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25/05/2004 | CEDH | N°48107/99

CEDH | PAROISSE GRECO-CATHOLIQUE SAMBATA BIHOR contre la ROUMANIE


DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 48107/99  présentée par la PAROISSE GRÉCO-CATHOLIQUE SÂMBĂTA BIHOR  contre la Roumanie
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant le 25 mai 2004 en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    A.B. Baka,    L. Loucaides,    C. Bîrsan,    K. Jungwiert,    V. Butkevych,   Mme A. Mularoni, juges,   M. T.L. Early, greffier adjoint de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européen

ne des Droits de l'Homme le 11 juin 1998,
Vu l'article 5 § 2 du Protocole no 11 à la Convention, qui a tr...

DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 48107/99  présentée par la PAROISSE GRÉCO-CATHOLIQUE SÂMBĂTA BIHOR  contre la Roumanie
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant le 25 mai 2004 en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    A.B. Baka,    L. Loucaides,    C. Bîrsan,    K. Jungwiert,    V. Butkevych,   Mme A. Mularoni, juges,   M. T.L. Early, greffier adjoint de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l'Homme le 11 juin 1998,
Vu l'article 5 § 2 du Protocole no 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
La requérante est une Eglise catholique de rite oriental (gréco-catholique ou uniate) de la paroisse de Sâmbăta dépendant de l'archevêché roumain uniate d'Oradea. Elle est représentée devant la Cour par Me M. Macovei, avocate à Bucarest. Le gouvernement défendeur est représenté par Mme R. Rizoiu, agente du gouvernement roumain auprès de la Cour européenne des Droits de l'Homme, attachée au ministère des Affaires étrangères.
A.  Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
1.  Contexte historique
Jusqu'en 1948 coexistaient à Sâmbăta deux communautés chrétiennes, l'une uniate et l'autre orthodoxe. Chacune avait sa propre église.
Par le décret no 358/1948, le culte uniate fut considéré comme dissous et ses pratiquants furent obligés de s'affilier au culte orthodoxe. Les biens appartenant à cette Eglise furent transférés à l'Eglise orthodoxe en vertu du décret no 177/1948 qui prévoyait que, si la majorité des paroissiens d'un culte devenaient membres d'une autre Eglise, les biens ayant appartenu au culte abandonné seraient transférés dans le patrimoine du culte qui les avait accueillis.
Le 27 octobre 1948, le prêtre uniate de Sâmbăta fut obligé de mettre l'église où il célébrait l'office à la disposition des orthodoxes. Le 22 novembre 1948, il fut forcé de quitter la maison paroissiale et y laissa tous ses biens, y compris les meubles, les vêtements sacerdotaux et la bibliothèque.
2.  Les démarches gracieuses de la requérante en vue de récupérer l'usage pour le service religieux  de l'église qui lui avait appartenu jusqu'en 1948
Après la chute du régime totalitaire en décembre 1989, le décret no 358/1948 fut abrogé par le décret-loi no 9/1989. Le culte uniate fut reconnu officiellement par le décret-loi no 126/1990. En ce qui concerne la situation juridique des biens ayant appartenu aux paroisses gréco-catholiques, le décret-loi no 126/1990 prévoyait que celle-ci devait être tranchée par des commissions mixtes constituées de représentants des deux cultes, uniate et orthodoxe. Ces dernières devaient prendre en compte la volonté des croyants de chaque communauté.
D'après une attestation délivrée en 1996 par le service départemental de statistique de Bihor, 27,8 % des habitants de la commune de Sâmbăta se déclarèrent fidèles de l'Eglise gréco-catholique lors du recensement de 1991.
La requérante entama des démarches gracieuses en vue de récupérer l'usage pour le service religieux de l'église qui lui avait appartenu jusqu'en 1948.
Les représentants des gréco-catholiques et des orthodoxes de la commune de Sâmbăta se réunirent le 3 mai 1995. Ainsi qu'il ressort du procès-verbal établi à cette date, le but de cette réunion était la formation d'une commission mixte. La tâche qui devait lui être assignée consistait à fixer l'horaire du service religieux, afin qu'il puisse être célébré par chacun des deux cultes, alternativement, dans l'église qui avait appartenu aux gréco-catholiques avant 1948 et qui était à présent en la possession des orthodoxes.
Les représentants du culte orthodoxe s'opposèrent à cette proposition, affirmant que l'édifice religieux était la propriété de l'Eglise orthodoxe depuis des années. Ils faisaient valoir que les gréco-catholiques utilisaient une salle de classe pour leurs offices et qu'ils se construiraient une église s'ils en avaient besoin.
Lors de cette rencontre, les représentants orthodoxes refusèrent la proposition des gréco-catholiques de tenir une nouvelle réunion.
3.  L'action en justice de la requérante
En 1996, l'Eglise requérante introduisit une action devant le tribunal de première instance de Beiuş. Elle demandait au tribunal d'ordonner à la paroisse orthodoxe de Sâmbăta de lui permettre de célébrer le service religieux dans l'église qui lui avait appartenu jusqu'en 1948. La requérante faisait valoir qu'elle s'était adressée à plusieurs reprises aux représentants de l'Eglise orthodoxe afin de constituer une commission mixte, conformément au décret-loi no 126/1990, mais que ses démarches étaient restées sans résultat. Elle alléguait avoir formé une contestation auprès de la commission mixte supérieure, constituée au niveau des deux archevêchés, uniate et orthodoxe, mais sans avoir jamais reçu de réponse.
Par une décision du 24 octobre 1996, le tribunal de première instance de Beiuş accueillit l'action de la requérante. Le tribunal considéra d'abord que le refus de la partie défenderesse de répondre à la demande de la requérante était abusif. Il constata ensuite que, selon le recensement de 1991, 27,8 % de la population de Sâmbăta étaient affiliée au culte uniate et jugea que, compte tenu du fait qu'il n'y avait pas à Sâmbăta d'édifice de culte pour les uniates, le refus de l'Eglise orthodoxe de permettre à ces derniers de célébrer l'office dans une des deux églises du village était également abusif.
Le tribunal tint également compte du décret no 177/1948, toujours en vigueur, selon lequel lorsque plus de 10 % des pratiquants d'un culte le quittent pour un autre, un pourcentage égal du patrimoine du culte qui a été abandonné est transféré à l'autre culte. Le tribunal poursuivait ainsi :
« Par conséquent, 27,8 % du patrimoine du culte orthodoxe a été transféré en 1990 dans le patrimoine de l'Eglise uniate, lorsque celle-ci s'est constituée. Dès lors, nous sommes en présence d'une situation de copropriété sur l'église paroissiale (...) des deux cultes religieux de Sâmbăta (...).
Il s'ensuit que les agissements constituant actes de possession ou d'usage du bien en cause peuvent être accomplis par chacun des copropriétaires simultanément et en concurrence avec les autres et que chacun doit exercer son droit sans porter atteinte au droit d'autrui. »
Le tribunal ordonna par conséquent à la partie défenderesse de permettre à la requérante de célébrer l'office dans l'église réclamée. Le tribunal établit un horaire alternatif selon le principe de l'équité.
La paroisse orthodoxe de Sâmbăta forma un appel contre le jugement du 24 octobre 1996, qui fut rejeté par le tribunal départemental de Bihor le 6 mai 1997. Le tribunal ajouta des motifs supplémentaires par rapport à ceux développés par le tribunal de première instance et nota qu'une pratique judiciaire s'était généralisée consistant à reconnaître la légitimité des droits des pratiquants du culte uniate et que, jusqu'à la réglementation de la situation par voie législative, une utilisation en commun des édifices religieux par les deux cultes s'imposait.
La paroisse orthodoxe de Sâmbăta saisit la cour d'appel d'Oradea d'un recours contre la décision du 6 mai 1997.
Elle saisit également la cour d'appel d'une demande de suspension de l'exécution forcée de la décision du 6 mai 1997. Par jugement avant dire droit du 20 mai 1997, la cour d'appel ordonna la suspension de l'exécution jusqu'à ce qu'elle se prononce sur le recours formé contre ladite décision.
Par un arrêt du 12 janvier 1998, la cour d'appel d'Oradea fit droit au recours et déclara irrecevable la demande de la requérante. La cour d'appel considéra que le décret-loi no 126/1990 était une loi spéciale qui dérogeait au code civil. Selon ce décret-loi, les litiges portant sur un droit de propriété ou d'usage des édifices religieux échappaient à la compétence des tribunaux, de tels litiges étant de la compétence exclusive des commissions mixtes constituées en vertu de ce décret.
4.  L'évolution ultérieure de la situation
Le 3 février 2002, la requérante informa la Cour que les croyants gréco-catholiques de la commune de Sâmbăta avaient fait construire une nouvelle église pour leur usage par leurs propres moyens, sans l'aide des orthodoxes ou de l'Etat. Elle affirme que le recensement de 2002 montre que 34 % des habitants de la commune se déclarent gréco-catholiques.
5.  Contexte général des démarches et manifestations des fidèles des cultes uniate et orthodoxe en ce qui concerne les  édifices religieux
Après 1990, les fidèles du culte gréco-catholique habitant des communes sises dans plusieurs départements de la région occidentale de la Roumanie, tels que Bihor, Cluj, Alba, Mureş, Bistriţa-Năsăud, Sibiu, tentèrent de recouvrer soit la propriété et la possession exclusives des églises qui leur avaient appartenu avant 1948, soit l'usage partagé de ces églises, alternativement avec le culte orthodoxe. Les paroisses uniates entamèrent, comme la requérante, des démarches gracieuses, en vertu du décret-loi no 126/1990, mais également des actions en justice en vertu du droit commun.
Pour ce qui est des démarches gracieuses auprès des représentants de l'Eglise orthodoxe qui occupaient lesdites églises, elles restèrent parfois sans résultat, surtout dans les communes où les fidèles orthodoxes étaient majoritaires.
Les représentants des deux cultes au plus haut niveau se réunirent plusieurs fois pour discuter de ces problèmes. Les six premières rencontres eurent lieu les 28 octobre 1998, 29 janvier, 10 juin et 4 novembre 1999 et les 28 septembre 2000 et 27 septembre 2001.
Le communiqué adopté lors de la réunion du 29 janvier 1999 entre des délégations orthodoxe et gréco-catholique notait que la partie orthodoxe insistait pour que les gréco-catholiques renoncent aux actions en justice et que le dialogue sur les possibilités de restitution des édifices du culte continue au niveau local. Le texte du communiqué était ainsi libellé, dans ses parties pertinentes :
« La deuxième réunion des commissions de dialogue s'est déroulée dans un climat d'ouverture, de fraternité et de sincérité. Nous nous félicitons des résultats et des progrès accomplis par la voie du dialogue.
1.  Nous réaffirmons les principes du dialogue établis lors de la première réunion qui s'est déroulée le 28 octobre 1998 à Bucarest, à savoir :
-  renoncer à l'occupation par la force des édifices du culte ;
-  renoncer aux actions juridiques et législatives ;
-  renoncer à toute forme de prosélytisme ;
-  établir par la voie du dialogue l'usage des édifices du culte.
2.  Compte tenu du fait que la partie orthodoxe a conditionné l'invitation faite par le saint-synode de l'Eglise orthodoxe roumaine à Sa Sainteté Jean-Paul II de visiter la Roumanie au renoncement à toutes les actions en justice introduites jusqu'au 22 février 1999, la partie gréco-catholique propose d'aborder en priorité le règlement des différends qui ont mené auxdites actions judiciaires. Nous espérons que cette divergence de vues sera résolue ultérieurement.
3.  Compte tenu du fait que la plupart des anciennes églises gréco-catholiques sont fréquentées par les anciens fidèles gréco-catholiques qui aujourd'hui sont et se déclarent orthodoxes, mais aussi qu'il y a encore des communautés gréco-catholiques minoritaires qui ne disposent pas d'édifice de culte :
a)  la partie orthodoxe s'engage à reconnaître de facto que plus d'une centaine d'édifices du culte qui étaient avant 1989 en possession des communautés orthodoxes, mais sont à présent utilisés par les gréco-catholiques, resteront en la possession de ces derniers, quelle que soit la modalité par laquelle ces édifices ont été récupérés ; ceux-ci ne seront pas revendiqués par les orthodoxes ;
b)  les commissions mixtes locales continueront les négociations afin que dans les communes où il y a une paroisse gréco-catholique et où plusieurs édifices du culte sont en la possession de la majorité orthodoxe, cette dernière analyse la possibilité d'offrir à la paroisse gréco-catholique un de ces édifices, avec le consentement du prêtre et des fidèles orthodoxes de la commune.
La partie gréco-catholique fait une demande similaire également pour les communes urbaines, s'agissant aussi des cathédrales de Baia Mare et d'Oradea. La partie orthodoxe n'a pas donné son accord sur ce point.
c)  Ces négociations devraient être achevées prochainement pour donner la possibilité à la partie orthodoxe de passer à une nouvelle étape du dialogue international entres les orthodoxes et les catholiques.
d)  Dans les localités où il y a un seul édifice du culte, il faudra rechercher une solution acceptable pour les deux parties.
Il a été convenu que dans chaque éparchie se constituent des commissions locales pour continuer également le dialogue au niveau local. (...) »
Le communiqué adopté le 4 novembre 1999, lors de la quatrième réunion des délégations orthodoxe et gréco-catholique, notait des progrès modestes dans le règlement des différends patrimoniaux. Il était envisagé de donner priorité aux règlements amiables au lieu de recourir à des actions judiciaires. Les représentants des deux cultes étaient de part et d'autre disposés à ce que les fidèles de chaque culte aident autant que possible les autres à se faire construire des églises. Les prétentions avancées par les gréco-catholiques concernant la restitution de leurs anciennes églises dans les communes où il y avait deux églises, et le partage de l'usage de l'église là où il n'y avait qu'une seule, ne furent pas acceptées par les orthodoxes.
Le texte du communiqué était ainsi libellé, dans ses parties pertinentes :
« [Les participants] ont fait le point des progrès, modestes d'ailleurs, réalisés dans le sens du règlement des différends patrimoniaux entre les deux confessions, et constaté que de l'amertume et des difficultés demeurent.
Afin de progresser dans la voie du rapprochement, mais aussi d'édifier une base pour les réunions ultérieures, il est nécessaire de noter que :
1.  la partie orthodoxe propose que le document de Balamand signé par les deux parties par l'intermédiaire de la commission mixte internationale orthodoxe et catholique soit à la base du dialogue entre les deux Eglises ;
2.  étant donné que les litiges où leurs paroisses sont entraînées les affectent profondément, les deux parties demandent prioritairement que les différends patrimoniaux soient réglés à l'amiable et non par l'intermédiaire des juridictions civiles.
4.  La partie orthodoxe est disposée à aider, autant que possible, les communautés gréco-catholiques à se construire les édifices du culte dont elles ont besoin. Cela serait la voie la plus directe vers le règlement des litiges existants. La partie gréco-catholique se déclare elle aussi disposée à aider la communauté orthodoxe à se construire un nouvel édifice, dans les communes où l'Eglise orthodoxe aurait cédé l'édifice du culte réclamé par les gréco-catholiques.
5.  La partie gréco-catholique demande :
-  la restitution des cathédrales et des églises (...) ;
-  dans les communes où il y a deux églises dont une a été gréco-catholique, que l'une d'elle soit restituée ;
-  dans les communes où il y a une seule église et deux communautés confessionnelles, que l'office religieux soit célébré alternativement.
La partie orthodoxe n'est pas d'accord mais souhaite que ces litiges soient réglés après un certain temps par la voie du dialogue et dans le respect de la volonté des croyants. »
Des tensions entre des fidèles des deux cultes furent également enregistrées.
Ainsi qu'il ressort du communiqué de presse du 16 mars 2002 adopté par l'Eglise métropolitaine roumaine unie à Rome (gréco-catholique) dans la nuit du 15 au 16 mars 2002, le prêtre gréco-catholique d'Ocna Mureş ainsi qu'un groupe de fidèles furent expulsés de force de l'église par des fidèles orthodoxes accompagnés par le prêtre orthodoxe. Les autorités intervinrent afin d'éloigner toutes les personnes impliquées dans l'incident, mais remirent l'édifice religieux entre les mains des orthodoxes alors que, depuis le 7 février 2002, l'église avait été attribuée en possession aux gréco-catholiques, en vertu d'une décision de la cour d'appel d'Alba-Iulia.
D'autres incidents similaires furent également mentionnés dans la presse.
6.  La position de l'Eglise orthodoxe, qui possède des édifices religieux ayant appartenu à l'Eglise uniate, dont celui de la requérante
Par une lettre du 12 février 2002 adressée au ministre de la Justice, le patriarche de l'Eglise orthodoxe roumaine, rappelant les principes de l'autonomie de l'Eglise et du dialogue œcuménique entre les cultes catholique oriental et orthodoxe, fit valoir que les commissions mixtes établies en vertu du décret-loi no 126/1990 étaient les seules autorités compétentes pour connaître des différends entre des deux cultes relatifs à la propriété ou à l'usage des édifices religieux. Il fit part de sa préoccupation quant à la pratique de certains tribunaux de juger de tels litiges selon le droit commun. Le patriarche s'exprima en ces termes :
« Veuillez noter que par notre lettre, qui vous a été adressée le 24 mars 2000, nous avons déjà signalé à maintes reprises la méconnaissance du principe de l'autonomie de l'Eglise par les tribunaux. (...) Nous avons exprimé également l'espoir que le ministère de la Justice dispose de l'autorité nécessaire afin d'éviter à l'avenir l'immixtion des juridictions laïques dans les affaires patrimoniales et disciplinaires de l'Eglise.
Des décisions récentes prononcées par des tribunaux d'Ardeal dans des litiges avec l'Eglise uniate montrent que le problème surgit à nouveau.
Par l'effet de la loi, la restitution des édifices du culte et des maisons paroissiales qui ont appartenu au culte gréco-catholique, et qui sont passés dans le patrimoine de l'Eglise orthodoxe par l'effet du décret no 253/1948, est de la compétence exclusive de la commission mixte de dialogue prévue par l'article 3 du décret-loi no 126/1990.
Le législateur a entendu ainsi transmettre à cette commission mixte de dialogue la compétence pour toutes les situations litigieuses, qu'il s'agisse de la propriété, de l'usage ou d'autres prérogatives susceptibles d'être exercées sur le bien en cause. Le législateur post-révolutionnaire a réglementé ainsi une procédure extrajudiciaire obligatoire – à savoir, les commissions mixtes de dialogue des deux Eglises, qui devraient également prendre en compte la volonté librement exprimée des croyants qui sont en possession des biens en cause.
Le principe du règlement amiable de tout différend entre l'Eglise orthodoxe et l'Eglise catholique orientale, de rite byzantin, a été convenu dans le cadre des réunions de 1993, à Balamand, (...) et de 1997, à Nyiregyhaza (...). Dans les documents issus de ces réunions il a été établi que : « (...) les Eglises catholiques orientales souhaitent que le dialogue fraternel soit un moyen privilégié dans tous leurs rapports avec les frères orthodoxes. Surtout en cas de conflit, il est nécessaire de trouver une solution par la voie du dialogue. »
En dépit du fait que le principe du dialogue œcuménique entre les deux Eglises a été validé et inscrit dans des actes normatifs spéciaux, les juridictions du pays et surtout les cours d'appel de Cluj, Arad, Baia-Mare et Alba-Iulia, acceptent de façon erronée de juger selon le droit commun des litiges qui ont pour objet la revendication des édifices du culte ou des maisons paroissiales. (...) »
B.  Le droit et la pratique internes pertinents
1.  La Constitution
Article 21
« 1)  Toute personne peut s'adresser à la justice pour la protection de ses droits, de ses libertés et de ses intérêts légitimes.
2)  Aucune loi ne peut restreindre l'exercice de ce droit. »
2.  Le décret no 177/1948 pour le régime général des cultes religieux
Ce décret a été publié au Journal Officiel no 178 du 4 août 1948. Son texte a été rectifié et publié de nouveau au Journal Officiel no 204 du 3 septembre 1948. Il est ainsi rédigé dans ses parties pertinentes :
Article 37
« 1)  Si au moins 10 % des croyants affiliés à un culte le quittent pour un autre culte, la communauté religieuse du culte qui a été quitté perd de plein droit une partie de son patrimoine proportionnelle au nombre des croyants qui l'a quittée. Cette partie est transférée, toujours de plein droit, dans le patrimoine de la communauté locale du nouveau culte adopté par les croyants. »
3.  Le décret-loi no 126/1990 sur certaines mesures relatives à l'Eglise roumaine unie à Rome (gréco-catholique)
Ce décret a été publié au Journal Officiel no 54 du 25 avril 1990. Il est ainsi libellé, dans ses parties pertinentes :
Article 1
« 1)  A la suite de l'abrogation du décret no 358/1948 par le décret-loi no 9 du 31 décembre 1989, l'Eglise roumaine unie à Rome est reconnue officiellement (...) »
Article 3
« La situation juridique des édifices religieux et des maisons paroissiales qui ont appartenu à l'Eglise uniate et que l'Eglise orthodoxe roumaine s'est appropriés sera déterminée par une commission mixte, formée des représentants du clergé de chacun des deux cultes religieux, qui prendra en compte la volonté des croyants des communautés détenant ces biens. »
4.  La jurisprudence de la Cour constitutionnelle
La décision no 127 du 16 novembre 1994 de la Cour constitutionnelle, publiée au Journal Officiel no 66 du 11 avril 1995, dispose que :
« L'article 3 du décret-loi no 126/1990 régit la modalité de règlement de la situation juridique des édifices du culte (...) en litige. Il n'empêche pas pourtant les parties, c'est-à-dire les cultes, de saisir les juridictions ordinaires. (...) Les cultes peuvent également agir en justice (...) mais uniquement après l'épuisement de la procédure prévue par l'article 3 dudit décret (...). »
La décision no 49 du 19 mai 1995 de la Cour constitutionnelle, publiée au Journal Officiel no 224 du 29 septembre 1995, est ainsi libellée dans ses parties pertinentes :
« (...) La Cour constitutionnelle a été auparavant invitée à se prononcer sur l'exception d'inconstitutionnalité (exceptie de neconstitutionalitate) des dispositions de l'article 3 du décret-loi no 126/1990 (...)
La Cour constitutionnelle a jugé que l'article 3 du décret-loi no 126/1990 était conforme à la Constitution pour les motifs suivants :
–  [...] la procédure instituée par l'article 3 du décret-loi no 126/1990 n'enfreint pas le principe du libre accès à la justice prévu par l'article 21 de la Constitution, car elle a un caractère préalable à un éventuel procès qui pourrait résulter de la méconnaissance des règles établies, comme la méconnaissance du choix de la majorité des paroissiens ;
–  l'exigence d'une telle procédure préalable à la procédure judiciaire n'est pas inconstitutionnelle, car elle a pour but d'éviter l'encombrement des tribunaux par des litiges qui pourraient être tranchés à l'amiable, mais aussi de préserver l'intérêt des parties à voir leur différend tranché avec célérité. (...)
Par conséquent, il faut suivre en premier lieu les dispositions de l'article 3 du décret-loi no 126/1990 (...) ».
5.  La jurisprudence de la Cour suprême de justice et de certaines cours d'appel
Selon l'arrêt de la Cour suprême de justice du 22 mars 1996, les tribunaux ne sauraient se prononcer sur l'utilisation d'un édifice religieux sans outrepasser les compétences du pouvoir judiciaire, et les décisions ainsi rendues sont nulles.
Dans un arrêt du 17 février 1999, la Cour suprême de justice a marqué un revirement de jurisprudence par rapport à sa décision du 22 mars 1996. Elle a rejeté le recours en annulation formé par le procureur général contre une décision définitive ayant donné gain de cause à une paroisse uniate dans son action en revendication. L'arrêt était ainsi libellé, dans ses parties pertinentes :
« Estimant que par [les décisions attaquées] les tribunaux avaient outrepassé leur compétences juridictionnelles, le procureur général a introduit un recours en annulation (...)
Dans son recours, il allègue que (...) la situation juridique des biens ayant appartenu aux communautés du culte gréco-catholique que l'État s'était appropriés en vertu du décret no 358/1948 a été réglementée par le décret-loi no 126/1990. Dans ses articles 2 et 3, ce décret-loi prévoyait la possibilité de restitution de ces biens ainsi que les modalités par lesquelles celle-ci devait avoir lieu.
Selon le procureur général, en vertu de ces dispositions légales, (...) il ressort de la volonté du législateur que le règlement des différends concernant la restitution des biens qui ont appartenu au culte gréco-catholique excède les compétences des juridictions ordinaires. Ce principe aurait été méconnu en l'espèce. Les tribunaux auraient outrepassé leurs compétences et auraient commis un acte d'immixtion dans les compétences du législateur, en méconnaissant ainsi le principe de la séparation des pouvoirs.
Le recours est mal fondé.
En vertu de l'article 3 du [décret-loi no 126/1990], la situation juridique des édifices du culte et des maisons paroissiales qui ont appartenu à l'Eglise roumaine uniate et que l'Eglise orthodoxe roumaine s'est appropriés, sera déterminée par une commission mixte, formée des représentants du clergé de chacun des deux cultes religieux. Cette commission prendra en compte la volonté des paroissiens du culte détenant ces biens.
(...) [L]e décret-loi no 126 du 24 avril 1990 contient des dispositions légales promulguées antérieurement à la Constitution, alors que le présent litige s'est déroulé sous l'empire des dispositions de la Constitution. Il est vrai que (...) dans certains départements, les commissions mixtes auxquelles ledit texte fait référence se sont constituées mais il est également vrai qu'une telle commission ne s'est pas constituée à Sibiu.
Cependant, le fait qu'une telle commission ne se soit pas constituée ne peut pas empêcher le libre accès de la requérante à la justice, car cela serait contraire au principe consacré par l'article 21 de la Constitution selon lequel toute personne peut s'adresser à la justice pour la protection de ses droits, de ses libertés et de ses intérêts légitimes et qu'aucune loi ne peut restreindre l'exercice de ce droit.
Dans un pareil but (...) l'article 3 du code civil dispose que le juge qui refuserait de statuer au motif que la loi ne prévoit pas ce cas de figure ou qu'elle n'est pas claire ou est insuffisante, pourrait être poursuivi pour déni de justice.
(...) [C]e droit fondamental d'une personne de s'adresser à la justice est également consacré dans les traités internationaux que la Roumanie a ratifiés.
Ainsi, l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (...) prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue, [équitablement], publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits ou obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.
L'article 13 de la même Convention énonce également que toute personne dont les droits et libertés prévus par ladite Convention ont été violés a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une juridiction nationale (...). Par ailleurs, l'article 1 du Premier Protocole additionnel à cette Convention (...) prévoit que toute personne a le droit au respect de ses biens et que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par les lois et les principes généraux du droit international.
Partant, [la Cour] constate que les tribunaux n'ont pas outrepassé leurs compétences par les décisions attaquées. (...) »
Dans un arrêt du 20 février 1998, la cour d'appel de Bucarest a considéré que l'article 3 du décret-loi no 126/1990 n'était pas applicable lorsqu'il s'agissait d'une action en évacuation régie par le droit commun. La cour d'appel a jugé que :
« (...) compte tenu du fait que l'édifice du culte appartient aux croyants qui ont contribué à son acquisition et à leurs successeurs, la requérante a le droit de demander l'expulsion de la partie défenderesse en vertu de l'article 480 du code civil. Le problème de la reconstitution du droit de propriété et celui de l'attribution en propriété en fonction du nombre des fidèles d'un culte ne sont pas pertinents. »
Dans un arrêt du 9 mars 2001, la cour d'appel de Bucarest a considéré que la compétence appartenait aux tribunaux ordinaires, selon le droit commun, lorsqu'il s'agissait d'une action en revendication qui tendait à faire valoir un droit de propriété existant et non à se voir attribuer en propriété un bien. L'exercice d'une telle action ne pourrait pas être subordonné à l'accomplissement d'une procédure préalable obligatoire.
La cour d'appel d'Oradea a considéré dans son arrêt du 22 avril 1999 que :
« Le problème qui surgit est celui de savoir si, étant donné que [le décret-loi no 126/1990] prévoit que la situation juridique des édifices du culte sera établie par une commission mixte formée de représentants des deux cultes, il est encore possible de saisir les tribunaux ordinaires de litiges concernant ces immeubles.
La cour considère que [le tribunal] a estimé de façon erronée que les dispositions dudit décret ne permettaient pas aux juridictions ordinaires de trancher de tels litiges portés devant elles. Cet acte normatif a été adopté afin de rendre possible le règlement amiable des revendications nées naturellement après le rétablissement de la liberté de religion. C'est un acte normatif ayant valeur de recommandation qui n'empêche pas l'application de la loi civile générale en matière d'acquisition et de perte du droit de propriété.
Les commissions mixtes intercléricales n'ont pas un caractère juridictionnel et n'ont pas été investies du pouvoir de trancher les différends apparus. C'est ce qui ressort également du document intitulé « déclaration appel » qui recommande aux deux Eglises de parvenir à une entente pour ne pas avoir recours à la loi.
[La cour] note également que, pendant les huit ans écoulés depuis l'entrée en vigueur du décret-loi no 126/1990, la requérante a initié diverses démarches auprès de la commission mixte en vue du règlement du litige portant sur la revendication de l'immeuble en cause, mais il n'y a aucun indice montrant que la commission a tranché ou a eu l'intention de trancher ce différend. Dès lors, une action en justice s'imposait et en est d'autant plus justifiée. »
GRIEFS
1.  Invoquant l'article 6 de la Convention, la requérante se plaint de la méconnaissance de son droit d'accès à un tribunal du fait que le rejet de son action par l'arrêt du 18 janvier 1998 a été motivé par l'incompétence absolue des tribunaux pour trancher un tel litige.
2.  Invoquant l'article 9 de la Convention, elle se plaint que sa liberté de religion a été entravée par le refus des tribunaux nationaux de juger le litige concernant l'usage pour la célébration de l'office religieux de l'édifice du culte qui lui avait appartenu avant 1948 et qui était devenu possession de l'Eglise orthodoxe.
3.  Elle allègue que le refus des tribunaux de statuer sur son droit d'utiliser l'édifice du culte a porté également atteinte à son droit au respect de ses biens, tel que garanti par l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
4.  Invoquant l'article 14 de la Convention, elle considère que les autorités nationales ont manqué à l'obligation d'assurer la jouissance de son droit d'accès à un tribunal, de sa liberté de religion et de son droit au respect de ses biens sans discrimination. Elle se plaint d'avoir été privée de ces droits pour l'unique raison qu'elle appartenait au culte gréco-catholique minoritaire et qu'elle était en litige avec la majorité orthodoxe.
5.  La requérante se plaint également qu'il n'existe aucune instance nationale à laquelle elle puisse soumettre efficacement sa demande concernant l'usage de l'édifice du culte. Elle invoque l'article 13 de la Convention.
EN DROIT
A.  Sur la demande de radiation du rôle
La Cour note d'abord que, dans ses observations du 11 décembre 2001, le Gouvernement l'a invitée à rayer la requête du rôle en application de l'article 37 § 1 b) et c) de la Convention, au motif que la requérante ne souhaiterait pas maintenir sa requête. Cette dernière se serait fait construire un nouvel édifice du culte de sorte que le litige qui l'opposait à l'Eglise orthodoxe serait devenu sans objet.
Dans sa réponse aux observations du Gouvernement, la requérante a exprimé son intention de poursuivre la requête. Elle estime que le fait d'avoir fait bâtir une église, par ses propres moyens et sans aucune aide de la part de l'Etat, n'est pas de nature à résoudre le litige ou à porter remède aux violations alléguées.
La requérante considère, subsidiairement, que la Cour devrait poursuivre l'examen de la requête également pour des motifs d'ordre général touchant au respect des droits garantis par la Convention. Elle allègue ainsi que le problème qu'elle soulève concerne également d'autres paroisses uniates, qui se sont vu refuser l'accès à un tribunal pour faire valoir leurs droits sur les églises qui leurs appartenaient avant 1948.
La Cour note que la requérante entend maintenir sa requête. Par ailleurs, le litige dont elle est saisie porte tout d'abord sur le droit d'accès à un tribunal. Le fait que la requérante ait fait construire un nouvel édifice du culte et qu'elle ait renoncé, par la suite, à revendiquer l'usage de l'ancienne église qui lui appartenait, n'est pas de nature à porter remède aux violations alléguées. Dès lors, le litige ne peut pas être considéré comme résolu.
Par conséquent, la demande du Gouvernement en vue d'obtenir que l'affaire soit rayée du rôle doit être rejetée.
B.  Sur l'exception de tardiveté de certains griefs
Dans ses observations du 28 janvier 2004, le Gouvernement invite la Cour à rejeter les griefs tirés de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention, de l'article 13 de la Convention, ainsi que de l'article 14 combiné avec les articles 6 de la Convention et 1 du Protocole no 1, pour non-respect du délai de six mois prévu à l'article 35 § 1 de la Convention. Il soutient que ces griefs ont été présentés pour la première fois le 22 février 2002 et que, dans le formulaire de requête du 26 août 1998, la requérante n'avait invoqué expressément que les articles 6 et 9 de la Convention et l'article 14 combiné avec l'article 9.
La requérante s'oppose à la thèse du Gouvernement.
La Cour relève qu'en vertu de l'article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie que « (...) dans le délai de six mois, à partir de la décision interne définitive. »
Elle rappelle que le délai prévu par l'article 35 § 1 de la Convention, outre sa finalité première de servir la sécurité juridique, répond au besoin de fournir à l'intéressé un délai de réflexion suffisant pour lui permettre d'apprécier l'opportunité d'introduire une requête devant la Cour et de décider du contenu de cette dernière. La règle énoncée à l'article 35 § 1 précité doit être interprétée et appliquée dans une affaire donnée de manière à assurer à tout requérant qui se prétend victime d'une violation par un Etat contractant d'un droit reconnu par la Convention et ses Protocoles, l'exercice efficace du droit de requête individuel conformément à l'article 34 de la Convention (Fressoz et Roire c. France, no 29183/95, décision de la Commission du 26 mai 1997, Décisions et rapports (D.R.) 89, p.111).
La Cour rappelle également que, pour tout grief non contenu dans la requête proprement dite, le cours dudit délai n'est interrompu que le jour où il est exprimé pour la première fois devant elle (voir la décision Fressoz et Roire précitée). Un grief nouveau présenté pour la première fois devant la Cour dans les observations du requérant sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête a été considéré comme introduit en dehors du délai de six mois, en méconnaissance de l'article 35 § 1 de la Convention (Messochoritis c. Grèce (déc.), no 41867, 15 juin 2000).
La Cour a considéré aussi que des griefs formulés après l'expiration du délai de six mois ne peuvent être examinés que s'ils touchent des aspects particuliers des griefs initiaux soulevés dans le délai (Raninen c. Finlande, no 20972/92, décision de la Commission du 7 mars 1996, D. R. 84, p.17).
Par ailleurs, il convient de rappeler également que, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour ne se considère pas comme liée par celle que leur attribuent les requérants ou les gouvernements. En vertu du principe jura novit curia, elle a étudié d'office plus d'un grief sous l'angle d'un article ou paragraphe que n'avaient pas invoqué les comparants. Un grief se caractérise par les faits qu'il dénonce et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués (Guerra et autres c. Italie, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I, p. 223, § 44, et Berktay c. Turquie, no 22493/93, § 168, 1er mars 2001).
1.  Sur le grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention
Le Gouvernement fait valoir que la requérante s'est exprimée dans le formulaire de requête dans les termes suivants : « notre espoir, même quant à l'usage alternatif de l'édifice du culte, a été détruit par la cour d'appel d'Oradea (...) lorsqu'elle a accueilli le recours ». Or, selon lui, cet énoncé ne vaut pas allégation en substance de la violation du droit de propriété, d'autant plus que la requérante a précisé dans son action en justice que le litige ne portait pas sur la propriété de l'immeuble, mais sur la possibilité d'y célébrer la messe.
Le Gouvernement apprécie également que les considérations relatives à la propriété contenues dans ses observations du 11 décembre 2001 ont présenté de manière correcte et exhaustive le cadre juridique interne. Lesdites considérations ne peuvent pas être interprétées comme une reconnaissance implicite d'un grief que la requérante n'a pas entendu soulever dès l'introduction de sa requête.
La requérante souligne que, dans sa requête initiale présentée à la Cour par le prêtre de la paroisse, elle s'est plainte également de l'ingérence dans le droit d'utiliser l'édifice du culte.
La Cour remarque que, dans le formulaire de requête présenté à la Commission le 14 août 1998 développant les aspects soulevés dès l'introduction de la requête, le 11 juin 1998, la requérante s'est plainte, entre autres, de l'impossibilité de jouir d'un bien en s'exprimant dans les termes suivants :
« Ces circonstances, ainsi que l'impossibilité d'obtenir un droit de propriété ou au moins un droit d'usage de l'édifice du culte, nous a décidé à formuler une requête à l'attention du Conseil de l'Europe. »
Dès lors, la Cour considère que le grief tiré en substance de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention a été formulé dans le délai de six mois.
Partant, il y a lieu de rejeter l'exception du Gouvernement quant à cette partie de la requête.
2.  Sur le grief tiré de l'article 13 de la Convention
D'après le Gouvernement, la requérante n'a pas entendu dès l'introduction de sa requête saisir la Cour d'un grief sur le terrain de l'article 13 de la Convention, en s'exprimant ainsi « nous considérons qu'il n'existe pas en Roumanie une instance qui pourrait trancher notre demande, nos pétitions adressées au Parlement et au Président étant restées sans réponse ». Cette affirmation, bien que placée sous le point « exposé des faits », serait plutôt une réponse à la question du formulaire de requête relative à l'épuisement des voies de recours internes.
La requérante rétorque qu'en décrivant ainsi la violation alléguée dans son exposé des faits, elle a entendu se plaindre de l'absence de recours effectif devant une instance nationale, et donc de la violation de l'article 13 de la Convention. Par ailleurs, elle fait valoir qu'elle avait répondu séparément à la question relative aux voies de recours en indiquant le recours en annulation et le motif pour lequel elle le considérait comme inefficace.
Compte tenu du principe selon lequel un grief se caractérise par les faits qu'il dénonce et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués (Berktay, précité, § 168), la Cour considère que le grief tiré en substance de l'article 13 de la Convention a été formulé dans le délai de six mois.
Partant, il y a lieu de rejeter l'exception du Gouvernement quant à cette partie de la requête.
3.  Sur les griefs tirés de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 6 de la Convention et l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention
Le Gouvernement affirme que rien dans le formulaire de requête ne saurait donner à penser que la requérante avait l'intention de soulever de tels griefs.
La requérante s'oppose à cette thèse.
La Cour observe que la requérante a allégué, dès l'introduction de sa requête, une différence de traitement, fondée sur son appartenance à une religion minoritaire, qui serait discriminatoire. Si elle a affirmé explicitement que la cour d'appel d'Oradea a manqué à l'obligation d'assurer la jouissance de sa liberté de religion sans discrimination, il ressort de l'ensemble de la requête que l'intéressée a également entendu se plaindre d'un traitement discriminatoire dans l'exercice des autres droits prévus par la Convention, dont elle allègue la violation, à savoir le droit d'accès à un tribunal et le droit au respect de ses biens.
Partant, il y a lieu de rejeter l'exception du Gouvernement également quant à cette partie de la requête.
C.  Sur les violations alléguées
1.  Sur la violation alléguée du droit d'accès à un tribunal
La requérante allègue qu'elle a été privée de son droit d'accès à un tribunal du fait que la cour d'appel s'est déclarée incompétente pour connaître du litige qui l'opposait à l'Eglise orthodoxe et qui portait sur l'usage partagé de l'édifice du culte. Elle invoque l'article 6 de la Convention, qui se lit ainsi dans ses parties pertinentes :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Le Gouvernement soutient que la requérante n'a pas vu nier son droit d'accès à un tribunal, mais qu'en vertu de la loi interne, ce droit a subi des limitations justifiées par la nature du litige.
Il fait valoir que, pour ce qui est des litiges entre les deux Eglises, uniate et orthodoxe, relatifs aux édifices du culte et aux maisons paroissiales qui appartenaient aux gréco-catholiques avant 1948 et qui, depuis lors, étaient en possession de l'Eglise orthodoxe, le législateur roumain a entendu adopter une réglementation spéciale dérogatoire au droit commun. Ainsi, la loi spéciale, c'est-à-dire le décret-loi no 126/1990, prévoit qu'il appartient aux commissions mixtes formées par les représentants des deux Eglises de trancher tout litige relatif aux édifices du culte. En instituant une telle procédure dérogatoire, le législateur a également établi les critères qui doivent être appliqués par les commissions mixtes. Selon le Gouvernement, celles-ci doivent tenir compte de la volonté de la majorité des croyants de chaque commune.
Le Gouvernement indique qu'à Sâmbăta, cette commission mixte s'est constituée le 3 mai 1995 et qu'elle a pris en compte la volonté de la majorité orthodoxe, qui était de ne pas partager l'usage de l'église aux fins de l'office religieux avec les croyants gréco-catholiques.
Le Gouvernement fait ensuite valoir que toute décision d'une commission mixte est soumise à un contrôle juridictionnel, c'est-à-dire qu'elle est susceptible de recours devant les tribunaux ordinaires. Dès lors, le droit d'accès à un tribunal a été respecté. Invoquant l'interprétation du décret-loi no 126/1990 par la Cour constitutionnelle roumaine, le Gouvernement admet que la compétence des tribunaux pour connaître de telles contestations était limitée. Les tribunaux étaient uniquement en mesure de vérifier si les critères établis par la loi, tels que le respect de la volonté de la majorité des croyants d'une commune, avaient été respectés.
Le Gouvernement fait valoir que cette solution législative, qui relève de la marge d'appréciation de l'Etat, était justifiée par le fait que, s'agissant d'un domaine sensible, elle visait à écarter le risque de troubles sociaux dans les communautés où des gréco-catholiques et des orthodoxes cohabitaient. Par ailleurs, le Gouvernement remarque que les hauts représentants des deux cultes sont convenus de privilégier la voie du dialogue et d'éviter le recours aux tribunaux. Le Gouvernement fait observer également qu'il s'agissait de différends ayant comme seul objet les édifices du culte ou les maisons paroissiales, pour lesquels une procédure dérogatoire a été prévue. Par contre, en ce qui concerne tout autre litige portant sur d'autres biens, les tribunaux ordinaires restent normalement compétents.
Le Gouvernement estime en conclusion qu'en refusant de trancher selon le droit commun la question du droit de propriété portant sur l'édifice du culte et en renvoyant à la procédure devant la commission mixte, la cour d'appel d'Oradea n'a fait qu'appliquer le droit interne, à savoir l'article 3 du décret-loi no 126/1990. Le Gouvernement estime en outre que cette solution législative n'apparaît pas comme une ingérence injustifiée et disproportionnée dans le droit garanti par l'article 6 de la Convention.
La requérante considère que les dispositions législatives dérogatoires invoquées par le Gouvernement sont contraires à la Convention, à la Constitution de la Roumanie et aux principes du code civil en la matière, car elles constituent une atteinte injustifiée et disproportionnée à la substance même du droit d'accès à un tribunal.
La requérante relève que, même certaines juridictions internes, y compris la Cour suprême de justice dans sa jurisprudence la plus récente, ont fait prévaloir sur le décret-loi no 126/1990 la Convention et les principes du droit interne, qui donnent à toute personne accès à un tribunal afin qu'il statue sur des contestations quant à ses droits civils. Ainsi, dans des arrêts rendus en dernière instance, certaines cours d'appel et la Cour suprême de justice ont considéré que les tribunaux ordinaires étaient compétents pour connaître des litiges entre les gréco-catholiques et les orthodoxes portant sur les édifices du culte lorsque la procédure prévue par l'article 3 du décret-loi no 126/1990 s'avérait inadéquate, c'est-à-dire en cas d'actions en revendication ou en expulsion tendant à faire valoir un droit de propriété existant mais non à réclamer l'attribution en propriété d'un édifice religieux, ou bien lorsque la procédure des commissions mixtes s'avérait inefficace. La requérante ne prétend pas qu'une telle pratique soit constante au niveau des plus hautes juridictions internes. Par contre, elle fait remarquer que, dans beaucoup d'autres cas, tel le sien, les paroisses uniates se sont vu refuser le droit d'accès à un tribunal.
Pour ce qui est du recours aux commissions mixtes en vertu du décret-loi no 126/1990, la requérante estime que, dans la mesure où il serait considéré comme une procédure préalable ou spéciale, il est de nature à vider de son contenu le droit d'accès à un tribunal. Elle fait valoir que, soit les commissions mixtes ne se sont pas constituées, soit elles ont été le théâtre de discussions stériles, la partie orthodoxe refusant à chaque fois de laisser en possession des gréco-catholiques leurs anciennes églises ou d'en partager l'usage. Tel a été également son propre cas, ainsi qu'il ressort du procès-verbal de la seule réunion des représentants des deux cultes qui a eu lieu à Sâmbăta le 3 mai 1995.
En tout état de cause, les commissions mixtes ne sauraient passer pour des tribunaux au sens de l'article 6 de la Convention. En outre, dans la mesure où leurs décisions ne peuvent être contestées devant les tribunaux ordinaires que sur l'application correcte des critères établis par l'article 3 du décret-loi no 126/1990, ce contrôle juridictionnel serait aussi limité que le droit d'accès à un tribunal est illusoire.
La requérante soutient en outre qu'une telle limitation est injustifiée et disproportionnée. Elle considère que le fait de remettre entre les mains d'un organe soumis à la pression du groupe majoritaire orthodoxe sa contestation relative à ses droits civils et à l'usage de l'édifice religieux ne peut pas être légitimement justifié par la volonté d'éviter des troubles sociaux. La justice, telle que rendue par les tribunaux, ne doit pas être considérée comme source de troubles sociaux et l'accès au tribunal ne doit pas être subordonné à la pression de certains groupes sociaux, même s'ils sont majoritaires. Dans un État de droit, la paix sociale repose sur le respect des droits de chacun. Par contre, c'est le maintien d'une situation ambiguë, autorisant la méconnaissance de ces droits, qui est de nature à entretenir un climat de tension.
Quant au fait que les représentants de l'Eglise uniate auraient consenti au règlement amiable des différends avec l'Eglise orthodoxe et renoncé aux actions en justice, la requérante relève que l'Eglise orthodoxe, tirant profit de sa position plus forte, s'est livrée à des pressions et des chantages pour arriver à ce résultat.
La Cour estime, à la lumière de l'ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s'ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d'irrecevabilité n'a été relevé.
2.  Sur la violation alléguée du droit à un recours effectif
La requérante se plaint également qu'il n'existe aucune instance nationale à laquelle elle puisse soumettre efficacement sa demande concernant l'usage de l'édifice du culte. Elle invoque l'article 13 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
Le Gouvernement est d'avis que, si le grief de la requérante porte sur la prétendue impossibilité pour elle de voir examiner ses prétentions de caractère civil par un tribunal, il n'est pas nécessaire que la Cour se place également sur le terrain de l'article 13 si elle analyse le grief sous l'angle de l'article 6, étant donné que les exigences de ce dernier sont plus strictes que celles du premier.
Il soutient également qu'il ne ressort de l'article 13 de la Convention aucune obligation pour l'Etat de créer des juridictions de contrôle des décisions de justice définitives et irrévocables, donc d'offrir à la requérante un recours lui permettant de remédier aux prétendues violations des dispositions de la Convention résultant de l'arrêt de la cour d'appel d'Oradea du 12 janvier 1998.
La requérante soutient qu'il n'existe aucun recours interne pour redresser les violations de ses droits reconnus par les articles de la Convention qu'elle invoque.
La Cour estime, à la lumière de l'ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s'ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d'irrecevabilité n'a été relevé.
3.  Sur la violation alléguée du droit au respect de la liberté de religion
Alléguant que sa liberté de religion a été également entravée par le refus de la cour d'appel d'Oradea de trancher le litige portant sur l'usage pour la célébration de l'office religieux de l'édifice du culte, la requérante invoque l'article 9 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.
2.  La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Le Gouvernement souligne tout d'abord que le droit à la liberté de religion, tel que garanti par cet article, ne peut être interprété comme incluant le droit pour les églises ou associations religieuses nouvellement constituées de se voit attribuer des biens.
Par ailleurs, invoquant mutatis mutandis la décision de la Commission dans l'affaire Natoli c. Italie (no 26161/95, 18 mai 1998) et l'arrêt de la Cour dans l'affaire Cha'are Shalom Ve Tsedek c. France ([GC], no 27417/95, §§ 80-81, CEDH 2000-VII), il considère que la requérante n'a subi aucune ingérence dans son droit à la liberté de religion du fait que les tribunaux ont refusé de lui accorder l'autorisation de célébrer l'office dans l'édifice du culte réclamé. Elle ne serait nullement empêchée d'accomplir des rites dans d'autres endroits que l'église en litige, de s'aménager ou de se construire d'autres églises à Sâmbăta, ce qu'elle a d'ailleurs effectivement fait.
La requérante fait valoir que, jusqu'au moment où elle s'est fait édifier une nouvelle église, elle s'est trouvée dans l'impossibilité de célébrer l'office religieux dans un édifice du culte, alors qu'elle a toujours réclamé le droit d'utiliser l'ancienne église qui lui avait appartenu avant 1948. Elle estime que cette ingérence dans son droit à la liberté de religion n'est pas prévue par la loi, au sens de l'article 9 § 2 de la Convention, car le décret-loi no 126/1990 est ambigu, comme le montre la pratique contradictoire des juridictions nationales. De même, il n'y a pas de but légitime pour cette ingérence qui n'est pas considérée non plus comme nécessaire dans une société démocratique.
La Cour estime, à la lumière de l'ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s'ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d'irrecevabilité n'a été relevé.
4.  Sur la violation alléguée du droit au respect des biens
La requérante allègue que le refus des tribunaux de statuer sur son droit à utiliser l'édifice du culte a également porté atteinte à son droit au respect de ses biens, tel que garanti par l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention, qui se lit ainsi :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
De l'avis du Gouvernement, l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention n'est pas applicable en l'espèce, compte tenu du fait que la requérante ne peut pas faire valoir devant la Cour l'existence d'un « bien » ou d'une « espérance légitime » au sens de la disposition précitée.
Il soutient que, par l'effet du décret no 358/1948, la requérante a perdu le droit de propriété sur son ancienne église, ainsi que tout démembrement de ce droit, tel que la possibilité d'usage. L'abrogation dudit décret en 1990 n'a pas entraîné la nullité du titre de propriété de l'Eglise orthodoxe qui était devenue propriétaire du bien. Selon le Gouvernement, bien que défendable du point de vue moral, la thèse selon laquelle la requérante aurait un droit de propriété actuel sur l'édifice du culte en litige est dépourvue de fondement juridique.
S'appuyant sur les conclusions de la Cour dans l'affaire Canciovici c. Roumanie (no 32926/96, §§ 38-41, 26 novembre 2002), le Gouvernement relève qu'un tel droit de propriété n'a pas été reconnu par une décision « définitive et irrévocable », c'est-à-dire qui ne soit pas susceptible de recours en cassation. Il invoque l'article 311 du code de procédure civile en vigueur à l'époque, selon lequel les décisions annulées sur recours n'ont aucun effet juridique et tous les actes d'exécution accomplis en vertu d'une telle décision sont annulés si la juridiction de recours ne décide pas le contraire. Par ailleurs, la requérante n'a pas obtenu l'exécution forcée de la décision du tribunal départemental de Bihor du 6 mai 1997 reconnaissant sa copropriété sur l'édifice religieux, parce que la partie défenderesse dans la procédure interne avait obtenu la suspension de l'exécution de ladite décision.
La requérante fait observer qu'outre l'affaire Canciovici citée par le Gouvernement, la Cour s'est prononcée sur des griefs similaires tirés de l'article 1 du Protocole no 1 dans les arrêts Lindner et Hammermayer c. Roumanie (no 35671/98, 3 décembre 2002), Smoleanu c. Roumanie (no 30324/96, 13 décembre 2002), et Popovici et Dumitrescu c. Roumanie (no 31549/96, 4 mars 2003), en considérant qu'il n'y avait pas violation de l'article 1 du Protocole no 1 car les requérants ne pouvaient pas prétendre avoir un « bien » au sens de cette disposition.
Elle fait valoir que ces affaires ont été récemment déférées à la Grande Chambre, à la suite de demandes de renvoi formulées par les requérants, qui alléguaient une violation de leur droit au respect des biens.
La requérante allègue par ailleurs qu'elle a un droit de propriété sur l'édifice religieux réclamé sous la forme d'une copropriété avec la paroisse orthodoxe, droit qui lui a été reconnu par décision du tribunal départemental de Bihor du 6 mai 1997. Cette décision est, en vertu du droit interne, « définitive et exécutoire ». Le recours dont elle était susceptible est une voie de recours extraordinaire limitée essentiellement aux questions de droit et ne portant pas sur le bien-fondé de l'affaire. Par ailleurs, la cour d'appel d'Oradea n'a même pas examiné le fond de la cause, en déclarant l'action irrecevable pour incompétence des tribunaux. Elle a privé ainsi la requérante d'un droit établi antérieurement par une décision de justice définitive.
Subsidiairement, le Gouvernement allègue que l'objet du litige devant les tribunaux internes, comme celui soumis à la Cour, est une « obligation de faire », à savoir la permission d'utiliser l'édifice religieux alternativement avec le culte orthodoxe. Selon le Gouvernement, il ne s'agit en l'espèce ni d'un droit de propriété ou de copropriété, ni du démembrement du droit de propriété, mais d'une autre situation juridique impliquant l'usage d'un bien, similaire à celle du locataire ou à celle de la personne tolérée.
En outre, il estime que, par son action devant les juridictions nationales, la requérante a demandé la permission de célébrer la messe dans l'édifice religieux appartenant aux orthodoxes. Or, d'après le Gouvernement, le droit de célébrer la messe dans un certain endroit n'a pas de contenu patrimonial, mais est un droit spécial d'utilisation ecclésiale de l'église pour l'office religieux. Il affirme que la question du droit de propriété sur l'église disputée a fait l'objet d'une autre procédure en rectification du registre des propriétés immobilières (Cartea funciară), entamée par la paroisse orthodoxe.
Selon la requérante, si l'objet de l'action intentée devant les tribunaux internes était lié à la célébration du service religieux dans l'église en litige, une telle action ne peut être considérée que comme une demande visant l'usage de son bien. La référence au service religieux n'est que la conséquence logique du fait que le litige relatif à l'usage du bien portait sur un édifice religieux, dont il n'est pas concevable de faire usage autrement que pour le service religieux.
En outre, la requérante souligne que la décision définitive du tribunal départemental de Bihor du 6 mai 1997 a reconnu l'existence dans son patrimoine d'un droit de copropriété sur l'édifice religieux disputé. Dès lors, l'annulation de ladite décision par la cour d'appel d'Oradea est une ingérence dans son droit au respect des biens. Ensuite, elle fait valoir qu'en tout état de cause, elle est copropriétaire de plein droit de l'édifice disputé en vertu de la loi, à savoir l'article 37 du décret no 177/1948.
La Cour estime, à la lumière de l'ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s'ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d'irrecevabilité n'a été relevé.
5.  Sur la discrimination alléguée dans la jouissance des droits reconnus par les articles 6 et 9 de la Convention et par l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention
La requérante allègue que les instances nationales ont manqué à l'obligation de lui assurer la jouissance sans discrimination du droit d'accès au tribunal, de la liberté de religion et du droit au respect de ses biens. Elle invoque l'article 14 de la Convention, ainsi libellé :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
Le Gouvernement réitère ses arguments selon lesquels l'impossibilité pour la requérante d'obtenir l'usage pour le service religieux d'un bien immobilier qui ne lui appartenait pas ne saurait être considérée comme une ingérence dans son droit au respect de sa liberté de religion. Il soutient, dès lors, que l'article 14 n'est pas applicable.
En outre, le Gouvernement fait valoir que, pour conclure à la violation de l'article 14, il est nécessaire d'établir que des personnes placées dans des situations analogues ou comparables sont l'objet d'un traitement différent et que cette distinction ne trouve aucune justification objective ou raisonnable. Il affirme ensuite qu'il n'est pas possible d'établir une analogie entre la situation du culte gréco-catholique et celle des autres cultes reconnus en Roumanie. Selon le Gouvernement, vu le caractère spécifique de la situation de l'Eglise gréco-catholique, interdite de 1948 à 1990 puis de nouveau reconnue à partir du 31 décembre 1989, la requérante ne se trouve pas dans une situation comparable aux autres cultes. Aucun des autres cultes n'a été rétabli après une période d'interdiction. Or, ce rétablissement a été assorti de conditions spéciales, dues au caractère singulier de cette situation. D'après le Gouvernement, dans cette matière, les Etats jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour déterminer dans quelle mesure les différences entre des situations à d'autres égards analogues justifient des distinctions de traitement juridique.
Pour ce qui est du droit d'accès à un tribunal, le Gouvernement souligne que la procédure dérogatoire devant les commissions mixtes ne concerne que certains immeubles, comme les édifices religieux, et ne s'étend pas aux autres biens immobiliers de l'Eglise gréco-catholique.
La requérante conteste ces arguments, considérant que le traitement différent qui lui a été appliqué s'agissant de son droit d'accès à la justice, de son droit à la liberté de religion et de son droit au respect de ses biens, n'est aucunement justifié. Elle relève non seulement que l'article 3 du décret-loi no 126/1990 est discriminatoire à l'égard du culte gréco-catholique, mais que la pratique contradictoire des tribunaux nationaux, qui tantôt refusent, tantôt acceptent de juger des litiges portés devant eux par des paroisses gréco-catholiques et similaires au sien, est elle aussi discriminatoire.
La Cour estime, à la lumière de l'ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s'ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d'irrecevabilité n'a été relevé.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête recevable, tous moyens de fond réservés.
T.L. Early J.-P. Costa   Greffier adjoint Président
DÉCISION PAROISSE GRÉCO-CATHOLIQUE SÂMBĂTA -BIHOR c. ROUMANIE
DÉCISION PAROISSE GRÉCO-CATHOLIQUE SÂMBĂTA -BIHOR c. ROUMANIE 


Synthèse
Formation : Cour (première section)
Numéro d'arrêt : 48107/99
Date de la décision : 25/05/2004
Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Parties
Demandeurs : PAROISSE GRECO-CATHOLIQUE SAMBATA BIHOR
Défendeurs : la ROUMANIE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2004-05-25;48107.99 ?
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