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18/10/2005 | CEDH | N°6778/05

CEDH | MPP GOLUB c. UKRAINE


[TRADUCTION]
EN FAIT
La requérante, MPP Golub, est une société ukrainienne ayant son siège à Ternopil. La société appartient à un entrepreneur privé, M. Ivan Mikhéïévitch Golub, né en 1947 et résidant à Ternopil.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par la société requérante, peuvent se résumer comme suit.
1.  La procédure relative au fond des griefs formulés par la société requérante
Depuis août 1995, la société requérante prévoyait de construire un immeuble de tr

ente appartements sur un terrain de 0,25 hectare situé dans le village de Jovtneve, dans le district de ...

[TRADUCTION]
EN FAIT
La requérante, MPP Golub, est une société ukrainienne ayant son siège à Ternopil. La société appartient à un entrepreneur privé, M. Ivan Mikhéïévitch Golub, né en 1947 et résidant à Ternopil.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par la société requérante, peuvent se résumer comme suit.
1.  La procédure relative au fond des griefs formulés par la société requérante
Depuis août 1995, la société requérante prévoyait de construire un immeuble de trente appartements sur un terrain de 0,25 hectare situé dans le village de Jovtneve, dans le district de Kamianets-Podilski (région de Khmelnitski). Elle prétendit avoir reçu tous les permis de construire nécessaires et conclut le 9 août 1995 un contrat avec une société privée, PMK-35, en vue de la construction de l’immeuble. Le 4 octobre 1996, le tribunal d’arbitrage de la région de Ternopil déclara le contrat nul et non avenu. Par la suite, PMK-35 fut réorganisée en une société de construction dénommée « Kamianets Ltd ».
La société requérante allègue qu’à partir de novembre 1996 les autorités ukrainiennes la persécutèrent parce qu’elle avait l’intention de construire l’immeuble. Elle soutient que ces actes de persécution amenèrent PMK-35 à procéder à la démolition des fondations du bâtiment qu’elle était contractuellement tenue d’édifier.
De 1996 à 2001, la société requérante fut partie, devant différentes juridictions, à des procédures relatives à la construction litigieuse, en qualité de défenderesse ou de plaignante. Elle n’obtint gain de cause dans aucune de ces instances. Elle n’a pas retracé la totalité des procédures en question ; elle déclare s’en prendre uniquement à celle qu’elle avait engagée le 24 janvier 2002 contre PMK-35 auprès du tribunal de commerce de la région de Khmelnitski (« le tribunal de Khmelnitski ») (affaire no 6/661). Le 14 février 2002, le tribunal de Khmelnitski jugea que la véritable défenderesse était la société de construction « Kamianets Ltd » (ci-après « la défenderesse »), en sa qualité de successeur de PMK-35. La société requérante demanda la restitutio in integrum. Elle soutenait en particulier que, ayant démoli les fondations du bâtiment, la défenderesse avait l’obligation de les reconstruire.
Le 20 août 2002, le tribunal de Khmelnitski rejeta les griefs de la société requérante au motif que les faits litigieux remontaient à 1996 et qu’elle l’en avait donc saisi après expiration du délai de trois ans fixé par l’article 71 du code civil pour les actions au civil.
Saisie par la société requérante, la cour d’appel de commerce de la région de Lviv repoussa le recours le 19 novembre 2002 pour défaut de fondement et confirma le jugement du 20 août 2002.
Le 16 mars 2003, le Tribunal supérieur de commerce (Вищий Господарський Суд України) cassa le jugement du 20 août 2002 ainsi que l’arrêt du 19 novembre 2002 et renvoya l’affaire devant le tribunal de Khmelnitski pour nouvel examen.
Le 5 mars 2003, le tribunal de Khmelnitski se déclara compétent pour examiner l’affaire. Dans le cadre de la nouvelle procédure devant lui, la société requérante le pria de proroger le délai de trois ans qui lui était imparti pour exposer ses griefs contre la défenderesse. Elle pria également le tribunal de suspendre définitivement ou temporairement la procédure la concernant compte tenu de l’enquête judiciaire dont le directeur de la défenderesse faisait alors l’objet. Elle introduisit des demandes complémentaires de réparation à l’encontre de la défenderesse. Elle soutint au départ que le préjudice s’élevait à 21 211 hrivnas (UAH)1. Par la suite, elle porta ce montant à 256 579,89 UAH2.
Le 31 mars, le 15 avril et le 10 juin 2003, le tribunal de Khmelnitski ordonna à la société requérante de produire des pièces justificatives à l’appui des montants réclamés. Il l’invita également à payer l’impôt d’Etat (державне мито) applicable à l’introduction de ses demandes complémentaires.
Le 23 juin 2003, le tribunal de Khmelnitski rejeta toutes les demandes et plaintes de la société requérante pour défaut de fondement. Quant à l’augmentation des montants sollicités, il estima que la société requérante n’avait ni étayé ses prétentions ni payé l’impôt d’Etat applicable. Il conclut en outre au rejet de la demande par le motif qu’elle avait été présentée hors du délai légal de trois ans (article 71 du code civil3).
La société requérante saisit la cour d’appel de commerce de la région de Jitomir qui, le 11 décembre 2003, repoussa son recours pour défaut de fondement, et confirma le jugement du 23 juin 2003. Cette juridiction se fondait notamment sur les articles 71 et 80 du code civil, qui fixaient un délai de trois ans pour le dépôt des demandes en réparation.
2.  Les procédures relatives à la recevabilité du pourvoi en cassation formé par la société requérante
La société requérante se pourvut en cassation directement auprès du Tribunal supérieur de commerce.
Le 21 janvier 2004, le tribunal rejeta le pourvoi au motif qu’il aurait dû être introduit par l’intermédiaire de la juridiction de première instance ou d’appel qui avait examiné l’affaire et avait le dossier en sa possession. Il se fondait sur l’article 109 du code de procédure commerciale.
Le 4 février 2004, la société requérante se pourvut à nouveau en cassation.
Le 10 mars 2004, le Tribunal supérieur de commerce rejeta le pourvoi au motif qu’il avait été introduit en dehors du délai de un mois imparti pour l’introduction de tels recours (article 110 du code de procédure commerciale). Par ailleurs, il jugea que le fait que la société requérante n’eût pas d’abord respecté la procédure n’avait pas interrompu le cours du délai de un mois. L’acte de pourvoi fut donc retourné à la société requérante.
Le 5 avril 2004, la société requérante se pourvut en cassation pour la troisième fois. Elle demanda également la prorogation du délai pour l’introduction du pourvoi.
Le 6 mai 2004, le Tribunal supérieur de commerce rejeta la demande de prorogation du délai pour défaut de fondement. Il indiqua aussi, notamment, que le délai pour se pourvoir en cassation avait expiré le 12 janvier 2004, de sorte que le pourvoi formé par la société requérante le 5 avril 2004 était frappé de tardiveté. Il rappela en outre qu’en vertu de l’article 110 du code de procédure commerciale, les refus du 21 janvier et du 10 mars 2004 d’admettre le pourvoi en cassation ne jouaient pas sur l’écoulement du délai de un mois applicable pour l’introduction d’un recours devant lui. D’ailleurs, l’article 109 du même code indiquait clairement que les pourvois en cassation devant le Tribunal supérieur de commerce devaient être adressés à celui-ci par l’intermédiaire de la juridiction de première instance ou d’appel. L’acte de pourvoi et les frais de justice furent en conséquence restitués à la société requérante.
Le 2 juin et le 20 juillet 2004, le Tribunal supérieur de commerce informa par écrit la société requérante que ses griefs tirés de la partialité et du manque d’indépendance des juges qui avaient rejeté les pourvois en cassation étaient dépourvus de fondement. Il lui signala également qu’elle pouvait se pourvoir contre les décisions du Tribunal supérieur de commerce auprès de la Cour suprême (Верховний Суд України).
Le 31 mai 2004, la société requérante saisit la Cour suprême d’un pourvoi contre la décision du Tribunal supérieur de commerce du 6 mai 2004.
Le 16 septembre 2004, la Cour suprême refusa d’entamer une procédure de cassation.
B.  Le droit interne pertinent
1.  La Constitution du 28 juin 1996
Article 125
« En Ukraine, les juridictions de droit commun sont composées conformément aux principes de territorialité et de spécialisation.
La Cour suprême d’Ukraine est la plus haute juridiction de droit commun.
Les tribunaux supérieurs sont les plus hautes juridictions spécialisées.
Les cours d’appel et les juridictions locales fonctionnent conformément à la loi.
Est interdite la création de juridictions extraordinaires ou spéciales. »
2.  La loi du 21 juin 2001 sur l’organisation judiciaire
Article 47  La Cour suprême d’Ukraine – le plus haut organe judiciaire
« 1.  La Cour suprême d’Ukraine est la plus haute juridiction de droit commun (...)
2.  La Cour suprême d’Ukraine :
1)  examine, dans le cadre d’une procédure de cassation, les décisions des juridictions de droit commun dans les affaires qui, conformément au droit procédural en vigueur, relèvent de sa compétence. Elle réexamine également toutes les affaires examinées par les juridictions de droit commun (...) »
3.  Le code de procédure commerciale (ancien code de procédure d’arbitrage) tel qu’en vigueur au 21 juin 2001
Dispositions transitoires
« 1.  La présente loi entrera en vigueur le jour de sa publication, à l’exception de l’article 81-1 [du code], qui entrera en vigueur le 28 juin 2002.
9.  Les décisions des sections judiciaires de la Cour supérieure d’arbitrage d’Ukraine ou du présidium de la Cour supérieure d’arbitrage d’Ukraine4 qui n’ont pas été contestées dans le cadre d’une procédure de révision avant que la présente loi n’entre en vigueur, ainsi que les résolutions de la Cour supérieure d’arbitrage d’Ukraine en formation plénière, sont définitives mais peuvent faire l’objet d’un recours auprès de la Cour suprême d’Ukraine en vertu et dans le respect de la procédure définie par le code de procédure commerciale d’Ukraine. »
Chapitre XII
Révision d’une décision judiciaire dans le cadre d’un pourvoi en cassation
Article 109  La procédure d’introduction d’un pourvoi en cassation  (demande de pourvoi en cassation)
« Le pourvoi en cassation (la demande de pourvoi en cassation) est introduit auprès du Tribunal supérieur de commerce par l’intermédiaire du tribunal de première instance ou de la cour d’appel de commerce qui a prononcé le jugement ou la résolution litigieux.
Le tribunal de première instance ou la cour d’appel de commerce qui a adopté le jugement ou la résolution litigieux communique le pourvoi en cassation (demande de pourvoi en cassation), accompagné du dossier de l’affaire, au Tribunal supérieur de commerce d’Ukraine dans un délai de cinq jours à compter de sa réception. »
Article 110  Délais d’introduction d’un pourvoi en cassation
« Un pourvoi en cassation (une demande de pourvoi en cassation) doit être introduit dans le délai de un mois à compter de la date à laquelle le jugement du tribunal de première instance ou la résolution de la cour d’appel devient exécutoire. »
Chapitre XII-2
Révision par la Cour suprême d’Ukraine des décisions judiciaires rendues  par le Tribunal supérieur de commerce d’Ukraine
Article 111-14  Le droit de se pourvoir en cassation contre les décisions judiciaires rendues   par le Tribunal supérieur de commerce d’Ukraine
« Les parties à une affaire ainsi que le procureur général d’Ukraine peuvent saisir la Cour suprême d’Ukraine d’un pourvoi en cassation contre la résolution [ou la décision5] du Tribunal supérieur de commerce d’Ukraine adoptée à la suite de la révision de la décision, devenue exécutoire, d’un tribunal de commerce de première instance ou d’une résolution de la cour d’appel de commerce [adoptée à l’issue de la révision]. »
Article 111-15  Les motifs pouvant justifier l’introduction d’un pourvoi en cassation  devant la Cour suprême d’Ukraine contre une résolution [ou décision]  du Tribunal supérieur de commerce d’Ukraine
« La Cour suprême d’Ukraine examine les pourvois introduits contre des résolutions [ou décisions] du Tribunal supérieur de commerce d’Ukraine :
1.  lorsque ceux-ci se fondent sur l’application, par le Tribunal supérieur de commerce d’Ukraine, d’une loi ou d’une autre norme contraires à la Constitution ukrainienne ;
2.  lorsqu’une décision est contraire aux décisions de la Cour suprême d’Ukraine ou d’une juridiction supérieure spécialisée dans un autre domaine sur la question de l’application de dispositions matérielles du droit ;
3.  lorsque le Tribunal supérieur de commerce d’Ukraine a appliqué différemment dans une affaire semblable une même disposition de loi ou toute autre norme ;
3.1  dans le cas où les résolutions [ou décisions] sont incompatibles avec les traités internationaux auxquels l’Ukraine est partie en vertu d’une décision de la Verkhovna Rada [Parlement] d’Ukraine ;
4.  dans le cas où un organe judiciaire international dont la compétence est reconnue par l’Ukraine juge que la résolution en cause emporte violation des obligations internationales de l’Ukraine. »
Article 111-16  Les modalités d’introduction d’un pourvoi et de la demande de cassation  contre une résolution [ou décision] du Tribunal supérieur de commerce
« Le pourvoi en cassation (la demande) du procureur général d’Ukraine contre une résolution du Tribunal supérieur de commerce doit être introduit dans le délai de un mois à compter de l’adoption [de la résolution en question].
Dans l’hypothèse où les motifs justifiant un pourvoi en cassation surviennent après l’expiration de ce délai, la Cour suprême doit se déclarer compétente pour statuer sur le pourvoi (la demande).
Le pourvoi en cassation (la demande) formé par le procureur général d’Ukraine contre une résolution du Tribunal supérieur de commerce d’Ukraine doit être introduit auprès de la Cour suprême par l’intermédiaire du Tribunal supérieur de commerce.
Le Tribunal supérieur de commerce communique à la Cour suprême, dans un délai de dix jours à compter de sa réception, le pourvoi (la demande), accompagné du dossier de l’affaire. »
Article 111-17  La procédure d’examen en cassation d’une résolution [ou décision]  du Tribunal supérieur de commerce d’Ukraine
« La procédure d’examen en cassation d’une résolution [ou décision] du Tribunal supérieur de commerce d’Ukraine par la Cour suprême d’Ukraine est engagée en vertu d’une décision prise par un juge au moins lors d’une audience de la chambre commerciale siégeant en formation de trois juges. Le pourvoi ou la demande en cassation doit être examiné dans un délai de un mois à compter de sa réception.
La résolution [ou décision] du Tribunal supérieur de commerce doit être examinée lors d’une audience par les juges de la chambre commerciale de la Cour suprême.
La résolution [ou décision] du Tribunal supérieur de commerce doit être examinée dans le cadre de l’instance en cassation sur la base des règles applicables à l’examen d’une affaire devant le tribunal de commerce de première instance, à l’exception des actes de procédure destinés à établir les circonstances précises de l’affaire. »6
Article 111-18  La compétence de la Cour suprême d’Ukraine dans le cadre de l’instance  en cassation dirigée contre des résolutions  du Tribunal supérieur de commerce d’Ukraine
« La Cour suprême d’Ukraine, après examen du pourvoi en cassation formé par le procureur général d’Ukraine contre une résolution [ou décision] du Tribunal supérieur de commerce, peut :
1.  maintenir la résolution [ou décision] en question et rejeter le pourvoi ;
2.  annuler la résolution [ou décision] en question et renvoyer l’affaire au tribunal de première instance pour nouvel examen ou annuler la résolution [ou décision] et renvoyer l’affaire au Tribunal supérieur de commerce pour nouvel examen ;
3.  annuler la résolution [ou décision] et clore la procédure en l’affaire. »
Article 111-19  Les motifs de cassation des résolutions [ou décisions] rendues  par le Tribunal supérieur de commerce
« Les résolutions [ou décisions] du Tribunal supérieur de commerce d’Ukraine sont cassées lorsqu’elles sont contraires à la Constitution ukrainienne ou aux traités internationaux auxquels la Verkhovna Rada d’Ukraine reconnaît un caractère contraignant, ou lorsque les dispositions matérielles du droit ont été mal appliquées. »
Article 111-20  Résolutions de la Cour suprême
« (...) Les résolutions de la Cour suprême d’Ukraine sont définitives et sont insusceptibles de recours. »
Article 111-21  Le caractère contraignant des directives contenues dans les résolutions  de la Cour suprême
« (...) Les résolutions de la Cour suprême d’Ukraine, rendues à la suite d’un nouvel examen de l’affaire sur la base d’un pourvoi en cassation contre une résolution [ou décision] du Tribunal supérieur de commerce ne contiennent aucune directive quant à la recevabilité ou l’irrecevabilité des éléments de preuve, la primauté d’un type de preuve sur un autre, les dispositions matérielles du droit qui sont applicables ou le type de décision qui sera adopté à l’issue du nouvel examen de l’affaire. »
GRIEFS
La société requérante allègue que les juridictions internes ont mal appliqué le droit ukrainien lors de l’examen de sa cause, la privant ainsi d’un procès équitable. Elle se plaint en substance d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Elle soutient par ailleurs que les tribunaux ukrainiens n’ont pas correctement apprécié les éléments de preuve ni bien établi les faits.
Elle considère de plus qu’elle a injustement été privée de l’accès à un tribunal – en particulier le Tribunal supérieur de commerce – qui aurait examiné sa plainte. Elle explique qu’elle ne s’est pas pourvue en cassation parce que le Tribunal supérieur de commerce et la Cour suprême d’Ukraine avaient refusé d’admettre son pourvoi. Elle soutient en outre que les juges des juridictions de commerce de tous les degrés – mais particulièrement ceux de la cour d’appel de commerce de la région de Jitomir et ceux du Tribunal supérieur de commerce – ont manqué d’impartialité et d’indépendance. Elle affirme de surcroît que certains des documents qui étayaient ses demandes ont disparu du dossier de l’affaire.
Enfin, la société requérante exprime des griefs d’ordre général sur des actes illicites qu’auraient commis le directeur de la société Kamianets Ltd et plusieurs autorités de l’Etat auprès desquelles elle s’était plainte de sa situation. Elle invoque l’article 5 de la Convention.
EN DROIT
A.  Les griefs de la société requérante
La Cour estime que deux griefs doivent être examinés car ils soulèvent des questions quant à leur recevabilité sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention. Premièrement, la société requérante se plaint de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable devant les juridictions internes. Deuxièmement, elle estime injuste le rejet, par le Tribunal supérieur de commerce, de son pourvoi en cassation contre la décision rendue le 11 décembre 2003 par la cour d’appel de commerce de la région de Jitomir. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les passages pertinents sont ainsi libellés :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Quant au fond des griefs, la Cour note que la société requérante a omis d’introduire conformément aux règles du droit interne un pourvoi en cassation devant le Tribunal supérieur de commerce et la Cour suprême d’Ukraine contre, respectivement, la décision du tribunal de première instance et celle de la cour d’appel. Or, aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes, tel qu’il est entendu selon les principes du droit international généralement reconnus.
La Cour rappelle à cet égard que l’obligation d’épuiser les voies de recours internes n’implique que l’emploi des recours normalement effectifs, suffisants et disponibles. Pour qu’un recours soit effectif, il doit notamment être susceptible de remédier directement à la situation incriminée. Il doit en outre exister à un degré suffisant de certitude (voir, mutatis mutandis, Vorobyeva c. Ukraine (déc.), no 27517/02, 17 décembre 2002, et Arkhipov c. Ukraine (déc.), no 25660/02, 18 mai 2004). La Cour estime qu’il y a lieu de clarifier la question de l’épuisement des voies de recours internes en matière commerciale.
B.  Les voies de recours prévues par le droit ukrainien
La Cour relève qu’un quatrième degré de juridiction en matière commerciale a été introduit le 21 juin 2001, pour prendre effet le 5 juillet 20017. Selon les dispositions pertinentes du code de procédure commerciale, un pourvoi en cassation auprès du Tribunal supérieur de commerce, semblable à celui que connaissent d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe, ainsi qu’un second pourvoi (ou un pourvoi réitéré) auprès de la Cour suprême sont à présent disponibles pour les parties à un litige d’ordre commercial. L’exercice de ces pourvois ne dépend pas du pouvoir discrétionnaire d’une autorité de l’Etat (comparer, a contrario, Sovtransavto Holding c. Ukraine, no 48553/99, §§ 74-77, CEDH 2002-VII).
Pour ce qui est du pourvoi en cassation devant le Tribunal supérieur de commerce, la Cour relève qu’il peut être introduit dans le délai de un mois contre le jugement du tribunal de première instance ou la décision ou résolution de la cour d’appel. L’accord du Tribunal supérieur de commerce n’est pas nécessaire pour former le pourvoi. Toutefois, celui-ci doit être déposé auprès de la juridiction qui a rendu le jugement ou la décision en cause ; cette juridiction doit alors vérifier si le pourvoi observe, dans sa forme et dans sa teneur, les règles du code de procédure commerciale. S’il décide ensuite de se déclarer compétent pour connaître du pourvoi, le Tribunal supérieur de commerce statue. Il examine uniquement les points de droit.
La Cour observe également que, conformément aux modifications apportées au code de procédure commerciale le 15 mai 2003, seules les décisions ou résolutions du Tribunal supérieur de commerce peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant la Cour suprême, et ce dans le délai de un mois à compter de la date de leur adoption (article 111-16 du code de procédure commerciale). En conséquence, le droit d’introduire un second pourvoi (ou pourvoi réitéré) est subordonné au point de savoir si l’affaire a été examinée par le Tribunal supérieur de commerce. Le second pourvoi (ou pourvoi réitéré) auprès de la Cour suprême doit être déposé auprès du Tribunal supérieur de commerce, qui le transmet à la Cour suprême dans le délai de dix jours à compter de sa réception (article 111-16 du code de procédure commerciale). Une chambre de trois juges de la Cour suprême décide d’autoriser ou non le pourvoi. Si l’un des juges de la chambre l’estime recevable, le pourvoi est communiqué pour examen au fond à la chambre compétente de la Cour suprême. Le pourvoi en cassation est examiné par des juges de la chambre commerciale de la Cour suprême. Cette dernière a le pouvoir d’annuler la décision du Tribunal supérieur de commerce et de renvoyer l’affaire pour nouvel examen, ou de mettre fin à la procédure. La résolution de la Cour suprême sur le pourvoi est définitive et insusceptible de recours.
La Cour note en outre que les décisions rendues par les juridictions inférieures après le 5 juillet 2001, comme c’est le cas en l’espèce, ne peuvent faire l’objet d’un pourvoi que dans les délais fixés par le code de procédure commerciale. La nouvelle procédure de cassation est donc conforme au principe de la sécurité juridique, un des éléments fondamentaux de la prééminence du droit, qui veut, entre autres, que la solution donnée de manière définitive à un litige par les tribunaux ne soit plus remise en cause (Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 61, CEDH 1999-VII).
C.  L’appréciation de la Cour
1.  Les griefs de la société requérante quant au refus d’examiner le pourvoi introduit par elle devant le Tribunal supérieur de commerce
En ce qui concerne l’accès à un tribunal, la Cour rappelle que les garanties de procédure énoncées à l’article 6 assurent à chacun le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil ; il consacre de la sorte le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civile, constitue un aspect (arrêt Golder c. Royaume-Uni du 21 février 1975, série A no 18, pp. 13-18, §§ 28-36). Cependant, le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès constitue un aspect particulier, n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’Etat, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, les limitations appliquées ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, parmi d’autres, Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, arrêt du 19 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, p. 2955, § 33).
Pour en revenir aux circonstances de l’espèce, la Cour note que la société requérante a introduit un pourvoi en cassation directement auprès du Tribunal supérieur de commerce. Or, en vertu de l’article 109 du code de procédure commerciale, le pourvoi aurait dû être déposé auprès du tribunal de première instance ou de la cour d’appel. Le Tribunal supérieur de commerce a rejeté les nouveaux pourvois formés par la société requérante au motif qu’ils avaient été introduits hors délai. Il a en outre jugé que le pourvoi que la société requérante avait déposé directement auprès de lui n’interrompait pas le cours du délai (articles 109 et 110 du code de procédure commerciale). La Cour estime dès lors que le refus d’examiner le pourvoi en cassation reposait sur une base légale et ne révèle aucun élément d’arbitraire.
Elle considère de plus que les règles relatives à l’introduction de pourvois en cassation, énoncées à l’article 109 du code de procédure commerciale et selon lesquelles le pourvoi doit être introduit dans le délai de un mois et par l’intermédiaire du tribunal de première instance ou de la cour d’appel, où se trouve le dossier, ont sans conteste pour objet de garantir une bonne administration de la justice. Les intéressés doivent en toute logique s’attendre à ce que ces règles soient appliquées. En outre, il ressort du dossier de l’affaire que la société requérante connaissait la règle en question mais y a délibérément contrevenu parce que, selon elle, les juges de la cour d’appel n’étaient ni impartiaux ni indépendants. La Cour estime toutefois que la société requérante n’a apporté aucune preuve qui vienne étayer ses allégations selon lesquelles les juges de la cour d’appel de commerce de la région de Jitomir ont subtilisé des pièces du dossier ou qui démontre une attitude partiale de ces derniers envers la société requérante. En outre, celle-ci n’a démontré ni que les raisons qui l’avaient amenée à saisir directement le Tribunal supérieur de commerce étaient suffisantes, ni que la cour d’appel avait porté atteinte à son droit de se pourvoir en cassation.
A la lumière de ces éléments, la Cour estime que la société requérante n’a pas établi que les trois décisions du Tribunal supérieur de commerce datées du 21 janvier, du 10 mars et du 6 mai 2004 aient été arbitraires ou injustifiées dans les circonstances de l’espèce. En conséquence, l’examen de ce grief ne révèle aucune apparence de violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2.  Le fond des griefs soulevés par la société requérante (caractère inéquitable des décisions de rejet de ses demandes en restitution)
La société requérante s’est plainte de l’issue des procédures devant le tribunal de commerce de la région de Khmelnitski (jugement du 23 juin 2003) et la cour d’appel de commerce de la région de Jitomir (décision du 11 décembre 2003). Elle alléguait en particulier que ces juridictions n’avaient pas correctement appliqué la loi et apprécié les éléments de preuve. Elle contestait également leur interprétation des articles 71 et 80 du code civil. La Cour estime qu’il s’agit là de questions qui relèvent de la compétence du Tribunal supérieur de commerce et qui pouvaient justifier de demander à pouvoir saisir la Cour suprême d’un pourvoi en cassation une fois que le Tribunal supérieur de commerce aurait statué.
Un pourvoi en cassation auprès du Tribunal supérieur de commerce et un second pourvoi devant la Cour suprême contre les décisions rendues par les cours d’appel de commerce peuvent être tenus pour des recours effectifs contre les décisions de juridictions inférieures rendues après le 5 juillet 2001 et contre les décisions du Tribunal supérieur de commerce depuis le 15 mai 2003. Elle ajoute que le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison valable pour justifier la non-utilisation de recours internes (Van Oosterwijck c. Belgique, arrêt du 6 novembre 1980, série A no 40, p. 18, § 37, et A.B. c. Pays-Bas, no 37328/97, § 72, 29 janvier 2002). Elle rejette donc les raisons invoquées par la société requérante pour se justifier de n’avoir pas usé des voies de recours susmentionnées.
Cette partie de la requête doit en conséquence être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
3.  Le surplus des griefs formulés par la société requérante
Quant aux autres griefs soulevés par la société requérante, y compris ceux tirés de l’article 5 de la Convention, la Cour considère qu’ils ne sont nullement étayés et doivent dès lors être rejetés pour défaut de fondement en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
1.  3 804 euros (EUR).
2.  42 767,40 EUR.
3.  Les dispositions du code civil s’appliquent tant aux tribunaux de commerce qu’aux juridictions civiles de droit commun.
4.  A l’issue de la réforme du système judiciaire de juin 2001, tous les tribunaux « d’arbitrage » furent renommés tribunaux « de commerce ».
5.  Tel que modifié le 15 mai 2003 par la loi portant modification du code de procédure commerciale.
6.  Article modifié le 15 mai 2003 par la loi portant modification du code de procédure commerciale.
7.  La loi portant modification du code de procédure commerciale a été publiée à quatre reprises dans la presse écrite officielle : le 5 juillet 2001 (Holos Ukrayiny), le 6 juillet 2001 (Ofitsijny Visnyk Ukrayiny), le 10 juillet 2001 (Uryadovy Kurjer) et le 7 septembre 2001 (Vidomosti Verkhovnoyi Rady Ukrayiny).
DÉCISION MPP GOLUB c. UKRAINE
DÉCISION MPP GOLUB c. UKRAINE 


Type d'affaire : Décision
Type de recours : Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 11-1) LIBERTE D'ASSOCIATION, (Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE


Parties
Demandeurs : MPP GOLUB
Défendeurs : UKRAINE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (troisième section)
Date de la décision : 18/10/2005
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 6778/05
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2005-10-18;6778.05 ?
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