenté de raisonner le mineur. Ce dernier se serait alors énervé, se serait levé et dirigé vers la porte. Le policier aurait rapidement contourné le bureau et attrapé le jeune homme par l'épaule, qui se serait retourné et aurait levé son bras dans la direction du policier. Se sentant menacé, il aurait riposté, en parant le bras du jeune homme avec le sien, et en donnant un coup de genou au niveau des parties génitales.
9.  Dans le procès-verbal de compte rendu établi le 14 janvier 1997, le capitaine H. précisa ceci :
« (...) Nous informons [le requérant] que sa garde à vue serait maintenue s'il persistait à nier les faits. [Le requérant] élève alors le ton, s'agite, vitupère et tape des pieds. Il se lève alors et se tourne vers la porte avec l'intention manifeste de partir en criant qu'il n'avait rien fait. Nous nous levons rapidement et nous précipitons vers lui pour le saisir par le bras gauche. Ainsi empêché, Rivas se retourne vers nous et se met en garde un poing levé. Parons le coup et ripostons en lui donnant un coup de genou qui le touche au bas-ventre ».
10.  Le 15 janvier 1997, interrogé alors qu'il était hospitalisé, le requérant déclara ce qui suit au lieutenant de police W. :
« (...) Le capitaine H. m'a emmené dans son bureau et lorsque l'on y est rentré, il m'a donné un coup dans le dos pour me pousser à l'intérieur. Il n'y avait personne à l'intérieur et il a refermé la porte derrière nous. A ce moment là, je me suis retourné vers lui et il m'a donné un coup de pied droit dans les testicules. Je suis tombé à terre et il m'a dit de me relever mais je ne pouvais pas car j'avais mal. Au bout d'un petit moment, j'ai réussi à me lever et à m'asseoir sur une chaise et là le capitaine m'a donné un verre d'eau. Ensuite le téléphone a sonné dans le bureau et le capitaine H. m'a raccompagné dans votre bureau où j'étais auparavant. J'ai fini d'être entendu par vous mais je n'étais pas bien. Quand on m'a redescendu en cellule de garde à vue, la douleur est devenue de plus en plus forte et me voyant très mal, les policiers m'ont conduit à l'hôpital. On m'y a examiné et on m'a dit que j'avais une fracture testiculaire. J'ai été opéré dans la nuit et maintenant cela va mieux. Je n'ai rien d'autre à ajouter sinon que je verrai avec ma mère pour la suite de cette affaire (...) ».  
11.  Dans un procès-verbal d'audition du capitaine H. en date du 16 janvier 1997, ce dernier déclara :
« Je prends acte du motif de mon audition. Effectivement mon groupe a traité sous mon contrôle à partir du 10 janvier 1997 une affaire de recel de vol. Cette enquête devait amener l'interpellation le 14 janvier [du requérant] suspecté en fait d'être l'auteur principal du cambriolage. Le 14 janvier en début d'après-midi, le lieutenant W. m'indiquait que [le requérant] malgré les témoignages et les preuves recueillies, ne reconnaissait pas les faits. Je décidais donc de prendre quelques instants en aparté dans mon bureau [le requérant] pour le raisonner. J'expliquais donc au requérant qu'il n'obtiendrait certainement pas une mansuétude du tribunal en niant bêtement les faits alors qu'il y avait des preuves formelles contre lui. J'informais encore [le requérant] que son attitude rendrait l'enquête un peu plus longue et que durant ce temps, nous devrions le maintenir en garde à vue. A ces mots, [le requérant] est alors entré en crise ; criant fort qu'il n'avait rien fait, que c'était une affaire montée et que ses copains qui le dénonçaient étaient tous des menteurs. Soudain [le requérant] s'est levé et s'est dirigé vers la porte de mon bureau. Je me suis précité derrière lui et l'ai saisi par le bras. [Le requérant] s'est alors retourné et s'est mis en garde en levant un poing. Il a alors porté dans ma direction un coup de poing que j'ai évité et j'ai riposté en lui portant un coup de genou. Il a alors porté ses mains à son bas ventre et s'est assis en faisant une grimace de douleur. J'ai pensé qu'il jouait la comédie et je lui ai ordonné de se lever. Il s'est donc levé mais restait plié. Je lui ai proposé de se rasseoir et il a accepté le verre d'eau que je lui ai proposé. (...) [Le requérant] est connu de notre service pour de multiples affaires, dans certaines, il avait tenté d'échapper aux forces de police lors de son interpellation. A l'agression physique du [requérant], j'ai réagi d'une manière conforme à ce qui nous est enseigné en self défense. Je n'ai rien d'autre à ajouter ».
12.  Le requérant fut transporté à l'hôpital vers 16 h 15. Le certificat médical du praticien du service des urgences ayant vu le requérant dès son arrivée à l'hôpital fut ainsi établi :
« Je soussigné (...) avoir examiné le requérant qui déclare avoir été victime d'un coup de pied au niveau du testicule gauche. A l'examen constate une importante augmentation de volume du testicule gauche. A l'échographie, il y a fracture testiculaire avec volumineux hématome nécessitant une intervention chirurgicale ».
13.  Le requérant sortit de l'hôpital le 17 janvier 1997. Le certificat médical établi la veille prévoyait une incapacité temporaire de travail (ITT) de sept jours pour le traumatisme testiculaire gauche avec fracture du testicule et réservait la détermination ultérieure d'une éventuelle incapacité permanente partielle.
14.  Le 6 mars 1997, la mère de l'intéressé se présenta au commissariat central de Nouméa, munie d'un certificat médical constatant un « traumatisme testiculaire gauche avec fracture du testicule » qui prévoyait une ITT de sept jours, et déposa une plainte avec constitution de partie civile contre le capitaine H. en tant que représentante légale de son fils mineur.
15.  A la suite d'un réquisitoire introductif du 18 avril 1997 contre le capitaine H. et le requérant, visant des faits de violences volontaires commises par une personne dépositaire de l'autorité publique d'une part, et de rébellion d'autre part, une information fut ouverte de ces chefs.
16.  Le requérant subit un examen échographique le 19 juin 1997 qui fit état de :
« - Nette asymétrie des dimensions des testicules avec
- à droite un testicule normal de 40 mm de longueur 24 mm de large
- à gauche un testicule de moindre volume mesurant 25 mm de long 15 mm de large (...) ».
17.  Dans un autre procès-verbal daté du 27 août 1997, le capitaine H. s'exprima ainsi :
« Je maintiens aujourd'hui mes déclarations dont vous avez donné lecture. Cet évènement est déjà loin, mais la façon de procéder utilisée par moi avec [le requérant] est habituelle : quand les affaires sont traitées par le groupe, comme je ne peux traiter moi-même chaque affaire, je les supervise. Quand je vois que les choses traînent, c'est-à-dire que les suspects nient l'évidence, je les prends en aparté dans mon bureau pour les raisonner. C'est ce que j'ai fait avec le [le requérant]. (...) Je n'ai pas donné de coup de poing dans le dos au requérant pour le faire rentrer dans mon bureau, il est passé devant moi, et il s'est assis sur la chaise. J'ai fermé la porte derrière lui, et j'ai fait le tour pour m'asseoir derrière mon bureau. J'ai repris l'affaire, en lui disant que cela ne servait à rien de nier l'évidence, que ses copains l'avaient balancé, et qu'il resterait en garde à vue, en faisant perdre du temps à tout le monde. Il a commencé à s'agiter, il tapait du pied, il a fini par se lever en disant qu'il ne voulait pas rester ici, et à se diriger vers la porte. (...) Voyant qu'il se dirigeait vers la porte, je l'ai attrapé par l'épaule pour le retenir en lui disant : tu vas où ? Il s'est retourné vers moi, et en faisant cela il a esquissé un coup de poing, en tout cas j'ai eu l'impression qu'il esquissait un coup de poing. Je me suis senti menacé et j'ai immédiatement riposté ; avant de riposter j'ai paré le coup et j'ai porté un coup de genou. C'est une riposte globale instinctive. Rivas s'est plié en deux mais il n'est pas tombé parterre, il s'est assis sur une chaise (...)
Il est vrai que les choses se sont passées très vite quand j'étais dans mon bureau avec [le requérant], je n'ai pas eu le temps de le raisonner, puisqu'il s'est énervé tout de suite. (...)
 Expliquez moi pourquoi j'aurais eu ce comportement à son égard, pourquoi l'aurais-je frappé sans qu'il ait rien fait ? Si c'était le cas, il vaudrait mieux que je quitte la police. Mon intention était bien de le raisonner. (...) Je tiens d'abord à dire que je n'ai pas visé les testicules, je n'ai rien visé du tout cela a été une riposte. Vous me demandez pourquoi je n'ai pas riposté différemment, par exemple en le repoussant contre la porte ou en lui donnant une claque, une riposte ne se raisonne pas, c'est quelque chose qui part comme ça, un réflexe.
[Le requérant] a déclaré que chaque fois que vous le voyez, vous le prenez à part pour le questionner, et quand il ment, vous lui tapez sur les genoux avec une matraque et vous lui donner des claques sur la tête. Est-ce exact ? Bien sûr que non ce n'est pas vrai. [Le requérant] dit également que plusieurs de ses copains ont également été frappés par vous. Ce sont toujours les mêmes qui disent ça, ils n'ont d'ailleurs que ce moyen de défense, c'est pour cela qu'ils nous mettent en cause en disant qu'on les frappe, ou par exemple en nous insultant par des inscriptions dans les cellules des geôles, ou même ailleurs . (...) »
18.  Le 25 novembre 1997, le juge d'instruction en charge de l'affaire entendit deux témoins. Les procès-verbaux établis à cette occasion relatèrent l'interrogatoire du premier témoin comme suit :  
« Le juge : [le requérant a déposé plainte contre le capitaine H. pour un coup qui a entraîné des séquelles pour lui. Il a déclaré que ses copains lui avaient dit qu'ils avaient également été tapés par H. Notamment vous auriez été obligé sur ordre de H. de taper L.C. sur la tête avec une petite masse en caoutchouc. Pouvez-vous nous expliquer quel a été le comportement du capitaine H. à votre égard ?
Le témoin : il est arrivé plusieurs fois que le capitaine H. me frappe sur le corps, aussi bien sur les cuisses que dans le dos, les bras, avec une petit matraque, ou avec une masse en caoutchouc.
C'est vrai qu'une fois, H. m'a obligé à frapper L.C. avec sa petite masse en caoutchouc, parce qu'on ne voulait pas dire la vérité. Et L.C. devait frapper un autre mec qui était avec nous. (...) L. C. a été obligé de le faire pour ne pas être bombardé par H. avec la masse.
Quand il nous frappe c'est toujours dans le cadre des interrogatoires pour nous faire avouer ; ça se passait souvent quand il était seul dans le bureau, ou avec un autre inspecteur dont je ne connais pas le nom.
Il n'y a que H. qui m'ait astiqué. Mais il n'a pas fait seulement à nous, il fait ça à tout le monde. Il y a des gars en prison avec moi actuellement qui m'ont dit qu'ils avaient été frappés par H. Actuellement je suis en prison pour vol, j'ai pris huit mois, je sors bientôt (...) ».
Quant au deuxième interrogatoire, il est relaté dans les termes suivants :
«  Le juge : [le requérant] a déposé plainte contre le capitaine de police H. (...) Il a déclaré que ses copains lui avaient dit qu'ils avaient également été tapés par H. Notamment vous auriez été obligé sur ordre de H. de taper L.C. sur la tête avec une petite masse en caoutchouc. Pouvez vous nous expliquer quel a été le comportement du capitaine H. à votre égard ?
Le témoin :
Il est exact que les interrogatoires avec H. se passaient mal. Souvent pour nous faire avouer, il me frappe avec ses poings ou ses pieds sur le corps ou sur la figure. Il aime bien aussi nous tirer les cheveux, c'est vrai qu'on a souvent les cheveux longs. Je me souviens d'une fois où j'avais été interpellé pour une affaire de canabis, il m'a demandé avec quelle main j'avais fumé, je lui ai dit la main droite, il m'a demandé de la mettre sur le bureau, il m'a donné un coup sur la main avec un genre de petit maillet en plastique.
Quand H. nous frappait, c'était pour nous faire avouer des trucs. A chaque fois que j'étais interpellé il y avait des problèmes avec H. C'est comme ça avec lui c'est pas bon. Il est arrivé aussi qu'il me fasse mettre à genoux sur un manche à balai, avec les mains attachées dans le dos. Il nous laisse comme cela longtemps, et ça fait mal aux genoux. Il est arrivé aussi qu'il nous frappe la tête avec un annuaire. J'ai souvent pris des coups d'autres personnes au Commissariat. J'ai pris trois mois pour vol de voiture, je dois sortir au début de l'année prochaine sauf si j'ai un sursis révoqué en plus (...) ».
19.  Le 24 juin 1998, le Procureur de la République requit un non-lieu pour le capitaine H. et le renvoi du requérant devant le tribunal pour enfants pour rébellion. Ces réquisitions ne furent pas suivies par le juge d'instruction.
20.  Par une ordonnance du 20 juillet 1998, le juge d'instruction ordonna le renvoi du fonctionnaire de police devant le tribunal correctionnel, du chef de violences volontaires ayant entraîné une I.T.T. inférieure à 8 jours, par personne dépositaire de l'autorité publique. Il releva :
- que le fonctionnaire de police avait été plusieurs fois mis en cause par de jeunes délinquants comme donnant facilement des coups au cours des interrogatoires, ce qui résultait de deux auditions de témoins et d'autres procédures ;
- que le requérant était connu pour des vols, mais non pour des actes de violence ;
- qu'il était établi qu'à aucun moment le mineur n'avait frappé le capitaine de police ;
- que le requérant était encore mineur au moment des faits et que sa taille paraît sensiblement la même que celle du capitaine H et sa carrure beaucoup moins solide ; il en déduisait que la taille et la complexion du requérant n'étaient pas telles qu'elles avaient pu empêcher le policier de le maîtriser après l'avoir neutralisé en parant le coup, si besoin s'était fait sentir ;
- que ce dernier avait déjà paré l'éventuel coup du requérant en lui opposant son bras, et que le coup de genou porté par la suite ne revêtait aucun caractère nécessaire et proportionné au comportement du jeune homme, de sorte que la légitime défense ne pouvait être invoquée. Il concluait qu'il apparaissait qu'il y avait eu en l'espèce disproportion entre le comportement du requérant et la riposte du capitaine de police, laquelle avait entraîné pour le mineur une atteinte à sa personne.
21.  Le fonctionnaire de police comparut devant le tribunal correctionnel de Nouméa où le Procureur de la République requit la relaxe du prévenu qui invoquait le fait justificatif de la légitime défense.
22.  Par un jugement du 9 octobre 1998, le tribunal déclara le capitaine H. coupable d'avoir commis le délit de violences ayant entraîné une incapacité inférieure à 8 jours avec cette circonstance que lesdites violences ont été commises par une personne dépositaire de l'autorité publique dans l'exercice de ses fonctions et le condamna à une amende de 80 000 francs de la Communauté financière du Pacifique (CFP). Il considéra que le caractère volontaire de la riposte était avéré et observa surabondamment que le capitaine H. invoquait la légitime défense, laquelle était inconciliable selon la cour de cassation avec le caractère involontaire de l'infraction poursuivie. Il ajouta que :
« si le premier geste de défense accompli par le capitaine H. était nécessaire et mesuré, parfaitement adapté à la situation, il n'en est pas de même du second. (...)
Nécessité de la riposte s'agissant du coup de genou
Attendu que compte tenu :
- d'une part de l'expérience professionnelle du capitaine H., de sa formation, du lieu de la rébellion, permettant une intervention immédiate des policiers présents, de la fouille préalable du requérant et de la morphologie plus athlétique du policier ;
- d'autre part de la nature de l'agression (ou considéré comme tel) imputée au requérant ;
Le coup de genou au demeurant assez violent donné par le Capitaine H. dans les parties génitales du jeune Rivas n'était pas rendu strictement nécessaire à la riposte ». 
Caractère mesuré (ou non) de la riposte
Attendu que le moyen de défense employé par le capitaine H. s'est révélé en outre disproportionné s'agissant du coup de genou qu'il a donné au requérant eu égard à la nature et au degré de gravité de l'agression imputé au requérant.
Attendu que la disproportion de la riposte utilisée est également confortée par la violence du coup donné, celui-ci ayant :
Provoqué une fracture fermée du testicule gauche (...)
Nécessité l'hospitalisation de l'intéressé et une intervention chirurgicale en urgence,
Entraîné une ITT fixée à sept jours selon le certificat médical joint à la constitution de partie civile et à cinq jours selon le rapport du médecin expert requis par le juge d'instruction et une diminution de moitié à la palpation de la taille du testicule gauche par rapport au droit. »   
23.  Le capitaine H. et le ministère public relevèrent appel de cette décision.
24.  Par un arrêt du 2 mars 1999, la cour d'appel de Nouméa infirma le jugement et relaxa le fonctionnaire de police. Elle précisa notamment que le requérant faisait l'objet de très mauvais renseignements, puisque son casier judiciaire comportait deux condamnations pour vol prononcées par le tribunal pour enfants et qu'il avait en outre fait l'objet de multiples procédures, interpellations et conduites au poste de police depuis l'âge de treize ans, et que monsieur H. était un officier de police judiciaire excellemment noté tant par ses supérieurs que par le Procureur de la République.
Elle rappela les conclusions du rapport d'expertise médicale effectuée par le Docteur G. le 20 janvier 1998 :
« - que Rivas présentait des séquelles morphologiques palpables d'une fracture du testicule gauche (diminution de volume glandulaire) ;
- que le faible quota de parenchyme testiculaire n'était pas de nature à entraîner des risques d'infertilité liée à ce traumatisme pour le sujet ;
- le retentissement psychologique est peu important. Monsieur Rivas a rapidement repris une vie relationnelle normale ;
- que l'ITT avait été de 5 jours ;
- qu'il n'y avait pas d'IPP à prévoir ;
- que le préjudice esthétique était nul et le préjudice d'agrément faible et difficilement évaluable en ce qui concerne le domaine de la sexualité dont l'aspect ludique était actuellement prédominant pour monsieur Rivas. »
La cour d'appel motiva sa décision comme suit :
« Attendu qu'il n'est pas contesté que les blessures subies par le requérant résultent d'un coup porté par le capitaine H. ; qu'il paraît cependant peu vraisemblable que ce coup ait pu être porté ainsi que le soutient la victime dès son entrée dans le bureau du capitaine alors que la porte de celui-ci devait nécessairement être encore ouverte et que des personnes circulaient dans le couloir ; qu'aucun élément du dossier ne permet par ailleurs de confirmer la relation des faits donnés par la victime dont l'attitude ne peut s'expliquer que par les nombreuses interpellations et conduites au poste de police dont elle a régulièrement fait l'objet depuis l'âge de 13 ans ;
Attendu que les explications fournies par le capitaine H. compte tenu du contexte présentent quant à elles une certaine apparence de vérité ; qu'en effet, ayant de par son expérience, son grade et les fonctions de chef de l'unité des flagrants délits, l'habitude de traiter ce type de procédure et ayant par ailleurs déjà eu affaire [au requérant] bien connu des services de police, il peut paraître vraisemblable que le requérant après avoir été invité, devant l'évidence des charges établies contre lui, à reconnaître les faits, se soit soudainement levé de sa chaise et ait voulu quitter le bureau du capitaine H. que ce dernier pour l'en empêcher se soit précité sur lui, l'ai saisi d'une main par l'épaule, le faisant ainsi pivoter, que [le requérant] dans ce mouvement tournant se soit retrouvé face au policier la main droite levée afin de le repousser et que ce geste ait pu être perçu par le capitaine H comme une menace voir l'esquisse d'un coup que [le requérant] voulait lui porter ;
Attendu qu'il s'en suit que le capitaine H. se trouvait dans la nécessité de réagir pour d'une part parer le coup qui allait lui être porté et d'autre part prévenir d'autres coups que [le requérant] empêché dans sa tentative de fuite n'aurait pas manqué de lui porter ;
Attendu qu'il n'est pas établi que le capitaine H. ait eu l'intention en portant un coup de genou [au requérant] de l'atteindre au niveau des parties sexuelles et encore moins de lui causer de tels dommages ; que ce coup de genou donné dans un mouvement réflexe visait plutôt l'abdomen que les parties génitales, qu'il apparaît dès lors proportionné à la menace réelle que l'attitude [du requérant] faisait peser sur le capitaine H. dans l'instant précis où se retournant subitement il apparaissait face à lui le bras levé prêt à frapper ; (...) » 
25.  Par un arrêt du 1er février 2000, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant au motif que la cour d'appel avait justifié sa décision au regard de l'article 122-5 du code pénal (irresponsabilité pénale en cas de légitime défense).
EN DROIT
26.  Le requérant se plaint d'avoir subi, au cours de sa garde à vue, des traitements contraires à l'article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A.  Argumentation des parties
1.  Le requérant
27.  Le requérant soutient que la question est de savoir si, en sa seule qualité d'être humain, il a subi un coup violent pendant sa garde à vue et a été victime d'une violation de l'article 3 de la Convention. Dresser de lui un portrait délibérément négatif afin de tout mettre en œuvre pour le réduire au seul statut de délinquant d'habitude ne saurait constituer une circonstance atténuante du comportement du capitaine H. Il rappelle qu'il était mineur au moment des faits et que ses droits devaient être protégés au même titre que ceux de n'importe quel être humain, son casier judiciaire ne pouvant en aucun cas servir de justification au coup porté. Il ne nie pas être connu pour des faits de vols mais affirme ne  pas l'être pour des actes de violence.
28.  Le requérant dénonce l'incohérence des versions des faits données par le capitaine H. dans les différents procès-verbaux établis. De son avis, les termes utilisés par celui-ci révèlent d'abord que le rapport de force créé ne s'est pas établi en sa faveur mais que l'officier de police a en revanche semblé particulièrement actif tout au long de l'altercation en pleine possession de ses moyens, et non pas sur la défensive, et encore moins en danger comme il le prétendra par la suite en invoquant la légitime défense pour justifier le coup brutal qu'il a porté. Il relève l'emploi des termes sans équivoque tels que « pour le saisir par le bras gauche », « se met en garde », « ainsi empêché », « nous parons et nous ripostons », « saisi le bras, et ai riposté », « attrape le jeune à l'épaule ». Le requérant considère que l'on peut ainsi s'interroger sur la nécessité pour le capitaine H., s'il se trouvait saisi par le bras et ainsi empêché de sortir du bureau, de lui asséner un ultime coup volontairement dans les parties génitales. La riposte apparaît, au regard des faits, disproportionnée et sans justification. Le requérant réfute la thèse de la légitime défense pour justifier le coup car le capitaine se trouvait dans son propre commissariat avec à portée de main tous ses policiers et qu'il est connu pour ses méthodes violentes.
29.  S'agissant de l'atteinte physique subie, le requérant fait valoir que la notion de traitement inhumain ou dégradant ne se limite pas à la seule appréciation de savoir si, ultérieurement, l'intéressé conserve ou non des séquelles physiques du traitement subi. Il soutient à cet égard qu'on ne saurait se baser sur les termes du certificat médical établi le 20 janvier 1998 pour en mesurer le degré car il a été établi un an après les faits. La référence à ce certificat tendrait en fin de compte à réduire la portée du coup, l'expertise médicale effectuée un an après les faits dressant un bilan médical plus positif. L'intéressé ajoute par ailleurs que le traitement infligé résulte également d'une attitude psychologique, à savoir du mépris dont les coups portés seraient la preuve manifeste. L'exigence devrait encore être plus grande quand les coups sont le fait d'un officier de police, détenteur de l'autorité, qui n'avait aucun besoin d'y recourir.
30.  Le requérant rappelle que personne n'a jamais considéré que le coup porté sur lui résultait d'un acte involontaire. A la suite du réquisitoire introductif du 18 avril 1997, le capitaine était visé pour des faits de violences volontaires commises par une personne dépositaire de l'autorité publique ; puis par une ordonnance du 20 juillet 1998, le juge d'instruction renvoyait le capitaine devant le tribunal correctionnel du chef de violences volontaires ayant entraîné une ITT inférieure à huit jours ; enfin le tribunal a déclaré, dans son jugement du 9 octobre 1998, le capitaine coupable d'avoir commis le délit de violences ayant entraîné une incapacité inférieure à 8 jours, commises par une personne dépositaire de l'autorité publique dans l'exercice de ses fonctions. A aucun moment, il n'aurait été question d'acte involontaire fait de manière délibérée ; bien au contraire, et si la cour d'appel a finalement relaxé le capitaine H., préférant retenir un acte malencontreux avant tout, elle ne s'est pas privée de sermonner le policier : « (...) vous êtes relaxé mais tenez compte de ce qui a été dit dans cette enceinte et faites en sorte que vous et vos collègues n'ayez plus à l'avenir des comportements susceptibles de vous conduire devant cette cour » (déclaration du président de la cour d'appel à l' occasion de l'arrêt rendu).
31.  Le requérant soutient encore que la relaxe du capitaine s'est jouée à peu de choses. Seule la cour d'appel a apprécié les faits en faveur du policier et dans les termes suivants : « compte tenu du contexte, les explications du capitaine H. présentent quant à elles une certaine apparence de vérité ; que, en effet, ayant de par son expérience, son grade et les fonctions de chef de l'unité des flagrants délits, l'habitude de traiter ce type de procédure (...) il peut paraître vraisemblable (...) ». Autrement dit, la relaxe a pu être prononcée uniquement parce qu'il existerait une présomption de bonne foi du policier.
32.  En dernier lieu, le requérant considère que le Gouvernement minimise la gravité de l'acte commis par l'officier de police afin que l'acte ne puisse être constitutif d'un traitement inhumain et par là même écarter l'application de l'article 3 de la Convention. En se référant au faisceau de critères dégagés par la jurisprudence de la Cour en la matière, le requérant considère que l'on peut constater qu'un certain nombre d'entre eux convergent, en l'espèce, en faveur d'une qualification de traitement inhumain : jeune, de sexe masculin, le requérant rappelle qu 'il a reçu un coup dans les parties génitales et de manière si violente qu'une fracture du testicule s'en est suivie nécessitant une intervention chirurgicale, et cela au milieu d'un commissariat de police alors qu'il subissait un interrogatoire, qu'il était de ce fait déjà privé de sa liberté dans une pièce isolée par un capitaine de police connu pour sa propension à donner des coups. A la lumière de la jurisprudence de la Cour selon laquelle  lorsqu'une personne est placée en garde à vue alors qu'elle se trouve en bonne santé et que l'on constate qu'elle est blessée au moment de sa libération, il incombe à l'Etat de fournir une explication plausible de l'origine de ses blessures (Selmouni c. France [GC] no25803/94 § 87, CEDH 1999-V et Ribitsch c. Autriche, arrêt du 4 décembre 1995, série A no336, § 34), le requérant considère que le seuil de gravité exigible pour qualifier le traitement qu'il a subi d'inhumain a été atteint en l'absence d'explication plausible. La seule justification du capitaine H. résulte du seul acte de la procédure qui ait excusé son comportement, à savoir l'arrêt de la cour d'appel de Nouméa. Toutes les autres autorités judiciaires ont été convaincues que son comportement n'était pas excusable.
2.  Le Gouvernement
33.  Après avoir rappelé que le requérant a fait l'objet, entre le 8 octobre 1992 et le 14 janvier 1997, de huit procédures pour des faits de vol et tentative de vols, le Gouvernement fait un rappel des faits et de la procédure.
34.  Le Gouvernement n'entend pas dénier que le requérant a reçu un coup le 14 janvier 1997 qui a entraîné une fracture du testicule nécessitant une opération chirurgicale. Il rappelle cependant que ces violences ont fait l'objet d'une enquête pénale approfondie et d'un procès. Les différentes autorités judiciaires en charge du dossier auraient ainsi toutes considéré que les violences consistaient en un acte involontaire et isolé, porté par Monsieur H., qui n'avait fait que répliquer au requérant qui s'était rebellé et le menaçait. Le coup porté n'aurait donc pas procédé d'une volonté de punir ou de briser la résistance morale ou physique du requérant et ne traduirait pas une intention délibérée d'infliger un mauvais traitement. Contrairement à ce que soutient le requérant, le Gouvernement affirme qu'il a toujours été établi au niveau interne que le fonctionnaire de police ne faisait que répliquer à une agression du premier et que dès lors l'intervention du policier ne pouvait passer pour illégitime ou injustifiée. Le Gouvernement précise que le capitaine H. a été mis en cause par des prévenus en 1995 et 1996 pour des faits de violence mais que les investigations ont conduit à des classements sans suite. Il ajoute que le fonctionnaire de police a toujours été bien noté par ses supérieurs et par le procureur de la République, qu'il est considéré comme un policier expérimenté et que sa manière de s'acquitter de ses fonctions lui a valu une promotion au grade de capitaine.
35.  Le Gouvernement rappelle que la difficulté à laquelle les juges ont été confrontés a consisté à déterminer s'il y avait eu, en l'espèce, légitime défense au sens de l'article 122-5 du code pénal. Il ressort de l'arrêt de la cour d'appel et de la décision de la cour de cassation que l'usage de la force était justifié par la nécessité de maîtriser le jeune homme, surexcité du fait de son placement en garde à vue, et qui refusait de se soumettre spontanément aux forces de l'ordre. C'est donc à la suite d'une enquête minutieuse que les autorités judiciaires ont estimé que le coup avait été porté en état de légitime défense. Selon le Gouvernement, une telle explication pour rendre compte de l'origine des blessures du requérant apparaît parfaitement « plausible » (Selmouni, précité, § 87). Certes, le Gouvernement rappelle que le requérant conteste la thèse des juridictions nationales. Celle de l'intéressé se contenterait cependant d'indiquer que lorsqu'une personne est placée en garde à vue dans un commissariat de police, elle doit en ressortir dans l'état physique dans lequel elle y est entrée et il ne saurait être admis que les blessures qu' elle a subies du fait de violences dont il est acquis qu'elles ont été le fait des officiers de police judiciaire, aient été motivées exclusivement par la légitime défense ; elle ne serait pas nouvelle par rapport à la thèse développée devant le juge interne et n'apporterait aucun élément de preuve permettant d'accréditer sa version. Le Gouvernement rappelle à cet égard que la Cour ne peut « substituer sa propre vision des faits à celle des cours et tribunaux internes, auxquels il appartient en principe de peser les données recueillies par eux (Klaas c. Allemagne arrêt du 22 septembre 1993, série A no 269, § 30). Et même si elle demeure libre d'apprécier les faits elle-même à la lumière de tous les éléments qu'elle possède (Selmouni, précité, § 86), l'ensemble des éléments de fait dont disposaient les juridictions internes ne permet pas d'infirmer la solution à laquelle est parvenue la cour d'appel approuvée par la Cour de cassation. En conclusion, le Gouvernement soutient que la présente affaire est proche de celle qui a donné lieu à une décision de la Commission concernant la légitime défense dans laquelle « le requérant n'a apporté aucun élément suffisamment convaincant de manière à ébranler les conclusions de fait des juridictions nationales » et qui concluait à une situation de légitime défense qui « ne saurait passer pour arbitraire ou déraisonnable » (Antonio Joaquim Laginha de Matos c. Portugal, no 28955/95, Décision de la Commission du 7 avril 1997, Décisions et rapports 89, p. 89).
B.  Appréciation de la Cour
36.  La Cour rappelle que l'article 3 consacre l'une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques. Même dans les circonstances les plus difficiles, telle la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, la Convention prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants. L'article 3 ne prévoit pas de restrictions, en quoi il contraste avec la majorité des clauses normatives de la Convention et des Protocoles nos 1 et 4, et d'après l'article 15 § 2 il ne souffre nulle dérogation, même en cas de danger public menaçant la vie de la nation (Selmouni, précité, § 95).
37.  La Cour rappelle également qu'un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité pour tomber sous le coup de l'article 3. L'appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l'ensemble des données de la cause et, notamment, de la durée du traitement, de ses effets physiques et/ou mentaux ainsi que parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime. Lorsqu'un individu se trouve privé de sa liberté, l'utilisation à son égard de la force physique alors qu'elle n'est pas rendue strictement nécessaire par son comportement porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par l'article 3 (Ribitsch, précité, § 38 et Tekin c. Turquie, arrêt du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décision 1998-IV, §§ 52-53). 
38.  La Cour a souligné que les personnes en garde à vue sont en situation de vulnérabilité et que les autorités ont le devoir de les protéger. Un Etat est responsable de toute personne placée en garde à vue, car cette dernière est entièrement aux mains des fonctionnaires de police. Lorsque les événements en cause, dans leur totalité ou pour une large part, sont connus exclusivement des autorités, comme dans le cas des personnes soumises à leur contrôle en garde à vue, toute blessure survenue pendant cette période donne lieu à de fortes présomptions de fait. Il incombe au Gouvernement de produire des preuves établissant des faits qui font peser un doute sur le récit de la victime (Tomasi c. France, arrêt du 27 août 1992, série A no 241-A, §§ 108-111 ; Ribitsch, précité, § 31 et Berktay c. Turquie, no 22493/93, § 167, 1er mars 2001,). Quelle que soit l'issue de la procédure engagée au plan interne, un constat de culpabilité ou non ne saurait dégager l'Etat défendeur de sa responsabilité au regard de la Convention ; c'est à lui qu'il appartient de fournir une explication plausible sur l'origine des blessures, à défaut de quoi l'article 3 trouve à s'appliquer (Selmouni, précité, § 87 ; Büyükdag c. Turquie, no 28340/95, § 51, 21 décembre 2000, et Berktay, précité, § 168).
39.  En l'espèce, il n'est pas objecté que la blessure du requérant soit survenue au cours de sa garde à vue alors qu'il se trouvait entièrement sous le contrôle des fonctionnaires de police. Le Gouvernement ne conteste pas non plus que la lésion subie par le requérant qui a provoqué douleurs et souffrances physiques, à supposer établi qu'elle lui ait été infligée délibérément pendant son interrogatoire, a atteint un seuil de gravité suffisant pour tomber sous le coup de l'article 3 de la Convention. L'urgence de l'hospitalisation du requérant et les certificats médicaux établis par la suite attestent de la violence du coup porté dans les parties génitales du requérant au cours de sa garde à vue.
40.  Dès lors, il appartient à la Cour de rechercher si la force utilisée était, en l'espèce, proportionnée. Le Gouvernement renvoie à l'issue de la procédure pénale interne et à la relaxe du capitaine H. pour soutenir que ce dernier a répliqué de manière raisonnable aux agissements du requérant. La Cour n'est pas convaincue par cette argumentation. Elle relève, en l'espèce, plusieurs éléments.
-      Le requérant était mineur à l'époque des faits et s'il était connu des services de police, il ne l'était pas pour des actes de violence. Au demeurant, il était de moindre corpulence que le policier et avait encore les mensurations d'un adolescent. 
-      Le juge d'instruction d'abord (paragraphe 20 ci-dessus), puis le tribunal correctionnel n'ont pas retenu la thèse de la légitime défense invoquée par le policier. Le second, après un examen minutieux du comportement du capitaine H., a reconnu ce dernier coupable de violences commises dans l'exercice de ses fonctions après avoir observé que la riposte était volontaire (paragraphe 22 ci-dessus).
-      La cour d'appel a infirmé le jugement en considérant « vraisemblable » la menace que l'attitude du requérant faisait peser sur le fonctionnaire de police : elle a en effet considéré « qu'il paraît cependant peu vraisemblable que ce coup ait pu être porté ainsi que le soutient la victime dès son entrée » ; que « les explications fournies par le capitaine H. compte tenu du contexte présentent quant à elles une certaine apparence de vérité »  et « qu' il peut paraître vraisemblable que le requérant, après avoir été invité, devant l'évidence des charges retenues contre lui, à reconnaître les faits, se soit soudainement levé de sa chaise et ait voulu quitter le bureau du capitaine H. » (paragraphe 24 ci-dessus).    
-      Enfin, monsieur H. était connu pour des actes de violence. Ainsi que le démontrent, en particulier, les procès verbaux du 25 novembre 1997 (paragraphe 18 ci-dessus), de tels actes ont été relatés lors d'autres gardes à vue menées par le policier. Même si les plaintes à son égard ont été classées sans suite comme l'affirme le Gouvernement, les procès-verbaux précités, confirmés par le tribunal correctionnel, et la continuité des accusations relatives à l'usage de la violence par ce policier démontrent une attitude que l'on ne saurait qualifier d'occasionnelle. A cet égard, la Cour relève les déclarations constantes du policier sur son intention de « raisonner » le requérant après s'être « isolé » dans son bureau avec celui-ci (voir paragraphes 11 et 17 ci-dessus).    
41.  La Cour est d'avis, eu égard à ce qui précède, que la tentative de fuite alléguée ne saurait dégager l'Etat de la responsabilité qu'il porte en l'espèce. La Cour n'est pas convaincue par l'explication du Gouvernement selon laquelle le coup porté aurait été nécessaire pour parer à la menace proférée par le requérant qui, à la différence de l'affaire citée Antonio Joaquim Laginha de Matos c. Portugal, n'était pas armé et se trouvait dans un commissariat de police. A tout le moins, dans de telles circonstances, le fonctionnaire de police aurait pu employer d'autres méthodes pour faire rasseoir le requérant. En conclusion, elle estime que le Gouvernement n'a pas démontré, dans les circonstances de l'espèce, que l'usage de la force contre le requérant était nécessaire (voir, a contrario, Caloc c. France, no 33951/96, §§ 100-101, CEDH 2000-IX).
42.  La Cour considère dès lors que l'acte dénoncé était de nature à engendrer des douleurs ou des souffrances physiques et mentales chez le requérant et, compte tenu de son âge, à créer également des sentiments de peur, d'angoisse et d'infériorité propres à humilier, avilir et briser éventuellement sa résistance physique et mentale. Ce sont ces éléments qui amènent la Cour à considérer que les traitements exercés sur la personne du requérant ont revêtu un caractère inhumain et dégradant.
Partant, il y a eu violation de l'article 3 de la Convention.
II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
43.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
44.  Le requérant réclame la somme de 30 000 euros (EUR) au titre du préjudice subi à la suite des mauvais traitements, cette somme correspondant :
- pour une part à la souffrance physique endurée ;
- pour une deuxième part aux séquelles physiques qui sont les siennes ; il affirme qu'il lui reste un tiers du testicule atteint par les coups, après amputation partielle ;
- pour une troisième part au préjudice moral résultant de cette atteinte à sa virilité ; il fait valoir que cette situation est toujours difficile à vivre pour un homme, en particulier dans son milieu socioculturel qui est métis italien-wallisien.
45.  Se reportant au certificat médical du 20 janvier 1998, le Gouvernement considère la demande du requérant exagérée. L'allocation au requérant d'une somme de 8 000 EUR lui paraît suffisante. 
46.  La Cour rappelle que l'incapacité temporaire de travail a été en l'espèce de cinq jours (paragraphe 24 ci-dessus) et considère que le requérant a subi un préjudice corporel en sus du préjudice moral que le constat de violation figurant dans le présent arrêt ne suffit pas à remédier. Statuant en équité, comme le veut l'article 41, elle lui alloue 15 000 EUR. 
B.  Frais et dépens
47.  Le requérant soutient qu'il a exposé les frais suivants : 7 280 EUR pour la rémunération de son conseil devant les juges du fond, 914,69 EUR pour les frais exposés devant la Cour de cassation et 3 500 EUR pour les frais exposés devant la Cour.
48.  Le Gouvernement considère que seuls les frais occasionnés devant la Cour pourraient être pris en compte.
49.  La Cour rappelle qu'elle a conclu à une violation de l'article 3 de la Convention dans la mesure où le requérant a été victime de « traitement inhumain et dégradant ». Il est clair que les frais et dépens exposés devant les juridictions nationales ont été engagés pour faire corriger par celles-ci ladite violation. Statuant en équité, la Cour estime qu'il y a lieu d'octroyer au requérant une somme globale de 10 000 EUR au titre des frais et dépens.
C.  Intérêts moratoires
50.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,
1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention ;
2.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 15 000 EUR (quinze mille euros) pour dommage moral;
ii.10 000 EUR (dix mille euros) pour frais et dépens ;
iii.  tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur lesdites sommes ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
3.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 1er avril 2004 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Christos Rozakis   Greffier adjoint Président
ARRÊT RIVAS c. FRANCE
ARRÊT RIVAS c. FRANCE 


Synthèse
Formation : Cour (première section)
Numéro d'arrêt : 59584/00
Date de la décision : 01/04/2004
Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 3 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens

Analyses

(Art. 3) TRAITEMENT DEGRADANT


Parties
Demandeurs : RIVAS
Défendeurs : FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2004-04-01;59584.00 ?

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