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15/02/2005 | CEDH | N°57372/00

CEDH | AFFAIRE MANCAR c. TURQUIE


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE MANCAR c. TURQUIE
(Requête no 57372/00)
ARRÊT
STRASBOURG
15 février 2005
DÉFINITIF
15/05/2005
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Mancar c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    A.B. Baka,    R. Türmen,    K. Jungwiert,    M. Ugrekhelidze,   Mmes A. Mular

oni,    E. Fura-Sandström, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en cham...

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE MANCAR c. TURQUIE
(Requête no 57372/00)
ARRÊT
STRASBOURG
15 février 2005
DÉFINITIF
15/05/2005
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Mancar c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    A.B. Baka,    R. Türmen,    K. Jungwiert,    M. Ugrekhelidze,   Mmes A. Mularoni,    E. Fura-Sandström, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 janvier 2005,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 57372/00) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Nuri Mancar (« le requérant »), a saisi la Cour le 21 février 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant est représenté par Me B. Yörük, avocat à Antalya. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n'a pas désigné d'agent dans la procédure devant la Cour.
3.  Le 12 septembre 2002, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Par une lettre du 2 juin 2004, la Cour a informé les parties qu'elle se prononcerait, en application de l'article 29 §§ 1 et 3 de la Convention, tant sur la recevabilité que sur le fond de la requête.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4.  Le requérant est né en 1928.
5.  Le 8 février 1996, la commune de Muratpaşa (Antalya) expropria un terrain appartenant au requérant et versa à ce dernier une indemnité d'expropriation.
6.  Le 15 mai 1998, en désaccord sur le montant payé, le requérant saisit le tribunal de grande instance de Antalya d'un recours en augmentation de l'indemnité d'expropriation.
7.  Le 11 juin 1999, le tribunal lui donna gain de cause et condamna la municipalité à lui verser un complément d'indemnité de 156 789 011 914 livres turques (TRL), soit environ 365 900 euros (EUR), assorti d'intérêts moratoires au taux légal à compter du 1er juin 1998.
8.  Le 9 novembre 1999, la Cour de cassation confirma le jugement de première instance.
9.  Entre mars 2002 et février 2004, le requérant obtint le paiement de 263 186 185 260 TRL, environ 145 300 EUR. La totalité de l'indemnité complémentaire n'a toujours pas été versée à ce jour.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
10.  Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans les arrêts Akkuş c. Turquie (9 juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, pp. 1305-1306, §§ 13-16) et Aka c. Turquie (23 septembre 1998, Recueil 1998-VI, pp. 2674-2676, §§ 17-25).
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
11.  Le requérant se plaint d'une perte de valeur de l'indemnité complémentaire d'expropriation, en raison du retard pris par l'Etat dans le paiement de cette indemnité et de l'insuffisance des intérêts moratoires par rapport au taux d'inflation très élevé en Turquie. Il invoque à cet égard l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
A.  Sur la recevabilité
12.  La Cour estime, à la lumière des critères qui se dégagent de sa jurisprudence (voir, notamment, Aka, précité) et compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, que ce grief doit faire l'objet d'un examen au fond. Elle constate en effet que celui-ci ne se heurte à aucun motif d'irrecevabilité.
B.  Sur le fond
13.  La Cour a traité à maintes reprises d'affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d'espèce et a constaté la violation de l'article 1 du Protocole no 1 (voir Aka, précité, p. 2682, §§ 50-51).
14.  Elle a examiné la présente affaire et considère que le Gouvernement n'a fourni aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Le retard pris dans le paiement de l'indemnité complémentaire accordée par les juridictions internes, imputable à l'administration expropriante, a fait subir au requérant un préjudice distinct s'ajoutant à l'expropriation de son bien. Ce préjudice est doublé par l'insuffisance du taux des intérêts moratoires par rapport à celui de l'inflation. Le décalage entre la valeur de la créance du requérant au moment de l'expropriation de son terrain et sa valeur lors de son règlement effectif amène la Cour à considérer que le requérant a eu à supporter une charge spéciale et exorbitante qui a rompu le juste équilibre devant régner entre les exigences de l'intérêt général et la sauvegarde du droit au respect des biens.
15.  Par conséquent, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.
II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
16.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage matériel et moral
17.  Le requérant affirme devoir être dédommagé pour un préjudice matériel qu'il évalue à 519 215 dollars américains (USD). Il réclame en outre la réparation d'un dommage moral qu'il évalue à 110 000 USD.
18.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.
19.  Considérant le mode de calcul adopté dans l'arrêt Aka (précité, pp. 2683-2684, §§ 55-56) et à la lumière des données économiques pertinentes, la Cour accorde le montant demandé à titre de dommage matériel, soit 429 390 EUR.
Quant au préjudice moral, la Cour estime que, dans les circonstances de l'espèce, le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante.
B.  Frais et dépens
20.  Le requérant demande également 10 000 USD pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et la Cour.
21.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.
22.  Compte tenu des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime raisonnable la somme de 500 EUR tous frais confondus.
C.  Intérêts moratoires
23.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;
3.  Dit que le présent arrêt constitue par lui-même une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral ;
4.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes plus tout montant pouvant être dû au titre de taxes, droits de timbres et charges fiscales exigibles au moment du versement, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :
i.  429 390 EUR (quatre cent vingt-neuf mille trois cent quatre-vingt-dix euros) pour dommage matériel ;
ii.  500 EUR (cinq cents euros) pour frais et dépens ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 février 2005 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé J.-P. Costa   Greffière Président
ARRÊT MANCAR c. TURQUIE
ARRÊT MANCAR c. TURQUIE 


Synthèse
Formation : Cour (deuxième section)
Numéro d'arrêt : 57372/00
Date de la décision : 15/02/2005
Type d'affaire : Arret (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de P1-1 ; Dommage matériel - réparation pécuniaire ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement partiel frais et dépens

Analyses

(P1-1-1) RESPECT DES BIENS


Parties
Demandeurs : MANCAR
Défendeurs : TURQUIE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2005-02-15;57372.00 ?
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