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18/10/2005 | CEDH | N°50018/99

CEDH | ADEN ROBLEH c. FRANCE


DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 50018/99  présentée par Awalleh ADEN ROBLEH  contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 18 octobre 2005 en une chambre composée de :
MM. I. Cabral Barreto, président,    J.-P. Costa,    V. Butkevych,   Mmes A. Mularoni,    E. Fura-Sandström,    D. Jočienė,   M. D. Popović, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 23 juillet 1999,
Vu les ob

servations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en a...

DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 50018/99  présentée par Awalleh ADEN ROBLEH  contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 18 octobre 2005 en une chambre composée de :
MM. I. Cabral Barreto, président,    J.-P. Costa,    V. Butkevych,   Mmes A. Mularoni,    E. Fura-Sandström,    D. Jočienė,   M. D. Popović, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 23 juillet 1999,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, Awalleh Aden Robleh, est un ressortissant djiboutien, né en 1941 et résidant à Djibouti. Il est représenté devant la Cour par Me C. Waquet, avocate au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation et par Me A. Comte, avocat à Paris. Le gouvernement défendeur a été représenté par son Agent, M. R. Abraham, auquel a succédé dans ses fonctions Mme E. Belliard, Directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 27  septembre 1990, un attentat fut perpétré à Djibouti, à l’aide de grenades, contre deux cafés fréquentés par des militaires et coopérants français (le Café de Paris et l’Historil), provoquant la mort d’un enfant français et blessant dix-sept autres personnes, presque toutes de nationalité française.
Le requérant, ancien ministre du gouvernement djiboutien et leader d’un parti politique d’opposition au gouvernement alors en place, aurait obtenu le statut de réfugié politique en France et résidé en France de 1990 à 1992. Il serait reparti pour Djibouti en 1992.
Le requérant, son épouse et cinq autres personnes furent mis en cause dans l’organisation ou la réalisation de cet attentat.
1.  Procédure à Djibouti
Une information judiciaire fut ouverte à Djibouti. Le 17 octobre 1998, le requérant fut placé sous contrôle judiciaire et son passeport lui fut retiré.
Le 5 octobre 2000, la chambre d’accusation renvoya le requérant et quatre autres personnes devant la cour criminelle de Djibouti, pour y répondre des chefs d’assassinat, tentative d’assassinat et complicité.
Par arrêt du 9 avril 2001, la cour criminelle déclara les prévenus coupables des faits reprochés. S’agissant du requérant, la cour criminelle retint que, s’il était établi qu’il n’avait pas participé physiquement à l’attentat, il apparaissait néanmoins comme l’un des instigateurs de cette action terroriste. La cour le reconnut coupable des crimes de complicité d’assassinat et complicité de tentative d’assassinat et le condamna en conséquence à une peine de six ans de réclusion criminelle avec sursis.
Selon les informations fournies par le Gouvernement, cet arrêt est définitif.
2.  Procédure en France
Parallèlement, le 30 novembre 1990, une procédure judiciaire fut ouverte en France, en raison de la nationalité française de la plupart des victimes, des chefs d’assassinat, tentative d’assassinats et destruction par explosifs ayant entraîné la mort d’une personne.
Le 16 avril 1992, le juge d’instruction français délivra des mandats d’arrêts internationaux contre cinq personnes de nationalité djiboutienne, anciens militaires de l’armée djiboutienne. Trois d’entre eux furent arrêtés en Ethiopie et extradés vers Djibouti, où le quatrième était déjà détenu.
Le 9 juillet 1993, le juge délivra aux autorités judiciaires djiboutiennes une commission rogatoire internationale à l’effet notamment de procéder à la mise en examen et aux interrogatoires de première comparution de trois des suspects, à un certain nombre d’actes d’instruction (expertises, confrontations, etc...) et à l’audition de plusieurs témoins, dont le requérant.
La commission rogatoire fut exécutée du 17 au 30 octobre 1993 à Djibouti, avec l’assistance de policiers français. Le compte-rendu du 24 janvier 1994, rédigé par l’un des policiers français, précisait qu’à défaut d’accord des autorités djiboutiennes, le requérant et son épouse n’avaient pu être entendus. Le compte-rendu se concluait ainsi :
« (...) cet attentat n’aurait pas obligatoirement été perpétré avec l’assentiment de Monsieur Aden Robleh, exilé à l’époque en Ethiopie et revenu depuis en République de Djibouti où il appartient à l’opposition. »
Le 6 septembre 1993, à la requête du juge d’instruction, le requérant et son épouse furent inscrits au fichier des personnes recherchées.
De nouvelles auditions furent effectuées en 1995 et 1996 à Djibouti par les policiers français agissant sur commission rogatoire.
Le 11 mars 1996, un avis de recherche concernant le requérant et son épouse fut diffusé sans succès. Le 1er avril 1996, le juge d’instruction délivra des mandats d’arrêt internationaux à leur encontre.
Le 28 avril 1997, le juge rendit une ordonnance de non-lieu partiel, de requalification et de transmission du dossier au procureur général près la cour d’appel de Paris.
Par arrêt du 13 octobre 1997, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris, d’une part, dit n’y avoir lieu à suivre contre l’épouse du requérant, faute d’avoir établi sa participation aux faits, d’autre part, prononça la mise en accusation et le renvoi devant la cour d’assises de Paris, spécialement composée en matière de terrorisme, de tous les autres mis en examen des chefs d’« assassinat, tentatives d’assassinats et destruction de biens d’autrui par substance explosive ayant entraîné la mort d’une personne (...) », en relation avec une entreprise terroriste, ou de complicité de ces crimes et, enfin, ordonna leur prise de corps. En ce qui concernait le requérant, auquel il était reproché d’être l’un des organisateurs de l’attentat, il fut renvoyé devant la cour d’assises du chef de complicité d’assassinat.
L’arrêt de la chambre d’accusation mentionnait en particulier que, à l’exception du requérant et de son épouse, ayant demeuré en dernier lieu à Djibouti et « en fuite », les autres mis en examen étaient détenus à Djibouti dans le cadre de la procédure djiboutienne suivie pour les mêmes faits.
Par acte d’huissier du 17 novembre 1997, l’arrêt fut signifié, à la demande du procureur général près la cour d’appel de Paris, au requérant « sans domicile ni résidence connus » et « actuellement en fuite », par la remise de la copie de l’acte au procureur général près la cour d’appel de Paris, au motif indiqué que « les circonstances rend[aient] impossible la signification à la personne du destinataire ».
A la demande du procureur général, le 8 avril 1998, visant à chercher l’adresse du requérant, le service technique de recherches judiciaires et de documentation de la gendarmerie nationale répondit le même jour que « les recherches effectuées dans les fonds documentaires [dudit service] étaient négatives ».
Le 2 septembre 1998, le président de la cour d’assises rendit une ordonnance de déchéance à l’égard du requérant, en application des articles 627 et 628 du Code de procédure pénale (procédure de contumace). Cette ordonnance, conformément aux dispositions légales, fut insérée en septembre 1998 dans la revue la « Gazette du Palais », placardée à la mairie de Paris et à la cour d’assises le 9 septembre 1998 et signifiée à parquet à la même date.
Le requérant se pourvut en cassation le 6 novembre 1998, après avoir pris connaissance de l’arrêt précité de la chambre d’accusation par l’intermédiaire d’un autre mis en examen détenu à Djibouti, auquel l’arrêt avait été signifié.
Dans son mémoire devant la Cour de cassation, il exposait n’avoir eu connaissance de l’arrêt rendu que peu de temps auparavant par « la remise, dans des conditions mal élucidées, de la copie d’un acte destiné à un autre [mis en examen] ». Il avait alors pu prendre contact avec un conseil en France et faire régulariser un pourvoi, sans que l’arrêt lui ait jamais été signifié personnellement et directement. Il soutenait en particulier que, sauf à consacrer une violation de l’article 6 de la Convention, son pourvoi ne pourrait être déclaré irrecevable, notamment pour tardiveté. Il relevait que, bien que l’acte ait été signifié selon les modalités prévues par le code de procédure pénale, c’est-à-dire remis par un huissier au parquet de la cour d’appel de Paris le 17 novembre 1997, cette signification n’avait pas pu faire courir le délai de cinq jours du pourvoi à son encontre.
Le 3 février 1999, la Cour de cassation déclara le pourvoi irrecevable dans les termes suivants :
« Attendu que l’arrêt de la chambre d’accusation du 13 octobre 1997 portant renvoi devant la cour d’assises du [requérant], alors en fuite et sans résidence connue, a été, conformément aux prescriptions des articles 268 et 559 du Code de procédure pénale, régulièrement signifié au parquet du procureur général, le 17 novembre 1997 ; que cette signification a fait courir le délai de pourvoi ;
Que, dès lors, le recours formé par le mandataire de l’accusé, le 6 novembre 1998, est tardif en application de l’article 568 du même code ».
Entre-temps, le 16 novembre 1998, le président de la cour d’assises avait ordonné la disjonction de l’accusation concernant le requérant de celle concernant les autres mis en examen.
Par arrêt du même jour, ces derniers furent condamnés par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité.
Par arrêt du 29 novembre 1999, la cour d’assises de Paris admit que le refus des autorités djiboutiennes de restituer son passeport au requérant, l’empêchant de quitter le territoire de Djibouti, constituait une impossibilité absolue de déférer à l’injonction du 2 septembre 1998 du président de la cour d’assises de se présenter dans un délai de dix jours, et ordonna qu’il soit sursis au jugement du requérant pendant un délai d’un an.
Le requérant ayant communiqué son adresse à Djibouti dans sa déclaration de pourvoi du 6 novembre 1998, cet arrêt lui fut signifié.
Par lettre du 3 mai 2001, l’avocat du requérant informa le président de la cour d’assises de la condamnation de son client à une peine d’emprisonnement avec sursis par la cour criminelle de Djibouti.
L’avocat concluait dans ces termes :
« Il m’apparaît qu’en vertu de la règle non bis in idem, applicable également devant la cour d’assises spécialement composée, la juridiction que vous présidez devrait constater l’extinction de l’action publique par l’effet de la chose jugée. »
Par note du 15 mars 2004, le président de la cour d’assises a fait savoir au procureur général près la cour d’appel de Paris que l’affaire du requérant ne ferait pas l’objet d’un audiencement devant la cour d’assises de Paris avant le premier trimestre 2005.
A la date de l’examen de la présente requête, la date d’audience n’a pas encore été fixée.
B.  Le droit interne pertinent
1.  Dispositions en vigueur au moment des faits
Article L. 80-1 du Code de procédure pénale (issu de la loi du 24 août 1993)
« Le juge d’instruction a le pouvoir de mettre en examen toute personne à l’encontre de laquelle il existe des indices laissant présumer qu’elle a participé, comme auteur ou complice, aux faits dont il est saisi.
La mise en examen résulte de l’interrogatoire de première comparution prévu par l’article 116 ou la délivrance de l’un des mandats prévus par les articles 122 à 136. Toutefois, la personne à l’encontre de laquelle a été délivré un mandat d’amener ou d’arrêt ne bénéficie des droits reconnus aux personnes mises en examen qu’à compter de sa première comparution (...) »
Les dispositions du Code de procédure pénale relative à la signification aux accusés des arrêts de renvoi étaient ainsi rédigées au moment des faits :
article 268
« L’arrêt de renvoi est signifié à l’accusé.
Il lui en est laissé copie [...]
Dans le cas contraire, [la signification] est faite dans les formes prévues [aux articles 550 et suivants] »
article 559
« Si la personne visée par l’exploit est sans domicile ou résidence connus, l’huissier remet une copie de l’exploit au parquet du procureur de la République du tribunal saisi [...] »
article 560
« [...] lorsque l’exploit a été délivré au parquet, un officier ou un agent de police judiciaire peut être requis par le procureur de la République à l’effet de procéder à des recherches en vue de découvrir l’adresse de l’intéressé [...]
Le procureur de la République peut également requérir de toute administration, entreprise, établissement ou organisme de toute nature soumis au contrôle de l’autorité administrative, sans qu’il soit possible de lui opposer le secret professionnel, de lui communiquer tous renseignements en sa possession aux fins de déterminer l’adresse du domicile ou de la résidence du prévenu. »
Selon l’article 568 du même code, le ministère public et toutes les parties ont cinq jours francs après celui où l’arrêt a été prononcé pour se pourvoir en cassation. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation (arrêt de la chambre criminelle du 2 septembre 1997, Bulletin no 290) que le délai de cinq jours commence à courir, lorsque l’accusé est en fuite et sans résidence connue, à compter de la signification à parquet de l’arrêt de renvoi, par application des articles 268, dernier alinéa et 559 du Code de procédure pénale.
L’application combinée des articles 217 et 268 du Code de procédure pénale imposait que les arrêts de renvoi devant la cour d’assises soient signifiés aux parties dans les trois jours à la requête du procureur général.
2.  Modifications législatives ultérieures
La loi du 9 septembre 2002 a modifié l’article 215 du Code de procédure pénale en y ajoutant l’alinéa suivant :
« L’arrêt de mise en accusation est notifié à l’accusé conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 183  [par lettre recommandée expédiée à la dernière adresse déclarée] »
La loi du 9 mars 2004 a modifié l’article 217 du même code pour rappeler la notification par lettre recommandée des arrêts de mise en accusation. Les deux derniers alinéas de l’article 217 modifié se lisent ainsi :
« Les arrêts contre lesquels les parties peuvent former un pourvoi en cassation, à l’exception des arrêts de mise en accusation, leur sont signifiés à la requête du procureur général dans les trois jours. Toutefois, ces arrêts sont notifiés par lettre recommandée aux parties ou au requérant mentionné au cinquième alinéa de l’article 99 tant que le juge d’instruction n’a pas clôturé son information ; les arrêts de mise en accusation sont également notifiés aux parties par lettre recommandée. Ils peuvent être notifiés à la personne détenue par les soins du chef de l’établissement pénitentiaire qui adresse, sans délai, au procureur général l’original ou la copie du récépissé signé par elle.
Toute notification d’acte à la dernière adresse déclarée par une partie est réputée faite à sa personne. »
3.  La procédure devant la cour d’assises
La procédure devant la cour d’assises est orale. Lors de l’audience, une nouvelle instruction a lieu, au cours de laquelle l’accusé, les témoins à charge et à décharge, ainsi que les experts sont entendus, et le président de la cour peut de façon générale, aux termes de l’article 310 du Code de procédure pénale, « prendre toutes mesures qu’il croit utiles pour découvrir la vérité ». Il peut notamment « au cours des débats appeler, au besoin par mandat d’amener, et entendre toutes personnes ou se faire apporter toutes nouvelles pièces qui lui paraissent, d’après les développements donnés à l’audience, utiles à la manifestation de la vérité. »
La loi du 15 juin 2000 a institué la possibilité de faire appel des arrêts de cours d’assises, qui, jusqu’alors, ne pouvaient faire l’objet que d’un pourvoi en cassation.
4.  La règle « non bis in idem »
Cette règle est prévue par les articles 113-6 et suivants du Code pénal. Les dispositions pertinentes en l’espèce sont citées ci-après :
Article 113-7
« La loi pénale française est applicable à tout crime, ainsi qu’à tout délit puni d’emprisonnement, commis par un Français ou par un étranger hors du territoire de la République lorsque la victime est de nationalité française au moment de l’infraction. »
Article 113-9
«  Dans les cas prévus aux articles 113-6 et 113-7, aucune poursuite ne peut être exercée contre une personne justifiant qu’elle a été jugée définitivement à l’étranger pour les mêmes faits et, en cas de condamnation, que la peine a été subie ou prescrite. »
GRIEF
Alléguant la violation combinée des articles 6 et 13 de la Convention, le requérant se plaint de ce que le délai de pourvoi en cassation de cinq jours courant à compter de la signification « à parquet étranger » de l’arrêt de renvoi devant la cour d’assises a rendu en pratique impossible son pourvoi, ce qui l’a privé d’un recours prévu par la loi.
Il soutient que cela constitue en outre une rupture dans le principe de l’égalité des armes : le parquet se signifiant en réalité à lui-même un arrêt, dont il avait par ailleurs déjà connaissance, se trouve, en ce qui le concerne, à même de régulariser un pourvoi.
EN DROIT
1.  Le requérant se plaint d’avoir été privé d’un recours prévu par la loi et allègue la violation combinée des articles 6 et 13 de la Convention.
L’article 6 § 1, dans ses parties pertinentes, dispose :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
L’article 13 se lit ainsi :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
La Cour examinera ce grief sous l’angle de l’article 6 § 1, dont les exigences sont plus strictes (cf. Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 146, CEDH 2000-XI).
Le Gouvernement rappelle la jurisprudence selon laquelle l’équité d’une procédure s’apprécie globalement et soutient que la requête est prématurée, dans la mesure où le requérant n’a pas encore été jugé par la cour d’assises et qu’il pourra devant cette dernière demander des investigations complémentaires, faire valoir les arguments qu’il soulevait dans son pourvoi en cassation et solliciter l’application de la règle non bis in idem, qui est prévue par le Code pénal (article 113-9). Au total, selon le Gouvernement et à la différence notamment de l’affaire T. c. Italie (arrêt du 12 octobre 1992, série A no 245-C), il n’apparaît aucun élément « d’une importance telle qu’il soit décisif pour juger du déroulement du procès, même à un stade plus précoce » (X. c. Norvège, no 7945/77, décision de la Commission du 4 juillet 1978, Décisions et Rapports (DR) no 14, p. 228). Il en va d’autant plus ainsi qu’il a déjà été sursis à statuer une première fois vis-à-vis du requérant. Le Gouvernement en conclut que le requérant ne peut se prétendre d’ores et déjà victime d’une violation de la Convention.
Sur le fond, après avoir rappelé la jurisprudence de la Cour concernant le droit à un tribunal, notamment dans son application aux juridictions suprêmes, le Gouvernement considère que le requérant n’a pas subi d’entraves déraisonnables à l’accès à la Cour de cassation. Il souligne tout d’abord que les règles relatives au pourvoi en cassation en matière pénale et celles concernant la signification à parquet, applicables aux arrêts de renvoi des chambres de l’instruction, sont accessibles et prévisibles pour le justiciable. Par ailleurs, le choix du jour de la signification à parquet comme point de départ du délai imparti au mis en examen sans domicile connu pour se pourvoir en cassation contre un arrêt de renvoi de la chambre d’accusation vise un but légitime, à savoir l’efficacité de la justice par la célérité des poursuites pénales, ce tant dans l’intérêt général – s’agissant d’affaires de nature criminelle portant sur des faits particulièrement graves – que dans celui des victimes et, en cas de pluralité d’auteurs, des co-accusés.
Le Gouvernement estime en outre que la limitation litigieuse était proportionnée. Soulignant que le pourvoi en cassation est une voie de recours extraordinaire, il fait valoir que, dans le cadre d’un pourvoi contre un arrêt de renvoi devant la cour d’assises, le rôle de la Cour de cassation consiste essentiellement à contrôler l’exactitude de la qualification pénale retenue contre le prévenu, mais ne peut comprendre l’appréciation de la valeur et de la suffisance des charges dont la chambre d’accusation affirme l’existence. Par ailleurs, si l’arrêt de renvoi constitue une étape dans le déroulement de la procédure criminelle, il n’en constitue pas le terme, son objet étant de clore l’instruction préparatoire. La phase de jugement devant la cour d’assises donnera lieu à une nouvelle instruction du dossier dans le cadre d’un débat oral et le requérant pourra ensuite, selon la procédure actuelle qui l’a rendu possible, faire appel d’une éventuelle condamnation par la cour d’assises et former ensuite un pourvoi en cassation. Le Gouvernement précise par ailleurs que le mandat d’arrêt international délivré à l’encontre du requérant n’a pas permis de le retrouver ni de l’arrêter et qu’on ne saurait en conséquence reprocher aux autorités d’avoir procédé à une signification à parquet de l’arrêt de renvoi devant la cour d’assises, permettant ainsi la poursuite du dossier. Dans ces conditions, la solution de l’affaire Nunes Dias c. Portugal (déc.), nos 2672/03 et 69829/01, CEDH 2003-IV) paraît transposable mutatis mutandis. Le Gouvernement en conclut que ce grief est manifestement mal fondé.
Dans ses observations complémentaires, le Gouvernement fait état des changements législatifs intervenus depuis l’introduction de la requête : ainsi, la loi du 9 septembre 2002 a modifié l’article 215 du Code de procédure pénale pour prévoir la notification de l’arrêt de mise en accusation à l’accusé dans les formes prévues au deuxième alinéa de l’article 183 (lettre recommandée expédiée à la dernière adresse déclarée). Par ailleurs, la loi du 9 mars 2004 a modifié la procédure de contumace et permet désormais à l’accusé non présent à l’audience d’une cour d’assises d’être représenté par un avocat. Le requérant pourra donc rester sur le territoire djiboutien et se faire représenter devant la cour d’assises par un avocat qui aura tout loisir d’invoquer l’application de la règle non bis in idem.
Le requérant conteste les arguments du Gouvernement. Il soutient en premier lieu que sa requête est recevable, en se référant mutatis mutandis à la réponse de la Cour à une exception similaire soulevée par le Gouvernement dans l’affaire Krombach c. France, qui concernait également une procédure de contumace (no 29731/96, §63, CEDH 2001-II). Il fait valoir qu’en droit français, la phase de l’accusation se termine par un acte de nature juridictionnelle, susceptible de recours et qui purge tous les vices de la procédure d’instruction antérieure. Le remède consistant à attendre d’être jugé sur le fond n’en est pas un, et c’est la raison pour laquelle le pourvoi en cassation est dirigé contre les arrêts de mise en accusation. Il souligne l’importance de ces arrêts, car ils fixent définitivement l’étendue de la saisine de la juridiction de jugement et sont la base de l’instruction à l’audience qui aura lieu ensuite. Il expose que, n’étant pas tenu de se rendre en France – dans la mesure surtout où il a déjà été jugé à Djibouti pour les mêmes faits – il n’est nullement responsable de la procédure de contumace dont l’initiative appartient aux autorités judiciaires françaises. Tirant argument de la forte distinction qui existe en droit français entre juridictions d’instruction et de jugement, du caractère juridictionnel de l’instruction et de l’effet de purge attaché à la mise en accusation, il conclut qu’il a bien épuisé les recours normaux qui lui étaient ouverts en droit français et que sa requête est recevable.
Sur le fond, le requérant soutient que les autorités françaises n’ont fait aucune diligence pour le retrouver et qu’aucune des pièces fournies par le Gouvernement ne montre que son adresse n’aurait pas été connue, ni que les autorités françaises ont fait la moindre démarche « un peu insistante » pour l’entendre. Aucune preuve n’est rapportée de ce qu’il a été tenté de façon réelle et concrète, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, de mettre à exécution le mandat d’arrêt à son encontre. De surcroît, le Gouvernement n’a fourni aucune preuve de la moindre tentative de transmission aux autorités diplomatiques ou aux autorités djiboutiennes de l’arrêt de mise en accusation, dont le requérant n’a eu connaissance que de façon purement fortuite.
En réponse aux observations complémentaires du Gouvernement, il fait valoir qu’il ne peut accepter de comparaître, fût-ce par avocat interposé, devant une cour d’assises, à la suite d’une instruction qui n’en est pas une et qui a été menée de façon totalement unilatérale. Il souligne que, si la procédure d’instruction est nulle, c’est le titre même de saisine de la cour d’assises qui est nul, puisque l’arrêt de la chambre de l’instruction est entaché de cette grave violation des droits de la défense et que sa régularité n’a même pas été contrôlée par la Cour de cassation. Il expose enfin qu’une cour d’assises est saisie de faits qui sont déterminés par un dossier d’instruction et que, même si la procédure est orale devant cette cour, il n’en reste pas moins que le dossier d’instruction présente une importance capitale. Si ce dossier a été élaboré en violation des droits de la défense et au mépris des règles élémentaires de procédure consacrées par l’article 6 de la Convention, c’est le principe même du renvoi devant la cour d’assises qui est contraire à la Convention et qui doit être condamné par la Cour. Il souligne que les nouvelles lois de 2002 et 2004 n’affectent en rien la façon dont l’arrêt de renvoi devant la cour d’assises lui a été notifié et n’empêchent en rien la purge de la nullité de la procédure d’instruction. Aucune nullité de la procédure d’instruction ne pourra être évoquée devant la cour d’assises, le principe n’ayant pas changé sur ce point.
La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’équité d’une procédure doit s’envisager globalement. En l’espèce, elle relève que, par arrêt de la chambre d’accusation du 13 octobre 1997, le requérant a été renvoyé devant la cour d’assises et que, par arrêt du 29 novembre 1999, cette juridiction a sursis au jugement de l’affaire, en raison de ce que le requérant était dans l’impossibilité de comparaître devant elle, son passeport lui ayant été retiré dans le cadre de son placement sous contrôle judiciaire à Djibouti. Au jour de l’adoption de la présente décision, l’audience n’a pas encore été fixée.
Dans ces conditions, le requérant n’ayant pas encore été jugé, sa situation ne peut être comparée à celle des requérants dans les affaires Krombach ou T. c. Italie  précitées, dont le jugement s’était déroulé en leur absence dans le cadre d’une procédure de contumace.
Toutefois, si l’article 6 § 1 « a pour finalité principale, au pénal, d’assurer un procès équitable devant un "tribunal" compétent pour décider "du bien-fondé de l’accusation", (...) il n’en résulte pas qu’il se désintéresse des phases qui se déroulent avant la procédure de jugement », dans la mesure où l’inobservation initiale d’autres exigences de l’article 6 « risque de compromettre gravement le caractère équitable du procès » (Imbriosci c. Suisse, arrêt du 24 novembre 1993, série A no 275, p. 13 § 36 ; Debbasch c. France (déc.), no 49392/99, 18 septembre 2001).
La Cour doit donc examiner si tel est le cas en l’espèce. Le requérant soulevait, dans le cadre de son pourvoi en cassation, son absence d’audition par le juge d’instruction, l’absence de prise en compte de la procédure pénale menée à Djibouti, ainsi que l’absence de caractérisation des éléments constitutifs d’une complicité de sa part.
La Cour relève que, lors de l’audience devant la cour d’assises, une nouvelle instruction a lieu, au cours de laquelle l’accusé, les témoins à charge et à décharge, ainsi que les experts sont entendus, et le président de la cour peut de façon générale, aux termes de l’article 310 du Code de procédure pénale, « prendre toutes mesures qu’il croit utiles pour découvrir la vérité ». Dans le cadre de cette instruction, le requérant pourra donc être entendu par la cour d’assises et faire valoir les moyens soulevés dans son pourvoi. La Cour observe de surcroît qu’il a demandé, par l’intermédiaire de son conseil, que soit constatée l’extinction de l’action publique à son égard en vertu de la règle non bis in idem, compte tenu de sa condamnation définitive pour les mêmes faits par la cour criminelle de Djibouti.
La Cour note enfin que les modifications législatives intervenues entre-temps (lois des 15 juin 2000 et 9 mars 2004) ouvrent la voie de l’appel contre les arrêts de cours d’assises et permettent désormais à l’accusé non présent à l’audience d’une cour d’assises d’être représenté par un avocat.
Dans ces conditions, compte tenu de l’ensemble de ces circonstances, la Cour arrive à la conclusion que le grief du requérant est prématuré et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention (cf. Dikme c. Turquie, no 20869/92, § 111, CEDH 2000-VIII).
2.  Le requérant se plaint d’une rupture dans le principe de l’égalité des armes, en raison de ce que le parquet, partie poursuivante, se signifie à lui-même un acte dont il a par ailleurs connaissance et se trouve ainsi à même de former un pourvoi en cassation.
Le Gouvernement souligne que la date de signification aux parties est sans incidence sur le délai de pourvoi du ministère public, qui commence à courir dès le prononcé de l’arrêt. En outre, la loi elle-même fixe le délai dans lequel le parquet doit signifier l’arrêt de renvoi (trois jours à l’époque des faits selon l’article 217 du Code de procédure pénale). Par ailleurs, selon le Gouvernement, il convient de ne pas attacher d’importance particulière au fait que l’arrêt concernant un individu en fuite est signifié au parquet lui-même. Cette signification n’est pas faite au ministère public en tant que partie poursuivante, mais en tant qu’autorité publique, pour que le délai de pourvoi commence à courir. Cette modalité de signification ne désavantage pas le mis en examen, ni ne lui profite.
Le Gouvernement en conclut que, dans ce contexte, dans la mesure où les modalités selon lesquelles le requérant pouvait former son pourvoi sont compatibles avec le droit d’accès à un tribunal, la différence de fait existant sur ce point entre le parquet et lui ne porte pas atteinte à l’égalité des armes. En outre, même si le pourvoi du requérant a été déclaré irrecevable, il a pu au moins bénéficier d’une disjonction de l’accusation pour que la Cour de cassation puisse se prononcer. Le Gouvernement souligne surtout que la possibilité pour le requérant de présenter devant la cour d’assises ses moyens de fait et de droit permet d’assurer l’égalité des armes avec le parquet.
Le requérant estime pour sa part que, s’il faut trouver un mode de signification propre aux accusés dits « en fuite », ce ne peut être le parquet qui serait « naturellement désigné », comme le dit le Gouvernement, précisément parce qu’il se fait la signification à lui-même. Ce système pourrait être acceptable si le délai très bref d’appel ou de pourvoi courait à compter du jour de la remise effective de l’acte à l’intéressé. Mais tel n’étant pas le cas et le délai courant à compter de la remise de l’acte à la requête du parquet au parquet, ce dernier n’a aucune raison de faire diligence pour retrouver l’intéressé.
Quant au fait que pour le parquet, le délai de pourvoi court à compter du prononcé de l’arrêt, cela s’explique par le fait que le ministère public est toujours et nécessairement présent à la lecture des décisions pénales et que l’on a donc la certitude qu’il a eu connaissance de la décision. Cette règle, loin d’avantager le mis en examen, révèle la profonde distorsion entre sa situation et celle du parquet. Pour conclure, le requérant fait valoir qu’il   existe certainement d’autres moyens plus appropriés pour assurer la suite des poursuites pénales que de procéder d’une façon aussi contraire au principe de l’égalité des armes.
La Cour relève que le ministère public et toutes les parties ont cinq jours francs après celui où a été prononcé l’arrêt de renvoi devant la cour d’assises pour se pourvoir en cassation. Lorsque l’accusé est sans résidence connue, ledit délai de cinq jours commençait à courir, selon la législation applicable au moment des faits, à compter de la signification à parquet de l’arrêt de renvoi, signification devant intervenir dans les trois jours à la requête du procureur général. Selon la modification introduite par la loi du 9 septembre 2002, l’arrêt de mise en accusation est désormais notifié à l’accusé par lettre recommandée expédiée à la dernière adresse déclarée.
Le requérant tire essentiellement argument de ce que le ministère public se signifierait l’arrêt « à soi-même ».
Ainsi que la Cour a déjà eu l’occasion de l’affirmer, la réglementation relative aux délais de recours vise à assurer une bonne administration de la justice, ainsi que le principe de la sécurité juridique (Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII, p. 3255 § 45, Gasparic c. France (déc.), no 35287/97, 8 février 2000). C’est d’autant plus le cas en matière pénale où l’intérêt général et celui des parties civiles commandent la célérité des poursuites, comme le souligne le Gouvernement.
La Cour a également relevé que « prolonger une procédure pour un temps indéfini afin de rechercher l’adresse de l’un des intéressés pourrait se révéler contraire » à ces buts et que « le droit d’accès à un tribunal n’empêche donc pas les Etats contractants de prévoir dans leur législation une procédure afin de régler ce type de situation, pourvu que les droits des intéressés soient dûment protégés » (Nunes Dias c. Portugal (déc.), nos 2672/03 et 69829/01, CEDH 2003-IV).
La Cour estime que tel a été le cas en l’espèce, les autorités françaises ayant accompli diverses diligences pour tenter de retrouver le requérant (inscription au fichier des personnes recherchées, diffusion d’un avis de recherches et d’un mandat d’arrêt international) et ce dernier, ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, ayant encore la possibilité de faire valoir l’ensemble de ses arguments devant la juridiction de jugement.
Dans ces conditions, la Cour estime que le fait que l’arrêt de renvoi devant la cour d’assises a été, en l’absence d’adresse connue du requérant, signifié à parquet comme le prévoyait le Code de procédure pénale n’a pas enfreint en l’espèce le principe d’égalité des armes.
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
S. Dollé I. Cabral Barreto   Greffière Président
DÉCISION ADEN ROBLEH c. FRANCE
DÉCISION ADEN ROBLEH c. FRANCE 


Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement recevable

Analyses

(Art. 11-1) LIBERTE D'ASSOCIATION, (Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE


Parties
Demandeurs : ADEN ROBLEH
Défendeurs : FRANCE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (grande chambre)
Date de la décision : 18/10/2005
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 50018/99
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2005-10-18;50018.99 ?
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