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20/07/2004 | CEDH | N°38805/97

CEDH | AFFAIRE K. c. ITALIE


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE K. c. ITALIE
(Requête no 38805/97)
ARRÊT
STRASBOURG
20 juillet 2004
DÉFINITIF
15/12/2004
En l’affaire K. c. Italie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    L. Loucaides,    C. Bîrsan,    K. Jungwiert,    V. Butkevych,   Mme W. Thomassen,   M. V. Zagrebelsky, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 23 mars et 29

juin 2004,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trou...

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE K. c. ITALIE
(Requête no 38805/97)
ARRÊT
STRASBOURG
20 juillet 2004
DÉFINITIF
15/12/2004
En l’affaire K. c. Italie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    L. Loucaides,    C. Bîrsan,    K. Jungwiert,    V. Butkevych,   Mme W. Thomassen,   M. V. Zagrebelsky, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 23 mars et 29 juin 2004,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 38805/97) dirigée contre la République italienne et dont une ressortissante polonaise, Mme W.K. (« la requérante »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 7 novembre 1996 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents successifs, M. U. Leanza et M. I.M. Braguglia, et par ses coagents successifs, M. V. Esposito et M. F. Crisafulli. Le président de la chambre a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par la requérante (article 47 § 3 du règlement).
3.  La requérante alléguait que la durée de la procédure qu’elle avait engagée en Italie en application d’une convention des Nations unies et qui visait au recouvrement d’aliments dus par le père de son enfant, avait été excessive, ce qui aurait emporté violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 dudit Protocole).
5.  La requête a initialement été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement).
6.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête est ainsi échue à la deuxième section telle que remaniée (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci a alors été constituée, conformément à l’article 26 § 1 du règlement, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention).
7.  Par une décision du 25 juin 2002, la chambre a déclaré la requête recevable.
8.  Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
9.  La requérante, une ressortissante polonaise résidant à Katowice, en Pologne, et M. P., un ressortissant italien résidant en Italie, sont les parents d’une fille née hors mariage le 19 novembre 1988, et inscrits comme tels sur le registre d’état civil. M. P. n’a rempli aucune obligation parentale.
10.  La requérante engagea une procédure contre M. P. devant le tribunal de district de Katowice. Elle demandait le versement d’aliments pour sa fille mineure.
Le 23 juin 1993, le tribunal de district condamna par défaut le défendeur à verser 350 zlotys (PLN) (l’équivalent de 73 euros (EUR)) d’aliments par mois à compter du 19 novembre 1988, montant à majorer de l’intérêt légal à défaut de paiement. Cette décision devint définitive le 15 juillet 1993.
11.  N’ayant reçu aucun paiement à la date du 30 mai 1994, la requérante chercha à se prévaloir de la Convention des Nations unies du 20 juin 1956 sur le recouvrement des aliments à l’étranger. Elle s’adressa pour cela au tribunal de district de Katowice (faisant office d’Autorité expéditrice) dans le but de percevoir les sommes dues au titre de la pension alimentaire par l’intermédiaire du ministère italien de l’Intérieur (faisant fonction d’Institution intermédiaire), ainsi que le prévoit la Convention en question.
La requérante sollicitait tout d’abord le versement de la somme de 350 PLN due par mois, augmentée des intérêts moratoires, ce qui au 1er janvier 1994 représentait au total 21 350 PLN (soit 4 495 EUR). Elle demandait également que le montant de la pension alimentaire fût porté à 650 PLN par mois (soit 137 EUR environ), en s’appuyant sur des informations selon lesquelles M. P. avait un revenu mensuel de 3 000 dollars américains et en arguant de coûts d’éducation toujours plus élevés. Enfin, elle priait les autorités italiennes d’entamer une procédure judiciaire contre M. P. pour obtenir l’exécution de la décision du tribunal de district de Katowice et le recouvrement de ses frais et dépens dans le cas où M. P. refuserait d’exécuter le jugement.
12.  Le 30 mai 1994, le tribunal de district de Katowice adressa la demande de la requérante au ministère italien de l’Intérieur.
13.  Le 18 octobre 1994, dans une lettre adressée au tribunal de Katowice, le ministère confirma avoir reçu le 7 octobre 1994 la demande de l’intéressée et déclara avoir communiqué le dossier à la préfecture de Terni. Il ajouta que, dans la mesure où la décision existante obligeait M. P. à verser 350 PLN par mois, un montant différent ne pouvait être réclamé. Le 3 mai 1996, le ministère de l’Intérieur adressa une autre lettre au tribunal de district de Katowice pour l’informer que le procureur de Pérouse avait été chargé d’engager la procédure d’exécution de la décision.
14.  Le 27 décembre 1996, le procureur de Pérouse informa le ministère de l’Intérieur qu’il avait entamé la procédure en novembre 1996.
15.  Le 27 février 1997, la cour d’appel de Pérouse tint audience et décida que les parties devraient soumettre leurs observations finales le 15 mai 1997. A cette date, la cour reporta l’affaire au 30 octobre 1997, et la mit en délibéré. La loi prévoyait que l’arrêt ne pourrait être rendu avant l’expiration d’un délai de quatre-vingts jours. Le 21 janvier 1998, la cour d’appel de Pérouse déclara la décision du tribunal de district de Katowice exécutoire en Italie. Le 30 mars 1999, le ministère de l’Intérieur invita le débiteur à se conformer à ses obligations. Le 2 avril 1999, la décision de la cour de Pérouse devint définitive.
16.  Le 2 mai 2000, le ministère italien de l’Intérieur demanda aux autorités polonaises de lui communiquer un calcul actualisé des arriérés, ce qu’elles firent le 27 septembre 2000.
17.  Le 27 novembre 2000, la préfecture de Terni informa le ministère que, le 6 juillet 1999 et le 23 octobre 2000, elle avait officiellement invité le débiteur à payer les arriérés de la pension alimentaire. M. P. ne s’étant pas exécuté, le procureur de Pérouse fut chargé le 18 décembre 2000 d’engager la procédure d’exécution. Une première tentative d’exécution ne donna aucun résultat car M. P. n’avait pas d’actif. Le 20 décembre 2002, une nouvelle procédure d’exécution, entamée le 10 juillet 2002, aboutit à une saisie immobilière et à l’enregistrement dans le livre foncier d’une inscription de rang. Selon les informations communiquées par le Gouvernement, l’avocat de M. P. demanda officieusement que son client fût autorisé à échelonner le paiement de ses arriérés mais il ne saisit pas officiellement les tribunaux de cette requête.
II.  LE DROIT INTERNATIONAL ET INTERNE PERTINENT
A.  La Convention sur le recouvrement des aliments à l’étranger
18.  La Convention sur le recouvrement des aliments à l’étranger fut adoptée et ouverte à la signature le 20 juin 1956 dans le cadre de la Conférence des Nations unies sur les obligations alimentaires. Cette conférence avait été convoquée par le Conseil économique et social des Nations unies (Nations unies, Recueil des Traités, 1957, pp. 4-11 et 32-47). La Convention entra en vigueur le 25 mai 1957. L’Italie et la Pologne la ratifièrent le 28 juillet 1958 et le 21 mars 1968, respectivement. Les parties pertinentes de la Convention se lisent comme suit :
Article premier
« 1.  La (...) Convention a pour objet de faciliter à une personne, désignée ci-après comme créancier, qui se trouve sur le territoire d’une des Parties contractantes, le recouvrement d’aliments auxquels elle prétend avoir droit de la part d’une personne, désignée ci-après comme débiteur, qui est sous la juridiction d’une autre Partie contractante. Les organismes qui seront utilisés à cet effet sont désignés ci-après comme Autorités expéditrices et Institutions intermédiaires.
2.  Les voies de droit prévues à la (...) Convention complètent, sans les remplacer, toutes autres voies de droit existantes en droit interne ou en droit international. »
Article 2 §§ 1 et 2
« 1.  Chaque Partie contractante désigne, au moment du dépôt de l’instrument de ratification ou d’adhésion, une ou plusieurs autorités administratives ou judiciaires qui exerceront sur son territoire les fonctions d’Autorités expéditrices.
2.  Chaque Partie contractante désigne, au moment du dépôt de l’instrument de ratification ou d’adhésion, un organisme public ou privé qui exercera sur son territoire les fonctions d’Institution intermédiaire. »
Article 3 § 1
« Lorsqu’un créancier se trouve sur le territoire d’une Partie contractante, désignée ci-après comme l’Etat du créancier, et que le débiteur se trouve sous la juridiction d’une autre Partie contractante, désignée ci-après comme l’Etat du débiteur, le premier peut adresser une demande à une Autorité expéditrice de l’Etat où il se trouve pour obtenir des aliments de la part du débiteur. »
Article 4 § 1
« L’Autorité expéditrice transmet le dossier à l’Institution intermédiaire désignée par l’Etat du débiteur à moins qu’elle ne considère la demande comme téméraire. »
Article 5 § 1
« L’Autorité expéditrice transmet, à la demande du créancier et conformément aux dispositions de l’article 4, toute décision provisoire ou définitive ou tout autre acte judiciaire d’ordre alimentaire intervenus en faveur du créancier dans un tribunal compétent de l’une des Parties contractantes, et, s’il est nécessaire et possible, le compte rendu des débats au cours desquels cette décision a été prise. »
Article 6
« 1.  Agissant dans les limites des pouvoirs conférés par le créancier, l’Institution intermédiaire prend, au nom du créancier, toutes mesures propres à assurer le recouvrement des aliments. Notamment, elle transige et, lorsque cela est nécessaire, elle intente et poursuit une action alimentaire et fait exécuter tout jugement, ordonnance ou autre acte judiciaire.
2.  L’Institution intermédiaire tient l’Autorité expéditrice au courant. Si elle ne peut agir, elle en donne les raisons et renvoie le dossier à l’Autorité expéditrice.
3. Nonobstant toute disposition de la (...) Convention, la loi régissant lesdites actions et toutes questions connexes est la loi de l’Etat du débiteur, notamment en matière de droit international privé. »
B.  Loi no 218 du 31 mai 1995 (réforme du système italien de droit international privé)
19.  L’article 64 de la loi no 218 de 1995 énumère les cas dans lesquels un jugement rendu par un tribunal étranger est reconnu en Italie sans procédure particulière. L’article 67 contient des dispositions sur l’exécution des jugements et décisions en matière de compétence facultative et de refus d’exécution.
C.  Loi no 89 du 24 mars 2001 (ci-après « la loi Pinto ») (octroi d’une satisfaction équitable en cas de non-respect du principe de la « durée raisonnable »
20.  Cette loi, entrée en vigueur le 18 avril 2001, complète l’article 111 de la Constitution italienne selon lequel la loi garantit la durée raisonnable d’un procès. La nouvelle loi donne le droit à toute personne qui a subi un préjudice patrimonial ou non patrimonial en raison de la durée excessive d’une procédure de demander réparation à la cour d’appel, qui applique la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme.
Article 2   (Droit à une satisfaction équitable)
« 1.  Toute personne ayant subi un préjudice patrimonial ou non patrimonial à la suite de la violation de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, ratifiée par la loi no 848 du 4 août 1955, du fait du non-respect du « délai raisonnable » prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, a droit à une satisfaction équitable.
2.  Pour apprécier s’il y a eu violation, le juge prend en compte la complexité de l’affaire et, dans le cadre de celle-ci, le comportement des parties et du juge chargé de la procédure, ainsi que le comportement de toute autorité appelée à participer ou à contribuer à son règlement.
3.  Le juge détermine le montant de la réparation conformément à l’article 2056 du code civil, en respectant les dispositions suivantes :
a)  seul le préjudice qui peut se rapporter à la période excédant le délai raisonnable indiqué au paragraphe 1 peut être pris en compte ;
b)  le préjudice non patrimonial est réparé non seulement par le versement d’une somme d’argent, mais aussi par la publication du constat de violation selon les formes appropriées. »
Article 3  (Procédure)
« 1.  La demande de satisfaction équitable est déposée auprès de la cour d’appel où siège le juge qui, selon l’article 11 du code de procédure pénale, est compétent pour les affaires concernant les magistrats du ressort où la procédure – au sujet de laquelle on allègue la violation – s’est achevée ou s’est éteinte, quant au fond, ou est pendante.
2.  La demande est introduite par un recours déposé au greffe de la cour d’appel, par un avocat muni d’un mandat spécifique contenant tous les éléments visés par l’article 125 du code de procédure civile.
3.  Le recours est dirigé contre le ministre de la Justice s’il s’agit de procédures devant le juge ordinaire, le ministre de la Défense s’il s’agit de procédures devant le juge militaire, ou le ministre des Finances s’il s’agit de procédures devant les commissions fiscales. Dans tous les autres cas, le recours est dirigé contre le président du Conseil des ministres.
4.  La cour d’appel statue conformément aux articles 737 et suivants du code de procédure civile. Le recours, ainsi que la décision de fixation des débats devant la chambre compétente, est notifié, par les soins du requérant, à l’administration défenderesse domiciliée auprès du bureau des avocats de l’Etat [Avvocatura dello Stato]. Un délai d’au moins quinze jours doit être respecté entre la date de la notification et celle des débats devant la chambre.
5.  Les parties peuvent demander que la cour d’appel ordonne la production de tout ou partie des actes et des documents de la procédure au sujet de laquelle on allègue la violation visée à l’article 2, et elles ont le droit d’être entendues, avec leurs avocats, devant la chambre du conseil si elles se présentent. Les parties peuvent déposer des mémoires et des documents jusqu’à cinq jours avant la date à laquelle sont prévus les débats devant la chambre, ou jusqu’à l’échéance du délai accordé par la cour d’appel sur demande des parties.
6.  La cour prononce, dans les quatre mois suivant la formation du recours, une décision susceptible de pourvoi en cassation. La décision est immédiatement exécutoire.
7.  Le paiement des indemnités aux ayants droit a lieu, dans la limite des ressources disponibles, à compter du 1er janvier 2002. »
Article 4  (Délai et conditions concernant l’introduction d’un recours)
« La demande de réparation peut être présentée au cours de la procédure au titre de laquelle on allègue la violation ou, sous peine de déchéance, dans un délai de six mois à partir de la date à laquelle la décision concluant ladite procédure est devenue définitive. »
Article 5  (Communications)
« La décision qui fait droit à la demande est communiquée par le greffe, non seulement aux parties, mais aussi au procureur général près la Cour des comptes, afin de permettre l’éventuelle instruction d’une procédure en responsabilité, et aux titulaires de l’action disciplinaire contre les fonctionnaires concernés par la procédure. »
Article 6   (Disposition transitoire)
« 1.  Dans les six mois [délai porté à douze mois par la loi no 432 de 2001] à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, toutes les personnes qui ont déjà, en temps utile, introduit une requête devant la Cour européenne des Droits de l’Homme, pour non-respect du « délai raisonnable » prévu par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, ratifiée par la loi no 848 du 4 août 1955, peuvent présenter la demande visée à l’article 3 de la présente loi au cas où la Cour européenne n’aurait pas encore déclaré la requête recevable. Dans cette hypothèse, le recours auprès de la cour d’appel doit indiquer la date d’introduction de la requête devant la Cour européenne.
2.  Le greffe du juge saisi informe sans retard le ministre des Affaires étrangères de toute demande présentée au titre de l’article 3 et dans le délai prévu au paragraphe 1 du présent article. »
EN DROIT
I.  OBSERVATION PRÉLIMINAIRE
21.  La requérante allègue que la durée de la procédure en cause n’a pas été raisonnable et que l’Etat défendeur a méconnu l’article 6 § 1 de la Convention.
La Cour observe à cet égard que le Gouvernement n’a jamais soutenu pendant la procédure devant les organes de la Convention que la requérante ne relevait pas de la « juridiction » de l’Italie, au sens de l’article 1 de la Convention, ni donc que la requête était incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention.
Bien que cet argument n’ait pas été soulevé, la Cour estime opportun d’examiner la question d’office, compte tenu de sa pertinence en l’affaire. Même si c’est un tribunal polonais qui a accueilli la demande alimentaire formée par la requérante, les autorités italiennes, puisqu’elles ont ratifié la Convention des Nations unies sur le recouvrement des aliments à l’étranger (voir le paragraphe 18 ci-dessus et en particulier l’article 6 de cet instrument), étaient tenues de faire exécuter la décision polonaise. Dans le cadre de cette obligation, elles ont agi de manière autonome (voir, mutatis mutandis, Pellegrini c. Italie, no 30882/96, § 40, CEDH 2001-VIII). Par ailleurs, la Cour observe à ce propos que la procédure d’exécution en cause n’était soumise à aucun contrôle des autorités de la Pologne et que la requérante ne pouvait obtenir réparation de la part de cet Etat en cas de retard excessif dans l’exécution de la décision.
En bref, la juridiction de l’Italie entre en jeu sur le terrain de la Convention en ce qui concerne la plainte de la requérante.
II.  SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU GOUVERNEMENT
A.  Les exceptions soulevées avant l’examen de la recevabilité de la requête
22.  Le Gouvernement a réitéré l’argument qu’il avait exprimé au stade de l’examen de la recevabilité et selon lequel la requête devait être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, conformément à l’article 35 § 1 de la Convention :
«  La Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes, tel qu’il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus, et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive. »
23.  Le Gouvernement explique que la décision sur la recevabilité semble avoir été fondée sur des motifs contradictoires dans la mesure où la Cour a décidé que l’article 6 de la Convention s’appliquait en l’espèce alors que la requérante – qui en avait pourtant la possibilité en vertu de la loi Pinto – ne s’était pas adressée à la cour d’appel.
Le Gouvernement souligne que, si l’article 6 est applicable, cela signifie que la requérante aurait dû introduire une demande sur la base de la loi Pinto car, en droit italien, tout ce qui relève du champ d’application de l’article 6 (en ce qui concerne une durée excessive de procédure) « relève également et automatiquement » de l’application de cette loi. Si celle-ci ne s’appliquait pas à la procédure, l’article 6 ne s’applique pas à l’espèce et, partant, la requête est irrecevable ratione materiae. Pour conclure, le Gouvernement demande que la requête soit déclarée irrecevable pour incompatibilité ratione materiae ou rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes.
24.  La requérante ne formule pas d’observations sur ce point.
25.  La Cour note que les principes applicables en matière d’épuisement des voies de recours internes sont notamment énoncés dans l’arrêt qu’elle a rendu le 28 juillet 1999 en l’affaire Selmouni c. France (no 25803/94, §§ 74-77, CEDH 1999-V). La finalité de l’article 35 § 1 de la Convention est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne soient soumises aux organes de la Convention. Toutefois, les seuls recours à épuiser sont ceux qui sont effectifs. Il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits.
26.  En ce qui concerne l’application de l’article 35 § 1 de la Convention aux faits de l’espèce, la Cour note qu’il existait au départ un différend entre la requérante et M. P. au sujet du versement d’aliments. Or la procédure dont il est question ici ne concernait pas ce différend, mais l’exécution d’une décision antérieure. D’ailleurs, la requérante n’était pas partie à la procédure d’exécution devant la juridiction italienne puisque, en vertu de la Convention sur le recouvrement des aliments à l’étranger, les autorités italiennes étaient responsables du recouvrement.
La Cour a déjà reconnu qu’un requérant qui n’est pas partie à une procédure interne peut dans certains cas être considéré comme « victime » (article 34 de la Convention), à condition qu’il soit concerné par la décision dont il s’agit (L.G.S. S.p.a. c. Italie (no 2), no 39487/98, §§ 13-14, 1er mars 2001).
Comme la présente requête relève du champ d’application de l’article 6, il faut déterminer si la requérante aurait dû s’adresser à la cour d’appel pour obtenir une satisfaction équitable.
27.  L’article 2 de la loi Pinto a été rédigé en des termes suffisamment larges pour que l’on puisse en déduire qu’il existe un recours devant les juridictions civiles en cas de durée excessive d’une procédure. En faisant usage de ce recours, les demandeurs peuvent obtenir une décision sur la compatibilité de la procédure en cause avec le principe du délai raisonnable énoncé à l’article 6 § 1 de la Convention et, le cas échéant, réclamer une satisfaction équitable.
28.  Cela dit, la Cour estime que le Gouvernement n’a pas démontré qu’un demandeur qui n’est pas partie à la procédure interne, mais qui est néanmoins concerné par celle-ci, peut effectivement s’adresser à la cour d’appel. De surcroît, il semble qu’il appartient avant tout à l’Institution intermédiaire, telle qu’elle est définie dans la Convention des Nations unies, de faire appliquer la procédure spéciale dans l’intérêt du demandeur. La Cour conclut dès lors que la requérante n’était pas tenue d’épuiser le recours mentionné par le Gouvernement.
29.  Par conséquent, la Cour rejette l’exception préliminaire du Gouvernement.
B.  La nouvelle exception
30.  Dans les observations qu’il a formulées sur le fond de l’affaire, le Gouvernement soutient que, en dépit d’une jurisprudence contraire, l’article 6 de la Convention ne doit pas s’appliquer à une procédure d’exécution.
31.  La Cour rappelle que, selon l’article 55 de son règlement, si le Gouvernement entend présenter une exception d’irrecevabilité, il doit le faire dans ses observations sur la recevabilité de la requête. En l’espèce, non seulement il n’a pas soulevé cette question au stade de la recevabilité, mais il a reconnu que l’article 6 s’appliquait à la requête. Il est donc forclos à formuler cette exception à ce stade, et elle doit être rejetée.
III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
32.  La requérante soutient que la durée de la procédure en cause a dépassé un « délai raisonnable », ce qui emporte violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Selon cette disposition :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
33.  Le Gouvernement réfute cette allégation.
34.  Les parties ont discuté des divers critères appliqués en la matière par la Cour, tels la période exacte à considérer, le degré de complexité de l’affaire et le comportement des parties. La Cour rappelle pourtant que sa jurisprudence s’inspire en pareil cas d’un principe fondamental : le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie en fonction des circonstances particulières de la cause. En l’espèce, elles commandent une évaluation globale, en sorte que la Cour ne croit pas utile d’examiner la question en détail (voir, notamment, les arrêts Obermeier c. Autriche, 28 juin 1990, série A no 179, pp. 23-24, § 72, et Ferraro c. Italie, 19 février 1991, série A no 197-A, pp. 9-10, § 17).
35.  La procédure en cause fut ouverte le 7 octobre 1994, date à laquelle le ministère italien de l’Intérieur reçut du tribunal de district de Katowice la demande de la requérante (cette transmission étant la première démarche à effectuer pour que l’affaire fût portée devant une juridiction italienne).
L’instance devant cette juridiction fut ouverte avant le 27 décembre 1996 et la décision de la cour d’appel de Pérouse devint définitive le 2 avril 1999 (paragraphe 15 ci-dessus).
Le 18 décembre 2000, il fut demandé au procureur de Pérouse d’engager la procédure d’exécution. La première procédure n’aboutit pas (paragraphe 17 ci-dessus).
Une nouvelle procédure commença le 10 juillet 2002 (paragraphe 17 ci-dessus).
La Cour estime que l’Italie ne saurait être tenue pour responsable du fait qu’il ait fallu entamer cette nouvelle procédure.
La période à prendre en considération est donc d’au moins huit ans et demi.
36.  La Cour considère que l’objet de l’affaire présente un certain degré de complexité. Elle relève toutefois, par exemple, que les autorités italiennes ont attendu novembre 1996 pour saisir la cour d’appel de Pérouse, et ont attendu du 2 avril 1999 à décembre 2000 pour engager une nouvelle procédure d’exécution.
37.  Ayant examiné les faits de la cause à la lumière des observations des parties, et compte tenu de sa jurisprudence, la Cour considère que la durée de la procédure incriminée prise dans son ensemble n’a pas respecté la règle du « délai raisonnable ».
38.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
39.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
40.  Par une lettre du 17 octobre 2002, la requérante rappela le retard intervenu dans l’exécution du jugement du tribunal de district de Katowice. Elle s’attendait donc à ce que le gouvernement italien lui allouât une satisfaction équitable.
41.  Le Gouvernement est d’avis qu’aucune somme ne devrait être versée à la requérante mais, si la Cour en décidait autrement, le montant devrait être fixé seulement sur la base de la violation de l’article 6 § 1 constatée.
42.  La Cour estime que la requérante a souffert un certain préjudice moral dû à la lenteur de la procédure la concernant, préjudice qu’un constat de violation ne saurait suffire à réparer. Au vu des circonstances de l’espèce, et statuant en équité, la Cour alloue à la requérante la somme de 12 000 euros, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.
B.  Intérêts moratoires
43.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Rejette les exceptions préliminaires du Gouvernement ;
2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3.  Dit
a)  que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 12 000 EUR (douze mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 20 juillet 2004, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé J.-P. Costa  Greffière Président
ARRÊT K. c. ITALIE
ARRÊT K. c. ITALIE 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Exception préliminaire rejetée (non-épuisement des voies de recours internes) ; Violation de l'art. 6-1 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire

Analyses

(Art. 34) VICTIME, (Art. 35-1) DEROGATION AU PRINCIPE DE L'EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 35-3) RATIONE MATERIAE, (Art. 6) PROCEDURE D'EXECUTION, (Art. 6-1) DECIDER (CIVIL), (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE, (Art. 6-1) DROITS ET OBLIGATIONS DE CARACTERE CIVIL


Parties
Demandeurs : K.
Défendeurs : ITALIE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (deuxième section)
Date de la décision : 20/07/2004
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 38805/97
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2004-07-20;38805.97 ?
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