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02/03/2005 | CEDH | N°71916/01;71917/01;10260/02

CEDH | MALTZAN (FREIHERR VON) ET AUTRES c. ALLEMAGNE


EN FAIT
1.  Les requérants sont au nombre de soixante et onze (voir liste détaillée en annexe). Soixante-neuf d'entre eux sont des personnes physiques, dont soixante-huit sont des ressortissants allemands et une est une ressortissante suédoise. Deux d'entre eux, la fondation Alfred Töpfer et la société Man Ferrostaal, sont des personnes morales de droit allemand.
A l'audience du 22 septembre 2004, pour la première requête, quarante-cinq requérants étaient représentés par Me T. Gertner, avocat, et l'un d'eux également par Me S. von Raumer, avocat. Deux

autres requérants étaient représentés par Me von Raumer, et l'un d'...

EN FAIT
1.  Les requérants sont au nombre de soixante et onze (voir liste détaillée en annexe). Soixante-neuf d'entre eux sont des personnes physiques, dont soixante-huit sont des ressortissants allemands et une est une ressortissante suédoise. Deux d'entre eux, la fondation Alfred Töpfer et la société Man Ferrostaal, sont des personnes morales de droit allemand.
A l'audience du 22 septembre 2004, pour la première requête, quarante-cinq requérants étaient représentés par Me T. Gertner, avocat, et l'un d'eux également par Me S. von Raumer, avocat. Deux autres requérants étaient représentés par Me von Raumer, et l'un d'eux aussi par M. M. Nettesheim, professeur. Pour les deuxième et troisième requêtes, les vingt-quatre requérants étaient représentés par Me C. Lenz et Me W. Peukert, avocats.
Le gouvernement défendeur était représenté par M. K. Stoltenberg, agent, et par Mme A. Wittling-Vogel, agente adjointe, assistés de MM. les professeurs J. Frowein et R. Motsch, conseils, ainsi que de M. H.-J. Rodenbach et M. W. Marx, conseillers.
A.  Les circonstances de l'espèce
2.  Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
1.  La genèse de l'affaire
3.  Les requêtes portent sur l'une des grandes questions qui ont surgi après la réunification allemande, à savoir le dédommagement des personnes victimes d'expropriations qui se sont déroulées soit entre 1945 et 1949 dans la zone d'occupation soviétique en Allemagne à la suite de la réforme agraire (Bodenreform), soit après 1949 en République démocratique allemande (RDA).
4.  Au cours des négociations entre les gouvernements de la République fédérale d'Allemagne (RFA) et de la RDA (après les premières élections démocratiques qui s'y sont tenues le 18 mars 1990) et les quatre anciennes puissances d'occupation (la France, le Royaume-Uni, les Etats-Unis et l'Union soviétique), les deux gouvernements allemands ont formulé le 15 juin 1990 une Déclaration commune sur la réglementation des questions patrimoniales en suspens (Gemeinsame Erklärung der Bundesrepublik Deutschland und der Deutschen Demokratischen Republik zur Regelung offener Vermögensfragen/Gemeinsame Erklärung – paragraphe 38 ci-dessous), qui énonce les principes fondamentaux (Eckwerte) relatifs aux questions de propriété.
5.  Ces principes ont par la suite été mis en application par le législateur, dans un premier temps dans la loi sur la réglementation des questions patrimoniales en suspens/loi sur le patrimoine (Gesetz über die Regelung offener Vermögensfragen/Vermögensgesetz) du 23 septembre 1990 (paragraphes 41-46 ci-dessous), puis, dans un second temps, dans la loi sur les indemnisations conformément à la loi sur la réglementation des questions patrimoniales en suspens et sur les compensations étatiques pour les expropriations décidées en vertu des lois d'occupation ou des autres pouvoirs des autorités d'occupation/loi sur les indemnisations et compensations (Gesetz über die Entschädigung nach dem Gesetz zur Regelung offener Vermögensfragen und über staatliche Ausgleichsleistungen für Enteignungen auf besatzungsrechtlicher oder besatzungshoheitlicher Grundlage/Entschädigungs- und Ausgleichsleistungsgesetz – EALG) du 27 septembre 1994. Cette loi comprend elle-même notamment deux lois (paragraphes 47-55 ci-dessous).
6.  En matière de réhabilitation, le législateur a adopté la loi relative à la réhabilitation et à l'indemnisation des victimes de poursuites pénales illégales sur le territoire « d'adhésion »/loi relative à la réhabilitation pénale (Gesetz über die Rehabilitierung und Entschädigung von Opfern rechtsstaatswidriger Strafverfolgungsmassnahmen im Beitrittsgebiet/ Strafrechtliches Rehabilitierungsgesetz – paragraphes 57-58 ci-dessous) du 29 octobre 1992, ainsi que la loi relative à l'annulation de décisions administratives illégales sur le territoire « d'adhésion » et sur les droits qui en découlent/loi relative à la réhabilitation administrative (Gesetz über die Aufhebung rechtsstaatswidriger Verwaltungsentscheidungen im Beitrittsgebiet und die daran anknüpfenden Folgeansprüche/ Verwaltungsrechtliches Rehabilitierungsgesetz – paragraphes 59-60 ci-dessous) du 23 juin 1994.
2.  La situation des requérants
7.  Soixante-cinq requérants sont des personnes physiques, héritières de propriétaires de terrains ou d'immeubles qui furent expropriés dans le cadre de la réforme agraire mise en œuvre entre 1945 et 1949 dans la zone d'occupation soviétique en Allemagne.
Les deux requérantes personnes morales étaient également propriétaires de terrains dont elles furent expropriées au cours de cette période.
Après la réunification allemande, ils déposèrent en vain des demandes en restitution de leurs terrains et/ou immeubles auprès de l'administration compétente.
8.  Trois parmi ces requérants tentèrent aussi d'obtenir une réhabilitation de leurs ascendants devant les autorités administratives, en se fondant sur la loi relative à la réhabilitation administrative.
L'un d'eux saisit le tribunal administratif (Verwaltungsgericht) de Dessau qui, par un jugement du 22 mars 2001, rejeta son recours.
Par une décision du 16 mai 2002, la Cour administrative fédérale (Bundesverwaltungsgericht) refusa de retenir le pourvoi en cassation (Revision) du requérant, en se référant notamment à ses deux arrêts de principe du 21 février 2002 en la matière (paragraphe 34 ci-dessous).
Par une décision du 12 août 2002, la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) refusa également de retenir le recours du requérant.
9.  Cinq requérants, dont l'une des soixante-cinq personnes mentionnées au paragraphe 7 ci-dessus, sont des personnes physiques, héritières de propriétaires de terrains ou d'immeubles, qui furent expropriés après 1949 en raison d'une décision des autorités de la RDA.
Après la réunification allemande, ils déposèrent des demandes en restitution de leurs terrains et/ou immeubles que rejeta l'administration compétente aux motifs soit que les tiers qui avaient acquis ces biens entre-temps avaient été de bonne foi, soit qu'une restitution s'avérait impossible en pratique, conformément aux dispositions de la loi sur le patrimoine.
10.  Vingt et un requérants saisirent la Cour constitutionnelle fédérale, arguant que la loi sur les indemnisations et compensations était contraire à la Loi fondamentale (Grundgesetz).
Par un arrêt de principe du 22 novembre 2000, la Cour constitutionnelle fédérale rejeta leur recours (paragraphes 23-32 ci-dessous).
3.  Les arrêts de principe de la Cour constitutionnelle fédérale sur la réforme agraire
11.  La Cour constitutionnelle fédérale a rendu quatre arrêts de principe sur la réforme agraire. Ils portent en particulier sur la constitutionnalité des différentes lois relatives aux questions de propriété ou de réhabilitation que le législateur a adoptées après la réunification allemande (pour le détail des dispositions de ces lois, voir les paragraphes 41-60 ci-dessous).
a)  L'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 23 avril 1991
12.  Dans le premier arrêt de principe sur la réforme agraire, la Cour constitutionnelle fédérale considéra que l'exclusion de tout droit à restitution pour les personnes victimes d'expropriations entre 1945 et 1949 ne méconnaissait pas la Loi fondamentale.
13.  La Cour constitutionnelle estima que les expropriations en question, bien qu'exécutées par les autorités allemandes, avaient été ordonnées par les autorités d'occupation soviétiques et se fondaient donc sur le pouvoir souverain des forces d'occupation. La compétence du gouvernement de la RFA pour conclure le Traité d'unification et pour y intégrer les modifications de la Loi fondamentale imposées par l'unification découlait de son obligation constitutionnelle de parvenir à l'unité allemande. La façon dont ces modifications avaient été apportées n'enfreignait ni le droit matériel ni les règles procédurales.
14.  Selon la Cour constitutionnelle, la réglementation litigieuse ne portait atteinte à aucun des droits constitutionnels des demandeurs, puisqu'ils ne se trouvaient plus dans une situation juridique susceptible d'être modifiée par cette réglementation.
15.  Les expropriations avaient été jugées légitimes par les autorités soviétiques et par celles de la RDA. La RFA ne pouvait être tenue pour responsable de mesures prises à une époque où la Loi fondamentale n'était pas même en vigueur. En vertu de la législation qui prévalait dans les zones occupées par les puissances alliées occidentales, les demandeurs n'avaient également plus qualité pour contester la confiscation des biens. Selon cette législation, les confiscations ordonnées par un Etat étranger devaient être considérées comme effectives si elles étaient opérées dans le cadre des pouvoirs souverains de cet Etat.
16.  En outre, la RFA n'avait pas l'obligation d'indemniser intégralement les préjudices résultant de la Seconde Guerre mondiale, sauf s'ils avaient été causés par ses propres organes. Quant à l'indemnisation de tels préjudices, la RFA jouissait d'une ample marge d'appréciation et pouvait prendre en compte d'autres dépenses et des exigences budgétaires.
17.  Par ailleurs, la Cour constitutionnelle déclara qu'il n'y avait pas violation du droit à l'égalité de traitement. Elle se fonda sur les éléments de preuve fournis par le ministre fédéral des Affaires étrangères, M. Klaus Kinkel, et par d'autres fonctionnaires de haut rang qui démontraient que l'Union soviétique avait consenti à l'unification allemande sous réserve que les confiscations opérées entre 1945 et 1949 ne fussent pas remises en cause, ce qui revenait à exclure toute restitution. Pour la RDA, il s'agissait également de garantir dans le Traité d'unification le maintien de la paix sociale sur son territoire après l'unification. La RFA avait dû accepter cette condition pour ne pas entraver le processus d'unification. Dès lors, la règle selon laquelle les propriétaires expropriés entre 1945 et 1949 étaient traités différemment de ceux dont les biens avaient été confisqués ultérieurement avait une justification suffisante.
18.  La Cour constitutionnelle ajouta :
« Pour les expropriations sans indemnisation [entre 1949 et 1990], qui ne tombent pas sous le coup du point 1, quatrième phrase, de la Déclaration commune [voir le paragraphe 38 ci-dessous], le législateur a choisi une règle de réparation reposant sur le principe de la restitution de l'objet exproprié, ce qui peut être pertinent pour le montant d'une indemnisation à verser en lieu et place d'une restitution. S'il choisit une telle solution, il ne peut exclure toute réparation pour les expropriations effectuées en vertu des lois d'occupation ou des pouvoirs des autorités d'occupation [entre 1945 et 1949].
Le grief des requérants selon lequel la réglementation prévue au point 1, quatrième phrase, de la Déclaration commune violerait leurs droits fondamentaux, dans la mesure où la référence à de simples compensations exclurait une réparation complète imposée par la Constitution, est dépourvu de fondement. Comme il a déjà été exposé, la réglementation ne comporte pas de critères relatifs au montant des compensations. Par ailleurs, il ne ressort pas de la Loi fondamentale un principe imposant une réparation intégrale pour les expropriations en question dans la présente affaire.
Lors du calcul des compensations, le législateur est en droit, dans le cadre de la marge d'appréciation dont il dispose dans tous les cas, de tenir compte également de ses possibilités financières eu égard aux autres devoirs incombant à l'Etat. Les principes développés pour la compensation des dommages causés par une guerre s'appliquent ici mutatis mutandis (...). Partant, le législateur peut prendre en considération le volume global des dommages à réparer qui ne comprennent pas seulement les dommages touchant la propriété. Lors de l'appréciation des dommages touchant la propriété, il convient de considérer que d'autres biens – comme la vie, la santé, la liberté et la carrière professionnelle – ont également été atteints pendant la période en question (...). De plus, le législateur est en droit de tenir compte de l'accomplissement des nouvelles tâches résultant des activités de reconstruction dans les nouveaux Länder. Lors de l'appréciation de la situation économique et financière de l'Etat et des différentes missions lui incombant, il dispose d'une marge d'appréciation particulièrement large (...). Face à la situation économique désastreuse dans les nouveaux Länder, dont l'assainissement exige, en vertu d'une situation prévisible dès à présent, des subventions à hauteur de plusieurs centaines de milliards, il n'existe pas à l'origine une obligation constitutionnelle d'une réparation dont la valeur équivaudrait à une restitution. Toutefois, le législateur doit avoir égard à l'article 3 § 1 de la Loi fondamentale [principe d'égalité] lors de la réglementation globale portant sur les réparations.
Dans ce contexte, le fait qu'une partie des biens soit la propriété des pouvoirs publics ne permet pas aux requérants d'en déduire quoi que ce soit en leur faveur. La situation de faillite économique causée par la mauvaise gestion de l'économie en République démocratique allemande, qui n'engage pas la responsabilité de la République fédérale d'Allemagne, n'est pas éliminée par cet élément du patrimoine. Le fait que leurs biens soient par hasard encore disponibles ne permet pas non plus aux anciens propriétaires d'exiger un traitement préférentiel quant au montant des réparations par rapport à d'autres personnes expropriées ou aux victimes de mesures d'injustice ayant subi des dommages d'une autre nature. Cela vaut également lorsqu'ils disposent de la possibilité d'acquérir à nouveau leur ancienne propriété.
b)  L'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 18 avril 1996
19.  Dans le deuxième arrêt de principe sur la réforme agraire, la Cour constitutionnelle fédérale rejeta le recours des demandeurs qui avaient soutenu que l'Union soviétique n'avait pas émis de conditions relatives à la non-restitution des biens confisqués entre 1945 et 1949 lors des négociations sur l'unification allemande.
20.  La Cour constitutionnelle, en confirmant son premier arrêt de principe sur la réforme agraire, estima notamment que le gouvernement de la RFA avait disposé d'une grande marge d'appréciation lors des négociations relatives à la réunification allemande. Partant, dans la mesure où la Cour constitutionnelle était compétente pour en connaître, le fait que le gouvernement de la RFA avait considéré, eu égard aux positions de l'Union soviétique et de la RDA quant aux expropriations effectuées dans le cadre de la réforme agraire, qu'il ne fallait plus revenir sur les expropriations effectuées entre 1945 et 1949, n'était pas contraire à ses obligations.
c)  L'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 22 novembre 2000
21.  Le 29 juin 1995, certains requérants saisirent la Cour constitutionnelle fédérale afin qu'elle statue sur la question de l'écart de valeur entre la réparation par le biais de la restitution des biens et la réparation par le versement d'une indemnisation ou d'une compensation ; les demandeurs estimèrent que certaines dispositions de la loi sur les indemnisations et compensations étaient contraires à la Loi fondamentale dans la mesure où elles prévoyaient en règle générale le versement de prestations inférieures à la valeur marchande actuelle des biens expropriés ou à restituer d'après la loi sur le patrimoine.
22.  Le 28 mars 2000, la Cour constitutionnelle fédérale tint une audience au cours de laquelle elle entendit les demandeurs ainsi que le gouvernement de la RFA et tous les gouvernements des Länder situés sur l'ancien territoire de la RDA.
23.  Le 22 novembre 2000, la première chambre (Senat) de la Cour constitutionnelle fédérale, comprenant huit juges, rendit le troisième arrêt de principe sur la réforme agraire, en relevant d'emblée qu'elle n'était pas appelée à examiner la constitutionnalité de la réparation des injustices commises par un autre Etat sous l'angle de la protection du droit de propriété garanti par l'article 14 de la Loi fondamentale. Les dispositions de la loi sur les indemnisations et compensations n'avaient pas porté atteinte au droit de propriété des requérants, car ni la Déclaration commune des deux Etats allemands ni la version initiale de l'article 9 de la loi sur le patrimoine n'avaient créé des droits concrets protégés par l'article 14 de la Loi fondamentale pour les victimes d'expropriations par la RDA et par la force d'occupation soviétique.
Dès lors, la Cour constitutionnelle n'était appelée à examiner la constitutionnalité de la loi sur les indemnisations et compensations qu'à la lumière des principes de l'Etat social et de l'Etat de droit (article 20 §§ 1 et 3 de la Loi fondamentale) et de celui de l'interdiction de l'arbitraire (article 3 § 1 de la Loi fondamentale). Elle précisa qu'en vertu du principe dit de l'Etat social la communauté étatique avait l'obligation de répartir les charges supportées par certaines catégories de personnes au moyen d'une loi, qui elle seule établirait alors des droits concrets d'indemnisation ou de compensation pour les victimes. Pour de la mise en place de ce système, le législateur disposait d'une très large marge d'appréciation en ce qui concernait à la fois la nature et l'ampleur des réparations accordées. Ainsi le législateur pouvait fixer le montant des indemnisations ou compensations en fonction des moyens financiers à sa disposition, en tenant aussi compte de ses autres charges et dépenses.
24.  La Cour constitutionnelle se pencha ensuite sur l'examen des différentes dispositions de la loi sur les indemnisations et compensations.
i.  La loi sur les indemnisations
25.  La Cour constitutionnelle constata, à l'unanimité, que les articles 1 (modalités de versement des indemnités) et 3 § 1 (base de calcul des indemnisations) de cette loi étaient conformes à la Loi fondamentale.
En effet, il y avait des raisons objectives d'appliquer un traitement différent aux personnes disposant d'un droit à restitution et à celles disposant d'un droit à indemnisation. Les restitutions visaient à mettre en place de nouvelles structures de propriété dans les Länder situés sur l'ancien territoire de la RDA, alors que, pour le versement des indemnisations, l'Etat pouvait prendre en compte les moyens financiers à sa disposition ainsi que les autres fonds engagés pour des mesures de reconstruction. Etant donné que la réunification s'était effectuée très rapidement, entraînant une forte augmentation du prix des biens immobiliers, un remboursement correspondant à la valeur actuelle des biens n'était pas réalisable sur le plan financier ; de plus, même les personnes à qui on avait restitué leurs biens n'en recevaient pas toujours la valeur totale, eu égard à l'état dans lequel ils se trouvaient. Celles d'entre elles qui disposaient de terrains sur lesquels elles n'avaient qu'un droit d'usufruit en vertu du droit de la RDA subissaient également une perte financière importante. De même, le versement des sommes à une date ultérieure était acceptable à titre de transaction entre les intérêts de l'Etat et ceux des personnes concernées.
26.  Puis la Cour constitutionnelle estima, par quatre voix contre quatre – en vertu de l'article 15 § 4, troisième phrase, de la loi sur la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgerichtsgesetz), lorsqu'il y a égalité des voix, aucune violation de la Loi fondamentale ne peut être établie –, que l'article 7 § 1 de cette loi (diminution des droits à indemnisation de manière progressive en fonction de la valeur des biens) était également conforme à la Loi fondamentale.
27.  D'après quatre juges, cette disposition ne méconnaissait pas le principe de l'interdiction de l'arbitraire, car le législateur n'était pas tenu de se fonder sur la valeur réelle des biens pour fixer le montant des indemnisations : il lui fallait également prendre en considération la relation entre l'indemnisation et d'autres mesures de réparation ou de réhabilitation entreprises, ainsi que d'autres dépenses prioritaires liées à la réunification allemande, comme la mise en place d'infrastructures dans les secteurs de la communication, de l'information et de l'éducation, et la lutte contre le chômage dans l'ancien territoire de la RDA. Il lui fallait en outre tenir compte du fait que de nombreuses personnes avaient subi d'autres injustices en RDA telles que des atteintes à la liberté, la santé ou la carrière, et qui ne pouvaient être indemnisées de la même manière. L'Etat ne pouvait soutenir ces personnes que grâce à des mesures étatiques visant à leur accorder les mêmes chances et les mêmes conditions de vie que celles existant dans le reste de l'Allemagne.
28.  Les quatre autres juges émirent une opinion dissidente. D'après eux, il devait exister une relation réelle entre le montant des indemnisations et la valeur des biens expropriés, ce qui n'était plus le cas si le montant de l'indemnisation était inférieur de 50 % à la valeur du bien.
C'est pourquoi, pour des raisons de protection sociale des personnes les moins fortunées, les pourcentages de diminution étaient encore acceptables pour les droits à indemnisation inférieurs à 90 000 marks allemands (DEM), ainsi que pour les droits à indemnisation supérieurs à 500 000 DEM. En revanche, tel n'était plus le cas pour les droits à indemnisation situés entre 90 000 et 500 000 DEM, où il n'existait pas de motifs objectifs justifiant une diminution aussi importante des indemnisations. Il s'agissait là surtout de maisons individuelles ou de petits immeubles et il convenait, par solidarité sociale, d'accorder à cette catégorie de personnes des indemnisations encore appréciables qui ne devraient pas être inférieures à 50 % de leurs droits. Les raisons financières invoquées ne sauraient justifier une réduction aussi drastique du montant des indemnisations ; de plus, le législateur pourrait prévoir des solutions alternatives comme l'attribution de terrains de substitution à des conditions avantageuses.
ii.  La loi sur les compensations
29.  La Cour constitutionnelle indiqua que la limitation des compensations aux personnes physiques ne méconnaissait pas le principe de l'Etat social. En effet, il ne s'imposait pas de réserver un traitement identique aux ayants droit visé par la loi sur le patrimoine, étant donné que cette loi ne s'appliquait qu'à des personnes disposant au départ d'un droit à restitution, mais où une restitution se révélait impossible en pratique ou n'était pas souhaitée. En revanche, d'après la loi sur les compensations, un droit à restitution pour les personnes victimes d'expropriations entre 1945 et 1949 était exclu par principe.
30.  Elle considéra ensuite que le fait que la nature et le montant des compensations étaient réglés selon les mêmes modalités que dans la loi sur le patrimoine ne méconnaissait pas non plus la Loi fondamentale.
31.  Elle dit aussi, par sept voix contre une, que tenir compte des charges pesant sur les terrains dans le calcul des compensations était conforme à la Loi fondamentale.
Il en allait de même pour la prise en considération des sommes reçues à titre de dédommagement, intérêts compris, en vertu de la loi sur la péréquation des charges au profit des victimes de guerre (Lastenausgleichsgesetz – paragraphe 50 ci-dessous).
32.  La Cour constitutionnelle ajouta que le programme d'acquisition de certains terrains (Flächenerwerbsprogramm – paragraphe 54 ci-dessous) ne méconnaissait ni le principe de l'Etat de droit ni celui de l'interdiction de l'arbitraire, car le législateur poursuivait deux objectifs : d'une part, permettre à ceux dont les domaines agricoles ou forestiers avaient été expropriés de les réaménager à des conditions préférentielles et, d'autre part, mettre en place un programme de soutien pour l'agriculture et les eaux et forêts dans les Länder situés sur l'ancien territoire de la RDA.
d)  L'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 4 juillet 2003
33.  Dans son quatrième arrêt de principe sur la réforme agraire, la Cour constitutionnelle fédérale estima que l'exclusion du droit à réhabilitation administrative assortie d'une restitution de biens pour les personnes victimes d'expropriations entre 1945 et 1949 (article 1 § 1, troisième phrase, de la loi sur la réhabilitation administrative combiné avec l'article 1 § 8 de la loi sur le patrimoine – paragraphes 59 et 43 ci-dessous) ne méconnaissait pas la Loi fondamentale.
34.  Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle se référa aux deux arrêts de principe de la Cour administrative fédérale du 21 février 2002, qui s'était exprimée en ces termes :
« 2.  Par le renvoi à l'article 1 § 8 de la loi sur le patrimoine, l'applicabilité de la loi sur la réhabilitation administrative est exclue dès lors qu'il s'agit d'expropriations opérées en vertu des lois d'occupation ou des pouvoirs des autorités d'occupation (1 § 8 a)). Cela concerne aussi les mesures d'expropriation que vise l'article 1 § 1, première phrase, de la loi sur la réhabilitation administrative. L'article 1 § 1, troisième phrase, de cette loi ne se limite pas à rappeler que les cas de figure énoncés à l'article 1 § 8 de la loi sur le patrimoine font aussi partie des mesures au sens de l'article 1 § 1, deuxième phrase, qui, elles, ne tombent pas dans le champ d'application de la loi sur la réhabilitation administrative. Un tel renvoi n'était pas nécessaire. Cet article précise plutôt que les expropriations effectuées en vertu des lois d'occupation ou des pouvoirs des autorités d'occupation, à l'exception des cas mentionnés ci-dessous (sous 2.2), ne peuvent en aucun cas être annulées ; à cet égard, peu importe par laquelle des deux lois elles seraient régies si la clause n'existait pas (...)
2.1.  Cette interprétation se trouve confirmée par les travaux préparatoires de la loi sur la réhabilitation administrative. Ainsi, à propos de l'article 1 § 1, troisième phrase, le gouvernement a exposé ceci :
« [Par cette disposition] deux types d'expropriation sont exclus du champ d'application de la loi sur le patrimoine et de la loi sur la réhabilitation administrative : les expropriations sans indemnisation dans l'industrie au bénéfice des Länder de la zone d'occupation soviétique, et celles opérées dans le cadre de la prétendue réforme agraire démocratique. Ce choix était dû à l'attitude décisive de l'Union soviétique d'après laquelle les expropriations survenues sous son occupation ne relevaient pas, au regard du droit international public, de l'appréciation des deux Etats allemands et ne devaient pas être touchées [unangetastet]. Cela devait être respecté aussi dans le cadre de la loi sur la réhabilitation administrative. »
La loi part donc de l'idée que les deux types d'expropriation doivent être considérés comme une persécution injuste et doivent dès lors être susceptibles d'une réhabilitation aux termes de la nouvelle loi si la clause d'exclusion n'est pas insérée. Le législateur s'est décidé à accorder une compensation pour toute atteinte illégale à la propriété sous l'occupation selon la loi sur les compensations, et ce indépendamment du caractère persécuteur des mesures en question. Au vu de ces considérations, aucune conclusion différente ne peut être tirée en l'espèce.
2.2.  Le requérant ne peut pas se prévaloir de l'article 1 § 7 de la loi sur le patrimoine auquel renvoie l'article 1 § 8 a) de cette loi combiné avec l'article 1 § 1, troisième phrase, de la loi sur la réhabilitation administrative. Certes, cette clause permet aussi la restitution des biens qui ont été confisqués en vertu des lois d'occupation ou des autres pouvoirs des autorités d'occupation, mais elle exige que la décision d'expropriation ait été annulée en vertu d'autres dispositions. Or une autre disposition ne peut pas être trouvée dans la loi sur la réhabilitation administrative, précisément en raison de la clause d'exclusion. Si en l'espèce l'annulation [de la mesure d'expropriation] n'est pas possible, le renvoi par l'article 1 § 1, troisième phrase, ne peut se référer qu'à la clause d'exclusion illimitée, c'est-à-dire à l'article 1 § 8 a), première phrase, de la loi sur le patrimoine. Dès lors, la réhabilitation en vertu de la loi sur la réhabilitation administrative des types d'expropriation comme en l'espèce est expressément exclue aux termes des dispositions de cette loi. Il s'ensuit que le requérant ne peut demander l'annulation de la décision d'expropriation du bien de son père. »
35.  La Cour constitutionnelle considéra que l'interprétation que la Cour administrative fédérale avait donnée à la clause d'exclusion consacrée par l'article 1 § 1, troisième phrase, de la loi sur la réhabilitation administrative, après avoir examiné son libellé et son objectif, n'était pas entachée d'arbitraire. Elle souligna qu'en insérant cette phrase dans l'article 1 § 1 le législateur avait eu principalement pour intention d'éviter que l'exclusion du droit à restitution prévue à l'article 1 § 8 de la loi sur le patrimoine fût contournée par la loi sur la réhabilitation administrative.
36.  Par ailleurs, la Cour constitutionnelle compara la situation du requérant notamment à celle des héritiers des personnes qui avaient été condamnées pénalement et qui pouvaient prétendre à une réhabilitation en vertu de la loi sur la réhabilitation pénale, et demander la restitution des biens en question si la réhabilitation concernait également ceux-ci. Or le requérant ne pouvait se prévaloir d'une telle réhabilitation car le bien de son père avait été confisqué sans qu'il y eût une condamnation pénale ; sa réhabilitation administrative se heurtait à la clause d'exclusion de l'article 1 § 1, troisième phrase, de la loi sur la réhabilitation administrative.
La Cour constitutionnelle estima que le traitement différent appliqué au requérant était justifié parce qu'il existait des raisons objectives à cet égard. En effet, une condamnation pénale portait une atteinte beaucoup plus intense et plus grave à la sphère de liberté d'une personne qu'une mesure sous forme d'une décision administrative. En témoignait notamment la variété de sanctions dont disposaient les juridictions pénales, allant des peines d'emprisonnement et d'autres atteintes à la liberté de la victime jusqu'à la peine capitale, y compris des peines patrimoniales. En règle générale, une personne qui avait subi une sanction pénale avait davantage besoin d'une réhabilitation que celle n'ayant subi qu'une expropriation qui visait en premier lieu son patrimoine. Ne prêtait dès lors pas à critique au regard du droit constitutionnel le fait que les autorités allemandes avaient considéré que la condamnation pénale d'une personne constituait une ingérence si grave qu'à la différence des expropriations administratives elle justifiait la restitution des biens confisqués dans le cadre d'une procédure de réhabilitation.
37.  La Cour constitutionnelle conclut que l'interprétation de l'article 1 § 1, troisième phrase, de la loi sur la réhabilitation administrative et son application au cas d'espèce ne se heurtaient pas aux principes de l'Etat social et de l'Etat de droit, prévus à l'article 20 §§ 1 et 3 de la Loi fondamentale. Sur ce point, elle rappela que les héritiers des victimes d'expropriations opérées en vertu des lois d'occupation ou des pouvoirs des autorités d'occupation n'étaient pas déchus de tout droit à réparation pour l'injustice subie, mais bénéficiaient d'une compensation conformément à la loi sur les compensations étatiques pour les expropriations décidées en vertu des lois d'occupation ou des autres pouvoirs des autorités d'occupation/loi sur les compensations (Gesetz über staatliche Ausgleichsleistungen für Enteignungen auf besatzungsrechtlicher oder besatzungshoheitlicher Grundlage), dont elle avait constaté la conformité à la Loi fondamentale dans son arrêt du 22 novembre 2000.
B.  Le droit et la pratique internes pertinents
1.  La Déclaration commune de la RFA et de la RDA du 15 juin 1990 sur la réglementation des questions patrimoniales en suspens
38.  Les passages pertinents de cette déclaration commune sont ainsi libellés :
« La division de l'Allemagne, les migrations de population d'Est en Ouest qui y sont liées et les différents systèmes juridiques dans les deux Etats allemands ont entraîné de multiples problèmes relatifs au droit de propriété, qui touchent de nombreux citoyens de la République démocratique allemande et de la République fédérale d'Allemagne.
Dans la recherche d'une solution aux questions patrimoniales en suspens, les deux gouvernements jugent nécessaire de ménager un juste équilibre, sur le plan social, entre des intérêts contradictoires. La sécurité et la clarté juridiques, ainsi que le droit de propriété, sont les principes qui guideront les gouvernements de la République démocratique allemande et de la République fédérale d'Allemagne dans le règlement des questions patrimoniales en suspens. Seule cette démarche permettra de garantir de manière durable la paix juridique [Rechtsfrieden] dans la future Allemagne unie.
Les deux gouvernements allemands s'accordent sur les principes fondamentaux [Eckwerte] suivants :
1.  Les expropriations effectuées en vertu des lois d'occupation ou des autres pouvoirs des autorités d'occupation [entre 1945 et 1949] ne seront plus remises en cause [die Enteignungen auf besatzungsrechtlicher bzw. besatzungshoheitlicher Grundlage sind nicht mehr rückgängig zu machen]. Les gouvernements de l'Union soviétique et de la République démocratique allemande ne voient aucun moyen de revenir sur les mesures prises à cette époque. Le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne prend acte de cet avis à la lumière de l'évolution historique. Il estime que la décision définitive sur d'éventuelles compensations [etwaige staatliche Ausgleichsleistungen] à verser par l'Etat doit être laissée à l'appréciation du futur Parlement allemand.
3.  En principe, sous réserve des cas prévus aux points a) et b), les biens fonciers expropriés sont restitués aux anciens propriétaires ou à leurs héritiers.
a)  La restitution de terrains et d'immeubles dont le mode d'exploitation ou l'affectation ont été modifiés, notamment s'ils ont été attribués à l'usage de la population, utilisés pour la construction de logements et d'ensembles de logements, affectés à un usage commercial ou incorporés à une nouvelle entreprise, est impossible par nature.
Ces cas donnent lieu au versement d'une indemnisation, si cela n'a pas déjà été fait en vertu des dispositions applicables aux citoyens de la République démocratique allemande.
b)  Quand des citoyens de la République démocratique allemande ont acquis de bonne foi la propriété ou le droit d'usage [dingliche Nutzungsrechte] de biens immobiliers, il convient de rétablir un équilibre socialement acceptable [sozialverträglicher Ausgleich] pour les anciens propriétaires, soit en leur attribuant des terrains [Grundstücke] d'une valeur comparable, soit en leur versant une indemnisation.
Il en va de même pour le patrimoine foncier cédé à des tiers par l'Etat quand il en assurait la gestion fiduciaire. Ces points nécessitent des éclaircissements.
c)  Dans la mesure où les anciens propriétaires ou leurs héritiers ont droit à une restitution, ils peuvent opter, à la place de la restitution, pour une indemnisation.
9.  La RDA mettra en place les conditions légales pour corriger, au moyen d'une procédure judiciaire [justizförmiges Verfahren], les confiscations de biens effectuées dans le cadre de procédures pénales contraires à l'Etat de droit. »
2.  Le Traité sur l'unification allemande
39.  La Déclaration commune est devenue partie intégrante du Traité d'unification (Einigungsvertrag) du 31 août 1990, dont les dispositions pertinentes sont ainsi rédigées :
Article 3  Entrée en vigueur de la Loi fondamentale
« A la date à laquelle l'adhésion prend effet, la Loi fondamentale de la République fédérale d'Allemagne (...) entrera en vigueur dans les Länder de Brandebourg, Mecklembourg-Poméranie occidentale, Saxe, Saxe-Anhalt et Thuringe, ainsi que dans la partie du Land de Berlin où elle n'était pas appliquée jusqu'à présent, avec les modifications résultant de l'article 4, pour autant que le présent traité ne dispose pas autrement. »
Article 4  Modifications de la Loi fondamentale résultant de l'adhésion
« La Loi fondamentale de la République fédérale d'Allemagne sera modifiée comme suit :
4.  Le texte de l'article 135a devient le paragraphe 1. Ce paragraphe sera suivi du paragraphe ainsi libellé :
« 2.  Le paragraphe 1 s'appliquera par analogie aux obligations de la République démocratique allemande ou de ses entités ainsi qu'aux obligations de la Fédération (...) en rapport avec le transfert de biens de la République démocratique allemande à la Fédération (...) et aux obligations qui reposent sur des mesures arrêtées par la République démocratique allemande ou ses entités. »
5.  Le nouvel article 143 suivant sera ajouté à la Loi fondamentale :
« 1.  Le droit exercé sur le territoire visé à l'article 3 du Traité d'unification pourra déroger jusqu'au 31 décembre 1992 au plus tard aux dispositions de la présente Loi fondamentale, dans la mesure où et aussi longtemps que, en conséquence des conditions différentes, l'adaptation intégrale à l'ordre constitutionnel ne pourra être réalisée. Les dérogations ne doivent pas contrevenir au paragraphe 2 de l'article 19 et doivent être compatibles avec les principes mentionnés au paragraphe 3 de l'article 79.
2.  Les dérogations aux sections II, VIII, VIIIa, IX, X et XI sont autorisées au plus tard jusqu'au 31 décembre 1995.
3.  Indépendamment des paragraphes 1 et 2, l'article 41 du Traité d'unification et les dispositions relatives à son application resteront également en vigueur dans la mesure où ils assurent l'irréversibilité des interventions dans la propriété opérées sur le territoire visé à l'article 3 de ce traité. »
Article 17  Réhabilitation
« Les Parties contractantes réitèrent leur intention de créer immédiatement une base légale pour permettre la réhabilitation de personnes victimes d'une poursuite pénale politique ou d'une décision judiciaire contraire à l'Etat de droit et à la Constitution. La réhabilitation de ces victimes du régime injuste du Parti socialiste unifié de la RDA [Sozialistische Einheitspartei Deutschlands – SED] doit être accompagnée d'une réglementation adéquate en matière d'indemnisation. »
Article 41  Réglementation des questions patrimoniales
« 1.  La Déclaration commune du gouvernement de la République fédérale d'Allemagne et du gouvernement de la République démocratique allemande du 15 juin 1990 sur la réglementation des questions patrimoniales en suspens (Annexe III) fera partie intégrante du présent traité.
3.  Pour le reste, la République fédérale d'Allemagne ne promulguera pas de dispositions légales contraires au point 1 de la Déclaration commune susmentionnée. »
40.  Les principes fondamentaux sur les questions de propriété énoncés dans la Déclaration commune ont par la suite été mis en application par le législateur, d'abord dans la loi sur le patrimoine du 23 septembre 1990, puis dans la loi sur les indemnisations et compensations du 27 septembre 1994.
3.  La loi sur la réglementation des questions patrimoniales en suspens/ loi sur le patrimoine
41.  Le 29 septembre 1990 entra en vigueur la loi sur le patrimoine du 23 septembre 1990, qui devait également faire partie du Traité d'unification. Selon ce dernier, la loi sur le patrimoine continuerait d'exister en Allemagne après la réunification des deux Etats allemands le 3 octobre 1990. Elle entendait régler les conflits relatifs à des biens situés sur le territoire de la RDA d'une manière acceptable sur le plan social, afin d'assurer de façon durable la paix juridique en Allemagne.
42.  L'article 1 § 7 dispose :
« Cette loi s'applique mutatis mutandis à la restitution des biens effectuée dans le cadre d'une annulation, prononcée en vertu d'autres dispositions [nach anderen Vorschriften], de décisions illégales dans le domaine du droit pénal, du droit administratif pénal et du droit administratif. »
43.  Dans sa partie pertinente, l'article 1 § 8 dispose :
« Cette loi ne s'applique (...) pas aux
a)  Expropriations de biens opérées en vertu des lois d'occupation ou des autres pouvoirs des autorités d'occupation ; les droits prévus aux paragraphes 6 et 7 de cet article demeurent intacts [bleiben unberührt] ;
44.  La loi sur le patrimoine prévoit en principe un droit à restitution pour les personnes ayant été victimes d'expropriations illégales à l'époque de la RDA, à moins que la restitution ne se révèle impossible en pratique ou que les acquéreurs n'aient été de bonne foi (article 4 § 2 de la loi). Dans ce dernier cas, les anciens propriétaires ont droit à une indemnisation d'après la loi du 27 septembre 1994 sur l'indemnisation conformément à la loi sur la réglementation des questions patrimoniales en suspens/loi sur les indemnisations (Gesetz über die Entschädigung nach dem Gesetz zur Regelung offener Vermögensfragen/Entschädigungsgesetz).
45.  Dans les versions initiales de la loi sur le patrimoine (de 1990, de 1994 et de 1997), l'article 9 était ainsi rédigé :
« si la restitution se révèle impossible en raison de l'acquisition par des tiers de bonne foi, l'indemnisation peut se faire par le transfert de terrains si possible de valeur comparable [durch Übereignung von Grundstücken mit möglichst vergleichbarem Wert]. Si cela est impossible, l'indemnisation est accordée conformément aux dispositions de la loi sur les indemnisations. »
46.  Par une loi du 15 septembre 2000, cet article fut abrogé.
4.  La loi sur les indemnisations conformément à la loi sur la réglementation des questions patrimoniales en suspens et sur les compensations étatiques pour les expropriations décidées en vertu des lois d'occupation ou des autres pouvoirs des autorités d'occupation/loi sur les indemnisations et compensations
47.  La loi sur les indemnisations et compensations (EALG) du 27 septembre 1994 comprend elle-même notamment deux lois :
–  d'une part, la loi sur les indemnisations conformément à la loi sur la réglementation des questions patrimoniales en suspens/loi sur les indemnisations, qui règle les modalités d'indemnisation pour les expropriations qui ont eu lieu en RDA après 1949 si une restitution s'est révélée impossible ou si l'ayant droit a préféré recevoir une indemnisation ;
–  d'autre part, la loi sur les compensations étatiques pour les expropriations décidées en vertu des lois d'occupation ou des autres pouvoirs des autorités d'occupation/loi sur les compensations (Gesetz über staatliche Ausgleichsleistungen für Enteignungen auf besatzungsrechtlicher oder besatzungshoheitlicher Grundlage/Ausgleichsleistungsgesetz) qui règle les modalités de compensation pour les expropriations qui ont eu lieu entre 1945 et 1949 dans la zone d'occupation soviétique.
a)  La loi sur les indemnisations
48.  L'article 3 § 1 de la loi sur les indemnisations prévoit que la base de calcul pour le montant de l'indemnisation est la valeur unitaire, constatée avant tout dommage (en général la date de référence est 1935), multipliée par un facteur prévu par la loi.
49.  L'article 7 § 1 de la loi prévoit que si la base de calcul (après déduction des obligations à long terme et des prestations reçues) dépasse 10 000 DEM, le montant de l'indemnisation est diminué d'un certain pourcentage, qui augmente progressivement en fonction de la valeur unitaire établie au départ. Ainsi, ce pourcentage est de 30 % si les droits à indemnisation se situent entre 10 000 et 20 000 DEM, de 80 % si les droits à indemnisation se situent entre 100 000 et 500 000 DEM et de 95 % si les droits à indemnisation dépassent 3 millions de DEM.
50.  L'article 8 de la loi prévoit qu'il faut déduire du montant ainsi diminué les sommes reçues à titre de dédommagement, intérêts compris, en vertu de la loi sur la péréquation des charges au profit des victimes de guerre (Lastenausgleichsgesetz), qui avait trait à la réparation des dommages et pertes résultant notamment des expulsions et des destructions datant de la Seconde Guerre mondiale et de la période d'après-guerre dans la zone de l'Allemagne occupée par les Soviétiques.
51.  L'article 1 § 1 de la loi prévoit que les indemnisations seront versées sous la forme d'obligations transmissibles émises par l'Etat et amorties à compter de 2004 en cinq versements annuels avec un intérêt de 6 % l'an.
b)  La loi sur les compensations
52.  La loi sur les compensations ne comprend pas de base de calcul distincte, mais se réfère aux dispositions correspondantes de la loi sur les indemnisations.
53.  Les dispositions suivantes viennent cependant s'y ajouter.
54.  L'article 3 de la loi prévoit la possibilité d'acquérir certains domaines agricoles ou forestiers à des conditions préférentielles (Flächenerwerbsprogramm).
Les ayants droit sont par ordre de priorité les anciens et nouveaux « aménageurs » (Wieder- und Neueinrichter), c'est-à-dire d'une part les agriculteurs locaux qui ont réaménagé leurs anciennes exploitations, ainsi que des ayants droit d'après la loi sur les indemnisations ou la loi sur les compensations, et, d'autre part, les personnes qui n'ont jamais été agriculteurs mais qui souhaitent maintenant diriger une exploitation agricole et qui résidaient sur place au 3 octobre 1990.
Viennent ensuite les anciens propriétaires des domaines agricoles ou forestiers qui n'ont pas été rangés dans la première catégorie de personnes. Par ailleurs, les anciens propriétaires de domaines forestiers ne peuvent reprendre des domaines agricoles, alors que pour les anciens propriétaires de domaines agricoles, de telles restrictions ne s'appliquent pas aux domaines forestiers.
55.  L'article 5 § 2 prévoit que les biens meubles doivent être restitués aux anciens propriétaires, créant ainsi une exception au principe selon lequel les biens expropriés dans l'ancienne zone d'occupation soviétique en Allemagne ne peuvent être restitués. Cependant, les biens culturels destinés à être exposés au public seront mis gratuitement à la disposition de celui-ci ou de la recherche durant vingt ans.
5.  Les lois relatives à la réhabilitation
56.  En matière de réhabilitation, le législateur a adopté deux lois, celle relative à la réhabilitation pénale du 29 octobre 1992 et celle relative à la réhabilitation administrative du 23 juin 1994.
a)  La loi relative à la réhabilitation et à l'indemnisation des victimes de poursuites pénales illégales sur le territoire « d'adhésion » (Beitrittsgebiet)/loi relative à la réhabilitation pénale
57.  La loi relative à la réhabilitation pénale du 29 octobre 1992 prévoit la réhabilitation de personnes victimes de décisions et mesures pénales illégales.
58.  L'article 3 § 1 dispose que l'annulation d'une décision pénale illégale donne des droits en vertu de cette loi. L'article 3 § 1 prévoit notamment que si la confiscation d'un bien est annulée la restitution du bien s'effectue selon la loi sur le patrimoine.
b)  La loi relative à l'annulation de décisions administratives illégales sur le territoire « d'adhésion » et sur les droits qui en découlent/loi relative à la réhabilitation administrative
59.  L'article 1 § 1 de la loi relative à la réhabilitation administrative du 23 juin 1994 est ainsi libellé :
« Une mesure étatique d'une administration allemande [Verwaltungsentscheidung] prise dans un cas particulier sur le territoire mentionné à l'article 3 du Traité d'unification entre le 8 mai 1945 et le 2 octobre 1990, ayant entraîné un préjudice physique, ayant porté atteinte à une valeur patrimoniale (...), doit être annulée sur demande si elle est absolument [schlechthin] incompatible avec les principes d'un Etat de droit et si ses conséquences perdurent d'une manière grave et intolérable. Cette loi ne s'applique pas à des décisions administratives en matière d'impôts et à des mesures tombant dans le champ d'application de la loi sur le patrimoine ou de la loi sur les indemnisations conformément à la loi sur le patrimoine [Gesetz über die Entschädigung nach dem Gesetz zur Regelung offener Vermögensfragen/ Entschädigungsgesetz]. Cela est valable aussi pour les catégories de cas mentionnées à l'article 1 § 8 de la loi sur le patrimoine [Dies gilt auch für die in § 1 Abs. 8 des Vermögensgesetzes erwähnten Fallgruppen]. »
60.  L'article 7 § 1 de cette même loi dispose que si la mesure au sens de l'article 1 a eu pour conséquence la confiscation d'un bien, la restitution ou l'indemnisation du bien est régie notamment par la loi sur le patrimoine.
GRIEFS
61.  Les requérants soutiennent que la loi sur le patrimoine du 23 septembre 1990, la loi sur les indemnisations et compensations (EALG) du 27 septembre 1994 et l'arrêt de principe de la Cour constitutionnelle fédérale du 22 novembre 2000 ont porté atteinte à leur droit de propriété qui est garanti par l'article 1 du Protocole no 1 et dont ils disposaient au moment de la réunification allemande. Le montant des compensations ou indemnisations reçues serait très largement inférieur à la valeur réelle des biens dont ils avaient été illégalement expropriés.
62.  Ils considèrent aussi qu'ils sont victimes d'une discrimination au sens de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 1 du Protocole no 1, car, contrairement à d'autres catégories de personnes, ils n'ont pas pu faire valoir un droit à la restitution de leurs biens.
63.  Les requérants se plaignent en outre de la loi relative à la réhabilitation administrative du 23 juin 1994 et des décisions de la Cour administrative fédérale et de la Cour constitutionnelle fédérale respectivement du 16 mai et du 12 août 2002. Ils invoquent l'article 1 du Protocole no 1 pris isolément, ainsi que l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 1 du Protocole no 1 et avec l'article 8 de la Convention.
64.  Enfin, les requérants qui avaient saisi la Cour constitutionnelle fédérale estiment que la durée de la procédure devant celle-ci a dépassé le délai raisonnable prévu à l'article 6 § 1 de la Convention.
EN DROIT
A.  Article 1 du Protocole no 1
65.  Les requérants soutiennent que la loi sur le patrimoine du 23 septembre 1990, la loi sur les indemnisations et compensations (EALG) du 27 septembre 1994 et l'arrêt de principe de la Cour constitutionnelle fédérale du 22 novembre 2000 ont porté atteinte à leur droit de propriété garanti par l'article 1 du Protocole no 1, qui est ainsi rédigé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
Les requérants se plaignent également de la loi relative à la réhabilitation administrative du 23 juin 1994 ainsi que des décisions de la Cour administrative fédérale et de la Cour constitutionnelle fédérale respectivement du 16 mai et du 12 août 2002.
1.  Thèses des parties
a)  Le Gouvernement
66.  A titre principal, le Gouvernement soulève une exception d'incompatibilité ratione materiae des requêtes avec la Convention.
67.  Il se réfère à la jurisprudence de la Cour et soutient qu'il n'y a pas eu ingérence de l'Allemagne dans le droit de propriété des requérants protégé par l'article 1 du Protocole no 1.
D'une part, les requérants, qui avaient perdu leur propriété entre 1945 et 1949 ou entre 1949 et 1990, n'auraient pas disposé de droit de propriété d'après la législation applicable au 3 octobre 1990, date à laquelle la Convention est entrée en vigueur sur le territoire des nouveaux Länder en Allemagne. En ce qui concerne la question de la compatibilité de ces expropriations avec le droit international public, la Cour ne serait pas compétente pour examiner les circonstances des expropriations ou les effets continus produits par elles jusqu'à ce jour, comme elle l'a dit dans l'affaire Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne ([GC], no 42527/98, CEDH 2001-VIII). D'autre part, les requérants n'auraient pas eu non plus de droit de propriété ou d'espérance légitime d'obtenir des compensations ou des indemnisations d'un certain montant, basés sur la Déclaration commune de la RFA et de la RDA ou sur les arrêts de principe de la Cour constitutionnelle fédérale sur la réforme agraire.
Le Gouvernement ajoute que les requérants n'avaient par ailleurs pas eu d'espérance légitime fondée sur les débats au Parlement fédéral (Bundestag), car il était dans la nature d'un régime démocratique de débattre des différents systèmes d'indemnisation envisagés.
68.  Pour ce qui est des expropriations effectuées entre 1945 et 1949, le Gouvernement souligne que, quelle qu'ait pu être la position de l'Union soviétique à l'époque, il était incontesté que lors des négociations en vue de la réunification allemande, le Parlement librement élu de la RDA avait insisté pour préserver l'acquis de la réforme agraire mise en œuvre entre 1945 et 1949.
En ce qui concerne les requérantes personnes morales, le Gouvernement rappelle que si elles ne perçoivent effectivement aucune compensation, cela n'est pas le cas des porteurs de parts ou des actionnaires.
Par ailleurs, en matière de réhabilitation, le législateur aurait voulu opérer une distinction claire entre les réhabilitations administratives et les réhabilitations pénales, ces dernières se rapportant à des personnes victimes de condamnations pénales, qui, de par leur nature, revêtent plus de gravité que des décisions administratives. De même, le libellé de l'article 1 § 1, troisième phrase, de la loi relative à la réhabilitation administrative du 23 juin 1994, combiné avec l'article 1 § 8 de la loi sur le patrimoine, indiquerait clairement que le législateur avait cherché à éviter que l'exclusion de toute restitution figurant dans la Déclaration commune soit contournée par la loi relative à la réhabilitation administrative.
69.  Pour ce qui est des expropriations effectuées entre 1949 et 1990, le Gouvernement considère que si la Déclaration commune a effectivement fixé le principe de restitution des biens ou à défaut celui du versement d'indemnisations, ces principes ont par la suite été mis en application dans la loi sur le patrimoine du 23 septembre 1990 et la loi sur les indemnisations et compensations du 27 septembre 1994. Or les requérants n'auraient pas de droits ou d'espérance légitime qui iraient au-delà du cadre fixé par ces lois.
b)  Les requérants
70.  Les requérants soutiennent que les expropriations qui se sont déroulées entre 1945 et 1949 ou entre 1949 et 1990 étaient contraires au droit international public (notamment à l'article 46 du règlement de La Haye relatif aux lois et coutumes du droit de la guerre) ainsi qu'au droit de la RFA, et qu'il s'agissait même de « crimes contre l'humanité ». Ils invoquent le raisonnement de la Cour dans l'affaire Loizidou c. Turquie (fond) (arrêt du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI) pour affirmer que ces expropriations avaient constitué une violation continue de leur droit de propriété. De plus, la RFA n'aurait jamais reconnu ces expropriations ni sur le plan politique ni sur le plan juridique et tous les hommes politiques de la RFA n'auraient cessé de le réaffirmer.
71.  Les requérants considèrent dès lors qu'au moment de la réunification allemande ils avaient eu un droit de propriété au sens de l'article 1 du Protocole no 1 ou du moins une espérance légitime d'obtenir soit une restitution de leurs biens soit des compensations ou indemnisations adéquates. Cela découlerait également du libellé de la Déclaration commune ainsi que du premier arrêt de principe de la Cour constitutionnelle fédérale sur la réforme agraire. En refusant toute possibilité de restitution ou de réparation adéquate après la réunification, la RFA aurait procédé à une deuxième expropriation en violation du droit de propriété garanti à l'article 1 du Protocole no 1.
72.  S'agissant des expropriations effectuées entre 1945 et 1949, les requérants soutiennent qu'il a été établi que lors des négociations sur la réunification allemande, l'Union soviétique n'avait jamais posé de conditions sur la non-restitution des biens et encore moins sur le montant des compensations à verser.
De plus, ces expropriations étaient en réalité des persécutions politiques à caractère pénal et les requérants auraient disposé d'un droit à la réhabilitation pénale assortie de la restitution de leurs biens en vertu du point 9 de la Déclaration commune combiné avec l'article 17 du Traité d'unification. D'après l'article 1 § 7 de la loi sur le patrimoine, ils auraient disposé pour le moins d'un droit à une réhabilitation administrative assortie de la restitution de leurs biens.
En leur refusant toute possibilité de réhabilitation assortie d'une restitution de leurs biens, la RFA aurait également méconnu l'article 1 du Protocole no 1. Enfin, les requérantes personnes morales rappellent qu'elles ne disposent ni d'un droit à restitution ni d'un droit à compensation.
73.  Quant aux expropriations effectuées entre 1949 et 1990, les requérants considèrent que la Déclaration commune a fixé le principe de la restitution, ou à défaut celui de l'attribution d'un terrain de valeur équivalente ou celui du versement d'indemnisations. L'annulation ultérieure de l'article 9 de la loi sur le patrimoine aurait porté directement atteinte à leur droit de propriété.
2.  Appréciation de la Cour
a)  Récapitulation des principes pertinents
74.  La Cour rappelle les principes qui ont été établis dans sa jurisprudence relativement à l'article 1 du Protocole no 1 et qu'elle a récemment énoncés dans son arrêt Kopecký c. Slovaquie ([GC], no 44912/98, § 35, CEDH 2004-IX) :
a)  La privation d'un droit de propriété ou d'un autre droit réel constitue en principe un acte instantané et ne crée pas une situation continue de « privation d'un droit » (Malhous c. République tchèque (déc.) [GC], no 33071/96, CEDH 2000-XII, avec les références qui s'y trouvent citées).
b)  L'article 1 du Protocole no 1 ne garantit pas un droit à acquérir des biens (Van der Mussele c. Belgique, arrêt du 23 novembre 1983, série A no 70, p. 23, § 48, et Slivenko et autres c. Lettonie (déc.) [GC], no 48321/99, § 121, 23 janvier 2002).
c)  Un requérant ne peut alléguer une violation de l'article 1 du Protocole no 1 que dans la mesure où les décisions qu'il incrimine se rapportent à ses « biens » au sens de cette disposition. La notion de « biens » peut recouvrir tant des « biens existants » que des valeurs patrimoniales, y compris des créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une « espérance légitime » d'obtenir la jouissance effective d'un droit de propriété. En revanche, l'espoir de voir reconnaître un droit de propriété que l'on est dans l'impossibilité d'exercer effectivement ne peut être considéré comme un « bien » au sens de l'article 1 du Protocole no 1, et il en va de même d'une créance conditionnelle s'éteignant du fait de la non-réalisation de la condition (Prince Hans-Adam II de Liechtenstein précité, §§ 82-83, et Gratzinger et Gratzingerova c. République tchèque (déc.) [GC], no 39794/98, § 69, CEDH 2002-VII).
d)  L'article 1 du Protocole no 1 ne peut être interprété comme faisant peser sur les Etats contractants une obligation générale de restituer les biens leur ayant été transférés avant qu'ils ne ratifient la Convention. De même, l'article 1 du Protocole no 1 n'impose aux Etats contractants aucune restriction à leur liberté de déterminer le champ d'application des législations qu'ils peuvent adopter en matière de restitution de biens et de choisir les conditions auxquelles ils acceptent de restituer un droit de propriété aux personnes dépossédées (Jantner c. Slovaquie, no 39050/97, § 34, 4 mars 2003).
En particulier, les Etats contractants disposent d'une ample marge d'appréciation relativement à l'opportunité d'exclure certaines catégories d'anciens propriétaires de pareil droit à restitution. Là où des catégories de propriétaires sont ainsi exclues, une demande de restitution émanant d'une personne relevant de l'une de ces catégories est inapte à fournir la base d'une « espérance légitime » appelant la protection de l'article 1 du Protocole no 1 (voir, entre autres, Gratzinger et Gratzingerova, décision précitée, §§ 70-74).
En revanche, lorsqu'un Etat contractant, après avoir ratifié la Convention, y compris le Protocole no 1, adopte une législation prévoyant la restitution totale ou partielle de biens confisqués en vertu d'un régime antérieur, pareille législation peut être considérée comme engendrant un nouveau droit de propriété protégé par l'article 1 du Protocole no 1 dans le chef des personnes satisfaisant aux conditions de restitution. Le même principe peut s'appliquer à l'égard des dispositifs de restitution ou d'indemnisation établis en vertu d'une législation adoptée avant la ratification de la Convention si pareille législation demeure en vigueur après la ratification du Protocole no 1 (Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 125, CEDH 2004-V).
b)  Application des principes pertinents au cas d'espèce
i.  Considérations générales
75.  La Cour prend d'abord note du contexte historique dans lequel la réunification allemande s'est déroulée et la législation en cause fut adoptée. La chute du mur de Berlin, symbole de la division de l'Europe, le 9 novembre 1989, fut le début d'un vaste bouleversement politique dans les Etats d'Europe centrale et orientale, qui a conduit à l'instauration de régimes démocratiques dans ces Etats. En Allemagne, elle a abouti à la réunification, entrée en vigueur le 3 octobre 1990, par le biais de l'adhésion de la RDA à la RFA.
76.  A l'instar de ce qui s'est produit dans les autres Etats d'Europe centrale et orientale, le passage d'un régime communiste à un régime démocratique à économie de marché sur le territoire des nouveaux Länder a soulevé de nombreuses questions relatives au droit de propriété en Allemagne. La Déclaration commune de la RFA et de la RDA du 15 juin 1990 sur la réglementation des questions patrimoniales en suspens, à laquelle la RDA a souscrit après les premières élections démocratiques de son Parlement, et qui est devenue partie intégrante du Traité d'unification, a énoncé les principes fondamentaux à cet égard.
Ces principes ont par la suite été mis en application par le législateur dans la loi sur le patrimoine du 23 septembre 1990 et dans la loi sur les indemnisations et compensations du 27 septembre 1994. En matière de réhabilitation, le législateur a adopté la loi relative à la réhabilitation pénale du 29 octobre 1992, et celle relative à la réhabilitation administrative du 23 juin 1994.
La Cour constitutionnelle fédérale a constaté la conformité à la Loi fondamentale de ces différentes lois dans ses quatre arrêts de principe des 23 avril 1991, 18 avril 1996, 22 novembre 2000 et 4 juillet 2003 sur la réforme agraire.
77.  Or l'adoption de ces lois prévoyant la restitution de biens confisqués, le versement d'indemnisations ou de compensations ou la réhabilitation de personnes victimes de poursuites contraires à l'Etat de droit, a de toute évidence nécessité l'examen d'un grand nombre de questions d'ordre moral, juridique, politique et économique qui relèvent de l'intérêt public et pour lesquelles les Etats contractants disposent d'une ample marge d'appréciation. En particulier, la Cour réaffirme que la Convention n'impose aux Etats contractants aucune obligation spécifique de redresser les injustices ou dommages résultant d'actes commis à l'instigation d'une force d'occupation étrangère ou par un autre Etat. Cela vaut aussi pour la situation juridique d'un Etat tel que la RFA, qui est le successeur de cet autre Etat. De même, l'article 1 du Protocole no 1 n'impose aux Etats contractants aucune restriction à leur liberté de choisir les conditions auxquelles ils acceptent de restituer un droit de propriété aux personnes dépossédées ou de déterminer les modalités selon lesquelles ils acceptent de verser des indemnisations ou des compensations aux personnes concernées (voir, mutatis mutandis, Kopecký précité, §§ 37-38).
78.  En l'espèce, la Cour doit d'abord se pencher sur la question de l'applicabilité de l'article 1 du Protocole no 1. A cette fin, elle doit examiner, à la lumière des principes énoncés au paragraphe 74 ci-dessus, si les requérants avaient des « biens » au sens de l'article 1 du Protocole no 1, c'est-à-dire soit des « biens existants », soit des valeurs patrimoniales, y compris des créances, en vertu desquelles les requérants pouvaient prétendre avoir au moins une « espérance légitime » d'obtenir la jouissance effective d'un droit de propriété.
ii.  Sur la question de savoir si les requérants avaient des « biens » au sens de l'article 1 du Protocole no 1
79.  De toute évidence, la présente affaire ne porte pas sur des « biens existants » des requérants. Héritiers pour la plupart de personnes ayant été expropriées il y a longtemps, ils n'ont pas été en mesure d'exercer leurs droits de propriétaires sur les biens en cause depuis plus d'un demi-siècle dans la majorité des cas.
80.  Quant à l'allégation des requérants que ces expropriations avaient été contraires au droit international public, la Cour relève qu'elles ont eu lieu pendant deux périodes distinctes :
–  au cours des années 1945-1949, à l'instigation des forces d'occupation soviétiques en Allemagne. Or cette occupation de l'Allemagne n'était pas une occupation de guerre « ordinaire », mais une occupation sui generis, consécutive à une guerre, et à une capitulation sans conditions, conférant des pouvoirs de « souveraineté » aux forces occupantes. Ce régime particulier a été généralement reconnu sur le plan international ;
–  après 1949 en RDA, qui était un Etat distinct de la RFA, et largement reconnu sur le plan international vers la fin de son existence.
Les expropriations imputables à la RDA ont été entreprises à l'égard de ses propres ressortissants, de sorte qu'elles ne relèvent pas du droit international.
81.  La RFA n'encourt aucune responsabilité ni pour les actes commis à l'instigation des forces d'occupation soviétiques ni pour ceux perpétrés par un autre Etat à l'égard de ses propres ressortissants, même si elle a par la suite succédé à la RDA, car c'est en l'espèce d'obligations dites politiques qu'il s'agit.
82.  La Cour n'est donc pas compétente ratione temporis et ratione personae pour examiner les circonstances des expropriations ou les effets continus produits par elles jusqu'à ce jour (voir, mutatis mutandis, la décision Malhous précitée et la jurisprudence de la Commission, par exemple Mayer et autres c. Allemagne, nos 18890/91, 19048/91, 19049/91, 19342/92 et 19549/92, décision de la Commission du 4 mars 1996, Décisions et rapports 85-B, p. 5, ainsi que Prince Hans-Adam II de Liechtenstein précité, § 85).
83.  Dans ces conditions, il n'est nullement question d'une violation continue de la Convention imputable à la RFA et susceptible de déployer des effets sur les limites temporelles à la compétence de la Cour (voir, mutatis mutandis, Prince Hans-Adam II de Liechtenstein, loc. cit.).
84.  Il reste à la Cour à examiner si les requérants avaient une « espérance légitime » de voir se concrétiser une quelconque créance actuelle et exigible, à savoir d'obtenir soit la restitution de leurs biens, soit des compensations (pour les expropriations de 1945 à 1949) ou des indemnisations (pour les expropriations après 1949) d'un montant déterminé, en relation avec la valeur réelle de leurs biens.
α)  Les expropriations effectuées entre 1945 et 1949 dans la zone d'occupation soviétique en Allemagne
85.  En ce qui concerne la restitution, la Cour relève que la Déclaration commune de la RFA et de la RDA du 15 juin 1990 (paragraphe 38 ci-dessus) indique que « [l]es expropriations effectuées en vertu des lois d'occupation ou des autres pouvoirs des autorités d'occupation [entre 1945 et 1949] ne seront plus remises en cause ». Par la suite, la Cour constitutionnelle fédérale, dans son premier arrêt de principe du 23 avril 1991 sur la réforme agraire (paragraphes 12-18 ci-dessus), a confirmé que cette exclusion de tout droit à restitution ne méconnaissait pas la Loi fondamentale.
86.  Dès lors, il apparaît que les requérants ne disposent d'aucune base juridique sur laquelle ils pourraient fonder une espérance légitime d'obtenir la restitution de leurs biens. La Cour renvoie également à cet égard au raisonnement suivi par la Commission dans l'affaire Mayer et autres (décision précitée), dont l'objet était justement l'exclusion de toute restitution pour les expropriations effectuées entre 1945 et 1949.
87.  Pour ce qui est des compensations, la Cour note que la Déclaration commune dit que « [le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne] estime que la décision définitive sur d'éventuelles compensations à verser par l'Etat doit être laissée à l'appréciation du futur Parlement allemand ».
88.  Il en ressort que, contrairement à la conduite adoptée par le gouvernement polonais dans l'affaire Broniowski (arrêt précité, §§ 130-131), le gouvernement allemand a, au moment de la réunification, délibérément laissé ouvertes à la fois la question du principe même du versement de compensations et celle de leur montant éventuel.
89.  Ce n'est qu'ultérieurement que la loi sur les compensations, qui fait partie de la loi sur les indemnisations et compensations du 27 septembre 1994 (paragraphes 52-55 ci-dessus), a réglé en détail les modalités des compensations à verser aux anciens propriétaires des terrains et immeubles en question. Dans son troisième arrêt de principe du 22 novembre 2000 sur la réforme agraire (paragraphes 23-32 ci-dessus), la Cour constitutionnelle fédérale a estimé que cette loi ne méconnaissait pas la Loi fondamentale.
90.  Les requérants considèrent qu'ils avaient une espérance légitime de percevoir des compensations bien plus élevées, en relation avec la valeur réelle de leurs biens, en se référant notamment au premier arrêt de principe de la Cour constitutionnelle fédérale du 23 avril 1991 sur la réforme agraire. Dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle a dit que « s'il [le législateur] choisit une telle solution [pour les expropriations 1949-1990], il ne peut exclure toute réparation pour les expropriations effectuées en vertu des lois d'occupation ou des pouvoirs des autorités d'occupation [expropriations 1945-1949] ». Elle a ajouté que « la réglementation [de la Déclaration commune] ne comporte pas de critères relatifs au montant des compensations. Par ailleurs il ne ressort pas de la Loi fondamentale un principe imposant une réparation intégrale pour les expropriations en question dans la présente affaire (...) [I]l n'existe pas à l'origine une obligation constitutionnelle d'une réparation dont la valeur équivaudrait à une restitution. Toutefois, le législateur doit avoir égard à l'article 3 § 1 de la Loi fondamentale [principe d'égalité] lors de la réglementation globale portant sur les réparations ».
91.  Selon la Cour, les droits des requérants relatifs au montant des compensations qu'ils pouvaient légitimement s'attendre à percevoir ont été clairement établis par la loi sur les indemnisations et compensations du 27 septembre 1994.
92.  Il ne ressort ni du libellé de la Déclaration commune ni de la teneur de l'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 23 avril 1991 que les requérants avaient eu une « espérance légitime » allant au-delà du cadre fixé par cette loi, et fondée sur une réclamation pendante et exécutoire dont les requérants pouvaient escompter qu'elle serait admise (Jantner précité, § 29).
93.  En effet, dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle fédérale a au contraire mis l'accent sur l'ample marge d'appréciation dont dispose le législateur dans le cadre du règlement global des suites de la réunification allemande. Dans le calcul des indemnisations et compensations à verser aux héritiers des anciens propriétaires, le législateur était en droit de tenir compte de ses possibilités financières à la lumière du volume total des dommages à réparer. Il pouvait également prendre en considération les atteintes à des biens autres que le droit de propriété, comme la vie, la santé ou la liberté, ainsi que les tâches liées à la reconstruction du pays.
De même, dans son arrêt du 22 novembre 2000, la Cour constitutionnelle fédérale, en examinant la constitutionnalité de la loi sur les compensations et indemnisations à la lumière des principes de l'Etat social et de l'Etat de droit, a rappelé que la communauté étatique avait l'obligation de répartir les charges supportées par certaines catégories de personnes au moyen d'une loi qui elle seule établirait des droits concrets d'indemnisation ou de compensation. Elle a également souligné que, lors de la mise en place de ce système, le législateur disposait d'une très large marge d'appréciation en ce qui concernait à la fois la nature et l'ampleur des réparations accordées.
94.  Enfin, les prétentions des requérantes personnes morales échappent clairement aux dispositions de la loi sur les indemnisations et compensations, car elles n'ont aucun droit à compensation en vertu de cette loi. Dans son arrêt du 22 novembre 2000, la Cour constitutionnelle fédérale a considéré que cette exclusion ne méconnaissait pas la Loi fondamentale (paragraphe 29 ci-dessus). A cet égard, la Cour relève que les porteurs de parts ou les actionnaires de ces personnes morales disposaient, quant à eux, d'un droit à compensation en vertu de la loi sur les indemnisations et compensations.
95.  Pour ce qui est de la réhabilitation assortie d'une restitution, la Cour note que le législateur a adopté deux lois en la matière, la loi relative à la réhabilitation pénale du 29 octobre 1992 (paragraphes 57-58 ci-dessus), et la loi relative à la réhabilitation administrative du 23 juin 1994 (paragraphes 59-60 ci-dessus).
96.  Les requérants estiment que ces expropriations étaient en réalité des actes de persécution politique à caractère pénal, et qu'ils disposaient de droits à une réhabilitation pénale assortie de la restitution de leurs biens en vertu du point 9 de la Déclaration commune combiné avec l'article 17 du Traité d'unification (paragraphes 38-39 ci-dessus). Ils affirment surtout que, d'après l'article 1 § 7 de la loi sur le patrimoine (paragraphe 42 ci-dessus), ils disposaient pour le moins de droits à une réhabilitation administrative assortie de la restitution de leurs biens, dont ils avaient été privés par la clause d'exclusion insérée à l'article 1 § 1, troisième phrase, de la loi relative à la réhabilitation administrative (paragraphe 59 ci-dessus).
97.  Sur le premier point, la Cour rappelle que si la Déclaration commune ainsi que le Traité d'unification ont énoncé les principes fondamentaux, ceux-ci ont par la suite été mis en application par le législateur dans les différentes lois qui déterminent les droits concrets dont disposent les requérants. Or, en adoptant deux lois différentes en matière de réhabilitation, le législateur a voulu opérer une distinction entre les personnes victimes de décisions administratives et celles victimes de condamnations pénales, plus graves par nature. Dans son quatrième arrêt de principe du 4 juillet 2003 sur la réforme agraire (paragraphes 33-37 ci-dessus), la Cour constitutionnelle fédérale a considéré que la condamnation pénale d'une personne constituait une ingérence si grave qu'à la différence des expropriations administratives elle justifiait la restitution des biens confisqués dans le cadre d'une procédure de réhabilitation. Il se trouve qu'en l'occurrence les expropriations qui se sont déroulées entre 1945 et 1949 reposaient exclusivement sur des décisions administratives.
98.  Dès lors, les prétentions des requérants échappent clairement aux dispositions de la loi sur la réhabilitation pénale, et la Cour ne relève aucun arbitraire ou iniquité dans la distinction opérée par les autorités allemandes entre les personnes victimes de décisions administratives et celles victimes de condamnations pénales.
99.  Sur le deuxième point, la Cour rappelle que la Déclaration commune indique que « [l]es expropriations effectuées en vertu des lois d'occupation ou des autres pouvoirs des autorités d'occupation [entre 1945 et 1949] ne seront plus remises en cause ». L'article 41 du Traité d'unification, quant à lui, prévoit que « (...) la République fédérale d'Allemagne ne promulguera pas de dispositions légales contraires au point 1 de la Déclaration commune susmentionnée » (paragraphe 39 ci-dessus).
Par ailleurs, la Cour relève qu'il résulte de l'article 1 § 1, troisième phrase, de la loi relative à la réhabilitation administrative, combiné avec l'article 1 § 8 de la loi sur le patrimoine, que la loi relative à la réhabilitation administrative n'autorise pas la restitution des biens confisqués entre 1945 et 1949.
100.  Dans leurs arrêts de principe des 21 février 2002 et 4 juillet 2003, la Cour administrative fédérale et la Cour constitutionnelle fédérale ont confirmé cette exclusion de tout droit à restitution, malgré le libellé de l'article 1 § 7 de la loi sur le patrimoine. La Cour constitutionnelle fédérale a notamment rappelé qu'en insérant la troisième phrase dans l'article 1 § 1 de la loi sur la réhabilitation administrative, le législateur avait eu principalement pour intention d'éviter que l'exclusion du droit à restitution prévue à l'article 1 § 8 de la loi sur le patrimoine (et qui découle de l'exclusion figurant au point 1 de la Déclaration commune) fût contournée par la loi sur la réhabilitation administrative. Elle a ajouté que, pour les expropriations intervenues pendant cette période, les requérants avaient droit à une réparation au titre des compensations prévues dans la loi sur les indemnisations et compensations.
101.  Or la Cour rappelle que l'Etat dispose d'une ample marge d'appréciation dans l'adoption de telles lois et dans l'interprétation de celles-ci par les juridictions nationales (paragraphe 77 ci-dessus).
102.  Dès lors, on ne saurait affirmer que les requérants avaient une espérance légitime de pouvoir bénéficier d'une réhabilitation administrative assortie d'une restitution de leurs biens.
β)  Les expropriations effectuées après 1949 en RDA
103.  La Cour note que la Déclaration commune fixe le principe de restitution des biens confisqués, à moins qu'une telle restitution ne se révèle impossible ou que des tiers n'aient acquis ces biens de bonne foi. Dans ce dernier cas, dit la Déclaration commune, « il convient de rétablir un équilibre socialement acceptable pour les anciens propriétaires, soit en leur attribuant des terrains d'une valeur comparable soit en leur versant une indemnisation ». Ces principes ont par la suite été mis en application dans la loi sur le patrimoine du 23 septembre 1990 (paragraphes 41-45 ci-dessus) et dans la loi sur les indemnisations, qui fait partie de la loi sur les indemnisations et compensations du 27 septembre 1994. Dans son troisième arrêt de principe du 22 novembre 2000 sur la réforme agraire, la Cour constitutionnelle fédérale a estimé que ces lois ne méconnaissaient pas la Loi fondamentale.
104.  Les requérants considèrent qu'ils avaient une espérance légitime d'obtenir soit une restitution de leurs biens, soit un terrain de valeur équivalente, soit des indemnisations bien plus élevées, en relation avec la valeur réelle des biens. Ils se réfèrent à la Déclaration commune et à la version initiale de l'article 9 de la loi sur le patrimoine (paragraphe 45 ci-dessus), qui prévoyaient l'attribution de terrains de valeur équivalente, ainsi qu'au premier arrêt de principe de la Cour constitutionnelle fédérale du 23 avril 1991 sur la réforme agraire. Dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle a dit que « [p]our les expropriations sans indemnisation [entre 1949 et 1990], qui ne tombent pas sous le coup du point 1, quatrième phrase, de la Déclaration commune, le législateur a choisi une règle de réparation reposant sur le principe de la restitution de l'objet exproprié, ce qui peut être pertinent pour le montant d'une indemnisation à verser en lieu et place d'une restitution ».
105.  D'après la Cour, les droits des requérants relatifs aux conditions auxquelles ils pouvaient obtenir la restitution de leurs biens ont été clairement établis par la loi sur le patrimoine. A partir du moment où ces conditions n'étaient pas remplies, parce que la restitution se révélait impossible en pratique ou que des tiers avaient acquis leurs biens de bonne foi, les prétentions des requérants échappaient de toute évidence au champ d'application de la loi sur le patrimoine.
106.  Il en va de même pour les droits des requérants relatifs au montant des indemnisations qu'ils pouvaient légitimement s'attendre à percevoir, qui ont été clairement établis par la loi sur les indemnisations et compensations du 27 septembre 1994.
107.  Il ne ressort ni du libellé de la Déclaration commune ni de la teneur de l'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 23 avril 1991 que les requérants avaient eu une « espérance légitime » allant au-delà du cadre fixé par ces lois, fondée sur une réclamation pendante et exécutoire dont les intéressés pouvaient escompter qu'elle serait admise (Jantner précité, § 29).
108.  En effet, aussi bien le point 3 b) de la Déclaration commune que la version initiale de l'article 9 de la loi sur le patrimoine prévoient, comme alternative à la restitution, soit la possibilité de l'attribution de terrains de valeur équivalente, soit celle du versement d'indemnisations. De même, dans son arrêt du 23 avril 1991, la Cour constitutionnelle fédérale a simplement indiqué que le principe de restitution prévu pour les expropriations qui se sont déroulées entre 1949 et 1990 pouvait être pertinent pour le montant des indemnisations à verser.
109.  De plus, comme la Cour l'a dit plus haut (paragraphe 93), dans ses arrêts des 23 avril 1991 et 22 novembre 2000, la Cour constitutionnelle fédérale a mis l'accent sur l'ample marge d'appréciation dont dispose le législateur dans le cadre du règlement global des suites de la réunification allemande. La Cour constitutionnelle a par ailleurs explicitement réaffirmé que ni la Déclaration commune ni la version initiale de l'article 9 de la loi sur le patrimoine n'avaient créé des droits concrets protégés par l'article 14 de la Loi fondamentale (droit de propriété) pour les victimes d'expropriations par la RDA.
iii.  Conclusion
110.  La Cour rappelle que dans plusieurs affaires liées à la réunification allemande dont elle a eu à connaître, elle a évoqué le contexte unique de celle-ci et l'immense tâche à laquelle le législateur était confronté pour régler toutes les questions qui se sont nécessairement posées lors du passage d'un régime communiste à un régime démocratique d'économie de marché (voir, parmi beaucoup d'autres, Kuna c. Allemagne (déc.), no 52449/99, CEDH 2001-V).
En l'espèce, en décidant de réparer des injustices ou dommages résultant d'actes commis à l'instigation d'une force d'occupation étrangère ou par un autre Etat souverain, le législateur allemand a dû opérer certains choix à la lumière de l'intérêt public. A cet égard, en adoptant les lois relatives aux questions de propriété et de réhabilitation après la réunification allemande, il s'est entre autres fondé sur les notions de « juste équilibre, sur le plan social, entre des intérêts contradictoires », de « sécurité et de clarté juridiques », de « droit de propriété » et de « paix juridique » figurant dans la Déclaration commune. De même, dans son examen de la compatibilité de ces lois avec la Loi fondamentale, la Cour constitutionnelle fédérale s'est notamment référée aux principes de « l'Etat social et de l'Etat de droit » et à celui de « l'interdiction de l'arbitraire ».
111.  Or, comme la Cour l'a dit plus haut (paragraphe 77), dès lors qu'un Etat choisit de réparer les conséquences de certains actes incompatibles avec les principes caractérisant un régime démocratique, mais dont il n'est pas responsable, il dispose d'une ample marge d'appréciation dans la mise en œuvre de cette politique.
112.  En contestant la constitutionnalité de ces lois adoptées après la réunification allemande, les requérants espéraient obtenir soit la restitution de leurs biens, soit des compensations ou indemnisations en relation avec la valeur réelle de leurs biens. Toutefois, la croyance que les lois en vigueur seraient changées en leur faveur ne peut pas être considérée comme une forme d'espérance légitime au sens de l'article 1 du Protocole no 1. Comme la Cour l'a énoncé à de multiples reprises, il y a une différence entre un simple espoir, aussi compréhensible soit-il, et une espérance légitime, qui doit être de nature plus concrète et se fonder sur une disposition légale ou avoir une base jurisprudentielle solide en droit interne (voir notamment Gratzinger et Gratzingerova, décision précitée, § 73, et Kopecký précité, § 52). En l'espèce, ni la Déclaration commune ni le premier arrêt de principe de la Cour constitutionnelle fédérale sur la réforme agraire n'ont conféré aux requérants des droits qui iraient au-delà de ceux conférés par les lois litigieuses.
113.  La Cour en déduit que les requérants n'ont pas montré qu'ils étaient titulaires de créances suffisamment établies pour être exigibles et qu'ils ne peuvent donc pas se prévaloir de « biens » tels qu'envisagés par l'article 1 du Protocole no 1. Dès lors, ni les lois litigieuses ni les arrêts ou décisions de la Cour constitutionnelle fédérale s'y rapportant n'ont pu constituer une ingérence dans la jouissance de leurs biens, et les faits invoqués échappent au champ d'application de l'article 1 du Protocole no 1.
114.  Il s'ensuit que les griefs tirés de l'article 1 du Protocole no 1 sont incompatibles ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l'article 35 § 3, et doivent être rejetés en application de l'article 35 § 4.
B.  Article 14 de la Convention combiné avec l'article 1 du Protocole no 1
115.  Les requérants se disent aussi victimes d'une discrimination au sens de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 1 du Protocole no 1, car, contrairement à d'autres catégories de personnes, ils n'ont pu faire valoir un droit à restitution des biens dont ils avaient été expropriés illégalement et n'ont reçu qu'une compensation ou une indemnisation d'un montant négligeable.
L'article 14 de la Convention est ainsi rédigé :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
En particulier, les requérants héritiers des victimes d'expropriations entre 1945 et 1949 estiment avoir subi une discrimination par rapport à ceux qui ont été victimes d'expropriations entre 1949 et 1990 et qui ont pu récupérer leurs biens en vertu de la loi sur le patrimoine. Ils considèrent également qu'ils ont subi une discrimination par rapport à ceux qui ont pu bénéficier d'une réhabilitation pénale assortie d'une restitution de leurs biens.
Les requérants héritiers des victimes d'expropriations entre 1949 et 1990 qui n'ont pas pu récupérer leurs biens soutiennent avoir été l'objet d'une discrimination par rapport aux héritiers des victimes d'expropriations qui ont pu récupérer leurs biens.
116.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, l'article 14 de la Convention complète les autres clauses normatives de la Convention ou de ses Protocoles : il n'a pas d'existence indépendante puisqu'il vaut uniquement pour la « jouissance des droits et libertés » que ces clauses garantissent. Certes, il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, possède une portée autonome, mais il ne saurait trouver à s'appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l'empire de l'une au moins de ces clauses (Prince Hans-Adam II de Liechtenstein précité, § 91, et Gratzinger et Gratzingerova, décision précitée, § 76).
117.  Eu égard à la constatation de l'inapplicabilité de l'article 1 du Protocole no 1, la Cour conclut que l'article 14 de la Convention ne saurait être pris en compte en l'espèce.
118.  Il s'ensuit que les griefs tirés de l'article 1 du Protocole no 1, combiné avec l'article 14 de la Convention, sont également incompatibles ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l'article 35 § 3, et doivent être rejetés en application de l'article 35 § 4.
C.  Article 14 de la Convention combiné avec l'article 8
119.  L'un des requérants, héritier d'une personne victime d'expropriations entre 1945 et 1949, soutient que la loi sur la réhabilitation administrative du 23 juin 1994 ainsi que les décisions de la Cour administrative fédérale et de la Cour constitutionnelle fédérale respectivement du 16 mai et du 12 août 2002 ont aussi porté atteinte à l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 8. Ce dernier article est rédigé en ces termes :
« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
120.  La Cour doit d'abord se prononcer sur l'applicabilité de l'article 8 au cas d'espèce, compte tenu du caractère non autonome de l'article 14.
121.  Le requérant soutient que la loi sur la réhabilitation administrative tombe dans le champ d'application de l'article 8 et, notamment, que l'Etat avait des obligations positives à cet égard. En vertu de cet article, il considère qu'il avait droit à une réhabilitation administrative assortie d'une restitution de ses biens.
122.  La Cour relève tout d'abord, comme elle l'a déjà fait à propos de l'article 1 du Protocole no 1 (paragraphes 81-82 ci-dessus), que la RFA n'étant pas responsable des actes commis entre 1945 et 1949 à l'instigation d'une force d'occupation étrangère, la Cour n'est pas compétente ratione temporis pour examiner les circonstances de ces expropriations et leur atteinte éventuelle à l'article 8.
Quant à la loi relative à la réhabilitation administrative, adoptée après la réunification allemande, et aux décisions de la Cour administrative fédérale et de la Cour constitutionnelle fédérale s'y rapportant, la Cour estime que ce grief ne soulève pas de question distincte par rapport à celui formulé sur le terrain de l'article 1 du Protocole no 1.
123.  La Cour conclut donc à l'inapplicabilité de l'article 8 de la Convention, ce qui implique que l'article 14 ne saurait entrer en jeu en l'espèce.
124.  Il s'ensuit que les griefs tirés de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 8 sont également incompatibles ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l'article 35 § 3, et doivent être rejetés en application de l'article 35 § 4.
D.  Article 6 § 1 de la Convention
125.  Les vingt et un requérants qui avaient saisi la Cour constitutionnelle fédérale estiment que la durée de la procédure devant celle-ci a dépassé le délai raisonnable prévu à l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi rédigé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
126.  La Cour relève que les requérants se sont directement pourvus devant la Cour constitutionnelle fédérale, afin qu'elle statue sur la constitutionnalité de la loi sur les indemnisations et compensations.
127.  La période à considérer a débuté le 29 juin 1995, date à laquelle les requérants ont introduit leur pourvoi, et s'est achevée le 22 novembre 2000, date à laquelle la Cour constitutionnelle fédérale a rendu son arrêt. Elle a donc été de près de cinq ans et cinq mois.
128.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement des parties et des autorités concernées, ainsi que l'enjeu du litige pour les intéressés (Süβmann c. Allemagne, arrêt du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, pp. 1172-1173, § 48, Gast et Popp c. Allemagne, no 29357/95, § 64, CEDH 2000-II, et Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
129.  Le Gouvernement affirme que l'affaire revêtait une complexité considérable notamment du fait que le pourvoi des requérants était directement dirigé contre une loi. La Cour constitutionnelle fédérale agissait dès lors comme première et unique instance judiciaire, et devait procéder à un examen approfondi de tous les différents cas de figure se rapportant à la loi sur les indemnisations et compensations à l'aune de la Loi fondamentale. Or on ne saurait lui reprocher d'avoir procédé au regroupement de requêtes pendantes depuis 1995. Enfin, le Gouvernement conclut que les versements en question n'étant pas prévus avant 2004 d'après la loi sur les indemnisations et compensations, un traitement prioritaire ne s'imposait pas.
130.  Les requérants rétorquent que, compte tenu de l'importance des questions litigieuses, la Cour constitutionnelle fédérale aurait dû rendre une décision rapidement, comme elle l'avait fait pour son premier arrêt de principe du 23 avril 1991 sur la réforme agraire. Ces questions touchant des centaines de milliers de victimes, parmi lesquelles de nombreuses personnes très âgées, la Cour constitutionnelle aurait même dû traiter ces requêtes en priorité.
131.  La Cour relève d'abord que l'affaire s'inscrivait dans le cadre de quarante-deux recours devant la Cour constitutionnelle fédérale relatifs à la loi sur les indemnisations et compensations, et qu'elle soulevait des questions fondamentales sur les critères que le législateur avaient adoptés après la réunification pour dédommager les héritiers des personnes victimes d'expropriations pendant l'occupation soviétique ou en RDA. La très grande complexité de l'affaire est également démontrée par le fait que la Cour constitutionnelle fédérale a, sur une période de dix ans, rendu quatre arrêts de principe sur la réforme agraire. Avant de prononcer l'arrêt dont il s'agit, qui est le troisième arrêt de principe en la matière, elle a tenu une audience au cours de laquelle elle a entendu le gouvernement de la RFA et tous les gouvernements des Länder situés sur l'ancien territoire de la RDA.
132.  La Cour rappelle ensuite qu'elle a affirmé à maintes reprises que l'article 6 § 1 astreint les Etats contractants à organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent remplir chacune de ses exigences, notamment quant au délai raisonnable. Si cette obligation vaut aussi pour une Cour constitutionnelle, elle ne saurait cependant s'interpréter de la même façon que pour une juridiction ordinaire. Son rôle de gardien de la Constitution rend particulièrement nécessaire pour une Cour constitutionnelle de parfois prendre en compte d'autres éléments que le simple ordre d'inscription au rôle d'une affaire, telles la nature de celle-ci et son importance sur le plan politique et social. Par ailleurs, si l'article 6 prescrit la célérité des procédures judiciaires, il met aussi l'accent sur le principe, plus général, d'une bonne administration de la justice (Süβmann précité, p. 1174, §§ 55-56, Gast et Popp précité, § 75, et Goretzki c. Allemagne (déc.), no 52447/99, 24 janvier 2002).
133.  Etant donné l'importance, en l'espèce, de l'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale, dont l'impact allait bien au-delà des recours individuels, ce principe vaut particulièrement ici. Il apparaît également légitime que la Cour constitutionnelle fédérale ait regroupé tous les recours portant sur des questions similaires, afin d'avoir une vue d'ensemble, ce d'autant plus qu'elle agissait comme unique instance judiciaire.
134.  Par ailleurs, cette affaire s'inscrivait dans le cadre d'innombrables recours portés devant la Cour constitutionnelle fédérale à la suite de la réunification allemande (Süβmann précité, p. 1174, § 60).
135.  Enfin, l'enjeu de la procédure, indéniable pour les requérants, dont beaucoup sont très âgés, est également un facteur à prendre en considération. Cependant, les versements des indemnisations et compensations litigieuses n'étant de toute façon pas prévus avant 2004, l'enjeu n'était pas tel qu'il aurait pu imposer à la juridiction saisie d'agir avec une diligence exceptionnelle, comme c'est le cas pour certains types de litiges (ibidem, p. 1175, § 61 in fine, Gast et Popp précité, § 80, et Goretzki, décision précitée).
136.  A la lumière de l'ensemble des circonstances de la cause, et notamment du contexte unique de la réunification allemande, la Cour conclut qu'il n'y a pas eu dépassement du « délai raisonnable » prévu à l'article 6 § 1, et qu'il n'y a donc pas eu d'apparence de violation sur ce point.
137.  Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à la majorité,
Déclare les requêtes irrecevables.
Annexe
Liste des requérants
(La très grande majorité des requérants se plaignent d'expropriations entre 1945 et 1949. Les cinq requérants qui se plaignent d'expropriations après 1949 sont indiqués ci-dessous)
Requête no 71916/01
1. Wolf-Ulrich von Maltzan
2. Peter Ruess
3. Christoph von Schlippenbach
4. Jörg von Lüdinghausen
5. Christoph et Natascha von Winterfeld
6. Sophie Hesse
7. Wolfgang Hupertz
8. Hanno von Wulfen
9. Winfried von Schutzbar-Milchling
10. Marion Neumann
11. Jürgen Graue
12. Hannelore Wagner-Hepp
13. Jaspar von Maltzahn
14. Horst Fikentscher
15. Rosemarie von Einsiedel
16. Horst Apfel
17. Irmgard Knopf (après 1949)
18. Gerhard Heeren
19. Ralph Maennicke
20. Johann-Detloff Hesse
21. Marie-Louise von Rosen (Suédoise)
22. Gudrun Freiin von Sobeck
23. Ingeborg Vonhoff-Strehle 
24. Manfred von Maltzahn
25. Horst Gross
26. Anita Reiss (après 1949)
27. Maria von Maltzahn
28. Ursula Gross-Nilges
29. Franz Heuer
30. Fritz Hülsse
31. Rolf Martin
32. Dietrich von Werthern-Wiehe
33. Günter Stang
34. Bernhard von Plessen
35. Krafft von Rigal
36. Jürgen Quast
37. Anneliese Gronau
38. Gottfried Striegler
39. Irmgard Sturm
40. Ruth Barthel (avant et après 1949)
41. Hans-Wolfgang von Byern
42. Sabine Pommerehne
43. Hermann Koebe
44. Manfred Lorenz
45. Reginald Hansen
46. Christoph von Zehmen
47. Hans von Reiche
Requêtes nos 71917/01 et 10260/02
Personnes physiques
1. Margarete von Zitzewitz (après 1949)
2. Werner Klausser (après 1949)
3. Dora Baumgarten
4. Ingeborg Kretzmann
5. Hans Kathe
6. Wolfgang Kathe
7. Hans-Jochen Winterfeldt
8. Sabine Franke née Winterfeld
9. Ute Winterfeld
10. Hubertus von Heyden
11. Friedrich-Wilhelm Schaeper
12. Elard Schaeper
13. Elisabeth-Charlotte Wiersdorff
14. Iris Wiersdorff
15. Hans-Hennig Wiersdorff
16. Freia Wiersdorff
17. Swantje Jördening née Wiersdorff
18. Gebhard von Davier
19. Otto von Boynburgk
20. Joachim vom Dahl
21. Dieter vom Dahl
22. Erika Lauterbach née vom Dahl
Personnes morales
23. La fondation Alfred Toepfer-Stiftung F.V.S.
24. La société Deutsche Industrie-Anlagen Gesellschaft mbH, devenue par la suite Man Ferrostaal
DÉCISION VON MALTZAN ET AUTRES c. ALLEMAGNE
DÉCISION VON MALTZAN ET AUTRES c. ALLEMAGNE 
DÉCISION VON MALTZAN ET AUTRES c. ALLEMAGNE 
DÉCISION VON MALTZAN ET AUTRES c. ALLEMAGNE 35
VON MALTZAN AND OTHERS v. GERMANY DECISION 35
DÉCISION VON MALTZAN ET AUTRES c. ALLEMAGNE
DÉCISION VON MALTZAN ET AUTRES c. ALLEMAGNE 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 71916/01;71917/01;10260/02
Date de la décision : 02/03/2005
Type d'affaire : Décision
Type de recours : Exceptions préliminaires rejetées (non-épuisement des voies de recours internes, victime) ; Violation de l'art. 6-1 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire

Analyses

(Art. 34) VICTIME, (Art. 35-1) RECOURS INTERNE EFFICACE, (Art. 6) PROCEDURE ADMINISTRATIVE, (Art. 6-1) DROITS ET OBLIGATIONS DE CARACTERE CIVIL, (Art. 6-1) TRIBUNAL IMPARTIAL


Parties
Demandeurs : MALTZAN (FREIHERR VON) ET AUTRES
Défendeurs : ALLEMAGNE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2005-03-02;71916.01 ?
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