La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/05/2004 | CEDH | N°56651/00

CEDH | AFFAIRE DESTREHEM c. FRANCE


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE DESTREHEM c. FRANCE
(Requête no 56651/00)
ARRÊT
STRASBOURG
18 mai 2004
DÉFINITIF
18/08/2004
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. 
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. L. Loucaides, président,    J.-P. Costa,    C. Bîrsan,    K. Jungwiert,    V. Butkevych,   Mme W. Thomassen,   M. M. Ugrekhelidze, ju

ges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 30 septembre 20...

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE DESTREHEM c. FRANCE
(Requête no 56651/00)
ARRÊT
STRASBOURG
18 mai 2004
DÉFINITIF
18/08/2004
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. 
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. L. Loucaides, président,    J.-P. Costa,    C. Bîrsan,    K. Jungwiert,    V. Butkevych,   Mme W. Thomassen,   M. M. Ugrekhelidze, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 30 septembre 2003 et 27 avril 2004,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 56651/00) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Jean-Noël Destrehem (« le requérant »), avait saisi la Cour le 4 avril 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). Il est représenté devant la Cour par Me D. Rouget, avocat à Bayonne.
2.  Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, directeur des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3.  Sous l’angle de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, le requérant se plaignait de l’absence de comparution des témoins à charge devant les juridictions qui l’ont jugé ainsi que du refus de la cour d’appel de Reims d’entendre les témoins à décharge.
4.  La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
5.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la nouvelle deuxième section de la Cour, dont la composition a été remaniée (article 52 § 1).
6.  Par une décision du 30 septembre 2003, la Cour a déclaré la requête partiellement recevable eu égard à la violation alléguée de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention en ce qui concerne le défaut de convocation et d’audition des témoins à décharge ; elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus.
7.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
8.  Le requérant est un ressortissant français, né en 1958 et résidant à Reims.
I.  Les circonstances de l’espèce
9.  Le 14 février 1998, le requérant participait, à Reims, à une manifestation pacifiste contre la tenue d’une réunion politique d’extrême droite. Deux lieutenants de police du service des renseignements généraux, R. et M., et une policière stagiaire, Ra., habillés en civil à bord d’une voiture banalisée, étaient affectés à la surveillance de la manifestation.
10.  Alors que la manifestation arrivait à son terme, un petit groupe composé de quatre manifestants, dont faisait partie le requérant, se trouvait dans une rue, à l’écart du lieu de la manifestation. Dans cette rue stationnait la voiture dans laquelle se trouvaient R., M. et Ra. Un incident éclata entre les quatre manifestants et les policiers. Cet incident débuta avec l’explosion d’un pétard sous le véhicule, occasionnant des manœuvres du conducteur de la voiture et se termina par un coup de marteau porté par un individu dans le pare-brise de celle-ci. Le déroulement des événements s’étant produits au cours de cet incident fit l’objet de deux versions divergentes.
11.  Selon les policiers, une bouteille vint percuter le pare-brise de la voiture. Afin de pouvoir identifier et appréhender l’auteur de ce jet, ils sortirent de la voiture et, dès lors, furent pris à partie par deux individus, alors que d’autres manifestants se dirigeaient vers le véhicule. Dans leurs dépositions, les policiers alléguèrent que le requérant monta sur le capot de la voiture armé d’un marteau et porta plusieurs coups violents sur le pare-brise jusqu’à ce que celui-ci s’étoilât et que le marteau s’y figeât. C’est seulement après cet incident qu’ils purent repartir.
12.  Selon le requérant, deux hommes sortirent du véhicule et prirent violemment à partie les manifestants. Il affirma qu’une personne fut empoignée et frappée et, qu’alertés par le bruit, une vingtaine de manifestants, pensant qu’il s’agissait d’une agression provenant des forces de l’ordre du Front National, se rapprocha. Les passagers de la voiture réintégrèrent le véhicule avant que les manifestants ne les eussent atteints. La voiture redémarra et fut la cible de nombreux projectiles et de coups portés sur la carrosserie, les phares et le pare-brise. La voiture fit demi-tour et s’en alla.
13.  Le 14 février 1998, donc le jour même, une enquête en flagrance visant nommément le requérant fut ouverte pour voies de faits contre agents de la force publique et dégradation d’objet d’utilité publique. Le 17 février 1998, dans le cadre de l’enquête en flagrance, R. et M. furent interrogés séparément. Leurs dépositions mettaient en cause le requérant comme auteur des agissements avec le marteau. Le lendemain, la policière stagiaire fut également entendue. Sa version concordait avec celle de ses collègues quant au déroulement des faits, mais elle n’était pas en mesure d’identifier l’individu monté sur le capot du véhicule afin de marteler le pare-brise.
14.  Le 26 février 1998, un relevé des dégradations du véhicule administratif fut établi par les forces de police de Reims.
15.  Le 4 mars 1998, l’enquête de flagrance se transforma en enquête préliminaire et le requérant fut convoqué au commissariat. Il fut placé en garde à vue et se vit notifier ses droits et les griefs retenus contre lui. Lors de son audition au commissariat, il nia les faits qui lui étaient reprochés et indiqua n’avoir rien à déclarer.
16.  Le 5 mars 1998, il fut soumis à une séance de « tapissage », c’est-à-dire une parade d’identification au travers d’une glace sans tain. La séance de « tapissage » permit aux deux policiers de l’identifier comme étant l’auteur des dégradations. La policière stagiaire n’était pas présente.
17.  Le même jour, le procureur de la République fut informé de l’affaire et du déroulement de la procédure. Il ordonna la libération du requérant et le convoqua à l’audience du 27 avril 1998 devant le tribunal correctionnel, pour « dégradation d’un bien appartenant à autrui ».
18.  Le 16 mars 1998, par acte d’huissier, le requérant fut convoqué par citation directe devant le même tribunal, pour les mêmes faits qualifiés de « violences volontaires avec arme n’ayant entraîné aucune incapacité totale de travail supérieure à huit jours ». Les deux policiers se constituèrent partie civile, et demandèrent 1 franc français (FRF) de dommages et intérêts et 10 000 FRF au titre des frais et dépens.
19.  Afin de préparer sa défense, le requérant fit un appel à témoins. De nombreux manifestants étaient prêts à témoigner. Il retint comme témoins trois manifestants et une personne qui avait assisté à la scène depuis sa fenêtre.
20.  A l’audience du 27 avril 1998, devant le tribunal correctionnel de Reims, les policiers, parties civiles non comparantes, furent représentés par leur avocat. Le prévenu se présenta à l’audience. Les quatre témoins, que le requérant avait fait citer pour témoigner à sa décharge, comparurent et déposèrent. Le ministère public ne requit pas et déclara s’en remettre à l’appréciation du tribunal.
21.  Par un jugement rendu le 2 juin 1998, le tribunal de grande instance de Reims relaxa le prévenu et débouta les parties civiles de l’ensemble de leurs demandes. Dans son jugement, il releva notamment :
« (...) [le requérant] était convoqué au commissariat de police de Reims le 4 mars 1998 ; il ne reconnaissait pas 1es faits qui lui étaient reprochés et refusait de s’expliquer ; lors d’une caricature de tapissage, l’intéressé ayant les cheveux longs et se trouvant au milieu de quatre personnes (...) ayant les cheveux très courts, il était identifié par les deux fonctionnaires de police qui auraient déclaré le reconnaître parfaitement ; (...)
(...) [Le requérant] fait citer quatre témoins à l’audience ; les deux premiers témoins qui se trouvaient avec lui confirment les propos tenus par le conducteur du véhicule à l’égard [du requérant] ainsi que les manœuvres du véhicule dans la foule ; ils n’ont à aucun moment vu [le requérant], militant pacifiste avec un marteau à la main ;
[G.] a également vu le véhicule manœuvrer dans la foule et des hommes en sortir avec des matraques, et s’en prendre aux manifestants ; elle a, elle-même, été victime de coups de matraque ;
[V.], qui habitait sur place et était sorti fumer, a également vu le véhicule foncer dans la foule de manifestants et a pensé qu’il s’agissait de provocateurs ;
(...) il ressort des pièces de la procédure, et des débats, que seuls, les lieutenants M. et R., qui ont eu un comportement pour le moins incompréhensible, identifient [le requérant] comme étant l’auteur des coups de marteau ; que le lieutenant Ra., également présente dans le véhicule et qui aurait vu [le requérant] allumer un pétard, dit ne pouvoir décrire l’individu qui est monté sur le capot de la voiture ; que les autres témoins présents sur les lieux déclarent que [le requérant], après avoir été pris à partie et après que le véhicule ait foncé en sa direction, s’est mis à l’abri et n’a en aucun cas pris un marteau pour casser le pare-brise dudit véhicule ;
(...) en conséquence il existe un doute sérieux quant à l’auteur des faits objet de la procédure ».
22.  Le 11 juin 1998, les parties civiles et le procureur interjetèrent appel.
23.  Dans ses conclusions, le requérant se fonda sur l’article 6 de la Convention afin de demander à la cour d’appel d’ordonner l’audition des témoins à décharge et sollicita la confirmation du jugement entrepris.
24.  Le 3 mars 1999, la cour d’appel de Reims tint audience. Les parties civiles ne s’y présentèrent pas et furent représentées par leur avocat. Selon le requérant, cette absence provoqua un important incident d’audience. Le président de la cour d’appel procéda à la lecture des dépositions des parties civiles. Le requérant contesta le relevé des dégâts de la voiture établi par le commissaire de police.
25.  Par un arrêt rendu le 31 mars 1999, la cour d’appel de Reims, infirmant le jugement précédent, déclara le requérant coupable des détériorations sur le véhicule administratif et des violences sur M. et R. constituées par les coups portés avec un marteau au pare-brise derrière lequel ceux-ci se trouvaient. Elle le condamna à huit mois d’emprisonnement, dont cinq avec sursis et deux ans de mise à l’épreuve, ainsi qu’à un an d’interdiction des droits civils, civiques et de la famille. Elle imposa spécialement au condamné l’obligation de réparer en totalité, en fonction de ses facultés contributives, les dommages causés par les infractions, même en l’absence de décision sur l’action civile. Sur l’action civile, la cour condamna le requérant à payer, à chaque partie civile, 1 FRF à titre de dommages et intérêts, ainsi que 8 000 FRF au titre des frais non payés par l’Etat. Dans son arrêt, elle releva notamment :
«  (...) le prévenu sollicite l’audition à nouveau des mêmes personnes qui, sur citations délivrées à son initiative, étaient venues apporter leurs témoignages, lors du procès en première instance ;
Mais, attendu que la cour dispose, d’ores et déjà, du contenu des témoignages considérés, les dires des témoins ayant été dûment consignés sur la note d’audience et leurs déclarations étant relatées avec minutie, à la fois dans les écritures déposées au nom [du requérant], dans celles déposées aux noms des parties civiles, et dans les motifs du jugement ;
(...) il est particulièrement symptomatique, à cet égard, de relever qu’aucune contestation n’est formulée quant à la fidélité de ces différents exposés et qu’aucune divergence n’est invoquée à ce titre ;
(...) il n’est, de plus, aucunement soutenu par [le requérant] qu’il aurait été privé en première instance, de la possibilité de faire poser aux témoins toutes les questions qu’il souhaitait leur faire poser ;
(...) le prévenu et sa défense n’allèguent pas non plus, au demeurant, que les débats devant la cour auraient révélé, sur les nouveaux points qui n’auraient pas été mis à jour devant le tribunal, la nécessité de solliciter des précisions de la part des témoins ;
(...) il n’y a donc pas lieu de faire droit à la requête du [requérant], dont la mise en œuvre retarderait ainsi inutilement l’issue de la procédure, dès lors que la cour dispose au travers de l’ensemble des pièces du dossier, au vu des écritures régulièrement échangées entre les parties, et compte tenu des débats devant elle, des éléments suffisants pour connaître la vérité et forger son opinion ».
26.  Par ailleurs, la cour souleva une « contradiction fondamentale » entre, d’une part, le témoignage de la personne non manifestante qui « confirma avoir vu un individu sauter sur le capot de l’automobile et y porter des coups de marteau sans pour autant, à cause de la distance, pouvoir donner son signalement », et, d’autre part, les témoignages des trois autres témoins qui participèrent à la manifestation, et qui soutenaient n’avoir pas même remarqué la scène du marteau, quoique se trouvant à proximité directe du lieu des faits. La cour déclara qu’il ressortait de cette confrontation que la scène du marteau eut bien lieu et que « aucun des témoins n’est finalement en mesure de contredire et d’infirmer les déclarations des victimes désignant le prévenu ». Elle précisa que le témoignage de la personne non manifestante ne pouvait qu’être neutre et « qu’en l’absence de témoignage contraire et eu égard aux indices établissant le caractère véritable et sincère des dépositions des policiers, il n’y avait aucune raison de mettre en doute l’imputation faite au requérant, par ces deux policiers, d’être l’auteur des dégradations faites au marteau ».
27.  La cour souligna que le requérant avait « délibérément (...) provoqué une dégradation grave du véhicule ». Elle releva que « le requérant savait que de l’autre côté du pare-brise, se trouvaient deux personnes, et que les bruits des chocs associés à la menace de la dispersion du verre en de multiples éclats dommageables provoquaient nécessairement sur ces personnes une intense émotion gravement préjudiciable à celles-ci ». Elle conclut que ces gestes de violence furent volontairement accomplis à cet effet et que, pour ce faire, le requérant se servit d’un marteau comme d’une arme.
28.  La cour d’appel déclara que les faits avaient été d’une particulière gravité, et d’autant plus qu’ils avaient été « accomplis délibérément ». La cour ajouta « qu’un tel comportement, s’agissant d’un individu qui a déjà été condamné, appelait, afin que fût porté un coup d’arrêt à sa délinquance, une sanction sévère (...) ».
29.  Le 2 avril 1999, le requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Reims. Le premier des trois moyens de cassation soumis par le requérant était fondé sur la violation de l’article 6 § 3 de la Convention. Le requérant reprochait à la cour d’appel d’avoir rejeté sa demande de procéder à de nouvelles auditions des témoins à décharge, de l’avoir ainsi privé d’un élément essentiel à la manifestation de la vérité et d’avoir violé les droits de la défense.
30.  Dans le cadre des deux autres moyens soumis à la Cour de cassation, le requérant reprochait à l’arrêt rendu par la cour d’appel un défaut de motifs et de base légale en alléguant la violation de diverses dispositions du droit national.
31.  Par un arrêt rendu le 15 décembre 1999, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant. Elle releva notamment que :
« (...) les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux articulations essentielles des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu’intentionnels, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable, et ainsi justifié l’allocation, au profit des parties civiles, de l’indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;
D’où il suit que les moyens, qui, notamment sous couleur d’une violation de l’article 6 de la Convention (...), se bornent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ; (...) ».
II.  Le droit et la pratique internes pertinents
32.  Les dispositions du code de procédure pénale, en vigueur au moment des faits et de leur jugement, applicables en matière délictuelle pour l’audition des témoins et la rédaction de la note d’audience, étaient les suivantes :
Article 427 du code de procédure pénale (CPP)
« Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction.
Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui. »
Article 437
« Toute personne citée pour être entendue comme témoin est tenue de comparaître, de prêter serment et de déposer. »
Article 444
« Les témoins déposent ensuite séparément, soit sur les faits reprochés au prévenu, soit sur sa personnalité et sur sa moralité.
Parmi les témoins cités, ceux qui sont produits par les parties poursuivantes sont entendus les premiers, sauf pour le président à régler lui-même souverainement l’ordre d’audition des témoins.
Peuvent également, avec l’autorisation du tribunal, être admises à témoigner, les personnes, proposées par les parties, qui sont présentes à l’ouverture des débats sans avoir été régulièrement citées. »
Article 454
« Après chaque déposition, le président pose au témoin les questions qu’il juge nécessaires, et s’il y a lieu, celles qui lui sont proposées par les parties (...) »
Article 442
« Avant de procéder à l’audition des témoins, le président interroge le prévenu et reçoit ses déclarations. Le ministère public, ainsi que la partie civile et la défense, celles-ci par l’intermédiaire du président, peuvent lui poser des questions. »
Article 512
« Les règles édictées pour le tribunal correctionnel sont applicables devant la cour d’appel sous réserve des dispositions suivantes. »
Article 513
« L’appel est jugé à l’audience sur le rapport oral d’un conseiller ; le prévenu est interrogé. Les témoins ne sont entendus que si la cour a ordonné leur audition. »
33.  La jurisprudence a précisé la portée de cette dernière disposition. En principe, les juges d’appel ne sont pas tenus d’entendre à nouveau des témoins qui ont déposé en première instance, même lorsque cette audition est demandée ; toutefois, ils ont l’obligation de statuer sur les réquisitions prises, en faisant connaître les motifs de leur refus (Cass. Crim. 30 oct. 1890 : bull. crim. no 253 ; 20 oct. 1892 : DP 1894. 1. 140 ; 13 janv. 1916 : DP 1921.1.63).
34.  Ils peuvent en revanche ordonner l’audition de témoins nouveaux qui n’avaient pas déposé en première instance. Cette audition demeure toutefois facultative et les juges peuvent la refuser, à condition de motiver leur décision.
35.  La loi no 2000-516 du 15 juin 2000 a modifié l’article 513. Désormais, « Les témoins cités par le prévenu sont entendus dans les règles prévues aux articles 435 à 457. Le ministère public peut s’y opposer si ces témoins ont déjà été entendus par le tribunal. La cour tranche avant tout débat au fond ».
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 d) DE LA CONVENTION
36.  Le requérant se plaint du refus de la cour d’appel de faire convoquer et interroger les témoins à décharge. Il allègue une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention qui, dans sa partie pertinente, se lit ainsi :
« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement,(...), par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)
3.  Tout accusé a droit notamment à (...)
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge (...) »
37.  En se fondant sur la jurisprudence de la Cour (notamment Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, arrêt du 23 avril 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-III, et Luca c. Italie, no 33354/96, CEDH 2001-II), le Gouvernement soutient que le grief du requérant est irrecevable car manifestement mal fondé. Il souligne en effet que les mêmes témoins à décharge avaient déjà été entendus en première instance. Ainsi, la cour d’appel pouvait considérer qu’une nouvelle audition ne contribuerait pas à l’appréciation qu’il lui incombait d’effectuer. De plus, même à supposer que les droits de la défense aient été restreints du fait du refus de la cour d’appel d’entendre à nouveau les témoins à décharge, la violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) ne serait pas pour autant constituée, selon le Gouvernement, car les juges ne se sont pas fondés uniquement ou d’une façon déterminante sur ces témoignages, mais sur l’ensemble des pièces du dossier.
38.  Le requérant se réfère à la jurisprudence de la Cour (notamment les arrêts Bricmont c. Belgique du 7 juillet 1989 et Unterpertinger c. Autriche du 24 novembre 1986). Il soutient que la cour d’appel, tout en ayant refusé cette audition, a tout de même fondé sa décision de culpabilité sur les déclarations des témoins. En effet, elle a contesté la crédibilité de trois témoins à décharge et a relevé une contradiction entre les différents témoignages. Ces éléments, ainsi que la prise en compte des déclarations des deux policiers, ont été les fondements de la condamnation du requérant. Le requérant souligne à cet égard l’importance de l’appréciation des témoignages dans la présente affaire, renforcée par le fait qu’aucun autre élément de preuve n’a été présenté par l’accusation permettant d’établir sa culpabilité (l’enquête de flagrance réalisée par les services de police présentant plusieurs insuffisances, comme l’a souligné le tribunal correctionnel). Ainsi, la cour d’appel, ayant refusé l’audition des témoins à décharge, fonde tout de même sa décision de culpabilité sur les déclarations antérieures de ces témoins. Partant, les droits de la défense du requérant auraient été restreints de façon contraire à l’article 6 de la Convention.
39.  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, il revient en principe aux juridictions nationales d’apprécier les éléments rassemblés par elles et la pertinence de ceux dont les accusés souhaitent la production (voir notamment Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne, arrêt du 6 décembre 1988, série A no 146, p. 31, § 68). Spécialement, l’article 6 § 3 d) leur laisse, toujours en principe, le soin de juger de l’utilité d’une offre de preuve par témoins (voir Asch c. Autriche, arrêt du 26 avril 1991, série A no 203, p. 10, § 25); il « n’exige pas la convocation et l’interrogation de tout témoin à décharge: ainsi que l’indiquent les mots « dans les mêmes conditions », il a pour but essentiel une complète « égalité des armes » en la matière » (arrêts Engel et autres c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A no 22, pp. 38-39, § 91, et Vidal c. Belgique du 22 avril 1992, série A no 235-B, § 33).
40.  La notion d’« égalité des armes » n’épuise pourtant pas le contenu du paragraphe 3 d) de l’article 6, pas plus que du paragraphe 1 dont cet alinéa représente une application parmi beaucoup d’autres. La tâche de la Cour européenne consiste à rechercher si la procédure litigieuse, considérée dans son ensemble, revêtit le caractère équitable voulu par le paragraphe 1 (voir notamment Delta c. France, arrêt du 19 décembre 1990, série A no 191, p. 15, § 35, et Vidal, précité, § 33).
41.  Ainsi, même s’« il incombe en principe au juge national de décider de la nécessité ou opportunité de citer un témoin (...), des circonstances exceptionnelles pourraient conduire la Cour à conclure à l’incompatibilité avec l’article 6 de la non-audition d’une personne comme témoin » (Bricmont c. Belgique, arrêt du 7 juillet 1989, série A no 158, § 89).
42.  En l’espèce, la Cour note que la relaxe initiale du requérant par le tribunal correctionnel avait eu lieu après l’audition de plusieurs témoins. Quand ils y substituèrent une condamnation, les juges d’appel ne disposaient d’aucune donnée nouvelle ; hormis l’explication orale du requérant, ils se fondèrent exclusivement sur les pièces du dossier.
43.  Or, c’est en se fondant principalement sur les témoignages déposés en première instance que la cour d’appel s’est prononcée. Sur la seule base des notes d’audience du tribunal correctionnel relatant les déclarations des témoins, des écritures des parties et des motifs du jugement, elle a en effet analysé les témoignages à décharge. Ayant relevé une « contradiction fondamentale » entre eux, elle a contesté leur crédibilité et a estimé qu’aucun des témoins cités par le requérant n’était finalement en mesure de mettre en doute les déclarations des policiers, dont elle a considéré que le caractère « véritable et sincère » était établi. La cour d’appel a ainsi apprécié à nouveau les déclarations des témoins, sans les entendre. 
44.  Par ailleurs, la Cour observe que le tribunal correctionnel a considéré que la plupart des éléments autres que les témoignages figurant au dossier, et résultant de l’enquête de police, étaient insuffisants pour déterminer de façon certaine l’identité de l’auteur des faits.
45.  Il ressort donc de l’arrêt du 31 mars 1999 que, pour l’essentiel, la cour d’appel a fondé la condamnation du requérant sur une nouvelle interprétation de témoignages dont elle n’a pas entendu les auteurs, et ce malgré les demandes en ce sens du requérant. Tout s’est passé comme si la cour d’appel, ayant des doutes sur la crédibilité des témoins à décharge, les avait « récusés » a priori sans procéder à leur audition et s’étaient contentée de cette impression, pour prendre le contre-pied du jugement de première instance, qui avait relaxé le requérant sur la base, notamment, des dépositions de ces témoins. Sans doute appartenait-il à la juridiction d’appel d’apprécier les diverses données recueillies, de même que la pertinence de celles dont le requérant souhaitait la production ; il n’en demeure pas moins que le requérant a été reconnu coupable sur la base des témoignages mêmes qui avaient suffisamment fait douter les premiers juges du bien-fondé de l’accusation contre le requérant pour motiver son acquittement en première instance. Dans ces conditions, le refus de la cour d’appel d’entendre ces témoins, en dépit de la demande du requérant en ce sens, avant de le déclarer coupable, a sensiblement réduit les droits de la défense (voir les arrêts Unterpertinger c. Autriche du 24 novembre 1986, série A no 110, § 33, et Vidal, précité, §§ 33 et 34).
46.  Il en va d’autant plus ainsi que la cour d’appel de Reims a infligé au requérant une sanction qu’elle a elle-même qualifiée de « sévère ».
47.  Dès lors, compte tenu des circonstances très particulières de l’espèce, la Cour considère que les droits de la défense ont subi une limitation telle que le requérant n’a pas bénéficié d’un procès équitable. Partant, il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.
II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
48.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
49.  Au titre du préjudice matériel, le requérant demande la somme de 8 384 euros (EUR) pour avoir perdu son emploi de vacataire dans des établissements scolaires, ainsi que la possibilité de passer les concours administratifs de garde des parcs nationaux ou régionaux, ce qu’il s’apprêtait à faire avant sa condamnation. Il estime à 7 622 EUR le préjudice moral subi du fait même de sa condamnation pénale et de l’atteinte à sa réputation qui en a découlé (l’affaire ayant été, selon lui, largement médiatisée dans les médias locaux).
50.  Le Gouvernement rappelle que seuls les préjudices découlant directement des violations alléguées peuvent, le cas échéant, donner lieu à l’octroi d’un dédommagement. En l’espèce, le seul grief déclaré recevable par la Cour est celui relatif au refus de la cour d’appel de procéder à l’audition des témoins à décharge. Or, se fondant sur la jurisprudence de la Cour (Saïdi c. France, arrêt du 20 septembre 1993, série A no 261-C), le Gouvernement relève que, à supposer que la cour d’appel de Reims ait entendu lesdits témoins, rien ne permet d’affirmer qu’elle n’aurait pas prononcé la condamnation dont se plaint le requérant. Le Gouvernement estime donc que le seul préjudice subi par le requérant est la perte d’une chance de voir la cour d’appel renoncer au prononcé de la condamnation, et soutient que le constat de violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention constituerait une réparation suffisante.
51.  Le requérant réplique qu’il estime avoir été privé par la cour d’appel et la Cour de cassation d’une chance réelle de voir reconnaître son innocence. Il rappelle que c’est sur la base des mêmes témoignages rejetés par la cour d’appel qu’il avait été relaxé par le tribunal correctionnel de Reims. Dans ces circonstances, le requérant estime qu’il n’est pas déraisonnable de penser qu’il a subi une perte de chances réelles, même s’il est difficile de l’évaluer. Il soutient en outre avoir subi un tort moral en raison du manquement relevé dans la présente affaire, que l’arrêt de la Cour seul ne suffirait pas à réparer.
52.  La Cour estime que la base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce en ce que le requérant n’a pas bénéficié, devant la cour d’appel de Reims, de toutes les garanties de l’article 6 de la Convention. Elle ne saurait spéculer sur ce qu’eût été l’issue du procès si la cour d’appel avait consenti à entendre les quatre témoins à décharge proposés par la défense. Pour autant, la Cour n’estime pas déraisonnable de penser que l’intéressé a subi une perte de chances réelles (arrêt Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 80, CEDH 1999-II et Vidal c. Belgique (article 50), arrêt du 28 octobre 1992, série A no 235-E, § 9), même s’il est difficile de l’évaluer. Quoi qu’il en soit, le requérant a incontestablement subi un tort moral en raison du manquement relevé par le présent arrêt (Vidal (article 50), précité, § 9). Statuant en équité, comme le veut l’article 41, la Cour lui alloue donc la somme de 5 000 EUR.
B.  Frais et dépens
53.  Au titre des frais et dépens afférents à sa représentation, le requérant réclame, justificatifs à l’appui, pour la procédure interne, le remboursement de la somme de 4 712 EUR, selon le décompte suivant :
-  7 924,79 FRF, soit 1 208,13 EUR pour la procédure devant le tribunal de grande instance de Reims ;
-  6 099,95 FRF soit 929,31 EUR pour la procédure devant la cour d’appel de Reims ;
-  16 884 FRF soit 2 573,95 EUR pour la procédure devant la Cour de cassation.
Le requérant demande également le remboursement des sommes qu’il a été condamné à payer par la cour d’appel de Reims, à savoir 2 803,72 EUR. Au titre des honoraires de Me Rouget pour la procédure devant la Cour (facture à l’appui, détaillant les frais relatifs à la défense du requérant devant la Cour), le requérant réclame le remboursement de la somme de 7 224 EUR.
54.  Le Gouvernement propose le versement d’une somme de 10 646,88 EUR, sans décompte à l’appui.
55.  La Cour rappelle que, lorsqu’elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder à un requérant le paiement non seulement de ses frais et dépens devant les organes de la Convention, mais aussi de ceux qu’il a engagés devant les juridictions nationales pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation (voir notamment Hertel c. Suisse, arrêt du 25 août 1998, Recueil 1998-VI, p. 2334, § 63). En l’espèce, la Cour relève que la seule violation retenue concerne le refus de convocation et d’audition des témoins à décharge par la cour d’appel de Reims. Elle estime donc qu’il y a lieu de rembourser uniquement les frais et dépens encourus par le requérant pour essayer de provoquer en France l’annulation de l’arrêt de la cour d’appel, puis pour solliciter à Strasbourg la reconnaissance de son droit. La Cour estime donc équitable de rembourser au requérant les frais exposés pour la procédure devant la Cour de cassation. Elle lui alloue à ce titre la somme de 2 573,95 EUR.
56.  Pour ce qui est des honoraires se rapportant à la procédure devant elle, la Cour a apprécié la demande à la lumière des principes se dégageant de sa jurisprudence (arrêt Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 79, CEDH 1999-II). Elle rappelle qu’au titre de l’article 41 de la Convention elle rembourse les frais dont il est établi qu’ils ont été réellement et nécessairement exposés et sont d’un montant raisonnable. Tel est le cas en l’espèce, et la Cour alloue donc à ce titre la somme de 7 224 EUR.
C.  Intérêts moratoires
57.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,
1.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 3 d) et 1 de la Convention eu égard au défaut de convocation et d’audition des témoins à décharge par la cour d’appel ; 
2.  Dit
a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention,
i.  5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral ;
ii.  9 797,95 EUR (neuf mille sept cent quatre-vingt-dix-sept euros et quatre-vingt-quinze centimes) pour frais et dépens ;
iii.  tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur lesdites sommes ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
3.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 mai 2004 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé L. Loucaides   Greffière Président
ARRÊT DESTREHEM c. FRANCE
ARRÊT DESTREHEM c. FRANCE 


Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-3-d ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Parties
Demandeurs : DESTREHEM
Défendeurs : FRANCE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (deuxième section)
Date de la décision : 18/05/2004
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 56651/00
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2004-05-18;56651.00 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award