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20/07/2004 | CEDH | N°37598/97

CEDH | AFFAIRE BÄCK c. FINLANDE


QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE BÄCK c. FINLANDE
(Requête no 37598/97)
ARRÊT
STRASBOURG
20 juillet 2004
DÉFINITIF
20/10/2004
En l’affaire Bäck c. Finlande,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,   M. M. Pellonpää,   Mme V. Strážnická,   MM. R. Maruste,    S. Pavlovschi,    L. Garlicki,    J. Borrego Borrego, juges,  et de Mme F. Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibé

ré en chambre du conseil le 1er juillet 2003 et le 29 juin 2004,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :...

QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE BÄCK c. FINLANDE
(Requête no 37598/97)
ARRÊT
STRASBOURG
20 juillet 2004
DÉFINITIF
20/10/2004
En l’affaire Bäck c. Finlande,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,   M. M. Pellonpää,   Mme V. Strážnická,   MM. R. Maruste,    S. Pavlovschi,    L. Garlicki,    J. Borrego Borrego, juges,  et de Mme F. Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er juillet 2003 et le 29 juin 2004,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 37598/97) dirigée contre la République de Finlande et dont un ressortissant de cet Etat, M. Tomas Bäck (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 10 juillet 1997 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant, qui avait été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, était représenté par Me C. Näsman, avocat au barreau de Vasa. Le gouvernement finlandais (« le Gouvernement ») était représenté par son agent, M. A. Kosonen, directeur au ministère des Affaires étrangères.
3.  Dans sa requête, le requérant alléguait la violation de ses droits patrimoniaux au regard de l’article 1 du Protocole no 1, en raison de l’extinction quasi totale – par un aménagement de dette – d’une créance qu’il détenait envers une autre personne.
4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date de l’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 dudit Protocole).
5.  Elle a été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
6.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la quatrième section remaniée en conséquence (article 52 § 1 du règlement).
7.  Par une décision du 22 octobre 2002, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.
8.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement) et répondu aux observations de la partie adverse.
9.  Le 25 mars 2003, la chambre a décidé de tenir une audience sur le fond (article 54 § 3 du règlement).
10.  En avril 2003, des observations ont également été reçues des gouvernements néerlandais, norvégien, suédois et britannique, que le président avait autorisés à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement). Les parties y ont répondu (article 44 § 5 du règlement). Les observations des Etats intervenants sont résumées ci-dessous.
11.  L’audience s’est déroulée en public au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 1er juillet 2003 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement  MM. A. Kosonen, directeur,    ministère des Affaires étrangères, agent,   J. Heiskanen, conseiller spécial,    ministère de la Justice, conseiller ;
–  pour le requérant  Me C. Näsman, avocat, conseil. 
Le requérant était également présent à l’audience.
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Kosonen et Me Näsman.
12.  Par la suite, M. L. Garlicki a remplacé M. M. Fischbach, empêché.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
13.  Le requérant est né en 1957 et réside à Karperö. En 1988 et 1989, lui-même et une autre personne se portèrent caution pour un prêt bancaire en faveur de N. En 1991, ce dernier se trouvant dans l’incapacité de respecter les conditions de remboursement, le requérant et l’autre garant versèrent chacun à la banque quelque 113 000 marks finlandais (FIM) (environ 19 000 euros (EUR)), sans compter les intérêts.
14.  En 1995, N. sollicita un aménagement de la dette en vertu de la loi de 1993 sur l’aménagement de la dette des particuliers (laki yksityishenkilön velkajärjestelystä, lag om skuldsanering för privatpersoner 57/1993 – « la loi de 1993 ») et soumit un plan de remboursement à l’approbation du tribunal. Le requérant s’opposa à cette demande, faisant valoir qu’une telle mesure risquait de le priver de manière injustifiée de ses biens, c’est-à-dire de sa créance envers N. M. Bäck estimait que N. était jeune et en bonne santé et qu’il devait donc être en mesure de rembourser en temps voulu ses dettes aux cautions. A titre subsidiaire, le requérant demandait le report de l’aménagement.
15.  Le 19 avril 1996, N. ayant trouvé un emploi, le tribunal de district (käräjäoikeus, tingsrätten) de Korsholm accepta d’aménager sa dette et adopta un plan de remboursement quinquennal devant prendre effet le 1er juin 1996. Le montant de la créance du requérant envers N. fut ramené à 2 168 FIM (365 EUR). Le tribunal de district estimait que la solvabilité de N. avait considérablement diminué du fait de la période de chômage qu’il avait traversée et de l’échec de ses activités professionnelles. Le débiteur étant déjà en mesure de rembourser 420 FIM (71 EUR) par mois à ses créanciers au moment où le tribunal examinait l’affaire, il n’était pas possible en vertu de la loi de 1993 de reporter l’entrée en vigueur du plan de remboursement. Le tribunal de district motiva ainsi sa décision :
« (...) Eu égard aux arguments de M. Tomas Bäck, le tribunal de district relève que la loi sur l’aménagement de la dette des particuliers permet de réduire le montant d’une créance, voire d’annuler celle-ci. Dès lors que le cautionnement implique toujours le risque de devoir rembourser le créancier mais aussi la possibilité de se retourner contre le débiteur principal, le tribunal estime que la créance en question ne saurait être considérée comme un bien susceptible de jouir d’une protection inviolable au regard de la Convention européenne des Droits de l’Homme (...) »
16.  Parmi les soixante-dix autres créanciers de N. figurait la banque F., détentrice d’une créance d’un montant de 231 722 FIM (38 973 EUR), dont le tribunal de district retint 4 510 FIM (759 EUR) dans le plan de remboursement de N.
17.  Le requérant fit appel, affirmant que l’extinction quasi complète de sa créance envers N. emportait violation de ses droits patrimoniaux au regard de la Convention. Il soulignait qu’aucune législation sur l’aménagement de la dette n’existait à l’époque où il s’était porté caution pour les dettes de N. et estimait que la mesure radicale consistant à annuler sa créance constituait une discrimination contre lui, créancier privé qui, contrairement aux banques créancières, ne recevrait aucun dédommagement de l’Etat.
18.  Le 14 octobre 1996, la cour d’appel (hovioikeus, hovrätten) de Vasa confirma la décision et le raisonnement du tribunal de district. Le 19 février 1997, le requérant se vit refuser l’autorisation de saisir la Cour suprême (korkein oikeus, högsta domstolen).
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
19.  La loi de 1993 fut adoptée alors que la Finlande connaissait une période de récession économique ; l’un des objectifs de cette loi était de réduire l’important volume des dettes non remboursées aux banques. Ces dernières recevaient de l’Etat d’importantes subventions à titre de compensation. En vertu de la loi de 1993, un tribunal peut annuler une dette à condition que le débiteur accepte un plan de remboursement des créanciers, établi par le tribunal (article 25). Celui-ci évalue la part du revenu dont le débiteur a besoin pour couvrir ses indispensables frais de subsistance et honorer une éventuelle obligation de verser une allocation (articles 4-5). L’excédent est affecté au remboursement des créanciers durant une période définie, dans les proportions déterminées par le tribunal (article 23).
20.  Si le débiteur rejette le plan de remboursement ou contracte de nouvelles dettes, le plan peut être annulé, ce qui permet à l’ensemble des créanciers de réclamer le remboursement comme si aucun aménagement de la dette n’avait été accordé (article 42). En cas de changement notable de sa situation – concernant par exemple sa capacité de remboursement – alors que le plan est en vigueur, le débiteur doit en informer les créanciers dans le délai de un mois (article 7). Tant le débiteur que les créanciers peuvent demander la modification, la prolongation ou l’annulation du plan de remboursement pendant qu’il est en vigueur ou, dans certaines circonstances, dans les cinq années qui suivent son adoption (articles 30 et 61). Si le plan de remboursement est modifié en faveur des créanciers, sa validité peut être prolongée pour une période correspondant au laps de temps pendant lequel la capacité de remboursement du débiteur s’était améliorée (article 44).
21.  Avant de statuer sur la demande d’aménagement de la dette, le tribunal peut entendre les observations de un ou plusieurs créanciers, cautions et codébiteurs (article 52). Un recours est possible devant la juridiction d’appel compétente, à moins que ce recours soit spécifiquement prohibé ou qu’il porte sur une question de procédure (article 63).
22.  A l’époque considérée, le tribunal pouvait sur requête d’un créancier recueillir les informations utiles sur l’éventuelle existence de circonstances susceptibles d’entraîner le rejet d’une demande d’aménagement de la dette. Depuis 1997, le tribunal peut aussi obtenir ces informations de sa propre initiative.
23.  Dans le projet de loi (no 183/1992), le gouvernement observait qu’un particulier insolvable avait rarement assez de biens pour pouvoir honorer ses obligations envers un créancier, les frais de faillite étant prioritaires. De même, une déclaration de faillite ne pouvait écarter la responsabilité future d’une personne physique quant à ses dettes. En autorisant un aménagement de l’ensemble de ses dettes et en définissant un plan de remboursement, on pouvait aider le débiteur à faire face à ses futurs engagements financiers, à condition toutefois qu’il se conformât à ce plan. Cette aide permettait également de réduire le coût global supporté par la société. Les tribunaux devaient chercher à aménager la dette de la manière qui fût la moins défavorable au créancier et uniquement dans la mesure où un tel aménagement était nécessaire pour redresser la situation financière du débiteur. Puisqu’il fallait autant que faire se pouvait éviter de porter atteinte aux contrats existants, l’extinction partielle ou totale d’une créance ne devait être envisagée qu’en tout dernier recours. La possibilité d’ordonner qu’un plan de remboursement restât en vigueur pendant cinq ans permettait aux créanciers d’obtenir satisfaction au moins partiellement. Il était observé que des législations relativement proches sur l’aménagement de la dette avaient été adoptées ou étaient sur le point de l’être dans des pays tels que le Danemark, la France, l’Allemagne, la Norvège, la Suède et les Etats-Unis d’Amérique.
24.  En 1997, la loi de 1993 a été modifiée, notamment de manière à durcir encore les conditions d’octroi d’un aménagement de la dette (articles 9 a) et 10). Un autre amendement a introduit la possibilité de prolonger de deux ans un plan de remboursement, à condition qu’il existe des motifs d’une certaine gravité et que le créancier soit lui aussi un particulier (article 31 a)). Ces différentes modifications n’étaient pas applicables à la situation du requérant.
III.  LES TIERCES INTERVENTIONS
A.  Le gouvernement néerlandais
25.  Le gouvernement néerlandais souscrit au point de vue du gouvernement défendeur et signale l’existence, dans son pays, d’une loi sur le remboursement des dettes des personnes physiques (Wet schuldsanering natuurlijke personen). Entrée en vigueur en 1998, celle-ci s’apparente à la législation finlandaise.
26.  De l’avis du gouvernement néerlandais, le fait de déclarer que le remboursement intégral ou partiel de la dette n’est plus exigible ipso jure au terme d’une procédure de remboursement de la dette n’est pas contraire à l’article 1 du Protocole no 1. Tant la législation finlandaise que la législation néerlandaise sur l’aménagement de la dette servent l’intérêt général puisqu’elles visent à prévenir les faillites personnelles. Bien souvent, une telle faillite dissuade l’intéressé de se lancer dans une activité génératrice de revenus, car il risque alors de devoir faire face aux revendications de ses anciens créanciers. De plus, ces faillites font peser une lourde charge sur la société, et les créanciers ne gagnent rien à poursuivre pendant des années un débiteur failli. La procédure d’aménagement de la dette vise à satisfaire toutes les parties concernées en veillant à un juste équilibre entre les intérêts des unes et des autres. Cela est conforme à la lettre et à l’esprit de l’article 1 du Protocole no 1.
27.  Enfin, le gouvernement néerlandais fait remarquer qu’une caution assume volontairement le risque que tous les fonds dont elle serait redevable envers un créancier ne puissent pas être recouvrés auprès du débiteur. La Convention n’offre aucune protection contre un tel risque.
B.  Le gouvernement norvégien
28.  A l’instar du gouvernement défendeur, le gouvernement norvégien estime que l’aménagement de la dette prévu par les législations respectives des Etats concernés ne va pas à l’encontre des droits des créanciers au regard de l’article 1 du Protocole no 1.
29.  La loi norvégienne de 1992 sur le règlement de la dette (loi relative au règlement volontaire et obligatoire des dettes des particuliers – gjeldsordningsloven) contient des dispositions semblables à celles qui figurent dans la législation finlandaise. La loi norvégienne sert des objectifs sociétaux de première importance et ménage un équilibre entre les intérêts concurrents. Elle vise principalement à favoriser la réinsertion des personnes ayant un problème d’endettement grave et permanent en leur donnant la possibilité de retrouver la maîtrise de leur budget, maîtrise sans laquelle les intéressés deviennent facilement et durablement dépendants du système de protection sociale. Par ailleurs, la loi a pour objet de garantir que les débiteurs s’acquittent autant que faire se peut de leurs obligations et que le partage de leurs biens, le cas échéant, soit organisé de manière adéquate. La position des créanciers ne doit pas être affaiblie plus qu’il n’est strictement nécessaire.
C.  Le gouvernement suédois
30.  De même, le gouvernement suédois souscrit aux arguments du gouvernement défendeur et évoque la loi suédoise de 1994 sur l’aménagement de la dette (skuldsaneringslagen). Correspondant pour l’essentiel à la législation finlandaise, ce texte revêt une importance capitale pour la société puisqu’il vise à favoriser la réinsertion des personnes très lourdement endettées en leur donnant une chance de vivre décemment. La loi en question est applicable aux personnes confrontées à un état d’insolvabilité « remplissant les conditions requises » et donnant à penser qu’elles seront incapables de rembourser leurs dettes dans un avenir prévisible. A plus long terme, les insolvabilités graves non seulement créent une souffrance pour les personnes concernées mais de plus entraînent une baisse de la production, un besoin accru de protection et de soins, ainsi qu’une expansion de la zone grise de l’économie.
31.  Par ailleurs, la loi sur l’aménagement de la dette a un effet préventif puisqu’elle amoindrit l’intérêt des établissements de crédit et autres à prêter des capitaux sans vérifier la solvabilité future du débiteur, diminuant ainsi le risque pour les particuliers de tomber dans une situation de lourd endettement.
32.  L’objectif de réinsertion que vise cette loi a été mis en balance avec l’intérêt du créancier individuel à maintenir sa créance. Ainsi, la loi suédoise a aussi pour objet de protéger les créanciers en tant que groupe, puisque le débiteur doit rembourser à chacun d’entre eux une partie au moins de sa dette. Les créanciers ont donc des chances de récupérer une fraction plus élevée que si la loi n’existait pas.
33.  A la fin de l’année 2002, en Suède plus de 32 000 demandes avaient été déposées et quelque 12 000 personnes s’étaient vu accorder un aménagement de la dette.
34.  A l’époque de l’examen du texte de loi suédois (projet de loi 1993/94:123), on estima que l’aménagement d’une dette ne constituait pas une privation de propriété, même s’il limitait la possibilité pour un créancier d’invoquer sa créance, voire éteignait cette créance. Une créance envers un débiteur confronté à une insolvabilité « remplissant les conditions requises » revêtait un caractère presque purement formel dès lors que le créancier ne pouvait guère s’attendre à un quelconque remboursement. Par un aménagement de la dette, le créancier avait une chance de récupérer au moins une partie de la valeur nominale de sa créance. C’est dans ce contexte, et en gardant à l’esprit l’important intérêt général militant en faveur de l’aménagement de la dette, que le gouvernement suédois a conclu lors de l’adoption de la loi de 1994 qu’un dispositif en ce sens n’était pas contraire à l’article 1 du Protocole no 1.
D.  Le gouvernement britannique
35.  De l’avis du gouvernement britannique, à supposer que l’article 1 du Protocole no 1 entre en jeu, toute atteinte aux droits des créanciers est justifiée au regard d’un système de faillite impliquant l’annulation totale ou partielle de la dette. L’annulation de la dette est un trait commun à de nombreux régimes de faillite du monde occidental, dont celui du Royaume-Uni. Les débiteurs peuvent être confrontés à des difficultés financières pour des raisons indépendantes de leur volonté. Les dispositifs de faillite tendent à assurer leur réinsertion financière et sociale. L’absence d’un tel régime pourrait avoir des conséquences négatives sur le plan social, car l’existence même d’une dette peut empêcher un individu de se livrer à certaines activités. Lorsqu’un débiteur ayant échoué dans les affaires ne peut pas être libéré de son endettement, cela peut avoir un effet dissuasif sur l’esprit d’entreprise et le goût du risque calculé.
36.  Un créancier comme le requérant peut prendre diverses mesures pour se protéger : éviter de traiter avec un débiteur particulier, recueillir des informations sur la situation financière du débiteur, demander une garantie, souscrire une assurance ou obtenir le cautionnement d’un tiers. Quoi qu’il en soit, un tel créancier est présumé connaître la législation sur l’insolvabilité ainsi que ses effets.
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
37.  Le requérant se prétend victime d’une violation de l’article 1 du Protocole no 1, qui est ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A.  Arguments des parties
1.  Le requérant
38.  Sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1, l’intéressé se plaint que l’aménagement de la dette dont N. a bénéficié l’ait privé de ses biens sans donner lieu à un dédommagement et en dehors de tout but légitime et conforme à l’intérêt général. L’aménagement aurait en effet entraîné le transfert à N. d’un montant équivalent au revenu net annuel du requérant, ce qui aurait fait peser sur celui-ci une charge excessive.
39.  Tout en admettant que l’ingérence était légale, M. Bäck soutient qu’elle était disproportionnée au but poursuivi. Alors qu’il était créancier, il lui a été impossible d’utiliser de manière effective son droit de remettre en question la justesse du plan de remboursement proposé, puisqu’il n’a pu obtenir d’informations sur la situation financière de N. ni entendre la déposition sous serment de celui-ci au sujet de ses dettes. Le principe de l’égalité des armes n’a pas été respecté et l’intéressé n’a eu qu’un court délai pour s’opposer à une demande d’aménagement de la dette. De plus, les autorités d’exécution n’ont pas bien rempli leur obligation – au regard de l’article 53 de la loi de 1993 – d’étudier la situation financière du débiteur. En raison du grand nombre de mesures d’aménagement de la dette prises à l’époque, l’examen de chaque demande par les tribunaux a été extrêmement sommaire.
40.  Du fait de l’aménagement de la dette, la créance du requérant est passée de 118 500 FIM (environ 20 000 EUR) à 2 168,41 FIM (365 EUR). Ainsi, l’adoption du plan d’aménagement a pratiquement éteint cette créance, alors que l’existence de celle-ci avait auparavant été confirmée par un tribunal. Se fondant sur une estimation approximative de la valeur marchande de son bien avant la mesure litigieuse, le requérant considère qu’un transfert de sa créance à une agence de recouvrement lui aurait rapporté 50 % de sa valeur nominale.
41.  M. Bäck estime qu’il était contraire à la loi de 1993 d’accorder à N. un aménagement de sa dette. N. était seul responsable de son lourd endettement, qui par ailleurs avait un caractère purement provisoire vu l’âge du débiteur. Si sa créance n’avait pas été éteinte, le requérant aurait pu dans quelques années tenter de se faire rembourser auprès de N.
42.  Tout en admettant globalement que l’article 1 du Protocole no 1 et les considérations touchant à l’intérêt général justifient que les Etats contractants jouissent d’une grande marge d’appréciation, le requérant s’oppose au transfert de propriété direct, d’un citoyen à un autre, qui intervient lors d’un aménagement de la dette. La grave récession qu’a connue la Finlande au début des années 90 ne légitime pas des transferts de propriété directs comme celui-ci. De plus, la législation relative à l’aménagement de la dette n’a pas été abrogée, alors que le pays est sorti de la crise. L’octroi d’une aide de l’Etat serait un moyen plus approprié de soutenir les débiteurs et d’éviter de lourdes conséquences au niveau social. Si, comme l’affirme le Gouvernement, l’aménagement de la dette vise à atténuer et prévenir les problèmes sociaux, l’Etat devrait au moins renoncer à ses créances fiscales à l’égard des personnes endettées. En vertu du plan de remboursement adopté pour N., l’autorité fiscale du comté devait percevoir plus de 3 000 FIM (505 EUR) sur une créance d’une valeur comptable de 155 000 FIM (26 069 EUR). Ainsi, par l’extinction quasi totale de sa propre créance, le requérant a dû contribuer indirectement à garantir le remboursement par N. d’une dette fiscale.
43.  Par ailleurs, M. Bäck arguë que si l’aménagement de la dette a évité à N. la « détresse sociale », celle-ci n’a pas été épargnée aux créanciers. L’atteinte à ses droits patrimoniaux lui a imposé un fardeau excessif par rapport à la charge ayant pesé sur N. Il réfute l’affirmation du Gouvernement selon laquelle l’aménagement de la dette lui a assuré le remboursement d’un montant supérieur à celui qu’il pouvait espérer obtenir à défaut d’une telle mesure. En tant que caution pour le prêt octroyé à N., il a dû verser une somme correspondant approximativement à son propre salaire annuel. Si pour sa part il a dû rembourser pendant quinze ans le prêt qu’il avait été obligé de contracter pour pouvoir couvrir la moitié du prêt accordé à N., pour ce dernier l’obligation de s’acquitter de sa propre dette –réduite par le tribunal – a été ramenée à une période de cinq ans seulement. On avait pourtant estimé à l’époque qu’il restait à N. trente et une années de vie active avant la retraite.
2.  Le Gouvernement
44.  Le Gouvernement admet que les mesures incriminées constituent une atteinte au droit du requérant au respect de ses biens ou, à titre subsidiaire, qu’elles s’analysent en une privation de propriété appelant un examen sous l’angle de la seconde phrase du premier paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1. Il estime néanmoins qu’il n’y a pas eu violation de cette disposition.
45.  L’aménagement de la dette de N. envers le requérant a été accordé en vertu de la loi de 1993, laquelle loi était, au sens de l’article 1 du Protocole no 1, suffisamment accessible et précise. Ce texte avait pour objet de permettre à une personne ayant des problèmes d’argent d’améliorer sa situation financière, de manière à prévenir les répercussions de l’insolvabilité – tels l’exclusion sociale, les problèmes sanitaires et sociaux et l’expansion de la zone grise de l’économie – sur l’ensemble de la société.
46.  Le grand nombre de cas d’aménagement de la dette à l’époque des faits s’explique par le climat économique défavorable des années 90 et l’accroissement de l’emprunt par les ménages et les entreprises au cours des années précédentes. L’important marché du crédit, la conjoncture économique positive et les perspectives générales de croissance avaient encouragé certains ménages à contracter des prêts sans garantie véritable de pouvoir les rembourser et sans que les établissements de crédit se soucient suffisamment de la solvabilité des emprunteurs. La soudaine et forte augmentation du chômage, la réduction du revenu net des ménages, la hausse significative des taux d’intérêt et la chute du prix de vente des maisons ont abouti à une forte pression sociale et politique en faveur de l’instauration d’un système permettant de régler le problème de l’endettement excessif des particuliers. La prévention ou la résolution de ce problème par l’aménagement de la dette ont rendu moins utile le recours – d’ailleurs infructueux – au système judiciaire et aux autorités d’exécution. Le besoin d’aide sociale s’en est également trouvé réduit.
47.  Par ailleurs, les mesures d’aménagement de la dette sont mises en œuvre selon un plan de remboursement défini pour plusieurs années et compte tenu de la solvabilité de facto du débiteur. Ainsi, celui-ci a une chance de se sortir d’une situation d’endettement sans espoir et peut prévoir son avenir de façon raisonnable et réaliste. L’amélioration de sa situation financière permet également d’assurer aux créanciers le meilleur remboursement possible, fût-ce au moyen d’un échéancier plus étalé dans le temps. Un arrangement qui garantit au débiteur la possibilité – présente et future – de conserver un revenu sert aussi les intérêts des créanciers. En effet, ceux-ci n’obtiennent généralement aucun versement lorsque le débiteur, à cause de difficultés financières qui lui paraissent insurmontables, ne s’efforce pas de rembourser ses dettes. Si l’on tient compte de la capacité de remboursement de facto du débiteur, les créanciers peuvent espérer récupérer au moins une partie de la somme qui leur est due. Grâce à l’appréciation de la solvabilité du débiteur, les créanciers évitent également d’inutiles et coûteuses mesures de recouvrement.
48.  La loi de 1993, qui vise à ménager un équilibre entre les intérêts des parties concernées, est indéniablement légitime car elle relève de l’« utilité publique » aux fins de l’article 1 du Protocole no 1, même dans la mesure où elle peut impliquer un transfert de propriété d’une personne à une autre. Les législations sur l’aménagement de la dette sont d’ailleurs fréquentes dans d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe.
49.  En outre, l’atteinte aux droits de propriété du requérant était proportionnée au but légitime poursuivi. La question de la proportionnalité de la loi de 1993 avait été débattue longuement par la Commission parlementaire permanente du droit constitutionnel et la Commission parlementaire permanente des questions juridiques. Ces deux organes avaient souligné la nécessité de tenir dûment compte de la protection de la propriété offerte par la Constitution de 1919, ce qui signifiait avant tout que l’affaiblissement de la position des créanciers, bien qu’inévitable, ne devait pas conduire à des résultats disproportionnés. Il avait été noté qu’un particulier, même déclaré failli, n’était pas libéré de ses engagements. Les effets de l’aménagement de la dette sur la situation des créanciers devaient donc s’apprécier au regard de leur possibilité d’obtenir un remboursement grâce aux revenus et biens futurs du débiteur. Etant donné que le montant d’une dette ne se trouvait réduit et que le débiteur n’était relevé de son obligation de rembourser que lorsqu’un autre aménagement de la dette était impossible, pareil arrangement, en réalité, n’affaiblissait pas la position des créanciers.
50.  S’agissant de l’espèce, le Gouvernement souligne que la dette de N. s’élevait au total à 1 391 375 FIM (234 012 EUR), dont un montant de 113 000 FIM (environ 19 000 EUR) dû au requérant. Lors de l’établissement du plan de remboursement, il fut estimé que N. était capable de verser une somme globale d’environ 420 FIM (71 EUR) par mois. A l’échéance du plan quinquennal, M. Bäck aurait reçu de N. 2 160 FIM (363 EUR) au total. Sans aménagement de la dette, il est fort probable que N. n’aurait jamais remboursé tout ce qu’il devait au requérant ; ce dernier n’aurait pas même perçu l’équivalent du montant fixé dans le cadre de l’arrangement. En outre, comme il n’existe dans la pratique aucun marché pour les créances personnelles envers des personnes insolvables, il n’y a pas de motif raisonnable de penser que sans la mesure d’aménagement le requérant aurait pu vendre sa créance pour une somme supérieure à ce qu’il a touché grâce à l’aménagement.
51.  Il convient de faire la distinction entre la valeur nominale et la valeur réelle d’une créance. La seconde dépend pour l’essentiel des perspectives de recouvrement du montant en question, c’est-à-dire du risque effectif lié au crédit. En l’espèce, la créance du requérant n’était pas garantie. De plus, en tant que caution, M. Bäck jouait un rôle particulier en assumant spécifiquement le risque d’insolvabilité du débiteur.
B.  Appréciation de la Cour
1.  Principes généraux
52.  La Cour rappelle que l’article 1 du Protocole no 1 comprend trois règles distinctes : la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la subordonne à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux Etats contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général. Il ne s’agit pas pour autant de règles dépourvues de rapport entre elles. La deuxième et la troisième ont trait à des exemples particuliers d’atteintes au droit de propriété ; dès lors, elles doivent s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première. Chacune des deux formes d’ingérence définies doit respecter le principe de légalité et viser un but légitime par des moyens raisonnablement proportionnés à celui-ci (Jokela c. Finlande, no 28856/95, §§ 44 et 48, CEDH 2002-IV).
53.  La notion d’« utilité publique » est ample par nature. En particulier, la décision d’adopter des lois concernant la propriété implique d’ordinaire l’examen de questions politiques, économiques et sociales. Un transfert de propriété dans le cadre d’une politique légitime – d’ordre social, économique ou autre – peut répondre à l’utilité publique même si la collectivité dans son ensemble ne se sert ou ne profite pas elle-même du bien dont il s’agit. Les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour déterminer ce qui est d’« utilité publique ». Estimant normal que le législateur dispose d’une grande latitude pour mener une politique économique et sociale, la Cour respecte la manière dont il conçoit les impératifs de l’« utilité publique », sauf si son jugement se révèle manifestement dépourvu de base raisonnable (Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC], no 25701/94, § 87, CEDH 2000-XII, et James et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1986, série A no 98, pp. 31-32, §§ 45-46).
54.  En elle-même, l’existence éventuelle de solutions de rechange ne rend pas injustifiée la législation litigieuse. Tant que le législateur demeure dans les limites de sa marge d’appréciation, la Cour n’a pas à dire s’il a choisi la meilleure façon de traiter le problème ou s’il aurait dû exercer différemment son pouvoir d’appréciation (James et autres précité, p. 35, § 51).
55.  Une mesure d’ingérence dans le droit au respect des biens doit néanmoins ménager un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt public ou général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu. Le souci d’assurer un tel équilibre se reflète dans la structure de l’article 1 du Protocole no 1 tout entier, qui doit se lire à la lumière du principe consacré par la première phrase. En particulier, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure qui prive une personne de sa propriété ou réglemente l’usage de celle-ci. Afin de déterminer si la mesure litigieuse respecte le juste équilibre voulu et, notamment, si elle ne fait pas peser sur le requérant une charge disproportionnée, il y a lieu de prendre en considération les modalités d’indemnisation prévues par la législation interne (Ex-roi de Grèce et autres précité, § 89).
56.  Nonobstant le silence de l’article 1 du Protocole no 1 en matière d’exigences procédurales, les procédures applicables en l’espèce doivent aussi offrir à la personne concernée une occasion adéquate d’exposer sa cause aux autorités compétentes afin de contester effectivement les mesures portant atteinte aux droits garantis par cette disposition. Pour s’assurer du respect de cette condition, il y a lieu de considérer les procédures applicables d’un point de vue général (Jokela, précité, § 45).
2.  Application en l’espèce
57.  Il n’est pas contesté que la créance du requérant constituait un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1. De même, il ne prête pas à controverse que la loi de 1993 a porté atteinte aux droits patrimoniaux de l’intéressé. La Cour relève que selon le droit finlandais la créance en question reposait sur la possibilité pour M. Bäck de se retourner contre N. au motif qu’il avait remboursé une partie des dettes de celui-ci. Elle estime donc que la créance du requérant représentait un « bien » au sens de l’article 1 (voir, par exemple, Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, arrêt du 20 novembre 1995, série A no 332, p. 21, §§ 30-31). La Cour ne voit pas davantage de raisons de s’écarter de l’avis des parties selon lequel l’application de la loi de 1993 s’analyse en une atteinte aux droits patrimoniaux de l’intéressé.
58.  La Cour note que l’aménagement des dettes de N. en vertu de la loi de 1993 a pratiquement éteint la créance du requérant. Si les faits de la cause s’apparentent à la fois à une privation et à une réglementation de la propriété, ils ne peuvent aisément être considérés comme appelant un examen exclusif sous l’angle de la deuxième ou de la troisième règle de l’article 1 du Protocole no 1. De plus, les situations visées par la seconde phrase du premier alinéa de l’article 1 ainsi que par le second alinéa ne sont que des exemples particuliers d’atteintes au droit au respect des biens tel qu’il est garanti par la règle générale énoncée dans la première phrase du premier alinéa. La Cour doit donc rechercher si l’atteinte alléguée aux droits patrimoniaux du requérant était compatible avec la règle générale figurant dans cette première phrase.
59.  Concernant la question de savoir si l’atteinte aux droits patrimoniaux du requérant peut être considérée comme justifiée par un intérêt public ou général, la Cour observe qu’un certain nombre d’Etats contractants ont instauré un cadre législatif permettant l’aménagement des dettes d’un particulier sous certaines conditions. Elle n’a aucune raison de révoquer en doute le jugement du législateur finlandais selon lequel il y avait à l’époque un intérêt général pressant et impérieux à donner aux débiteurs la possibilité de solliciter l’aménagement de leur dette dans certaines situations bien définies. De même, la Cour admet qu’il y avait, en principe, un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et l’objectif poursuivi.
60.  La Cour estime, avec le requérant, qu’un transfert de propriété réalisé à seule fin d’octroyer un avantage à un particulier ne saurait s’inspirer de l’« utilité publique ». Néanmoins, selon sa jurisprudence constante, un transfert obligatoire de propriété d’un individu à un autre peut, dans certaines circonstances, représenter un moyen légitime de servir l’intérêt général. Ainsi, un transfert de propriété opéré dans le cadre d’une politique légitime – d’ordre social, économique ou autre – peut répondre à l’« utilité publique » même si la collectivité dans son ensemble ne se sert ou ne profite pas elle-même du bien dont il s’agit (James et autres précité, pp. 30-32, §§ 40-45). La législation sur l’aménagement de la dette sert manifestement des politiques sociale et économique légitimes et ne constitue pas ipso facto une atteinte à l’article 1 du Protocole no 1.
61.  Cependant, la Cour doit également s’assurer que l’application de la loi de 1993 dans l’affaire particulière dont elle est saisie n’a pas imposé une charge excessive au requérant.
62.  Il est vrai qu’à l’époque où M. Bäck a accepté de se porter caution pour le prêt accordé à N., il ne pouvait prévoir la récession économique et l’adoption de la législation qui allait permettre l’aménagement de la dette de N. A n’en pas douter, cette mesure lui a causé un préjudice important sur le plan financier. Toutefois, il est vrai aussi qu’en garantissant le prêt accordé à N., le requérant devait évaluer le risque que N. se trouvât dans l’incapacité d’assumer ses engagements. Il devait également envisager la possibilité que N. fût déclaré failli, auquel cas sa créance envers lui perdrait vraisemblablement toute valeur. Qu’une situation de faillite eût préservé la validité juridique et l’exigibilité, à un stade ultérieur, de la créance ne change rien au fait qu’en se portant caution M. Bäck a accepté un risque de perte financière.
63.  La Cour n’exclut pas que l’extinction irrévocable d’une dette prononcée judiciairement – par opposition à l’échelonnement des remboursements sur une période plus longue ou à la faillite du particulier concerné – puisse dans certaines circonstances revenir à imposer une charge excessive à un créancier. Pour savoir si le requérant a eu à supporter pareille charge, il faut aussi se demander si la procédure suivie lui a donné une juste possibilité de défendre ses intérêts en tant qu’un parmi quelque soixante-dix créanciers.
64.  A ce propos, la Cour relève que le tribunal de district a entendu les observations de M. Bäck, qui a donc été en mesure de présenter son point de vue sur la demande d’aménagement de la dette formée par N. et sur le plan de remboursement proposé. Elle estime que le tribunal s’est livré à un examen approfondi et attentif de l’affaire et elle ne décèle aucun élément d’arbitraire dans les conclusions auxquelles il est parvenu. De plus, le requérant a pu obtenir un réexamen complet de sa cause par une juridiction d’appel, en ce qui concerne tant l’octroi de l’aménagement de la dette que les modalités précises du plan de remboursement adopté. Enfin, il a pu solliciter l’autorisation de saisir la Cour suprême.
65.  La Cour note en outre que le plan de remboursement de N. et la quasi-extinction de la créance du requérant qui en est résultée n’étaient pas encore juridiquement contraignants lorsque la procédure judiciaire s’est achevée, en février 1997. Jusqu’au terme de la période de validité du plan, soit jusqu’au 1er juin 2001, l’intéressé aurait pu tenter d’en obtenir la prolongation ou demander la majoration des versements en sa faveur s’il considérait, par exemple, que la capacité de remboursement de N. s’était sensiblement accrue.
66.  Certes, le requérant n’avait aucun moyen de vérifier l’exactitude des informations fournies par N. lors de sa demande d’aménagement de la dette puis plus tard. Cependant, on peut considérer que cet élément est compensé par le fait que N. était soumis à l’obligation de communiquer des informations sincères sous peine de sanctions pénales.
67.  Rien n’indique que les juridictions internes aient arbitrairement refusé de tenir compte des arguments avancés par M. Bäck ou que l’aménagement de la dette de N. et l’établissement de son plan de
remboursement aient reposé sur des considérations arbitraires ou déraisonnables. Ainsi, la procédure prise dans son ensemble a offert au requérant une occasion adéquate d’exposer sa cause aux autorités compétentes afin qu’un juste équilibre fût ménagé entre les intérêts concurrents en jeu.
68.  Concernant l’effet rétroactif de la loi de 1993, la Cour observe que ni la Convention ni ses Protocoles n’empêchent le législateur de s’ingérer dans des contrats existants (Mellacher et autres c. Autriche, arrêt du 19 décembre 1989, série A no 169, p. 27, § 50). Elle estime qu’une telle ingérence nécessite une justification spéciale, mais admet que dans le cadre de la loi de 1993 il existait des motifs particuliers suffisamment importants pour que l’on juge cette condition remplie. Elle note que dans une législation sociale correctrice, singulièrement dans le domaine de l’aménagement de la dette, objet de la présente affaire, le législateur doit pouvoir, pour atteindre le but visé par la politique adoptée, prendre des mesures ayant un effet sur l’exécution future de contrats déjà conclus. D’ailleurs, d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe, telles la Norvège et la Suède, ont promulgué des lois permettant l’aménagement de dettes contractées avant l’entrée en vigueur des textes en question.
69.  L’ampleur de la baisse accusée par la valeur nominale de la créance litigieuse est assurément saisissante. Cependant, la charge qu’a fait peser l’aménagement de la dette de N. s’est trouvée répartie entre divers créanciers, puisque la valeur nominale de la somme due au requérant ne représentait que 8,4 % du montant total des créances. De plus, il est évident qu’avant l’adoption de la loi de 1993 la « valeur marchande » éventuelle de la créance du requérant – c’est-à-dire le montant pour lequel une personne aurait accepté d’acheter ce titre – était déjà bien inférieure à sa valeur nominale.
70.  Eu égard également au fait qu’entre 1991 et 1995, année où son insolvabilité le conduisit à demander un aménagement de sa dette, N. n’avait effectivement rien remboursé hormis les 2 964 FIM (499 EUR) versés en septembre 1992, la Cour conclut que la créance de M. Bäck était déjà fort précaire avant l’aménagement de la dette, ce pour des raisons qui au regard de la Convention ne sont pas imputables à l’Etat. Dans ces conditions, la charge que la loi de 1993 a imposée au requérant ne saurait passer pour excessive.
71.  Dès lors, il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 20 juillet 2004, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise Elens-Passos Nicolas Bratza    Greffière adjointe Président
ARRÊT BÄCK c. FINLANDE
ARRÊT BÄCK c. FINLANDE 


Type d'affaire : Arrêt (au principal)
Type de recours : Non-violation de P1-1

Analyses

(P1-1-1) BIENS, (P1-1-1) INGERENCE, (P1-1-1) RESPECT DES BIENS, MARGE D'APPRECIATION


Parties
Demandeurs : BÄCK
Défendeurs : FINLANDE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (quatrième section)
Date de la décision : 20/07/2004
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 37598/97
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2004-07-20;37598.97 ?
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