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13/12/2005 | CEDH | N°72098/01

CEDH | MALAVIOLLE c. FRANCE


QUATRIEME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 72098/01  présentée par Robert MALAVIOLLE  contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (Quatrième section), siégeant le 13 décembre 2005 en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,   MM. J.-P. Costa,    G. Bonello,    M. Pellonpää,    K. Traja,    L. Garlicki,    J. Borrego Borrego, juges
et de M. M. O’Boyle, greffier,
Vu la requête susmentionnée introduite le 23 mai 2001,
Vu les observations soumises par

le gouvernement défendeur et la lettre du 7 mars 2005 de Me Jean-Nicolas Clément, conseil du requérant, indiqu...

QUATRIEME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 72098/01  présentée par Robert MALAVIOLLE  contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (Quatrième section), siégeant le 13 décembre 2005 en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,   MM. J.-P. Costa,    G. Bonello,    M. Pellonpää,    K. Traja,    L. Garlicki,    J. Borrego Borrego, juges
et de M. M. O’Boyle, greffier,
Vu la requête susmentionnée introduite le 23 mai 2001,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et la lettre du 7 mars 2005 de Me Jean-Nicolas Clément, conseil du requérant, indiquant que son client entend maintenir sa requête,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Robert Malaviolle, est un ressortissant français, né en 1947 et résidant à Ales. Il est représenté devant la Cour par Mes Jean-Nicolas Clément et Bernard Cheysson, avocats à Paris. Le gouvernement défendeur est représenté par Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des affaires étrangères.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Pharmacien biologiste, le requérant dirige un laboratoire d’analyses de biologie médicale. A la fin de l’année 1995, il mit en place dans son laboratoire un système de télétransmission informatique des données nécessaire au remboursement des assurés sociaux.
Des contrôles effectués par la Caisse primaire d’assurance maladie (« CPAM ») du département du Gard révélèrent certaines erreurs de cotation des actes de biologie médicale réalisés entre le 1er février et le 30 mai 1996. Le médecin-conseil chef du service du contrôle médical près la CPAM de Nîmes déposa en conséquence une plainte à l’encontre du requérant devant la section des assurances sociales du conseil central de la session G de l’ordre des pharmaciens ; il reprochait au requérant d’avoir « surcoté des numérations de formule sanguine et des ionogrammes, coté des dosages en matière d’albumine et de sucre dans les urines alors que seule une recherche était prescrite et a été faite, omis de fournir des commentaires obligatoires ou de mentionner les techniques et réactifs utilisés, et facturé deux fois certains actes ».
Par une décision du 11 décembre 1997, la section des assurances sociales du conseil central de la session G de l’Ordre des pharmaciens infligea au requérant la sanction de deux mois d’interdiction de servir des prestations aux assurés sociaux.
Saisie en appel par le requérant, la section des assurances sociales du conseil national de l’Ordre des pharmaciens, par une décision du 30 mars 2000, ramena à un mois la durée de l’interdiction. Au moyen du requérant tiré d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention résultant de la composition de la section des assurances sociales du conseil central de la session G de l’Ordre des pharmaciens, le juge d’appel répondit ce qui suit :
« Considérant qu’eu égard à la nature des contestations portées devant la section des assurances sociales du conseil central de la section G de l’Ordre des pharmaciens, aux conditions de désignation des assesseurs ainsi qu’aux modalités d’exercice de leurs fonctions qui les soustraient à toute subordination hiérarchique, les membres de cette juridiction bénéficient de garanties leur permettant de porter, en toute indépendance, une appréciation personnelle sur le comportement professionnel des pharmaciens poursuivis devant elle ; qu’en outre les règles générales de procédure s’opposent à ce qu’un membre d’une juridiction administrative puisse participer au jugement d’un recours relatif à une décision dont il est l’auteur et à ce que l’auteur de la plainte puisse participer au jugement rendu à la suite du dépôt de celle-ci ; qu’il suit de là qu’alors même que les caisses de sécurité sociale et les médecins conseils ont la faculté de saisir, en application de l’article R. 145-23 du code de la sécurité sociale, la section des assurances sociales du conseil central de la section G de l’Ordre des pharmaciens, M. Malaviolle n’est pas fondé à soutenir que cette section ne satisfait pas à l’exigence d’indépendance et d’impartialité des juridictions rappelées par le premier paragraphe de l’article 6 de la Convention (...) »
Le pourvoi en cassation formé par le requérant sur le fondement notamment de l’article 6 § 1 de la Convention fut déclaré non admis par une décision du Conseil d’Etat du 1er décembre 2000.
B.      Le droit et la pratique internes pertinents
1) Les caisses d’assurance maladie
Défini par l’article L. 221-1 du code de la sécurité sociale, le rôle de la caisse nationale d’assurance maladie est, notamment, d’assurer sur le plan national, en deux gestions distinctes, le financement, d’une part, des assurances maladies, maternité, invalidité, décès et, d’autre part, des accidents du travail et maladies professionnelles et de maintenir l’équilibre financier de ces deux gestions. Il s’agit d’un établissement public national à caractère administratif. Elle jouit de la personnalité juridique et de l’autonomie financière. Elle est soumise au contrôle de l’Etat, représenté par un commissaire du gouvernement.
Les caisses primaires d’assurance maladie assurent, dans leurs circonscriptions respectives, le service des prestations dévolu, sur le plan national, à la caisse nationale. Dotées chacune de la personnalité morale, elles ont le caractère d’organismes de droit privé chargés d’une mission de service public.
Chaque caisse primaire d’assurance maladie est administrée par un conseil d’administration de vingt-deux membres, composé à l’époque des faits de la cause (article L. 211-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de l’ordonnance no 96-344 du 24 avril 1996) de huit représentants des assurés sociaux désignés par les organisations syndicales de salariés interprofessionnelles représentatives au plan national, huit représentants des employeurs désignés par les organisations professionnelles nationales d’employeurs représentatives, deux représentants désignés par la Fédération nationale de la mutualité française et quatre personnes qualifiées dans les domaines d’activité des caisses d’assurance maladie et désignées par l’autorité compétente de l’Etat.
Les agents de direction des caisses primaires d’assurance maladie (directeurs et agents comptables) sont quant à eux salariés des organismes dans lesquels ils exercent leurs fonctions (article L. 217-3 du code de la sécurité sociale). Ils sont choisis, après audition, par le conseil d’administration de la caisse primaire dont le poste est à pourvoir, parmi les personnes inscrites sur une liste d’aptitude établie par le directeur de la caisse nationale puis nommés par le directeur de la caisse nationale (articles L. 217-3 et R. 217-9 du même code).
2) Les sections des assurances sociales du conseil central de la section G et du conseil national de l’Ordre des pharmaciens
Les fautes, abus, fraudes et tous les faits intéressant l’exercice de la profession, relevés à l’encontre des pharmaciens directeurs et directeurs adjoints de laboratoires d’analyses de biologie médicale, à l’occasion des prestations servies à des assurés sociaux, sont soumis en première instance à la section des assurances sociales du conseil central de la section G de l’Ordre des pharmaciens (article R. 145-1 du code de la sécurité sociale). Cette section comprend, en qualité de président, le président du tribunal administratif de Paris ou un conseiller délégué par lui et, d’une part, deux assesseurs proposés par le conseil central de la section G et choisis en son sein, d’autre part, deux assesseurs proposés par la caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, l’un administrateur de caisse ou agent de direction, l’autre pharmacien conseil (article R. 145-10 du même code).
En appel, ces mêmes faits sont soumis à la section des assurances sociales du conseil national de l’Ordre des pharmaciens (article R. 145-1 du même code), laquelle comprend, en qualité de président, le conseiller d’Etat siégeant audit conseil et, d’une part, deux assesseurs pharmaciens proposés par ce conseil et choisis en son sein, d’autre part, deux assesseurs proposés par la caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, l’un administrateur de caisse ou agent de direction, l’autre pharmacien conseil (article R. 145-10 du même code).
Les assesseurs sont nommés par le ministre chargé de la sécurité sociale (ibidem).
La section des assurances sociales du conseil central de la section G de l’Ordre des pharmaciens peut être saisie soit par les organismes d’assurance maladie, les caisses de mutualité sociale agricole ou les autres organismes assureurs, soit par les syndicats de praticiens, de sages-femmes, de pharmaciens ou d’auxiliaires médicaux, soit par les conseils départementaux des Ordres intéressés. Elle peut également être saisie par les directeurs régionaux des affaires sanitaires et sociales et par les chefs de services régionaux de l’inspection du travail, de l’emploi et de la politique sociale agricoles ou leurs représentants. Elle peut en outre être saisie : en ce qui concerne le régime général, par le médecin-conseil national, les médecins-conseils régionaux et les médecins-conseils chefs des services du contrôle médical du ressort de chaque circonscription de caisse primaire d’assurance maladie ; en ce qui concerne le régime agricole, par le médecin-conseil national, et les médecins-conseils chefs de service des échelons départementaux ou pluri départementaux du contrôle médical ; en ce qui concerne les autres régimes, par les médecins-conseils responsables du service du contrôle médical d’une caisse ou d’un organisme de sécurité sociale (article R. 145-18 du même code).
Les sanctions susceptibles d’être prononcées par la section des assurances sociales du conseil central de la section G de l’Ordre des pharmaciens sont l’avertissement, le blâme et l’interdiction temporaire ou permanente de servir des prestations aux assurés sociaux. Dans le cas d’abus des prix de vente des médicaments et des fournitures ou des prix d’analyses, elle peut également ordonner le remboursement du trop-perçu à l’assuré, même si elle ne prononce aucune des sanctions susmentionnées (article R. 145-2 du même code).
GRIEF
Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant dénonce le fait que deux des cinq membres de la section des assurances sociales du conseil central de la section G de l’Ordre des pharmaciens sont des représentants des organismes de sécurité sociale, alors que les caisses de sécurité sociale ont, dans le cadre de leur mission de contrôle du respect de la nomenclature par les praticiens, la faculté de porter plainte devant cette juridiction ; ainsi, en sa cause, ladite section fut saisie par une plainte du médecin-conseil chef du service du contrôle médical près la CPAM de Nîmes. Il voit là un cumul des fonctions d’ « accusation » et de « jugement », jetant un doute sur l’indépendance et l’impartialité de la section des assurances sociales du conseil central de la section G de l’Ordre des pharmaciens.
EN DROIT
Le requérant se plaint du fait que deux des cinq membres de la section des assurances sociales du conseil central de la section G de l’Ordre des pharmaciens, qui a jugé sa cause, sont des représentants des organismes de sécurité sociale, alors que les caisses de sécurité sociale ont la faculté de porter plainte devant cette juridiction ; il en déduit que ladite section G n’est pas un « tribunal indépendant et impartial » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, et dénonce une violation de cette disposition, aux termes de laquelle :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Le Gouvernement conclut au défaut manifeste de fondement de la requête. Selon lui, la composition tant de la section des assurances sociales du conseil central de la section G de l’Ordre des pharmaciens que de la section des assurances sociales du conseil national de l’Ordre des pharmaciens – qui statue en appel – remplit les exigences de cet article ; il précise qu’il s’agit de juridictions administratives spécialisées à composition paritaire, présidées par un magistrat.
Le Gouvernement relève que le requérant ne soutient pas que les assesseurs proposés par la caisse nationale d’assurance maladie qui ont siégé en l’espèce étaient d’une quelconque manière liés à la caisse primaire d’assurance maladie de Nîmes dont émanait la plainte dirigée contre lui, ni que l’un ou l’autre desdits assesseurs était à l’origine de cette plainte.
Le Gouvernement précise ensuite que les pharmaciens-conseils sont des agents de droit privé dont l’indépendance est garantie par leur appartenance à un statut autonome fixé par le décret no 69-505 du 24 mai 1969, à l’instar des médecins-conseils qui siègent au sein de la section des assurances sociales du conseil national de l’Ordre des médecins ; or dans sa décision Ouendeno c. France du 9 janvier 2001 (no 39996/98), la Cour a jugé que lesdits médecins-conseils bénéficient ainsi d’un statut qui fait d’eux un corps autonome, ne dépendant ni pour sa nomination, ni pour son avancement, des caisses de sécurité sociale, avec lesquels ils n’ont aucun lien de subordination.
Quant aux autres assesseurs dont il est question, le Gouvernement indique tout d’abord que les administrateurs de caisse ne sont pas des salariés des caisses d’assurances maladie mais des représentants syndicaux élus par les assurés sociaux, ou des représentants des organisations professionnelles des employeurs. Il précise que les administrateurs d’une caisse spécifique n’ont aucun lien hiérarchique ou de subordination avec ceux des autres caisses, chaque caisse étant une personne morale de droit privé indépendante et autonome ; l’administrateur de caisse assesseur au sein d’une section des assurances sociales n’a donc aucun lien objectif avec la caisse auteur de la plainte. Le Gouvernement convient qu’en revanche, la présence d’agents de direction en qualité de représentants des caisses de sécurité sociale pourrait comporter le risque de porter atteinte à l’impartialité de la juridiction à laquelle ils participent ; il souligne cependant que leur statut prévient un tel risque : ils sont recrutés par contrat de droit privé par chacune des caisses de sécurité sociale au vu d’une liste d’aptitude fixée par le ministre et sont indépendants par rapport aux autres caisses. Selon le Gouvernement, cet éclatement des personnes morales de rattachement implique que l’agent de direction, qui siège ès qualités au sein d’une section des assurances sociales du conseil central de la section G ou du conseil national de l’Ordre des pharmaciens, n’a pas de lien fonctionnel avec la partie à l’instance.
Le Gouvernement insiste sur le fait que, si les assesseurs dont il est question sont « proposés » par la caisse nationale de sécurité sociale, ils sont « nommés » par le ministre en charge de la sécurité sociale et ne représentent pas ladite caisse au sein des juridictions dont il est question, et que, comme tous les membres de celles-ci, ils sont inamovibles et soumis au secret professionnel. Il ajoute que les décisions de la section des assurances sociales du conseil national sont soumises au contrôle du Conseil d’Etat comme juge de cassation.
Enfin, le Gouvernement souligne que la composition des sections des assurances sociales du conseil central de la section G et du conseil national de l’Ordre des pharmaciens est similaire à ce qu’était – avant une modification intervenue en 1996 – la composition des sections des assurances sociales du conseil régional et du conseil national de l’Ordre des médecins ; or, dans des décisions des 2 juillet 1997 (Miliani c. France ; no 32916/96) et 3 décembre 1997 (P. L. c. France ; no 24091/94), la Commission européenne des Droits de l’Homme avait conclu que la présence en leur sein de tels assesseurs ne suffisait pas à mettre en cause l’impartialité de ces organes.
Le requérant ne réplique pas mais déclare maintenir sa requête.
La Cour souligne tout d’abord qu’un contentieux dont l’enjeu – comme en l’espèce, eu égard aux sanctions pouvant être prononcées par la section des assurances sociales du conseil central de la section G et la section des assurances sociales du conseil national de l’Ordre des pharmaciens – est l’exercice d’une profession à titre libéral, donne lieu à des « contestations sur des droits (...) de caractère civil » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, par exemple, la décision Ouendeno précitée et l’arrêt Gautrin et autres c. France du 20 mai 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-III, § 33). Au demeurant, en l’espèce, le Gouvernement ne conteste pas l’applicabilité de cette disposition.
Il ressort par ailleurs de la jurisprudence de la Cour que l’attribution du soin de statuer à des juridictions ordinales (voir, par exemple, l’arrêt Gautrin précité, § 57) ou paritaires (voir, par exemple, la décision Ouendeno précitée et l’arrêt AB Kurt Kellermann c. Suède du 26 octobre 2004, no 41579/98) n’enfreint pas en soi la Convention.
La Cour rappelle ensuite que, pour établir si un tribunal peut passer pour « indépendant », il faut prendre en compte, notamment, le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l’existence d’une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s’il y a ou non apparence d’indépendance (voir, parmi de nombreux autres, les arrêts Bryan c. Royaume-Uni du 22 novembre 1995, série A no 335-A, § 37, et Findlay c. Royaume-Uni, du 25 février 1997, Recueil 1997-I, § 73, et la décision Ouendeno précitée).
Quant à l’ « impartialité » au sens de l’article 6 § 1, elle s’apprécie selon une double démarche : la première consiste à essayer de déterminer la conviction personnelle de tel ou tel juge en telle occasion ; la seconde amène à s’assurer qu’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (voir, par exemple, les arrêts précités Gautrin, § 58 et Findlay, § 73). A cet égard, la Cour déduit des faits et du grief du requérant que seule la seconde desdites démarches est en l’occurrence pertinente ; elle revient à se demander, lorsqu’une juridiction collégiale est en cause, si, indépendamment de l’attitude personnelle de tel de ses membres, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de celle-ci ; en la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance ; il en résulte que pour se prononcer sur l’existence, dans une espèce donnée, d’une raison légitime de redouter d’une juridiction un défaut d’impartialité, l’optique du ou des intéressés entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif ; l’élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions de ceux-ci peuvent passer pour objectivement justifiées (arrêt Gautrin précité, § 58).
Les notions d’indépendance et d’impartialité objective étant étroitement liées (arrêt Findlay précité, § 73), la Cour les examinera ensemble dans la mesure où elles concernent la présente affaire.
La Cour rappelle également que, lorsqu’un organe juridictionnel chargé d’examiner des contestations portant sur des « droits et obligations de caractère civil » ne remplit pas toutes les exigences de l’article 6 § 1, il n’y a pas violation de la Convention si la procédure devant elle a fait l’objet du « contrôle ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction présentant, lui, les garanties de cet article » (voir, par exemple, les arrêts Albert et Le Compte c. Belgique, du 10 février 1983, série A no 58, § 29, et Bryan, précité, § 40). Elle en déduit, ainsi que des circonstances de la cause, qu’il lui faut en l’espèce vérifier non seulement l’indépendance et l’impartialité objective de la section des assurances sociales du conseil central de la section G de l’Ordre des pharmaciens mais aussi celles de la section des assurances sociales du conseil national du même Ordre, juridiction d’appel.
La Cour relève que, présidée par le président du tribunal administratif de Paris ou un conseiller délégué par lui, la section des assurances sociales du conseil central de la section G de l’Ordre des pharmaciens est en outre composée de quatre assesseurs nommés par le ministre chargé de la sécurité sociale : deux sont proposés par le conseil central de la section G et choisis en son sein, les deux autres par la caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, l’un étant administrateur de caisse ou agent de direction, l’autre pharmacien conseil ; elle peut notamment être saisie par les organismes d’assurance maladie et – tel fut le cas en l’espèce – les médecins-conseils chefs des services du contrôle médical du ressort de chaque circonscription de caisse primaire d’assurance maladie. Quant à la section des assurances sociales du conseil national de l’Ordre des pharmaciens, juridiction d’appel, elle est présidée par un conseiller d’Etat et comprend quatre assesseurs nommés par le ministre chargé de la sécurité sociale : deux pharmaciens proposés par le conseil national de l’Ordre des pharmaciens et choisis en son sein, et deux autres assesseurs proposés par la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, l’un étant administrateur de caisse ou agent de direction, l’autre pharmacien conseil.
En l’espèce, seule est controversée la présence parmi les cinq membres de ces organes, du pharmacien conseil et de l’administrateur de caisse ou agent de direction proposés par la caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, étant entendu que leur présence serait problématique au regard de l’article 6 § 1 de la Convention s’il apparaissait qu’ils se trouvent effectivement dans un état de subordination de fonctions et de services par rapport à l’une des parties (voir, par exemple, l’arrêt Sramek c. Autriche du 22 octobre 1984, série A no 84, §§ 41-42).
S’agissant des pharmaciens-conseils, la Cour constate qu’à l’instar des médecins-conseils qui, nommés par le même ministre, siègent au sein de la section des assurances sociales du conseil national de l’Ordre des médecins, ils relèvent du statut fixé par le décret du 24 mai 1969 modifié. Or la Cour a jugé que ce statut fait des médecins-conseils un corps autonome, ne dépendant ni pour sa nomination, ni pour son avancement, des caisses de sécurité sociale, avec lesquelles ils n’ont aucun lien de subordination ; par ailleurs, citant à cet égard les conclusions du commissaire du gouvernement sous l’arrêt Trany du Conseil d’Etat du 7 janvier 1998, elle a retenu que « les médecins-conseils disposent ainsi des garanties juridiques pour exercer en totale indépendance leurs fonctions juridictionnelles au sein des sections d’assurances sociales régionales ou nationale, par rapport à leurs confrères du service local auteur des plaintes [ ;] le seul lien corporatiste ne permet pas de douter de l’impartialité d’un médecin-conseil membre de la juridiction en l’absence de tout lien de subordination des uns vis-à-vis des autres, compte tenu des garanties qui sont statutairement organisées » (décision Ouendeno précitée). Le même constat s’impose s’agissant des pharmaciens-conseils.
Quant à la présence au sein de la section des assurances sociales du conseil central de la section G et de la section des assurances sociales du conseil national de l’Ordre des pharmaciens d’administrateurs de caisse et agents de direction proposés par la caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, la Cour comprend dans une certaine mesure les appréhensions du requérant dès lors qu’il peut sembler à première vue qu’ils pourraient avoir des liens avec la partie adverse au litige, d’autant plus qu’il ressort des écrits du Gouvernement que les agents de direction y siègent « en qualité de représentants des caisses de sécurité sociale ». Elle prend cependant acte des explications de ce dernier, selon lesquelles les caisses primaires d’assurance maladie sont des personnes morales de droit privé, distinctes les unes des autres, et les administrateurs de caisse et les agents de direction issus de telle caisse primaire d’assurance maladie n’ont pas de lien avec les autres caisses. Or il ne ressort ni des écrits du requérant ni du dossier que les administrateurs de caisse et les agents de direction ayant siégé en sa cause en première instance et en appel aient eu un lien quelconque avec la caisse primaire d’assurance maladie de Nîmes, auteur de la plainte à l’encontre de l’intéressé et partie à la procédure.
A cela il faut ajouter que les sections des assurances sociales du conseil central de la section G et du conseil national de l’Ordre des pharmaciens sont des juridictions, qu’elles sont présidées respectivement par le président du tribunal administratif de Paris (ou un conseiller délégué par lui) et un conseiller d’Etat, que, selon les écrits non contredits du Gouvernement, tous leurs membres sont inamovibles et les mandats de ceux-ci ne sont pas limités dans le temps, et que les décisions de la section des assurances sociales du conseil national sont soumises au contrôle du Conseil d’Etat, juge de cassation.
La Cour parvient en conséquence à la conclusion que les appréhensions du requérant quant à l’indépendance et à l’impartialité des juridictions qui ont examiné sa cause ne sont pas objectivement justifiées.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Michael O’Boyle Nicolas Bratza   Greffier Président
DÉCISION MALAVIOLLE c. FRANCE
DÉCISION MALAVIOLLE c. FRANCE 


Synthèse
Formation : Cour (quatrième section)
Numéro d'arrêt : 72098/01
Date de la décision : 13/12/2005
Type d'affaire : Décision
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 14) DISCRIMINATION, (Art. 14) ORIGINE NATIONALE, (Art. 14) RELIGION, (Art. 46-2) EXECUTION DE L'ARRET, (Art. 46-2) MESURES GENERALES, (Art. 8-1) RESPECT DU DOMICILE


Parties
Demandeurs : MALAVIOLLE
Défendeurs : FRANCE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2005-12-13;72098.01 ?
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