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21/09/2004 | CEDH | N°42049/98

CEDH | AFFAIRE ZWIAZEK NAUCZYCIELSTWA POLSKIEGO c. POLOGNE


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ZWIĄZEK NAUCZYCIELSTWA POLSKIEGO  c. POLOGNE
(Requête no 42049/98)
ARRÊT
STRASBOURG
21 septembre 2004
DÉFINITIF
02/02/2005
En l’affaire Związek Nauczycielstwa Polskiego c. Pologne,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    A.B. Baka,    K. Jungwiert,    V. Butkevych,   Mmes W. Thomassen,    A. Mularoni,   M. L. Garlicki, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 9 décembre 2003 et 31 août 2004,
Rend l’arrêt que voici, adopté à...

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ZWIĄZEK NAUCZYCIELSTWA POLSKIEGO  c. POLOGNE
(Requête no 42049/98)
ARRÊT
STRASBOURG
21 septembre 2004
DÉFINITIF
02/02/2005
En l’affaire Związek Nauczycielstwa Polskiego c. Pologne,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    A.B. Baka,    K. Jungwiert,    V. Butkevych,   Mmes W. Thomassen,    A. Mularoni,   M. L. Garlicki, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 9 décembre 2003 et 31 août 2004,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 42049/98) dirigée contre la République de Pologne et dont une association polonaise dénommée « Związek Nauczycielstwa Polskiego » (« l’association requérante ») avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 10 décembre 1997 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, d’abord M. K. Drzewicki puis M. K. Wołąsiewicz, du ministère des Affaires étrangères.
3.  L’association requérante alléguait qu’elle n’avait pas pu porter sa demande de caractère civil devant les tribunaux, en violation des articles 6 et 13 de la Convention.
4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 dudit Protocole).
5.  Elle a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
6.  Par une décision du 9 décembre 2003, la chambre a déclaré la requête recevable.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
7.  En 1964, les autorités administratives confièrent à l’association requérante la gestion et l’usage d’un bien dont une association religieuse avait été expropriée par le Trésor public en 1962. La décision portant sur le transfert précisait notamment qu’à la fin de la période d’usage l’association requérante aurait droit au remboursement des dépenses consenties pour les travaux d’aménagement des immeubles, à l’exception des coûts d’entretien courant.
8.  Le 20 octobre 1992, la commission des biens de Varsovie (« la commission des biens »), établie en vertu de la loi sur les relations entre l’Etat et l’Eglise catholique polonaise, restitua la propriété à l’association religieuse. Elle ordonna à cette dernière de rembourser à l’association requérante la somme de 420 353 658 anciens zlotys (PLZ), soit 42 035 nouveaux zlotys (PLN)1, pour les frais qu’elle avait engagés. Ce montant avait été calculé par des experts. L’association requérante le contesta et proposa son propre mode de calcul. Toutefois, la commission des biens répondit qu’elle n’était pas compétente pour examiner d’autres réclamations. La décision renfermait une clause précisant qu’elle ne portait pas atteinte au droit de l’association requérante de formuler d’autres réclamations concernant la décision de 1964 sur le fondement des dispositions du droit commun.
9.  L’association requérante assigna alors le Trésor public devant le tribunal régional (sąd wojewódzki) de Przemyśl en remboursement du surplus des dépenses consenties. Elle se fondait sur le texte de la décision de 1964 dans lequel les autorités administratives avaient établi son droit au remboursement des frais qu’elle aurait engagés. L’intéressée faisait également état de la décision rendue par la commission des biens le 20 octobre 1992.
10.  Le 15 décembre 1995, le tribunal alloua à l’association requérante la somme de 546 133,02 PLN2 en remboursement de ses dépenses. Le tribunal renvoyait à la partie de la décision de 1964 dans laquelle il était précisé que l’association requérante pourrait se voir rembourser les frais d’aménagement des immeubles, à l’exception des coûts d’entretien courant.
Les deux parties firent appel de ce jugement.
11.  Le 13 juin 1996, la cour d’appel (sąd apelacyjny) de Rzeszów renvoya à la Cour suprême la question de savoir si la loi de 1989 sur les relations entre l’Etat et l’Eglise catholique polonaise excluait ou non la possibilité de saisir un tribunal civil de réclamations liées à l’usage d’un bien restitué à son propriétaire initial par décision d’une commission des biens.
12.  Le 27 juin 1996, la Cour suprême répondit par l’affirmative à la question de la cour d’appel.
13.  Elle observa que la loi de 1989 concernait entre autres une matière exceptionnelle, à savoir la régularisation de questions de propriété liées à des expropriations effectuées par le passé au détriment de l’Eglise catholique. La cour expliqua qu’une procédure devant une commission des biens exigeait la participation de toutes les parties intéressées. Les décisions des commissions des biens avaient pour objet de régler toutes les réclamations de propriété nées d’expropriations effectuées par le passé. Ces réclamations, y compris celles concernant les dépenses engagées par l’ancien usager d’un bien, ne pouvaient être portées devant un tribunal civil que dans les circonstances exceptionnelles visées par l’article 64 de la loi de 1989, c’est-à-dire lorsqu’une commission des biens n’était pas en mesure de restituer la propriété à son propriétaire initial. La Cour suprême précisa qu’une fois la décision de la commission prononcée, le Trésor public n’était plus propriétaire du bien. Selon elle, rien ne pouvait justifier d’engager une action contre le Trésor public auprès d’un tribunal civil après cette date.
14.  La décision se poursuivait ainsi :
« La clause contenue dans la décision de la commission des biens aux termes de laquelle cette décision « ne port[ait] pas atteinte au droit de la demanderesse de formuler d’autres réclamations concernant la décision de 1964 sur le fondement des dispositions du droit commun » ne saurait être interprétée comme autorisant la demanderesse à faire valoir ses prétentions devant un tribunal civil. L’application du droit commun [relatif aux règlements financiers entre le Trésor public en tant que propriétaire d’un terrain et les usagers de ce terrain] est exclue en l’espèce. La clause ne peut être interprétée comme un engagement du Trésor public à satisfaire toutes les demandes que l’association demanderesse pourrait formuler. »
15.  La partie pertinente du dispositif de la décision se lisait comme suit :
« Une décision de la commission des biens, établie par la loi sur les relations entre l’Etat et l’Eglise catholique polonaise, qui restitue la propriété d’un bien immobilier à son propriétaire initial, un organe de l’Eglise, et qui prévoit l’obligation de reverser à l’entité qui a jusqu’alors utilisé la propriété les dépenses qu’elle a engagées, exclut également toute possibilité de porter [devant un tribunal civil] un litige qui oppose l’usager et le Trésor public. »
16.  Le 5 décembre 1996, la cour d’appel, en application de la décision de la Cour suprême, annula le jugement du tribunal régional et rejeta la demande de l’association requérante. Les deux parties saisirent la Cour suprême.
17.  Le 20 juin 1997, la Cour suprême débouta les intéressées. Elle constata que le recours de l’association requérante visait en fait la décision qu’elle avait rendue le 27 juin 1996 alors que cette décision liait tous les tribunaux concernés par l’affaire.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
18.  La loi du 17 mai 1989 sur les relations entre l’Etat et l’Eglise catholique polonaise dispose en sa partie pertinente :
Article 61
« 1.  Les organes qui relèvent de l’Eglise ont la possibilité de demander l’engagement d’une procédure visant à la restitution de biens nationalisés (ci-après « procédure de régularisation »)
Article 62
« 1.  La commission des biens (...) composée de représentants désignés en nombre égal par le Bureau des cultes [Urząd do Spraw Wyznań] et le Secrétariat de la conférence de l’épiscopat polonais [Sekretariat Konferencji Episkopatu Polski] dirige la procédure de régularisation.
2.  Outre le demandeur, tous les organes de l’Etat et de l’Eglise concernés participent à la procédure de régularisation (...)
5.  Pour examiner les affaires, la commission se constitue en collèges composés de membres désignés par le Bureau des cultes et le Secrétariat de la conférence de l’épiscopat polonais (qui nomment l’un et l’autre deux membres), et d’un représentant de chacun des corps hiérarchiques des participants à la procédure. »
Article 63.1
« La régularisation peut s’effectuer par :
1.  la restitution du bien en question (...) aux organes de l’Eglise ;
2.  l’octroi d’un bien de substitution (...)
3.  le versement d’une indemnisation si les solutions envisagées aux points 1 et 2 ne peuvent pas être mises en œuvre.
Conformément à l’article 64, si une commission des biens n’est pas en mesure de parvenir à une conclusion et de statuer sur une demande de restitution d’un bien, les parties à l’affaire peuvent saisir un tribunal civil.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
A.  Arguments des parties
19.  Le Gouvernement soutient que l’association requérante a bénéficié de toutes les garanties d’une procédure équitable. La cause aurait été entendue à trois degrés de juridiction et l’association aurait pu participer à la procédure sur un pied d’égalité avec son adversaire.
20.  Le Gouvernement reconnaît que l’association requérante a vu restreindre son droit d’accès à un tribunal. Il fait toutefois valoir que la décision de la Cour suprême a seulement privé l’association de la possibilité d’engager une action civile contre le Trésor public.
21.  Certes, admet le Gouvernement, la décision de 1964 avait prévu qu’à la fin de la période d’usage de la propriété l’association requérante aurait droit au remboursement des dépenses consenties pour la mise en valeur et l’entretien de la propriété. Or, après 1992, la décision serait devenue caduque en raison de circonstances – l’effondrement du régime communiste – qui n’étaient pas prévisibles au moment où la décision fut prise.
22.  Le Gouvernement arguë enfin que la limitation de la responsabilité du Trésor public dans des affaires semblables à celle qui concerne l’association requérante a pour but légitime de mettre l’Etat à l’abri de réclamations pour des actes accomplis des dizaines d’années auparavant dans un système juridique totalement différent.
23.  L’association requérante avance d’abord que, contrairement à ce que prétend le Gouvernement, sa cause n’a pas été examinée à trois degrés de juridiction, seule la juridiction du premier degré ayant examiné le fond de l’affaire.
24.  Elle observe en outre qu’une partie uniquement des dépenses qu’elle a engagées pour la mise en valeur et l’entretien de la propriété a été remboursée ; selon elle, la restriction de son accès à la justice a rendu impossible le remboursement intégral de ses dépenses.
25.  L’association requérante souligne que la décision de la commission des biens précisait sans ambiguïté que les parties pouvaient introduire toutes autres réclamations de caractère civil auprès d’un tribunal civil.
26.  Elle insiste également sur le fait que la loi de 1989 ne traite pas de la question des règlements financiers entre le propriétaire initial et l’usager ultérieur du bien. La seule conclusion à tirer serait que d’éventuelles réclamations peuvent donner lieu à une procédure contre le Trésor public. Or l’association n’aurait pas pu engager une telle procédure en raison de la décision rendue par la Cour suprême. A cet égard, l’association requérante remarque que la Cour suprême a écarté la possibilité de saisir une juridiction « également [d’] un litige qui oppose l’usager et le Trésor public » et souligne que l’emploi du terme « également » signifie qu’aucune action judiciaire n’est possible, qu’elle soit dirigée contre le Trésor public ou le propriétaire initial – et actuel – du bien en cause.
27.  L’association requérante conclut qu’il a ainsi été porté atteinte à la substance même de son droit d’accès à un tribunal.
B.  Appréciation de la Cour
1.  Principes se dégageant de la jurisprudence de la Cour
28.  L’article 6 § 1 de la Convention garantit le droit d’accès à un tribunal à un requérant qui avance, au moins de manière défendable, des prétentions sur un droit ou une obligation de caractère civil (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, 23 juin 1981, série A no 43, p. 20, § 44, Tre Traktörer AB c. Suède, 7 juillet 1989, série A no 159, p. 18, § 40, et Z et autres c. Royaume-Uni [GC], no 29392/95, §§ 91-92, CEDH 2001-V). Il ne s’applique qu’à des contestations « réelles et sérieuses » portant aussi bien sur l’existence même d’un droit que sur son étendue ou ses modalités d’exercice (Benthem c. Pays-Bas, arrêt du 23 octobre 1985, série A no 97, pp. 14-15, § 32).
29.  Le droit d’accès à un tribunal n’est toutefois pas absolu. Il peut être soumis à des restrictions légitimes, tels des délais légaux de prescription, des ordonnances prévoyant le versement d’une caution judicatum solvi, des réglementations concernant les mineurs ou les handicapés mentaux (arrêts Stubbings et autres c. Royaume-Uni, 22 octobre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, pp. 1502-1503, §§ 51-52, et Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni, 13 juillet 1995, série A no 316-B, pp. 80-81, §§ 62-67). Lorsque l’accès de l’individu au juge est restreint par la loi ou dans les faits, la Cour examine si la restriction touche à la substance du droit et, en particulier, si elle poursuit un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Ashingdane c. Royaume-Uni, arrêt du 28 mai 1985, série A no 93, pp. 24-25, § 57).
2.  Application des principes susmentionnés à la présente affaire
30.  En l’espèce, l’association requérante a participé à la procédure devant la commission des biens de Varsovie. Comme l’indique l’article 61 de la loi sur les relations entre l’Etat et l’Eglise catholique polonaise, les commissions des biens furent établies essentiellement pour examiner les demandes provenant d’organes qui relèvent de l’Eglise et visant à la restitution de biens expropriés par le régime communiste. La Cour note que le montant alloué à l’association requérante pour les dépenses destinées à l’entretien de la propriété fut contesté au cours de la procédure devant la commission des biens. Les parties ne pouvant se mettre d’accord sur le montant à payer, la commission des biens désigna deux experts, qui le chiffrèrent à 420 353 658 PLZ (42 035 PLN)3. L’association requérante contesta cette évaluation et avança un montant qu’elle avait elle-même calculé. La commission des biens, dans une décision qui, conformément à la loi de 1989, ne pouvait faire l’objet d’un recours auprès d’une autorité administrative supérieure, ordonna à l’association religieuse de payer à l’association requérante le montant de 420 353 658 PLZ (42 035 PLN), c’est-à-dire celui calculé par les experts.
31.  Ainsi, la commission savait que les parties n’étaient pas d’accord sur le montant à allouer pour les dépenses. Il est vrai que cette question fut partiellement résolue par la décision de la commission. Toutefois, la Cour ne voit pas comment cet organe pouvait raisonnablement penser à l’époque que sa décision réglait le différend d’une manière acceptable pour l’association requérante ou qu’il ne restait plus de revendications en suspens. Elle note à cet égard que la décision contenait une clause précisant expressément qu’elle ne portait pas atteinte au droit de l’association requérante de formuler d’autres réclamations concernant la décision de 1964 « sur le fondement des dispositions du droit commun ».
32.  La Cour observe que, au sens ordinaire du texte, cette clause pouvait assurément se comprendre comme renvoyant aux dispositions du droit commun qui s’appliquent au règlement de dépenses entre, d’une part, le Trésor public en tant que propriétaire et, d’autre part, l’usager de la propriété. Selon la Cour, l’association requérante pouvait par conséquent légitimement supposer qu’il lui était loisible de saisir un tribunal civil d’une demande dirigée contre le Trésor public.
33.  La Cour relève en outre que cette interprétation a aussi été acceptée par la juridiction interne en première instance. Pour le tribunal régional de Przemyśl, qui rendit son jugement le 15 décembre 1995, il ne faisait pas de doute que l’association requérante avait qualité pour introduire une action civile. Le tribunal ordonna le remboursement des dépenses engagées par l’association pour un montant de 546 133,02 PLN4.
34.  A la lumière du différend porté devant la commission des biens et compte tenu en particulier du jugement du 15 décembre 1995, la Cour est convaincue que la contestation était « réelle et sérieuse ». Il lui suffit de constater à cet égard que le montant alloué par le tribunal civil de première instance au titre des dépenses était bien supérieur à la somme accordée par la commission des biens.
35.  La Cour note en outre que c’est seulement lors de la procédure devant la cour d’appel que s’est posée la question de savoir si, au vu du caractère particulier de la procédure de régularisation du droit de propriété définie par la loi de 1989, l’intention du législateur avait effectivement été de donner aux anciens usagers de biens expropriés accès à un tribunal civil. Or la Cour suprême décida toutefois que les parties à une procédure de régularisation tranchée par une décision de la commission des biens ne bénéficiaient pas d’un tel accès.
36.  La Cour observe à ce propos que la Cour suprême a tenu compte du caractère exceptionnel de la procédure de régularisation de la propriété. La haute juridiction a estimé que cette procédure avait pour objet de régler toutes les réclamations nées d’expropriations réalisées par le passé. Elle a également indiqué qu’« il n’était pas question » que les dispositions du droit commun régissant le règlement de différends concernant des dépenses puissent être invoquées.
37.  La Cour note qu’en raison de la décision rendue par la Cour suprême l’association requérante, ancien usager de la propriété expropriée, n’avait pas la possibilité de saisir un tribunal civil d’une demande dirigée contre le Trésor public. Elle relève de plus que le Gouvernement n’a pas démontré que l’association requérante aurait pu assigner en justice le propriétaire initial – et actuel – du bien, l’association religieuse. En bref, la décision de la Cour suprême a laissé l’association requérante sans aucune voie procédurale pour défendre ses droits, que ce soit à l’encontre du Trésor public ou de l’association religieuse.
38.  La Cour ajoute que le Gouvernement ne l’a pas convaincue que le but visé – mettre l’Etat à l’abri de revendications financières pour des expropriations passées – pouvait justifier une limitation aussi importante du droit de l’association requérante à voir un tribunal examiner ses prétentions.
39.  L’association requérante a consenti des dépenses considérables pour la propriété en cause puisqu’elle l’a utilisée et entretenue pendant vingt-cinq ans. Vu l’enjeu pour cette association, la Cour tient pour une mesure disproportionnée cette restriction supplémentaire à l’accès à un tribunal devant lequel présenter des réclamations relativement à des dépenses d’entretien et de rénovation d’une propriété.
40.  La Cour constate également que, dans la procédure devant la commission des biens, l’association requérante a été induite en erreur quant à la possibilité qu’elle avait d’introduire ses réclamations devant un tribunal civil. On peut raisonnablement supposer que l’association se serait défendue avec plus de vigueur encore devant la commission si elle avait su dès le départ qu’elle n’avait pas la possibilité d’engager une action devant un tel tribunal dans le but de recouvrer ses créances subsistantes, et que, en conséquence, elle aurait eu une meilleure chance d’obtenir un plus gros remboursement.
41.  Dès lors, la Cour conclut que l’association requérante a été privée du droit d’accès à un tribunal en ce qui concerne sa demande de remboursement des dépenses qu’elle avait consenties. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
42.   L’association requérante se plaint que la procédure la concernant ait également donné lieu à une violation de l’article 13 de la Convention, aux termes duquel :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
43.  Vu sa décision relative au grief tiré de l’article 6 § 1, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner l’affaire sous l’angle de l’article 13 ; les exigences du second sont en effet moins strictes que celles du premier et absorbées par elles en l’espèce (voir notamment l’arrêt Sporrong et Lönnroth c. Suède du 23 septembre 1982, série A no 52, pp. 31-32, § 88).
III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
44.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
45.  L’association requérante demande réparation pour le dommage qu’elle allègue avoir subi du fait qu’elle a été privée de la possibilité d’obtenir une décision sur ses revendications. En ce qui concerne le dommage matériel, elle évalue, sur la base d’estimations établies par un expert immobilier, le montant des dépenses dont elle n’a pas été remboursée à 373 640 euros (EUR), y compris les intérêts légaux calculés du 15 décembre 1995 (date à laquelle le tribunal de première instance a accueilli la demande de remboursement) au 31 décembre 2003.
46.  Le Gouvernement conteste le montant, qu’il juge excessif, réclamé au titre du préjudice subi. A son avis, un constat de violation de l’article 6 § 1 de la Convention fournirait en soi une satisfaction équitable.
47.  La Cour considère que l’allocation d’une satisfaction équitable doit se fonder en l’espèce sur le fait que l’association requérante ne disposait pas d’un droit d’accès à un tribunal. Elle ne saurait spéculer sur ce qu’aurait été l’issue de la procédure concernant les dépenses. Il est vrai que la juridiction du premier degré, dans son jugement du 15 décembre 1995, a évalué à 546 133,02 PLN les dépenses à rembourser à l’association requérante. Toutefois, ce jugement n’était pas définitif. La Cour ne saurait par conséquent présumer que, si le fond de l’affaire avait été tranché par un jugement définitif, l’association requérante aurait reçu le même montant. Cela dit, elle juge qu’il n’est pas déraisonnable de considérer que l’association requérante a subi une perte de chances puisqu’elle n’a pas pu obtenir une décision sur le fond de sa demande (Tinnelly & Sons Ltd et autres et McElduff et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 10 juillet 1998, Recueil 1998-IV, p. 1665, § 93). Statuant en équité, elle alloue à l’association requérante la somme de 10 000 EUR.
B.  Frais et dépens
48.  L’association requérante réclame 916,47 EUR pour les frais d’avocat et de traduction engagés dans le cadre de la procédure devant la Cour. Elle a produit des notes d’honoraires à l’appui de sa demande.
49.  Le Gouvernement invite la Cour à octroyer, le cas échéant, une indemnité uniquement dans la mesure où les frais et dépens revendiqués ont été réellement et nécessairement exposés et sont raisonnables quant à leur taux. Il renvoie à cet égard à l’arrêt Zimmermann et Steiner c. Suisse du 13 juillet 1983 (série A no 66, p. 14, § 36).
50.  La Cour considère que les montants réclamés par l’association requérante ne sont pas déraisonnables, qu’il s’agisse du taux horaire, du nombre d’heures facturées ou du montant total réclamé. Elle alloue par conséquent la somme de 916 EUR pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.
C.  Intérêts moratoires
51.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,
1.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
2.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief de l’association requérante sous l’angle de l’article 13 de la Convention ;
3.  Dit
a)  que l’Etat défendeur doit verser à l’association requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 916 EUR (neuf cent seize euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, ces montants devant être convertis dans la monnaie nationale de l’Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 21 septembre 2004, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé J.-P. Costa  Greffière Président
1.  Un montant équivalent à l’époque à 21 000 francs français (FRF) environ.
2.  Un montant équivalent à l’époque à 273 066 FRF environ.
3.  Montant équivalent à l’époque à 21 000 FRF environ.
4.  Montant équivalent à l’époque à 273 066 FRF.
ARRÊT ZWIĄZEK NAUCZYCIELSTWA POLSKIEGO c. POLOGNE
ARRÊT ZWIĄZEK NAUCZYCIELSTWA POLSKIEGO c. POLOGNE 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1 ; Non-lieu à examiner l'art. 13 ; Dommage matériel - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE CIVILE


Parties
Demandeurs : ZWIAZEK NAUCZYCIELSTWA POLSKIEGO
Défendeurs : POLOGNE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (deuxième section)
Date de la décision : 21/09/2004
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 42049/98
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2004-09-21;42049.98 ?
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