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08/04/2004 | CEDH | N°11057/02

CEDH | AFFAIRE HAASE c. ALLEMAGNE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE HAASE c. ALLEMAGNE
(Requête no 11057/02)
ARRÊT
STRASBOURG
8 avril 2004
DÉFINITIF
08/07/2004
En l'affaire Haase c. Allemagne,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. I. Cabral Barreto, président,    G. Ress,    L. Caflisch,    P. KŪris,    B. ZupanČIČ,   Mme M. Tsatsa-Nikolovska,   M. K. Traja, juges,  et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 23

janvier 2003 et 6 avril 2004,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origin...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE HAASE c. ALLEMAGNE
(Requête no 11057/02)
ARRÊT
STRASBOURG
8 avril 2004
DÉFINITIF
08/07/2004
En l'affaire Haase c. Allemagne,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. I. Cabral Barreto, président,    G. Ress,    L. Caflisch,    P. KŪris,    B. ZupanČIČ,   Mme M. Tsatsa-Nikolovska,   M. K. Traja, juges,  et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 23 janvier 2003 et 6 avril 2004,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 11057/02) dirigée contre la République fédérale d'Allemagne et dont deux ressortissants de cet Etat, Mme Cornelia Haase et M. Josef Haase (« les requérants »), ont saisi la Cour le 6 mars 2002 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants, qui ont été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, ont été représentés par Me P. Koeppel, avocat à Munich. Le gouvernement allemand (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. K. Stoltenberg, Ministerialdirigent.
3.  Les requérants alléguaient que la suspension de leur autorité parentale à l'égard de leurs quatre enfants et de trois des enfants issus du premier mariage de Mme Haase, ainsi que l'interdiction qui leur avait été faite de rendre visite à tous les enfants avaient emporté violation de l'article 8 de la Convention. Ils dénonçaient également l'iniquité de la procédure judiciaire y afférente sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention.
4.  La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
5.  Par une décision du 23 janvier 2003, la Cour a déclaré la requête recevable.
6.  Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A.  Le contexte
7.  Les requérants sont nés respectivement en 1968 et 1967 et résident à Altenberge (Allemagne).
8.  Mme Haase est mère de douze enfants. Pendant son mariage avec M., elle donna naissance à sept enfants : Matthias en 1985, Sascha en 1986, Ramona en 1987, Alexander en 1988, Timo en 1990 et les jumeaux Lisa-Marie et Nico en 1992. Elle eut cinq enfants avec son second mari : Anna-Karina en 1995, Sandra-Kristin en 1998, Maurice-Pascal en 2000 et Laura-Michelle le 11 décembre 2001. Elle accoucha de son dernier enfant en décembre 2003.
9.  En 1993, les relations entre Mme Haase et M. se détériorèrent. En avril 1993, M. engagea une procédure de divorce et réclama les droits parentaux sur les enfants. Par une décision du 29 octobre 1993, le tribunal de district (Amtsgericht) de Münster accorda les droits parentaux à l'égard des trois plus jeunes enfants, Timo, Lisa-Marie et Nico, à Mme Haase, et à l'égard des quatre aînés au premier mari de celle-ci, M. L'office de la jeunesse (Amt für Kinder, Jugendliche und Familien – Kommunaler Sozialdienst) de Münster interjeta appel de cette décision, puis se désista en septembre 1994. En décembre 1993, Mme Haase s'installa avec ses trois plus jeunes enfants chez son mari actuel, M. Haase. Le 18 novembre 1994, le tribunal de district de Münster prononça le divorce de Mme Haase et de M. Les requérants sont mariés depuis décembre 1994.
B.  La procédure qui a débouché sur le retrait de l'autorité parentale aux requérants
10.  En février 2001, Mme Haase s'adressa à l'office de la jeunesse de Münster pour demander à bénéficier de conseils en matière éducative. A cette fin, les requérants acceptèrent que leur situation familiale fût évaluée par un psychologue. En mai 2001, les services sociaux de la municipalité donnèrent pour instructions à M. G. de rédiger un rapport d'expertise à cet égard. Le psychologue rencontra Mme Haase et trois de ses enfants le 26 septembre et les 11, 15, 17 et 22 octobre 2001 au domicile des requérants.
11.  Comme ils étaient d'avis que les questions posées par le psychologue aux enfants n'avaient pas de rapport avec l'octroi de l'assistance demandée et comme l'expert s'était opposé à ce que Mme Haase fût présente à ses rencontres avec les professeurs des enfants, les requérants refusèrent de continuer à coopérer avec le psychologue.
12.  Le 17 décembre 2001, l'expert remit son rapport à l'office de la jeunesse de Münster. D'après ce document, les carences constatées dans les soins apportés aux enfants et les conditions de vie chez eux risquaient de nuire gravement à leur développement. Une série d'événements préjudiciables aux enfants s'étaient produits : les requérants s'étaient à plusieurs reprises montrés exagérément sévères avec ceux-ci et les avaient battus. Il était nécessaire de placer les enfants à long terme dans un lieu sûr et d'éviter toute poursuite des contacts entre eux et les requérants.
13.  Le même jour, l'office de la jeunesse demanda au tribunal de district de Münster de prendre une ordonnance de référé (einstweilige Anordnung) pour retirer aux requérants leurs droits parentaux sur les sept enfants vivant sous leur toit, à savoir leurs quatre enfants, Anna-Karina, Sandra-Kristin, Maurice-Pascal et Laura-Michelle, et trois des enfants que Mme Haase avait eus avec son premier mari, Timo, Nico et Lisa-Marie.
14.  Le jour même, soit le 17 décembre 2001, le tribunal de district de Münster prit l'ordonnance requise sans entendre ni les parents ni les enfants. Les requérants se virent signifier de remettre les enfants sur-le-champ à l'office de la jeunesse de Münster. L'huissier chargé d'exécuter la décision était habilité à recourir si nécessaire à la force pour emmener les enfants. Se fondant notamment sur les conclusions du rapport d'expertise, le tribunal de district conclut que l'incapacité des parents à donner aux enfants une éducation et des soins satisfaisants ainsi que leur exercice abusif de l'autorité parentale nuisaient au bien-être physique, mental et psychologique de tous les enfants au point que la seule solution apparaissant de nature à protéger ceux-ci était de les séparer de leurs parents. Le tribunal de district s'appuya sur les dispositions pertinentes du code civil (articles 1666 et 1666a – paragraphes 53-54 ci-dessous).
15.  Le 18 décembre 2001, le tribunal de district de Münster rendit une décision complétant celle de la veille, par laquelle il interdisait toute visite entre les requérants et leurs enfants et les trois enfants du premier mariage qui vivaient sous leur toit, Timo, Nico et Lisa-Marie. Les coordonnées des enfants ne devaient pas être communiquées aux requérants. Le tribunal interdit de plus toute visite entre Mme Haase et ses quatre autres enfants issus de son premier mariage. Celle-ci ne devait pas non plus s'approcher à moins de 500 mètres du lieu de résidence de ces quatre enfants ou de leurs écoles. Le tribunal considéra que l'expertise suffisait à montrer que la séparation des parents et de leurs enfants était nécessaire à la protection de ces derniers. Il avait de plus été prouvé que les parents s'opposeraient à ces mesures et s'efforceraient par tous les moyens d'exercer des pressions sur les enfants. L'intérêt supérieur des enfants commandait de prendre ces mesures afin de leur éviter tout stress. Les parents étaient instamment priés de reconnaître leurs propres carences s'agissant des soins et du bien-être physique et psychologique des enfants et de prendre en compte le besoin d'un changement de situation clairement exprimé par ces derniers. Ils étaient invités à accepter – au moins pour un temps – les mesures prises et à contribuer autant que possible à un retour au calme, ce qui n'était possible que s'ils s'inclinaient. Le choix fait par l'office de la jeunesse répondait en partie aux souhaits expressément formulés par les enfants. Le tribunal de district conclut que les mesures arrêtées, momentanément inévitables, étaient proportionnées à l'urgence des besoins et à l'intérêt objectif de tous les enfants.
16.  Le même jour, vers midi, on alla chercher les enfants dans trois écoles différentes, dans une crèche et à leur domicile pour les placer dans trois foyers d'accueil. On alla chercher Laura-Michelle, la dernière-née âgée de sept jours, à l'hôpital ; elle vit depuis dans une famille d'accueil.
17.  Dans une lettre du 18 décembre 2001, le docteur W., gynécologue et médecin-chef de l'hôpital Johannesstift de Münster, dénonça auprès du tribunal de district de Münster le comportement des autorités. Il déclara que, selon un appel téléphonique du 17 décembre 2001, les six enfants de Mme Haase ainsi que le bébé encore à l'hôpital devaient être retirés à sa patiente à l'insu de celle-ci. Mme Haase devait être informée de la mesure une fois que l'enfant aurait été prise à la pouponnière. On demanda au personnel d'emmener le bébé au rez-de-chaussée, à l'entrée de l'hôpital, et de le placer dans un taxi.
Lui-même, en sa qualité de médecin-chef, et le personnel médical de l'hôpital furent surpris et choqués de l'absence d'avertissement et estimèrent que ce comportement constituait un affront tant pour Mme Haase que pour le personnel médical. Celui-ci s'occupait depuis 1992 de Mme Haase, qui avait toujours donné l'impression d'être une personne parfaitement responsable. Elle se rendait régulièrement aux visites médicales de contrôle pendant ses grossesses. Lorsqu'elle venait avec ses enfants, ceux-ci se tenaient bien, étaient gentils et polis. Ils ne présentaient aucun signe de négligence ou de mauvais traitements.
18.  Le 19 décembre 2001, l'office de la jeunesse informa les requérants que les enfants s'étaient vu octroyer une assistance financière se montant à 4 000 euros par mois et que les parents devaient participer au paiement de cette somme dans la mesure de leurs moyens.
19.  A cette même date, les requérants firent appel de la décision du tribunal de district du 17 décembre 2001. D'après eux, il était difficile de comprendre qu'une expertise eût été dressée sur la capacité des parents à élever leurs enfants dans le cadre de l'octroi de conseils en matière d'éducation, d'ailleurs on ne les avait pas informés de cette expertise. La décision incriminée était inattendue et avait été rendue à un moment où la santé de Mme Haase était délicate, puisqu'elle venait d'accoucher de sa fille une semaine auparavant. Ils citèrent des témoins qui pourraient confirmer que leurs enfants n'avaient pas été maltraités, mais étaient au contraire élevés avec amour et compréhension.
20.  Le 7 janvier 2002, le tribunal de district tint une audience en présence des requérants et de leur avocat, du premier mari de Mme Haase, de représentants de l'office de la jeunesse de Münster, d'un représentant d'une crèche et de l'expert, M. G. Les quatre témoins choisis par les requérants ne furent pas entendus et durent quitter le prétoire.
Le tribunal de district donna pour instructions à M. G. de poursuivre l'examen des autres enfants et de terminer son rapport. Il désigna en outre un nouvel expert, M. H., afin d'évaluer la capacité des requérants à élever leurs enfants.
21.  Lors des entretiens qui eurent lieu ensuite en vue de préparer l'évaluation demandée, les requérants demandèrent à l'expert d'enregistrer leurs échanges sur bande magnétique. L'expert ayant refusé, les requérants déclarèrent qu'ils ne voulaient plus collaborer avec lui.
22.  Le 1er mars 2002, la cour d'appel (Oberlandesgericht) de Hamm rejeta le recours formé par les requérants contre la décision du 17 décembre 2001. Elle releva que le tribunal de district avait tenu compte du rapport soumis par l'office de la jeunesse avec sa demande du 17 décembre 2001 tendant au retrait des droits parentaux des requérants ainsi que de l'expertise de M. G., et que ledit tribunal avait jugé la mesure en cause justifiée. L'expert avait conclu que les besoins fondamentaux des enfants n'étaient pas satisfaits et que leur vie quotidienne était marquée par des violences et des carences permanentes de toutes sortes. Il était donc nécessaire de mettre fin au risque auquel le bien-être des enfants paraissait exposé. Une nouvelle expertise devait être rendue pour la mi-avril 2002. La cour d'appel jugea dès lors pouvoir rejeter le recours des requérants sans tenir d'audience. Il était contraire à l'intérêt supérieur des enfants de les retirer de l'environnement au sein duquel ils nouaient de nouvelles relations pour les rendre à leur ancienne famille en raison du risque qu'ils fussent encore transplantés dans un autre environnement peu après.
23.  Le 8 mars 2002, les requérants récusèrent le juge du tribunal de district de Münster pour parti pris.
24.  Le 4 avril 2002, la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht), siégeant en une formation de trois juges, rejeta la demande que les requérants avaient présentée en vue d'obtenir une ordonnance de référé.
Cette juridiction considéra que le recours constitutionnel des requérants n'était ni irrecevable ni manifestement mal fondé. Il existait notamment des doutes sur le point de savoir si les tribunaux n'avaient pas enfreint le droit des intéressés à un procès équitable et leur droit au respect de leur vie familiale. Toutefois, si l'ordonnance sollicitée était émise et si, plus tard, le recours constitutionnel devait être rejeté, il faudrait à nouveau retirer les enfants aux requérants pour les placer ailleurs. Sachant que l'expertise était prévue pour la mi-avril 2002, les requérants devaient attendre l'issue de la procédure au principal pour ne pas faire courir aux enfants le risque d'être une fois encore séparés d'eux par la suite. Il fallait supposer que les tribunaux compétents mèneraient la procédure au principal avec diligence compte tenu de l'importance du facteur temps dans ces circonstances.
25.  Le 10 avril 2002, le tribunal de district de Münster rejeta la requête en récusation dirigée contre le juge et, le 11 avril 2002, fit de même avec une requête similaire dirigée contre l'expert, M. G.
26.  Le 19 avril 2002, le tribunal de district de Münster désigna un avocat du barreau de Münster comme curateur ad litem (Verfahrenspfleger) pour représenter les enfants au cours de la procédure. Il donna pour instructions aux experts déjà nommés de lui communiquer les résultats des recherches qu'ils avaient effectuées jusque-là et les déchargèrent de tout autre travail d'expertise. Il désigna un nouvel expert, Mme le professeur K., qu'il chargea de déterminer si la séparation des enfants d'avec leur famille était la seule manière d'éliminer tout danger les concernant.
27.  Le 11 juin 2002, Mme K. interrogea les requérants chez eux. L'entretien dura six heures.
28.  Le 21 juin 2002, la Cour constitutionnelle fédérale, siégeant en une formation de trois juges, infirma la décision rendue par la cour d'appel de Hamm le 1er mars 2002 qui entérinait celle prise par le tribunal de district de Münster le 17 décembre 2001, et renvoya l'affaire devant ce dernier tribunal.
29.  Dans la mesure où les requérants se plaignaient des décisions du tribunal de district de Münster des 18 décembre 2001 et 7 janvier 2002, la cour déclara le recours constitutionnel irrecevable, car les intéressés n'avaient pas interjeté appel de ces décisions conformément à l'article 19 de la loi sur la procédure gracieuse (Gesetz über die Angelegenheiten der freiwilligen Gerichtsbarkeit – FGG).
30.  Pour autant que le recours constitutionnel était recevable, la cour considéra que, conformément aux principes établis dans sa jurisprudence, les décisions du tribunal de district de Münster et de la cour d'appel avaient violé dans le chef des requérants les droits familiaux garantis par l'article 6 § 2, première phrase, de la Loi fondamentale, combiné avec l'article 6 § 3 (voir ci-dessous la partie « Le droit interne pertinent »).
Il existait des doutes sérieux sur le point de savoir si, quand ils avaient rendu leurs décisions, les tribunaux avaient reconnu l'importance des droits parentaux et avaient suffisamment eu égard au principe de proportionnalité. Le tribunal de district et la cour d'appel n'avaient pas convenablement examiné si les éléments de preuve permettaient d'établir qu'il y avait un risque de préjudice pour les enfants. Ils s'étaient contentés de s'appuyer sur le rapport de l'office de la jeunesse et sur l'expertise. Leurs décisions ne faisaient pas apparaître si les conclusions de l'expert étaient fondées sur des données fiables. Ces juridictions n'avaient pas examiné les arguments des requérants et n'avaient pas envisagé la possibilité d'ordonner d'autres mesures n'exigeant pas un retrait total des droits parentaux. Ni le tribunal de district ni la cour d'appel n'avaient interrogé les enfants ou fourni aux personnes parties à la procédure l'occasion de s'exprimer.
Les mesures ordonnées avaient conduit à un changement radical dans la vie de toutes les personnes concernées et emporté une ingérence particulièrement grave dans les droits parentaux. Or aucune recherche n'avait été menée, fût-ce par téléphone, avant la prise de ces décisions et aucune raison justifiant l'urgence de la situation n'avait été fournie.
Le tribunal de district ne disposait d'aucune information sur les conséquences possibles de sa décision, car ni l'office de la jeunesse ni l'expert n'avaient formulé d'observations à ce sujet. Or, pour la Cour constitutionnelle, lorsque l'on pesait les avantages et les inconvénients d'une mesure en matière familiale, il était pertinent de prendre en compte le fait que leur séparation d'avec leurs parents pouvait nuire au développement des enfants, en particulier au cours des premières années de leur vie.
Les tribunaux n'avaient pas non plus éclairci la contradiction entre les conclusions de l'expert selon lesquelles les requérants n'étaient pas prêts à coopérer et le fait que ce fût Mme Haase elle-même qui eut sollicité des conseils en matière d'éducation des enfants. En outre, il n'existait aucune indication permettant de savoir si les requérants avaient refusé les contacts ou l'aide proposés par l'office de la jeunesse, et jusqu'à quel point, et il n'était pas clairement mentionné quelles « mesures spécifiques d'assistance » (einzelne Jugendhilfemaßnahmen) avaient été appliquées par le passé et pourquoi elles n'avaient pas été couronnées de succès.
Le tribunal de district aurait tout d'abord dû définir clairement les questions qui se posaient et, entre-temps, il aurait pu prendre d'autres mesures provisoires s'il existait des motifs sérieux de croire que le bien-être des enfants était en péril.
31.  Pour la Cour constitutionnelle fédérale, il ne pouvait être exclu qu'avant la fin de la procédure sur le fond, qui devait être traitée par priorité, le tribunal de district émît une autre décision d'urgence. En ce cas, elle enjoignait au tribunal de district de rechercher avec soin si, à la lumière des preuves obtenues dans l'intervalle, il se justifiait toujours de maintenir la séparation entre les enfants et les requérants et si des changements répétés du lieu de résidence des enfants étaient dans l'intérêt supérieur de ceux-ci. Si le tribunal de district devait conclure qu'il y avait lieu de prolonger la situation telle qu'elle se présentait alors, il lui faudrait décider s'il convenait d'accorder aux requérants un droit de visite, assorti le cas échéant de restrictions ou de conditions, et si, en vertu d'une application stricte du principe de proportionnalité, il fallait limiter dans le temps les effets de pareille décision.
32.  Les 13 et 14 juin 2002, quatre des enfants, Timo, Nico, Anna-Karina et Lisa, furent interrogés par le juge du tribunal de district de Münster dans les différentes institutions où ils avaient été placés.
33.  D'après le procès-verbal des entretiens du 14 juin 2002 conservé au tribunal de district, Timo déclara qu'il souhaitait retourner chez ses parents. Il savait qu'il existait certaines raisons de les placer, lui et ses frères et sœurs, dans un environnement différent, et confirma qu'il avait eu trop de travail et de stress à la maison. Il adressa ses salutations à ses frères et sœurs.
34.  Nico, Anna-Karina et Lisa furent interrogés dans un autre foyer d'accueil. Nico déclara qu'il souhaitait savoir si ses parents et son papa préféré (« Lieblingsvater ») allaient bien. Il demanda pourquoi il ne pouvait aller chez son papa préféré et si quelqu'un, ses parents, son père ou Maurice, ne pourrait pas lui rendre visite. Lisa et Anna étaient avec lui et, selon elles, allaient bien. Lisa lui avait fait savoir qu'elle aussi souhaitait rentrer à la maison. Il déclara qu'il allait bien. Interrogé sur ses rêves, il répondit qu'il souhaitait aller chez son papa préféré, qui était très gentil, plus que son beau-père. En réponse à la question de savoir si le juge pouvait transmettre un message, il enregistra la lettre suivante au dictaphone : « Cher Sascha (son frère préféré), (ses sœurs préférées Lisa et Ramona), cher Alex, quel dommage que nous ne nous voyions pas (...) Sascha, Matthias, Ramona, Alex, son papa préféré et ses parents doivent venir lui rendre visite. » (Lieber Sascha (sein Lieblingsbruder), (Lieblingsschwestern Lisa und Ramona) lieber Alex, schade, dass wir uns nicht sehen ... Sascha, Matthias, Ramona, Alex, sein Lieblingsvater und seine Eltern sollten ihn besuchen kommen.)
Il dicta aussi la lettre suivante à l'intention de sa mère : « Chère maman, c'est dommage que tu ne viennes pas et pensées affectueuses de Maurice et Sandra et de Timo et de Lisa. Lisa et Anna vont bien. Ah, et peut-être pourriez-vous venir ici, ou bien est-ce que ce n'est pas possible ? » (Liebe Mama! Schade, dass Du nicht kommst und liebe Grüsse von Maurice und Sandra und von Timo und von Anna und dass es Lisa und Anna gut geht. Ja und, vielleicht: könntet Ihr ja mal herkommen. Oder geht das nicht?)
35.  Anna-Karina déclara qu'elle allait bien. Elle était en compagnie de Lisa et Nico. Tout le monde disait qu'elle devait annoncer à ses parents que tout allait bien. Elle ajouta ensuite qu'elle n'aimait pas l'endroit où elle se trouvait.
36.  Lisa-Marie regrettait que la « pauvre Sandra » fût toute seule sans aucun de ses frères et sœurs. Elle ne pourrait jamais supporter cela. Elle devait protéger Nico et Anna. C'était son devoir de grande sœur. Nico était très souvent battu dans cet endroit. Elle ne savait pas pourquoi. Sur une question, elle déclara qu'elle faisait ses devoirs très sérieusement et qu'elle avait de bons résultats à l'école. A la maison, elle manquait toujours de s'endormir quand elle faisait ses devoirs. Lorsque le juge lui demanda quel message il pouvait transmettre de sa part, elle répondit qu'elle n'aimait pas cet endroit et qu'elle souhaitait rentrer à la maison. Or les membres du personnel ne la croyaient pas. Elle ne les aimait pas vraiment. Elle ne voulait pas aller dans une autre institution. Elle voulait rentrer à la maison. Si elle n'avait pas le droit de rentrer chez elle, il fallait au moins l'autoriser à voir tout le monde, ses frères et sœurs, ses parents et son beau-père. Cela lui manquait parfois de ne pouvoir coucher Maurice. Quand on lui eut rapporté que Nico souhaitait retourner chez son papa préféré, Lisa-Marie répondit que, contrairement à Nico, elle aimait et son père et son beau-père.
37.  Le 24 juin 2002, à la suite de la décision de la Cour constitutionnelle fédérale, le tribunal de district de Münster fixa au 1er juillet 2002 l'audience sur la demande de l'office de la jeunesse de Münster, datant du 17 décembre 2001, de retirer provisoirement aux requérants leurs droits parentaux. Il délégua à l'office de la jeunesse le droit de décider du lieu de résidence des enfants (Aufenthaltsbestimmungsrecht). Le tribunal de district considéra que l'intérêt supérieur des enfants ne commandait pas de modifier avant que ne fût rendue la décision sur le fond la situation telle qu'elle se présentait alors. Il estima que sa décision du 18 décembre 2001 interdisant toute visite des requérants aux enfants avait toujours lieu d'être puisqu'elle n'avait pas été infirmée par la Cour constitutionnelle fédérale.
38.  Le 1er juillet 2002, le tribunal de district tint une audience à laquelle assistèrent les requérants et leur avocat, le premier mari de Mme Haase, le curateur, un avocat et les représentants de l'office de la jeunesse de Münster, les experts, M. G. et Mme K., et le docteur J., pédiatre des enfants. Mme K. donna des détails de sa visite du 11 juin 2002 au domicile des requérants et résuma l'entretien. Elle déclara qu'après une étude du volumineux dossier concernant les requérants et du rapport de M. G., elle ne pouvait confirmer que les conclusions du rapport étaient erronées. Elle exprima l'avis que les enfants ne devaient pas être rendus aux requérants.
Le pédiatre des enfants indiqua qu'ils étaient tous ses patients depuis leur naissance, à l'exception de la petite fille née en décembre 2001. Bien qu'il connût les problèmes des enfants, notamment les difficultés que posait Nico, les requérants lui avaient fait une impression totalement positive. Il s'agissait d'une grande famille avec beaucoup d'enfants. Toutefois, les requérants étaient des parents aimants qui s'occupaient très bien de leurs enfants. Il n'existait aucun signe de ce que ceux-ci eussent été battus ou maltraités de quelque autre façon.
Le curateur était opposé à tout contact entre les requérants et les enfants.
39.  En vertu d'une ordonnance de référé rendue le même jour, à savoir le 1er juillet 2002, le tribunal de district de Münster transféra provisoirement la garde (Personensorge) des enfants à l'office de la jeunesse de Münster et confirma sa décision du 18 décembre 2001. Il chargea l'experte de compléter son rapport, en lui demandant notamment de faire des commentaires sur le point de savoir s'il était nécessaire, dans l'intérêt supérieur des enfants, de maintenir l'interdiction de visite, si les enfants devaient être autorisés à aller voir les enfants issus du premier mariage – Matthias, Sascha, Ramona et Alexander – et, le cas échéant, comment on pouvait organiser de telles visites tout en tenant secret le lieu de résidence des enfants.
40.  Le tribunal de district s'appuya en particulier sur la conclusion de l'expert, M. G., selon laquelle la séparation des requérants et de leurs enfants devait être maintenue. Les requérants étaient incapables d'élever leurs enfants en raison de leurs propres carences fondamentales et irréparables en matière d'éducation et de leur exercice abusif de l'autorité parentale. Les enfants étaient perturbés sur le plan émotionnel et avaient des comportements inhabituels. Ils avaient été frappés et enfermés. De plus, les quatre aînés issus du premier mariage avaient approuvé la séparation des enfants plus jeunes et de leur mère et refusé tout contact avec celle-ci. Mme Haase tenait à donner une image positive d'elle-même dans le seul but d'obtenir un soutien d'autrui. Or un tel soutien était voué à l'échec.
Le tribunal de district nota que Mme K. n'avait pas encore déposé son rapport. Toutefois, elle avait confirmé les conclusions de M. G. et déclaré lors de l'audience du 1er juillet 2002 qu'il n'y avait pas d'autre solution que de séparer les enfants et les requérants. Selon Mme K., Mme Haase n'avait jamais été soucieuse de remettre son comportement en question. Celle-ci songeait uniquement à satisfaire ses propres besoins et refusait d'accepter les conseils qu'on lui donnait pour éduquer ses enfants en vue de pallier ses carences, et avait d'ailleurs avoué n'avoir pas suivi de thérapie en 1994. Mme K. n'avait rien trouvé à redire à l'avis de l'expert, M. G.
Le tribunal de district considéra que les nombreuses déclarations écrites de témoins produites par les requérants et confirmant que les enfants n'avaient pas été battus ou maltraités ne constituaient pas des preuves suffisantes en faveur des intéressés. En effet, il pouvait y avoir un dommage psychologique, causé par la cruauté verbale par exemple. Quant à la déclaration de Lisa-Marie, qui affirmait souhaiter rentrer chez ses parents, elle ne reflétait pas les intentions réelles de l'enfant mais résultait d'un conflit de loyauté.
Le tribunal de district compara ensuite la situation décrite dans une expertise datant de 1993 avec la situation actuelle : Mme Haase était toujours bien habillée, tandis que son mari avait l'air épuisé. Il conclut que Mme Haase n'était pas consciente de ses problèmes, mais aggravait avec chaque nouvelle grossesse les carences émotionnelles des enfants. C'est ce que Mme K. avait confirmé après s'être entretenue avec les requérants le 11 juin 2002.
Le tribunal de district affirma que sa décision du 17 décembre 2001 était fondée sur l'expérience acquise dans des affaires où il avait fallu prendre des mesures coercitives. Si les parents avaient été prévenus de la mesure demandée, ils auraient opposé de la résistance, comme le montraient leur attitude et la manière excessive dont les médias avaient réagi à leur histoire. Une exécution des décisions de justice avec l'intervention des autorités et de la police aurait été contraire à l'intérêt supérieur des enfants.
41.  Le 16 juillet 2002, les requérants attaquèrent cette décision auprès de la cour d'appel de Hamm.
42.  Le 20 août 2002, ils récusèrent Mme K. pour parti pris. Selon eux, l'experte avait volontairement retardé la préparation de son rapport afin de les séparer des enfants plus longtemps. On ne pouvait escompter qu'elle agît dans l'intérêt supérieur des enfants. Sans avoir vu ces derniers, elle avait recommandé lors de l'audience du 1er juillet 2002 devant le tribunal de district de les séparer d'eux. Son attitude inamicale envers eux, lorsqu'elle les avait interrogés à leur domicile le 11 juin 2002, et les références aux dossiers datant de 1993, époque où Mme Haase connaissait des problèmes liés à son divorce, confirmaient que Mme K. n'était pas impartiale.
43.  Le 18 septembre 2002, les requérants récusèrent le juge du tribunal de district de Münster pour parti pris. Ils se fondaient sur des décisions rendues auparavant par ce juge en faveur de l'office de la jeunesse, en contradiction selon eux avec les recommandations des experts.
Le 23 septembre 2002, le juge refusa de se déporter.
Le 30 septembre 2002, l'avocat des requérants soumit une nouvelle requête en récusation à l'encontre du juge du tribunal de district et de Mme K. pour parti pris.
Le 7 octobre 2002, le tribunal de district de Münster rejeta la requête dirigée contre le juge au motif que les allégations des requérants étaient dénuées de fondement.
C.  Développements ultérieurs
44.  Le 10 décembre 2002, la cour d'appel de Hamm rejeta le recours formé par les requérants contre la décision prise le 7 octobre 2002 par le tribunal de district de Münster.
Le 19 décembre 2002, le tribunal de district de Münster rejeta la requête en récusation pour parti pris concernant Mme K.
45.  Le 13 janvier 2003, Mme K. remit son rapport. Elle y confirmait ses précédentes conclusions.
46.  Le 19 février 2003, la Cour constitutionnelle fédérale, siégeant en une formation de trois juges, refusa d'examiner le recours constitutionnel des requérants contre les décisions des 7 octobre et 10 décembre 2002.
47.  Le 18 février 2003, le tribunal de district de Münster tint une audience à laquelle assistèrent les requérants, l'office de la jeunesse, le curateur et les experts, M. G. et Mme K. Le curateur déclara que les enfants s'étaient habitués à leurs nouvelles conditions d'existence, qui paraissaient leur convenir.
48.  Le 4 mars 2003, trois des enfants vivant avec leur père, à savoir Matthias, Sascha et Alexander, furent entendus séparément par le tribunal de district de Münster. Ils ne souhaitaient pas voir leur mère.
49.  Par une décision au fond rendue le 6 mars 2003, le tribunal de district de Münster retira aux requérants leur droits parentaux à l'égard de leurs quatre enfants et des trois enfants du premier mariage de Mme Haase vivant avec eux, et leur interdit de rendre visite à ces enfants jusqu'en juin 2004. Il s'appuyait sur les articles 1666, 1666a et 1684 § 4 du code civil (paragraphes 53-55 ci-dessous). Les autorités étaient tenues de prendre les mesures en cause, qui se justifiaient en vertu de l'article 6 § 3 de la Loi fondamentale et étaient nécessaires dans une société démocratique à la protection de la santé et des droits des enfants au sens de l'article 8 § 2 de la Convention. Le tribunal estimait que la situation familiale était difficile et que les enfants étaient en danger. Les requérants, Mme Haase en particulier, étaient inflexibles et incapables de comprendre les besoins des enfants et avec la mère il serait impossible de mettre en œuvre quelque mesure éducative que ce fût. Les conditions dans lesquelles les enfants avaient été élevés étaient totalement insatisfaisantes. Les enfants avaient accompli des progrès notables dans les foyers d'accueil où ils avaient été placés, avaient gagné en confiance et présentaient moins de troubles du comportement.
50.  Par une décision distincte du même jour, le tribunal de district de Münster interdit tout contact entre Mme Haase et ses quatre aînés, à savoir Matthias, Sascha, Ramona et Alexander, jusqu'à la fin 2004 ou, s'agissant du plus âgé d'entre eux, Matthias, jusqu'à sa majorité.
51.  Les requérants firent appel des décisions précitées.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
52.  L'article 6 de la Loi fondamentale (Grundgesetz) est ainsi libellé :
2)  Elever et éduquer les enfants sont un droit naturel des parents et une obligation qui leur échoit en priorité. La communauté étatique veille sur la manière dont ils s'acquittent de ces tâches.
3)  La séparation des enfants d'avec leur famille contre la volonté des personnes habilitées à les élever ne peut avoir lieu que conformément à une loi, à condition que ces personnes aient failli à leurs obligations ou que les enfants soient pour toute autre raison menacés de négligence. »
53.  L'article 1666 du code civil (Bürgerliches Gesetzbuch) prévoit que les tribunaux de la famille ont l'obligation d'ordonner les mesures nécessaires en cas de danger pour le bien-être de l'enfant (Gefährdung des Kindeswohls).
54.  L'article 1666a dispose en son premier alinéa que des mesures visant à séparer un enfant de sa famille ne sont permises que si aucune autre mesure ne peut être prise par les autorités pour éviter tout danger pour le bien-être de l'enfant.
L'article 1666a, deuxième alinéa, est ainsi libellé :
« L'autorité [parentale] complète ne peut être retirée que si d'autres mesures se sont révélées inefficaces ou doivent passer pour insuffisantes à supprimer le danger (Die gesamte Personensorge darf nur entzogen werden, wenn andere Maßnahmen erfolglos geblieben sind oder wenn anzunehmen ist, dass sie zur Abwendung der Gefahr nicht ausreichen). »
55.  Aux termes de l'article 1684 § 4 du code civil, le tribunal de la famille peut limiter ou suspendre le droit de visite si cela se révèle nécessaire au bien-être de l'enfant. Il ne peut décider de limiter ou suspendre ce droit pour une longue période ou définitivement que si le bien-être de l'enfant risque autrement d'en pâtir. Il peut ordonner que le droit de visite soit exercé en présence d'un tiers, tel un représentant de l'office de la jeunesse ou d'une association.
EN DROIT
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
73.  Les requérants se plaignaient du retrait de leurs droits parentaux et de la prise en charge de leurs enfants par l'autorité publique. Ils dénonçaient également la manière dont la décision incriminée avait été mise en œuvre, alléguant une violation de l'article 8 de la Convention, qui dispose en ses passages pertinents :
« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie (...) familiale (...)
2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à (...) la protection de la santé (...) ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
A.  Arguments des comparants
1.  Les requérants
74.  Les requérants observent que, dès que l'expert, M. G., lui eut remis son rapport le 17 décembre 2001, l'office de la jeunesse sollicita une ordonnance de référé auprès du tribunal de district de Münster qui, le même jour, les priva de l'autorité parentale et ordonna qu'on leur retirât leurs enfants comme le préconisait l'office de la jeunesse. Ils se demandent si une collaboration aussi étroite entre l'office de la jeunesse et le tribunal de district est conforme aux principes de la prééminence du droit et du contrôle effectif des tribunaux.
75.  Les requérants plaident que la prise en charge des enfants par l'autorité publique et le fait de les retirer de chez eux sont des mesures extrêmement radicales. Il n'était pas convenable de s'appuyer sur des enquêtes datant de 1992 et 1993 et d'ordonner les mesures litigieuses sans entendre ce qu'eux-mêmes ou des témoins avaient à dire au sujet des arguments avancés par l'office de la jeunesse. En particulier, le placement de Laura-Michelle quelques jours après sa naissance constitue une atteinte grave à l'article 8 de la Convention et doit passer pour un traitement inhumain tant pour la mère que pour l'enfant. En outre, l'enfant lui ayant été retirée peu après la naissance, Mme Haase n'a pu l'allaiter, alors que les bénéfices de l'allaitement maternel pour la santé des nourrissons sont reconnus. Le bébé n'était mentionné ni dans le rapport d'expertise ni dans la demande adressée par l'office de la jeunesse au tribunal de district. L'enlèvement de Laura-Michelle à l'hôpital était donc irrégulier. En dépit de la décision rendue par la Cour constitutionnelle fédérale le 21 juin 2002, ils subissent toujours les conséquences de la décision du tribunal de district de Münster du 17 décembre 2001, puisqu'ils sont toujours séparés des enfants dont certains sont toujours séparés des autres.
76.  Les requérants soutiennent en outre que les déclarations de leur pédiatre, le docteur J., qui connaissait tous les enfants, à l'exception de Laura-Michelle, depuis leur naissance, n'ont pas été suffisamment prises en compte par le tribunal de district. Contestant les conclusions des experts, M. G. et Mme K., les requérants affirment qu'il n'existe aucune preuve convaincante montrant qu'ils étaient incapables d'élever leurs enfants. Mme K. avait fondé ses conclusions sur les déclarations écrites d'un travailleur social datant du 17 mai 1993, une époque critique de la vie de Mme Haase qui, alors âgée de vingt-cinq ans, était sur le point de divorcer de son premier mari. Il n'y avait aucune indication du contexte dans lequel ces déclarations avaient été faites environ dix ans auparavant. Or le tribunal de district de Münster a fondé sa décision de mars 2003 pour une large part sur cette affirmation. De plus, dans son rapport, Mme K. s'appuyait sur les dossiers mis à sa disposition par l'office de la jeunesse et sur le rapport de M. G. plutôt que sur ses observations personnelles. La consommation abusive de drogue de la part d'un enfant, mentionnée dans le rapport de Mme K., ne concernait qu'un événement ponctuel survenu alors que la petite fille âgée de quatre ans s'était trouvée accidentellement en possession d'un médicament. Pendant des années, les requérants ont consulté les mêmes médecins, le pédiatre J. et le gynécologue W. Aucune carence n'a été notée dans les soins apportés aux enfants et leur éducation. Il n'a jamais été signalé que leurs enfants étaient victimes de violences ou de négligences appelant une assistance en matière éducative ou sociale. Les difficultés que connaissait l'un des garçons avaient été portées à l'attention d'une institution psychiatrique de Münster par Mme Haase en personne, ce que l'office de la jeunesse avait pris comme exemple des carences parentales des intéressés. A l'appui de leurs arguments, les requérants invoquent deux rapports établis par des experts privés qu'ils ont consultés à partir de juin et juillet 2002.
2.  Le Gouvernement
77.  Le Gouvernement soutient que le retrait des droits parentaux des requérants et le placement des enfants n'ont entraîné aucune violation de l'article 8. L'ingérence dans le droit des intéressés au respect de leur vie familiale était prévue par la loi et les décisions y relatives visaient à protéger l'intérêt supérieur des enfants, raison pour laquelle elles étaient « nécessaires dans une société démocratique ».
78.  La décision de retirer aux requérants leurs droits parentaux à l'égard de leurs enfants et des enfants issus du premier mariage de Mme Haase vivant sous leur toit se fondait sur les articles 1666 et 1666a du code civil. Le bien-être physique et psychologique des enfants serait mis gravement en péril s'ils devaient retourner chez les requérants à cause de l'exercice abusif qui était fait de l'autorité parentale, de la négligence envers les enfants et des carences des deux parents, indépendamment du point de savoir si cela était dû à une faute de leur part. Toute autre mesure moins radicale aurait été inappropriée. Le tribunal de district s'est fondé sur toutes les informations dont il disposait à l'époque : il a examiné les 17 et 18 décembre 2001 le rapport établi par M. G., pris en compte les arguments énoncés par Mme K. lors de l'audience du 1er juillet 2002, entendu les requérants et les enfants Anna-Karina, Lisa-Marie, Nico et Timo, et désigné un curateur en lui demandant son avis sur la situation.
79.  La conclusion du premier expert, M. G., selon laquelle la séparation des enfants d'avec leurs parents constituait la seule solution pour éliminer tout danger pour les enfants, avait été confirmée pour l'essentiel par la seconde experte, Mme K.
80.  Quant à la décision refusant aux requérants un droit de visite à l'égard des enfants, le Gouvernement fait observer que ces derniers ont été placés dans des foyers d'accueil dont les coordonnées n'ont pas été communiquées. Si un droit de visite était accordé aux requérants, les enfants ne pouvaient rester dans ces institutions en raison du comportement de certains médias, qu'il y avait lieu de qualifier d'excessif. D'après Mme K., autoriser des visites mettrait le bien-être des enfants en péril, pour la simple raison que la mère ne saisissait absolument pas la nécessité d'une séparation. Selon l'experte, la mère n'y était pas préparée et, comme elle était profondément affectée par les mesures prises, elle n'était apparemment pas prête à observer quelque règle que ce fût s'agissant des visites ; elle était de plus imprévisible. On pouvait probablement en dire autant de M. Haase. Les enfants devaient au moins pouvoir jouir d'une certaine paix ; ils seraient à l'évidence incapables de supporter des visites de leurs parents, qui ne comprenaient pas la situation, ne l'acceptaient pas et ne pourraient le leur cacher.
81.  Pour ce qui est des décisions prises par le tribunal de district de Münster le 6 mars 2003, le Gouvernement soutient que les mesures incriminées visaient à protéger les intérêts des enfants et qu'elles étaient proportionnées à ce but et, partant, nécessaires dans une société démocratique au sens de l'article 8 § 2 de la Convention.
B.  Appréciation de la Cour
c)  « Nécessaire dans une société démocratique »
i.  Principes généraux
88.  Pour déterminer si la mesure litigieuse était « nécessaire dans une société démocratique », la Cour doit examiner, à la lumière de l'ensemble de l'affaire, si les motifs invoqués pour la justifier étaient pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l'article 8 de la Convention. La notion de nécessité implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux, et notamment proportionnée au but légitime recherché (voir, entre autres, Gnahoré c. France, no 40031/98, § 50 in fine, CEDH 2000-IX).
89.  Sans doute le souci de l'intérêt supérieur de l'enfant revêt-il une importance cruciale dans toute affaire de cette sorte. En outre, il ne faut pas perdre de vue que les autorités nationales bénéficient de rapports directs avec tous les intéressés, souvent dès le moment où des mesures de placement sont envisagées ou immédiatement après leur mise en œuvre (arrêts Johansen c. Norvège, arrêt du 7 août 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, pp. 1003-1004, § 64, et K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, §§ 151, 154 et 173, CEDH 2001-VII). Il découle de ces considérations que la Cour n'a pas pour tâche de se substituer aux autorités internes dans l'exercice de leurs responsabilités en matière de réglementation des questions de prise en charge d'enfants par l'autorité publique et des droits des parents dont les enfants ont été ainsi placés, mais de contrôler sous l'angle de la Convention les décisions qu'elles ont rendues dans l'exercice de leur pouvoir d'appréciation (arrêts Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, série A no 299-A, p. 20, § 55, Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, § 66, CEDH 2002-I, Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 64, CEDH 2003-VIII, et Sommerfeld c. Allemagne [GC], no 31871/96, 8 juillet 2003, § 62).
90.  La marge d'appréciation laissée ainsi aux autorités nationales compétentes variera selon la nature des questions en litige et la gravité des intérêts en jeu. Si les autorités jouissent d'une grande latitude pour apprécier la nécessité de prendre en charge un enfant, en particulier lorsqu'il y a urgence, la Cour doit néanmoins avoir acquis la conviction que dans l'affaire en question il existait des circonstances justifiant le retrait de l'enfant, et il incombe à l'Etat défendeur d'établir que les autorités ont évalué avec soin l'incidence qu'aurait sur les parents et l'enfant la mesure de placement envisagée, ainsi que d'autres solutions que la prise en charge de l'enfant avant de mettre une pareille mesure à exécution (arrêts K. et T. c. Finlande, précité, § 155, Kutzner, précité, § 67, et P., C. et S. c. Royaume-Uni, no 56547/00, § 116, CEDH 2002-VI).
91.  De plus, la prise en charge d'un nouveau-né par l'autorité publique dès sa naissance est une mesure extrêmement dure. Il faut des raisons extraordinairement impérieuses pour qu'un bébé puisse être soustrait à sa mère, contre le gré de celle-ci, immédiatement après la naissance à la suite d'une procédure à laquelle ni la mère ni son compagnon n'ont été mêlés (K. et T. c. Finlande, arrêt précité, § 168).
92.  A la suite d'un placement, il faut exercer un contrôle plus rigoureux sur les restrictions supplémentaires, comme celles apportées par les autorités aux droits parentaux et au droit de visite des parents, et sur les garanties destinées à assurer la protection effective du droit des parents et des enfants au respect de leur vie familiale. Ces restrictions supplémentaires comportent le risque d'amputer les relations familiales entre un jeune enfant et ses parents (Elsholz c. Allemagne [GC], no 25735/94, § 49, CEDH 2000-VIII, Kutzner précité, § 67, et Sahin précité, § 65).
93.  Il faut normalement considérer la prise en charge d'un enfant comme une mesure temporaire à suspendre dès que la situation s'y prête et tout acte d'exécution doit concorder avec un but ultime : unir à nouveau le parent naturel et l'enfant (Johansen précité, pp. 1008-1009, § 78, et E.P. c. Italie, no 31127/96, § 69, 16 novembre 1999). A cet égard, un juste équilibre doit être ménagé entre les intérêts de l'enfant à demeurer placé et ceux du parent à vivre avec lui (Hokkanen précité, p. 20, § 55). En procédant à cet exercice, la Cour attachera une importance particulière à l'intérêt supérieur de l'enfant qui, selon sa nature et sa gravité, peut l'emporter sur celui du parent (Johansen précité, pp. 1008-1009, § 78). En particulier, l'article 8 ne saurait autoriser le parent à faire prendre des mesures préjudiciables à la santé et au développement de l'enfant (Elsholz précité, § 50, et Sahin précité, § 66).
94.  Si l'article 8 ne renferme aucune condition explicite de procédure, il faut que le processus décisionnel débouchant sur des mesures d'ingérence soit équitable et respecte comme il se doit les intérêts protégés par cette disposition. La Cour doit donc déterminer, en fonction des circonstances de l'espèce et notamment de la gravité des décisions à prendre, si les requérants ont pu jouer dans le processus décisionnel, considéré comme un tout, un rôle suffisamment important pour leur assurer la protection requise de leurs intérêts (arrêts W. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, série A no 121, pp. 28-29, § 64, Elsholz, précité, § 52, et T.P. et K.M. c. Royaume-Uni [GC], no 28945/95, § 72, CEDH 2001-V).
95.  La Cour admet que lorsque des mesures doivent être prises d'urgence pour protéger un enfant il peut ne pas toujours être possible, compte tenu justement de l'urgence, d'associer au processus décisionnel les personnes qui ont la garde de l'enfant. Semblable concertation, lorsqu'elle est envisageable, peut même ne pas être souhaitable si les personnes en question sont perçues comme représentant une menace immédiate pour l'enfant, dès lors que le fait même d'avertir préalablement ces personnes serait de nature à priver la mesure de son efficacité. Il y a toutefois lieu de convaincre la Cour que les autorités nationales pouvaient à bon droit considérer qu'il existait des circonstances justifiant que l'enfant fût soustrait de manière abrupte à la garde de ses parents sans que ceux-ci eussent été avisés ou consultés au préalable. En particulier, il incombe à l'Etat défendeur d'établir qu'il avait été procédé, avant la mise en œuvre de la mesure litigieuse, à une évaluation soigneuse de l'impact que pouvait avoir sur les parents et sur l'enfant la prise en charge envisagée et des autres solutions possibles (K. et T. c. Finlande précité, § 166). Le fait qu'un enfant puisse être accueilli dans un cadre plus propice à son éducation ne saurait en soi justifier qu'on le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques ; pareille ingérence dans le droit des parents, au titre de l'article 8 de la Convention, à jouir d'une vie familiale avec leur enfant doit encore se révéler « nécessaire » en raison d'autres circonstances (K.A. c. Finlande, no 27751/95, § 92, 14 janvier 2003).
ii.  Application de ces principes en l'espèce
96.  Pour en venir aux faits de la cause, la Cour note que l'expert, M. G., a rencontré Mme Haase et trois des enfants en septembre et octobre 2001 au domicile des requérants, et a remis son rapport à l'office de la jeunesse le 17 décembre 2001. A cette date, l'office a sollicité une ordonnance de référé et, le jour même, le tribunal de district de Münster a pris l'ordonnance demandée sans entendre les parents. Le lendemain, les enfants ont été séparés de leur famille et en partie les uns des autres et placés dans des foyers d'accueil dont les coordonnées n'ont pas été communiquées. On est allé chercher le bébé nouveau-né à l'hôpital. Le 1er mars 2002, sans tenir d'audience, la cour d'appel de Hamm a rejeté le recours des requérants.
97.  Le 21 juin 2002, la Cour constitutionnelle fédérale a infirmé ces décisions, considérant qu'il y avait eu violation des droits parentaux des requérants. Selon cette juridiction, la question de savoir si les éléments de preuve permettaient d'établir qu'il existait un risque de préjudice pour les enfants n'avait pas été convenablement étudiée. Elle a notamment relevé que les arguments des requérants n'avaient pas été examinés et que la possibilité d'ordonner d'autres mesures n'exigeant pas un retrait total des droits parentaux n'avait pas été envisagée. Ni le tribunal de district ni la cour d'appel n'avaient entendu les enfants ou donné aux personnes parties à la procédure l'occasion de s'exprimer. Aucune raison attestant l'urgence de la situation n'avait été fournie. Le tribunal de district ne disposait d'aucune information sur les conséquences possibles de sa décision, car ni l'office de la jeunesse ni l'expert n'avaient formulé d'observations à ce sujet. Or, pour la Cour constitutionnelle, lorsque l'on pesait les avantages et les inconvénients d'une mesure en matière familiale, il était pertinent de prendre en compte le fait que leur séparation d'avec leurs parents pouvait nuire au développement des enfants, en particulier au cours des premières années de leur vie (paragraphe 30 ci-dessus).
98.  Selon la Cour, les conclusions de la Cour constitutionnelle fédérale montrent que le retrait provisoire des droits parentaux des requérants et le placement des enfants n'étaient pas étayés par des motifs pertinents et suffisants et que les requérants n'ont pas joué dans le processus décisionnel un rôle suffisamment important pour leur assurer la protection requise de leurs intérêts.
99.  De plus, la Cour observe que, avant que les autorités publiques ne recourent à des mesures d'urgence dans un domaine aussi sensible que le placement d'enfants, l'imminence du danger doit être réellement établie. Certes, dans les cas où le danger est évident, il n'y a pas lieu d'associer les parents. Cependant, s'il demeure possible d'entendre les parents des enfants et de discuter avec eux de la nécessité de la mesure, il n'y a pas de raison d'agir dans l'urgence, notamment lorsque, comme en l'espèce, le danger était présent depuis longtemps déjà. Il n'existait donc aucune urgence de nature à justifier l'ordonnance de référé prise par le tribunal de district.
100.  La Cour s'est également penchée sur la méthode utilisée pour mettre en œuvre la décision du tribunal de district du 17 décembre 2001. Prendre brusquement six enfants à leurs écoles respectives, leur crèche et chez eux pour les placer dans des institutions dont les coordonnées n'ont pas été communiquées, et interdire tout contact entre les enfants et les requérants sont des mesures qui allaient au-delà des exigences de la situation et qui ne sauraient être considérées comme proportionnées.
101.  En particulier, le fait de s'emparer du bébé nouveau-né à l'hôpital était un acte extrêmement dur qui a été traumatisant pour la mère et a mis sa santé physique et mentale à rude épreuve. Cette mesure a privé le nouveau-né d'un contact étroit avec sa mère biologique ainsi que, comme les requérants l'ont indiqué, des avantages de l'allaitement maternel. Elle a également empêché le père d'être auprès de sa fille après la naissance. Il n'appartient pas à la Cour de prendre la place des autorités allemandes et de spéculer sur ce qu'aurait pu être la meilleure solution pour l'enfant dans ce cas particulier. La Cour est consciente des problèmes auxquels les autorités sont confrontées dans des situations où il faut agir dans l'urgence. Si rien n'est fait, il existe un risque réel que l'enfant subisse un préjudice et que les autorités aient à répondre de leur inaction. En revanche, si des mesures de protection sont prises, les autorités s'exposent au risque de se voir reprocher une ingérence inacceptable dans le droit au respect de la vie familiale. Toutefois, alors qu'était envisagée une mesure aussi draconienne pour la mère, consistant à la priver totalement de son bébé juste après la naissance, il était du devoir des autorités nationales compétentes de rechercher s'il n'était pas possible, à un moment aussi critique de la vie des parents et de l'enfant, d'agir de manière moins attentatoire à la vie familiale.
102.  Comme indiqué plus haut (paragraphe 91), il faut des raisons extraordinairement impérieuses pour qu'un bébé puisse être soustrait à sa mère, contre le gré de celle-ci, immédiatement après la naissance à la suite d'une procédure à laquelle ni la mère ni le père n'ont été associés.
103.  La Cour n'est pas convaincue que l'existence de telles raisons ait été démontrée quant à la petite fille née à l'hôpital. Bien que la Cour constitutionnelle fédérale ait infirmé la décision litigieuse adoptée par le tribunal de district de Münster le 17 décembre 2001, cette dernière continue à former la base de la séparation des requérants et de leurs enfants depuis le 18 décembre 2001. L'expérience indique que lorsque des enfants restent pris en charge par l'autorité publique pendant une longue période, cela enclenche un processus qui les conduit vers une séparation irréversible d'avec leur famille. Lorsqu'un délai considérable s'est écoulé depuis le placement des enfants, l'intérêt de ceux-ci à ne pas connaître de nouveau changement de leur situation familiale peut l'emporter sur l'intérêt des parents à voir la famille réunie. Les possibilités de retrouvailles diminuent progressivement et sont en fin de compte anéanties lorsque les parents biologiques et les enfants ne sont pas du tout autorisés à se voir. Le facteur temps revêt donc une importance particulière car tout retard procédural risque de trancher en fait le problème en litige (H. c. Royaume-Uni, arrêt du 8 juillet 1987, série A no 120, pp. 63-64, §§ 89-90). De surcroît, la mesure draconienne que constituait la soustraction de la fille des requérants à sa mère peu après la naissance ne pouvait d'après la Cour que conduire à faire de l'enfant une étrangère pour ses parents et ses frères et sœurs, et comportait forcément le risque que les relations familiales entre les parents et l'enfant ne soient effectivement amputées. De par leur effet immédiat et leurs conséquences, les mesures prises sont donc difficiles à redresser.
104.  A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que la décision adoptée par le tribunal de district de Münster le 17 décembre 2001, le fait que, sans justification, les requérants n'ont pas été autorisés à participer au processus décisionnel ayant abouti à cette décision, les méthodes utilisées pour mettre en œuvre cette dernière, notamment l'acte draconien consistant à retirer le bébé nouveau-né à sa mère peu après la naissance, et le caractère irréversible de ces mesures, ne reposaient pas sur des motifs pertinents et suffisants et ne sauraient passer pour avoir été « nécessaires » dans une société démocratique.
105.  En conséquence, il y a eu violation de l'article 8 de la Convention.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 8 avril 2004, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Vincent Berger Ireneu Cabral Barreto   Greffier Président
ARRÊT HAASE c. ALLEMAGNE
ARRÊT HAASE c. ALLEMAGNE 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 11057/02
Date de la décision : 08/04/2004
Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 8 en ce qui concerne la prise en charge ; Aucune question distincte au regard de l'art. 6-1 ; Irrecevable quant à l'art. 8 en ce qui concerne le refus du droit de visite ; Dommage matériel - réparation pécuniaire ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens

Analyses

(Art. 34) VICTIME, (Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE FAMILIALE, (Art. 8-2) INGERENCE, (Art. 8-2) NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE, (Art. 8-2) PROTECTION DE LA MORALE, (Art. 8-2) PROTECTION DE LA SANTE


Parties
Demandeurs : HAASE
Défendeurs : ALLEMAGNE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2004-04-08;11057.02 ?

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