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24/02/2005 | CEDH | N°46848/99

CEDH | AFFAIRE STIFT c. BELGIQUE


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE STIFT c. BELGIQUE
(Requête no 46848/99)
ARRÊT
STRASBOURG
24 février 2005
DÉFINITIF
24/05/2005
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. 
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,    L. Loucaides,   Mme F. Tulkens,   M. P. Lorenzen,   Mme N. Vajić,   MM. D. Spielmann,    S.E. Jebens,

juges,  et de M. S. Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er février 20...

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE STIFT c. BELGIQUE
(Requête no 46848/99)
ARRÊT
STRASBOURG
24 février 2005
DÉFINITIF
24/05/2005
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. 
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,    L. Loucaides,   Mme F. Tulkens,   M. P. Lorenzen,   Mme N. Vajić,   MM. D. Spielmann,    S.E. Jebens, juges,  et de M. S. Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er février 2005,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 46848/99) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant néerlandais, M. Michel Stift (« le requérant »), a saisi la Cour le 3 mars 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant est représenté par  Me K. Sallet, avocat à Bruxelles. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. C. Debrulle, Directeur général au Service Public Fédéral de la Justice.
3.  Le requérant alléguait une violation des articles 6 §§ 1 et 3 c) et d) de la Convention en raison du refus de sa représentation par un avocat devant la cour d’appel, de l’irrecevabilité de son pourvoi ainsi que de la non-audition de témoins devant le tribunal correctionnel.
4.  La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
5.  Par une décision du 27 mai 2004, la Cour a déclaré la requête recevable.
6.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).
7.  Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1).
8.  Le gouvernement néerlandais n’a pas exprimé l’intention de participer à la procédure.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
9.  Le requérant est né en 1947 et réside à Amsterdam.
10.  Le 6 septembre 1996, le requérant fut arrêté à l’aéroport de Zaventem (Belgique), car on le soupçonnait d’être impliqué dans un trafic de 31 kilos de cocaïne saisis le même jour. Il fut placé en détention préventive jusqu’au 18 juin 1997, date à laquelle il fut remis en liberté moyennant le paiement d’une caution de 100 000 francs belges (BEF) (environ 2 500 euros (EUR)).
11.  Le 13 janvier 1998, le tribunal correctionnel de Bruxelles condamna le requérant, avec onze autres inculpés, pour trafic de stupéfiants. Il se vit imposer une peine de six ans d’emprisonnement et une amende de 10 000 000 BEF (environ 250 000 EUR). Le tribunal ordonna également son arrestation immédiate. Au préalable, le tribunal avait refusé de convoquer certains témoins dont le requérant avait demandé l’audition, en particulier E.K., un coaccusé qui avait fait des déclarations à sa charge.
12.  Le requérant interjeta appel contre ce jugement. A l’audience du 11 mai 1998 devant la cour d’appel de Bruxelles, le requérant était absent mais son conseil, se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, demanda à pouvoir y représenter son client. Le conseil fut autorisé à plaider uniquement sur cette demande. Il indiqua que son client ne séjournait pas en Belgique par crainte de se faire arrêter.
13.  Par un arrêt avant dire droit du 27 mai 1998, la cour d’appel refusa au conseil du requérant le droit de représenter celui-ci. Elle estima notamment que le requérant n’avait pas justifié de « l’impossibilité de comparaître en personne », au sens de l’article 185, § 2, alinéa 2, du code d’instruction criminelle (CIC), dès lors que son avocat avait admis que l’absence de son client s’expliquait uniquement par la volonté de ce dernier de ne pas se faire arrêter en Belgique. D’après la cour d’appel, la seule volonté de se soustraire à l’exécution d’une décision de justice ne suffisait pas à dispenser un inculpé d’avoir à comparaître en personne, comme le prévoit l’article 185 du CIC. De surcroît, le requérant n’aurait pas démontré en quoi l’interdiction faite à son avocat de le représenter porterait atteinte aux droits de la défense. Au contraire, la règle de la comparution en personne viserait à permettre un débat contradictoire, qui est la meilleure garantie d’un procès équitable.
14.  Le requérant forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt en date du 10 juin 1998.
15.  Le 29 juin 1998, la cour d’appel confirma la condamnation des douze inculpés, mais seul le requérant vit alourdir sa peine, celle-ci passant de six à sept ans d’emprisonnement. La cour d’appel ordonna en outre l’arrestation immédiate de certains des condamnés, dont le requérant. Elle décida également d’attribuer à l’Etat le cautionnement de 100 000 BEF qui avait été versé par le requérant.
16.  Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt en date du 4 août 1998.
17.  Le 8 septembre 1998, la Cour de cassation déclara irrecevables les deux pourvois du requérant, le premier au motif qu’il avait été introduit avant l’arrêt définitif et était dès lors prématuré, et le second au motif que le requérant ne s’était pas constitué prisonnier, comme l’exigeait l’article 421 du CIC.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A.  La législation
18.  A l’époque des faits, les articles pertinents du CIC se lisaient comme suit :
Article 185
« 1.  La partie civile et la partie civilement responsable comparaîtront en personne ou par un avocat.
2.  Le prévenu comparaîtra en personne. Il pourra cependant se faire représenter par un avocat dans les affaires relatives à des délits qui n’entraînent pas la peine d’emprisonnement à titre principal ou dans les débats qui ne portent que sur une exception, sur un incident étranger au fond ou sur les intérêts civils.
Le tribunal pourra toujours autoriser la représentation du prévenu qui justifie de l’impossibilité de comparaître en personne.
3.  En tout état de cause, le tribunal pourra, sans que sa décision puisse être l’objet d’aucun recours, ordonner la comparution en personne.
Le jugement ordonnant cette comparution sera signifié à la partie qu’il concerne à la requête du ministère public, avec citation à comparaître à la date fixée par le tribunal. Si elle ne comparaît pas, il sera statué par défaut. »
Article 421
« Les condamnés, même en matière correctionnelle ou de police, à une peine emportant privation de la liberté, ne seront pas admis à se pourvoir en cassation, lorsqu’ils ne seront pas actuellement en état, ou lorsqu’ils n’auront pas été mis en liberté sous caution.
L’acte de leur écrou, ou de leur mise en liberté sous caution, sera annexé à l’acte de recours en cassation.
Néanmoins, lorsque le recours en cassation sera motivé sur l’incompétence, il suffira au demandeur, pour que son recours soit reçu, de justifier qu’il s’est actuellement constitué dans la maison de justice du lieu où siège la Cour de cassation ; le gardien de cette maison pourra l’y recevoir, sur la représentation de sa demande adressée au procureur général près la Cour, et visée par ce magistrat. »
B.  L’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation
1.  Sur la représentation de l’inculpé
19.  Par un arrêt du 16 mars 1999 (arrêt Waanders, no 98.0861.N), la Cour de cassation belge a opéré un revirement de jurisprudence en ce qui concerne le régime de la représentation contenu à l’article 185 § 2 du CIC. Cette nouvelle jurisprudence s’inscrit dans le fil de l’arrêt de la Cour du 21 janvier 1999 (Van Geyseghem c. Belgique [GC], no 26103/95, CEDH 1999-I). La Cour de cassation s’est prononcée dans les termes suivants :
« Attendu qu’il ressort de la décision attaquée que le demandeur « fait savoir par l’intermédiaire de son conseil qu’il souhaite ou choisit de ne pas comparaître personnellement de crainte d’être arrêté » et que dès lors, le conseil du demandeur a demandé de pouvoir représenter son client.
Attendu qu’après avoir constaté « que la crainte d’être arrêté invoquée par le demandeur n’entraîne pas l’impossibilité de comparaître personnellement », les juges d’appel disent pour droit « que (le demandeur) ne peut être représenté par son conseil lors de l’instruction ultérieure de la cause s’il n’est pas établi qu’il se trouve dans l’impossibilité de comparaître », et ensuite remet l’instruction de la cause au 18 mars 1998 ; qu’à cette dernière date, le demandeur n’a pas comparu et que la cause a été instruite en son absence et en l’absence de son conseil ; que l’arrêt rendu par défaut le 9 avril 1998, a déclaré l’opposition du demandeur non avenue ;
Attendu que les juges d’appel ont été saisis suite à l’opposition formée par le demandeur ; qu’en l’espèce, ils statuent sur l’action publique exercée à charge du demandeur, mais qu’en l’absence de ce dernier, ils n’examineront pas le fond de la cause, conformément à l’article 188, alinéa 2, du code d’instruction criminelle ;
Attendu qu’en refusant au demandeur, dans ces circonstances, le droit de se faire représenter par son conseil, les juges d’appel le privent de la possibilité de présenter sa défense par l’intermédiaire du conseil de son choix et dès lors, violent l’article 6 § 1 et 6 § 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Attendu que lesdites dispositions de la Convention ont un effet direct dans l’ordre juridique interne et priment la règle de droit interne moins favorable prévue par l’article 185 du code d’instruction criminelle ;
Que le moyen est fondé ».
20.  Depuis lors, la loi du 12 février 2003, entrée en vigueur le 7 avril 2003, a abrogé l’article 421 du CIC et modifié l’article 185 du CIC, qui est désormais libellé comme suit :
Article 185
« 1.  Le prévenu, la partie civilement responsable et la partie civile comparaîtront en personne ou par un avocat.
2.  Le tribunal pourra, en tout état de cause, sans que sa décision puisse faire l’objet d’aucun recours, ordonner la comparution en personne. Le jugement ordonnant cette comparution sera signifié à la partie qu’il concerne à la requête du ministère public, avec citation à comparaître à la date fixée par le tribunal.
Si le prévenu ne comparaît pas en personne ou par un avocat, après avoir comparu à l’audience d’introduction conformément au § 1er, le jugement sera réputé contradictoire et sera signifié au prévenu à la requête du ministère public. Un mandat d’amener peut être décerné à l’égard du prévenu. »
2.  Sur la recevabilité d’un pourvoi
21.  Suivant une jurisprudence jusqu’alors constante, la Cour de cassation, en vertu de l’article 421 du CIC, lu conjointement avec l’article 2 de la loi du 10 février 1866, estimait que le pourvoi en cassation d’un prévenu contre l’arrêt le condamnant à une peine privative de liberté et ordonnant son arrestation immédiate, était irrecevable s’il n’apparaissait pas que le prévenu se trouvait réellement en détention au moment où il avait formé son pourvoi.
22.  Dans un arrêt du 9 mars 1999 (arrêt Hutton, no 98.1018.N), prononcé en audience plénière, la Cour de cassation a réformé sa jurisprudence sur la base de deux arrêts rendus par la Cour le 29 juillet 1998 (arrêts Omar et Guérin c. France, Recueil des arrêts et décisions 1998-V). Elle s’est prononcée dans les termes suivants :
« Attendu que l’arrêt attaqué condamne notamment le demandeur à une peine d’emprisonnement de quarante-quatre mois, et ordonne son arrestation immédiate ; qu’il n’apparaît pas que le demandeur se trouvait en détention au moment de former son pourvoi ;
Attendu qu’en vertu des articles 421 du code d’instruction criminelle et 2 de la loi du 10 février 1866, le pourvoi en cassation formé par un prévenu contre la décision le condamnant à une peine privative de liberté et ordonnant son arrestation immédiate n’est recevable que si la personne qui se pourvoit se trouve effectivement en détention au moment de former ledit pourvoi ;
Attendu que, toutefois, l’irrecevabilité du pourvoi fondée uniquement sur la circonstance que le demandeur ne s’est pas constitué prisonnier en exécution de la décision judiciaire faisant l’objet de ce pourvoi, contraint l’intéressé à s’infliger d’ores et déjà à lui-même la privation de liberté résultant de la décision attaquée, alors que cette décision ne peut être considérée comme définitive aussi longtemps qu’il n’a pas été statué sur le pourvoi et que le délai de recours ne s’est pas écoulé ;
Qu’ainsi, en violation de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le demandeur se voit imposer une charge qui porte atteinte de façon disproportionnée à son droit d’accès au juge compétent ;
Attendu que cette disposition conventionnelle a des effets directs dans l’ordre juridique interne et prime la norme de droit interne moins favorable établie par les dispositions légales susmentionnées ;
Que le pourvoi est dès lors recevable ».
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 et 3 c) DE LA CONVENTION DU FAIT DU REFUS DE REPRÉSENTATION DEVANT LA COUR D’APPEL
23.   Le requérant reproche à la cour d’appel de Bruxelles de ne pas avoir autorisé, en son absence, son conseil à assurer sa défense dans la procédure en degré d’appel. Il y voit la violation des paragraphes 1 et 3 c) de l’article 6 de la Convention, ainsi libellés :
« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)
3.  Tout accusé a droit notamment à :
c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix (...)
24.  Le Gouvernement qui se réfère à l’arrêt Van Geyseghem ne présente pas d’observations sur ces points.
25.  La Cour rappelle que dans l’arrêt Van Geyseghem c. Belgique (arrêt du 21 janvier 1999 [GC], no 26103/95, CEDH 1999-1, § 34 ; voir aussi les arrêts Pronk c. Belgique du 8 juillet 2004, § 36, et Lala et Pelladoah c. Pays-Bas du 22 septembre 1994, série A, no 297-A et B, respectivement p. 13, § 33 et pp. 34-35, § 40), elle a décidé que le droit à être effectivement défendu par un avocat figurait parmi les éléments fondamentaux du procès équitable et qu’un accusé ne pouvait en perdre le bénéfice du seul fait de sa non-comparution. Elle a ajouté que, même si le législateur doit pouvoir décourager les absences injustifiées, il ne peut les sanctionner en dérogeant au droit à l’assistance d’un défenseur. Les exigences légitimes de la présence des accusés aux débats peuvent être assurées par d’autres moyens que la perte des droits de la défense.
26.  En l’espèce, la Cour relève qu’en date du 29 juin 1998, la cour d’appel de Bruxelles condamna le requérant par défaut, après avoir refusé sa représentation par un avocat par un jugement avant dire droit du 27 mai 1998 (paragraphe 12 ci-dessus). Dans ces circonstances, la Cour ne voit aucune raison de se départir, en l’occurrence, de la conclusion à laquelle elle était parvenue dans l’affaire Van Geyseghem précitée.
27.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 combiné avec l’article 6 § 3 c) de la Convention du fait du refus de la cour d’appel de Bruxelles d’autoriser la représentation du requérant.
2.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION DU FAIT DE L’IRRECEVABILITÉ DU POURVOI
28.  Le requérant soutient également qu’il n’a pas eu droit à un examen équitable de sa cause lors de la procédure en cassation, suite à la décision de la Cour de cassation de déclarer son pourvoi irrecevable en application de l’article 421 du CIC. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention.
29.  Le Gouvernement n’a pas présenté d’observations à cet égard.
30.  Dans ses arrêts Omar et Guérin, la Cour a estimé que « l’irrecevabilité d’un pourvoi en cassation, fondée uniquement sur le fait que le demandeur ne s’est pas constitué prisonnier en exécution de la décision de justice faisant l’objet du pourvoi, contraint l’intéressé à s’infliger d’ores et déjà à lui-même la privation de liberté résultant de la décision attaquée, alors que cette décision ne peut être considérée comme définitive aussi longtemps qu’il n’a pas été statué sur le pourvoi ou que le délai de recours ne s’est pas écoulé ». La Cour a considéré qu’on portait ainsi « atteinte à la substance même du droit de recours, en imposant au demandeur une charge disproportionnée, rompant le juste équilibre qui doit exister entre, d’une part, le souci légitime d’assurer l’exécution des décisions de justice et, d’autre part, le droit d’accès au juge de cassation et l’exercice des droits de la défense » (Omar et Guérin, précités, p. 1841, §§ 40 et 41, et p. 1868, § 43, respectivement ; également arrêts Khalfoui c. France, no 34791/97 du 14 décembre 1999, Recueil 1999-IX, § 40, et Goedhart c. Belgique du 20 mars 2001, § 31).
31.  En l’espèce, la Cour relève que, par un arrêt du 8 septembre 1998, la Cour de cassation a déclaré le pourvoi irrecevable au seul motif que le requérant ne s’était pas constitué prisonnier en exécution de la décision de justice faisant l’objet du pourvoi (paragraphe 16 ci-dessus).
32.  Dans ces conditions, la Cour ne voit pas de raison d’aboutir à une conclusion différente de celle adoptée dans l’arrêt Goedhart précité.
33.  Eu égard aux circonstances de l’espèce et conformément à sa jurisprudence, la Cour estime que le requérant a subi une entrave excessive à son droit d’accès à un tribunal et, donc, à son droit à un procès équitable. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
3.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 et 3 d) DE LA CONVENTION DU FAIT DE LA NON-AUDITION DE TÉMOINS
34.  Le requérant reproche au tribunal correctionnel de Bruxelles d’avoir refusé d’entendre des témoins auxquels il souhaitait être confronté et en particulier son coaccusé E.K., alors même que les charges retenues à son encontre reposaient de manière déterminante sur les déclarations de celui-ci. Il y aurait eu violation des paragraphes 1 et 3 d) de l’article 6 de la Convention, ainsi libellés :
« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)
3.  Tout accusé a droit notamment à :
d)   interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
35.  La Cour est d’avis qu’en refusant à l’avocat du requérant le droit de représenter celui-ci en son absence devant la cour d’appel de même qu’en déclarant le pourvoi du requérant irrecevable au motif que celui-ci ne s’était pas constitué prisonnier, les juridictions internes ne pouvaient, en toute hypothèse, lui garantir un procès équitable.
36.  Eu égard aux constats de violations du droit du requérant à avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ainsi que de son droit d’accès à un tribunal, la Cour estime dès lors qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief concernant la convocation de témoins.
III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
37.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
38.  Le requérant affirme que le préjudice matériel résultant des violations alléguées de la Convention s’élève à un montant global de 114 000 dollars à augmenter de 2 000 dollars par mois à partir du 1er août 2004 pour pertes de revenus et autres. Il expose qu’il a également subi un préjudice moral qui s’élève à 10 000 EUR.
39.  Pour le Gouvernement, il n’existerait aucun lien de causalité démontré entre la violation dénoncée et le préjudice matériel allégué. De plus, il estime que le préjudice moral subi par le requérant serait suffisamment réparé par le constat d’une violation de l’article 6.
40.  La Cour estime que la base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans le fait que le requérant n’a pu jouir du droit de l’assistance d’un avocat en appel et, en cassation, d’un accès à un tribunal, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Elle ne saurait spéculer sur ce qu’eût été l’issue du procès si le requérant avait pu jouir des garanties de l’article 6 de la Convention. Si le préjudice moral résultant de l’impossibilité de se défendre devant la cour d’appel est suffisamment réparé par le constat de violation de l’article 6 (Pronk, précité, § 49), l’absence d’examen de son pourvoi en cassation a incontestablement causé au requérant un tort moral (Guérin, précité, p. 1870, § 52). Statuant en équité, comme le veut l’article 41, la Cour lui alloue donc la somme de 3 000 EUR.
B.  Frais et dépens
41.  L’intéressé sollicite le remboursement de 11 475 EUR pour des frais de conseil et d’avocat qu’il aurait exposés pour remédier sur le plan interne aux violations alléguées et porter son recours devant la Cour, sans ventiler les dépenses entre les différents recours.
42.  Le Gouvernement s’en remet à l’appréciation de la Cour.
43.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, par exemple, Entreprises Robert Delbrassine S.A. et autres c. Belgique, no 49204/99, § 35, 1er juillet 2004, et Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 30, CEDH 1999-V). En l’espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour rejette, en l’absence de précision, la demande relative aux frais et dépens de la procédure nationale antérieure au pourvoi en cassation. Elle estime raisonnable la somme de 7 650 EUR pour la procédure devant la Cour de cassation et devant la Cour et l’accorde au requérant pour frais et dépens.
C.  Intérêts moratoires
44.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention du fait du refus de représentation du requérant devant la cour d’appel ;
2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de l’irrecevabilité du pourvoi en cassation du requérant ;
3.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention du fait de la non-audition de témoins ;
4.  Dit
a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros) pour dommage moral et 7 650 EUR (sept mille six cent cinquante euros) de frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 février 2005 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen C.L. Rozakis   Greffier Président
ARRÊT STIFT c. BELGIQUE
ARRÊT STIFT c. BELGIQUE 


Synthèse
Formation : Cour (première section)
Numéro d'arrêt : 46848/99
Date de la décision : 24/02/2005
Type d'affaire : Arret (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-3-c ; Violation de l'art. 6-1 ; Non-lieu à examiner l'art. 6-3-d ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) ACCES A UN TRIBUNAL


Parties
Demandeurs : STIFT
Défendeurs : BELGIQUE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2005-02-24;46848.99 ?
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