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17/03/2005 | CEDH | N°50196/99

CEDH | AFFAIRE BUBBINS c. ROYAUME-UNI


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE BUBBINS c. ROYAUME-UNI
(Requête no 50196/99)
ARRÊT
STRASBOURG
17 mars 2005
DÉFINITIF
17/06/2005
En l'affaire Bubbins c. Royaume-Uni,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. B. Zupančič, président,    J. Hedigan,   Sir Nicolas Bratza,   M. L. Caflisch,   Mme M. Tsatsa-Nikolovska,   M. V. Zagrebelsky,   Mme A. Gyulumyan, juges,  et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chamb

re du conseil le 27 novembre 2003 et le 24 février 2005,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date ...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE BUBBINS c. ROYAUME-UNI
(Requête no 50196/99)
ARRÊT
STRASBOURG
17 mars 2005
DÉFINITIF
17/06/2005
En l'affaire Bubbins c. Royaume-Uni,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. B. Zupančič, président,    J. Hedigan,   Sir Nicolas Bratza,   M. L. Caflisch,   Mme M. Tsatsa-Nikolovska,   M. V. Zagrebelsky,   Mme A. Gyulumyan, juges,  et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 novembre 2003 et le 24 février 2005,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 50196/99) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Theresa Bubbins (« la requérante »), a saisi la Cour le 25 mai 1999 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  La requérante a été représentée par Christian Fisher Solicitors, un cabinet d'avocats du barreau de Londres. Le gouvernement britannique (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents successifs, Mme R. Mandal et Mme E. Willmott, du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth.
3.  La requérante alléguait sous l'angle de l'article 2 de la Convention que les faits de la cause révélaient une violation du droit à la vie de son frère, Michael Fitzgerald.
4.  La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
5.  Par une décision du 27 novembre 2003, la chambre a déclaré la requête recevable.
6.  Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement). Chacune des parties a répondu par écrit aux observations et observations complémentaires de l'autre. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1). La présente requête a été attribuée à la troisième section telle que remaniée (article 52 § 1).
7.  Le 24 février 2005, la chambre a décidé, après consultation des parties, qu'il n'y avait pas lieu de tenir une audience consacrée au fond de l'affaire (article 59 § 3 in fine du règlement).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
8.  La requête est introduite au nom de Michael Fitzgerald, un ressortissant britannique décédé, par sa sœur, Theresa Bubbins, qui réside à Bedford (Angleterre).
9.  Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
1.  Historique de l'incident
10.  Le 26 février 1998, Michael Fitzgerald fut tué par un policier armé dans son appartement situé Clarendon Street à Bedford et que des policiers avaient assiégé.
11.  Ce jour-là, vers 18 h 25, Melanie Joy, la petite amie de Michael Fitzgerald, arriva en voiture à l'appartement de celui-ci. En entrant dans le parking situé à l'arrière, elle aperçut deux jambes disparaître par la fenêtre de la cuisine, au rez-de-chaussée. Elle ne reconnut pas la personne qui était ainsi entrée dans l'appartement, mais supposa que c'était un individu de sexe masculin qu'elle prit pour un intrus.
12.  Inquiète pour la sécurité de Michael Fitzgerald et, bien qu'elle ignorât s'il se trouvait ou non dans l'appartement, Melanie Joy l'appela à travers la boîte aux lettres fixée à la porte principale de l'immeuble. Elle n'obtint pas de réponse.
13.  Vers 18 h 28, Melanie Joy appela la police de son téléphone portable pour la prévenir qu'un cambriolage était en train de se produire. La police procéda à une « intervention immédiate » suivant les critères de la police du Bedfordshire.
14.  Les premiers policiers à arriver sur les lieux furent les brigadiers-chefs Phillips et Morris qui avaient pris la direction des opérations. Ils arrivèrent à 18 h 33.
15.  Le brigadier-chef Phillips se dirigea vers la fenêtre de la cuisine à l'arrière de l'appartement. La fenêtre était ouverte. Le brigadier-chef Phillips réussit à déplacer les stores vénitiens et se présenta lui-même comme policier. Il se trouva en face d'un homme dans la pénombre de la pièce. Il se dit que l'homme avait juste quelques centimètres de moins que lui-même, qui mesurait 1,85 m. L'homme, qui était en fait Michael Fitzgerald, avait les deux bras tendus devant lui et pointait sur le policier ce qui semblait être un pistolet.
16.  Le brigadier-chef Phillips, craignant pour sa sécurité, cria à son collègue, le brigadier-chef Morris : « Il vient de braquer son pistolet sur moi, recule-toi. »
17.  Les deux policiers et Melanie Joy reculèrent alors à une distance qu'ils croyaient être hors de portée et le brigadier-chef Phillips demanda de l'aide, notamment des véhicules de riposte armée (« ARV »). Cette demande fut consignée à 18 h 34.
18.  Pendant l'incident qui s'ensuivit, la communication radio fut sous le contrôle du centre opérationnel de la police du Bedfordshire (le « FIR »).
19.  Le registre du FIR indique qu'à 18 h 38 le brigadier-chef Morris transmit le message suivant :
« Michael Fitzgerald possède, selon son ex-amie qui vit sur place, une arme factice. La jeune femme ignore s'il possède une vraie arme mais ce qui est sûr, c'est qu'il a un problème d'alcoolisme. »
20.  Peu de temps après, d'autres policiers arrivèrent sur les lieux. Les deux policiers Evans et Newton, tous deux non armés, prirent position sur le mur du fond du jardin à l'arrière de l'appartement. Ils affirmèrent tous deux avoir vu un homme dans la cuisine pointer un revolver sur eux.
21.  A 18 h 40, l'inspectrice Linda Kelly arriva sur les lieux et prit l'opération en main.
22.  La liaison radio entre le brigadier Evans et le brigadier-chef Phillips, en mode « intercommunication » (talk-through) pour permettre au FIR d'entendre, donna la fausse impression que l'appartement se composait uniquement d'un rez-de-chaussée. Il comprenait en fait un étage. Cette fausse impression perdura jusqu'à 19 h 9, moment où Melanie Joy précisa la configuration de l'appartement.
23.  En 1998, la police du Bedfordshire disposait de deux véhicules de riposte armée toujours prêts à intervenir. Pour assurer une couverture maximale, ces véhicules étaient déployés dans le nord et dans le sud du comté. Ils avaient pour principal objectif de maîtriser des situations d'utilisation spontanée d'armes à feu en attendant l'arrivée des responsables des opérations tactiques.
2.  ARV
24.  Vers 18 h 42, le véhicule de riposte armée nord arriva sur les lieux, avec les policiers C et B à son bord. L'inspectrice Kelly et le brigadier-chef Phillips leur expliquèrent la situation. Un système de maîtrise non armée des lieux avait été mis en place en attendant l'arrivée du véhicule de riposte armée nord. Le policier B demanda à l'inspectrice Kelly de barrer l'accès aux voitures et aux piétons. L'ARV sud n'était pas encore arrivé sur les lieux.
25.  Alors que les deux policiers discutaient de l'incident devant l'appartement, la porte de devant s'ouvrit et l'occupant apparut.
26.  Comme on le lui avait appris, le policier B cria : « Police armée. Lâchez votre arme et rentrez à l'intérieur. »
27.  L'occupant leva la main qui semblait tenir un pistolet et, presque immédiatement, retourna dans l'appartement. Quelques secondes plus tard, il réapparut à la porte et leva son arme. Le policier B lança la même sommation. L'occupant parut ne tenir aucun compte de l'ordre qui lui avait été donné de lâcher son pistolet et rentra à l'intérieur de l'appartement.
3.  Déploiement des policiers de l'ARV nord
28.  Vers 18 h 51, les policiers armés décidèrent que le seul moyen de maîtriser les lieux, et aussi de fournir un appui armé à leurs collègues non armés, était de déployer l'un d'eux devant l'appartement et l'autre derrière. Le policier B prit place derrière le haut mur de briques dans le parking situé à l'arrière et érigea une plateforme de fortune pour s'y hisser et observer l'arrière de l'appartement. La plateforme fut ensuite remplacée par une voiture de police. Le policier B se trouvait à environ 23 mètres de l'appartement.
29.  Le policier C prit position devant le bâtiment. Les deux policiers étaient armés de Steyr AUG avec des cartouches de calibre 223. Le policier B vit l'occupant entrer dans la cuisine, lever son arme et la pointer sur lui. Le policier B cria : « Vous êtes encerclé par la police armée, posez votre arme à l'intérieur et sortez lentement. » L'occupant quitta la cuisine et le policier C, qui se trouvait devant l'appartement, cria un avertissement similaire. Ces sommations, qui furent répétées régulièrement au cours de l'incident, n'eurent apparemment aucun effet.
4.  Arrivée des policiers de l'ARV sud
30.  Vers 19 h 1, l'ARV sud arriva sur les lieux avec les policiers D et A. Le policier D rejoignit le policier B à l'arrière du bâtiment. Le policier A rejoignit le policier C devant l'appartement.
31.  Après l'arrivée du policier D, le policier B réexamina sa position et estima qu'elle n'était pas idéale pour maîtriser l'occupant si celui-ci décidait de sortir. Le policier B jugea préférable de se placer derrière deux voitures stationnées dans le parking de la cour de l'autre côté (appartement/côté cour) du mur du fond. Selon la requérante, les policiers B et D ne consultèrent pas leurs supérieurs présents avant de décider de quitter leur position protégée derrière le mur et de se déplacer vers la cour.
32.  Les policiers B et D prirent position derrière les deux véhicules, situés à quelques mètres du mur du fond. Il était environ 19 h 5.
33.  Ils furent rejoints par l'agent de police Cattanach, maître-chien de la police, afin de pouvoir recourir à un chien policier si l'occupant tentait de s'enfuir. L'agent Cattanach arriva vers 19 h 17.
34.  Les services de police chargés de la circulation éclairèrent les lieux par un projecteur fixé à un mât télescopique actionné par un générateur, ce qui permit aux policiers de voir nettement mieux le parking situé à l'arrière.
35.  De temps à autre, l'occupant pointait son arme de la fenêtre de la cuisine sur les policiers qui se trouvaient à l'arrière de l'appartement. Les policiers B et D lui intimèrent à maintes reprises l'ordre de poser son arme et de sortir.
5.  Tentatives pour localiser Michael Fitzgerald
36.  Alors que le siège de l'appartement se poursuivait, des tentatives furent faites pour localiser Michael Fitzgerald. Agissant en fonction des informations fournies par Melanie Joy, deux inspecteurs de police, le policier Ellson et le policier Route, partirent à la recherche de Michael Fitzgerald dans des pubs de la localité.
37.  Une photographie de Michael Fitzgerald fut extraite du dossier d'une comparution en justice antérieure, l'intéressé ayant été arrêté en septembre 1997 pour conduite en état d'ivresse. Cette photographie fut remise aux policiers qui se rendirent dans les pubs locaux.
38.  Dans le cadre des recherches menées pour retrouver Michael Fitzgerald, les policiers se trouvant sur les lieux reçurent l'information erronée que Michael Fitzgerald mesurait 1,72 m, alors qu'il mesurait en fait 1,79 m. Cette information provenait des pièces du dossier concernant l'arrestation de septembre 1997.
6.  Autres événements survenus entre 19 heures et 20 heures
39.  Soucieux de protéger la population, les policiers établirent un cordon de sécurité autour de l'immeuble et organisèrent l'évacuation des enfants que les parents venaient chercher à la sortie de la piscine d'une école avoisinante. Les occupants des autres maisons reçurent l'ordre de rester chez eux.
40.  Peu après l'arrivée des agents de police Evans et Newton, Kate Bellamy, une voisine de Michael Fitzgerald, qui se trouvait en compagnie d'une autre voisine, Amanda Parkin, vint parler à Melanie Joy. Les trois femmes se rendirent alors dans l'appartement d'Amanda Parkin, situé à une distance les mettant hors de danger. Pour des raisons de sécurité, elles furent ensuite conduites par les véhicules de la police au commissariat de police de Greyfriars (Bedford) où elles arrivèrent vers 20 heures.
41.  A 19 h 2, l'inspectrice Kelly donna l'ordre de dépêcher un négociateur sur les lieux.
42.  Vers 19 h 9 les policiers qui se trouvaient à l'arrière du bâtiment demandèrent si l'appartement comportait un premier étage. Le brigadier-chef Morris apprit de Melanie Joy que l'appartement se composait bien de deux niveaux : le rez-de-chaussée et le premier étage.
43.  Vers 19 h 30, le policier A, qui se trouvait devant l'appartement, s'entretint avec l'opérateur du FIR et dit :
« Pouvez-vous consigner dans le registre des incidents qu'il s'approche toujours de la porte d'entrée et brandit une arme. Il n'ouvre pas la porte mais vérifie que son arme est bien pointée sur nous à travers la vitre (...) »
44.  Quelques minutes plus tard, un rapport similaire fut établi par le brigadier-chef Phillips qui se trouvait à l'arrière du bâtiment :
« (...) il regarde tout autour de la porte, qui semble donner sur la cuisine, et il vient maintenant de pointer son arme vers les policiers – terminé. »
45.  Vers 19 h 45, le commissaire Battle, commandant de division adjoint du commissariat de police de Greyfriars (Bedford), arriva sur les lieux. Il appartenait au cadre des officiers de police du Bedfordshire qui avaient suivi une formation en matière de gestion des incidents liés à des armes à feu. L'inspectrice Kelly lui fit le point de la situation et lui-même prit la direction des opérations. D'après la requérante, l'inspectrice Kelly informa le commissaire Battle que l'homme qui se trouvait à l'intérieur pouvait bien être Michael Fitzgerald, lequel possédait des armes à feu factices, mais que cela ne pouvait être confirmé.
46.  Vers 20 h 1, l'agent de police Wright arriva sur les lieux. Il était le conseiller des opérations tactiques (fonctionnaire qui doit intervenir dans toutes les opérations de la police impliquant des armes à feu). Le commissaire Battle et le policier Wright passèrent en revue le plan arrêté par les équipes d'ARV et leur déploiement, et marquèrent leur accord avec les décisions prises.
7.  Utilisation du téléphone
47.  Après son arrivée, le commissaire Battle appela l'appartement de son téléphone mobile pour vérifier que le téléphone de l'appartement fonctionnait et que le numéro était le bon : cette information pouvait, d'après lui, servir aux négociateurs lorsqu'ils arriveraient sur les lieux. Il était environ 20 h 15.
48.  La première fois, le commissaire Battle tomba sur le répondeur. La deuxième fois, il eut l'occupant au bout du fil. Le commissaire Battle (qui, selon le Gouvernement, avait une très grande expérience des principes de négociation) dit : « Je m'appelle Steve, je suis de la police. » Il dit à l'occupant que la maison était encerclée de policiers et lui demanda de ne s'avancer ni vers la fenêtre ni vers les portes avec son arme, mais de la poser.
49.  Au cours de cette conversation téléphonique, le commissaire Battle demanda à l'homme comment il s'appelait et reçut la réponse « Mick ». Le commissaire Battle eut l'impression que l'homme était ivre. En dépit des efforts pour l'engager à poursuivre la conversation, l'homme posa le combiné et la conversation prit fin.
50.  Le Gouvernement a informé la Cour par une lettre du 9 septembre 2002 que lorsque l'occupant indiqua au commissaire Battle qu'il s'appelait « Mick », cette information fut transmise par la radio de la police, et les policiers se trouvant sur les lieux utilisèrent ce nom lorsqu'ils s'adressèrent à l'intéressé. Dès réception de cette information, le représentant légal de la requérante nota dans les observations de celle-ci que cet « élément nouveau » ne leur avait pas été communiqué au moment de l'enquête.
51.  Pendant l'incident (mais à l'insu de la police), deux autres coups de téléphone furent passés à l'appartement. Le premier par John Fitzgerald, le frère de Michael Fitzgerald, et le second vers 19 h 35 par Sean Murray, un ami de Michael Fitzgerald.
52.  Ni John Fitzgerald ni Sean Murray ne signalèrent à la police leurs conversations téléphoniques avec Michael Fitzgerald, même s'il en ressortait clairement que Michael Fitzgerald avait compris qu'il était encerclé par la police. Selon Sean Murray, Michael Fitzgerald avait l'air fatigué et lui dit : « Je crois qu'il vont attaquer la maison. » Le téléphone sonna ensuite dans le vide.
8.  Evénements survenus après 20 heures
53.  L'inspectrice Kelly eut l'impression que l'incident allait se prolonger et, peu après 20 heures, elle donna l'ordre par radio de dépêcher une équipe de nuit et demanda qu'un registre fût apporté sur les lieux.
54.  Vers 20 h 15, le FIR reçut un message de l'inspecteur de police Ellson qui avait obtenu des informations selon lesquelles vers 18 h 40 Michael Fitzgerald se trouvait au pub de Blarney Stone. L'intéressé semblait être dans un état d'ébriété avancé, portait des jeans, une chemise grise et n'avait pas de veston. Cette information fut transmise à l'inspectrice Kelly par le personnel de la salle d'information, mais celui-ci indiqua 18 h 30 comme l'heure à laquelle Michael Fitzgerald avait été vu. Ce renseignement vint renforcer l'idée que la personne à l'intérieur de l'appartement n'était pas Michael Fitzgerald puisque Melanie Joy avait appelé la police vers 18 h 28.
55.  Vers 20 h 19, l'occupant de l'appartement quitta le rez-de-chaussée pour la chambre à coucher située à l'arrière, au premier étage. Il ouvrit la fenêtre à battants et pointa son arme juste au-dessus du rebord de la fenêtre en direction du policier D qui se trouvait à l'arrière de l'immeuble derrière un véhicule. La tournure que prenaient les événements inquiéta les policiers D et B. L'occupant poussa son arme à travers la fenêtre ouverte puis la retira après les semonces des policiers.
56.  Quelques secondes après ce premier incident, l'occupant réapparut à la fenêtre mais cette fois-ci les policiers purent le voir intégralement. Il était torse nu.
57.  L'occupant avait les deux mains jointes à l'extérieur de la fenêtre, les bras tendus. Il tenait quelque chose qui semblait être une arme. Il couchait en joue les policiers qui se trouvaient derrière l'immeuble. L'agent de police Cattanach pensa qu'il allait être tué et se plaqua au sol. Dans la déposition qu'il fit après les événements, il déclara ce qui suit :
« (...) l'homme avait les bras et le pistolet tendus devant lui et quand il leva délibérément l'arme à la hauteur des yeux (...) j'ai regardé et j'ai vu en observant par-dessus la bouche du canon que ses yeux étaient sur le viseur et il semblait diriger son arme directement sur moi. Je me suis instinctivement baissé, persuadé que l'homme me visait directement et j'étais convaincu qu'il allait me tirer dessus. »
58.  Le policier B vit à travers le viseur de son arme que le canon du pistolet semblait être directement braqué sur lui. Il eut peur pour sa propre sécurité et cria : « Police armée. Posez l'arme ou je tire. »
59.  L'occupant resta dans une position menaçante. Le policier B appuya sur la détente de sa carabine et tira un coup qui atteignit l'occupant à la poitrine.
60.  Le policier B fut interrogé le 3 mars 1998 au siège de la police du Bedfordshire. Il dit :
« Et il braque son arme, regardant à travers le viseur, je vois le canon de son pistolet et lui, le meilleur moyen de le décrire, juste comme une cible d'entraînement de la police, quand nous apprenons à tirer, il est campé sur ses pieds, il tient des deux mains le pistolet, qui est à la hauteur de ses yeux, je peux voir le canon du pistolet, à travers mon viseur, et je peux voir le canon à la hauteur de celui-ci et visant juste vers le bas et honnêtement je dois dire que j'ai été effrayé à mort (...) J'ai crié « Police armée. Posez l'arme ou je tire. » J'ai crié très fort et clairement. Hmm, il n'a pas bougé, est resté comme un roc, puis j'ai pris la décision d'appuyer sur la détente, j'ai tiré un coup qui fut fatal. (...)
J'ai cru que, s'il tirait, je serais gravement blessé ou tué, vous auriez dû voir la dimension du canon, c'était une arme de gros calibre, un revolver, c'est tout ce que je pouvais voir. Hmm, et j'ai pensé qu'il allait me tuer si je ne faisais rien. »
61.  La requérante attire l'attention sur le fait que la déposition du policier B n'a jamais été divulguée ni soumise à une investigation de la police scientifique, ou à un examen public.
62.  Un témoin civil, David Hanlon, un habitant de la localité, entendit la sommation de la police : « Posez votre arme ou nous allons tirer », suivi d'un coup. Le coup fut tiré vers 20 h 21.
63.  Le policier D, qui se trouvait avec le policier B, allait viser lorsque le coup de feu fut tiré. Dans une déposition faite après l'incident, il déclara :
« J'ai vu alors que l'arme était toujours dans ses mains et qu'il la tenait des deux mains les bras tendus, ce qui me laissa supposer qu'il allait tirer sur le [policier B]. J'ai retiré le cran de sécurité de mon arme, ai regardé à travers le viseur, ai mis le doigt sur la détente et m'apprêtais à tirer quand j'ai entendu un coup. »
9.  Suites immédiates
64.  Les policiers, accompagnés des auxiliaires médicaux déjà sur place, pénétrèrent dans l'immeuble à 20 h 29. Ils trouvèrent Michael Fitzgerald étendu sur le ventre sur le lit de la chambre à coucher située à l'arrière de l'appartement. Ils lui apportèrent les premiers soins, mais à 20 h 47 le décès fut constaté.
65.  Les lieux furent sécurisés comme le théâtre d'un crime grave.
66.  Les policiers armés se rendirent au dépôt d'armes à feu de la direction de la police où ils déposèrent séparément leurs calepins et remirent leurs armes en vue de l'expertise légale. L'examen révéla qu'une balle avait été tirée par l'arme appartenant au policier B. Aucune autre arme n'avait été utilisée.
67.  Le pathologiste du ministère de l'Intérieur confirma que le décès était dû à une blessure à la poitrine causée par une balle unique et que la configuration des lésions était cohérente avec la narration que le policier B avait faite de la fusillade. L'analyse de l'échantillon de sang prélevé sur Michael Fitzgerald révéla une alcoolémie de 3,52 g/l, quantité qui aurait rendu soit extrêmement ivre soit comateuse une personne ayant l'habitude de consommer modérément de l'alcool.
68.  L'arme de Michael Fitzgerald était une imitation du pistolet automatique Colt calibre 45 qui ressemblait à une vraie arme et seul un examen très attentif aurait pu permettre de dire qu'il s'agissait d'une arme factice.
69.  Après le coup de feu, on découvrit que Michael Fitzgerald avait passé l'après-midi à boire. Il avait oublié son veston et les clefs de son appartement dans un pub. Un chauffeur de taxi l'aurait vu se diriger chez lui vers 17 h 45 dans un état de totale ébriété.
10.  L'enquête
70.  Ayant été informé que Michael Fitzgerald avait été abattu, le directeur adjoint de la police du Bedfordshire, David Stevens, décida de saisir de l'affaire l'autorité compétente pour instruire les plaintes contre la police (Police Complaints Authority – la « PCA »), qui ainsi superviserait l'enquête sur l'homicide.
71.  M. Robert Davies, contrôleur général de la police de Thames Valley, fut désigné comme enquêteur. L'enquête visait essentiellement à établir le déroulement des faits et à déterminer s'il y avait eu infraction pénale ou manquement aux règles de la police. Au début de l'enquête, la police de Thames Valley nomma un chargé de liaison familiale pour aider les proches de Michael Fitzgerald. Un responsable de l'équipe d'investigation rendit plusieurs fois visite à la famille au cours de l'enquête judiciaire pour la tenir informée de l'avancement de celle-ci.
72.  Les policiers B et Wright ainsi que le commissaire Battle furent interrogés au cours de l'enquête. Les autres policiers qui avaient été présents sur les lieux de l'incident ou avaient eu un rôle à jouer au cours de celui-ci déposèrent comme témoins et indiquèrent quels avaient été leurs rôles et responsabilités. Les employés civils de la police du Bedfordshire firent eux aussi des dépositions de même que des particuliers, dont la famille de Michael Fitzgerald. Les conversations radio au sein du FIR, qui sont enregistrées sur bande magnétique, furent transcrites, ainsi que la bande magnétique de la salle de contrôle. Un analyste criminologue faisant partie de la police de Thames Valley fut chargé d'examiner l'ensemble des dépositions, les interrogatoires qui s'étaient déroulés après avertissement et les transcriptions des enregistrements.
73.  Le rapport établi par M. Davies fut soumis à la PCA le 15 mai 1998. Une copie du rapport et des éléments de preuve fut envoyée au directeur adjoint de la police du Bedfordshire et au Director of Public Prosecutions. Ce dernier conclut par la suite à l'absence d'éléments justifiant l'ouverture d'une procédure pénale contre tel ou tel policier.
74.  Le 23 juin 1998, la PCA envoya au frère de Michael Fitzgerald une copie d'une déclaration intérimaire sur l'enquête. Cette déclaration avait été délivrée peu de temps après la présentation du rapport final de M. Davies. D'après la déclaration, ce rapport avait été reçu le 15 mai et était étayé par 160 dépositions, 49 documents et 11 annexes comprenant des photographies et des croquis des lieux de l'incident. La déclaration intérimaire concluait que « l'enquête sur la mort de Michael Fitzgerald [avait] été menée à la satisfaction de la [PCA] ». Toujours en juin 1998, la PCA avisa le frère de Michael Fitzgerald que le dossier serait réexaminé par un de ses membres à l'issue de l'enquête.
75.  Dans son rapport, M. Davies conclut que le policier B n'avait pas commis d'infraction pénale et déclara ce qui suit :
« J'ai examiné les circonstances de cet incident dans le détail et me suis rendu deux fois sur les lieux. J'ai lu tous les récits des policiers qui avaient été présents et d'autres déclarations de témoins ainsi que les expertises. J'ai examiné la transcription de l'enregistrement sur bande magnétique de la salle d'information et d'autres documents pertinents. Je suis convaincu que le [policier B] a cru sincèrement qu'il avait en face de lui un intrus muni d'une arme à feu et qu'il courait un danger imminent. Il ne savait pas qu'il n'était pas possible de tirer avec une pareille arme et il donna à l'homme la possibilité de sortir de cette situation d'extrême tension. »
76.  M. Davies avait cherché à savoir pourquoi il n'y avait pas eu de négociateur présent sur les lieux et déclara ce qui suit :
« Des difficultés apparurent dans un premier temps à obtenir un négociateur expérimenté. La police du Bedfordshire dispose d'une équipe de six négociateurs de « niveau un » formés au niveau national (...) et de six négociateurs de « niveau deux », qui ont été sélectionnés comme pouvant suivre le cours national de négociation, mais qui n'ont toujours pas suivi cette formation. La police a pour principe qu'un négociateur de « niveau un » et un négociateur de « niveau deux » doivent être toujours disponibles, y compris pendant les interventions. Malheureusement, le 26 février 1998, une conférence de négociateurs se tenait à Brighton. Cinq des six négociateurs de « niveau un » assistaient à cette conférence. Selon le registre, il fut impossible de joindre le négociateur de « niveau un » restant, l'inspecteur McCart. Le registre de la salle d'information indique qu'il participait à une partie de football à cinq (...). La frustration provoquée par cette situation est plus qu'évidente à la lecture du registre. On peut y lire, à l'heure de 19 h 44 : « Pas de négociateur de « niveau un » disponible, ils sont tous à une conférence selon autre info. Pas un seul négociateur de « niveau un » disponible. » A 19 h 54, le registre dit ceci : « Impossible de trouver un négociateur autrement qu'en parcourant la liste un par un pour trouver quelqu'un qui veuille bien participer – astreinte totalement inutile ou mises à jour récentes inexactes. Pas de réponse aux messages tatoo envoyés. » A 19 h 56, on peut lire : « L'insp. Nethersole et l'insp. Seamarks, tous deux des négociateurs de « niveau deux », sont en route vers les lieux. » L'inspecteur de la salle d'information déclare qu'on a cherché à joindre l'inspecteur McCart à la fois chez lui et sur son tatoo. L'inspecteur McCart déclare qu'il avait son téléphone mobile et son tatoo avec lui, qu'ils étaient tous deux allumés mais qu'il n'a reçu aucun des appels. Je n'ai pu élucider ce point (...) La difficulté rencontrée pour entrer en contact avec un négociateur de « niveau un » montre à quel point une coordination et une planification déficientes peuvent conduire à une réelle difficulté opérationnelle. L'écart dans les niveaux de compétence entre un négociateur de « niveau un » et un négociateur de « niveau deux » devrait, dans des circonstances normales, être notable. Si un négociateur de « niveau un » avait pu être dépêché tout de suite, la situation aurait peut-être été différente. »
77.  M. Davies conclut son rapport en déclarant :
« Ce fut un incident tragique. Michael Fitzgerald avait subi des pressions sur le plan personnel, car il était au chômage, était de plus en plus endetté et souffrait de la mort de sa mère. Il buvait de plus en plus et était alcoolique. Il est très triste que dans la nuit du 26 février la conjonction d'un ensemble d'événements inhabituels ait entraîné sa mort. Premièrement, Michael oublia son veston et ses clefs dans un pub ; deuxièmement, contrairement à l'habitude, il essaya d'entrer dans son appartement par la fenêtre ; troisièmement, son amie arriva juste au moment où il disparaissait dans la cuisine ; quatrièmement, son amie le prit pour un cambrioleur ; cinquièmement, ni le frère de Michael ni son ami Sean Murray ne signalèrent à la police leurs conversations téléphoniques avec Michael ; sixièmement, aucune information claire sur l'identité de Michael ne parvint avant le décès ; et, septièmement, Michael, pour une raison ou une autre, nous ne le saurons jamais, décida de braquer son arme factice pour provoquer la police armée. »
78.  Au cours de l'enquête, quelque 138 témoins furent entendus.
79.  La requérante souligne que les transcriptions des appels radio et les mentions au registre n'ont jamais été communiquées, malgré les demandes faites lors de l'enquête ultérieure. De plus, le rapport et les conclusions de M. Davies n'ont jamais été divulgués à la requérante ou à la famille du défunt ni mis à disposition aux fins d'un contrôle public lors de l'enquête. De surcroît, la requérante et la famille du défunt n'ont jamais su que 138 témoins avaient été entendus. Le coroner n'a communiqué que 29 déclarations de témoins à la famille, qui n'a donc pas été en mesure de voir si d'autres témoins auraient dû être cités à comparaître.
80.  Par une lettre en date du 17 septembre 1998, la PCA confirma les conclusions de l'enquête de la police selon lesquelles les policiers du Bedfordshire impliqués dans l'incident n'avaient commis aucune faute. La PCA était convaincue du sérieux de l'enquête.
11.  L'enquête du coroner
81.  La police signala le décès à M. David Morris, coroner du Bedfordshire et du Luton.
82.  L'enquête judiciaire fut ouverte le 27 février 1998, puis ajournée sine die pour permettre à la PCA de clore son enquête sur les circonstances du décès.
83.  Le 28 juillet 1998, lors d'une audience préliminaire à laquelle toutes les parties intéressées dont la presse furent invitées, le coroner décida que les quatre policiers armés devaient rester anonymes et ne devaient pas être identifiés par les médias. Ils seraient désignés par A, B, C et D, B étant celui qui avait tiré le coup fatal.
84.  Le conseil représentant la famille de Michael Fitzgerald s'opposa fermement à l'octroi de l'anonymat aux policiers, estimant que l'enquête était censée se dérouler publiquement et que la justice devait être faite au vu et au su de tous de manière ouverte, en particulier lorsque des citoyens trouvent la mort de la main d'agents de l'Etat.
85.  En décidant que les policiers armés seraient désignés par A, B, C et D, le coroner admettait que chacun d'entre eux, et tout particulièrement le policier B, avait véritablement peur que lui-même et sa famille fussent agressés verbalement et physiquement si son nom était divulgué, compte tenu de ce qu'il vivait près des lieux de l'incident. Le coroner (selon le Gouvernement, mais aucune des parties ne le conteste) avait également en mémoire les menaces et insultes dont le policier B et sa famille avaient antérieurement été l'objet à la suite d'un autre incident, au cours duquel aucun coup de feu n'avait été tiré, et alors que le policier avait agi conformément aux obligations qui étaient les siennes. La requérante indique que ni à l'audience du 28 juillet ni d'ailleurs au cours de l'enquête proprement dite, on n'a invoqué comme motif de cet anonymat le fait qu'un policier eût subi une quelconque menace, et qu'en tout cas les menaces antérieures à l'encontre du policier B n'étaient pas en rapport avec un coup de feu et ne pouvaient être prises au sérieux.
86.  Le coroner fit clairement comprendre qu'il était loisible à quiconque, y compris à la presse, de déposer une demande en levée de la décision d'anonymat, si d'autres informations ou circonstances le justifiaient.
87.  Il reçut les dépositions des témoins et les pièces recueillies au cours de l'enquête menée par M. Davies. Il estima que les dépositions de 29 témoins, dont il considérait le témoignage comme pertinent pour établir les faits, seraient divulguées. De l'avis de la requérante, le coroner a induit la famille en erreur quant au nombre de témoins en informant son conseil lors de l'audience préliminaire du 28 juillet 1998 qu'il n'y avait eu que 80 témoins environ de l'incident, dont 29 avaient fait des dépositions pertinentes qui seraient divulguées à l'audience principale devant avoir lieu le 24 novembre 1998 dans le cadre de l'enquête.
Par une lettre datée du 17 novembre, le représentant légal de la famille sollicita la divulgation d'autres éléments. Le rapport établi par M. Davies ne faisait pas partie des documents demandés. Le coroner décida que la famille devait se voir communiquer les dépositions que C et D avaient faites en qualité de témoins et celle du commissaire Battle, ainsi qu'un récapitulatif chronologique de tous les événements importants dressé à partir des appels radio.
88.  Le 24 novembre 1998, l'enquête judiciaire proprement dite débuta. Le coroner résolut une nouvelle fois de préserver l'anonymat de A, B, C et D. Il motiva sa décision par écrit et avança notamment les raisons suivantes :
« Les principales raisons d'accorder l'anonymat à ces policiers précis, outre ma connaissance et mon expérience de la région, sont les suivantes :
a)  La police du Bedfordshire est une petite équipe avec juste une poignée de policiers de riposte armée. Si l'on donnait le nom des policiers « A », « C » et « D », le policier B risquerait d'être identifié par défaut.
b)  Les quatre policiers ont tous exprimé la crainte que si leur nom était rendu public dans ce contexte, leur vie privée et leur sécurité, ainsi que celles de leurs familles, seraient en danger. Certains des policiers vivent à proximité du lieu de l'incident.
c)  S'il se peut qu'aucune menace n'émane de la famille du défunt, des auteurs de crimes graves et violents vivent et opèrent dans la localité et l'identification de membres de l'équipe de riposte armée ne serait ni dans l'intérêt de ces personnes ni dans l'intérêt public. »
89.  Le coroner estima également que les policiers pouvaient témoigner de derrière un écran. Ils seraient toutefois vus de lui, des représentants légaux de chacune des parties et du jury.
90.  L'enquête judiciaire se déroula sur quatre jours.
91.  Pendant l'enquête, le coroner cita les témoins à comparaître et à témoigner des événements qui avaient conduit au décès de Michael Fitzgerald. Ces témoins, dont les policiers B, C et D, furent interrogés par le conseil représentant la famille. Le jury se rendit sur les lieux de l'incident.
92.  Le coroner refusa d'accueillir la demande de la famille visant à l'audition du négociateur de la police dans le cadre de l'enquête, car il considérait que ce témoignage n'était pas pertinent, le négociateur n'ayant joué aucun rôle dans l'incident. Il refusa en outre d'admettre comme preuves les registres où étaient consignées les communications que les policiers avaient échangées la nuit du 26 février 1998, ainsi que les fichiers électroniques imprimés, puisque ces documents, pas plus que le négociateur de la police, « n'auraient permis de mieux connaître ou comprendre des questions que le jury était de par la loi tenu de traiter ». Toutefois, à la demande du jury et du conseil de la famille, l'inspecteur Denton retraça la chronologie des faits de la cause tels qu'ils ressortaient des messages radio et de la transcription des enregistrements.
93.  La requérante souligne que le commissaire Battle reconnut au cours de l'enquête judiciaire, lorsqu'il fut interrogé par le représentant légal de la famille du défunt, qu'il n'avait peut-être pas été judicieux de sa part de se présenter au défunt comme faisant partie de la police, puisque les négociateurs devaient paraître neutres pour instaurer la confiance entre la personne assiégée et le négociateur.
94.  A l'issue de l'enquête judiciaire, le coroner résuma l'affaire au jury et, après avoir entendu les conclusions des conseils représentant les parties, il donna les indications suivantes quant au droit :
« J'estime, sur le plan du droit, pour des raisons que je n'ai nul besoin de vous expliquer, que le seul verdict auquel vous pouvez aboutir dans cette enquête – et c'est dans ce sens que je vous engage à aller – est un verdict d'homicide légal sur la personne de Michael Fitzgerald. »
95.  Le coroner indiqua ensuite qu'il incombait au jury d'expliquer le verdict rendu.
96.  Le jury rendit un verdict d'homicide légal et y ajouta une recommandation invitant le ministre de l'Intérieur à interdire les armes à feu factices comme celle trouvée en la possession de Michael Fitzgerald.
97.  Le 29 novembre 1998, un article intitulé « La police savait que l'arme était factice » parut dans le journal du dimanche, le Bedfordshire On Sunday. Il y était indiqué qu'une laborantine, Kate Bellamy, une voisine de Michael Fitzgerald, avait informé la police vers 19 h 45 le soir de l'incident que Michael Fitzgerald avait deux pistolets factices chez lui. Le coroner était en possession d'une déclaration, rédigée par Kate Bellamy, datée du 27 février 1998. Cette déclaration, établie le lendemain de l'incident, avait été remise aux enquêteurs de la police de Thames Valley. Kate Bellamy n'y mentionnait pas avoir informé la police, au moment des faits, que Michael Fitzgerald possédait des armes factices. Elle déclarait avoir entendu et vu un incident se produire à l'extérieur de l'appartement de celui-ci. Elle se trouvait chez elle avec Amanda Parkin et :
« (...) nous décidâmes toutes deux de descendre et de voir si nous pouvions être d'une quelconque aide. Lorsque nous sortîmes dans la rue, Melanie [Joy] pleurait encore. Un policier nous demanda si nous pouvions rester avec elle, ce que nous acceptâmes, et il nous fut conseillé de ne pas aller dans mon appartement et de rester éloignées des fenêtres. De ce fait, Amanda, Melanie et moi-même, nous rendîmes dans l'appartement d'Amanda (...) puis nous commençâmes à appeler tous les pubs de la localité fréquentés par Michael pour voir où il pouvait bien être. La seule réponse positive fut celle du pub de Blarney Stone qui nous dit que Michael avait été au pub et en était ressorti avec deux types du pub de Grafton. »
98.  Quant à ce qu'elle savait de Michael Fitzgerald, Kate Bellamy déclara ce qui suit :
« Je me suis rendue à maintes occasions dans l'appartement de Michael, mais pas aussi souvent ces derniers temps à cause de son problème croissant d'alcool, j'y suis passée la dernière fois il y a environ une semaine. Je sais que Michael possédait deux armes à feu factices qui étaient accrochées au mur de son salon, au-dessus du renfoncement de l'escalier (...) »
99.  Amanda Parkin avait témoigné dans le cadre de l'enquête de police, également datée du 27 février 1998. Cette déclaration cadrait avec celle de Kate Bellamy et il n'en ressortait pas non plus que cette personne aurait dit aux policiers, au moment de l'incident, que les armes se trouvant dans la maison de Michael Fitzgerald étaient des imitations ou que l'occupant des lieux possédait une arme à feu factice.
12.  La procédure de contrôle juridictionnel
100.  Le 17 février 1999, Local Sunday Newspapers Limited, le propriétaire et éditeur de l'hebdomadaire de la localité de Bedford, Bedfordshire On Sunday, déposa une demande de contrôle juridictionnel de la décision du coroner d'octroyer l'anonymat aux policiers A, B, C et D.
101.  Le 29 octobre 1999, la demande de contrôle juridictionnel fut rejetée par le juge Burton, qui déclara :
« (...) S'agissant du policier B, le coroner prit en considération (...) le fait qu'il y avait un intérêt public et également une nécessité particulière de vigilance et un risque potentiel de blessure et de préjudice pour B en tant que membre d'un groupe de riposte armée, en plus d'un autre motif (...), à savoir sa peur liée à l'incident antérieur qui constituait un motif raisonnablement objectif et avéré de craindre pour sa sécurité et celle de sa famille.
La présence de ces deux motifs permettait, selon moi, au coroner de dire qu'il y avait une raison suffisante de garantir l'anonymat à condition de procéder ensuite (...) à un exercice de mise en balance. »
102.  Le juge Burton conclut que le coroner avait effectué correctement l'exercice de mise en balance et que des éléments de preuve lui permettaient de conclure que l'anonymat était nécessaire dans l'intérêt de la justice et pour éviter tout risque de dommage.
13.  Tentative de la requérante de contester le verdict de l'enquête judiciaire
103.  La requérante demanda l'assistance judiciaire en vue d'engager une procédure de contrôle juridictionnel du verdict de l'enquête judiciaire. Cette demande et un recours ultérieur furent rejetés le 9 mars 1999 par le comité local des services d'assistance judiciaire.
14.  Lettre adressée à la requérante après l'enquête judiciaire par l'autorité compétente pour instruire les plaintes contre la police
104.  Après l'enquête judiciaire, la PCA informa la requérante, par une lettre datée du 17 décembre 1998, que l'enquête de la police avait été poussée et avait répondu aux préoccupations de la famille, qui craignait que la police eût agi trop vite et n'eût pas étudié toutes les solutions possibles. On pouvait lire dans cette lettre :
« (...) ni les investigations ni l'enquête judiciaire qui s'en est suivie n'ont fait apparaître des éléments qui permettent de contester sérieusement les actions de la police. Au moment du décès de Michael, les opérations de police étaient dirigées par un officier supérieur ayant une très grande expérience des incidents liés aux armes à feu et qui a décrit le sérieux et la préparation avec lesquels il avait pris les diverses décisions qui s'imposaient.
Il est apparu clairement que la situation n'aurait pas pu être efficacement maîtrisée si les policiers avaient pris place derrière le mur en briques à l'arrière de l'appartement. Ce point de vue fut soutenu par les experts en armes à feu de la police de Thames Valley et cadre avec les directives et la formation au niveau national. Des sommations réitérées sont exigées par le manuel et je dois dire que la police aurait été exposée à de vives critiques si elle n'avait fait aucune sommation ou en avait fait de moins nombreuses.
Rien ne laissait présumer que la présence d'un négociateur expérimenté de niveau supérieur aurait permis une autre issue. Les pièces du dossier donnent à penser le contraire, à savoir que même si un tel négociateur avait été présent au moment du coup mortel, il ou elle n'aurait pas été en mesure d'empêcher les événements qui ont conduit au décès de votre frère.
La police du Bedfordshire admet qu'il y a eu confusion cette nuit-là sur la disponibilité de policiers ayant une formation de négociation de « niveau un » pour se rendre sur les lieux. J'ai appris que des listes de policiers de garde figurent maintenant dans l'ordinateur du commandement de la police, ce qui devrait réduire à l'avenir les risques d'attente liés aux difficultés qu'il y a à joindre le personnel voulu. Les problèmes rencontrés s'expliquent par les déficiences du système d'information auxquelles il a désormais été remédié. Je n'estime pas qu'il y ait matière à action disciplinaire.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
1.  Les enquêtes judiciaires
105.  Les enquêtes judiciaires sont régies par la loi de 1988 sur les coroners (« la loi ») et le règlement de 1984 sur les coroners (« le règlement »). En vertu de l'article 8 de la loi, une enquête judiciaire est conduite lorsqu'une personne décède de mort violente ou non naturelle. Dans le cadre d'une enquête judiciaire, telle que définie à l'article 11 § 5 b) de la loi et à l'article 36 du règlement, un coroner et un jury doivent examiner et établir quatre points essentiels : qui était le défunt, et comment, quand et où il a trouvé la mort.
106.  La représentation aux enquêtes n'est pas couverte par l'assistance judiciaire. Avant avril 1999, il n'existait pas de droit à la divulgation des documents. Dans l'affaire R. v. Hammersmith, ex parte Peach (Queen's Bench 1990, p. 211), la Divisional Court a estimé qu'en l'absence d'allégation à l'encontre de la famille la justice naturelle n'exigeait pas la divulgation de documents à celle-ci et le coroner n'avait pas le pouvoir de communiquer les documents contre le gré de ceux qui les lui avaient fournis. Depuis avril 1999, et concernant les enquêtes judiciaires sur les décès survenant pendant une garde à vue, il existe une présomption favorable à la divulgation, avant l'audience dans le cadre de l'enquête, des informations détenues par les autorités. Selon le paragraphe 11 du nouveau protocole volontaire sur la divulgation, le rapport de l'enquêteur dans le cadre d'une enquête menée par la PCA n'est pas censé être divulgué avant l'enquête judiciaire. Cela n'exclut toutefois pas qu'un tel rapport soit divulgué lorsqu'un officier supérieur de police considère qu'il serait juste de le faire. Conformément au protocole, « il ou elle doit recueillir les vues de la PCA et des personnes ayant un intérêt dans le rapport. » Si la divulgation du rapport est ordonnée, « les vues et opinions de l'enquêteur doivent être mises par écrit ».
107.  Il a été maintes fois souligné dans la jurisprudence interne qu'une enquête judiciaire sert à établir les faits de manière inquisitoire, et non à traiter de la question de la culpabilité. Ainsi, le Lord Justice Bingham a déclaré dans l'affaire R. v. North Humberside Coroner, ex parte Jamieson (Queen's Bench 1995, p. 1) :
« Il n'appartient pas au coroner ou au jury de trancher, ou de paraître trancher, la question de la responsabilité pénale ou civile, de désigner des coupables ou de distribuer des reproches. Ce principe figure à l'article 42 du règlement de 1984. »
108.  Dans l'affaire R. v. Inner South London Coroner, ex parte Douglas-Williams (All England Law Reports 1999, vol. 1), la Cour d'appel a précisé le pouvoir d'appréciation dont dispose un coroner et qui lui permet de ne pas laisser au jury la possibilité de rendre ce qui, au vu des éléments de preuve, est un verdict possible. Lord Woolf, Master of the Rolls, déclara (p. 348) :
« S'il apparaît à un coroner, agissant raisonnablement et équitablement, qu'en raison de certaines circonstances, dans une situation donnée, il n'est pas dans l'intérêt de la justice de laisser au jury la possibilité de rendre un verdict particulier, il n'est pas tenu de laisser ce verdict à la discrétion du jury. Il n'est pas tenu, par exemple, de laisser au jury le loisir de rendre tous les verdicts possibles uniquement parce qu'il existe des éléments de preuve techniques venant les étayer. Il lui suffit de laisser au jury les verdicts qui reflètent de manière réaliste l'essence des preuves dans leur ensemble. Laisser au jury tous les verdicts possibles pourrait dans certaines situations simplement prêter à confusion et surcharger le jury et si le coroner parvient à cette conclusion, il ne peut être critiqué s'il ne laisse pas au jury la discrétion de rendre un verdict particulier. »
109.  Il n'existe pas de droit d'appel relativement à une enquête judiciaire et le rôle de la High Court se limite à un réexamen, par la voie du contrôle juridictionnel ou d'office, comme le prévoit par exemple l'article 13 §§ 1 et 2 de la loi. Cet article s'applique lorsque, à la demande ou sous l'autorité de l'Attorney-General, la High Court constate :
« a)  qu'un coroner refuse ou néglige de procéder à une enquête qui devrait être effectuée ; ou,
b)  s'il a procédé à une enquête judiciaire, que (pour motif de fraude, rejet de preuves, irrégularité de la procédure, insuffisance de l'enquête, découverte de faits ou d'éléments nouveaux ou autres), il est nécessaire ou souhaitable dans l'intérêt de la justice qu'une autre enquête soit effectuée.
La High Court peut –
a)  ordonner une enquête judiciaire ou, le cas échéant, la tenue d'une nouvelle enquête judiciaire sur le décès (...) »
110.  Le Gouvernement et la requérante appellent l'attention sur l'évolution de la jurisprudence à la lumière de l'entrée en vigueur au Royaume-Uni de la loi de 1998 sur les droits de l'homme (Human Rights Act 1998), en particulier : R. (Amin) v. Secretary of State for the Home Department (House of Lords 2003, p. 51) ; R. v. Her Majesty's Coroner for the Western District of Somerset and Other, ex parte Middleton (House of Lords 2004, p. 10) ; R. v. Secretary of State for Health, ex parte Mohammed Farooq Khan (Court of Appeal) ; et R. v. Her Majesty's Coroner for Inner North London, ex parte Stanley (Court of Appeal).
111.  L'affaire Amin concernait l'homicide volontaire commis sur la personne d'un détenu par un codétenu souffrant de troubles mentaux incurables. Aucune enquête judiciaire publique n'avait jamais été effectuée sur les circonstances de cet homicide. Une enquête fut menée par un fonctionnaire en exercice des services pénitentiaires ainsi que par la Commission pour l'égalité raciale. Les deux enquêtes ne furent pas menées en public et la participation de la famille du défunt y fut minimale, voire inexistante. Après avoir examiné la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme sur l'article 2 de la Convention, Lord Bingham of Cornhill conclut que les normes minimales énoncées par la Cour n'avaient pas été respectées. La forme de l'enquête était déficiente, compte tenu en particulier de l'absence d'un contrôle du public sur l'enquête, la non-participation de la famille du défunt et, en ce qui concerne l'enquête officielle, le manque d'indépendance de l'agent chargé de l'enquête.
112.  L'affaire Khan concernait le décès d'un enfant de trois ans à la suite d'une grave faute médicale, qui fut ultérieurement reconnue par les autorités hospitalières au terme d'une enquête interne. Après une enquête policière approfondie, le Crown Prosecution Service estima qu'il n'y avait pas lieu à ouverture de poursuites pénales pour le décès de l'enfant. La famille n'obtint le droit de participer effectivement ni à l'enquête interne ni à celle de la police. La Cour d'appel (le Lord Justice Brooke) considéra qu'aucune des enquêtes qui avaient été menées ne remplissaient les obligations procédurales minima au titre de l'article 2 de la Convention. Le Lord Justice Brooke jugea lui aussi qu'une procédure d'enquête judiciaire indépendante sur le décès de l'enfant pourrait satisfaire aux obligations procédurales de l'Etat, mais uniquement si elle permettait à la famille d'y participer effectivement grâce à un financement par la voie de l'assistance judiciaire.
113.  L'affaire Stanley concernait l'homicide d'un civil par des policiers qui avaient cru à tort que celui-ci était armé. Une enquête judiciaire fut menée sur les circonstances de l'homicide. Le jury prononça un verdict ouvert. Saisie d'une demande de contrôle juridictionnel par la famille du défunt, la High Court ordonna l'annulation du verdict et la tenue d'une nouvelle enquête par un autre coroner. La High Court (le juge Silber) constata un certain nombre de lacunes dans la conduite de la procédure : premièrement, le coroner avait permis que le jury prît connaissance d'éléments se rapportant à des condamnations pénales antérieures du défunt, bien qu'ils ne fussent pas pertinents ; deuxièmement, le coroner avait permis que le jury prît connaissance de la conclusion du Crown Prosecution Service au terme de l'enquête de la police sur l'homicide d'après laquelle les preuves étaient insuffisantes pour justifier des poursuites pénales contre les policiers impliqués ; troisièmement, le coroner aurait dû recueillir l'avis d'experts indépendants sur le point de savoir si l'utilisation d'armes à feu par les policiers, dans les circonstances en cause, avait été justifiée ; quatrièmement, à la lumière d'une accusation crédible à tout le moins d'homicide involontaire par les policiers impliqués, le coroner n'avait pas justifié sa décision en expliquant, fût-ce brièvement, pourquoi il n'était pas prêt à laisser au jury la possibilité de rendre des verdicts que la famille souhaitait le voir envisager. Sur ce point, le juge Silber a estimé « qu'il [était] exceptionnel qu'un coroner n'expliqu[ât] pas, ne [fût]-ce que brièvement, pourquoi il n'[était] pas prêt à permettre au jury d'examiner un verdict demandé par la famille du défunt et en rapport avec lequel quelques preuves pertinentes exist[ai]ent ».
2.  La loi de 1976 sur les accidents mortels
114.  La loi de 1976 sur les accidents mortels (Fatal Accidents Act 1976) confère un droit d'action en cas d'actes illicites entraînant la mort. L'article 1 § 1 en est ainsi libellé :
« Si le décès résulte d'un acte illicite, d'une négligence ou d'un manquement tel qu'en l'absence de décès il aurait habilité la victime à engager une action et à réclamer des dommages-intérêts pour le préjudice subi, la personne qui aurait été déclarée responsable si le décès n'était pas advenu peut faire l'objet d'une action en dommages-intérêts, nonobstant le décès de la victime. »
Le droit d'action prévu par cette loi n'appartient toutefois qu'aux personnes qui étaient à la charge du défunt (article 1 § 2, qui permet à ces personnes d'obtenir réparation pour leur préjudice matériel). Si le défunt n'avait pas de personnes à charge, il n'y a pas de perte matérielle susceptible d'indemnisation. Une indemnité de deuil (fixée à 7 500 livres sterling) ne peut être obtenue que par les parents d'un enfant âgé de moins de dix-huit ans (article 1A § 2). Les frais funéraires peuvent être recouvrés (article 3 § 5).
115.  La loi sur les accidents mortels ne prévoit aucune action pour un défunt qui ne laisse pas de personnes à charge, ou qui ne tombe pas dans la catégorie limitée des personnes susmentionnées. Le droit anglais ne reconnaît pas l'homicide volontaire comme infraction.
3.  La loi de 1934 portant diverses dispositions de réforme du droit
116.  La loi de 1934 portant diverses dispositions de réforme du droit (Law Reform (Miscellaneous Provisions) Act 1934) prévoit la survivance des droits d'action dans le patrimoine successoral du défunt. L'article 1 § 1 de ladite loi comporte ainsi le passage suivant :
« Sous réserve des dispositions du présent article, les droits d'action subsistant contre une personne ou possédés par une personne sont versés au passif ou à l'actif, selon le cas, de son patrimoine successoral à son décès si celui-ci advient après l'entrée en vigueur de la présente loi. »
Ce système permet l'obtention pour le compte de la succession de dommages-intérêts pour les pertes subies par le défunt avant sa mort, y compris celles revêtant un caractère non matériel. Peuvent ainsi être perçus des dommages-intérêts pour la douleur et la souffrance éprouvées entre l'infliction des blessures et la mort. Lorsque le décès est instantané ou lorsque l'on ne peut démontrer que le défunt a éprouvé douleur et souffrance avant son décès, la loi de 1934 ne permet pas d'obtenir des dommages-intérêts et seuls les frais funéraires peuvent alors être recouvrés.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 2 DE LA CONVENTION
117.  La requérante soutient que Michael Fitzgerald a été tué par des agents de l'Etat défendeur dans des circonstances qui ne sont pas compatibles avec les exigences matérielles de l'article 2 de la Convention. De plus, l'enquête sur l'homicide n'aurait pas été conforme aux obligations procédurales de l'Etat défendeur au titre de ce même article. L'article 2 est libellé comme suit :
« 1.  Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.
2.  La mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire :
a)  pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;
b)  pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue ;
c)  pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »
118.  Le Gouvernement conteste ces deux allégations.
B.  Appréciation de la Cour
a)  Les actions du policier B et la préparation ainsi que le contrôle de l'opération
i.  Les actions du policier B
138.  La Cour n'a aucune raison de douter que le policier B ait sincèrement cru que sa vie était en danger et qu'il devait ouvrir le feu sur Michael Fitzgerald afin de se protéger et de protéger ses collègues. Elle rappelle à cet égard que l'usage de la force par des agents de l'Etat pour atteindre l'un des objectifs énoncés au paragraphe 2 de l'article 2 de la Convention peut se justifier au regard de cette disposition lorsqu'il se fonde sur une conviction honnête considérée, pour de bonnes raisons, comme valable à l'époque des événements mais qui se révèle ensuite erronée. Affirmer le contraire imposerait à l'Etat et à ses agents chargés de l'application des lois une charge irréaliste qui risquerait de s'exercer aux dépens de leur vie et de celle d'autrui (McCann et autres [c. Royaume-Uni, arrêt du 27 septembre 1995, série A no 324], pp. 58-59, § 200 ; Andronicou et Constantinou c. Chypre, arrêt du 9 octobre 1997, Recueil [des arrêts et décisions] 1997-VI, p. 2107, § 192 ; et Brady c. Royaume-Uni (déc.), no 55151/00, 3 avril 2001).
139.  La Cour ajoute également à cet égard qu'elle ne saurait, en réfléchissant dans la sérénité des délibérations, substituer sa propre appréciation de la situation à celle de l'agent qui a dû réagir, dans le feu de l'action, à ce qu'il percevait sincèrement comme un danger afin de sauver sa vie (voir, mutatis mutandis, Andronicou et Constantinou, précité, p. 2107, § 192). Le policier B s'est trouvé confronté à un homme qui dirigeait un pistolet sur lui, avait ignoré les sommations de se rendre et, en dépit de celles-ci, avait donné par moments la nette impression qu'il allait ouvrir le feu. Il y a lieu de relever que même avant de tirer le coup mortel, le policier B avait fait une dernière sommation, restée sans effet.
140.  La Cour estime que, dans les circonstances de la cause, le recours à la force meurtrière, quoique très regrettable, n'a pas été disproportionné et n'a pas outrepassé les limites de ce qui était absolument nécessaire pour éviter ce que le policier B avait honnêtement perçu comme étant un danger réel et imminent menaçant sa vie et celle de ses collègues.
ii.  La préparation et la direction de l'opération
141.  En procédant à l'évaluation de la phase de préparation et de direction de l'opération sous l'angle de l'article 2 de la Convention, la Cour doit considérer tout particulièrement le contexte dans lequel l'accident s'est produit ainsi que la manière dont la situation a évolué. Son unique souci doit être de déterminer si, dans ces conditions, la préparation et la direction de l'opération à l'extérieur de l'appartement de Michael Fitzgerald montrent que les autorités ont déployé la vigilance voulue pour que toute mise en danger de la vie de Michael Fitzgerald fût réduite au minimum et qu'elles n'ont pas fait preuve de négligence dans le choix des mesures prises (Andronicou et Constantinou, précité, p. 2102, §§ 181-182).
142.  La Cour relève d'emblée que l'opération de police a été montée en réponse à l'inquiétude provoquée chez Melanie Joy par la présence d'un intrus dans l'appartement de Michael Fitzgerald et par sa crainte que Michael Fitzgerald fût en danger. Cette crainte semble avoir été confirmée lorsque l'un des deux policiers qui étaient arrivés sur les lieux vit un homme armé à l'intérieur de l'appartement de Michael Fitzgerald. Cette scène, clairement alarmante puisque l'homme pointa un pistolet sur le policier, provoqua une opération de police d'envergure, dont l'appel à des policiers armés puis le positionnement de ceux-ci devant et derrière l'appartement.
143.  Il y a lieu également de relever que par la suite cette opération a été menée sous la direction constante d'officiers de police expérimentés et que le déploiement des policiers armés a été vérifié et approuvé par les conseillers en armes tactiques dépêchés sur les lieux.
144.  On ne peut contester que la police s'est considérée comme impliquée dans une situation tendue avec un homme armé et qu'il fallait prendre des mesures pour protéger la population. La police établit un cordon de sécurité autour de la zone afin d'écarter toute menace pour la vie des passants et, lorsque la nuit fut tombée, elle éclaira les alentours de l'appartement de façon à accroître la visibilité et à minimiser le risque d'erreur dans le cas d'un échange de coups de feu. Il est aussi incontestable que la tension ne s'est jamais relâchée. L'homme fut aperçu à plusieurs reprises en train de brandir une arme à feu de manière menaçante et à plusieurs reprises il prit la position de quelqu'un prêt à tirer. La requérante n'a pas donné à entendre que l'arme n'avait pas l'air d'une vraie ou que les policiers se trouvant sur les lieux auraient pu deviner qu'il s'agissait d'une arme factice compte tenu de la formation qu'ils avaient dans le domaine des armes à feu.
145.  En ce qui concerne la protection de l'individu à l'intérieur de l'appartement, il convient d'observer que la police avait pour principale préoccupation de sortir de l'impasse en usant de persuasion. Elle adressa de nombreuses sommations à l'intéressé, auquel elle offrit maintes occasions de se rendre. Il n'en eut cure.
146.  Il est regrettable qu'il n'y ait pas eu de négociateur expérimenté sur les lieux de l'incident pour mettre un terme au siège, en particulier en expliquant à Michael Fitzgerald pourquoi l'opération avait été montée et en lui réitérant l'assurance qu'il ne risquerait rien s'il posait son arme. Aucune explication n'a été fournie sur le fait qu'il n'ait jamais été indiqué à Melanie Joy ou à un voisin que l'homme qui se trouvait à l'intérieur de l'appartement s'était identifié par téléphone au commissaire Battle comme étant « Mick » afin de voir si « Mick » pouvait en réalité être Michael Fitzgerald. Melanie Joy le connaissait sous ce diminutif. Elle savait également qu'il avait un problème d'alcool, et le commissaire Battle avait eu l'impression au cours de la conversation téléphonique que l'homme qui se trouvait à l'intérieur de l'appartement était ivre. Melanie Joy avait aussi informé la police tout au début de l'incident que Michael Fitzgerald possédait des armes factices chez lui. Comme les efforts de la police pour savoir où se trouvait Michael Fitzgerald n'avaient pas abouti pendant ce laps de temps, on ne peut exclure que, si elle avait vérifié ces points, la police aurait été mieux à même de se rendre compte que l'individu qu'elle avait pris pour un intrus armé dans l'appartement n'était autre que Michael Fitzgerald, en état d'ébriété et un pistolet factice à la main.
147.  Cela dit, la Cour doit faire preuve de prudence quand elle réexamine les événements avec le bénéfice du recul. Elle relève que, vu la quantité d'alcool absorbée par Michael Fitzgerald, il n'existe aucune garantie qu'un négociateur expérimenté aurait mieux réussi que le commissaire Battle à dénouer pacifiquement la situation. Michael Fitzgerald a toujours été conscient que la police était présente à l'extérieur de son appartement, et il a pourtant persisté dans ses gestes menaçants avec son arme. A aucun moment la police n'a eu confirmation que l'homme qui se trouvait dans l'appartement était Michael Fitzgerald. Melanie Joy avait crié son nom à travers la boîte aux lettres sans obtenir de réponse. En outre, les personnes interrogées sur l'endroit où Michael Fitzgerald avait été vu en dernier avaient estimé qu'il avait quitté le Blarney Stone à 18 h 40. Melanie Joy, par ailleurs, avait aperçu un homme se hisser avec difficulté dans l'appartement par la fenêtre d'en bas vers 18 h 25. L'heure laissait à penser que l'homme n'était pas Michael Fitzgerald. Certes, le commissaire Battle s'était entretenu au téléphone avec l'homme qui se trouvait à l'intérieur de l'appartement à 20 heures et avait appris qu'il s'appelait « Mick ». Cette nouvelle information fut transmise aux policiers armés et c'était manifestement là un élément à prendre en compte pour établir l'identité de cet homme. La Cour ne considère toutefois pas qu'à elle seule cette information aurait dû immédiatement amener la police à modifier sa tactique. Les officiers supérieurs de police se trouvant en première ligne continuèrent à penser qu'il fallait temporiser en attendant une solution pacifique.
148.  Dans ces circonstances, la Cour estime qu'il ne peut être reproché aux officiers supérieurs de ne pas avoir retiré les policiers armés de derrière l'appartement. Comme elle l'a déjà noté, l'opportunité de les positionner à cet endroit a été soupesée et approuvée par des policiers expérimentés, et la chaîne de commandement n'a jamais été rompue. La Cour relève en outre qu'au moment où le coup fatal a été tiré, les policiers armés qui avaient pris position derrière l'appartement étaient conscients du fait qu'ils étaient surveillés par une fenêtre du premier étage.
Surtout, il semble que la police n'ait voulu à aucun moment précipiter les choses, mais qu'elle ait cherché à dénouer la situation sans recourir à la force meurtrière ou à une tactique qui eût pu provoquer une réaction violente de l'homme se trouvant dans l'appartement. Il est significatif à cet égard que l'inspectrice Kelly ait ordonné une intervention du personnel de nuit, ce qui démontre une ferme intention d'éviter une confrontation et toute effusion de sang.
149.  La Cour ne peut être d'accord avec la thèse de la requérante selon laquelle la manière dont l'opération a été préparée et exécutée conduisait inévitablement à tuer Michael Fitzgerald. Il convient de rappeler que l'incident fut d'une durée relativement brève et qu'il présenta maints risques. Pendant ce laps de temps, il fallut prendre des décisions opérationnelles au fur et à mesure que la situation évoluait et que l'on disposait de plus d'informations. L'incident se termina brusquement et tragiquement.
150.  La Cour note en outre – et aucun argument n'a été présenté en sens contraire – que le recours aux armes à feu par la police ainsi que la conduite des opérations de police de ce genre étaient régis par le droit interne et qu'un système de garanties effectives et suffisantes existe pour prévenir le recours arbitraire à la force meurtrière. En l'espèce, aucun des policiers ayant joué un rôle clé n'a agi dans le vide. Ils avaient tous été entraînés au maniement des armes à feu et leurs mouvements et actes étaient soumis au contrôle et à la surveillance de policiers expérimentés (comparer, en sens contraire, Makaratzis c. Grèce [GC], no 50385/99, § 70, CEDH 2004-XI).
151.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime qu'il n'a pas été établi que l'opération en cause n'ait pas été programmée et organisée de manière à réduire autant que possible tout risque pour la vie de Michael Fitzgerald.
iii.  Conclusion générale de la Cour
152.  La Cour considère que, vu les actions du policier B qui ouvrit le feu et la façon dont l'opération en question a été préparée et dirigée, l'homicide sur la personne de Michael Fitzgerald est résulté d'un recours à la force rendu absolument nécessaire pour la défense du policier B et de ses collègues, en conformité avec l'article 2 de la Convention.
Partant, il n'y a pas eu violation des exigences matérielles de cet article.
b)  Manquement allégué à se conformer à l'obligation procédurale de mener une enquête effective
153.  La Cour observe d'emblée qu'elle a déjà eu l'occasion de conclure que la procédure d'enquête judiciaire en vigueur en Angleterre et au pays de Galles est de nature à satisfaire aux exigences de l'article 2 en matière d'enquête effective sur une allégation d'homicide par des agents de l'Etat. Ainsi, dans l'arrêt Hugh Jordan [c. Royaume-Uni, no 24746/94, 4 mai 2001], elle a noté que les enquêtes judiciaires consistent en une procédure publique dirigée par un coroner, officier ministériel indépendant, qui siège habituellement avec un jury, en vue d'établir les circonstances d'un décès suspect. Les décisions des coroners en matière de procédure et les indications erronées données à un jury peuvent faire l'objet d'un contrôle juridictionnel. Il existe donc des mécanismes solides qui garantissent la légalité et la régularité de la procédure. Qui plus est, le jury d'enquête peut rendre diverses sortes de verdict. En cas de verdict d'« homicide illégal », le Director of Public Prosecutions a l'obligation de reconsidérer toute décision de classement sans suite et d'exposer ses motifs, lesquels peuvent alors être contestés devant un tribunal. Bien que le coroner soit tenu de limiter ses investigations aux éléments qui constituent la cause directe du décès et ne puisse les étendre aux circonstances plus générales, cela ne doit pas l'empêcher d'examiner des questions telles que la préparation et la conduite, par exemple, d'une opération de police qui se révèle meurtrière, compte tenu en particulier de ce que l'un des objectifs essentiels de l'enquête judiciaire est de dissiper les rumeurs et les soupçons quant à la manière dont quelqu'un a trouvé la mort (ibidem, §§ 125-129).
154.  La Cour doit examiner les lacunes alléguées, en l'espèce, par la requérante dans le processus d'établissement des faits dans le cadre de l'enquête afin de rechercher si, seules ou cumulées, elles ont porté atteinte à ce processus et, par conséquent, à l'effectivité de l'enquête sur les circonstances du décès de Michael Fitzgerald.
155.  Quant à la décision du coroner d'accorder l'anonymat aux policiers A, B, C et D, la Cour constate que cette décision a été prise seulement après un examen attentif des intérêts concurrents en jeu. Le coroner entendit des observations des avocats de la famille. A la lumière des arguments de celle-ci, il envisagea la menace possible de représailles contre le policier B et ses proches si l'identité de celui-ci était divulguée. De plus, il étaya pleinement sa décision en donnant des raisons qui furent approuvées par la High Court dans la procédure sur la demande de contrôle juridictionnel présentée par Local Sunday Newspapers Limited.
156.  La Cour rappelle à cet égard qu'elle a déjà eu l'occasion de discuter de la compatibilité de la décision d'un juge d'accorder l'anonymat à un témoin à charge avec les exigences d'un procès équitable au sens de l'article 6 de la Convention. Certes, la procédure d'enquête judiciaire ne portait pas sur le bien-fondé d'une accusation en matière pénale à l'encontre du policier B. Pour cette raison, et dans la mesure où la requérante se fonde sur l'article 6 pour contester l'équité de la procédure, son grief doit être considéré comme incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention. Néanmoins, les principes qui découlent de la jurisprudence au titre de l'article 6 sur la question de l'anonymat des témoins (voir, par exemple, Doorson c. Pays-Bas, arrêt du 26 mars 1996, Recueil 1996-II, p. 470, § 70, et Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, arrêt du 23 avril 1997, Recueil 1997-III, pp. 711-712, §§ 51-55) ne sont pas sans pertinence pour l'évaluation par la Cour, sous l'angle de l'article 2, du point de savoir si l'enquête a garanti à la requérante, premièrement, une participation suffisante à l'enquête sur le décès de Michael Fitzgerald et, deuxièmement, un cadre adéquat pour assurer que l'Etat et ses agents rendent des comptes pour leurs actes ou omissions allégués ayant conduit au décès de Michael Fitzgerald.
157.  A cet égard, la Cour note que les policiers B, C et D ont témoigné lors de l'enquête judiciaire et ont été interrogés par le représentant légal de la famille. En conséquence, le défaut identifié par la Cour dans l'affaire Hugh Jordan (précitée, § 127), à savoir l'impossibilité de contraindre le policier soupçonné d'avoir causé le décès du fils du requérant à comparaître, est absent en l'espèce. De plus, la procédure suivie par le coroner a suffisamment compensé les obstacles que la famille a pu rencontrer : les policiers B, C et D étaient cachés du public par un écran mais ils comparurent et furent interrogés en présence du coroner, des avocats de la famille et du jury.
158.  Ces constatations amènent la Cour à conclure que la décision d'octroyer l'anonymat aux policiers A, B, C et D n'a pas limité l'effectivité de l'enquête.
159.  La requérante conteste en outre la décision du coroner de ne pas entendre Kate Bellamy en tant que témoin. Toutefois, la Cour considère que, dans les circonstances, cette décision relevait bien du pouvoir d'appréciation du coroner. S'il est de la plus haute importance qu'un tableau complet et précis se dégage des événements ayant conduit à un homicide par des agents de l'Etat, les preuves à recueillir à cette fin doivent être filtrées selon leur pertinence. En l'espèce, le coroner, un magistrat indépendant, a choisi de ne pas admettre la déclaration de Kate Bellamy à la police pour des raisons de pertinence. Il n'appartient pas à la Cour de contester cette décision. La Cour se contente de noter que l'information fournie par Kate Bellamy, à savoir que Michael Fitzgerald possédait deux armes factices, n'a jamais été communiquée à la police au cours de l'opération qui se déroulait à l'extérieur de l'appartement de celui-ci. Dès lors, la déclaration n'eut pas d'importance pour la procédure d'établissement des faits.
160.  Pour des raisons similaires, la Cour ne trouve rien à redire au fait que l'inspecteur McCart n'ait pas été présent à l'enquête. Le commissaire Battle fut interrogé par les avocats de la famille sur le point de savoir s'il avait conduit avec sagesse la conversation téléphonique avec Michael Fitzgerald. Il y a donc eu toute possibilité de dire que les choses auraient pu se dérouler autrement si un négociateur expérimenté avait été présent sur les lieux. D'ailleurs, le commissaire Battle a reconnu devant le jury que la manière dont il avait mené son contact téléphonique avec Michael Fitzgerald n'était pas à l'abri de reproches.
161.  En venant à la question de la non-divulgation de certains documents/éléments à la famille du défunt, la Cour rappelle que la décision de non-divulgation fut prise par le coroner. Il ne semble pas que la police ait décidé unilatéralement de ne pas divulguer de documents. Ce qui importe à la Cour, c'est que la famille ait eu à sa disposition toutes les informations nécessaires à la défense de ses intérêts dans la procédure d'enquête judiciaire, c'est-à-dire pour élucider les circonstances ayant entouré le décès de Michael Fitzgerald et obtenir que les policiers impliqués aient à rendre compte de tous les actes ou omissions qu'elle leur reprochait. Eu égard au nombre considérable de témoins qui ont comparu dans le cadre de l'enquête judiciaire et au fait que tous les témoins essentiels qui pouvaient aider à jeter la lumière sur les événements ont déposé, la Cour n'estime pas que la non-divulgation, par exemple, du rapport relatif à l'enquête menée sur le décès de Michael Fitzgerald ait porté atteinte au processus d'établissement des faits dans le cadre de celle-ci ou ait privé la famille d'une participation effective à la procédure. La Cour note que le conseil de la police ne s'est pas appuyé sur les conclusions de M. Davies pour épargner tout reproche aux policiers ou à leurs supérieurs.
Des constatations similaires s'appliquent à la non-divulgation de l'enregistrement des messages radio de la police concernant l'incident ou des fichiers électroniques imprimés. La Cour relève que la requérante n'a pas mis en doute l'observation du Gouvernement selon laquelle le jury a eu connaissance de toutes les transmissions pertinentes enregistrées au cours de l'incident.
162.  La Cour doit aussi prendre en considération le fait que, pendant l'enquête de la PCA, la police a déployé des efforts considérables pour tenir la famille informée des progrès de cette enquête. Les membres de la famille ont formulé des déclarations, et le frère de Michael Fitzgerald a obtenu une déclaration intérimaire sur le rapport de M. Davies à la PCA indiquant les divers éléments sur lesquels se fondaient les conclusions finales de ce dernier.
163.  La Cour observe en conclusion que l'enquête judiciaire a duré quatre jours et a permis d'entendre de nombreux témoins. Le jury s'est rendu sur les lieux de l'incident. Même si elle s'est vu refuser l'assistance judiciaire, la famille a été représentée tout au long de la procédure par un avocat expérimenté. Bien que le coroner ait donné pour instruction au jury de rendre un verdict d'homicide légal, cela n'a pas privé la procédure de son caractère effectif. Si un magistrat indépendant comme le coroner décide à l'issue d'une procédure publique exhaustive que les éléments de preuve soumis sur toutes les questions amènent tous clairement à une seule et même conclusion, et ce en sachant que sa décision peut être l'objet d'un contrôle juridictionnel, on ne saurait affirmer que cette décision porte atteinte à l'effectivité de la procédure.
164.  La requérante appelle l'attention sur la jurisprudence interne récente qui découle de l'entrée en vigueur de la loi de 1998 sur les droits de l'homme (paragraphes 110-113 ci-dessus). D'après l'intéressée, cette jurisprudence indique que l'actuelle procédure d'enquête judiciaire dans l'Etat défendeur ne se concilie pas avec la jurisprudence de la Cour au titre de l'article 2. Toutefois, la Cour tient à souligner qu'elle doit se limiter à la présente affaire pour rechercher si l'enquête judiciaire a été ou non conforme aux exigences de l'article 2. Elle a éprouvé la procédure par rapport aux principes applicables et estime que ceux-ci ont été respectés dans les circonstances de la cause.
165.  Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut qu'il n'y a pas eu violation des obligations procédurales incombant à l'Etat défendeur au titre de l'article 2 de la Convention.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
166.  La requérante soutient que, compte tenu des défauts qui ont entaché la conduite de cette enquête, il y a lieu de conclure qu'elle s'est vu refuser un recours effectif et qu'une violation de l'article 13 de la Convention en est résultée. L'article 13 est libellé comme suit :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
167.  La requérante ajoute que l'enquête de la PCA sur la conduite des policiers impliqués dans l'incident n'a pas satisfait à l'exigence d'indépendance et n'a donc pu constituer un recours effectif. En outre, Michael Fitzgerald est décédé sur le coup et n'avait pas de personnes à charge. Ce qui veut dire que ni la loi de 1934 portant diverses dispositions de réforme du droit ni la loi de 1976 sur les accidents mortels (voir ci-dessus, « Le droit interne pertinent ») ne permettaient à la requérante ou à la succession du défunt d'assigner l'Etat en dommages-intérêts.
168.  La requérante réitère sa position selon laquelle, depuis l'entrée en vigueur de la loi de 1998 sur les droits de l'homme, les tribunaux internes admettent que l'étroitesse de la portée des investigations dans le cadre de l'enquête judiciaire ne répond pas aux exigences de la Convention. Selon elle, il n'est pas étonnant qu'elle se soit vu refuser une aide judiciaire pour contester la procédure d'enquête compte tenu du fait que l'étendue de l'enquête judiciaire menée au sujet du décès de son frère était considérée comme conforme au droit interne à cette époque.
169.  Le Gouvernement soutient que les circonstances de l'espèce ne révèlent pas de violation de l'article 2 pouvant donner lieu à contestation. La question d'un recours effectif ne se pose donc pas. Si la police avait agi de manière incorrecte, la succession de Michael Fitzgerald aurait eu un droit d'action au titre de la loi de 1934 portant diverses dispositions de réforme du droit. De plus, et en ce qui concerne la requérante, la procédure de contrôle juridictionnel aurait permis de faire annuler le verdict de l'enquête judiciaire si celle-ci avait été menée de manière inéquitable. Dans le cas d'espèce, il n'existait aucun élément pouvant fonder une demande de contrôle juridictionnel, et la décision de ne pas octroyer d'aide judiciaire à la requérante à cette fin se justifiait donc. De surcroît, la requérante aurait pu solliciter le contrôle juridictionnel, premièrement, de la décision du Director of Public Prosecutions de ne poursuivre aucun des policiers impliqués dans l'incident et, deuxièmement, de la décision de la PCA de ne pas entamer de procédure disciplinaire.
170.  D'après la jurisprudence constante de la Cour, l'article 13 s'applique uniquement lorsqu'une personne présente un « grief défendable » de violation d'un droit protégé par la Convention (Boyle et Rice c. Royaume-Uni, arrêt du 27 avril 1988, série A no 131, p. 23, § 52, et Douglas-Williams c. Royaume-Uni (déc.), no 56413/00, 8 janvier 2002). Même si la Cour a conclu à l'absence de violation de l'article 2 en l'espèce, le grief de la requérante n'en demeure pas moins « défendable » aux fins de l'article 13 (Kaya [c. Turquie, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I], pp. 330-331, § 107). La Cour note à cet égard que même si l'enquête judiciaire a fourni dans les circonstances de la cause un mécanisme effectif ayant permis de soumettre les circonstances dans lesquelles Michael Fitzgerald avait trouvé la mort à un examen public et approfondi, et a ainsi satisfait aux obligations procédurales que l'article 2 fait à l'Etat défendeur, aucun tribunal n'a jamais statué sur la question de savoir si la police était tenue de verser des dommages-intérêts en raison de la manière dont l'incident avait été mené et s'était terminé. Le jury a certes rendu à l'issue de l'enquête judiciaire un verdict d'homicide légal. Toutefois, on ne saurait dire que cette conclusion tranche le point de savoir si la responsabilité civile de la police était engagée, point qui doit être résolu dans un autre cadre interne d'établissement des faits, selon des principes de droit différents et en application d'un critère de preuve différent. D'ailleurs, la Cour a conclu, sur la base des éléments en sa possession, qu'il n'y avait pas eu de violation matérielle du droit à la vie, à la lumière des principes pertinents découlant de sa jurisprudence dans ce domaine, et en particulier du point de vue de la responsabilité des autorités au titre de la Convention (...)
171.  La Cour rappelle à cet égard avoir déjà eu l'occasion de dire qu'en cas de violation des articles 2 et 3, qui sont les dispositions les plus fondamentales de la Convention, une indemnisation du préjudice moral découlant de la violation doit en principe faire partie du régime de réparation mis en place (Z et autres c. Royaume-Uni [GC], no 29392/95, § 109, CEDH 2001-V ; Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, § 130, CEDH 2001-III) ; et Paul et Audrey Edwards c. Royaume-Uni, no 46477/99, §§ 97-98, CEDH 2002-II).
172.  En l'espèce, il y a lieu de noter que la loi de 1976 sur les accidents mortels ne s'applique pas à la requérante puisqu'elle n'est pas une personne à charge. De plus, le maximum qui puisse être recouvré, en vertu de la loi de 1934 portant diverses dispositions de réforme du droit, pour le compte de la succession du défunt sont les dépenses liées aux funérailles. Il y a lieu de conclure que la requérante n'avait aucune perspective de se voir octroyer une indemnisation du dommage moral subi par elle même si, pour finir, un tribunal statuait en sa faveur. La Cour ajoute que l'impossibilité d'obtenir une indemnisation du dommage moral aurait rendu hautement improbable que la requérante bénéficiât de l'aide judiciaire pour engager une action civile contre la police.
173.  Dès lors, la Cour conclut qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.  Dit, à l'unanimité, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 2 de la Convention sous son volet matériel ;
2.  Dit, à l'unanimité, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 2 de la Convention sous son volet procédural ;
3.  Dit, par six voix contre une, qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention ;
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 17 mars 2005, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Vincent Berger Boštjan Zupančič  Greffier  Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion partiellement dissidente de M. Zagrebelsky.
B.M.Z.
V.B.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE  DE M. LE JUGE ZAGREBELSKY
(Traduction)
A mon grand regret, je ne puis souscrire à l'avis de la majorité de la Cour lorsqu'elle constate, en l'espèce, une violation de l'article 13 de la Convention.
La Cour ayant conclu à l'absence de violation de l'article 2, il n'est pas correct de constater une violation de l'article 13 faute de recours interne permettant de remédier à une atteinte à l'article 2.
Au paragraphe 170 de l'arrêt, la Cour considère que « [m]ême si [elle] a conclu à l'absence de violation de l'article 2 en l'espèce, le grief de la requérante n'en demeure pas moins « défendable » aux fins de l'article 13 » et cite à cet égard son arrêt Kaya c. Turquie (arrêt du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, pp. 330-331, § 107). L'affaire Kaya était, toutefois, très différente. La Cour y a estimé qu'il n'avait pas été établi au-delà de tout doute raisonnable que le défunt avait bien été tué de manière illégale comme allégué et elle n'a constaté une violation de l'article 2 que sous son volet procédural, faute pour les autorités de l'Etat défendeur d'avoir procédé à une enquête effective sur l'homicide. Dans l'affaire Kaya, il ressortait donc clairement que les obligations procédurales au titre de l'article 2 n'avaient pas été remplies et c'est pourquoi la Cour a constaté également une violation de l'article 13.
D'après moi, il ne peut y avoir de correspondance automatique entre une violation procédurale de l'article 2 et une violation de l'article 13. Dans mon opinion partiellement dissidente dans l'affaire Khachiev et Akaïeva c. Russie (nos 57942/00 et 57945/00, 24 février 2005), j'ai émis l'avis qu'il n'y avait pas de raisons de conclure à la violation de l'article 13 du simple fait qu'il y avait eu violation de l'obligation procédurale découlant de l'article 2. Il faut souligner en outre qu'ici la situation est différente. Il peut être utile de se référer à Kaya, mais pour l'opposer à la présente espèce puisque dans cet arrêt-ci, aucune violation n'est constatée, que ce soit sous le volet matériel ou sous le volet procédural de l'article 2.
Au paragraphe 171, la Cour rappelle qu'« en cas de violation des articles 2 et 3 (...) une indemnisation du préjudice moral découlant de la violation doit en principe faire partie du régime de réparation mis en place ». Nous pouvons donc considérer qu'un droit à réparation découle de la violation de l'article 2 et que ce droit est un droit garanti par la Convention. Par conséquent, ce droit devrait être tenu pour un droit auquel renvoie l'article 13. Or l'article 13 n'est applicable que si ce droit donne lieu, dans un cas déterminé, à un « grief défendable ». Je me demande comment on pourrait considérer comme « défendable » un grief reposant sur une violation de la Convention, et dans le même temps estimer qu'il n'y a pas eu violation de la Convention.
Je reconnais que la Cour a déclaré recevable le grief de la requérante. Je ne pense pourtant pas que le grief devrait, de ce chef, être tenu pour « défendable » aux fins de la procédure devant un juge national. A mon avis, ce qui compte, c'est l'arrêt définitif de la Cour, qui en l'occurrence est une décision de non-violation. La décision sur la recevabilité est une décision préliminaire qui n'a qu'un effet procédural. Je souhaiterais ajouter qu'en l'espèce la Cour a jugé nécessaire, après la décision sur la recevabilité, de demander aux parties des informations complémentaires sur certains points concernant la conduite de l'opération de la police et les enquêtes menées. C'est pourquoi il n'y a pas, à mon avis, de raisons de déclarer « défendable » un grief que, dans son arrêt, la Cour considère en réalité comme mal fondé.
ARRÊT BUBBINS c. ROYAUME-UNI
ARRÊT BUBBINS c. ROYAUME-UNI 
ARRÊT BUBBINS c. ROYAUME-UNI
ARRÊT BUBBINS c. ROYAUME-UNI – OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE 
DE M. LE JUGE ZAGREBELSKY


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 50196/99
Date de la décision : 17/03/2005
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Non-violation de l'art. 2 en ce qui concerne le manquement allégué de l'Etat à protéger le droit à la vie ; Non-violation de l'art. 2 en ce qui concerne l'effectivité de l'enquête ; Violation de l'art. 13 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 13) GRIEF DEFENDABLE, (Art. 13) INSTANCE NATIONALE, (Art. 13) RECOURS EFFECTIF, (Art. 2-1) VIE, (Art. 2-2) ABSOLUMENT NECESSAIRE, (Art. 2-2) DEFENSE CONTRE LA VIOLENCE ILLEGALE


Parties
Demandeurs : BUBBINS
Défendeurs : ROYAUME-UNI

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2005-03-17;50196.99 ?
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