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07/09/2004 | CEDH | N°58753/00

CEDH | EUROFINACOM c. FRANCE


DEUXIÈME SECTION
DÉCISION FINALE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 58753/00  présentée par  EUROFINACOM  contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 07 septembre 2004 en une chambre composée de :
MM. A.B. Baka, président,    J.-P. Costa,    L. Loucaides,    C. Bîrsan,    K. Jungwiert,    M. Ugrekhelidze,   Mme A. Mularoni, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 22 juin 2000,
Vu la décision partielle

du 24 juin 2003,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse p...

DEUXIÈME SECTION
DÉCISION FINALE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 58753/00  présentée par  EUROFINACOM  contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 07 septembre 2004 en une chambre composée de :
MM. A.B. Baka, président,    J.-P. Costa,    L. Loucaides,    C. Bîrsan,    K. Jungwiert,    M. Ugrekhelidze,   Mme A. Mularoni, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 22 juin 2000,
Vu la décision partielle du 24 juin 2003,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
La requérante, la société Eurofinacom, est une personne morale de droit français dont le siège social est à Paris. Elle est représentée devant la Cour par  Me Patrick de Fontbressin, avocat à Paris. Le Gouvernement est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, directeur des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
A.  Les circonstances de l’espèce
La société requérante exploitait un service télématique accessible par Minitel, sur la base d’un contrat conclu avec France télécom. Ce service était accessible sous le code « 36-15 ALINE ». Il offrait une messagerie et un système de boîte aux lettres permettant aux personnes connectées de communiquer entre elles ; chacune choisissait un pseudonyme (dit « pseudo ») et pouvait en sus rédiger une auto-description sommaire (dite « CV ») que les autres pouvaient consulter.
Soupçonnant que ce service était utilisé par des prostituées pour entrer en contact avec des clients potentiels, le Parquet ordonna une enquête préliminaire. Il ressort d’un procès-verbal du 30 décembre 1996, que, dans le cadre de cette enquête, des fonctionnaires de police se connectèrent sur « 36-15 ALINE » sous le pseudo « AAA ». Ce jour-là, après avoir consulté les CV de « Lola massage », « Claire 37 ans », « Katy », « Fesseuse », « Lapine », « Helena 38 ans », « JF noire ch », « yeux amendes », « étudiante », « Katy 1er », « Elodye » et « Esclave mâle » (le procès-verbal n’indique pas si ces CV présentaient un caractère « prostitutionnel »), ils envoyèrent le message suivant à certain d’entre eux : « conditions ». « Lola massage » répondit « mon tarif est de 1 000 francs pour un RDV massage sublime du corps entier Paris 16 Foch pour d’autres infos votre tel ? merci ou m’écrire BAL Lola massage » ; « Fesseuse » répondit : « 1 000 » ; « Helena 38 ans » répondit : « 1 200 ». A un second message « combien », « JF noire ch » répondit : « tel arrdt 1 500 ».
Le 17 avril 1997, le Procureur de la République adressa au Président du tribunal de grande instance de Paris une « requête aux fins de désignation d’un mandataire de justice pour représenter une personne morale lors de poursuites pénales (article 706-43 du code de procédure pénale). Ce document est ainsi rédigé : 
« Le Procureur de la République (...) a l’honneur d’exposer les faits suivants :
La S.A.R.L. Eurofinacom (...) exploite un service télématique intitulé « 36-15 ALINE ».
Ce service télématique a fait l’objet d’une enquête ayant révélé qu’il faisait office d’intermédiaire entre des personnes se livrant à la prostitution et leurs éventuels clients.
Ces faits, commis à l’égard de plusieurs personnes constituent le délit de proxénétisme aggravé prévu et puni par les articles 225-5, 225-6 (1o) et 225-7 (3o) du code pénal.
M. Valéry Sourieau, gérant de la S.A.R.L. Eurofinacom fait donc l’objet de poursuites de ce chef sur citation directe du Parquet.
Eurofinacom (...) a réalisé depuis 18 mois un chiffre d’affaires mensuel d’environ 1 720 000 francs par la seule exploitation du « 36-15 ALINE ».
Il apparaît donc que l’infraction de proxénétisme aggravé reprochée à M. Valéry Sourieau en sa qualité de représentant légal, a été commise pour le compte de la société Eurofinacom.
La responsabilité pénale de la personne morale Eurofinacom peut alors être engagée conformément aux dispositions de l’article 121-2 du code pénal. Mais le représentant légal de la personne morale étant lui-même poursuivi pour les mêmes faits, Eurofinacom doit être représentée par un mandataire de justice.
C’est pourquoi, vu les articles 121-2, 225-12 du code pénal et 706-43 du code de procédure pénale, il est présenté requête à M. le Président du tribunal de grande instance de Paris aux fins qu’il désigne un mandataire de justice pour représenter la personne morale Eurofinacom à l’occasion de poursuites pénales où il sera reproché :
D’avoir à Paris et sur le territoire national, courant 1995, 1996 et 1997, en particulier les 30 décembre 1996, 2, 3 et 7 janvier 1997, fait office d’intermédiaire entre deux personnes, dont l’une se livre à la prostitution et l’autre exploite ou rémunère celle-ci, en mettant à la disposition des intéressés un service télématique intitulé « 36-15 ALINE » dont elle est le fournisseur et avec cette circonstance que les faits ont été commis à l’égard de plusieurs personnes.
Délit prévu et puni par les articles 225-5, 225-6 (1o), 225-7 (3o) et 225-12 du code pénal. »
Par une ordonnance du 17 avril 1997, le président du tribunal de grande instance de Paris désigna Mme Hélène Da Camara administrateur judiciaire « pour représenter la S.A.R.L. Eurofinacom à l’occasion des poursuites pénales engagées sur citation directe du Parquet ».
Les 28 avril et 12 mai 1997, le Parquet cita directement la société requérante et son gérant, M. Sourieau, devant le tribunal de grande instance de Paris  à l’audience correctionnelle du 26 juin 1997. Il leur était reproché d’avoir, de 1995 au 7 janvier 1997, fait office d’intermédiaire entre deux personnes, dont l’une se livre à la prostitution et l’autre exploite ou rémunère celle-ci, en mettant à la disposition des intéressés le service télématique « 3615 Aline » dont elle est fournisseur, et avec cette circonstance que les faits ont été commis à l’égard de plusieurs personnes.
Le 20 mai 1997, par une délibération en « assemblée générale ordinaire réunie à titre extraordinaire », la collectivité des associés de la société requérante mandata M. Jean-Claude Rossignol pour la représenter dans la procédure et pour désigner un avocat. M. Rossignol en informa le Procureur de la République par un courrier du 12 juin 1997.
Le 26 juin 1997, devant le tribunal, le conseil de la société requérante exposa que, en application de l’article 706-43 du code de procédure pénale, cette dernière avait mandaté M. Rossignol pour la représenter et en avait dûment informé le tribunal. Il en déduisait que la désignation d’un mandataire de justice pour représenter la personne morale poursuivie était « surabondante » et invitait le tribunal à retenir M. Rossignol comme seul représentant. Constatant que la désignation du mandataire judiciaire en application de l’article 706-43 du code de procédure pénale était « antérieure et régulière », le tribunal jugea que la personne morale était à bon droit représentée par Me Da Camara et que c’était la désignation de M. Rossignol qui était surabondante.
La défense de la société requérante fut assurée par un avocat choisi par Me Da Camara.
Par un jugement du 9 octobre 1997, le tribunal reconnut M. Sourieau et la société requérante coupables des délits suivants : « proxénétisme : intermédiaire entre un individu prostitué et celui qui l’emploie » et « proxénétisme aggravé : pluralité de victimes ». Il les condamna à des amendes de 300 000 et 5 000 000 francs respectivement et, solidairement, au paiement de 200 000 francs à une association partie civile à titre de dommages-intérêts. Le jugement précise notamment ce qui suit :
« Attendu qu’il résulte de l’enquête et notamment des clichés photographiques détaillant la connexion au serveur Minitel 36-15 ALINE et le cheminement sur ce dernier que s’il est fait mention de ce que « les pseudos et CV consultables par tous sont surveillés en permanence et que ceux laissant apparaître un numéro de téléphone ou des messages à caractère pornographique, prostitution, incitation à la débauche et aux pratiques illégales en s’adressant aux mineurs seront instantanément déconnectés, les prostituées sont néanmoins mises en relation avec toute personne souhaitant répondre aux messages ;
Attendu qu’après identification des titulaires d’abonnements téléphoniques apparus lors des connexions au 36-15 ALINE les fonctionnaires de police ont procédé à l’audition de ceux-ci ;
Qu’ainsi [E.S.] a déclaré se livrer à la prostitution depuis plus de deux ans sous le pseudonyme « EVA 93 » par l’intermédiaire du 36-15 ALINE et diffuse le message « Jolie blonde 38 ans, lingerie fine et coquine, 1m65 – 57 kgs – 95 tour de poitrine » ; qu’elle a précisé n’avoir jamais été déconnectée par le service et avoir vu des pseudos du type « PUTE » ne pas l’être davantage ;
Que [C.L.], dont le pseudonyme est COCO, a précisé diffuser le même type de message dans un but de prostitution, qu’elle a indiqué que s’il est interdit de dire en CV que l’on reçoit, « cela est néanmoins sous-entendu, personne n’étant dupe ».
Que [N.B.] dont le pseudonyme est LINDA, se prostituait avenue Victor Hugo lorsque des amies prostituées lui ont parlé du Minitel et de la possibilité de trouver des clients tout en restant confortablement chez soi ; qu’elle a alors déclaré avoir appris à se connecter, à dialoguer sur le 36-15 ALINE et à se décrire : « Brune , 1m70, cheveux longs, tour de poitrine 95 B, 38 de taille et 55 kgs » ; qu’elle a précisé « y avoir gagné en confort par rapport au tapin de la rue » ;
Attendu que [M.B.] (alias CHRISTINA ou LDIA), [N.K.] (alias MATHILDE ou ORNELLA), [L.G.], [J.D.] (alias VANESSA, CELIA ou JOY) ont exprimé leurs difficultés financières et leur souhait de gagner de l’argent en rencontrant des hommes par le biais de ce serveur ; qu’elles ont décrit leur prostitution occasionnelle :
Attendu par ailleurs que les fonctionnaires de police de la brigade de répression du proxénétisme en connectant sur 36-15 ALINE ont eu connaissance d’un certain nombre de messages exempts de toute ambiguïté :
« CV de Lola massage » : tarif 1 000 francs ;
« CV de Lapine » : brune – cheveux longs, 170 cms, 55 kgs, 85 TPB, 30 ans, câline, coquine, pour moment complice ;
« CV de fesseuse » : exquise et troublante, fessée pour Mr motivé, 115E TP, grande, brune, 40 ans, parisienne ;
« CV de HELENA » : très jolie rousse italienne 38 ans, épilée, sensuelle et raffinée très sexy ;
« CV de Esclave mâle » : esclave mâle réel 40 ans déjà dressé par maîtresses et CPL très bonne pratique de la soumission seul ou avec autres soumis mâle ou femelle pour soirée ou séances suis réel pas fantasmeur PARIS ou R.P.
Attendu que l’ensemble de ces connexions permet de considérer que les CV et messages correspondent manifestement à des activités prostitutionnelles ;
Que la personne souhaitant se prostituer emploie un pseudonyme, fait passer par le réseau 36-15 ALINE un CV, ouvre une boîte aux lettres télématique où elle reçoit des messages auxquels elle répond par un tarif, un numéro de téléphone et organise ainsi un rendez-vous avec les clients intéressés ;
Que la réalité de ce mode opératoire est attestée par les clichés photographiques pris par les fonctionnaires de police ;
Que par ailleurs il résulte des recherches effectuées dans les précédentes affaires traitées par la brigade de répression du proxénétisme que des prostitués hommes ou femmes ont fait état de l’utilisation du serveur 36-15 ALINE pour leur prostitution ;
Attendu en définitive que l’activité prostitutionnelle sur le serveur 36-15 ALINE est amplement démontrée ;
Attendu qu’à l’audience Valéry Sourieau n’a pas contesté qu’il doit assurer le bon fonctionnement du service en contrôlant la messagerie, qu’il affirme surveiller les équipes de contrôles ainsi que les pseudos introduits dans le serveur et ne pas hésiter à déconnecter les CV non conformes ; qu’il avait déclaré lors de l’enquête ne pas être dupe et ne pas ignorer que beaucoup d’échanges sur 36-15 ALINE sont le fait d’hommes ou de femmes se prostituant ;
Attendu que les prévenus invoquent les précautions mises en place, essentiellement les surveillances, pour démontrer leur bonne foi et l’absence d’élément intentionnel du délit poursuivi ;
Que cependant cette argumentation ne résiste pas à la réalité des faits révélés par l’enquête ; que la diffusion simultanée de nombreux pseudos correspondant pour la plupart à des termes dépourvus de toute ambiguïté, les CV précis annonçant des mensurations et les prestations offertes, les réponses aux messages par la communication de tarifs et de numéros de téléphone n’ont fait l’objet d’aucun contrôle réprobateur, ni d’aucune déconnexion ;
Qu’il ont bien au contraire permis l’identification et l’audition des prostituées, femmes en l’occurrence ;
Attendu que les prévenus se fondent en second lieu sur leur impossibilité d’intervenir directement sur la partie privée, les dialogues connectés, sous peine d’attenter à la liberté de communications privées ;
Attendu que (...) la S.A.R.L. Eurofinacom, fournisseur du service, s’est engagée à assurer une surveillance constante du service dans les termes de l’article 5-2 et des annexes 1 et 2 [de son] contrat, l’annexe 1 rappelant les principaux textes applicables à la télématique et notamment ceux concernant le proxénétisme ;
Attendu que le service télématique interactif 36-15 ALINE relève de la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 dont l’article 43 dispose que les services de communication audiovisuelle doivent faire l’objet d’une déclaration préalable auprès du Procureur de la République ;
Que la circulaire du 17 février 1988 prise en application dudit article 43 reprend la définition de la notion de service de communication audiovisuelle ;
Qu’ainsi il y a communication audiovisuelle lorsque le message est destiné indifféremment au public en général ou à des catégories de public c’est-à-dire à un ensemble d’individus indifférenciés sans que son contenu soit fonction de considérations fondées sur la personne ;
Qu’il y a correspondance privée lorsque le message est exclusivement destiné à une ou plusieurs personnes, physique ou morale, déterminée et individualisée ; 
Attendu qu’il convient de relever qu’en l’espèce sur le service 36-15 ALINE les prostituées sont en situation d’offre non exclusive, adressée à qui veut y répondre et qui se voit alors communiquer un tarif invariable à ce stade de l’échange ;
Attendu que l’échange ou le dialogue sur le serveur n’acquièrent pas le caractère de correspondance privée, en raison de la mise à disposition de tous les usagers du service, des annonces et tarifs ;
Qu’en revanche la conclusion du contrat amène à une communication téléphonique privée entre des personnes déterminées, couverte par le secret ;
Attendu dans ces conditions qu’il est établi que Valéry Sourieau et la S.A.R.L. Eurofinacom ont laissé diffuser des annonces sans exercer aucun contrôle sérieux ;
Que la prostitution de plusieurs personnes s’est développée par l’intermédiaire du service 36-15 ALINE ;
Attendu qu’il en résulte que le délit de proxénétisme aggravé est caractérisé en tous ses éléments constitutifs et qu’il y a lieu de retenir les prévenus dans les liens de la prévention ».
Suite à une demande du mandataire désigné par la société requérante (datée du 2 juin 1998), le président du tribunal de grande instance de Paris, par une ordonnance du 9 juin 1998, dit qu’il n’y avait lieu à poursuivre la mission de Me Da Camara telle qu’elle résultait de l’ordonnance du 17 avril 1997, « la société Eurofinacom étant désormais valablement représentée par M. Jean-Claude Rossignol dans l’instance pénale la concernant ».
Le jugement du 9 octobre 1997 fut entièrement confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 24 septembre 1998. Devant cette juridiction, la défense de la société requérante avait été assurée par un avocat désigné par M. Rossignol.
La cour d’appel rejeta une première exception de nullité soulevée par la société requérante, tirée de l’exclusion de M. Rossignol de la procédure devant le tribunal correctionnel ; elle releva à cet égard que le conseil choisi par l’administrateur judiciaire avait été régulièrement entendu en ses observations et moyens, de sorte que la société requérante avait été effectivement défendue et avait bénéficié d’un procès équitable en première instance. M. Sourieau plaida quant à lui la nullité des interceptions de communications privées opérées par les enquêteurs ; cette exception fut rejetée au motif qu’elle n’avait pas été invoquée devant les premiers juges et ne pouvait l’être une première fois en cause d’appel. Sur le fond, la cour retint notamment ceci :
[L]a culpabilité de M. Sourieau et d’Eurofinacom (...) résulte d’une part de la nature des messages prostitutionnels constatés (...). Elle résulte d’autre part des auditions de nombreuses prostituées qui ont confirmé l’utilisation fréquente du serveur « 36-15 ALINE » comme un moyen connu et habituel du réseau prostitutionnel. Ces dernières ont même précisé que ce procédé leur évitait le racolage dans la rue et leur permettait de sélectionner les clients plus facilement.
M. Sourieau soutient en vain qu’une équipe de contrôle fonctionnant 24h sur 24 et 7 jours sur 7, était affectée à la surveillance des messages afin d’éliminer ceux qui n’étaient pas conformes aux bonnes mœurs. Ces affirmations s’avèrent en totale contradiction avec les résultats de l’enquête.
En effet les constatations effectuées par les services de police qui ont consulté le serveur les 12 décembre 1996, 2, 3 et 7 janvier 1997 ont permis de vérifier que sur le grand nombre de messages à caractère prostitutionnel consultés, aucun n’a été déconnecté. De même, lors de leurs auditions, aucune des prostituées utilisatrices du serveur n’a indiqué avoir été « déconnectée » à la suite de l’envoi de ses annonces et certaines d’entre elles (...) ont même formellement assuré ne l’avoir jamais été. La bonne foi de M. Sourieau ne saurait dès lors être sur ce point retenue.
De même, il n’est pas possible de retenir l’argumentation selon laquelle M. Sourieau ne pouvait intervenir directement sur les dialogues connectés, s’agissant de communications privées. La Cour, se référant au jugement frappé d’appel, retiendra à son tour que le serveur « 36-15 ALINE » constituait, non pas un service de messagerie destiné à une ou plusieurs personnes déterminées et individualisées mais un mode de communication audiovisuelle proposé à un public indéterminé et non individualisé. Ce serveur se trouvait dès lors soumis aux dispositions de la loi du 30 septembre 1986, notamment celles relatives au respect de la digité de la personne humaine et la sauvegarde de l’ordre public.
Il a été notamment établi que les connexions effectuées par les services de police l’avaient été selon le procédé normal, accessible à tout public et s’interrompaient lorsque les deux interlocuteurs décidaient de transformer la communication audiovisuelle indéterminée en un échange personnalisé sur une ligne téléphonique privée. Dès lors et contrairement aux dénégations du prévenu, il est établi que M. Sourieau a bien favorisé, en connaissance de cause, un abondant réseau prostitutionnel dont il tirait de considérables bénéfices.
La communauté d’intérêts est également certaine entre M. Sourieau gérant de la société Eurofinaciom et la personne morale qu’il dirigeait. En effet, l’enquête a démontré que l’activité même d’Eurofinacom était constituée par les activités délictueuses reprochées et qu’elle a retiré un chiffre d’affaire évalué, de juillet 1995 à décembre 1996,  à 30 941 878 francs.
La société requérante et M. Sourieau se pourvurent en cassation. Ils soutenaient en premier lieu que le fait que les premiers juges ont jugé que la société requérante était représentée dans la procédure par le mandataire de justice désigné par le président du tribunal de grande instance de Paris à l’exclusion de la personne qu’elle avait elle-même mandatée à cette fin, contrevenait à l’article 6 de la Convention. Sur le fondement notamment de cette même disposition, ils soutenaient en deuxième lieu que l’infraction supposée était « le fruit d’une provocation et d’un stratagème ». Troisièmement, ils plaidaient que le délit de proxénétisme aggravé n’était pas légalement constitué, en l’absence notamment d’un acte positif, l’abstention ou la tolérance n’étant pas suffisants.
La chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi par un arrêt du 12 janvier 2000. S’agissant du premier moyen, elle jugea ce qui suit :
Attendu que, pour rejeter la demande d’annulation de la procédure de première instance (...) qui soutenait avoir été irrégulièrement représentée par Hélène Da Camara, l’arrêt relève que les dispositions de l’article 706-43 du code de procédure pénale ont été observées et que l’avocat choisi par la représentante de la personne a été entendu à l’audience en ses observations et moyens ;
Attendu qu’en cet état, la cour d’appel, qui constate que la personne morale avait été représentée et assistée, de façon effective, devant le tribunal correctionnel, a fait l’exacte application de la loi, nonobstant le motif surabondant critiqué en la dernière branche du moyen ;
Qu’en effet, il résulte de l’article 706-43, alinéa 1er, du code de  procédure pénale que, dès lors qu’à l’occasion de poursuites exercées contre une personne morale, l’action publique est également mise en mouvement, pour les mêmes faits ou pour des faits connexes, contre le représentant légal de celle-ci, la désignation d’un mandataire de justice pour représenter la personne morale au cours des poursuites est obligatoire selon les modalités prévues par le dernier alinéa du même article ;
Le deuxième moyen fut écarté par le motif suivant :
« Attendu qu’il ressort de l’arrêt et du jugement confirmé que les investigations de l’enquête ont consisté, pour l’essentiel, dans l’audition de personnes se livrant à la prostitution et recherchant leur clientèle par l’intermédiaire du serveur Minitel exploité par la société Eurofinacom ainsi que dans les constatations faites par les policiers eux-mêmes sur le réseau télématique ;
Attendu que, pour déclarer irrecevable l’exception proposée par Valéry Sourieau, qui demandait l’annulation d’interceptions de communications émises par la voie télématique, opérées par la police en méconnaissance, selon le prévenu, des articles 100 et suivants du code de procédure pénale, l’arrêt attaqué constate que cette disposition n’avait pas été présentée devant le tribunal correctionnel ;
Qu’en cet état, la cour d’appel a fait l’exacte application de l’article 385, dernier alinéa, du code de procédure pénale ;
Enfin, la chambre criminelle rejeta le troisième moyen au motif qu’il se bornait à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus.
B.  Le droit interne pertinent
1. La responsabilité pénale et la représentation des personnes morales devant les juridictions répressives
L’article 121-2 du code pénal prévoit la responsabilité pénale des personnes morales pour les infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants, sans exclure celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits.
S’agissant de la représentation d’une personne morale dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre elle, l’article 706-43 du code de procédure pénale précise ce qui suit :
« L’action publique est exercée à l’encontre de la personne morale prise en la personne de son représentant légal à l’époque des poursuites. Ce dernier représente la personne morale à tous les actes de la procédure. Toutefois, lorsque des poursuites pour des mêmes faits ou des faits connexes sont engagées à l’encontre du représentant légal, celui-ci peut saisir par requête le président du tribunal de grande instance aux fins de désignation d’un mandataire de justice pour représenter la personne morale.
La personne morale peut également être représentée par toute personne bénéficiant, conformément à la loi ou à ses statuts, d’une délégation de pouvoir à cet effet.
La personne chargée de représenter la personne morale en application du deuxième alinéa doit faire connaître son identité à la juridiction saisie, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.
Il en est de même en cas de changement du représentant légal en cours de procédure.
En l’absence de toute personne habilitée à représenter la personne morale dans les conditions prévues au présent article, le président du tribunal de grande instance désigne, à la requête du ministère public, du juge d’instruction ou de la partie civile, un mandataire de justice pour la représenter. »
Dans un arrêt du 9 décembre 1997 (Bull. crim. no 420), la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé qu’« il résulte de l’article 706-43, alinéa 1er, du code de procédure pénale que, dès lors qu’à l’occasion de poursuites exercées contre une personne morale, l’action publique est également mise en mouvement, pour les mêmes faits ou pour des faits connexes, contre le représentant légal de celle-ci ou contre le délégataire nommé en application de l’alinéa 2 du texte précité, la désignation d’un mandataire de justice pour représenter la personne morale au cours des poursuites est obligatoire, selon les modalités prévues par le dernier alinéa ».
2. La répression du proxénétisme
Aux termes de l’article 225-5 du code pénal :
« Le proxénétisme est le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit :
1º D’aider, d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui ;
2º De tirer profit de la prostitution d’autrui, d’en partager les produits ou de recevoir des subsides d’une personne se livrant habituellement à la prostitution ;
3º D’embaucher, d’entraîner ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d’exercer sur elle une pression pour qu’elle se prostitue ou continue à le faire.
Le proxénétisme est puni de sept ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. »
L’article 225-6 1o du code pénal précise qu’est assimilé au proxénétisme et puni des peines prévues par l’article 225-5 « le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit (...) de faire office d’intermédiaire entre deux personnes dont l’une se livre à la prostitution et l’autre exploite ou rémunère la prostitution d’autrui ».
L’article 225-7 3o du même code ajoute que le proxénétisme est puni de dix ans d’emprisonnement et de 1 500 000 euros d’amende lorsqu’il est commis à l’égard de plusieurs personnes. La loi nº 98-468 du 17 juin 1998 (publiée au Journal Officiel du 18 juin 1998) insère un dixième alinéa au terme duquel ces peines s’appliquent également lorsque le proxénétisme est commis « grâce à l’utilisation, pour la diffusion de messages à destination d’un public non déterminé, d’un réseau de télécommunications ».
GRIEFS
1.  Invoquant l’article 6 § 3 c) de la Convention, la société requérante dénonce une violation de son droit à « avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ». Elle se plaint en premier lieu du fait que, par une ordonnance du 17 avril 1997, le président du tribunal de grande instance de Paris a désigné d’office un mandataire de justice pour la représenter dans la procédure pénale engagée contre elle sans que, préalablement, ait été constatée l’impossibilité pour elle d’être représentée par un mandataire de son choix, comme l’exigerait l’article 706-43 du code de procédure pénale ; elle se plaint ensuite du fait que, alors que la collectivité des associés avait par la suite désigné un mandataire pour la représenter dans la procédure, le tribunal correctionnel a rejeté l’exception de nullité de la désignation du mandataire de justice. Elle se réfère à cet égard aux arrêts Goddi c. Italie du 9 avril 1984 (série A no 76, §§ 27s.) et Kamasinski c. Autriche du 19 décembre 1989 (série A no 168, §§ 65-90).
2.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la société requérante dénonce l’utilisation dans la procédure d’éléments recueillis à la suite d’une « provocation » policière, en méconnaissance de son droit à un procès équitable. Elle estime que le caractère « prostitutionnel » de certains messages échangés sur « 36-15 ALINE » n’a pu être constaté par les officiers de police judiciaires qu’à la suite de sollicitations adressées par ceux-ci aux titulaires de certains pseudos, lesdits officiers ayant en particulier formulé des demandes de tarifs tout en dissimulant leur qualité. Aucune offre de relations sexuelles moyennant rétribution n’étant apparue spontanément sur leur écran, l’infraction retenue ne pourrait être que le fruit d’une provocation et d’un stratagème résultant d’entretiens individualisés avec certaines personnes. La société requérante se réfère à cet égard à l’arrêt Teixeira de Castro c. Portugal du 9 juin 1998 (Recueil des arrêts et décisions 1998-IV, § 36).
3.  Invoquant l’article 7 de la Convention, la société requérante dénonce une violation du principe de la légalité des peines et des délits. Elle soutient que, tel que défini à l’époque des faits de la cause, le délit de proxénétisme n’englobait pas les faits pour lesquels elle a été poursuivie et condamnée. Elle précise que, postérieurement, la loi du 17 juin 1998 a inséré un dixième alinéa dans l’article 225-7 du code pénal, édictant expressément une circonstance aggravante lorsque ce délit est commis « grâce à l’utilisation, pour la diffusion de messages à destination d’un public non déterminé, d’un réseau de télécommunication » ; elle voit là une « reconnaissance implicite par la France » d’un « défaut de qualité » de sa loi.
EN DROIT
1.  La société requérante dénonce une violation de son droit à « avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ». Elle se plaint en premier lieu du fait que, par une ordonnance du 17 avril 1997, le président du tribunal de grande instance de Paris a désigné d’office un mandataire de justice pour la représenter dans la procédure pénale engagée contre elle sans que, préalablement, ait été constatée l’impossibilité pour elle d’être représentée par un mandataire de son choix, comme l’exigerait l’article 706-43 du code de procédure pénale ; elle se plaint ensuite du fait que, alors que la collectivité des associés avait par la suite désigné un mandataire pour la représenter dans la procédure, le tribunal correctionnel a rejeté l’exception de nullité de la désignation dudit mandataire de justice. En conséquence, sa défense fut assurée en première instance par un avocat choisi par le mandataire de justice, alors que le libre choix de son défenseur appartenait au mandataire désigné par les associés. Elle se réfère aux arrêts Goddi c. Italie du 9 avril 1984 (série A no 76, §§ 27s.) et Kamasinski c. Autriche du 19 décembre 1989 (série A no 168, §§ 65s.), et invoque l’article 6 § 3 c) de la Convention, aux termes duquel :
« Tout accusé a droit notamment à (...) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix (...). »
Le Gouvernement renvoie aux principes jurisprudentiels suivants : n’ayant pas un caractère absolu, le droit d’avoir l’assistance du défenseur de son choix peut faire l’objet de limitations dans certaines circonstances (il se réfère à l’arrêt Croissant c. Allemagne, du 25 septembre 1992, série A no 237-B, § 29) ; la Convention vise à protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (il se réfère à l’arrêt Artico c. Italie, du 13 mai 1980, série A no 37, § 33), de sorte qu’à travers le droit de choisir son avocat, c’est principalement l’effectivité d’une défense de l’accusé devant les juridictions répressives que l’article 6 cherche à garantir (il se réfère à l’arrêt Pakelli c. Allemagne, du 24 avril 1983, série A no 64, § 31) ; la portée de l’article 6 § 3 doit s’apprécier à la lumière du droit plus général à un procès équitable que garantit le paragraphe 1 de l’article 6 (il se réfère notamment à l’arrêt Artico précité, § 32) et les divers droits énumérés par le paragraphe 3, constituent, en matière pénale, des éléments parmi d’autres de la notion de procès équitable (il se réfère à l’arrêt Deweer c. Belgique, du 27 février 1980, série A no 35, § 56) ; l’équité d’une procédure ne peut s’apprécier que par un examen global de celle-ci (il se réfère notamment à l’arrêt Delta c. France, du 19 décembre 1990, série A no 191-A, § 35).
Le Gouvernement fait valoir que, si l’article 706-43 du code de procédure pénale prévoit que le représentant légal de la personne moral poursuivie pénalement représente celle-ci dans tous les actes de la procédure, lorsque des poursuites pour des faits identiques ou pour des faits connexes sont engagés à la fois contre une société et son représentant légal, il est à craindre que, pour échapper à une condamnation, ce représentant légal tente de faire supporter à la personne morale l’entière responsabilité du fait délictueux ; à tout le moins y aurait-il une « possible contradiction d’intérêts » entre l’une et l’autre. Là se trouverait la raison pour laquelle le législateur a prévu la désignation d’un mandataire de justice.
Le Gouvernement expose par ailleurs qu’en l’espèce, en première instance, le conseil choisi par le mandataire judiciaire désigné par le président du tribunal de grande instance a parfaitement défendu les intérêts de la société requérante : aucun élément ne démontrerait que la défense assurée par cet avocat manquait de sérieux ou d’effectivité. Par ailleurs, en appel puis en cassation, l’intéressée a été défendue par un ou plusieurs avocats de son choix. Vu les principes sus exposés, le Gouvernement en déduit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée.
La société requérante souligne en particulier que l’avocat qui a assuré sa défense en première instance était choisi par un mandataire de justice dont la désignation se trouvait contestée et que ledit mandataire s’est abstenu de comparaître devant la cour d’appel. Le respect du libre choix de son défenseur par un accusé supposant l’existence d’un rapport personnel de confiance, il ne saurait être soutenu que, dans de telles conditions, elle a bénéficié d’une défense sérieuse et effective.
La Cour rappelle que l’article 6 § 3 c) de la Convention reconnaît à tout accusé le droit à l’assistance d’un défenseur de son choix, lequel choix doit en principe être respecté. Néanmoins, malgré l’importance de relations confiantes entre avocat et client, ce droit n’a pas un caractère absolu : des « motifs pertinents et suffisants » tenant à l’intérêt de la justice peuvent fonder la désignation d’un défenseur contraire aux vœux de l’accusé (arrêt Croissant précité, § 27). Ce qui compte avant tout, c’est que l’accusé ait bénéficié d’une défense « concrète et effective » (voir, mutatis mutandis, les arrêts Artico et Goddi précités, §§ 33 et 27 respectivement).
Par ailleurs, comme le souligne le Gouvernement, le paragraphe 3 de l’article 6 revêt le caractère d’application particulière du principe général énoncé au paragraphe 1 : les divers droits qu’il énumère constituent des éléments parmi d’autres de la notion de procès équitable en matière pénale. En veillant à son observation, il ne faut pas perdre de vue sa finalité profonde ni le couper du « tronc commun » auquel il se rattache. Ainsi, en règle générale, la Cour examine les griefs tirés de l’article 6 § 3 sous l’angle des paragraphes 1 et 3 combinés (voir, parmi beaucoup d’autres, Meftah et autres c. France [GC], nos 32911/96, 35237/97 et 34595/97, arrêt du 26 juillet 2002, CEDH 2002-VII, § 40).
La Cour entend donc examiner les faits dénoncés par la société requérante à la lumière de l’ensemble de la procédure, et sur le terrain des paragraphes 1 et 3 combinés de l’article 6, le paragraphe 1 étant ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
En l’espèce, avant l’audience au fond du 26 juin 1997, le président du tribunal de grande instance de Paris, saisi à cette fin par le Parquet, désigna d’office un mandataire de justice pour représenter la société requérante dans la procédure pénale engagée contre elle (ordonnance du 17 avril 1997). La raison retenue pour ce faire était que le représentant légal de la société requérante avait été cité pour les mêmes faits devant les juridictions répressives et ne pouvait donc la représenter ; l’ordonnance se fonde ainsi sur l’article 706-43 du code de procédure pénale. Lors de l’audience du 26 juin 1997, le tribunal correctionnel rejeta la demande formulée par la requérante et tendant à ce qu’elle puisse être représentée par un autre mandataire, que la collectivité des associés avait spécialement désigné le 20 mai 1997. Ainsi, représentée d’office par le mandataire de justice et défendue par l’avocat choisi par ce dernier, la société requérante ne put être défendue ni par le mandataire qu’elle avait régulièrement désigné ni par l’avocat choisi par celui-ci.
La Cour relève qu’aux termes de l’article 706-43 du code de procédure pénale, l’action publique est en principe exercée à l’encontre de la personne morale prise en la personne de son représentant légal à l’époque des poursuites, lequel représente la personne morale à tous les actes de la procédure ; lorsque des poursuites pour des mêmes faits ou des faits connexes sont engagées à l’encontre du représentant légal, celui-ci peut saisir par requête le président du tribunal de grande instance aux fins de désignation d’un mandataire de justice pour représenter la personne morale. Le deuxième alinéa de l’article 706-43 précise que « la personne morale peut également être représentée par toute personne bénéficiant, conformément à la loi ou à ses statuts, d’une délégation de pouvoir à cet effet ». « En l’absence de toute personne habilitée à représenter la personne morale », le président du tribunal de grande instance désigne un mandataire de justice. Telle qu’interprétée par la Cour de cassation, l’article 706-43 oblige à la désignation d’un mandataire de justice pour représenter la personne morale au cours des poursuites exercées contre elle dès lors que l’action publique est également mise en mouvement, pour les mêmes faits ou pour des faits connexes, contre le représentant légal de celle-ci ou contre le délégataire nommé en application de son deuxième alinéa.
L’article 706-43 du code de procédure pénale vise ainsi à assurer la représentation de la personne morale mise en cause pénalement par une autre personne que son représentant légal lorsque celui-ci est également en cause.
Si elle ne doute pas que le but ainsi poursuivi par l’article 706-43 du code de procédure pénale – qui tient manifestement de l’intérêt de la justice – est légitime, la Cour constate qu’en l’espèce, le refus du tribunal correctionnel de Paris de retenir le mandataire régulièrement désigné le 20 mai 1997 par la collectivité des associés – dont la conséquence fut que la société requérante ne put être représentée par l’avocat de son choix – repose seulement sur le motif que la désignation du mandataire de justice était « antérieure et régulière ». Or, à lui seul, ce motif ne saurait suffire à justifier une telle interférence dans le choix de la société requérante quant à son défenseur.
La Cour relève cependant que la société requérante ne prétend pas qu’en première instance, l’avocat désigné par le mandataire de justice n’a pas dûment assumé sa mission ; au demeurant, force est de constater qu’aucun élément ne permet de conclure que le choix de ce conseil a nui à la défense de l’intéressée. La Cour constate ensuite que la société requérante était représentée par l’avocat de son choix devant la cour d’appel de Paris – juridiction souveraine saisie de l’ensemble du dossier, en fait comme en droit – ainsi que devant la Cour de cassation. Ainsi, au vu de la globalité de la procédure, la Cour estime que la circonstance dénoncée ne suffit pas à caractériser un manquement à l’article 6 de la Convention. Elle conclut en conséquence au défaut manifeste de fondement de cette partie de la requête et à son rejet en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2.  La société requérante dénonce l’utilisation dans la procédure d’éléments recueillis à la suite d’une « provocation » policière, en méconnaissance de son droit à un procès équitable. Elle estime que le caractère « prostitutionnel » de certains messages échangés sur « 36-15 ALINE » n’a pu être constaté par les officiers de police judiciaires qu’à la suite de sollicitations adressées par ceux-ci aux titulaires de certains pseudos, lesdits officiers ayant en particulier formulé des demandes de tarifs tout en dissimulant leur qualité. Aucune offre de relations sexuelles moyennant rétribution n’étant apparue spontanément sur leur écran, l’infraction retenue ne pourrait être que le fruit d’une provocation et d’un stratagème résultant d’entretiens individualisés avec certaines personnes. Se référant à cet égard à l’arrêt Teixeira de Castro c. Portugal du 9 juin 1998 (Recueil 1998-IV, § 36), la société requérante invoque l’article 6 § 1 de la Convention, lequel est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
Selon le Gouvernement, il résulte de la jurisprudence de la Cour qu’il y a « provocation » lorsque existe un lien de causalité directe et immédiat entre le comportement des policiers et la commission d’une infraction ; il en va ainsi quand l’affaire révèle l’absence d’éléments permettant de penser que le requérant avait une propension à commettre des infractions, l’absence de casier judiciaire le concernant et le fait que l’infraction n’est pas allée au-delà de ce que l’intervention des policiers a suscité. En revanche, il n’y a pas « provocation » lorsque l’auteur de l’infraction a déjà manifesté par son comportement la volonté de commettre l’infraction et a déjà pris des mesures à cette fin au moment où les enquêteurs « s’immiscent » dans ses tractations.
Le Gouvernement souligne qu’en l’espèce, le choix d’héberger les « pseudos » et CV litigieux sur « 36-15 ALINE » est exclusivement imputable à la société requérante : en aucune manière la police n’a incité à un tel choix. Par ailleurs, le dossier révèle que le comportement reproché à la société requérante préexistait à l’enquête et aux connexions des policiers sur le serveur minitel en cause ; d’une part, un article paru dans le numéro 107 du magasine VSD du 25 juillet 1996 – soit avant le début de l’enquête policière – abordait la question sous le titre « « 36-15 ALINE », la prostitution sur Minitel » ; d’autre part, des éléments recueillis antérieurement dans le cadre d’autres enquêtes menées par la brigade de répression du proxénétisme indiquaient qu’il était possible que des prostitués et prostituées utilisaissent « 36-15 ALINE » pour entrer en contact avec des clients. Par ailleurs, dès le début, les investigations policières se déroulèrent sous le contrôle du parquet du tribunal de grande instance de Paris. Dans ce contexte, les connexions de la police sur ce serveur apparaissent d’abord comme de simples opérations de constatation, dénuées de tout caractère ou intention provocateurs : toute personne qui se connectait pouvait y lire les CV litigieux, de sorte que la démarche des enquêteurs est assimilable à la lecture passive d’une publication écrite dans laquelle des annonces prostitutionnelles seraient insérées. D’ailleurs, la lecture des CV de Lapine, Fesseuse, Helena et Esclave mâle en particulier, permettait à elle seule de constater qu’ils présentaient clairement un contenu prostitutionnel. Le Gouvernement expose à cet égard que des énoncés du type de ceux constatés suffisent en droit interne pour asseoir une condamnation du chef de proxénétisme, l’indication d’un prix n’étant pas une condition pour retenir le caractère prostitutionnel de telles propositions. Il s’ensuit que l’importance du message « conditions » adressé le 30 décembre 1996 par les policiers aux auteurs des CV en question doit être relativisée. Bien plus, l’envoi de ce message n’a pas le caractère provocateur que la société requérante lui prête. D’une part, les policiers ont agi dans la légalité et dans la limite de leurs attributions. D’autre part, il faut distinguer entre la démarche d’une personne que l’on incite à jouer le rôle d’intermédiaire, et – comme en l’espèce – l’emploi d’un système déjà existant, mis à disposition et accessible en permanence, qui permet de mettre en contact toute personne qui se connecte avec des prostitués. Le Gouvernement rappelle à cet égard que la société requérante était poursuivie pour avoir « fait office d’intermédiaire entre deux personnes, dont l’une se livre à la prostitution et l’autre exploite ou rémunère celle-ci, en mettant à la disposition des intéressés un service télématique » : le message « conditions » n’a pas en soi incité la société requérante à mettre à la disposition des prostitués le service en cause. Au demeurant, le gérant de ladite société a procédé à des « demi aveux » en déclarant aux enquêteurs le 3 mars 1997 ne pas ignorer que beaucoup d’échanges sur « 36-15 ALINE » étaient le fait de personnes se prostituant. Bref, les investigations des policiers effectuées le 30 décembre 1996 n’ont pas « été de manière essentielle, [et encore moins] exclusive, à l’origine de l’accomplissement du forfait et de la condamnation » ; leur action a seulement partiellement consolidé la preuve d’une infraction commise de manière habituelle depuis fort longtemps. Enfin, la condamnation, prononcée dans le cadre d’une procédure au cours de laquelle la société requérante a pu faire valoir ses arguments en audience publique devant trois juridictions différentes, n’est pas motivée sur le seul fondement des réponses obtenues au message « conditions ». Ainsi, le tribunal correctionnel a notamment pris en compte le contenu des précédentes enquêtes de la brigade de répression du proxénétisme, l’énoncé des CV et le choix des « pseudos », l’audition de personnes qui utilisaient le serveur pour se livrer à la prostitution et les déclarations du gérant de la société requérante.
Le Gouvernement conclut au défaut manifeste de fondement de cette partie de la requête.
La société requérante réplique que la citation à comparaître du chef de proxénétisme délivrée par le tribunal correctionnel de Paris vise « en particulier » la date du 30 décembre 1996, et que le jugement de première instance relève « qu’il est établi que Valéry Sourieau et la SARL Eurofinacom ont laissé diffuser des annonces sans exercer aucun contrôle sérieux ». Elle en déduit qu’aucune manifestation active d’intermédiaire tendant à favoriser la prostitution n’a pu se trouver établie et que la description des deux phases du dialogue public et en direct suffit à se convaincre que le dialogue public ne permettait en aucune manière de caractériser d’emblée l’existence d’une activité prostitutionnelle. La matérialité de l’infraction ayant donné lieu à des poursuites n’ayant pu être alléguée qu’à compter de l’immixtion policière dans la phase non publique de « dialogue en direct », au cours de laquelle les policiers formulèrent des demandes de « conditions » à des personnes qui n’avaient jusqu’alors formulé aucune offre de prostitution, quel que fut le caractère licencieux de leurs messages, il ne saurait être soutenu que le comportement reproché à la société requérante préexistait manifestement à l’enquête de police et aux connexions des policiers sur le serveur minitel en cause. Raisonner autrement aboutirait à priver de toute finalité le stratagème policier utilisé, lequel ne pouvait avoir pour but que de rendre effective la matérialisation d’un délit là où préalablement n’existait qu’une expression licencieuse de fantasmes non répréhensibles pénalement.
La Cour rappelle que la recevabilité des preuves relève au premier chef des règles de droit interne, et qu’en principe, il revient aux juridictions nationales d’apprécier les éléments recueillis par elles. La tâche de la Cour consiste à rechercher si la procédure envisagée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable (voir, entre autres, les arrêts Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, du 23 avril 1997, Recueil 1997-III, § 50, Teixeira de Castro, précité, § 34, ainsi que les décisions Sequeira c. Portugal, du 6 mai 2003, no 73557/01, et Shannon c. Royaume-Uni, du 6 avril 2004, no 67537/01).
Plus particulièrement, la Convention n’empêche pas de s’appuyer, au stade de l’instruction préparatoire et lorsque la nature de l’infraction peut le justifier, sur des sources telles que des indicateurs occultes, mais l’emploi ultérieur de telles sources par le juge du fond pour justifier une condamnation soulève un problème différent.
La Cour a précisé à cet égard que, si l’intervention d’ « agents infiltrés » est admissible dans la mesure où elle est circonscrite et entourée de garanties, l’intérêt public ne saurait justifier l’utilisation d’éléments recueillis à la suite d’une provocation policière : un tel procédé est susceptible de priver ab initio et définitivement l’« accusé » d’un procès équitable (voir, notamment, l’arrêt Teixeira de Castro précité, §§ 35-36 et 39).
Il y a « provocation » lorsque les « agents » impliqués ne se limitent pas à « examiner d’une manière purement passive l’activité délictueuse » mais exercent une « influence de nature à []inciter » la commission de l’infraction (arrêt Teixeira de Castro précité, § 38). La Cour vérifie en outre s’il existe des éléments indiquant que, sans cette intervention, l’infraction dont il est question n’aurait pas été perpétrée (arrêt Teixeira de Castro précité, § 39 ; décision Sequeira).
Pour démontrer que la société requérante avait joué le rôle d’« intermédiaire entre un individu prostitué et celui qui l’emploie », il était nécessaire de vérifier si des prostitués se connectaient sur « 36-15 ALINE » pour y offrir leurs services à d’autres connectés, par le biais de CV ou de messages à caractère « prostitutionnel ». Le 30 décembre 1996, lors de leur connexion sur ce serveur, les policiers chargés de l’enquête n’ont pas été directement contactés par des personnes leur proposant leurs charmes contre rétribution, et ils ont très vraisemblablement considéré que les CV qu’ils avaient consultés n’étaient pas manifestement « prostitutionnels ». Ils ont en conséquence jugé nécessaire d’adresser à certains connectés les messages « conditions » et « combien », afin d’être en mesure, au vu des réponses reçues, d’identifier avec certitude des éventuels prostitués parmi ceux-ci. Ainsi, les policiers ont eux-mêmes incité à l’offre de prostitution qui leur a été personnellement  faite, « 36-15 ALINE » étant le lieu de « rencontre » entre leur demande fictive et une « offre » prostitutionnelle réelle.
D’un autre côté, l’existence de « bonnes raisons de soupçonner » l’« accusé » d’avoir une propension à commettre une infraction est de nature à conférer à une opération telle que celle présentement considérée, le caractère d’une « infiltration » plutôt que d’une « provocation » (arrêt Teixeira de Castro précité, § 38 ; décision Sequeira). La décision Sequeira indique à cet égard que les suspicions doivent reposer sur des éléments concrets, montrant un commencement de réalisation des faits constitutifs de l’infraction pour laquelle l’ « accusé » est ensuite poursuivi ; dans cette espèce, des délinquants, qui étaient déjà en relation avec l’ « accusé » pour la préparation d’un trafic de drogue, avaient ensuite été utilisés par la police judiciaire dans le cadre d’une enquête relative à ces faits ; la Cour a jugé qu’ils n’avaient été qu’« agents infiltrés », la préparation de l’infraction étant sérieusement entamée avant leur participation à l’enquête.
En la présente cause, certes, les policiers enquêteurs agissaient eux-mêmes et de manière totalement fictive : par leur demande « prostitutionnelle » factice, ils ont en quelque sorte contribué à la réalisation des faits constatés le 30 décembre 1996, lesquels ont ensuite, en partie tout au moins, fondé les poursuites engagées contre la société requérante pour proxénétisme. Il n’en reste pas moins que, comme le démontre le Gouvernement, antérieurement au 30 décembre 1996, la police disposait déjà d’informations l’autorisant à supposer que des prostitués utilisaient « 36-15 ALINE » pour entrer en contact avec des clients potentiels : un article paru le 25 juillet 1996 dans le magasine VSD sous le titre « « 36-15 ALINE », la prostitution sur Minitel », et des éléments recueillis précédemment dans le cadre de l’enquête en cours ainsi que d’autres investigations menées par la brigade de répression du proxénétisme. Au demeurant, la société requérante ne fut pas poursuivie pour les seuls faits constatés le 30 décembre 1996, mais pour avoir fait office d’intermédiaire entre des prostitués et leurs clients depuis 1995.
En outre, et cela rapproche plutôt la présente affaire de celle ayant donné lieu à l’arrêt Lüdi c. Suisse du 15 juin 1992 que de l’espèce Teixeira de Castro, les policiers agissaient dans le cadre d’une enquête préliminaire ordonnée par le Parquet, et sous le contrôle de celui-ci (voir ci-dessus la partie EN FAIT – A – les circonstances de l’espèce).
Enfin, et cela est fondamental, il ressort du jugement du tribunal correctionnel de Paris du 9 octobre 1997 et de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 24 septembre 1998, que la condamnation de la société requérante repose essentiellement sur le contenu de certains CV relevé au cours de l’enquête et sur les témoignages de prostituées ayant usé de « 36-15 ALINE », plus encore que sur les réponses aux questions posées à certains connectés par les policiers enquêteurs le 30 décembre 1996. Ainsi, en tout état de cause, l’on ne saurait dire que le juge du fond a, pour justifier cette condamnation, usé des éléments recueillis dans le cadre de l’opération que la société requérante qualifie de provocation.
Bref, s’il est vrai que les policiers enquêteurs ont provoqué l’offre prostitutionnelle qui leur a été personnellement faite le 30 décembre 1996 sur « 36-15 ALINE », ils n’ont pas à proprement parlé incité à la commission des faits de proxénétisme qui ont fondé la condamnation de la société requérante, qui revêtaient un caractère permanent et étaient le fait, non des prostituées, mais, par définition, de la société requérante. Celle-ci ne saurait donc se plaindre à cet égard d’une méconnaissance de l’article 6 § 1 de la Convention.
La Cour conclut en conséquence au défaut manifeste de fondement de cette partie de la requête et à son rejet en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
3.  La société requérante soutient que, tel que défini à l’époque des faits de la cause, le délit de proxénétisme n’englobait pas les faits pour lesquels elle a été poursuivie et condamnée. Elle précise que, postérieurement, la loi du 17 juin 1998 a inséré un dixième alinéa dans l’article 225-7 du code pénal, édictant expressément une circonstance aggravante lorsque ce délit est commis « grâce à l’utilisation, pour la diffusion de messages à destination d’un public non déterminé, d’un réseau de télécommunication » ; elle voit là une « reconnaissance implicite par la France » d’un « défaut de qualité » de  sa loi. Elle dénonce une violation du principe de la légalité des peines et des délits et invoque l’article 7 de la Convention, dont le premier paragraphe est ainsi rédigé :
« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. »
Le Gouvernement estime que la société requérante confond la création d’une circonstance aggravante avec la modification de l’élément matériel de l’infraction : le fait d’ériger l’emploi des voies de télécommunication en circonstance aggravante du proxénétisme démontrerait seulement que le législateur a entendu renforcer la répression du proxénétisme lorsqu’il est fait usage de la télématique ; cela ne signifierait pas qu’aucune poursuite n’était possible antérieurement sur la base de l’article 285-6 du code pénal. Le Gouvernement ajoute que ce texte réprime clairement, sans restriction ni condition, toute « entremise », quel qu’en soit le mode, et que son application en l’espèce était d’autant plus prévisible que les tribunaux français en avait fait application dans des circonstances semblables. Le Gouvernement se réfère à cet égard à deux arrêts de la cour d’appel de Paris (dont il ne produit pas copie) : un arrêt du 13 septembre 1994, dans lequel ladite cour aurait jugé que se rend coupable du délit prévu à l’article 285-6, le directeur de publication d’une revue dans laquelle ont été publiées des annonces publicitaires pour des activités prostitutionnelles ; un arrêt du 7 février 1995, relatif à des annonces publiées dans un journal publicitaire sous une rubrique « relaxation », qui ne laissaient aucun doute sur les activités prostitutionnelles proposées. Ces décisions auraient dû d’autant plus alerter la société requérante sur les risques encourus que les annonces publicitaires en question ne comportaient aucune indication du prix, à l’instar des CV dans la présente affaire. Par ailleurs, selon le Gouvernement, en tant que professionnelle de la communication, la société requérante devait mettre un soin particulier à évaluer les risques de son activité et être au fait de la loi et de la jurisprudence établie en la matière, et pouvait bénéficier des conseils d’avocat spécialisés ; compte tenu notamment de la nature de son service télématique, dédié à la « convivialité », elle ne pouvait ignorer les conséquences pénales qui pouvaient résulter de son activité, et était en position d’évaluer ces risques (le Gouvernement cite l’arrêt Cantoni c. France, du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, § 35, la décision Chauvy c. France du 23 septembre 2003, no 64915/01 et les arrêts Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni, du 13 juillet 1995, série A no 316-B,§ 37, et Grigoriades c. Grèce, du 25 novembre 1997, Recueil 1997-VII, § 37). Enfin, le Gouvernement souligne que le gérant de la société requérante a, le 3 mars 1997, reconnu devant les enquêteurs savoir que certains journaux gratuits parisiens avaient été condamnés pour avoir publié des annonces proposant des massages relaxants.
Le Gouvernement conclut que les juridictions internes n’ont pas appliqué l’article 225-6 du code de procédure pénale dans des conditions contraires à l’article 7 § 1 de la Convention, et que cette partie de la requête est en conséquence manifestement mal fondée.
La société requérante réplique que la loi pénale est d’interprétation stricte : poenalia sunt restringenda. Dissocier l’existence d’une circonstance aggravante du principe de légalité des délits et des peines, aboutirait à vider celui-ci de sa substance, dès lors que deviendrait admissible la condamnation pour une peine aggravée, postérieure à la commission de faits délictueux mais imprévisibles à leur date.
La Cour rappelle que l’article 7 § 1 de la Convention ne se borne pas à prohiber l’application rétroactive du droit pénal au détriment de l’ « accusé ». Il consacre aussi, de manière plus générale, le principe de la légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) et celui qui commande de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l’accusé, notamment par analogie ; il en résulte qu’une infraction doit être clairement définie par la loi (voir, par exemple, Kokkinakis c. Grèce, arrêt du 25 mai 1993, série A no 260-A, § 52). Cette condition se trouve remplie lorsque l’individu peut savoir, à partir du libellé de la clause pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité » (ibidem).
A cet égard, s’il est inexact de soutenir, comme le fait la société requérante, qu’il lui aurait été fait une application rétroactive de l’article 225-7, dixième alinéa, du code pénal (qui n’a servi de fondement ni aux poursuites ni aux jugements de condamnation) ; s’il est également faux de voir dans l’intervention de cette disposition (par la loi du 17 juin 1998) la « preuve » que la loi antérieure n’était pas suffisamment claire, il n’en reste pas moins que la Cour doit se prononcer sur la qualité de la législation qui a été appliquée à la requérante.
En l’espèce, la société a été condamnée pour avoir « à Paris et sur le territoire national, courant 1995, 1996 et 1997, en particulier les 30 décembre 1996, 2, 3 et 7 janvier 1997, fait office d’intermédiaire entre deux personnes dont l’une se livre à la prostitution et l’autre exploite ou rémunère celle-ci en mettant à la disposition des intéressés un service télématique intitulé « 36-15 ALINE » dont elle est le fournisseur et avec cette circonstance que les faits ont été commis à l’égard de plusieurs personnes » (extrait de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 24 septembre 1998). Cette condamnation se fonde sur l’article 225-6 1o du code pénal, aux termes duquel est assimilé au proxénétisme et puni des peines prévues par l’article 225-5 « le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit (...) de faire office d’intermédiaire entre deux personnes dont l’une se livre à la prostitution et l’autre exploite ou rémunère la prostitution d’autrui ».
Selon la Cour, il n’est pas douteux que, sans nécessairement poursuivre un tel but, la société requérante a facilité techniquement la prise de contact entre des prostitués et leurs clients en mettant « 36-15 ALINE » à la disposition du public. Elle estime que la question qui se pose en l’espèce sous l’angle de l’article 7 de la Convention se résume à déterminer si la société requérante pouvait « savoir à partir du libellé de la clause pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les tribunaux », que «  faciliter » ainsi les contacts entre des prostitués et des clients potentiels en fournissant passivement un moyen de communication ouvert au public en général est assimilable au fait de servir d’« intermédiaire » entre eux, au sens de l’article 225-6 1o du code pénal.
La Cour n’est pas convaincue par la thèse du Gouvernement selon laquelle il existait, à la date des faits de la cause, une jurisprudence établie dans ce sens : d’une part, il ne produit pas les arrêts auxquels il se réfère ; d’autre part, il ne démontre pas que la jurisprudence de la cour d’appel de Paris dont il est question a été confirmée par la Cour de cassation. Cela ne saurait toutefois être déterminant, l’article 7 de la Convention ne proscrivant pas la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, « à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l’infraction et raisonnablement prévisible » (arrêt Streletz et autres c. Allemagne [GC], nos 31044/96, 35532/97 et 44801/98, § 50).
La Cour estime que tel est bien le cas en l’espèce. En effet, d’une part, il ressort des termes des articles 225-5 et 225-6 1o du code pénal que le législateur a entendu réprimer toutes formes d’entremise entre des personnes se livrant à la prostitution et leurs clients. Le fait que le législateur a, en 1998, prévu une aggravation de la peine lorsque le proxénétisme est commis « grâce à l’utilisation, pour la diffusion de messages à destination d’un public non déterminé, d’un réseau de télécommunication » est sans pertinence à cet égard : comme le souligne le Gouvernement, cela ne signifie pas qu’aucune poursuite n’était possible antérieurement sur la base de l’article 225-6 du code pénal lorsque l’intermédiaire mis en cause avait employé de telles techniques. En outre, le proxénétisme aggravé, tel que les juges ont considéré que la société s’en était rendu coupable, n’a pas résulté en l’espèce de « l’utilisation d’un réseau de télécommunications », mais de la circonstance que les faits étaient commis à l’égard de plusieurs personnes, ce qui est un fondement légal tout différent. D’autre part, l’on pouvait attendre de la société requérante, professionnelle de la communication, qu’elle mette un soin particulier à évaluer les risques que comportait son activité (voir, notamment, l’arrêt Cantoni précité, § 35), d’autant plus que, comme le retient le tribunal correctionnel de Paris dans son jugement du 9 octobre 1997, dans le cadre du contrat qu’elle avait conclu avec France Télécom (article 5-2), elle s’était engagée à assurer une surveillance constante du service « afin de ne pas (...) laisser perdurer [des informations, messages, etc. mis à la disposition des utilisateurs en temps réel] lorsqu’ils sont contraires aux stipulations [dudit] contrat, en particulier de l’annexe 2 » ; or cette annexe – qui contient des « recommandations déontologiques relatives aux services télématiques » – précise que le fournisseur de service s’engage notamment « à effectuer une surveillance constante des informations mises à la disposition du public, de manière à éliminer, avant diffusion, les messages susceptibles d’être contraires aux lois et règlements en vigueur » ; par ailleurs, l’annexe 1 audit contrat – qui contient un « rappel des principaux textes applicables à la télématique » – cite in extenso les articles 225-5 et 225-6 du code pénal sous le titre « proxénétisme ». La Cour en déduit que, à l’aide autant que de besoin de conseils appropriés (ibidem), ladite société, dont le gérant n’ignorait pas au demeurant que des personnes se livrant à la prostitution utilisaient « 36-15 ALINE » pour entrer en contact avec des clients potentiels  – cela ressort clairement du dossier – devait savoir, à l’époque des faits, qu’elle courait le danger de se voir poursuivre pour proxénétisme sur le fondement de l’article 225-6 du code pénal.
La Cour conclut en conséquence au défaut manifeste de fondement de cette partie de la requête et à son rejet en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
S. Dollé A.B. Baka   Greffière Président
DÉCISION EUROFINACOM c. FRANCE
DÉCISION EUROFINACOM c. FRANCE 


Synthèse
Formation : Cour (deuxième section)
Numéro d'arrêt : 58753/00
Date de la décision : 07/09/2004
Type d'affaire : Décision (Finale)
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE CIVILE


Parties
Demandeurs : EUROFINACOM
Défendeurs : FRANCE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2004-09-07;58753.00 ?
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