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03/02/2005 | CEDH | N°53147/99

CEDH | AFFAIRE SAHIN ET AUTRES c. TURQUIE


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE ZÜLCİHAN ŞAHİN ET AUTRES c. TURQUIE
(Requête no 53147/99)
ARRÊT
STRASBOURG
3 février 2005
DÉFINITIF
03/05/2005
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Zülcihan Şahin et autres c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,    L. Loucaides,    R. Türmen,   Mme F.

Tulkens,   M. P. Lorenzen,   Mme N. Vajić,   MM. D. Spielmann, juges,  et de M. S. Nielsen, greffier de section,
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE ZÜLCİHAN ŞAHİN ET AUTRES c. TURQUIE
(Requête no 53147/99)
ARRÊT
STRASBOURG
3 février 2005
DÉFINITIF
03/05/2005
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Zülcihan Şahin et autres c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,    L. Loucaides,    R. Türmen,   Mme F. Tulkens,   M. P. Lorenzen,   Mme N. Vajić,   MM. D. Spielmann, juges,  et de M. S. Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 janvier 2005,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 53147/99) dirigée contre la République de Turquie et dont dix ressortissants de cet Etat, Mlles Zülcihan Şahin, Sevgi Kaya, Arzu Kemanoğlu, Özgür Öktem et Devrim Öktem ainsi que MM. Sinan Kaya, İsmail Altun, Müştak Erhan İl, Okan Kablan et Bülent Gedik (« les requérants »), avaient saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 14 octobre 1997 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants sont représentés par Mes G. Tuncer, I. Ergün, S. Akat, G. Alpul, S. Demir et O. Demir, avocats à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent dans la procédure devant la Cour.
3.  Les requérants alléguaient avoir subi des mauvais traitements infligés par les forces de l’ordre, au sein du palais de justice où se déroulait un procès au cours duquel ils devaient intervenir en qualité de plaignants. Ils soutenaient en outre ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif. Ils invoquaient à cet égard les articles 3, 13 et 14 de la Convention.
4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole no 11).
5.  La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
6.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1).
7.  Par une décision du 7 mars 2002, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.
8.  Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement). La chambre ayant décidé après consultation des parties qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience consacrée au fond de l’affaire (article 59 § 3 in fine du règlement), les parties ont chacune soumis des commentaires écrits sur les observations de l’autre.
9.  Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
10.  Les requérants résident à Istanbul. Zülcihan Şahin est née en 1977, Sevgi Kaya en 1980, Arzu Kemanoğlu en 1972, Devrim Öktem en 1975, Bülent Gedik en 1974, Müştak Erhan İl en 1971, Özgür Öktem en 1976, Sinan Kaya en 1978, İsmail Altun en 1974 et Okan Kablan en 1980.
A.  L’incident du 7 juillet 1997
11.  En février-mars 1996, la police d’Istanbul procéda à une opération contre le TKEP/L (Parti communiste de travail/Léniniste), une organisation illégale, au terme de laquelle les requérants furent arrêtés et placés en garde à vue dans les locaux de la section de lutte contre le terrorisme près la direction de la sûreté d’Istanbul (« la direction de la sûreté »).
12.  Le 5 mars 1996, les requérants portèrent plainte auprès du parquet d’Istanbul contre les policiers responsables de leur garde à vue, soutenant avoir été soumis à des mauvais traitements au cours de celle-ci.
13.  Dans le même temps, le 10 avril 1996, les requérants furent inculpés et poursuivis devant la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul du chef de tentative de changer ou modifier entièrement ou partiellement la Constitution de la République de Turquie ou perpétrer un coup d’état contre l’Assemblée nationale ou l’empêcher par la force d’exercer ses fonctions, ainsi que pour appartenance à une bande armée, en vertu des articles 146 et 168 § 2 du code pénal.
14.  Le 4 mars 1997, le procureur de la République d’Istanbul (« le procureur de la République ») intenta une action publique devant la cour d’assises d’Istanbul (« la cour d’assises ») contre cinq policiers près la direction de la sûreté, sur la base de l’article 243 du code pénal (mauvais traitements pour extorquer des aveux).
15.  Le 7 juillet 1997, les requérants détenus, à savoir tous à l’exception de Sevgi Kaya, furent conduits à la salle d’audience pour témoigner en qualité de plaignants dans le cadre de l’action pénale engagée contre les cinq policiers. A leur arrivée au palais de justice d’Istanbul, des affrontements survinrent entre les requérants, qui étaient menottés, et les forces de l’ordre en charge de leur surveillance.
16.  Le même jour, les gendarmes en charge de la surveillance des détenus, établirent un procès-verbal, lequel relate les faits comme suit :
« Le 7 juillet 1997, à 10 heures, les détenus, dont la présence au palais de justice d’Istanbul était demandée (...), ont été amenés au palais de justice et placés dans les cellules situées, (...) dans les couloirs du palais de justice. Lorsqu’ils aperçurent les membres de la presse et leurs proches, ils ont commencé à scander des slogans et [parce que] leurs proches se dirigeaient vers les militaires, les militaires ont pris les détenus par le bras pour éviter leur fuite. [Les détenus] ont commencé à résister aux gendarmes en donnant des coups de pied et des gifles. Quand on a voulu (...) les emmener dans les cellules, ils ont résisté, se sont jetés à terre, l’un des détenus en se jetant à terre est tombé des escaliers, son visage a heurté le béton, il saignait un peu du nez. A ce moment, les détenus continuaient à scander des slogans (...). Pour ne pas donner lieu à un incident, les détenus ont à nouveau été placés dans les cellules (...) »
17.  Le même jour, des membres des familles des détenus en question dressèrent un procès-verbal décrivant les faits comme suit :
« (...) [alors que] les détenus qui étaient emmenés en salle d’audience, ont levé la main pour saluer (...) leurs familles, les militaires (...) sans prévenir, ont attaqué [les détenus] en donnant des coups de pied, gifles (...) les ont jetés à terre (...) étranglés (...) Quand les familles qui assistaient à cela (...) ont commencé à scander des slogans pour empêcher que leurs enfants ne soient frappés, (...) les détenus ont été introduits dans un petit salon où ils ont continué à être frappés (...) Tous ces évènements ont eu lieu devant les caméras de télévision (...) »
18.  Ce jour-là, la cour d’assises tint l’audience pour laquelle elle s’était réunie et dressa un procès-verbal d’audience, aux termes duquel :
« (...) L’avocat (...) des plaignants prit la parole (...) : « nos clients ont été frappés par les policiers et les militaires alors qu’ils étaient conduits en salle d’audience. » Aux dires de leurs familles, ils sont en train d’être frappés, en ce moment, dans le lieu où ils sont enfermés (...)
Entre-temps, l’officier de gendarmerie, Naif Baz, sergent major, entra en salle d’audience. Il déclara que lorsque les accusés [parties intervenantes] avaient été conduits, ils s’étaient mis à crier, à scander des slogans, (...) et à lancer des injures. Dans cette situation, il devenait difficile de les conduire en salle d’audience (...)
Dans le même temps, les plaignants détenus pour une autre infraction, Okan Kaplan, Müştak Erhan İl, Devrim Öktem, Zülcihan Şahin, Bülent Gedik, (...), Arzu Kemanoğlu, Sinan Kaya, İsmail Altun et Özgür Öktem ont été conduits (...) la plaignante Sevgi Kaya, non détenue, a comparu (...) »
19.  Au terme de cette audience, la cour d’assises transmit le procès-verbal d’établissement des faits au procureur de la République et l’invita à se prononcer sur la demande des requérants tendant à l’établissement d’un examen médical.
20.  Toujours le même jour, les requérants, hormis Sevgi Kaya, furent examinés par le médecin près la maison d’arrêt de Bayrampaşa. Ce dernier établit des rapports médicaux, avec les constats suivants :
–  (s’agissant de) Zülcihan Şahin :
« (...) une lacération superficielle sur le côté droit du cou, des douleurs au ventre (...) »
–  Sinan Kaya :
« (...) légère douleur dans la région occipitale, douleur sur la partie extérieure de l’avant-bras, légers maux de tête (...) »
–  Müştak Erhan İl :
« (...) douleur sur la ligne cervicale centrale, une ecchymose de 2 x 1 cm au niveau d’une épaule, différentes ecchymoses de 1 x 2 cm sur l’intérieur des deux bras, une ecchymose de 3 x 3 cm sur l’avant-bras droit, des ecchymoses diffuses sur les deux poignets, une ecchymose de 2 x 2 cm sur l’épaule droite au niveau de l’axillaire, maux de tête (...) »
–  Arzu Kemanoğlu :
« (...) ecchymose de 1 x 1 cm sur la région frontale droite et derrière le zygoma droit, trois lacérations superficielles d’1 cm sur la partie extérieure du coude gauche, ecchymose sur la partie intérieure et extérieure du poignet gauche, deux ecchymoses de 2 x 2 cm sur la patelle du genou gauche, maux de tête (...) »
–  Bülent Gedik :
« (...) zone douloureuse et sensible de 3 x 3 cm sur la ligne centrale de la région occipitale, légères lacérations aux deux poignets (...) »
–  Özgür Öktem :
« (...) ecchymose de 3 x 1 cm sur le côté gauche du front, écorchure en forme de point sur la ligne centrale de la région occipitale, œdème et sensibilité de 3 x 2 cm sur la région tibiale antérieure, des douleurs au niveau des épaules et dans la région lombaire, légère nausée, lacérations superficielles aux deux poignets (...) »
–  Devrim Öktem :
« (...) ecchymoses, hématomes de 1x 1 x 1 cm sur la partie arrière du coude gauche, lacérations de 1 x 3 cm sur le poignet gauche, zone sensible et légèrement œdémateuse de 3 x 2 x 0,5 cm sur la partie supérieure de la région frontale gauche, zone sensible sur la région occipitale, douleurs au dos et au cou, légers vertiges, douleurs sur la région patellaire du genou droit (...) »
–  İsmail Altun :
« (...) ecchymose de 2 x 1 cm sur le côté droit de la région frontale, zone œdémateuse douloureuse et sensible de 2 x 3 x 0,5 cm sur la région du zygoma gauche, zone douloureuse sous le téton gauche, lacérations aux deux poignets, légers maux de tête (...) »
–  Okan Kablan :
« (...) ecchymoses de 4 x 4 cm sur la région frontale droite et de 2 x 1 cm à gauche, enflure à la lèvre inférieure, coupure de 0,5 cm sur la partie intérieure de la lèvre inférieure (...) et de 2 cm sur la partie intérieure de la lèvre supérieure, ecchymose de 5 cm sur une ligne fine au niveau de la région mandibulaire droite, lacérations aux deux poignets, douleurs et sensibilité dans tout le dos, deux ecchymoses de 2 x 2 cm sur la région lombaire droite, une ecchymose de 1 x 3 cm sur l’épaule gauche, ecchymose de 3 cm sur une fine ligne du côté gauche du cou, violents maux de tête, vertiges, nausées (...) »
A 16 h 45, au terme de l’examen médical, le médecin ordonna que O. Kablan fût transféré aux services des urgences de l’hôpital. Il estima également utile de réaliser un rapport médico-légal définitif.
21.  Le 8 juillet 1997, le procureur de la République demanda au directeur de la maison d’arrêt d’Istanbul de présenter les requérants au service de médecine légale aux fins d’établissement d’un rapport médical définitif.
22.  Le 11 juillet 1997, le médecin légiste près l’institut médico-légal d’Eyüp (« le médecin légiste ») établit un rapport médical sur l’état de santé de B. Gedik et conclut, au vu de ses blessures, à un arrêt de travail d’un jour. Il examina également Z. Şahin et D. Öktem et conclut, au regard de leurs blessures, à un arrêt de travail de cinq jours chacune.
23.  Le 14 juillet 1997, le médecin légiste établit quatre rapports médicaux afférents à l’état de santé de Ö. Öktem, M. Erhan İl, O. Kablan et Sinan Kaya. Dans chacun, il souligna n’avoir pu ausculter les intéressés, ces derniers ayant refusé de se soumettre à un examen médical en présence de gendarmes. Il précisa avoir conclu au vu des constatations médicales faites le 7 juillet 1997 par le médecin près la maison d’arrêt de Bayrampaşa. Aux termes de ces rapports, Ö. Öktem et M. Erhan İl se virent prescrire un arrêt de travail de sept jours chacun et O. Kablan de dix jours. L’état de santé de Sinan Kaya ne donnait pas lieu à un arrêt de travail.
24.  Le 28 août 1997, le directeur de la maison d’arrêt d’Istanbul transmit au procureur de la République les rapports d’expertise médico-légale ainsi établis. Il souligna que la requérante Kemanoğlu n’avait pas voulu se soumettre à un tel examen. Enfin, il précisa que Sevgi Kaya n’était pas inscrite sur les registres de la maison d’arrêt.
B.  Plainte pour mauvais traitements
25.  Le 21 août 1997, les requérants portèrent plainte contre les gendarmes ayant pris part aux évènements litigieux.
26.  Le 10 septembre 1997, le parquet d’Istanbul se déclara incompétent pour connaître du fond de la plainte, du fait que l’acte incriminé avait été commis par les forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions, et renvoya le dossier d’instruction au comité d’administration d’Istanbul, en vertu de la loi sur les poursuites contre les fonctionnaires. Cette décision n’aurait pas été notifiée aux requérants.
27.  Le 18 septembre 1997, le préfet adjoint du département d’Istanbul adressa une lettre à la gendarmerie d’Istanbul lui demandant de nommer un inspecteur chargé d’enquêter sur la plainte des requérants.
28.  Le 9 octobre 1997, A. Işıltan, colonel de la gendarmerie, fut désigné en tant qu’inspecteur.
Avant cette désignation, le 14 septembre 1997, A. Işıltan avait déjà recueilli les dépositions de cinq gendarmes ayant pris part aux évènements litigieux. Parmi ceux-ci, Naif Baz, sous-officier de gendarmerie, avait notamment déclaré :
« Le 7 juillet 1997, alors que l’on attendait avec les détenus au palais de justice d’Istanbul, nous avons été informés que l’audience allait avoir lieu dans une autre salle (...) Lorsque nous nous sommes dirigés vers la salle d’audience, dans le corridor, nous avons trouvé une foule composée de proches des détenus et de journalistes. Les détenus, profitant de cette foule, ont commencé à scander des slogans, à frapper les gendarmes chargés de leur surveillance et se sont jetés à terre. Les parents des détenus nous ont alors attaqués et ont marché vers nous. Profitant de ce trouble, Devrim Öktem a fui et s’est mêlée aux journalistes et aux proches des détenus, une fois repérée, elle a été capturée et emmenée dans une geôle. Les autres détenus essayaient de s’enfuir à droite et à gauche et se jetaient à terre. Ils ont aussi résisté aux gendarmes qui essayaient de les tenir par les bras pour les empêcher de fuir. Les gendarmes ont eu du mal à maîtriser les détenus. C’est la raison pour laquelle ils ont eu recours à la force (en tirant par les bras et tenant par les bras ceux qui se jetaient à terre, et les neutraliser), à ce moment, un détenu s’est jeté à terre pour empêcher les gendarmes de le tenir par les bras et, en heurtant les marches de l’escalier, s’est légèrement blessé aux lèvres [il s’agit d’Okan Kablan]. D’autre part, au début des évènements, ce même détenu a donné un coup de pied à la jambe du gendarme Y.A., et les évènements se sont produits ainsi. Alors qu’on les conduisait vers les cellules, les détenus ont continué à proférer des menaces et des insultes en scandant les slogans suivants : « Soldats fascistes turcs. Chiens vendus de l’Etat. Tortionnaires, sachez qu’un de nos bras se trouve à l’extérieur, nous allons vous demander des comptes » (...) »
Au cours de leur déposition, les autres gendarmes confirmèrent ces faits.
29.  Toujours le 14 septembre 1997, l’inspecteur Işıtan avait remis son rapport et conclu qu’il n’y avait pas lieu d’engager des poursuites à l’égard des gendarmes qui avaient accompli leurs fonctions dans le cadre des limites prévues par la loi. Les parties pertinentes de ce rapport se lisent ainsi :
« Examen et analyse : (...) le 7 juillet 1997, les plaignants Bülent Gedik, Zülcihan Şahin, Sinan Kaya, Sevgi Kaya, Devrim Öktem, Okan Kaplan, Arzu Kemanoğlu, Müştak Erhan İl, (...), ont été préparés pour l’audience devant se tenir au palais de justice d’Istanbul (...) sous la surveillance du personnel de gendarmerie sous les ordres du (...) sergent major Naif Baz. Toutefois la salle d’audience [fut] changée (...) alors que les plaignants étaient conduits en salle d’audience sous la surveillance de la patrouille de gendarmerie, en raison de l’[obstruction] du couloir par les proches des détenus et des membres de la presse, les détenus en prenant courage au vu de la foule, ont commencé à résister à la patrouille de gendarmerie qui les surveillait, et ont essayé de se disperser à droite et à gauche dans le but de s’enfuir, en scandant des slogans et faisant de la propagande. [Ils] ont donné des coups de pied au personnel de gendarmerie en fonction. Parmi les détenus, Devrim Öktem, en échappant aux mains du personnel de fonction, s’est mêlée à la foule, toutefois, grâce aux efforts des gendarmes, [elle] a été empêchée de s’enfuir. Pendant les évènements, les proches des détenus, en opposant de la résistance au personnel de gendarmerie, ont tenté de faciliter la fuite des détenus [de sorte que] la patrouille de gendarmerie, dans le cadre des pouvoirs qui lui sont reconnus par la loi, en utilisant son pouvoir de recourir à la force, a empêché les détenus de s’enfuir. Au cours des évènements, suite [au fait que] parmi les détenus Okan Kaplan s’était blessé à la lèvre en se jetant à terre, il fut envoyé par le président du tribunal pour être soigné (...) ; placé dans le local de la sûreté, il a été soigné par une équipe médicale (...)
Conclusions : au vu des témoignages recueillis et du contenu du dossier, les plaignants en prenant courage de la présence de la foule dans le couloir du palais de justice, des membres de leurs familles et des membres de la presse qui se trouvaient dans la foule, ont tenté de fuir et [ce sont] les efforts de la patrouille de gendarmerie qui ont empêché leur fuite. Pour empêcher les détenus de fuir, le personnel de gendarmerie en fonction a utilisé dans les proportions nécessaires le pouvoir d’user de la force qui lui est reconnu par la loi (...) Les allégations selon lesquelles le personnel de gendarmerie en fonction aurait frappé les plaignants de façon arbitraire (...) sont dénuées de fondement. C’est pourquoi (...) il n’y a pas lieu de poursuivre (...) »
30.  Pendant l’enquête administrative, le dossier est resté inaccessible aux requérants qui n’ont eu aucune possibilité d’interroger les témoins ou de présenter leur propre version des faits.
31.  Le Gouvernement n’a fourni aucun renseignement sur l’issue de cette enquête administrative.
C.  Procédure pénale engagée contre les requérants pour résistance aux forces de sécurité
32.  Le 12 novembre 1997, le procureur de la République recueillit la déposition des requérants Şahin, Kablan, Erhan İl, Sinan Kaya, Altun et Ö. Öktem. Ils nièrent avoir scandé des slogans et déclarèrent avoir été frappés alors qu’ils saluaient leurs familles.
Le procureur entendit également trois gendarmes impliqués dans les heurts litigieux. Ces derniers déclarèrent porter plainte contre les requérants qui avaient fait des signes de victoire alors qu’ils étaient conduits en salle d’audience et scandé des slogans injurieux à leur endroit. Parmi eux, Naif Baz, précisa avoir ordonné à ses soldats de retenir les requérants par le bras pour éviter toute tentative de fuite et qu’ainsi des ecchymoses avaient pu leur être causées.
33.  Le 13 novembre 1997, le procureur de la République entendit deux gendarmes, également impliqués dans les évènements litigieux, lesquels nièrent avoir frappé les requérants et déclarèrent porter plainte contre eux. Ils soutinrent avoir seulement voulu empêcher les requérants, alors conduits en salle d’audience, de faire des signes de victoire, ce sur quoi, ces derniers avaient scandé des slogans injurieux à leur endroit.
34.  Le 12 décembre 1997, le procureur de la République recueillit la déposition de B. Gedik et D. Öktem, lesquels nièrent avoir scandé des slogans ou lancé des injures à l’encontre des gendarmes et déclarèrent avoir été frappés sans raison valable.
35.  Le 16 février 1999, le procureur de la République inculpa treize personnes, dont les requérants, et requit leur condamnation auprès du tribunal correctionnel d’Istanbul (« le tribunal correctionnel ») pour injures et résistance à agent public en raison des évènements litigieux.
36.  Le 30 juin 1999, le tribunal correctionnel entendit les accusés en leur défense, lesquels nièrent les faits reprochés et soutinrent devoir être considérés comme des victimes dans les circonstances d’espèce. Le tribunal correctionnel entendit également les proches des requérants qui avaient établi, le 7 juillet 1997, un procès-verbal relatant les faits. Ces derniers confirmèrent la description des évènements, telle qu’énoncée dans ce procès-verbal (paragraphe 17, ci-dessus).
37.  La requérante Sevgi Kaya, entendue à cette occasion, précisa que le jour des faits litigieux elle n’était pas détenue et ne se trouvait pas sur les lieux lors de l’altercation en question. Elle déclara notamment :
« Je réfute les accusations. Le jour des faits, j’étais (...) en liberté. Lorsqu’une altercation a eu lieu, je n’étais pas sur les lieux. Je suis entrée en salle d’audience une demi-heure plus tard. C’est là que j’ai vu mes autres camarades. Les camarades que j’ai vus là avaient été maltraités (...) »
38.  Le 2 février 2000, le tribunal correctionnel entendit le requérant Altun dans sa défense. Celui-ci nia les faits reprochés et souligna qu’eu égard au nombre de gendarmes présents et au fait qu’ils avaient les mains menottées, il ne pouvait avoir opposé une quelconque résistance.
39.  Le 26 mars 2001, le tribunal correctionnel décida de surseoir à statuer pour une durée de cinq ans, en application de la loi no 4616.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
40.  Le code pénal érige en infraction le fait de soumettre un individu à la torture ou à des mauvais traitements (articles 243 et 245).
41.  Conformément aux articles 151 et 153 du code de procédure pénale (CPP), il est possible, pour ces différentes infractions, de porter plainte auprès du procureur de la République ou des autorités administratives locales. Le procureur et la police sont tenus d’instruire les plaintes dont ils sont saisis, le premier décidant s’il y a lieu d’engager des poursuites, conformément à l’article 148 dudit code.
Lorsque le procureur de la République estime qu’il n’y a pas lieu de poursuivre l’affaire, la décision prise à cet égard est notifiée à la personne mise en examen, à la partie lésée et au plaignant (article 164 du CPP). Un plaignant peut faire opposition contre cette décision devant le président de la cour d’assises (article 165 du CPP) dans un délai de quinze jours à compter de la notification. Ce dernier peut soit accueillir l’opposition et décider d’engager l’action publique (article 168 du CPP) soit rejeter l’opposition. Dans ce dernier cas, une action publique ne peut être engagée que sur présentation de nouveaux faits ou nouvelles preuves (article 167 du CPP).
42.  A l’époque des faits incriminés, si l’auteur présumé d’une infraction était un agent de la fonction publique et si l’acte avait été commis pendant l’exercice des fonctions, l’instruction préliminaire de l’affaire était régie par la loi de 1913 sur les poursuites contre les fonctionnaires, laquelle limitait la compétence ratione personae du ministère public dans cette phase de la procédure. En pareil cas, l’enquête préliminaire et, par conséquent, l’autorisation d’ouvrir des poursuites pénales était du ressort exclusif du comité administratif local concerné (celui du district ou du département selon le statut de l’intéressé), lequel était présidé par le préfet ou par le sous-préfet. Une fois accordée l’autorisation de poursuivre, il incombait au procureur de la République d’instruire l’affaire.
Les décisions de ces comités étaient susceptibles de recours devant les tribunaux administratifs ; lorsque ce comité décidait de ne pas engager de poursuites (men’i muhakeme kararı), leur saisine intervenait d’office.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
43.  Les requérants allèguent avoir été frappés sciemment et sans aucun motif légitime par les forces de l’ordre dans l’enceinte du palais de justice, alors qu’ils étaient conduits en salle d’audience pour déposer en qualité de plaignants. Ils invoquent l’article 3 de la Convention en vertu duquel :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
44.  Le Gouvernement réfute les allégations des requérants et soutient que les forces de l’ordre ont fait usage de la force, après avoir été agressées par les détenus, pour empêcher leur fuite. Ce recours à la force était légitime, conforme à la loi et strictement nécessaire dans la mesure où il tendait à réprimer une émeute. En outre, il était le fait d’officiers entraînés et expérimentés et n’a aucunement méconnu les droits des requérants.
45.  La Cour examinera les questions qui se posent à la lumière des documents versés au dossier de l’affaire, notamment ceux soumis par le Gouvernement concernant l’enquête judiciaire et administrative, ainsi que des observations présentées par les parties.
46.  A cet égard, elle rappelle tout d’abord que, pour tomber sous le coup de l’article 3, les mauvais traitements doivent atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des circonstances propres à l’affaire. Lorsqu’un individu se trouve privé de sa liberté ou, plus généralement, se trouve confronté à des agents des forces de l’ordre, l’utilisation à son égard de la force physique alors qu’elle n’est pas rendue nécessaire par son comportement porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par l’article 3 (notamment Tekin c. Turquie, arrêt du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV, §§ 52 et 53, et Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 120, CEDH 2000-IV).
1.  Quant à Sevgi Kaya
47.  La Cour observe d’emblée que si nul ne conteste la réalité des affrontements survenus le 7 juillet 1997 au palais de justice d’Istanbul opposant des détenus aux forces de l’ordre, il ne ressort pas du dossier que Mlle Kaya a pris part à ces derniers, ni même qu’elle était présente dans l’enceinte du palais lors de cet incident (paragraphe 37 ci-dessus). Par ailleurs, celle-ci n’apporte aucune précision quant aux mauvais traitements dont elle aurait été victime et ne soumet pas davantage un commencement de preuve à l’appui. Partant, la Cour ne dispose d’aucun élément susceptible d’engendrer un soupçon raisonnable que l’intéressée aurait subi les mauvais traitements allégués.
48.  A la lumière de ce qui précède, elle conclut à la non-violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne Sevgi Kaya.
2.  Quant aux autres requérants
49.  La Cour relève que les certificats médicaux établis le jour même des évènements litigieux attestent que les requérants présentaient de nombreuses traces de blessures et ecchymoses sur différentes parties du corps (paragraphe 20 ci-dessus).
Quelques jours plus tard, des rapports d’expertise médico-légale relatifs aux requérants – hormis A. Kemanoğlu et İ. Altun – conclurent, eu égard à la gravité de leurs blessures et à leur état de santé, à un arrêt de travail d’une journée pour B. Gedik, de cinq jours pour Z. Şahin et D. Öktem, de sept jours pour Ö. Öktem et M. Erhan İl et de dix jours pour O. Kablan (paragraphes 22-23 ci-dessus).
50.  La Cour relève que le Gouvernement ne conteste pas que ces blessures ont été infligées par les agents de sécurité en charge de la surveillance des requérants. Selon le Gouvernement toutefois, le recours à la force était justifié en l’espèce par le comportement agressif des intéressés qui tentaient de prendre la fuite, et par la nécessité de contenir la foule présente dans l’enceinte du palais de justice.
51.  Dès lors, il appartient à la Cour de rechercher si la force utilisée était, en l’espèce, proportionnée. A cet égard, elle attache une importance particulière aux blessures qui ont été occasionnées et aux circonstances dans lesquelles elles l’ont été (R.L. et M.-J.D. c. France, no 44568/98, § 68, 19 mai 2004).
52.  Elle relève que les forces de l’ordre sont intervenues, à l’origine, pour empêcher les requérants d’adresser des signes de victoire aux membres de leurs familles et de la presse présents sur les lieux ainsi que de scander des slogans (paragraphes 16 et 32 ci-dessus).
53. Or, à l’époque pertinente, les requérants étaient détenus et devaient intervenir en qualité de plaignants à un procès initié par eux-mêmes contre des officiers de police pour torture et mauvais traitements (paragraphes 12-15 ci-dessus). De par son importance, ce procès avait mobilisé la presse (paragraphe 16 ci-dessus) et, comme le souligne le Gouvernement (paragraphe 44 ci-dessus), la surveillance et la sécurité des lieux et des requérants avaient été confiées à des officiers entraînés et expérimentés (paragraphes 16-18 ci-dessus). Par ailleurs, les requérants étaient menottés et dépourvus d’armes (paragraphe 15 ci-dessus), de sorte qu’ils ne constituaient pas une menace pour les agents chargés de leur surveillance.
La Cour note en outre que l’assertion du Gouvernement selon laquelle les requérants auraient fait preuve d’agressivité envers les agents chargés de leur surveillance (paragraphe 50 ci-dessus) repose sur les seules déclarations de ces derniers. Or, elle ne saurait ignorer les témoignages en sens contraire des familles des victimes (paragraphe 17 ci-dessus), que les autorités nationales ont omis d’entendre au cours de l’enquête administrative.
54. A cet égard, à supposer même que le comportement des requérants ait pu justifier un recours à la force, la Cour est convaincue, au regard des circonstances d’espèce, que la force ainsi employée n’était pas proportionnée. Elle relève notamment que le nombre et la gravité des blessures relevées sur les personnes des requérants ne pouvaient correspondre à un usage, par les policiers, de la force qui était rendue strictement nécessaire par le comportement des requérants (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 99, CEDH 1999-V, Rehbock c. Slovénie, no 29462/95, §§ 76-77, CEDH 2000-XII, et R. L. et M. J.D., précité, §§ 72-73).
55.  Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
56.  Les requérants allèguent ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif devant les instances nationales. Ils se plaignent du dessaisissement des organes judiciaires au profit d’un organe administratif, formé de personnes qui ne sont pas des juristes, dépendant du pouvoir exécutif et qui ne saurait en conséquence satisfaire aux exigences de l’article 13 de la Convention, selon lequel :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
57.  Le Gouvernement réfute les allégations des requérants et soutient qu’une enquête a été menée par le commandement de gendarmerie, laquelle satisfait aux critères d’effectivité.
58.  D’emblée, la Cour observe qu’au vu de sa conclusion concernant Sevgi Kaya quant à l’article 3 (paragraphe 48, ci-dessus), son grief ne peut être considéré comme « défendable ». Dès lors, elle conclut à l’absence de violation de l’article 13 s’agissant de cette requérante.
59.  En ce qui concerne les autres requérants, la Cour a jugé l’Etat défendeur responsable au regard de l’article 3 (paragraphes 54-55, ci-dessus). Le grief énoncé par ces requérants est dès lors « défendable » aux fins de l’article 13. Les autorités avaient ainsi l’obligation d’ouvrir et de mener une enquête effective répondant aux exigences de cette disposition (voir, notamment, Batı et autres c. Turquie, nos 33097/96 et 57834/00, §§ 133-137, 3 juin 2004).
60.  En l’espèce, la Cour relève que le procureur de la République s’est estimé incompétent pour connaître des faits litigieux – ces derniers ayant été commis par des agents de l’Etat dans l’exercice de leurs fonctions – et a transmis le dossier aux autorités préfectorales compétentes (paragraphe 26 ci-dessus).
Elle constate ensuite qu’une enquête a bien été diligentée par les autorités administratives ainsi saisies (paragraphes 27-30 ci-dessus). Reste toutefois à apprécier la diligence avec laquelle l’enquête a été menée, donc son caractère « effectif ».
61.  A cet égard, la Cour rappelle avoir émis de sérieux doutes quant à la capacité des organes administratifs concernés de mener une enquête indépendante, comme le requièrent les articles 3 et 13 de la Convention (voir, notamment, Oğur c. Turquie [GC], no 21594/93, § 91, CEDH 1999-III, et Mehmet Emin Yüksel c. Turquie, no 40154/98, § 40, 20 juillet 2004). Elle observe en effet qu’A. Işilta, l’inspecteur chargé par le préfet de mener l’enquête, était colonel de gendarmerie et appartenait ainsi au même corps que les agents au sujet desquels il menait son enquête et dépendait, de par cette qualité, de la même hiérarchie qu’eux (paragraphe 28 ci-dessus).
Quant au comité administratif, auquel il incombait de décider si des poursuites pouvaient être engagées contre les forces de l’ordre concernées, il était composé de hauts fonctionnaires de la sous-préfecture et présidé par le sous-préfet, administrativement responsable de la police locale (paragraphe 42 ci-dessus).
62.  Par ailleurs, les requérants ont souligné que la décision d’incompétence adoptée par le procureur de la République ne leur a pas été notifiée, ce qui les a privés de la possibilité de former opposition (paragraphe 26 ci-dessus). Il convient de noter enfin que, pendant l’enquête administrative, le dossier est resté inaccessible aux plaignants et ceux-ci ne disposaient d’aucun moyen d’interroger les témoins ou de présenter leur propre version des faits (paragraphe 30 ci-dessus).
63.  En conclusion, l’enquête menée en l’espèce ne saurait passer pour efficace et susceptible de conduire à l’identification et la punition des responsables des événements en cause. Il y a donc eu violation de l’article 13 de la Convention.
III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION, COMBINÉ AVEC LES ARTICLES 3 ET 13
64.  Les requérants affirment que leur plainte n’a pas fait l’objet d’un examen approfondi en raison de leurs opinions politiques. Ils voient là une violation de l’article 14 de la Convention, combiné avec les articles 3 et 13.
L’article 14 énonce :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
65.  La Cour relève que les éléments produits par les requérants à l’appui de leur grief n’étayent pas leur allégation d’après laquelle l’enquête au sujet de leur plainte a été classée en raison de leurs opinions politiques.
66.  Partant, il n’y a pas eu violation de la Convention à cet égard.
IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
67.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
68.  Les requérants allèguent avoir subi un préjudice moral qu’ils évaluent à 100 000 euros (EUR) chacun et un préjudice matériel s’élevant à 50 000 EUR chacun.
69.  Le Gouvernement invite la Cour à rejeter ces demandes car elles sont dénuées de fondement et au demeurant excessives.
70.  Eu égard à la gravité des blessures des requérants et notamment aux arrêts de travail ordonnés par les médecins (paragraphes 22-23 ci-dessus), la Cour alloue aux requérants les sommes suivantes au titre du dommage corporel et moral : 15 000 EUR à chacun des requérants Özgür Öktem, Müştak Erhan İl, Okan Kablan, Zülcihan Şahin et Devrim Öktem, 10 000 EUR à chacun des requérants Bülent Gedik, Sinan Kaya, İsmail Altun et Arzu Kemanoğlu.
B.  Frais et dépens
71.  Pour les frais et dépens encourus devant les instances nationales et devant la Cour, chacun des requérants sollicite respectivement 5 000 EUR au titre des dépens d’instance et 10 000 EUR pour les honoraires d’avocat.
72.  Le Gouvernement estime excessives les sommes demandées.
73.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux. En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002).
74.  La Cour constate que les requérants ne produisent aucun justificatif à l’appui de leurs demandes. Statuant en équité, elle alloue aux requérants conjointement, à l’exception de Sevgi Kaya, une somme globale de 10 000 EUR à ce titre.
C.  Intérêts moratoires
75.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention quant aux traitements subis par Zülcihan Şahin, Arzu Kemanoğlu, Devrim Öktem, Özgür Öktem, Sinan Kaya, İsmail Altun, Müştak Erhan İl, Okan Kablan et Bülent Gedik ;
2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention en ce qui concerne Zülcihan Şahin, Arzu Kemanoğlu, Devrim Öktem, Özgür Öktem, Sinan Kaya, İsmail Altun, Müştak Erhan İl, Okan Kablan et Bülent Gedik ;
3.  Dit qu’il n’y a pas eu violation des articles 3 et 13 de la Convention en ce qui concerne Sevgi Kaya ;
4.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14, combiné avec les articles 3 et 13 de la Convention ;
5.  Dit,
a)  que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :
i. 15 000 EUR (quinze mille euros) à chacun des requérants Özgür Öktem, Müştak Erhan İl, Okan Kablan, Zülcihan Şahin et Devrim Öktem pour dommage corporel et moral;
ii. 10 000 EUR (dix mille euros) à chacun des requérants Bülent Gedik, Sinan Kaya, İsmail Altun, Arzu Kemanoglu pour dommage corporel et moral ;
iii. 10 000 EUR (dix mille euros) aux requérants conjointement, à l’exception de Sevgi Kaya, pour frais et dépens ;
iv. tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur lesdites sommes ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 février 2005 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Christos Rozakis   Greffier Président
ARRÊT ZÜLCİHAN ŞAHİN ET AUTRES c. TURQUIE
ARRÊT ZÜLCİHAN ŞAHİN ET AUTRES c. TURQUIE 


Synthèse
Formation : Cour (première section)
Numéro d'arrêt : 53147/99
Date de la décision : 03/02/2005
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 3 en ce qui concerne neuf requérants ; Violation de l'art. 13 en ce qui concerne neuf requérants ; Non-violation des art. 3 et 13 en ce qui concerne une requérante ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens

Analyses

(Art. 13) RECOURS EFFECTIF, (Art. 3) TRAITEMENT DEGRADANT


Parties
Demandeurs : SAHIN ET AUTRES
Défendeurs : TURQUIE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2005-02-03;53147.99 ?
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